• Les aventures de l’enquête militante, Davide Gallo Lassere, Frédéric Monferrand, Rue Descartes 2019/2 (N° 96), pages 93 à 107
    https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2019-2-page-93.htm

    Depuis la crise de 2008, on assiste à un retour en force de la notion de « capitalisme » sur la scène intellectuelle et dans le débat public, ce qui soulève au moins deux questions : que faut-il au juste entendre par « capitalisme » ? Et qu’est-ce qui en justifie la critique ? Dans une perspective marxienne, la réponse à la première question ne paraît guère problématique, même si elle peut faire l’objet de développements divergents. Par « capitalisme », on entend en effet un mode de production fondé sur la généralisation de l’échange marchand, l’exploitation d’une force de travail « libre » et l’accumulation indéfinie de survaleur. La réponse à la seconde question est en revanche moins évidente, ne serait-ce que parce qu’on trouve dans Le Capital différents modèles de critique du capitalisme.

    Dans les deux premières sections de l’ouvrage, Marx explique que l’échange marchand génère des illusions socialement nécessaires qui imposent aux individus des rôles sociaux unilatéraux en les transformant en simples « porteurs » d’un processus de valorisation anonyme. De la lecture des deux cent premières pages du Capital, on retire donc l’impression que le capitalisme doit être critiqué parce qu’il constitue un système opaque animé d’une tendance incontrôlable à élargir la base de sa reproduction.

    Or, une telle critique, menée du point de vue objectif du capital, resterait formelle si elle n’était complétée par une description, menée du point de vue subjectif du travail, des effets concrets de l’accumulation capitaliste sur l’expérience sociale de celles et ceux qui en assurent la continuité. Dès lors qu’on quitte la sphère de la circulation marchande pour descendre dans l’« antre secret de la production , le capital n’apparaît en effet plus comme un « sujet automate, mais comme une forme de #commandement sur le travail qui suscite des conflits portant sur le #temps et sur l’#organisation de l’activité, qui oppose différentes stratégies d’extraction du surtravail et de refus de l’exploitation et qui se traduit par des dégradations physiques et morales dont Marx, à la suite des inspecteurs de fabrique, fournit la patiente description . Dans cette seconde perspective, le #capitalisme ne doit plus être critiqué parce qu’il constitue un système irrationnel et autoalimenté, mais parce qu’il produit des effets négatifs sur la vie physique, psychique et sociale des subjectivités.

    L’objectif de cet article est de développer ce second modèle critique – qu’on peut qualifier de « critique par les effets » – en montrant qu’il a reçu dans la pratique de l’enquête militante un appui théorique et une continuation politique. Partant des élaborations pionnières du jeune Engels, nous soutiendrons la thèse selon laquelle l’enquête militante permet d’articuler la connaissance des rapports sociaux et l’organisation des pratiques visant à en accomplir la transformation. Car, comme nous tenterons de le montrer ensuite en parcourant la séquence menant des élaborations de Socialisme ou Barbarie en France à celles des _Quaderni rossi puis de Classe operaia en Italie, c’est bien la question de l’organisation qui fournit à l’enquête militante sa raison d’être et en détermine les différentes modalités.

    #enquête_ouvrière #enquête_militante #opéraïsme #stratégie #travail #subjectivité #refus #organisation_autonome #autonomie #barbarie

  • Arrachons Tronti des griffes des salons mondains ! Sergio Bologna
    https://www.contretemps.eu/mario-tronti-operaisme-bologna-classe-ouvriere

    (...) l’opéraïsme devrait être pensé à partir des luttes populaires, des conflits sociaux, du désir de liberté, du refus de courber l’échine, aujourd’hui encore plus qu’hier.

    [...]
    Vous pouvez bien sûr faire une bonne thèse de sciences politiques sur Ouvriers et capital, mais après l’avoir lu, vous pouvez aussi vous placer au milieu d’un piquet de grève de chauffeurs routiers et être assigné à résidence pendant six mois ; vous pouvez expliquer à un Pakistanais qui parle à peine l’italien qu’avec la paga globale [salaire global][1], il se fait doublement avoir et vous trouver face à quelqu’un qui vous menace d’un couteau.

    Qui sait si ce disque rayé dont on nous rebat les oreilles depuis un demi-siècle (50 ans !) pourra s’arrêter : « la classe ouvrière n’existe plus » ; « maintenant il n’y a plus d’ouvriers » ; « autrefois, il y a eu une classe ouvrière, mais elle n’existe plus ». Je me demande si quelqu’un y réfléchira à deux fois avant de le remettre sur la platine.

    On l’appelle déjà « l’été chaud », il se déroule sous nos yeux aux Etats-Unis. Il s’agit des #grèves des scénaristes d’Hollywood, des chauffeurs d’UPS, des 11 000 employés municipaux de Los Angeles, des infirmières de certains hôpitaux de New York et du New Jersey, des employés d’hôtels du sud de la Californie, des 4 500 employés municipaux de San José, des 1400 techniciens qui construisent des locomotives électriques à Eire, en Pennsylvanie, et ainsi de suite.

    #luttes #opéraïsme #Mario_Tronti #ouvriers #classe_ouvrière #Etats-Unis

  • Mario Tronti : I am defeated | communists in situ
    https://cominsitu.wordpress.com/2015/03/08/mario-tronti-i-am-defeated

    Nostalgia for revolutions?
    No, if anything the twentieth century was the century of revolutions. But not only that. Where are the grand ideas, the great literature, the grand politics or the great art? I don’t seen anything like what the first half of the twentieth century produced.

    When did the explosion of creativity end ?
    In the 60s.

    Your golden years ?
    That’s the irony of history. There was a great twentieth century, and a small twentieth century built out of an awareness that it is no longer able to reflect on itself.

    Is this a farewell to the idea of progress ?
    These days Progressivism is the thing furthest from myself. I reject the idea that whatever is new is always better and more advanced than what was there before.

    It was one of the inviolable creeds of Marxism .
    It was the false security of thinking that the defeat was only an episode. Because meanwhile, we thought, history was on our side.

    And now ?
    We saw how it went, didn’t we ?

    Do you feel like you’ve been defeated, or you’ve failed ?
    I am defeated, not a victor. The victories are never final. But we have lost – not a battle – but the war of the twentieth century.

    And who has triumphed ?
    Capitalism. But without class struggle, without an adversary, it has lost its vitality. It has become something of a monstrosity.

    Do you recognise in yourself a certain amount of intellectual pride ?
    I recognise it, but it’s not such a bad thing. Pride offers clarity, distance, it gives you the force to intervene in things. Better anyway than the renunciation of thought. In all this chaos I would like to protect the ‘point of view’.

    The ‘point of view’ ?
    Yes, I cannot position myself on the level of general interest. I was and remain a partisan thinker.

    When did you discover your party ?
    I was very young. Some people attribute to my Operaismo in the 60s. I think it was during my time as a student that my path was fixed.

    In a book about you by Franco Milanesi – unsurprisingly titled In the Twentieth Century – he describes your thought. When was it born ?
    Even before Operaismo I was a communist. A Stalinist father, a large family, the wealthier suburbs of the city. These are my roots.

    In what area of Rome were you born ?
    Ostiense, which was a bit of Testaccio. I remember the market. The cassisti who worked there. They weren’t working class, but common [popolo]. I was part of that story. Then came intellectual reflection.

    What were the points of references? What opened your eyes ?
    I say it often: we are a generation without masters [maestri].

    #Mario_Tronti #marxisme #opéraïsme

    • You’re alluding to the 70s?

      They started the small twentieth century. This is where the drift started.

      It was a great misinterpretation?

      Let’s face it: it was a generational thing, anti-patriarchal and libertarian. I’ve never been a libertarian.

      Ça fait partie des grands malentendus. Un peu comme Lou Reed qui conchie les punks anglais.

    • je savais pas pour Lou Reed (que j’aime beaucoup, dont j’ignorais qu’il avait cette position et dont je ne sais rien des arguments)

      pour Tronti, c’est là because il est mort
      https://seenthis.net/messages/1012583

      Et lui, c’est tout autre chose !
      Tronti a longtemps exalté une figure ouvrière distincte du prolétariat et de ses révoltes, une figure productive centrale qui depuis ce rôle productif était mise en avant comme plus apte à en finir avec la production et non plus à se la réapproprier (≠ socialisme). Comme chez SouB, la critique du socialisme réel est passée par l’opéraïsme.
      C’était avant de devenir le « révolutionnaire conservateur », mémoriel, ce mélancolique du « grand siècle » (≠Hosbawm, non pas depuis sa durée sur laquelle il aurait pu être d’accord mais sur sa radicalité quant aux enjeux communistes), de la « grande politique ». Lui philosophait à coup de marteau, loin de la mélasse des nietzschéens actuels.

      c’était vrai là, et diablement puissant ( c’est un pdf, zapper la préface des 2 marxologues, et lâcher les a priori sur le Moulier d’hier, ou pire, d’aujourd’hui), dans Ouvriers et capital
      https://entremonde.net/IMG/pdf/entremonde-ouvriers_et_capital-tronti-livre-2-2.pdf

      ce livre, dont La ligne de conduite et L’usine et la société [ou Lutte contre le travail https://www.cip-idf.org/spip.php?article8094 ], pour ma part, oui, ça a été décisif, sans que la suite y soit subordonnée, du moins en fut-elle informée.

      et, bien plus tard, là
      http://www.lyber-eclat.net/auteurs/mario-tronti

      florilège de citations au hasard du net
      https://www.babelio.com/auteur/Mario-Tronti/442068/citations

      il est par ailleurs revenu régulièrement sur sa manière de parler (mal) de l’après cadlo autunno, en particulier à propos du mouvement des femmes. pas de l’autonomie ou des autonomes en revanche, ne rechignant pourtant pas ces dernières années à intervenir devant ce qui aujourd’hui en tient lieu à France ( fortement teinté d’appellisme).

      bref, à propos de Tronti, la question, malgré le « retour » au PCI de la fin des 60’s, elle est pas vite répondue.

    • Marx avait prévu une prolétarisation croissante. Nous avons connu une bourgeoisification croissante. Ce ne fut pas une erreur scientifique, ce fut une erreur politique. Marx cherchait une force, non pas pour contester le capitalisme, encore moins pour l’améliorer, mais pour l’abattre. Il la voyait dans la multitude prolétaire, dont l’industrialisation aurait fait grossir les rangs, la transformant, après avoir neutralisé l’armée de réserve, en une classe organisée, hégémonique/dominante. La Révolution industrielle – l’industrialisation accélérée – crée l’illusion d’optique de conditions toujours plus proches de la révolution politique. Dans les années soixante du vingtième siècle, notre opéraïsme a commis la même erreur politique. Mais ce sont des erreurs bénéfiques, parce qu’elles mobilisent l’intelligence des événements pour comprendre politiquement les processus structurels. Ensuite, l’analyse scientifique peut repartir, non pas comme froide analyse de cas, mais comme découverte des nouvelles conditions du conflit.

      Il nous a été donné de vivre le passage de l’ouvrier-masse au bourgeois-masse. J’insiste sur ce point, au risque de répéter ce que j’ai déjà dit. Nous sommes face à une composition sociale formée de petits, moyens et grands bourgeois, avec une tendance, venant du haut et du bas, vers le milieu, avec des zones de marginalisation et d’exclusion, minoritaires en Occident, majoritaires dans le reste du monde. Mais avec une forte propension, de masse, à s’inclure plutôt qu’à se disloquer contre le dehors. Voilà ce que nous dit l’approche réaliste, non idéologique. Le processus trouve encore ici devant lui le chemin tout tracé de l’absence d’opposition politique, qui dénonce l’état de choses, décrit la situation réelle, identifie l’ennemi à combattre et élabore les moyens, les formes pour le vaincre. Exactement ce que faisait Marx. En l’absence de cela, la condition domine la personne.

      Voyons alors ce qui s’est passé. Ce qui s’est passé, c’est que le bourgeois a dévoré le citoyen, le privé a dévoré le public, l’économie a dévoré la politique, la finance a dévoré l’économie, et donc l’argent a dévoré l’État, la monnaie a dévoré l’Europe, la mondialisation dévore le monde. Je propose la formule suivante, et j’invite quiconque à la démentir : les démocraties occidentales sont aujourd’hui les plus parfaites dictatures de l’argent. Tel est le point, délicat et stratégique, où la bataille des idées devient – peut devenir – une lutte politique.
      L’esprit libre, Mario Tronti

      [aux couleurs d’une imaginaire gauche du parti démocrate, ex PCI]

      edit

      Le tout dernier Tronti n’a pas toujours échappé au risque de ces conjurations consolatrices, notamment dans un ouvrage comme De l’esprit libre[3], où le recours à des figures mythologiques et à des expressions chiffrées devient parfois vertigineux. Mais il a su éviter de réduire son discours au pur ésotérisme grâce à son sens aigu des réalités politiques et sociales, qui a chez lui des racines à la fois marxistes et chrétiennes. L’esprit libre trontien ne saurait faire l’économie de toute incarnation.
      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-operaisme-italie-marxisme-trajectoire-politique

    • La politique au crépuscule, Mario Tronti (pdf en ligne)
      http://www.lyber-eclat.net/lyber/tronti/politique_au_crepuscule.html

      On ne veut pas clarifier, « illuminer », on veut comprendre, « saisir ». Ce temps est un temps politique sans connaissance de soi : une stèle posée sur la tombe du passé, et comme futur, celui, seulement, que le présent t’accorde. Impossible pour nous.

