• Je suis Charlie... ainsi suit-il - Nous sommes aveugles à la violence que nous produisons

    Non, je ne suis PAS Charlie
    Par Alain Naze, philosophe

    Personne ne peut se réjouir des assassinats perpétrés ce mercredi #7_janvier à l’encontre des gens de #Charlie_Hebdo. D’abord parce que cette violence est le fruit d’une froide délibération, qui n’a rien à voir avec la moindre violence libératrice, et ensuite parce qu’il est évident que cet attentat va renforcer à l’extrême l’#_islamophobie régnante. Que cet acte ait suscité de l’émotion, c’est bien compréhensible, mais il n’est pas possible de s’en tenir à ce niveau de réaction immédiate, sauf à renoncer à toute réflexion et à toute prise de positions politiques, au profit d’une simple forme d’indignation morale. Et l’on renonce à cette réflexion politique, sitôt qu’on embraie sur les effets massifs du rouleau compresseur médiatique, cédant ainsi à une forme de dictature de l’émotion, par ailleurs nécessairement sélective en ses indignations. Nous ferions pourtant bien de nous inspirer, pour l’occasion, de la célèbre maxime de Spinoza : « Non ridere, nec lugere, neque detestari, sed intellegere » (1).
    (…)
    Si, dans le cadre d’une sorte d’union sacrée, allant pour ainsi dire du Parti de gauche au Front national, Sarkozy parle aujourd’hui d’une « guerre déclarée à la civilisation », c’est bien qu’il reproduit le schéma même de l’Etat colonial que la France n’a jamais tout à fait cessé d’être, mais aussi celui qu’adoptèrent les Etats-Unis, pour exporter la « Démocratie » en terre irakienne (et les « valeurs » occidentales utilisées par l’Administration américaine furent bien alors, de façon cette fois évidente, des armes de guerre). Si les valeurs occidentales sont la civilisation – conclusion inévitable dans le cadre d’une partition du monde s’adossant à un schéma progressiste de l’histoire, et opposant un #Occident_éclairé et moderne à un monde non occidental obscurantiste et rétrograde – , comment s’étonner d’attentats aussi barbares, puisque, aussi bien, nous n’aurions alors, face à « Nous », que des hordes de « barbares », abrutis d’obscurantisme.
    Si nous restons dans cette position intellectuellement aveugle et autarcique, tout occupés (2) à nous féliciter d’être, « Nous », excellents Occidentaux, tellement « bons », « justes », « tolérants », etc., nous ne comprendrons jamais rien à#la_violence_que_nous_produisons, et donc rien non plus à la violence qui nous affecte à certaines occasions. Saisissons-nous au contraire de cet événement pour nous interroger sur la nécessité de fissurer notre homogénéité, en y introduisant de l’hétérogène, du plébéien. Sans cela, nous resterons face à nous-mêmes, dans un monde dont nous aurons éradiqué le différent – contre cet atroce huis-clos à venir, je préfère me tenir aux côtés d’#Ernest_Coeurderoy, qui en appelait aux « Cosaques » - autant dire aux « Barbares » –, comme on en appelle à l’hétérogène, pour provoquer une révolution !

    1]Ne pas rire, ni se lamenter, ni haïr, mais comprendre. Le texte du Traité politique (Introduction, IV) dit, plus précisément : « … je me suis soigneusement abstenu de tourner en dérision les actions humaines, de les prendre en pitié ou en haine ; je n’ai voulu que les comprendre. »

    [2]Je respecte l’énonciation de l’auteur, qui suit la règle du masculin-qui-l’emporte-sur-le-féminin, mais pour ma part j’aurais laissé ouverte la possibilité d’un féminin, puisqu’il y a des femmes et non pas seulement des hommes dans les pays occidentaux.

    http://feministesentousgenres.blogs.nouvelobs.com/archive/2015/10/30/je-suis-charlie-ainsi-suit-il-nous-sommes-aveugles-a-la-viol-572268.html