Les quartiers populaires désert politique ?
Parler d’« émeutes » plutôt que de « violences urbaines », prendre en compte le point de vue des « jeunes émeutiers », sans considérer a priori qu’ils n’ont rien à dire ni les mots pour le dire, mais aussi les jeux d’acteurs qui tantôt amplifient leur colère tantôt font « société » (médiation, pacification), souligner leurs inscriptions territoriales irréductibles, sont autant de choix méthodologiques qui conduisent à prendre ses distances avec les débats publics. Interroger la qualification politique de ces « révoltes » revient à distinguer non seulement des actions conventionnelles et des actions non-conventionnelles, mais plus fondamentalement ce qui relève du politique et de la politique. Une chose est en effet le politique, au sens d’un régime d’articulation qui s’opère entre l’individu, la société et l’État. Une autre est la politique, entendue comme la distribution des intérêts et des croyances dans la société, le mode de leur représentation, le régime de leurs alliances et de leurs conflits. Or, on l’oublie trop souvent, ce dont souffrent ces quartiers ce n’est pas seulement d’un déficit de cohésion sociale ou d’une dégradation des territoires mais d’un déficit démocratique et politique.
Didier Lapeyronnie définit l’émeute comme le fait des primitifs de la révolte (reprenant Éric Hobsbawm), c’est-à-dire de tous ceux qui n’ont pas d’autres moyens d’expression de leur révolte que les violences collectives 15. Or l’enjeu de ces dernières est clair : il s’inscrit dans un contexte de durcissement des rapports entre les jeunes et la police qui, lui-même, cristallise un rapport pour le moins problématique entre les populations de ces quartiers et les institutions. Bien que surgissant d’un problème de contrôle social qui ne date pas d’hier, cette hostilité a pris des formes nouvelles ces dernières années. Le racisme institutionnel, les pratiques discriminatoires à l’encontre des jeunes maghrébins et noirs, la pression exercée sur les cités et ses habitants qui en rejettent le stigmate tout en ne cessant de s’y identifier, sont des faits avérés et assez documentés pour qu’on n’y revienne pas. Du coup, si révolte il y a, elle ne se fait pas au nom d’une culture populaire mais d’une expérience négative du rapport à la police en particulier ou des institutions comme l’école.
Mais la révolte traduit aussi le déficit de citoyenneté qui caractérise pour une large part les « jeunes des banlieues ». Comme le montre Robert Castel dans un article récent : « Paradoxalement, ce serait parce qu’ils sont citoyens, mais des citoyens par défaut, que beaucoup de ces jeunes auraient adopté des conduites destructrices et, en somme, ils se seraient faits délinquants au nom du droit. (…) C’est en ce sens que l’on peut penser que ces violences ont porté une signification politique. » (Castel, 2006).
Lien
Les voies de la colère : « violences urbaines » ou révolte d’ordre « politique » ? ▻http://socio-logos.revues.org/352
Le champ du politique est un espace poreux, aux frontières floues et aux définitions multiples. Il n’est pas réductible aux modes de gouvernance où à la distribution du pouvoir. Il ne relève pas non plus d’une substance immuable tant il est historiquement et socialement marqué (Corcuff, 2000). Comment peut-on nommer un mouvement non conventionnel, qui prend racine dans une expérience collective et qui se nourrit d’une défiance protéiforme envers ce que Max Weber appelle une organisation administrative qui dispose de la menace et du recours à la violence physique (Weber, 1971, p. 57) ? Qu’il s’agisse de demande de respect, de dénonciation des conditions d’existence, des multiples formes de discriminations, d’attente d’une action forte contre les déviances policières, d’expression d’inquiétudes face à l’avenir, etc., que ce sentiment d’injustice s’exprime dans des formes légitimes ou non, ces émeutes sont en rapport aux affaires publiques, au gouvernement d’un État (principal sens du mot politique dans le Littré, 1872 et le Dictionnaire de l’Académie française, 1935), elles questionnent radicalement l’organisation de la polis.
Émeutes urbaines, sentiments d’injustice, mobilisations associatives
Émergence d’une dynamique politique chez les jeunes dits « de cité » ?
▻http://sociologies.revues.org/3521
De la trahison des « Beurs » : retour sur une marche récupérée
PAR ANTOINE PERRAUD. Paywall
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 18 NOVEMBRE 2013
Qu’évoque, en 2013, la marche pour l’égalité et contre le racisme ? C’était en 1983. Le mouvement fut très vite appelé “marche des Beurs”, en un détournement qui en dit long sur une folklorisation prompte à vider une telle action de son contenu politique. La réalité, le sel et le sens de cette trajectoire sont restitués par un documentaire diffusé sur Public Sénat.
►http://blog.mondediplo.net/2013-11-21-S-O-S-Avenir-trente-ans-plus-tard
▻http://www.histoire-immigration.fr/magazine/2014/4/la-longue-marche-des-beurs-pour-l-egalite
"Mais l’histoire des luttes de l’immigration en France
ne commence ni se termine à la Marche. Car même si
elles bénéficient d’une aura universitairetoute fluctuante et inégale, les luttes de l’immigration et des banlieues s’enrichissent d’une histoire complexe. Cette histoire commence par lesluttes ouvrières des années 70, se poursuit par les mobilisations constantes contre les dérives policières, ou par la revendication d’une
reconnaissance sociale et civique principalement par la seconde génération de l’immigration"
▻http://www.ville-et-banlieue.org/wp-content/uploads/2013/07/Participation-e%CC%81lectorale-droit-de-vote-et-renouveau-militan
Les quartiers populaires français ne sont pas un « désert politique »
Par Abdellali Hajjat
▻http://1libertaire.free.fr/BanlieuesDesertPolitiqueNon01.html
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