      Si, depuis la fin du vingtième siècle, tu regardes le temps de la politique que tu as traversé, il t’apparaît comme une faillite historique. Les prétentions n’étaient pas trop élevées, mais c’étaient les instruments qui étaient inadéquats, comme étaient pauvres les idées, les sujets faibles, médiocres les protagonistes. Et à un certain moment l’histoire n’était plus là : ne restait plus qu’une chronique. Pas d’époque : des jours, et puis encore des jours. Le misérabilisme de l’adversaire a refermé le cercle. Il n’y a pas de grande politique sans grandeur de ton adversaire.

      Aujourd’hui le critère du politique fait peur. Mais l’ami/ennemi ne doit pas être supprimé, il doit être civilisé. Civilisation/culture dans le conflit. Lutte politique sans la guerre : noblesse de l’esprit humain. Il y a donc un message. Dans la bouteille de cette allusive symphonie de psaumes.

      7 octobre 1998.

    • La politique et le destin
      https://legrandcontinent.eu/fr/2022/04/11/la-politique-et-le-destin
      #politique

      Nous publions les bonnes feuilles de l’essai séminal de Mario Tronti « Politique et destin » traduit en français dans l’ouvrage consacré à ce fondateur de l’opéraïsme aux éditions Amsterdam : Le démon de la politique.

      Politique et destin deviennent ici la même chose que liberté et destin. D’où une déclinaison de la politique comme liberté à l’égard de l’histoire, politique qui est certes conditionnée, déterminée, soumise à la nécessité par l’histoire, mais qui ne se remet pas, ne se rend pas, ni à cette déterminité4 ni à ces conditionnements. La politique ne reflète rien, mais produit, elle ne décrit rien, mais crée, et elle produit et crée depuis la cage d’acier de l’histoire, de ce qui est et de ce qui a été. C’est cela, la grandeur, dirais-je, la beauté de la politique, quand elle s’élève, quand elle est contrainte de s’élever, jusqu’à la grande histoire.

      edit

      il faudra arracher Tronti non seulement à la frivolité des salons mondains et des colloques universitaires, mais aussi à la fausse profondeur des chapelles gnostiques cultivant en serre les mythes de la révolte ou de la contemplation, de l’« autonomie » ou de la « destitution », en évitant ainsi le supplément d’âme « radical » que peut toujours fournir le recours à des symboles évocateurs et à des terminologies allusives. [...]

      Un bon exemple de cet usage du dernier Tronti est l’article de Gerardo Muñoz « Un aventurier révolutionnaire dans l’interrègne. Mario Tronti (1931-2023) » de paru sur le site Le Grand Continent le 8 août 2023, qui mobilise presque toutes les catégories de la #droite « gnostique » : l’élite, la communauté, l’aventurier, le salut intérieur par le retrait contemplatif. Ce vocabulaire allusif, qui rappelle le kitsch ineffable dont Ernst Jünger est le maître absolu, a circulé en Italie dans les années 1980, lorsque des anciens proches de Tronti, tels que Massimo Cacciari, ont entrepris une légitimation de la « haute » culture de droite afin de l’incorporer à l’aggiornamento de la vision du monde du PCI.
      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-operaisme-italie-marxisme-trajectoire-politique

    • introduction

      la ligne de conduite

      Prévenons le lecteur : avec ce livre nous n’en sommes qu’à un « prologue dans les nuages ». Il ne s’agit pas de présenter une recherche achevée. Laissons les systèmes aux grands improvisateurs et les analyses fignolées et aveugles aux pédants.
      Ne nous intéresse nous que ce qui possède en soi la force de grandir et de se développer, et par conséquent d’affirmer qu’aujourd’hui cette force est presque exclusivement l’apanage de la pensée ouvrière. Presque exclusivement, car la décadence actuelle du point de vue des capitalistes sur leur propre société ne signifie pas encore la mort de la pensée bourgeoise. Des lueurs de sagesse pratique nous arrivent, nous arriveront encore de ce long coucher de soleil auquel est condamnée la science des patrons. Plus le point de vue ouvrier progressera, et pour son propre compte, plus cette condamnation historique sera rapidement réalisée. L’une de nos tâches politiques aujourd’hui c’est donc de partir des traces ouvertes par les expériences et les découvertes de la recherche pour frayer une nouvelle direction et une nouvelle forme de chemin. Et de donner à ce chemin l’allure d’un processus. Ce n’est pas le concept de science, mais celui du développement de la science que l’adversaire capitaliste doit bientôt ne plus être capable de maîtriser. Du seul fait qu’elle déclenche son propre mécanisme de croissance, la pensée de l’un des partenaires, c’est-à-dire d’une seule classe, ne laisse plus de place au développement d’un autre point de vue scientifique, quel qu’il soit ; elle le condamne à se répéter lui-même et ne lui laisse pour seule perspective que de contempler les dogmes de sa propre tradition.

      C’est ce qui s’est produit historiquement quand, après Marx, les théories du capital ont repris le dessus : les marges offertes au développement de la pensée ouvrière se sont réduites au minimum et ont presque disparu. Il a fallu l’initiative léniniste de rupture pratique en un point, pour remettre aux mains des révolutionnaires la maîtrise théorique du monde contemporain. Cela n’a duré qu’un moment. Tout le monde sait que, par la suite, seul le capital a été à même de recueillir la portée scientifique de la révolution d’Octobre. D’où la longue léthargie dans laquelle est tombée notre pensée. Le rapport entre les deux classes est tel que le vainqueur est celui qui a l’initiative. Sur le terrain de la science comme sur celui de la pratique, la force des deux parties est inversement proportionnelle : si l’une croît et se développe, l’autre stagne et donc recule. La renaissance théorique du point de vue ouvrier, ce sont les nécessités mêmes de la lutte qui l’imposent aujourd’hui. Recommencer à marcher, cela veut dire immobiliser l’adversaire pour mieux le frapper. Désormais la classe ouvrière est arrivée à un tel degré de maturité que, sur le terrain de l’affrontement matériel, elle n’accepte pas l’aventure politique ; cela par principe et dans les faits. En revanche sur le terrain de la lutte théorique, toutes les conditions semblent opportunément réunies pour lui insuffler un esprit nouveau, aventureux et avide de décou- vertes. Face à la vieillesse de la pensée bourgeoise émoussée, le point de vue ouvrier peut, sans doute, vivre maintenant l’époque féconde de sa robuste jeunesse. Pour cela, il lui faut rompre violemment avec son propre passé immédiat, refuser le rôle traditionnel qui lui est attribué officiellement, surprendre l’ennemi de classe par l’initiative d’un développement théorique improvisé, imprévu et non contrôlé. Cela vaut la peine de contribuer personnellement à ce nouveau genre et à cette forme moderne de travail politique.

      Si l’on nous demande à juste titre : par quel biais ? avec quels moyens ? nous refuserons cependant un discours méthodologique. Essayons de ne donner à personne l’occasion d’éviter les durs contenus pratiques de la recherche ouvrière, pour se tourner vers les belles formes de la méthodologie des sciences sociales. Le rapport à établir avec ces dernières n’est pas différent de celui qu’on peut entretenir avec le monde unitaire du savoir humain accumulé jusqu’ici, et qui se résume pour nous à la somme des connaissances techniquement nécessaires pour posséder le fonctionnement objectif de la société actuelle. Nous le faisons déjà, chacun pour notre compte ; mais c’est tous ensemble que nous devons parvenir à utiliser ce qu’on appelle la culture, comme on se sert d’un clou et d’un marteau pour fixer un tableau au mur. Certes les grandes choses se font par sauts brusques. Et les découvertes qui comptent coupent toujours le fil de la continuité. Et on les reconnaît à ce trait : idées d’hommes simples, elles semblent folies pour les savants. En ce sens, la place de Marx n’a pas été pleinement évaluée, même dans le domaine où cela était le plus facile, c’est-à-dire sur le simple terrain de la pensée théorique. Aujourd’hui, on entend parler de révolution copernicienne à propos de gens qui se sont contentés de déplacer leur table de travail d’un angle à l’autre d’une même pièce. Mais de Marx, qui a bouleversé un savoir social qui durait depuis des millénaires, on s’est borné à dire : il a renversé la dialectique hégélienne. Pourtant, à son époque, ce ne sont pas les exemples qui manquaient d’un retournement analogue, purement critique, du point de vue d’une science millénaire. Est-il possible que tout doive se réduire à l’addition banale du niveau d’un cours élémentaire, entre le matérialisme de Feuerbach et l’histoire de Hegel ? Et la découverte de la géométrie non euclidienne, par Gauss, Lobatchevsky, Bolyai et Riemann, qui fait de l’unicité de l’axiome rien moins qu’une pluralité d’hypothèses ? Et celle du concept de champ dans l’électromagnétique, qui, à partir de Faraday, Maxwell et Hertz, envoie promener toute la physique mécaniste ? Tout cela ne semble-t-il pas plus proche du sens, de l’esprit et de la portée de la découverte de Marx ? Le nouveau cadre de l’espace et du temps introduit par la relativité ne naît-il pas de cette théorie révolutionnaire, de la même façon que l’Octobre léniniste fraye sa route à partir des pages du Capital ? D’ailleurs vous le savez bien. Tout intellectuel qui a lu plus d’une dizaine de livres, outre ceux qu’on lui a fait acheter à l’école, est prêt à considérer Lénine comme un chien crevé dans le domaine de la science. Pourtant quiconque veut prêter attention à la société et comprendre ses lois ne peut pas plus le faire sans Lénine, que qui- conque veut étudier la nature et comprendre ses processus, ne peut le faire sans Einstein. En cela, il n’y a rien d’étonnant. Il ne s’agit pas de l’unicité de l’esprit humain qui progresserait de la même façon dans tous les domaines, mais d’une affaire plus sérieuse. Il s’agit du pouvoir unifiant qui donne aux structures du capital la maîtrise du monde entier, et qui peut être, à son tour, maîtrisé par le seul travail ouvrier. Marx attribuait à Benjamin Franklin, cet homme du nouveau monde, la première analyse consciente de la valeur d’échange comme temps de travail, et donc la première réduction délibérée de la valeur au travail. Et c’est ce même homme qui avait conçu les phénomènes électriques comme provoqués par une seule substance très subtile qui animerait l’univers entier. Avant que son camp ne se soit transformé en classe sous la pression ouvrière, le cerveau bourgeois a plus d’une fois trouvé en lui-même la force d’unifier sous un seul concept la multiplicité des données de l’expérience. Ensuite, les besoins immédiats de la lutte se sont mis précisément à commander la production même des idées. L’époque de l’analyse, l’âge de la division sociale du travail intellectuel avaient commencé. Et personne ne sait plus rien sur la totalité. Demandons-nous si une nouvelle synthèse est possible, et si elle est nécessaire.
      La science bourgeoise porte en son sein l’idéologie, comme le rapport de production capitaliste porte en lui la lutte de classe. Du point de vue de l’intérêt du capital c’est l’idéologie qui a fondé la science : c’est pour cette raison qu’il l’a fondée comme science sociale générale. Ce qui n’était d’abord que discours sur l’homme, sur le monde humain, c’est-à-dire sur la société et l’État, avec la croissance des niveaux de lutte, est devenu de plus en plus mécanisme de fonctionnement objectif de la machine économique. La science sociale d’aujourd’hui est semblable à l’appareil productif de la société moderne : tous y sont impliqués et en font usage, mais seuls les patrons en tirent profit.

      Ouvriers et capital, recueil de textes paru en 1966.

      Reppublica, RIP, etc
      https://seenthis.net/messages/1012583

    • Superbe compilation !

      L‘association entre Lou Reed et Tronti s’est imposée à moi quand j’ai lu son commentaire désabusé sur le mouvement autonome des années 70 (dont j’ai été contemporain).

      Dans les deux cas, on affaire à de fortes personnalités qui ont chacune inspiré une forme de continuité ou de filiation dans lesquelles elles ne se reconnaissaient pas en totalité, voir pas du tout, pour des raisons différentes, bien entendu.

      Là s’arrête la comparaison, totalement anecdotique.

    • La trajectoire théorique et politique de Mario Tronti, Davide Gallo Lassere (2018)
      http://revueperiode.net/la-trajectoire-theorique-et-politique-de-mario-tronti

      Pour Mario Tronti en guerre avec le monde, Gigi Roggero (2023)
      https://tousdehors.net/Pour-Mario-Tronti-en-guerre-avec-le-monde

      Et, quelqu’un disait, les chemins politiques ne se déroulent jamais dans la régularité de la perspective Nevski. Il y a des courbes mystérieuses et des lignes droites à suivre. Nous le savons. Nous pouvons discuter de ses virages et différents cheminements, notamment dans certains passages tragiques et cruciaux. Dans une certaine mesure, nous devons en discuter, bien sûr. Ajoutons que ce n’est pas que cela n’ait pas été fait. Ce qui, pour nous, ne peut être discuté, c’est la fermeté de son point de vue, de sa volonté de marcher sur cette foutue ligne droite. Ceux qui regardent de l’extérieur, c’est-à-dire du tribunal de l’idéologie (qui est toujours un tribunal bourgeois), verront beaucoup de contradictions, des contradictions retentissantes, cinglantes. Ceux qui replacent ces contradictions dans son histoire seront en mesure de les comprendre non pas pour justifier, mais aussi pour évaluer les égarements politiques. Là-dessus, Mario ne s’est jamais caché ni dérobé. Il a revendiqué chaque pas et chaque erreur, il ne s’est repenti de rien.

