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  • "La laïcité garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs convictions." | CCIF - Collectif contre l’Islamophobie en France
    http://www.islamophobie.net/articles/2016/01/06/nicolas-cadene-observatoire-laicite-interview

    Face à certains polémistes qui voudraient dévoyer le sens premier de la laïcité tel qu’établie dans la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, nous avons contacté ce matin M. Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité afin de clarifier l’acceptation juridique de ce principe :

    La vision de la laïcité consistant à croire que l’opinion religieuse individuelle de chacun doit disparaître du champ de l’expression publique ne menace t-elle pas le vivre ensemble ?

    Il est clair que, juridiquement, cette définition de la laïcité n’est pas exacte. La laïcité garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs convictions. C’est en posant ce cadre qui permet à chacun de s’exprimer, dans le respect mutuel et dans le cadre de la loi, que l’on assure le vivre ensemble. Seuls ceux qui exercent une mission de service publique doivent être neutres, parce qu’ils doivent ainsi assurer l’égalité des citoyens face au service public, quelles que soient leurs convictions ou croyances. Concernant les élèves des écoles, collèges et lycées publics, il leur est demandé depuis 2004 de ne pas porter de signes ou de tenues « manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ». Cette loi a été justifiée par la nécessité de préserver les enfants de pressions qu’ils subiraient dans l’acquisition des bases du savoir afin qu’ils puissent ensuite faire librement leurs choix. C’est d’ailleurs pourquoi la Commission Stasi avait rappelé que cette loi n’a pas vocation à s’appliquer à l’université.

    Quel serait le lien entre la défense de la laïcité et la revendication du droit à être islamophobe, selon la définition de la laïcité défendue par l’Observatoire de la Laïcité ?

    Si on entend par « islamophobie » les actes antimusulmans, il n’y a évidemment aucun lien. Si on entend par « islamophobie », le droit de critiquer la religion, cela est bien sûr possible (comme l’on peut critiquer toute idée ou conviction) mais dans le cadre de la loi. La liberté d’expression est garantie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et est à préserver. Mais elle comporte des limites : l’injure, la diffamation et la provocation à la haine raciale, à la discrimination ou à la violence envers des personnes ou des groupes de personnes.

    Est-ce être contre la laïcité que d’exercer son droit individuel de ne pas aimer telle ou telle production journalistique ou artistique ?

    Non bien sûr. Là encore, dans le cadre de la liberté d’expression, chacun a parfaitement le droit de faire part de son désaccord sur telle ou telle ligne éditoriale ou œuvre artistique. Mais avec les mêmes limites que celles rappelées préalablement.

    Quelles seraient les recommandations de l’Observatoire de la laïcité pour que ce principe recouvre son sens premier et redevienne une valeur inclusive respectueuse du vivre-ensemble ?

    Nous avons besoin d’un gigantesque plan de formation à la laïcité, pour les acteurs de terrain, les associations, les fonctionnaires, mais aussi pour les élus et les journalistes. L’Observatoire de la laïcité se veut pédagogue, en apportant des réponses concrètes aux problèmes qui peuvent se poser et en éliminant certaines confusions. Une de nos premières tâches a donc été d’éditer des guides pratiques qui expliquent comment répondre à des problématiques de terrain en lien avec le fait religieux et la laïcité (consultables sur www.laicite.gouv.fr). Par ailleurs, il faut que les médias parlent davantage de ce qui marche, et prennent du recul dans le traitement de ces questions.

    N’y a t-il pas nécessité d’un débat clair sur cette question sujet à clivage actuellement dans notre société ? Si oui, avec quels acteurs ?

    Oui, bien sûr. On constate d’ailleurs, et c’est une bonne chose, le besoin pour beaucoup de se réapproprier ce principe de laïcité. Il faut donc multiplier les débats partout dans la société et bien sûr dans les médias de masse. En y associant les acteurs de terrains, les associations, les mouvements d’éducation populaires, les élus, les cultes, les obédiences maçonniques, bref tous ceux qui ont des choses à dire à ce sujet. Mais, ce qui est important, c’est de garder la « tête froide » sur ces sujets et de dépassionner le débat.

  • "La laïcité garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs convictions." CCIF

    http://www.islamophobie.net/articles/2016/01/06/nicolas-cadene-observatoire-laicite-interview

    Face à certains polémistes qui voudraient dévoyer le sens premier de la laïcité tel qu’établie dans la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, nous avons contacté ce matin M. Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité afin de clarifier l’acceptation juridique de ce principe :

    La vision de la laïcité consistant à croire que l’opinion religieuse individuelle de chacun doit disparaître du champ de l’expression publique ne menace t-elle pas le vivre ensemble ?

    Il est clair que, juridiquement, cette définition de la laïcité n’est pas exacte. La laïcité garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs convictions. C’est en posant ce cadre qui permet à chacun de s’exprimer, dans le respect mutuel et dans le cadre de la loi, que l’on assure le vivre ensemble. Seuls ceux qui exercent une mission de service publique doivent être neutres, parce qu’ils doivent ainsi assurer l’égalité des citoyens face au service public, quelles que soient leurs convictions ou croyances. Concernant les élèves des écoles, collèges et lycées publics, il leur est demandé depuis 2004 de ne pas porter de signes ou de tenues « manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ». Cette loi a été justifiée par la nécessité de préserver les enfants de pressions qu’ils subiraient dans l’acquisition des bases du savoir afin qu’ils puissent ensuite faire librement leurs choix. C’est d’ailleurs pourquoi la Commission Stasi avait rappelé que cette loi n’a pas vocation à s’appliquer à l’université.

