• Suite du Chenil

    « Souvent, au milieu de la nuit, ils apparaissaient réellement autour de mon lit, assis en train de me fixer de leurs yeux qui brillaient dans l’obscurité, c’était des chiens de race pour la plupart, les mêmes que j’allais bientôt retrouver au chenil, la même attitude de chiens bien dressés et obéissants, pouvant rester des heures à attendre à côté de leur maître qu’il se lève pour le suivre, ils étaient assis autour de mon lit en silence, la gueule fermée, la tête toujours tournée vers moi, sans s’occuper de ce qui se passait dans la rue, d’ailleurs il ne se passait plus rien puisque tous les chiens étaient désormais dans ma chambre rassemblés autour de mon lit, à attendre quoi je l’ignorais, je restais allongé les yeux fermés, les ouvrais juste de temps en temps pour voir s’ils étaient encore là, et les statues de chien étaient toujours là, un doberman approchait son museau de mon nez, me reniflait puis me léchait une joue, ce dont j’avais horreur, pourtant je ne bougeais pas et le laissais faire, écœuré mais immobile, d’autres chiens à tour de rôle s’approchaient de moi et comme le doberman me léchaient le visage, j’avais le temps dans l’obscurité de plonger mes yeux dans les leurs, je sentais leurs poils effleurer ma peau, puis tout à coup la langue râpeuse et humide, je ne m’essuyais jamais le visage par crainte de les effrayer en sortant ma main de sous les draps, jusqu’au matin ils venaient vers moi et me léchaient le visage, jusqu’au matin ils restaient près de moi immobiles, sans faire de bruit, jusqu’au moment où rouvrant les yeux je voyais qu’ils avaient disparu, qu’il faisait jour dehors, et je pensais qu’ils étaient retournés dans la rue, qu’ils étaient allés se cacher quelque part dans les champs, sûr qu’ils reviendraient la nuit suivante. »

    http://oeuvresouvertes.net/spip.php?article2489

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  • Alain Veinstein : "Kafka m’a rattrapé"

    Après 29 ans à la radio (France Culture), Alain Veinstein raconte comment il a été "remercié".

    "Kafka m’a rattrapé, si vous voulez. Je suis un peu dans la situation de quelqu’un qui ignore la faute qu’il a commise et se trouve pris tout d’un coup dans l’engrenage de la chute.

    « Quand on est invité dans le monde, écrit Kafka, il est clair qu’on franchit tout bonnement le seuil, qu’on monte l’escalier, et presque sans s’en apercevoir tant on est plongé dans ses pensées. C’est seulement ainsi qu’on agit comme il faut à son propre égard et à l’égard du monde. »

    C’est dans son « Journal », à la date du 19 février 1911. Le problème, c’est qu’un jour il faut redescendre, car le « monde », enfin, le monde de la radio, ne fait pas de cadeau. Il crie que l’heure tardive a assez duré, en temps de détresse économique. C’est ce que dit sans le dire le mail de 7h45."

    http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20140902.OBS7923/kafka-m-a-rattrape-alain-veinstein-publie-son-emission-censuree.

    Lire également :

    http://oeuvresouvertes.net/spip.php?article2434

    #AlainVeinstein
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  • Début du récit Le Chenil

    « Je me souviens qu’en arrivant au sommet de la colline une fois sous les arbres on ne voyait pas le chenil, mais que ça sentait, oui, ça sentait l’odeur des clebs à plein nez mêlée à celle des feuillages et de l’herbe de la forêt d’abord, et puis plus loin plus que l’odeur des clebs, des clebs tu disais comme tous ceux qui travaillaient au chenil. Odeur infecte de bêtes enfermées dans des cages à plusieurs dizaines pendant plusieurs jours, odeur infecte qui finissait par imprégner tous les vêtements, au point que la mère se plaignait de ma puanteur quand je rentrais le soir, tu pues m’avait-elle dit dès le premier soir en guise de salut (ce qui avait au moins l’avantage de remplacer les remarques désagréables qu’elle répétait en boucle depuis des années), odeur infecte qui, le premier jour, m’avait donné envie de gerber, et d’ailleurs j’avais gerbé en sortant du chenil le dernier jour de la première semaine, gerbé à cause de l’odeur qui m’était rentrée dans la gorge sans que je m’en rende compte et avait fini par me rendre malade, gerbé parce que, le dernier jour de la première semaine, j’avais découvert la véritable origine de l’odeur que je retrouvais chaque matin en haut de la colline, une fois sous les arbres. »

    http://www.oeuvresouvertes.net/spip.php?article2178

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