      Mario Tronti, itinéraire d’un intellectuel organique, Julien Allavena (2023)
      https://laviedesidees.fr/Mario-Tronti-itineraire-d-un-intellectuel-organique

      Au début des années 1970, cette réflexion, enrichie par un travail plus classique sur l’histoire de la philosophie, aboutit à un nouveau paradigme qui ne cesse de modeler les propositions trontiennes futures : celui de l’« autonomie du politique ». Au fond, comme le relève Jamila Mascat, ce paradigme constitue une forme de retour aux sources, à ceci près que Tronti se place cette fois du côté opposé à celui qu’il occupait quand il formulait pour la première fois le principe fondateur de l’opéraïsme : le parti est assurément autonome vis-à-vis de la classe, mais cela équivaut à une chance quand la classe n’est pas parvenue à prendre le pouvoir – car peut-être alors le parti le peut-il encore.

      Ce qui a tout d’un pacte faustien dans le domaine de la théorie va de pair avec une incarnation pratique. En parallèle de ces développements théoriques, le communiste en exil a en effet été admis à retourner en sa terre natale : Tronti peut reprendre la carte du PCI en 1972. Il y évolue dès lors entre l’aile gauche historique de Pietro Ingrao et la majorité menée par Berlinguer, pouvant accéder au comité central du parti à partir de 1983 et au secrétariat de la fédération romaine en 1985. Autrement dit, trente ans après ses débuts en politique, Tronti est enfin devenu ce qu’il était (...).

      Après la chute des formations épigones du #PCI, contraintes (Tronti avec) de s’associer au centre pour gouverner (et à terme de voter le « Jobs Act » de Matteo Renzi), c’est cette « ligne de conduite » quelque peu brisée qui pousse enfin le Tronti le plus tardif dans les bras des horizons théologico-politiques, de saint Paul à Ratzinger en passant par les Pères du désert, à la recherche de derniers éclairages sur ce qu’il analysait alors comme sa propre défaite autant que celle de tout un camp, voire de la politique même.

      #autonomie_du_politique

    • Mario Tronti, un intellectuel et sa conjoncture, Andrea Cavazzini
      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-operaisme-italie-marxisme-trajectoire-politique

      La trajectoire de Mario Tronti, que la mort vient arrêter au terme d’une longue vie le 7 juillet dernier, n’est pas facile à interpréter de manière univoque. Le goût douteux de l’époque pour les appréciations émotionnelles et hâtives rend d’autant plus nécessaire de dresser un bilan d’une œuvre et d’une activité qui ont rencontré certains des moments politiques les plus incandescents de la deuxième moitié du 20e siècle. Non pas pour noyer les prises de position dans l’océan de la « complexité ». Mais, bien au contraire, parce que, comme Mario Tronti l’aurait rappelé, la prise de position, la « décision », pour parler comme Carl Schmitt, ou la confrontation au « cas décisif » (Ernstfall, qui veut dire littéralement « le cas sérieux »), pour parler comme le théologien catholique Hans Urs von Balthasar, sont des gestes difficiles, qui demandent une rigueur et une discipline rares, refusant toute complaisance à l’égard des approximations vagues et des jugements précipités.

      De ce bilan, nous ne pourrons pas nous acquitter ici ; il s’agira uniquement de rappeler certains jalons d’un trajet singulier qui pourraient marquer autant de points critiques, sur lesquels donc des questionnements devraient être ouverts ou réouverts. Dans une intervention qui a suivi la mort de Tronti, Sergio Bologna, un autre vétéran de l’opéraïsme, dont le parcours a été assez éloigné de celui de l’auteur d’Ouvriers et capital, a rappelé que le risque principal pour un mort aujourd’hui est de recevoir des applaudissements lors de son enterrement, comme un chanteur pop ou une vedette de la télévision[1], et que Tronti a eu le chance d’être salué dans le silence.

      [...]

      il convient d’accueillir l’invitation de Sergio Bologna https://centroriformastato.it/strappiamo-tronti-dalle-grinfie-dei-salotti-buoni à ne pas oublier la « scène originaire » de l’activité de Tronti, celle des #luttes_ouvrières du début des années 1960, dans le « triangle industriel » de l’Italie du Nord, à Milan, à Turin, à Gênes. Tronti ne devient pas Tronti en étudiant les classiques de la pensée politique, ni en auscultant les signes des temps ou les Nouvelles Révélations de l’Être et ce, bien qu’il ait pu céder lui-même à la tentation d’effacer sa propre généalogie, en rattachant fréquemment l’essor et le développement de sa réflexion à la seule irruption tellurique de l’insubordination ouvrière.

      edit

      Le différend ne porte pas uniquement sur les « outils » au sens organisationnel du terme, Panzieri et son groupe refusant de définir une seule forme idéale d’expression politique des luttes et donc une seule ligne à adopter vis-à-vis des organisations politiques et syndicales historiques ; l’enjeu de la rupture touche aussi à la vision des luttes ouvrières et de la classe. Pour Panzieri, en effet, la radicalisation de la conflictualité ouvrière à Fiat « n’autorise guère à croire que la lutte de classe telle qu’elle se développe chez Fiat est généralisable de manière immédiate »[13]. Comme les rapports aux organisations ne peuvent être unifiés immédiatement par un modèle dominant, les expériences de la lutte ouvrière restent plurielles et à apprécier chacune dans son contexte, ses limites et ses possibilités concrètes de généralisation. En revanche, malgré le primat affiché de l’expérience des luttes, la démarche de classe operaia et notamment de Tronti procède de manière axiomatique, en faisant de la description d’une dynamique locale la garantie immédiate d’une nécessité théorique :

      Cette classe ouvrière est déjà un fait social, une masse sociale ; lorsque nous parlons de son caractère politique, nous visons d’emblée cette socialisation, ce fait global au niveau social de la classe, de cette absence totale de divisions au sein de la classe, par laquelle les ouvriers naissent tous avec les mêmes intérêts[14].

      Panzieri et son groupe semblent plus sensibles aux surdéterminations et aux sous-déterminations tant des formes d’organisation que de la composition sociologique et politique des ouvriers. Ils sont conscients du fait que les processus politiquement féconds, ainsi que les synthèses théoriques, ne surgissent pas comme des fulgurations événementielles, mais présupposent un travail long et patient de construction, déconstruction et reconstruction, dans lequel il s’agit de recommencer à chaque fois le travail de dépassement de la passivité ouvrière, de blocage de la reproduction de l’idéologie, de mise à l’épreuve des mots d’ordre et des analyses toujours situés et partiels, de tissage de liens et de contacts entre expériences, langages et histoires profondément hétérogènes… C’est le travail de l’intervention comme analyse interminable, plutôt que comme irruption et comme rupture immédiatement décisives.

      #Raniero_Panzieri (mort en 1964)

      edit
      « L’histoire, c’est eux. Nous, c’est la politique ». Entretien avec Mario Tronti
      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-marxisme-operaisme

      Mario Tronti, Michel Valensi
      https://www.cairn.info/revue-lignes-2013-2-page-143.htm

      L’AUTONOMIE DU POLITIQUE CHEZ TRONTI, Toni Negri
      http://www.euronomade.info/?p=11938

      addendum le texte de Sergio Bologna dont l’url est cité plus haut par Cavazzini a été traduit en français

      Arrachons Tronti des griffes des salons mondains !
      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-operaisme-bologna-classe-ouvriere

      ... quand on parle d’opéraïsme, donc forcément de lui, ce ne sont pas les chaires universitaires, les séminaires, les colloques, les tables rondes, les auditeurs sagement assis ou les revues qui viennent à l’esprit, mais les assemblées ouvrières, les piquets de grève, les bousculades même entre camarades, les chants de joie, les inculpations, les emprisonnements, les veillées nocturnes devant des feux improvisés, les discussions passionnées, la production d’idées. Il me vient à l’esprit que quelqu’un veut toujours nous mettre à genoux pour qu’on fasse et qu’on vive comme qu’il le dit. On pense au désir de liberté, au refus de baisser la tête.

    • MARIO TRONTI, IN MEMORIAM
      La politique au crépuscule
      https://lundi.am/Mario-Tronti-In-Memoriam

      Le 7 août dernier disparaissait Mario Tronti (Rome, 1931), dont il a quelquefois été question dans ces pages et qui fut, avec quelques autres, l’inventeur de l’opéraïsme italien, tout en restant toutefois et malgré tout pour la gauche italienne une ‘énigme’ (Negri) qu’il faudra encore bien des années pour la pouvoir résoudre. N’est-ce pas lui qui, en 2017, prononça au Sénat italien (dont il était membre) un discours sur la révolution d’octobre, qui commençait en évoquant un mot de Chou En Lai à qui l’on demandait ce qu’il pensait de la révolution française de 1789 et qui répondit : « il est encore trop tôt pour se prononcer ».

      Espérons toutefois que le temps viendra plus vite où l’on pourra se prononcer sur les apports théoriques de Tronti dans leur globalité et complexité, depuis Ouvriers et capital (1966) jusqu’à la Sagesse de la lutte (2021), que nous avions fait paraître en français l’année dernière « dans le silence le plus tendu ». Nous avons appris la mort de Tronti, alors que nous devions envoyer à l’imprimeur la réédition dans L’éclat/poche de La politique au crépuscule, paru une première fois dans la collection « Premier secours », en septembre 2000. La traduction était de Michel Valensi. Tronti avait été ravi de cette réédition « vingt ans après » et l’attendait d’autant que l’édition italienne chez Einaudi était épuisée et que l’éditeur n’avait pas l’intention de la republier. Elle paraîtra augmentée d’une Note de l’éditeur, que nous avions envoyée à Tronti et sur laquelle il n’a pas pu nous répondre, mais des amis communs nous ont confirmé son nihil obstat. Lundimatin a bien voulu la publier ici en "bonnes feuilles" d’un livre à paraître à la toute fin du mois de septembre. La couverture fleurie de Patricia Farazzi s’était imposée aussi pour donner à ce titre tous ses sens possibles.

      à mario tronti, in memoriam

      Dans un récent entretien accordé à un magazine italien, Mario Tronti (1931-2023) évoque « une extraordinaire page de Lukács dans la préface de 1962 à sa Théorie du roman, écrite en 1914-1915 : La voici : “Dans la mesure où, à cette époque, je tentais de porter à un plus haut niveau de conscience mes prises de position émotionnelles, j’en étais arrivé à la conclusion suivante : les empires du centre l’emporteront probablement sur la Russie, ce qui devrait conduire à l’écroulement du tsarisme et cela me convient parfaitement. Reste aussi la possibilité que l’Occident l’emporte sur l’Allemagne, ce qui entraînera la chute des Hohenzollern et des Habsbourg, et cela me convient tout aussi parfaitement. Mais, parvenu à ce point, demeure la question : Qui nous sauvera de la civilisation occidentale ?” ».

      Et Tronti poursuit : « À y repenser, je ne peux ajouter à cela que cette seule observation : cette question impertinente que l’on pouvait encore poser librement aux débuts de l’obscur vingtième siècle, peut-on encore la poser tout aussi librement aux débuts de ce brillant vingt et unième siècle sans se faire crucifier ? »

      edit Mario Tronti et l’opéraïsme politique des années soixante, Michele Filippini
      https://journals.openedition.org/grm/227

      .... noyau dur dans la pensée comme dans l’action du groupe né dans les Quaderni Rossi et passé ensuite dans classe operaia (...) la tentative de concevoir un radicalisme qui serait à l’opposé de tout velléitarisme...

    • La sagesse de la lutte suivi de «Peuple», Mario Tronti
      http://www.lyber-eclat.net/livres/la-sagesse-de-la-lutte

      À l’occasion de son quatre-vingt-dixième anniversaire, Mario Tronti livre ici, avec son style “scandé, ciselé, combatif, constant, agressif et lucide”, un profil auto­biographique, dans lequel il reparcourt les étapes les plus importantes de sa formation politique et théorique. À travers l’évocation de tant de camarades qui ont partagé avec lui ces années de combat, Tronti donne sa propre interprétation du vingtième siècle et des conditions de la politique et de l’histoire qui l’ont traversé. En s’appuyant sur les auteurs qui ont été ses maîtres de vie et de pensée, Tronti s’interroge sur cette sagesse de la lutte, les aventures de son surgissement, les formes de son déclin, la possibilité de sa résurgence.

      Le texte est suivi d’un essai sur la notion de ‘peuple’ et sur le populisme actuel qui hante la politique européenne, depuis — c’est son analyse — “qu’il n’y a plus de peuple”.

      #politique #théorie #lutte #populisme #peuple #livre

  • RIP Mario Tronti
    https://www.repubblica.it/politica/2023/08/07/news/mario_tronti_morto_politico_92_anni-410335343

    È morto a 92 anni Mario Tronti, politico e filosofo, una vita a sinistra. Già militante del Partito comunista italiano, Tronti è stato anche parlamentare. Eletto la prima volta al Senato nel 1992 con il Pds e, successivamente, nel 2013 con il Partito democratico. È scomparso questa mattina intorno alle 10 e 30 a Ferentillo, in provincia di Terni, conferma il dem umbro Pierluigi Spinelli.

    Si definiva un “rivoluzionario conservatore”, ma da alcuni anni si era allontanato dai riflettori della politica: «Sono in ritiro spirituale, nel monastero di Poppi, nel Casentino, retto dalle monache camaldolesi. Mercoledì compio 90 anni e questo passaggio bisogna farlo bene, sentirlo interiormente», disse a Repubblica in occasione del suo novantesimo compleanno. “La morte? L’attendo con serenità”, aggiunse. “Ho vissuto abbastanza. Spero tuttavia che sia un passaggio facile. Per dirla con Montaigne confido che la fine mi colga mentre sto coltivando le mie rape nell’orto".

    • Connaît vraiment celui qui hait vraiment. L’usine et la société, Mario Tronti, 1962.

