les structures dissipatives se maintiennent en produisant de d’énergie libre, intégralement convertible en travail mécanique, et pour cela elle utilisent au maximum le flux d’énergie dans lequel elles apparaissent. "Les structures dissipatives s’auto-organisent de façon à maximiser le flux d’énergie qui les traverse", écrit François Roddier.
Ce faisant, elles « maximisent la vitesse à laquelle l’énergie se dissipe » à travers elles.
Et c’est là que les problèmes commencent.
Les structures dissipatives obéissent toutes aux lois physiques qui régissent le comportement de l’énergie : les lois de la thermodynamique. L’énergie se conserve (première loi de la thermodynamique), mais finit toujours par se dissiper sous forme de chaleur (seconde loi). Cette dissipation est irréversible. L’énergie – électrique, chimique, mécanique etc. – une fois devenue chaleur, n’est plus libre : elle est plus ou moins « perdue », au sens où la chaleur ne peut être intégralement reconvertie en travail mécanique. En thermodynamique, la mesure de la dissipation de l’énergie sous forme de chaleur, autrement dit la mesure de la désorganisation des systèmes, du désordre irrémédiablement croissant du monde, s’appelle l’entropie.
Les structures dissipatives maximisent la vitesse à laquelle l’énergie se dissipe. On peut dire aussi bien qu’elles maximisent le taux de production d’entropie : il existerait une loi de production maximale d’entropie (MaxEP, selon l’acronyme anglais). Cette loi, empirique, n’a pu encore être parfaitement démontrée par les mathématiques.
« Elle est cependant conforme à l’expérience », insiste François Roddier dans un échange par courriel. « Elle a le mérite de rattacher la biologie aux lois de la physique. Elle s’applique aussi aux sciences humaines. Les sociétés humaines s’auto-organiseraient pour maximiser leur taux de dissipation d’énergie. »
Selon Roddier, l’apparition au cours de l’histoire de l’univers de formes de structures dissipatives maximisant autour d’elles l’entropie de façon sans cesse plus efficace constitue le sens même de l’évolution, "du Big Bang aux sciences sociales".
A 77 ans, l’astrophysicien juge lui-même sa théorie "hardie", mais il ne l’en défend pas moins avec sérénité.
Sans surprise, François Roddier rejoint les objecteurs de croissance. Il offre à leur combat éthique contre l’avidité une justification physique et biologique, c’est-à-dire écologique :
« La sélection naturelle [a] favoris[é] la culture libérale, parce que c’est l’espèce culturelle la plus adaptable aux changements. En favorisant la compétition et les inégalités, elle facilite l’adaptation de la société à un progrès technique de plus en plus rapide. » (p. 138.)
« Nous ne pouvons ni réduire les inégalités sociales, ni protéger notre environnement sans ralentir notre croissance économique. Or nous sommes tous en compétition pour maximiser la dissipation d’énergie. » (p. 153.)
« Le PIB (Produit intérieur brut) d’une société est une mesure de son taux de production d’entropie. (...) En maximisant son profit, le producteur maximise son taux de production d’entropie. » (p. 176 & 177.)
« La production d’énergie libre est maximale lorsque toutes les opérations effectuées sont réversibles. Tout physicien sait qu’une transformation est d’autant plus proche de la réversibilité qu’elle est effectuée lentement. Il nous faut donc ralentir la vitesse des cycles, c’est-à-dire augmenter la durée de vie de tous les produits que nous fabriquons. » (p. 165.)