Il y a eu l’affaire Barroso, président de la Commission européenne pendant dix ans recruté cet été par la banque d’affaires américaine Goldman Sachs ; puis le scandale lié à la société offshore de l’ex-commissaire Neelie Kroes, révélé par les « Bahamas Leaks ».
Bruxelles doit désormais composer avec les écarts de langage et de comportement de Günther Oettinger, le commissaire allemand à l’économie numérique. Et le malaise est d’autant plus grand autour de la place Schuman, le centre névralgique des institutions européennes, qu’une fois de plus, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, tarde à réagir.
M. Oettinger, homme politique anciennement élu du Bade Wurtemberg et membre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), a déjà défrayé la chronique fin octobre en tenant des propos déplacés à propos des Chinois. Lors d’un discours devant des chefs d’entreprise allemands, secrètement enregistré, il les a qualifiés de « bridés » et a raconté avoir reçu des ministres de la République populaire tous « peignés de gauche à droite avec du cirage noir ».
Mardi 15 novembre, à la suite des révélations du site EUobserver, M. Oettinger a aussi reconnu avoir emprunté, en mai, le jet privé d’un homme d’affaires allemand, Klaus Mangold, considéré comme un proche de Moscou, pour se rendre à un dîner avec le premier ministre hongrois Viktor Orban. Le commissaire s’est justifié en expliquant que le vol lui avait été suggéré par le gouvernement hongrois, car il ne pouvait pas prendre l’avion initialement prévu pour arriver à l’heure.
Portefeuille stratégique du budget
A chaque fois, la direction de la Commission a volé au secours de M. Oettinger, même si ce dernier a dû platement présenter ses excuses à la Chine après des réactions officielles de Pékin.
Jeudi 17 novembre, Margaritis Schinas, chef des porte-parole de la Commission, soulignait que M. Oettinger n’a pas violé le code de conduite des commissaires. Ces derniers sont censés refuser tout cadeau supérieur à 150 euros. « Le vol n’est pas un cadeau mais un moyen de déplacement offert par le gouvernement hongrois. » Et « oui », M. Oettinger conserve toujours la confiance de M. Juncker, a précisé M. Schinas.
Le cas Oettinger n’a pas été évoqué lors du collège hebdomadaire des commissaires, mercredi 16 novembre, et M. Juncker n’en a pas non plus profité pour soumettre à ses collègues la réforme du code de conduite qu’il avait pourtant dit vouloir leur proposer dans une interview au quotidien belge Le Soir, début novembre.
Cette réforme, visant à faire passer de dix-huit à trente-six mois la période durant laquelle les ex-commissaires doivent obtenir l’aval d’un comité d’éthique pour accepter un nouveau poste, était pourtant prévue à l’agenda. « L’ordre du jour était trop chargé », faisait savoir la Commission, jeudi.
Les écarts du commissaire allemand sont d’autant plus problématiques que ce dernier a été choisi pour récupérer, outre le numérique, le portefeuille stratégique du budget européen (près de 150 milliards d’euros annuels), la commissaire chargée de ce dossier, la Bulgare Kristalina Georgieva, ayant récemment annoncé sa démission.
Climat de plus en plus crépusculaire
L’inaction de M. Juncker face à l’accumulation des affaires alimente les fantasmes : parmi eux, le fait que M. Oettinger soit le commissaire allemand, donc intouchable. Elle contribue au climat de plus en plus crépusculaire qui règne au sein des institutions européennes, ébranlées par le Brexit, démoralisées par l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche et par la vague populiste et europhobe qui menace l’Europe.
« Dans ce contexte, nous nous devons d’être irréprochables, quand on est la Commission de la dernière chance, comme disait Juncker au début de son mandat, on fait super-gaffe », déplorait, mercredi, un des initiateurs de la pétition « anti-Barroso » de l’été, fonctionnaire européen préférant rester anonyme. Lui et des collègues ont décidé de ne pas lâcher l’affaire : ils réclament un durcissement du code de conduite des commissaires.
Au Parlement européen, la « campagne » anti-Oettinger bat déjà son plein, une partie des élus étant résolus à ne pas lui faire de cadeau. « Il y a urgence à renvoyer M. Oettinger à pied, à cheval ou à dos d’âne, soulignent les élus socialistes français dans un communiqué jeudi. Sa candidature à une promotion au sein de la Commission Juncker est incompréhensible. Elle fera l’objet d’une audition par le Parlement qui débouchera sur un vote. Nous prendrons nos responsabilités… »