      Mario Tronti, Michel Valensi
      https://www.cairn.info/revue-lignes-2013-2-page-143.htm

      La question du « populisme » hante la politique italienne (et européenne) depuis – et c’est l’analyse de Mario Tronti – « qu’il n’y a plus de peuple ». À quel moment ce concept-réalité s’est-il désagrégé et se peut-il qu’il se réagrège dans une société où la classe est devenue une catégorie sociologique ? « Je n’ai jamais plus oublié la leçon de vie apprise aux grilles des usines, quand nous débarquions avec nos tracts prétentieux qui invitaient à la lutte générale anticapitaliste, et la réponse, toujours la même, des mains de ceux qui prenaient ces bouts de papier et disaient en riant : “c’est quoi ? c’est du pognon ?” Telle était la “rude race païenne” », écrit Mario Tronti dans Nous opéraïstes. Le “roman de formation” des années soixante en Italie, Paris, Éditions de l’éclat, 2013, p. 24. « Peuple », parce qu’il y eut un « peuple communiste », dont l’Italie a témoigné, peut-être plus durablement qu’ailleurs en Europe, et dont la voix de Mario Tronti témoigne à son tour. Issu des milieux populaires romains, il sera l’une des figures les plus importantes de l’opéraïsme italien, au sein duquel s’est forgé ce style « scandé, ciselé, combatif, constant, agressif et lucide » (ibid., p. 19) dont il est l’héritier et qui donne à ses écrits une dimension quasi unique dans la prose politique du xx-xxi e siècle. Ce texte est une contribution à une discussion sur la question du « populisme » organisée par le Centro per la Riforma dello Stato. L’original italien a été publié dans la revue Democrazia e diritto, n° 3-4/2010.

      #Mario_Tronti #operaïsme

    • L’AUTONOMIE DU POLITIQUE CHEZ TRONTI, Toni Negri
      http://www.euronomade.info/?p=11938

      C’est à cette figure-là de l’histoire moderne, bien différente de la sienne, que j’étais, moi, profondément lié ; et je l’avais précisément appris d’Ouvriers et capital : il fallait suivre « l’histoire interne de la classe ouvrière », c’est-à-dire l’histoire de sa subjectivation progressive. Ce que je tentais de mettre en pratique, c’était le développement de l’intuition trontienne qui insistait sur la nécessité d’évaluer le degré de maturité auquel était arrivée la subjectivation de la force de travail, au point de – je cite Ouvriers et capital« compter vraiment deux fois dans le système de capital : une fois comme force qui produit le capital, et une autre fois comme force qui refuse de le produire ; une fois dans le capital, une fois contre le capital ».

      Ouvriers et capital, Mario Tronti (pdf)
      https://entremonde.net/IMG/pdf/entremonde-ouvriers_et_capital-tronti-livre-2-2.pdf

      #refus_du_travail #subjectivation #classe_ouvrière

    • "History has become small"
      Mario Tronti: I am defeated
      https://cominsitu.wordpress.com/2015/03/08/mario-tronti-i-am-defeated

      Under the soles of his shoes, you can still recognise the dirt of history. “This is all that remains. A mix of straw and shit by which we delude ourselves into erecting cathedrals to the worker’s dream.” Here’s a man, I say to myself, imbued with a consistency that bursts through in a total melancholy. It’s Mario Tronti, the most celebrated of the theorists of Operaismo. He has only recently finished writing a book on this subject: the origins of his thought, how it has changed and what it is today. I don’t know who will publish it (I would guess a decent publisher). I read a profound sense of despair. Like a chronicle of defeat articulated through the long agony of a past that has not yet passed at all, that refuses to die, but is no longer wanted.

      [...]

      How did your interest in Tai Chi start?

      Thanks to my daughter who loves and practices oriental culture. She would have wanted to become a nun, so she chose the same profound consistency in this world that I’ve only touched.

      Is there an element of unpredictability with children?
      Always: with individuals, just like with history.

      Did you expect that the story – I mean yours – would end this way?
      I always expect the best. Then come the knocks. Coming up against facts without an airbag can do you damage. I was a communist, marxist, operaista. Some things end. Some things last. I have learnt and applied the lesson of political realism: you can’t ignore the facts.

      And the facts today are indicative of a great crisis?

      Great and long. It concerns all of us a little, at many diverse levels. It’s lasted at least seven years and still nobody is able to tell us how to get out of it. We’re living in a time without epoch.

      What does it mean?
      It is our time, however it lacks an epoch: this period that has arisen and will continue into the future. History has become small, the daily report has prevalence: gossip, complaints, platitudes.

      #défaite #mélancolie_théorique (≠rien) #histoire #communisme

    • Partialité, initiative, organisation : les usages de Lénine par Tronti
      https://www.contretemps.eu/lenine-tronti

      Dans cette intervention, nous voudrons tenter un examen critique des usages de Lénine dans l’œuvre de Mario Tronti, en nous focalisant essentiellement sur les textes réunis dans Ouvriers et capital (1966), ouvrage central de l’expérience opéraïste classique telle qu’elle a été définie et délimitée par Tronti lui-même. Nous partons de l’idée que l’un des aspects les plus intéressants, sinon l’originalité principale de ce marxisme, a consisté dans l’affirmation de la centralité politique du travail. Affirmation théorique, mais qui est ancrée dans une situation sociale concrète : c’est au contact des jeunes générations ouvrières des années 60 et de leurs pratiques spécifiques d’insubordination que la pensée opéraïste découvre une subjectivité politique radicale à même le rapport social de production.

    • Un aventurier révolutionnaire dans l’interrègne. Mario Tronti (1931-2023)
      https://legrandcontinent.eu/fr/2023/08/08/un-aventurier-revolutionnaire-dans-linterregne-mario-tronti-1931-20

      Il est difficile de penser à une autre intelligence européenne qui soit passée de la culture du parti communiste et de l’horizon de la politique révolutionnaire — il était le cofondateur de l’influente revue Classe Operaia — à la participation parlementaire — en tant que sénateur du Partito Democratico — pour finir par un engagement profond dans la grammaire théologico-politique du christianisme occidental — allant jusqu’à professer une admiration univoque pour le pontificat de Benoît XVI, attitude théologique d’une gauche qu’on a pu qualifier de « marxiste ratzingerienne ». La pensée et l’activité politique de Tronti pourraient très bien être placées sous le signe de la figure de l’aventurier, c’est-à-dire de quelqu’un qui s’engage à prendre des risques, envers et contre toutes les mains tendues par le sens commun. Tronti gravitait en fait à cheval entre l’ethos de deux figures distinctes : l’aventurier preneur de risques et l’homme politique par vocation. Mais au fond de lui-même, il était convaincu que seule la première pouvait permettre à un homme politique passionné de s’acquitter véritablement de sa tâche.

      « Chez le Tronti tardif, la passion révolutionnaire devient une révocation de la politique moderne, sans pour autant renoncer au schisme contre la vie sociale comme condition préalable à la sérénité existentielle. » Gerardo Muñoz

    • « L’histoire, c’est eux, nous, c’est la politique ». Entretien avec Mario Tronti

      Mario Tronti (1931-2023), figure centrale de la culture marxiste de la seconde moitié du 20e siècle, est décédé le 7 août dernier. Dans cet entretien de 2016, inédit en français, il revient sur sa trajectoire militante et intellectuelle 👇

      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-marxisme-operaisme

      Cet entretien a été conduit par Martin Cortes à Rome en février 2016 et fait partie de l’édition espagnole de La autonomía de lo político [L’autonomie du politique] (Buenos Aires, Prometeo, 2018). Il a été repris dans Jacobin America Latina le 8 août 2023. La traduction et les intertitres sont de Contretemps.

      https://twitter.com/SRContretemps/status/1690273066092244992

  • L’Arcane du capitalisme et de la famille
    https://trounoir.org/?L-Arcane-du-capitalisme-et-de-la-famille

    Il faut déjà comprendre une chose que nous avons saisie en travaillant sur la partie de Caliban et la sorcière consacrée à l’accumulation primitive : la grande innovation du capital a été de séparer production et reproduction. Ça lui a permis d’utiliser de façon bien plus productive toutes les forces sociales. En premier lieu, il y a donc séparation entre production et reproduction. Et dans un second temps, subordination : le capital subordonne la reproduction à la production pour faire de l’ouvrier son agent de maintien de l’ordre en quelque sorte, pour faire jouer à l’ouvrier le rôle d’intermédiaire entre lui (le capital) et la femme. Ça, c’est le plan réel. Mais sur le plan formel, il y a eu une orchestration idéologique pluriséculaire grâce à laquelle le capital a toujours été mystérieusement absent de l’espace domestique qu’il a pourtant déterminé. Il semblait qu’il n’avait rien à voir avec ce qui se passait à la maison. C’est cette invisibilité qui était difficile à pénétrer.

    #féminisme #communisme #opéraïsme #Italie #reproduction #livres #édition

  • Entre #féminisme et #opéraïsme : penser la #reproduction sociale. Entretien avec Leopoldina Fortunati
    https://www.contretemps.eu/feminisme-operaisme-reproduction-sociale-entretien-leopoldina-fortunati

    Cela me fait rire, parce que… puisque nous [les militantes de Lotta Femminista] parlions du travail domestique, des femmes au foyer de la classe ouvrière, de la paysanne ouvrière, c’est-à-dire des femmes des strates prolétaires, alors elles ne pouvaient pas ne pas le faire. Elles ont donc commencé à s’intéresser aux travailleuses domestiques, mais de manière très ponctuelle. Ensuite, même aujourd’hui, il y a un grand besoin d’organiser un lien avec les femmes qui font du travail domestique chez les particuliers [le badanti], qui sont mal payées. Parce que justement, c’est une guerre entre les pauvres, parce que beaucoup de familles, même de classe ouvrière, ne sont pas en mesure de s’occuper de leurs parents ou de leurs enfants, parce que les deux travaillent, parce qu’aujourd’hui les deux [femme et mari] sont obligés de travailler et doivent donc recourir à quelqu’un pour s’occuper de leurs parents âgés qui ne peuvent pas rester seuls à la maison. Donc, évidemment, il y a… comment dire… une guerre entre les pauvres : ils essaient de payer le moins possible et les femmes qui font ce travail essaient d’être payées le plus possible. Mais cette situation conduit ensuite à un appauvrissement monstrueux tant de la famille qui travaille que des femmes qui travaillent dans ces familles. Le problème est le suivant : tant qu’un travail comme le travail domestique n’est rémunéré que lorsque tu l’effectues dans une autre maison que la tienne, et tant que tu acceptes de travailler 24 heures par jour dans ta propre maison sans être payée, tu peux organiser toutes les luttes les plus révolutionnaires du monde, les luttes des femmes qui font un travail domestique rémunéré, mais si tu ne pars pas des femmes qui font un travail domestique non rémunéré, tu ne vas nulle part.

  • Leopoldina Fortunati - Attaquer à la racine la domination des femmes par le capital
    https://www.contretemps.eu/attaquer-a-la-racine-la-domination-des-femmes-par-le-capital-extrait-dun

    L’Arcane de la reproduction est un ouvrage phare de la pensée féministe-marxiste, Leopoldina Fortunati offre une analyse systématique du processus de reproduction, en se concentrant sur le travail domestique et sur la prostitution. Elle montre, à l’aide des catégories marxiennes, comment le travail reproductif est central dans la reproduction de la force de travail, et comment il est, en cela, productif au sens marxiste. Dans le sillage de la tradition féministe-marxiste, Fortunati montre alors que le travail reproductif produit non seulement une valeur d’usage mais également une valeur d’échange.

    L’œuvre initialement publiée en 1981 en italien (éd. Marsilio) a récemment été traduite en français par Marie Thirion aux éditions Entremonde (2022). La version française s’ouvre avec une préface signée par Silvia Federici ainsi qu’un article de Fortunati publié dans Viewpoint Magazine en 2013 (trad. Hélène Goy). Dans cet article repris ci-dessous, Fortunati revient sur sa trajectoire et son engagement politique entre #opéraïsme et #féminisme. Il est suivi par un extrait de l’introduction de l’ouvrage.

    #communisme #livres #édition

  • Attaquer à la racine la domination des femmes par le capital - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/attaquer-a-la-racine-la-domination-des-femmes-par-le-capital-extrait-dun

    Lotta Femminista a toujours été une tendance minoritaire au sein du mouvement féministe plus large, car les femmes du mouvement féministe se sont d’abord méfiées, à juste titre, de toute théorie politique développée dans le sillage de traditions politiques masculines. Ironiquement, le mouvement féministe au sens large serait devenu beaucoup plus puissant et plus fort s’il avait repris notre proposition politique du salaire au travail ménager (c’est-à-dire le « travail domestique », y compris l’éducation des enfants, les soins, etc.), plutôt que d’adopter, sans le savoir, la stratégie léniniste de lutte pour le travail, en dehors du travail domestique, comme moyen d’assurer un salaire pour les femmes. Mais il était très difficile pour les comités du salaire au travail ménager de trouver un consensus sur leur proposition, car généralement les femmes féministes pensent qu’il vaut mieux rejeter la totalité du travail domestique et quitter leur foyer.

