L’ouverture de la frontière a créé un appel d’air pour les familles fuyant le régime répressif d’Asmara
Teddy (le prénom a été modifié) est sur le départ. Ce jeune Erythréen à peine majeur n’a qu’une envie : rejoindre son père aux Etats-Unis. Originaire d’Asmara, la capitale, il a traversé la frontière « le plus vite possible »quand le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, et le président érythréen, Isaias Afwerki, ont décidé de la démilitariser et de l’ouvrir, le 11 septembre.
Cette mesure a donné le signal du départ pour sa famille, qui compte désormais sur la procédure de regroupement familial pour parvenir outre-Atlantique. Ce matin de fin octobre, sa mère et ses trois frères patientent à Zalambessa, ville frontière côté éthiopien, comme 700 autres Erythréens répartis dans 13 autobus en partance pour le centre de réception d’Endabaguna, à environ 200 km à l’ouest, la première étape avant les camps de réfugiés.
L’ouverture de la frontière a permis aux deux peuples de renouer des relations commerciales. Mais elle a aussi créé un appel d’air, entraînant un afflux massif de migrants en Ethiopie. Selon des chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), près de 15 000 Erythréens ont traversé la frontière les trois premières semaines.
« Là-bas, il n’y a plus de jeunes »
Certains d’entre eux sont simplement venus acheter des vivres et des marchandises ou retrouver des proches perdus de vue depuis la guerre. Mais la plupart ont l’intention de rester. « Je n’ai pas envie de rentrer à Asmara. Là-bas, il n’y a plus de jeunes : soit ils sont partis, soit ils sont morts en mer, soit ils sont ici »,poursuit Teddy.
Chaque année, des milliers d’Erythréens fuient leur pays, depuis longtemps critiqué par les organisations de défense des droits humains pour le recours à la détention arbitraire, la disparition d’opposants et la restriction des libertés d’expression et de religion. La perspective d’être enrôlé à vie dans un service militaire obligatoire, jusque-là justifié par la menace du voisin éthiopien, a poussé une grande partie de la jeunesse sur la route de l’exil. Pour l’heure, l’accord de paix entre les deux pays n’a pas fait changer d’avis les candidats au départ, au contraire.
Depuis plusieurs semaines, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) fait des allers-retours entre le centre d’Endabaguna et Zalambessa et Rama, les principaux points de passage grâce auxquels la grande majorité des nouveaux arrivants – surtout des femmes et des enfants – traversent la frontière. « L’affluence ne tarit pas », explique un humanitaire. Près de 320 personnes franchiraient la frontière quotidiennement, soit six fois plus qu’avant. Côté érythréen, les militaires tiennent un registre des départs, mais le contrôle s’arrête là.
Après leur enregistrement au centre d’Endabaguna, les migrants seront répartis dans des camps. Plus de 14 000 nouveaux arrivants ont été recensés depuis l’ouverture de la frontière. « L’un des camps est saturé », confie le même humanitaire. Quant au HCR, il juge la situation « critique ». Cette nouvelle donne risque d’accentuer la pression sur l’Ethiopie, qui compte déjà près d’un million de réfugiés, dont plus de 175 000 Erythréens et voit augmenter le nombre de déplacés internes : ceux-ci sont environ 2,8 millions à travers le pays.
Si la visite du premier ministre éthiopien à Paris, Berlin et Francfort, du lundi 29 au mercredi 31 octobre, se voulait à dominante économique, la lancinante question migratoire a forcément plané sur les discussions. Et l’Europe, qui cherche à éviter les sorties du continent africain, a trouvé en Abiy Ahmed un allié, puisque l’Ethiopie prévoit d’intégrer davantage les réfugiés en leur accordant bientôt des permis de travail et des licences commerciales. C’est l’un des objectifs du « cadre d’action globale pour les réfugiés » imaginé par les Nations unies. Addis-Abeba doit confier à cette population déracinée une partie des 100 000 emplois créés dans de nouveaux parcs industriels construits grâce à un prêt de la Banque européenne d’investissement et aux subventions du Royaume-Uni et de la Banque mondiale.
En attendant, à Zalambessa, les nouveaux arrivants devront passer une ou plusieurs nuits dans un refuge de fortune en tôle, près de la gare routière. Ils sont des centaines à y dormir. Adiat et Feruz viennent de déposer leurs gros sacs. Autour d’elles, des migrants s’enregistrent pour ne pas rater les prochains bus. « Notre pays est en train de se vider. Dans mon village, il n’y a plus personne », lâche Feruz, qui rappelle que beaucoup d’Erythréens sont partis avant l’ouverture de la frontière, illégalement. Elle se dit prête à sacrifier une ou deux années dans un camp de réfugiés avant d’obtenir, peut-être, le droit d’aller vivre en Europe, son rêve.
–-> Ahh ! J’adore évidemment l’expression « appel d’air » (arrghhhh)... Et l’afflux...