  • Mardi 13 décembre à 19h (et non pas le 12)
    https://laparoleerrantedemain.org/index.php/2022/10/15/cycle-operaisme-et-autonomie-acte-3

    Pour ce troisième et dernier temps du cycle sur l’opéraïsme et les autonomies italiennes co-organisé avec les éditions Entremonde, nous aurons le plaisir de recevoir Marco Assennato, qui viendra nous présenter le livre de Manfredo Tafuri, Projet et Utopie. Il sera accompagné d’Antoine Perron et de Gilles Malzac, avec qui nous aurons une discussion sur l’actualité de cette critique de l’esthétique et de l’architecture. Il s’agit ici de parler d’un chapitre méconnu de la pensée italienne, l’école de Venise. Celle-ci s’est, à la fin des années 70, ouverte à certaines pistes de recherche novatrices à propos du rôle et de la fonction de l’art dans le cadre des grands espaces de l’urbanisation contemporaine. On verra comment Tafuri, en s’attachant à appliquer les thèses opéraïstes aux domaines de l’architecture et de l’urbanisme, propose une réflexion sur la métropole comme lieu de l’accumulation capitaliste et de l’antagonisme social. La ville devient, dans cette optique, l’un des sites majeurs de déploiement de la critique sociale, mais aussi de bon nombre d’entreprises avant-gardistes et utopiques : l’espace urbain comme enjeu politique, imbriqué aux rapports de domination et d’aliénation, qu’il s’agit toujours de subvertir. Ici, l’histoire de l’architecture se fera critique de l’idéologie.

    #architecture #urbanisme #opéraïsme

  • Sur l’opéraïsme italien (1) : la composition de classe revisitée
    http://www.revue-ouvrage.org/sur-loperaisme-italien-1

    Les 16 et 17 novembre 1984 sont réuni·e·s à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) des intellectuel·le·s et militant·e·s lié·e·s de plus ou moins près à l’opéraïsme et à l’autonomie italienne, parmi lesquel·le·s Mariarosa Dalla Costa1, Sergio Bologna, Félix Guattari, Harry Cleaver, Franco « Bifo » Berardi et plus encore. Organisé par les sociologues Marie-Blanche Tahon et André Corten, qui peuvent compter sur l’aide du militant Franco Piperno alors en exil au Canada, le « colloque de Montréal » rassemble des interventions extérieures au mouvement sur les pratiques et les théories opéraïstes, ainsi que les liens possibles entre l’autonomie italienne et le contexte politique du Québec, mais il constitue surtout un espace de réflexion (auto)critique interne au mouvement. La contribution du militant #Yann_Moulier-Boutang au colloque cherche, en ce sens, à comprendre l’échec de l’autonomie italienne pour mieux reformuler son projet révolutionnaire. Comme nous le verrons, il rejoint la perspective de Toni Negri, qui affirme, dans une lettre écrite pour ce colloque, que le principal enjeu qui guette tout mouvement autonome futur est de trouver « comment être la catastrophe en la construisant, comment être la totalité sans l’être, comment être le contraire destructeur de la totalité capitaliste et étatique sans en subir l’homologie. »

    Nous publions ici une version légèrement modifiée de l’allocution de Moulier-Boutang, parue originellement sous le titre « L’opéraïsme italien : organisation/représentation/idéologie ou la composition de classe revisitée ». Le fondateur des revues (post)opéraïstes Matériaux pour l’intervention, Camarades et Multitudes y présente le contexte particulier au sein duquel se déploie et s’échoue ce mouvement, ainsi que les principales interprétations de cet échec par les deux opéraïsmes à la base l’autonomie italienne : la tendance communiste à la Tronti et la tendance autonome à la Negri. Dans les deux cas, le principal écueil de l’opéraïsme est, selon Moulier-Boutang, de permettre une composition de classe dans et contre le capitalisme sans toutefois arriver à conserver et augmenter ce mouvement dehors et pour. C’est dans cette optique d’une dialectique entre la destruction de l’ancien et la création du nouveau que Moulier-Boutang nous invite à réfléchir à une composition de classe qui ne fait pas l’économie d’une idéologie révolutionnaire positive.

    Ce texte est la première partie d’une série de deux textes « sur l’opéraïsme italien » de Moulier-Boutang. Dans la seconde partie, à paraître sur Ouvrage dans les prochaines semaines, il revient sur cette intervention théorique, qu’il met en contexte et complète par une réflexion critique sur la gauche contemporaine et l’utilité du concept de « composition de classe » pour penser et transformer la situation actuelle.

    Sur l’opéraïsme italien (2) : au-delà du mythe de l’unité de la classe
    http://www.revue-ouvrage.org/sur-loperaisme-italien-2

    Entre 1978 et 1989, l’extrême-gauche qu’on nommait « extra-parlementaire » en Italie connaissait son déclin, dans un contexte un peu plus dramatique que le reste de l’Europe, puisque les questions de lutte armée finirent par prendre une dimension impossible à esquiver. On appela cela les « années de plomb ». Or, on retrouvait en fait, partout en Europe occidentale, les mêmes questions à des degrés divers d’acuité et de pertinence : celle du référent au communisme (le socialisme soviétique, chinois, cubain ou autres choses ?) ; celle de l’organisation politique de la classe ouvrière (dans les partis communistes ou ailleurs ? sous une forme léniniste ou autres choses ?) ; celle du rôle de la politique volontaire par rapport aux mouvements spontanés de la classe ouvrière (l’avant-garde, les points de liaison, le parasitisme et le superflu).

    Il n’est ni partiel ni partial de dire que, après la vague de mai 1968 et ses différentes répliques, le « gauchisme », au sens le plus large, mit entre dix et vingt ans, soit de 1968 à 1988, à être battu en se divisant lui-même de plus en plus ou en sombrant dans des formes spectaculaires, mais peu efficaces et presque autophages, de terrorisme. L’opéraïsme, qui avait bien plus fière allure théorique et politique que les versions classiques du marxisme trotskiste ou maoïste, le tiers-mondisme ou l’anarchisme, n’échappa pas à ce sort commun. Alors, dira-t-on, pourquoi s’intéresser encore à ce passé qui a passé irrémédiablement ? Il y a deux raisons, qui sont, à mon sens, étroitement reliées.

    La défaite de l’extrême-gauche italienne avait commencée dès 1977 et culminée avec l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, puis la réaction de l’État italien le 7 avril 1979 et l’emprisonnement massif de militant·e·s de l’autonomie ouvrière pour finalement s’achever, en décembre 1980, avec l’échec de la grève de la FIAT et la reddition de la colonne des Brigades Rouges. Or, si cette défaite s’est concrétisée en 1979-80, une décennie plus tard, en 1989-90, c’est le socialisme réellement existant – ou réalisé, comme disaient les Italien·ne·s – qui s’est effondré avec la chute du mur de Berlin et le démantèlement de l’URSS. Dès 1978, la fin du maoïsme avait débuté en Chine et, si le socialisme à la chinoise continuait d’être revendiqué par le Petit Timonier Deng Xiaoping, c’était plutôt une énorme ouverture à l’économie de marché capitaliste qui s’opérait. La révolution néolibérale du thatchérisme et du reaganisme n’étaient qu’un appendice de la re-mondialisation autour de la Chine – la première mondialisation de la seconde colonisation européenne ayant été interrompue brutalement par la Grande Guerre de 1914-1918.

    #opéraïsme #composition_de_classe

  • « Le temps est venu d’invoquer le droit de résistance » - Sergio Bologna, Il Manifesto, traduction ACTA
    https://acta.zone/le-temps-est-venu-dinvoquer-le-droit-de-resistance

    Entretien avec Sergio Bologna, historien du mouvement ouvrier, cinquante ans après la promulgation en Italie du « Statut des travailleurs » de mai 1970.
    (...)

    Le mai rampant italien a été une mobilisation générale de la société. Que reste-t-il aujourd’hui ?

    Oui, cet aspect de 1968 a été négligé et pourtant il me semble être le plus intéressant et le plus résistant au temps. Lorsque les étudiants ont commencé à remettre en question à la fois les méthodes d’apprentissage et les programmes universitaires, ils ont jeté les bases d’une révolution au sein des professions qu’ils allaient exercer une fois diplômés et entrés dans le monde du travail. Un nouveau type de journalisme est né : Il Manifesto de Rossanda, Pintor et Parlato en est un exemple. Et puis une nouvelle façon d’être médecin, architecte, urbaniste, ingénieur, avocat, magistrat et même enseignant, professeur d’université. Toutes les professions se sont interrogées sur la manière et les principes selon lesquels elles étaient exercées et donc sur les institutions – de l’école à l’hôpital, du tribunal à l’hôpital psychiatrique – dans lesquelles elles étaient pratiquées.

    Une grande partie de la classe moyenne s’est rangée du côté des travailleurs, mais pas de manière opportuniste, en leur tapant dans les mains, « c’est bien, c’est bien, luttez, luttez ! » mais elle s’est heurtée à la résistance de leur propre milieu, dont beaucoup ont été marginalisés ou expulsés. Cela a contribué à la naissance d’une « nouvelle science ». Vous voulez un exemple qui revient sur le devant de la scène aujourd’hui ? En 1973, à Milan, un médecin, professeur de biométrie, Giulio Maccacaro, a pris la direction de la plus ancienne revue scientifique italienne, Sapere , et a réuni autour de lui des universitaires de diverses disciplines, scientifiques et humanistes, ainsi que des techniciens et des ouvriers d’usine particulièrement actifs au niveau syndical. En très peu d’années, il a jeté les bases d’une nouvelle médecine du travail, d’une médecine fondée sur les besoins du patient (sa « Charte des droits de l’enfant » est extraordinaire) et surtout d’un système de santé fondé sur les pratiques d’hygiène publique et la médecine territoriale. En 1976, il a fondé la revue Epidemiologia e prevenzione où sont clairement énoncés tous les principes qui auraient dû guider les institutions et les autorités sanitaires pour faire face à la pandémie de Covid-19. Que voulez-vous de plus ?

    Pense-tu que cette alliance puisse être reprise aujourd’hui, entre qui et sur quelles bases ?

    Elle existe déjà en partie, pas seulement pour la classe ouvrière, mais aussi pour le travail indépendant, les travailleurs précaires, l’économie du spectacle, les migrants. Les circuits de solidarité, la production d’intelligence et d’innovation ont tous leurs racines dans ces années que certains crapules continuent de définir comme « de plomb ». Ils doivent tôt ou tard trouver un débouché politique, autrement nous serons submergés par l’infamie du populisme souverainiste (qui n’a été capable que d’agir comme un chacal pendant l’épidémie), par le grotesque néo-fascisme patriotique (des chacals de réserve quand les autres sont trop bruyants) et par cette troisième composante que je ne saurais définir, pour laquelle j’ai peut-être encore plus de mépris, qui me rappelle les petits singes de Berlin – je ne parle pas, je ne vois pas, je n’entends pas – et qui se rassemblent sous des drapeaux et des formations de centre gauche.

    Dans le premier numéro de la revue Primo Maggio , qui a vu le jour précisément à la suite des luttes ouvrières de 1973, l’enquête et la co-recherche militante se sont vu attribuer un rôle important. Aujourd’hui, vous êtes revenu à la pratique dans la nouvelle revue Officina Primo Maggio . Quel est le rôle du travail intellectuel aujourd’hui ?

    Nous n’avons rien inventé en ce qui concerne la « conricerca » (co-recherche) ou l’enquête ouvrière. Ce sont des méthodes de travail largement utilisées par le courant « opéraïste » du marxisme italien depuis les années 1960. Lorsque nous avons fondé cette revue, nous avons fait un autre raisonnement. Nous nous sommes dit : il y a un besoin de culture et de formation dans les usines, dans le syndicat, dans toutes les instances qui se sont développées à partir de 1968, et qui doit être satisfait par l’exploration de nouveaux domaines de recherche. Le premier exemple qui me vient à l’esprit est celui de la monnaie. Dans les cercles de la gauche radicale, il n’y avait pas encore la conscience, l’intuition, que l’économie capitaliste s’orientait vers une financiarisation progressive. Si l’on pense au point où nous en sommes aujourd’hui, à la masse de liquidités trente fois supérieure au PIB mondial et surtout à l’écart inconcevable – alors – entre les super-riches et la population mondiale, il faut admettre que nous n’étions pas aveugles.

    Un deuxième exemple concerne l’histoire militante. À une époque où il y a des bouleversements si forts et des changements si soudains dans la conscience des gens, il est absolument nécessaire de s’arrêter un instant et de regarder en arrière, car il s’agit de reconstruire une généalogie de ce qui se passe sous vos yeux. Il faut réarranger, réajuster, la ligne de l’histoire. Il se peut qu’on oublie des choses très importantes, qu’on pense avoir mis en place de nouvelles choses, et qu’au lieu de cela on avait fait mieux 60/70 ans auparavant. Lorsque nous avons redécouvert l’histoire des Industrial Workers of the World (IWW) aux États-Unis, où de nombreux Italiens ont joué un rôle important, cela nous a permis de mieux comprendre comment nous rapporter à la conflictualité ouvrière. Un troisième exemple, et j’en reviens ici au problème de l’enquête ou, si vous préférez, de la « co-recherche », est celui des relations d’échange, de la solidarité avec les dockers génois. Certains ont considéré notre travail avec les « camalli » [dockers génois] comme une sorte d’amour esthétisant pour les situations pittoresques. En réalité, ils nous ont ouvert les yeux sur le commerce maritime, sur les flux mondiaux, et de là, nous sommes rapidement arrivés à la logistique. Réfléchissez maintenant, qui oserait aujourd’hui se moquer de ces choses ?

    En quoi consiste l’enquête d’un travailleur ? Et une co-recherche ?

    Le point essentiel est que nous n’avons pas fait d’études sociologiques, nous avons rassemblé des éléments utiles à ceux qui pratiquaient des processus organisationnels, revendicatifs, conflictuels. Nous n’avons pas fait une revue, nous avons fait une opération politico-culturelle. La relation avec les « camalli » dure encore aujourd’hui, 45 ans plus tard ! Nous sommes toujours à leurs côtés lorsqu’ils défendent la valeur de leur travail et nous aident à raisonner, à comprendre, lorsque nous essayons de soutenir les immigrés dans les coopératives de la logistique. Avez-vous déjà pensé que les luttes logistiques actuelles, en Italie en 2020, sont peut-être les seules, avec celles des livreurs, qui ne sont pas seulement défensives ?

    Comment mener une enquête sur l’état du travail intellectuel aujourd’hui ?

    Je vais simplement te dire ce que je vois un peu parmi les travailleurs de la connaissance qui gravitent autour de l’ACTA6, l’Association des indépendants, et parmi ceux qui font partie de notre réseau international, les travailleurs du spectacle, de la mode, des événements culturels au sens large, mais aussi les professionnels qui travaillent dans la logistique, l’informatique, le transport maritime, la finance et les secteurs connexes. Toutes les associations de catégorie ont mené des enquêtes auprès de leurs membres pour savoir comment ils ont fait face à l’urgence. Beaucoup sont par terre. Dans toutes ces activités qui impliquent une relation avec le public et qui sont fermées et qui sait quand elles rouvriront, tu peux y trouver des gens qui font la queue pour une assiette de soupe gratuite. D’autres ont continué à travailler sans être dérangés, ils ont toujours fait du travail à distance. Partout dans le monde, on a compris que les travailleurs indépendants n’ont pas de sécurité sociale. Le Covid-19 a donc au moins servi à préciser qu’il existe un segment spécifique de la main-d’œuvre. Ceux qui continuent à prétendre que les indépendants ne sont que des entreprises ont finalement dû cesser de dire des bêtises. Beaucoup ont travaillé mais ne sont pas du tout certains d’être payés.

    Quels sont les résultats de ces nouvelles recherches ?

    Au cours des deux dernières années, nous avons beaucoup progressé dans la connaissance du travail indépendant et du travail en free-lance, grâce à la recherche et grâce à l’activisme des associations représentatives ou des groupes d’autodéfense. Et malheureusement, nous avons constaté une forte baisse des honoraires, qui ont chuté de pas moins de deux tiers en dix ans. L’expérience, l’ancienneté et la compétence comptent de moins en moins. L’apprentissage tout au long de la vie ne vous maintient pas à flot, c’est l’un des slogans habituels du charlatanisme de l’Union européenne. L’important n’est donc pas de savoir quel est le rôle du travail intellectuel, mais comment enrayer sa dévaluation. Ceux qui travaillent dans ces domaines en tant que professionnels/techniciens/artistes indépendants, se sont toujours considérés comme différents des précaires. L’intermittence du travail, le manque de sécurité sont considérés comme allant de soi, ils constituent un risque calculé. Aujourd’hui, une grande partie de ce monde finit par glisser dans le grand chaudron de l’économie de plateforme.

    Dans ces conditions, est-il possible de s’inspirer des conflits ouvriers des années 1970 ?

    Cela peut être utile tant que nous ne répétons pas la leçon opéraïste comme des perroquets. Pour se protéger, le travail intellectuel d’aujourd’hui doit trouver d’autres voies que celle de l’ouvrier masse. Il faut inscrire le problème dans la crise générale de la classe moyenne, la référence au binôme chaîne de montage/rejet du travail est inutile. Les jeux ont changé, la classe ouvrière industrielle, que ce soit celle de la Rust Belt américaine ou celle de Bergame et de Brescia, est l’un des viviers du populisme trumpiste ou leghiste [de la Ligue du Nord – NdT]. Certaines personnes pensent les évangéliser en prêchant l’amour chrétien pour les migrants, mais il faut vraiment avoir la mentalité de l’Armée du salut pour être aussi imbécile. Il s’agit là de rouvrir le conflit industriel, le thème de la santé proposé à nouveau par le coronavirus peut être le pivot sur lequel s’appuyer. Au contraire, sur le plan du travail intellectuel, aujourd’hui soumis à une dévaluation brutale, la libération ne peut avoir lieu qu’en combinant les dispositifs du mutualisme des origines avec les techniques numériques de communication les plus sophistiquées.

    Beaucoup affirment que le temps est venu de rédiger un Statut des travailleurs. Qu’en pensez-vous ?

    Pour l’amour du ciel ! Il nous manquait plus que ça ! Les lois reflètent
    toujours ce que l’on appelle la « constitution matérielle » d’un pays, c’est-à-dire les rapports de force entre les classes. Toute loi écrite aujourd’hui, avec « ce » Parlement, avec « ce » climat dans la société civile, porterait le signe du déséquilibre qui existe aujourd’hui entre le capital et le travail. La Constitution italienne existe déjà, et elle serait suffisante pour protéger le travail. Si elle était appliquée. Non, de nouvelles lois ne sont pas nécessaires, une mobilisation capillaire est nécessaire pour changer la constitution matérielle du pays, pour changer les rapports de force. Une fois que nous aurons réussi à renverser la situation, nous pourrons la consolider par de nouvelles lois. Il est temps d’invoquer le Widerstandsrecht , le droit de résistance. Cela signifie aussi, pour être clairs, de critiquer une certaine non-violence « à tout prix ».

    #Sergio_Bologna #travail #operaïsme #santé #travailleurs_indépendants #logistique #co-recherche #enquête_militante

  • Notes sur le jour où je suis devenue une vieille personne | Alisa del Re
    https://acta.zone/notes-sur-le-jour-ou-je-suis-devenue-une-vieille-personne

    Dans ce texte qui relève à la fois de l’expression subjective personnelle et des considérations stratégiques, Alisa del Re, figure de l’opéraïsme et du féminisme italien, s’interroge sur la construction de la vulnérabilité des personnes âgées durant l’épidémie de Covid-19 et ses conséquences. Ce faisant, elle rappelle la nécessité de replacer la question des corps et de la reproduction sociale au centre de la réflexion politique, et plaide pour une réorganisation sociale qui permette à chacun·e, sans considération pour sa classe d’âge, de bénéficier d’une santé et d’une vie décentes. Source : Il Manifesto via Acta

    • Nous sommes aujourd’hui scandalisé·e·s par ce massacre des personnes âgées, par ce manque de soins pour les corps faibles, qui a montré toutes ses limites parce qu’il n’est pas au centre de l’attention politique, parce qu’il est marginalisé et qu’il est géré suivant les logiques du profit. Face à la pandémie, on découvre, comme si cela était une nouveauté, que nous sommes tou·te·s dépendant·e·s des soins, que nous devons tou·te·s être reproduit·e·s par quelqu’un, que chacun·e d’entre nous porte la faiblesse du vivant en lui ou en elle, que seul·e·s, nous ne pouvons pas grand chose. Nous ne sommes pas des machines disponibles au travail sans conditions, les travailleur·se·s ont été les premier·e·s à faire grève pour que leur santé soit protégée avant le profit, avant même les salaires.

      Au contraire, c’est précisément cette situation exceptionnellement dramatique et sans précédent qui a mis les corps et leur reproduction au premier plan, en soulignant l’étroite relation entre la reproduction, les revenus et les services sociaux – étroite relation qui doit nous servir de programme pour la phase à venir. Même le pape a saisi cette nécessité dans son discours du dimanche de Pâques : « Vous, les travailleurs précaires, les indépendants, le secteur informel ou l’économie populaire, n’avez pas de salaire stable pour supporter ce moment… et la quarantaine est insupportable. Peut-être le moment est-il venu de penser à une forme de salaire universel de base qui reconnaisse et donne de la dignité aux tâches nobles et irremplaçables que vous accomplissez ; un salaire capable de garantir et de réaliser ce slogan humain et chrétien : « pas de travailleur sans droits » ».

      #soin #corps #santé #reproduction_sociale #travailleurs_précaires #indépendants #salaire #revenu_garanti

    • Et #pape. Je ne comprends pas du tout comment son propos sur les droits liés au travail et devant assurer la continuité du revenu dans des situations comme celles-ci (et d’autres : chômage, vieillesse) peut être entendu comme la demande d’un revenu sans contrepartie. C’est bien de droits dérivés du travail qu’il est question.

    • @antonin1, aie l’amabilité s’il te plait de pardonner cette réponse embrouillée et digressive, ses fôtes, erreurs terminologiques et conceptuelles, élisions impossibles et répétitions. Sache qu’elle n’est pas non plus suffisamment mienne à mon goût (je reviendrais peut-être sur ces notes, là, j’en ai marre.).

      Ce revenu là est sans contrepartie car le travail vient avant lui (renversement politique de la logique capitaliste du salaire, payé après la prestation de travail, contrairement au loyer, payable d’avance). C’est reconnaître le caractère social de la production, sans la passer au tamis des perspectives gestionnaires actuellement dominantes à un degré... inusité, bien qu’il s’agisse d’un conflit central. "Chamaillerie" séculaire du conflit de classe prolongé, revisité (quelle classe ? que "sujet" ?) : Qui commande ? Ce point vue selon lequel la contrepartie est par avance déjà assurée, remet en cause le commandement sur le travail (non exclusivement dans l’emploi et l’entreprise) provient pour partie de la lecture politique des luttes sur le salaire, dans l’usine taylorisée, le travail à la chaine, qui ont combattu l’intenable mesure des contributions productives à l’échelon individuel (salaire aux pièces, à la tâche) en exigeant que soit reconnu le caractère collectif de la production avec la revendication durante les années soixante et ensuite d’augmentations de salaire égales pour tous (idem en Corée du Sud, dans l’industrie taylorienne des années 80, ou depuis un moment déjà avec les luttes ouvrières du bassin industriel de la Rivière des Perles chinoise), et pas en pourcentage (ou les ouvriers luttent pour le plus grand bénéfice des « adres », qui accroît la hiérarchie des salaires), ce à quoi on est souvent retourné avec l’individualisation des salaires des années 80, sous l’égide d’une valeur morale, le mérite. Comment peut-on attribuer une "valeur" individuelle à une activité qui est entièrement tributaire de formes de coopération, y compris auto-organisée, mais essentiellement placée y compris dans ces cas "exceptionnels", sous contrainte capitaliste, directe ou indirecte ?

      La est le coup de force sans cesse répété auquel s’oppose tout processus de libération, dans et contre le travail. Avoir ou pas pour finalité LA Révolution, événement qui met fin à l’histoire et en fait naître une autre, qu’on la considère comme peu probable, retardée ou dangereuse - hubris du pouvoir révolutionnaire qui se renverse en domination, à l’exemple de la "soviétique" qui a assuré le "développement" du capitalisme en Russie, entre violence de l’accumulation primitive, bureaucratie, police et archipel pénal, ou faillite, épuisement de la politisation populaire-, ne modifie ça que relativement (et c’est beaucoup, c’est l’inconnu : reprise des perspectives communalistes, mais à quelle échelle ? apologie de la révolution dans la vie quotidienne, de la désertion, de la fragmentation, perte de capacité à imaginer comment la coopération sociale, la production, la circulation, les échanges, la recherche, etc. pourraient être coordonnées autant que de besoin), avoir ou pas La révolution à la façon du Grand soir pour perspective ne supprime pas ce qui fonde des processus de libération, ces contradictions sociales, politiques, existentielles (chez tous, spécialement les femmes et les « colorés » pour employer une désignation étasunnienne, faute de mieux, car réticent au sociologique « racisés »), l’immanence de tensions agissantes, ou seulement potentielles (la menace est toujours là, bien qu’elle ne suffise en rien à elle seule, confère par exemple l’époque ou, actualisée ou rémanente, l’ivresse mondiale du socialisme pouvait partout potentialiser la conflictualité sociale). Ne pas en rester aux « alternatives » de la politique gestionnaire, impose de s’appuyer sur des avancées pratiques seules en mesures de relancer cet enjeu de lutte... Il y aurait sans doute à le faire aujourd’hui à partir du #chômage_partiel provisoirement concédé sous les auspices de la crise sanitaire à plus de la moitié des salaires du privé et d’autres phénomènes, massifs ou plus ténus. Être dans la pandémie réintroduit une étrange forme de communauté, et à quelle échelle ! Quels agencements collectifs d’énonciation se nicheraient là depuis lesquels pourraient être brisée la chape de la domination et dépassée le fragmentaire, sans dévaster des singularités encore si rares (si on excepte les pratiques comme champ propice à l’invention de mondes, si l’on excepte les vivants non bipèdes dont nous avons à attendre une réinvention de notre capacité d’attention), ça reste à découvrir.

      Nos tenants du revenu d’existence ou de base s’appuient d’ailleurs sur ces contradictions, latentes ou visibles (le scandale de la misère, d’une rareté organisée , ce en quoi je ne peux qu’être d’accord au cube) et déclarées, pour promettre de les résorber peu ou prou. Comme on parlait du "socialisme à visage humain" après Staline, la mort du Mouvement ouvrier, et non des luttes ouvrières, fait promettre une consolation impossible, un capitalisme à visage humain, ce qu’on retrouve chez les actuels enchantés actuels l’après qui sera pas comme avant qui refusent d’envisager qu’il s’agit de force à constituer et à mettre en oeuvre, contre la violence du capital, ne serait- ce que pour modestement, mais quelle ambition !, la contenir (sans jamais tabler outre mesure sur le coût d’arrêt écologique). Pourtant, il n’y a aucun espace pour le "réformisme » sans tension révolutionnaire, sans conflit, ouvert ou larvé, qui remette en cause avec force le business as usal.

      Je digresse à profusion, mauvais pli. Le travail déjà là qui « justifie » (que de problèmes inabordés avec l’emploi de ce terme) le revenu garanti, doit se lire au delà de l’usine et de toute entreprise : l’élevage des enfants, le travail des femmes, la scolarisation et la formation, l’emploi aléatoire et discontinu, le travail invisible(ils sont plusieurs, dont une part décisive des pratique du soin), la retraite (qu’elle a déjà bien assez travaillée avant d’avoir lieu, les comptables pourraient servir à quelque chose si on les collait pas partout où ils n’ont rien à faire que nuire), les périodes de latence elles-mêmes, et donc la santé (pas tant la "bonne santé" que la santé soignée, défaillante et « réparée », soutenue) prérequis à l’existence de la première des forces productives (souvent réduites au capital fixe et à la science) le travail vivant, d’autant que c’est toujours davantage la vie même qui est mise au travail (jusqu’aux moindres manifestations d’existence et échanges : data), ici le revenu garanti est une politique des besoins radicaux autant qu’il signe une acceptation de l’égalité. C’est du moins comme cela que je veux le voir (bien des seenthissiens sont en désaccord avec divers points évoqués ici, et avec une telle caractérisation de la portée révolutionnaire du revenu garanti, qui fait par ailleurs l’objet de nombreuses critiques se prévalant de l’émancipation, de la révolution, etc.).

      Antériorité du travail vivant sur le rapport de capital donc. L’économie venant recouvrir cela, si l’on veut bien en cela "suivre" Marx sans renoncer à une rupture des et d’avec les rapports sociaux capitalistes (modalités diverses : intellectuelles, lutte, Révolution, révolutions..) - compris dans ses versions marxistes (décadence objectiviste et économiciste de la critique de l’économie politique alors que ce type d’approche ne peut aller sans poser la question du pouvoir, du commandement capitaliste (micro, méso, macro, global).
      L’approche d’Alisa del Re, l’intro à son texte le rappelle, a partie liée avec un courant théorico-politique né dans l’Italie au début des années 60, l’opéraïsme, un marxisme hérétique et une pratique de pensée paradoxale.
      [Voilà comment j’ai relevé ce jour les occurrences de La Horde d’or pour leur coller tous le # La_Horde_d’or, (parfois, je ne disposais pas d’un post perso où ajouter ce #, s’cusez), livre en ligne http://ordadoro.info où on trouve de quoi satisfaire en partie la curiosité sur ce courant et ces histoires, par recherche internet sur le site dédié ou en employant l’index].

      La revendication d’un revenu garanti, d’une généralisation égalitaire des "droits sociaux" qui soit substantielle, (niveau élevé, absence de conditionnalité, de familialisation comme mécanisme de base, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas tenir compte positivement de l’ampleur du ménage, des enfants, etc. ) peut (a pu, pourra ?) mettre crise la politique du capital (une vie soumise à la mesure du temps de travail, une disponibilité productive gouvernée, cf. chômage) et entrouvrir à un autre développement que le "développement" capitaliste, de faire que la "libre activité" actuellement interdite, bridée, exploitée et toujours capturée -ce qui limite singulièrement la définition des prolos et précaires comme surnuméraires , même si celle-ci décrit quelque chose de l’idéologie agissante de l’adversaire, qui n’est pas un rapport social sans agents agissants, ni une simple oligarchie sans assise sociale réelle, mais bien l’organisation de fait de militants de l’économie fabriqués en série dans les écoles faites pour ça, et pas seulement la télé -, que la libre activité ou la "pulsion" à oeuvrer, transformer, inventer (présente sous le travail qui est nécessité économique avant tout) absorbe comme n voudra capturée pour le profit puisse relever de satisfaction des besoins)

      Travail, revenu et communisme t’intriguent. Si ce qui précède ne te refroidit pas, il y a ici même des # utilisables pour un parcours, petites promenades ou randonnée sans fin : revenu_garanti refus_du_travail general_intellect opéraïsme salaire_social salaire_garanti Mario_Tronti Toni_Negri Silvia_Federici Paolo_Virno Nanni_Ballestrini ... labyrinthe étendu lorsque s’y ajoute dess # trouvé dans les textes abordés ou la colonne de droite du site.

    • Pardon @colporteur mais ça fait vingt ans que j’entends virevolter les abeilles de YMB, traducteur de tout ce beau monde, et je ne comprends toujours pas comment dans le cadre où nous sommes, une société capitaliste libérale, une revendication de revenu garanti peut ne pas être une mesure libérale. Dans une société idéale, peut-être, sans accumulation, sans marché du travail, où nous sommes plus proches des bases matérielles de nos vies, où le travail fait donc sens et s’impose sans être imposé... Mais pour l’instant, je ne vois pas comment on peut sortir de la condition surnuméraire par la magie d’un revenu sans fonction sociale. Serait-ce le plus beau métier du monde, tellement beau que les mecs se battent pour l’exercer, justement la fête des mères se rapproche.

    • [Les # du post précédent ne s’enregistrant pas, j’essaie ici] il y a ici même des # utilisables pour un parcours, petites promenades ou randonnée sans fin : #revenu_garanti #refus_du_travail #general_intellect #opéraïsme #salaire_social #salaire_garanti #Mario_Tronti #Toni_Negri #Silvia_Federici #Paolo_Virno #Nanni_Balestrini ... labyrinthe étendu lorsque s’y ajoute des # trouvés dans les textes abordés ou/et dans la colonne de droite du site.

  • « ILS NOUS ONT TANT VOLÉ QU’ILS NOUS ONT MÊME DÉROBÉ NOTRE PEUR » : INSURRECTION POPULAIRE AU CHILI 21 octobre 2019

    Le #Chili vit depuis quelques jours un soulèvement insurrectionnel d’une ampleur inédite. Partie de l’augmentation des prix du ticket de métro, la #révolte s’est rapidement généralisée, prenant pour cible le système dans son ensemble – dans un pays qui, depuis le coup d’État mené par Pinochet en 1973, est un laboratoire du #néo-libéralisme le plus féroce et où les inégalités sont parmi les plus fortes au monde. Alors que le gouvernement de droite à décrété l’#État_d’_urgence et instauré un #couvre-feu, alors que les militaires patrouillent dans les rues pour la première fois depuis la fin de la #dictature en 1990, nous avons mené un entretien avec l’un de nos correspondants au Chili pour faire le point sur la situation. Il nous explique les enjeux de l’explosion sociale en cours, sa composition, ses méthodes de lutte et sa résonance avec les soulèvements parallèles en #Amérique_du_Sud.

    L’élément déclencheur du soulèvement, c’est la lutte contre l’augmentation du prix du métro à Santiago. Un journaliste de l’Agence France Presse, toujours aussi fin limier, vient de découvrir que le métro de Santiago du Chili était le plus étendu de toute l’Amérique latine, et que la capitale était surpolluée par les embouteillages. Il serait plus judicieux de dire que ce mouvement, initié par des étudiants, des précaires et des lycéens, est typique de la situation analysée par l’#opéraïsme italien à travers le concept d’#ouvrier_social. Dans une époque où c’est la ville entière qui est devenue une #usine, et donc où c’est l’ensemble de l’espace social urbain qui participe à la production de valeur, il est tout à fait logique que le prix du métro devienne un enjeu radical des luttes. Si l’on pense aux mouvements de ces derniers années en Amérique du Sud, on peut faire la comparaison avec les luttes de 2013 à São Paulo, revendiquant la gratuité du bus dans cette ville. Un peu comme au Brésil, le mouvement a commencé avec un groupe militant indépendant des partis et syndicats ouvriers, et s’est répandu de la capitale aux autres grandes villes de tout le pays. Le plus surprenant, c’est la rapidité de l’extension du mouvement dans le cas chilien. Vendredi, il a pris Santiago. Samedi, il s’est déployé dans toutes les grandes villes du pays, du Nord jusqu’au Sud. (...) Ces formes de luttes contemporaines, où c’est la métropole elle-même qui devient un enjeu politique, sont de plus en plus présentes au Chili depuis ces dernières années. Ce n’est certes pas la première tentative de politisation du « #droit_à_la_ville » qui se passe au Chili, que ce soit à Santiago ou ailleurs. D’autres luttes antérieures ont déjà eu lieu, avec des résultats relatifs. De même, les pratiques émeutières ne sont pas nouvelles ici. Et il faut rappeler le courage des militantes féministes face à la répression policière, que ce soit lors du mouvement féministe de 2018, ou même lors de la marche du 8 Mars de cette année. S’il y a une explosion sociale d’une telle ampleur cette fois-ci, je crois que l’une des raisons se trouve dans les nouvelles formes de luttes, beaucoup plus offensives, qui ont été développées dès le premier jour à #Santiago.

    https://acta.zone/ils-nous-ont-tant-vole-quils-nous-ont-meme-derobe-notre-peur-insurrection-pop

  • Sur le capitalisme patriarcal : entretien avec Silvia Federici - ACTA, partisan.e.s dans la métropole
    https://www.youtube.com/watch?v=p7oOnb6fvpw&feature=youtu.be

    Quelle importance de la grève féministe aujourd’hui ? Quels sont les apports de l’opéraïsme au féminisme de la reproduction sociale ? Comment dénaturaliser le travail ménager ? La révolution communiste est-elle d’actualité ?

    Dans le sillage de notre série d’entretiens avec des figures du féminisme contemporain pour ACTA, après une première vidéo en compagnie de Françoise Vergès sur le féminisme décolonial, nous avons rencontré Silvia Federici suite à la parution aux éditions la Fabrique de son dernier ouvrage : Le Capitalisme Patriarcal. Nous en publions ici la version intégrale.

    Silvia Federici (née en 1942 à Parme en Italie) est une universitaire, enseignante et militante féministe radicale. Elle est professeure émérite et chercheuse à l’Université Hofstra à New York. Elle a notamment écrit Caliban et la sorcière (éditions entremonde - 2017) et le Capitalisme patriarcal (La fabrique éditions - 2019)

    #féminisme #travail_ménager #travail_de_reproduction #opéraïsme #salaire_contre_le_le_travail_ménager #Afrique #entretien #vidéo

  • [Guide de lecture] Opéraïsmes – Période
    http://revueperiode.net/guide-de-lecture-operaismes

    Parce qu’il a su relier l’exigence théorique et l’intervention pratique, l’autonomie des luttes et les perspectives stratégiques, l’#opéraïsme fait aujourd’hui l’objet d’un vif intérêt dans différents secteurs de la gauche radicale. Pourtant, le faible nombre de traductions disponibles comme la richesse de cette tradition hétérodoxe du marxisme italien contribuent à en gêner l’appropriation créative. On réduit encore trop souvent l’opéraïsme à un courant homogène, que l’évocation de quelques grands noms (Mario Tronti, Toni Negri) ou l’invocation de quelques concepts clés (composition de classe, refus du travail) suffiraient à cerner. Par contraste, c’est à la diversité interne de l’expérience opéraïste qu’entendent ici rendre justice Julien Allavena et Davide Gallo Lassere. De la scission des Quaderni rossi aux débats que suscita l’émergence de nouvelles figures de la lutte des classes dans les années 1970, en passant par l’enquête ouvrière et la lecture de Marx, c’est une ligne de conduite intellectuelle et politique en perpétuel renouvellement qu’ils donnent à voir dans ce guide de lecture, qu’en complèteront bientôt deux autres consacrés à l’autonomie et au post-opéraïsme.

    #Italie #marxisme

  • Le réel de Marx
    par Bernard Aspe et Patrizia Atzei
    Intervention au colloque Communisme à Rennes en mai 2017

    http://ladivisionpolitique.toile-libre.org/le-seminaire/le-reel-de-marx-ciolloque-communisme

    Le communisme est le refus de la mise au travail généralisée, de la mise au travail pour le capital. Un refus dont la mise en œuvre suppose une opération de désidentification.

    #communisme #Marx #opéraïsme #post_opéraïsme #refus_du_travail #salariat #Tronti #capital #réel #Lacan #Rancière

    • Le réel de Marx
      http://ladivisionpolitique.toile-libre.org/le-seminaire/le-reel-de-marx-ciolloque-communisme

      Nous savons que, comme d’autres mots, le mot « communisme » n’a jamais été et ne sera jamais univoque, qu’il s’agit toujours de lui donner une signification qu’il n’a pas tout seul, c’est-à-dire de mettre sur le mot « communisme » ce qu’on décide d’y entendre.

      Pour parler du communisme, il nous semble nécessaire de revenir une fois encore à Marx. Mais il ne saurait s’agir, pour nous, de proposer un énième commentaire de son œuvre : Marx n’est pas l’auteur auquel il faut en revenir parce que dans ses textes se trouverait une vérité ultime. Nous considérons qu’il est l’un de ces auteurs qui nous obligent à aborder son héritage de façon partiale, avec des parti-pris. Il nous oblige, surtout, à nous saisir de cet héritage depuis le présent.

      Nous allons donc dégager quelques traits de l’approche de Marx qui nous semblent devoir être prolongés aujourd’hui pour une entente clarifiée et opératoire du mot « communisme », du communisme en tant que « mouvement réel ».

      Nous insisterons essentiellement sur deux aspects. Il s’agira dans un premier temps de montrer que le communisme se présente sous la forme du refus du travail. Ensuite, il s’agira d’affirmer la possibilité d’une intelligibilité de la politique qui ne dépend pas d’un horizon de totalisation, et qui suppose un mode de subjectivation particulier, relevant d’une « désidentification ». (...)

      version audio
      https://seenthis.net/messages/602983

    • Un texte qui commence par « comme le disait Althusser » n’augure rien de bon. Althusser était un charlatan stalinien qui a passé l’essentiel de sa vie à caricaturer le marxisme pour en faire une coquille vide (débarrassée de la dialectique) acceptable par l’idéologie dominante.

      Mais je tente une lecture quand même :)

    • Althusser, semble faire office ici de muleta mais il n’est cité que pour renvoyer à un phrase de L’idéologie allemande à propos du communisme « le mouvement réel qui abolit l’état de choses existant », afin d’avancer dans l’analyse du réel en question, avec et contre Hegel, avec Lacan. Outre Marx, ce sont les apports de tout autres théoriciens que le texte met en rapport, sans décerner ni blâmes ni médailles...

      Ce qui nous paraît essentiel dans les analyses de [Jason] Moore, c’est qu’elles donnent une extension nouvelle au concept de force de travail en montrant toutes les activités que l’on peut compter au titre de travail non-payé, non reconnu comme tel.

      Parmi ces activités, à considérer l’histoire de l’économie-monde, il y a bien sûr le travail des esclaves dans les colonies depuis les XVème-XVIème siècles ; ou le travail assigné aux femmes dans le développement de la société bourgeoise – travail invisible qui n’est pas seulement celui de la « reproduction de la force de travail », mais qui est lui-même force de travail non reconnue comme telle.

    • Tu n’a pas lu l’article, tu ne sais pas, comment fais-tu pour répondre ? je répète, je répète, Althusser n’est cité que pour introduire un passage de Marx qu’il a dit « fameux », et parce qu’il sagit d’un colloque ou les Français croient que le marxisme c’est Althusser.
      L’article, coécrit par une femme, puisque seul cela compte à tes yeux, n’a rien à voir avec tes a priori, avec cette manière purement réactive de (ne pas) lire. Il évoque tout autrement ces questions.

      L’adresse générique de la politique, l’adresse à un « tous » (non pas un « tous » positivé, effectif, mais un « tous » potentiel) cela implique notamment — et il est utile de le souligner dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui — que la race ne peut, en tant que telle, être un opérateur de la subjectivation politique. On pourrait affirmer que pour qu’il y ait subjectivation émancipatrice, il faut qu’il y ait déprise des identités. Cela ne signifie nullement que toute revendication basée sur la race est nécessairement vouée à l’échec, ou intrinsèquement réactionnaire : cela signifie seulement que son potentiel émancipateur ne réside jamais en une positivation de l’identité raciale en tant que telle. Pour qu’une identité (prolétaire, peuple colonisé, femme, noir, etc.) constitue le point de départ d’un processus véritablement émancipateur, il faut que soit conjurée toute appropriation exclusive de la revendication politique. Autrement dit, il faut qu’il y ait une connexion entre cette identité particulière et une adresse générique. En clair : les identités existent bel et bien, et on ne peut pas simplement décider de les ignorer ou d’en sortir, comme le voudrait une certaine utopie queer. « Désidentification », cela ne signifie pas : abolition des identités. Cela signifie : constitution d’identités paradoxales, d’identifications polémiques. Car quand on ne travaille pas à déplacer les identités, à les rendre paradoxales, ce sera l’ordre d’oppression et d’exclusion qui se chargera de les remettre à leur place (pensons au racisme de la police).

  • « Comment se fait-il que ces salauds d’ouvriers ne font pas ce que dit le Parti ? »

    Culture de base, refus du travail, ouvrier-masse et grèves métropolitaines dans l’Italie d’après-guerre.

    Entretien avec le collectif de traduction de La Horde d’or (Partie 1/3)

    Par Bruno Thomé, Claire Feasson et Duccio Scotini

    http://jefklak.org/?p=4581

    Livre d’histoires et d’analyses politique, boîte à outils, auto-enquête, recueil de chansons, collection de tracts, livre partisan qui ne dit jamais « je » mais donne à entendre des centaines de voix, L’Orda d’oro est à ce jour le seul livre qui évoque aussi complètement la foisonnante inventivité sociale, théorique, culturelle et langagière de l’Italie des années 1960-1970. Et il aura fallu attendre le printemps 2017 pour retrouver cette histoire en hexagone, grâce à la traduction aux éditions de l’Éclat, enrichie par le collectif de traduction, d’un appareil de notes indispensable au lecteur français.
    En ces temps de crise « créative, politique, et existentielle », Jef Klak a décidé de mener trois entretiens avec les traducteurs et traductrices afin de parcourir avec eux cette période fondatrice de notre présent, inspirante pour nos luttes.

    Affirmer, comme le fait ce livre, que le mouvement, c’est aussi la chanson sociale, les dissidences intellectuelles, les expériences contre-culturelles, les manières de vivre, etc., c’est rappeler que l’organisation politique échappe à la mainmise du Parti et passe par tous les domaines de la société : école, église catholique, musique, magistrature, médecine, psychiatrie, production éditoriale, etc. Cela permet de retracer une contre-histoire de l’organisation politique au sens large.

  • « Années de plomb » ou décennie de subversion ?, par Serge Quadruppani
    https://www.monde-diplomatique.fr/2017/06/QUADRUPPANI/57578 #st

    Écrit par le romancier et poète Nanni Ballestrini et par Primo Moroni, dont la librairie milanaise fut un haut lieu du militantisme extraparlementaire, publié une première fois en 1988, l’ouvrage La Horde d’or a une histoire aussi mouvementée que son sujet. Remanié et complété en 1997 par Sergio Bianchi, auteur et éditeur, avec l’aide d’une douzaine de contributeurs qui ont presque tous pris part à la « grande vague révolutionnaire et créative, politique et existentielle » des années 1960-1970, il paraît pour la première fois en français.

    http://zinc.mondediplo.net/messages/68842 via Le Monde diplomatique

  • Le refus du travail dans l’Italie révoltée des années 60-70 | Sortir du capitalisme
    http://sortirducapitalisme.fr/204-le-refus-du-travail-dans-l-italie-revoltee-des-annees-60-70-

    40 ans après l’insurrection de Bologne des 11-12 mars 1977 (et sa reconquête par des chars d’assaut), une histoire du refus du travail dans l’Italie révoltée des années 1960-1970 – avec Oreste Scalzone, protagoniste central de ces années-là. Dans cette émission consacrée à un aspect central des théories critiques et des luttes autonomes de l’Italie révoltée des années 1960-70, Oreste Scalzone nous offre d’abord un aperçu des théories critiques du travail ("refus du travail" et "lutte contre le travail") développées au sein de l’opéraïsme [1re partie, 30 minutes]. Dans une seconde partie, il évoque quelques pratiques de « l’anti-travail » de l’Autonomie italienne ("auto-réductions", grèves des loyers, etc.) et parle de leur vision non-programmatique du communisme [2e partie, 30 minutes]. Source : Radio (...)

    http://sortirducapitalisme.fr/media/com_podcastmanager/scalzone1.mp3

  • Retour de l’usine : le territoire, l’architecture, les ouvriers et le capital
    Pier Vittorio Aureli

    Comment penser aujourd’hui sous un même registre les luttes à Notre Dame des Landes, les grèves à Amazon, IKEA, les révoltes urbaines, ou encore les grèves parmi les travailleurs de Uber ? Dans ce texte, Vittorio Aureli propose d’analyser ces mouvements à travers l’histoire longue de la métropole capitaliste, son architecture, et le concept opéraïste de l’usine sociale. Faisant résonner Tronti avec Tafuri, l’auteur trace une généalogie des dispositifs de pouvoir de la ville moderne depuis la Renaissance et la révolte des Ciompi. Il éclaire ainsi combien les résistances à l’emprise du capital engendrent de nouveaux maillages territoriaux et de nouveaux processus disciplinaires, de l’urbanisme florentin post-médiéval à la logistique moderne.

    http://revueperiode.net/retour-de-lusine-le-territoire-larchitecture-les-ouvriers-et-le-capita

    #mouvement_ouvrier #usine #classe_ouvrière #travail_matériel #travail_immatériel #marxisme #opéraïsme #Tronti #architecture

  • Sous les pavés, #Le_Capital : Le problème du travail dans l’opéraïsme et la Neue Marx-Lektüre
    http://revueperiode.net/sous-les-paves-le-capital-le-probleme-du-travail-dans-loperaisme-et-la

    Lire Le Capital n’a jamais été un exercice exclusivement théorique. Chaque époque y cherche les moyens de prendre la mesure des transformations sociales qui l’ont traversé. Après 1968, explique ainsi Laurent Baronian, c’est la question de la centralité politique du travail qui a retenu l’attention de l’opéraïsme et de la Neue Marx-Lektüre : faut-il faire du travail le principe de toute rupture avec l’état de chose existant ou l’activité par laquelle se reproduit l’aliénation marchande ? Exposant avec brio ces deux perspectives, Laurent Baronian conclut à leur unilatéralité. Dans les deux cas, soutient-il en effet, on rate la spécificité de la forme que prend le travail vivant dans le capitalisme, où l’activité n’est socialisée que par l’échange. Au-delà de la marxologie, c’est le caractère explosif de cette (...)

    #Uncategorized #Neue_Marx_Lektüre #opéraïsme

  • Réification et antagonisme. L’opéraïsme, la #Théorie_Critique et les apories du « marxisme autonome »
    http://revueperiode.net/reification-et-antagonisme-loperaisme-la-theorie-critique-et-les-apori

    L’opéraïsme et la Théorie critique francfortoise ne représentent pas seulement deux des tentatives les plus stimulantes de relance du projet marxien de « critique de l’économie politique » dans les années 1960, ils constituent également les deux sources d’inspiration principales du « marxisme autonome ». Pourtant, les divergences comme les points de rencontre de ces deux traditions sont rarement étudiés pour eux-mêmes. Pour Vincent Chanson et Frédéric Monferrand, c’est du point de vue d’une théorie du capitalisme qu’une telle étude peut être menée. De Panzieri à Adorno et de Pollock à Tronti se dessine en effet un même diagnostic sur le devenir-totalitaire du capital. Mais la question de savoir quelles pratiques opposer à ce processus dessine quant à elle une alternative au sein de cette constellation : là où (...)

    #Uncategorized #opéraïsme

  • Deux conférences avec Morgane Merteuil à Genève :
    Ce soir :
    https://ladecadanse.darksite.ch/evenement.php?idE=115700&tri_agenda=dateAjout&courant=2016-10-1

    À partir du dialogue entre l’extrême gauche italienne des années 70 et le mouvement féministe qui en est issu, Morgane Merteuil propose de revenir sur les grands concepts développés alors (refus du travail, usine sociale, recomposition de classe, etc.) afin de penser les perspectives de luttes à mener aujourd’hui.

    Morgane Merteuil est une militante féministe. Elle a été porte-parole du Syndicat du Travail Sexuel (STRASS) et est membre du comité éditorial de la revue Période.

    Et demain soir : https://renverse.co/Geneve-Les-travailleuses-du-sexe-contre-le-travail-806

    Entre moralisme et misogynie, les syndicats et la plupart des mouvements féministes échouent aujourd’hui à créer une solidarité effective avec les travailleuses du sexe et même à formuler un discours intelligent quant à la question. Morgane Merteuil, militante féministe, nous parlera des luttes des travailleuses du sexe en France alors que la loi sur la pénalisation des clients vient d’entrer en vigueur, que les pratiques policières et pénales en matière de migration se font plus violentes que jamais et que le pays vibre au rythme de la contestation contre la loi travail.

    https://renverse.co/home/chroot_ml/ml-geneve/ml-geneve/public_html/local/cache-vignettes/L614xH869/14650223_1321467254530285_532456361537583052_n-f6131.jpg?1476347463

    #communisme #opéraïsme #féminisme

  • Guerres et capital, Éric Alliez, Maurizio Lazzarato
    http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=8322

    1. Nous vivons dans le temps de la subjectivation des guerres civiles. Nous ne sortons pas de la période du triomphe du marché, des automatismes de la gouvernementalité et de la dépolitisation de l’économie de la dette pour retrouver l’époque des « conceptions du monde » et de leurs affrontements mais pour entrer dans l’ère de la construction des nouvelles machines de guerre.

    2. Le capitalisme et le libéralisme portent les guerres en leur sein comme les nuages portent la tempête. Si la financiarisation de la fin du xixe siècle et du début du xxe a conduit à la guerre totale et à la Révolution russe, à la crise de 1929 et aux guerres civiles européennes, la financiarisation contemporaine pilote la guerre civile globale en commandant à toutes ses polarisations.

    3. Depuis 2011, ce sont les multiples formes de subjectivation des guerres civiles qui modifient profondément à la fois la sémiologie du capital et la pragmatique des luttes s’opposant aux mille pouvoirs de la guerre comme cadre permanent de la vie. Du côté des expérimentations des machines anticapitalistes, Occupy Wall Street aux USA, les Indignés en Espagne, les luttes étudiantes au Chili et au Québec, la Grèce en 2015 se battent à armes inégales contre l’économie de la dette et les politiques d’austérité. Les « printemps arabes », les grandes manifestations de 2013 au Brésil et les affrontements autour du parc Gezi en Turquie font circuler les mêmes mots d’ordre et de désordre dans tous les Suds. Nuit Debout en France est le dernier rebondissement d’un cycle de luttes et d’occupations qui avait peut-être commencé sur la place Tiananmen en 1989. Du côté du pouvoir, le néolibéralisme, pour mieux pousser les feux de ses politiques économiques prédatrices, promeut une postdémocratie autoritaire et policière gérée par les techniciens du marché, tandis que les nouvelles droites (ou « droites fortes ») déclarent la guerre à l’étranger, à l’immigré, au musulman et aux underclass au seul profit des extrêmes-droites « dédiabolisées ». C’est à celles-ci qu’il revient de s’installer ouvertement sur le terrain des guerres civiles qu’elles subjectivent en relançant une guerre raciale de classe. L’hégémonie néofasciste sur les processus de subjectivation est encore confirmée par la reprise de la guerre contre l’autonomie des femmes et les devenirs-mineur de la sexualité (en France, la « Manif pour tous ») comme extension du domaine endocolonial de la guerre civile.
    À l’ère de la déterritorialisation sans limite de Thatcher et Reagan succède la reterritorialisation raciste, nationaliste, sexiste et xéno- phobe de Trump qui a d’ores et déjà pris la tête de tous les nouveaux fascismes. Le Rêve américain s’est transformé en cauchemar d’une planète insomniaque.