    Quel serait le lien entre la défense de la laïcité et la revendication du droit à être islamophobe, selon la définition de la laïcité défendue par l’Observatoire de la Laïcité ?

    Si on entend par « islamophobie » les actes antimusulmans, il n’y a évidemment aucun lien. Si on entend par « islamophobie », le droit de critiquer la religion, cela est bien sûr possible (comme l’on peut critiquer toute idée ou conviction) mais dans le cadre de la loi. La liberté d’expression est garantie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et est à préserver. Mais elle comporte des limites : l’injure, la diffamation et la provocation à la haine raciale, à la discrimination ou à la violence envers des personnes ou des groupes de personnes.

    Est-ce être contre la laïcité que d’exercer son droit individuel de ne pas aimer telle ou telle production journalistique ou artistique ?

    Non bien sûr. Là encore, dans le cadre de la liberté d’expression, chacun a parfaitement le droit de faire part de son désaccord sur telle ou telle ligne éditoriale ou œuvre artistique. Mais avec les mêmes limites que celles rappelées préalablement.

    Quelles seraient les recommandations de l’Observatoire de la laïcité pour que ce principe recouvre son sens premier et redevienne une valeur inclusive respectueuse du vivre-ensemble ?

    Nous avons besoin d’un gigantesque plan de formation à la laïcité, pour les acteurs de terrain, les associations, les fonctionnaires, mais aussi pour les élus et les journalistes. L’Observatoire de la laïcité se veut pédagogue, en apportant des réponses concrètes aux problèmes qui peuvent se poser et en éliminant certaines confusions. Une de nos premières tâches a donc été d’éditer des guides pratiques qui expliquent comment répondre à des problématiques de terrain en lien avec le fait religieux et la laïcité (consultables sur www.laicite.gouv.fr). Par ailleurs, il faut que les médias parlent davantage de ce qui marche, et prennent du recul dans le traitement de ces questions.

    N’y a t-il pas nécessité d’un débat clair sur cette question sujet à clivage actuellement dans notre société ? Si oui, avec quels acteurs ?

    Oui, bien sûr. On constate d’ailleurs, et c’est une bonne chose, le besoin pour beaucoup de se réapproprier ce principe de laïcité. Il faut donc multiplier les débats partout dans la société et bien sûr dans les médias de masse. En y associant les acteurs de terrains, les associations, les mouvements d’éducation populaires, les élus, les cultes, les obédiences maçonniques, bref tous ceux qui ont des choses à dire à ce sujet. Mais, ce qui est important, c’est de garder la « tête froide » sur ces sujets et de dépassionner le débat.

  • Une islamophobie « à la française » : les faits et les mots

    À l’instar des autres pays de l’Union européenne, la France a vécu ces dernières années le développement de « courants islamophobes », qui se sont manifestés dans divers secteurs de la société. Toutefois, force est d’admettre que, si ces courants ont pu être amplifiés – voire légitimés – par les événements du 11 septembre, non seulement ils préexistaient aux attentats de New York mais se sont de plus poursuivis bien au-delà de cette zone de turbulences. De janvier 2001 à juin 2004, on a pu ainsi recenser une vingtaine d’attaques de salles de prière musulmane et de mosquées, allant du simple jet de peinture bleu-blanc-rouge sur la façade (Grande mosquée de Lyon) à l’incendie ou tentative d’incendie volontaire (Dunkerque, Pré-Saint-Gervais, Alès-la-Grande-Combe, Belley, Annecy, Alençon, Rillieux-la-Pape, Montpellier, Strasbourg...), en passant par des jets de cocktail Molotov (Saint-Étienne, Escaudain, Châlons-en-Champagne, etc.) et l’envoi de colis piégés aux responsables associatifs musulmans, comme par exemple à Perpignan. Simultanément, on a vu se multiplier des actes de profanation des tombes musulmanes dans les cimetières civils et militaires (Haguenau, Strasbourg, Thiais et Marseille), alors que jusqu’à récemment ce type d’actes racistes ne concernait presque qu’exclusivement les sépultures israélites. Enfin, dans certaines régions, comme l’Alsace, les attaques contre des commerces privés, identifiés à tort ou à raison comme « islamiques » (boucheries halal, épiceries orientales...), ne sont désormais plus rares.

    À ces attaques contre les bâtiments, les sépultures et les commerces dits « musulmans », se sont ajoutées, depuis l’automne 2004, de nombreuses agressions contre les personnes physiques et plus particulièrement contre des jeunes filles portant le foulard islamique (hijeb) dans des lieux publics (rues, postes, supermarchés, services sociaux...). L’islamophobie « à la française » a parfois emprunté le langage d’une hijebophobie radicale, se réfugiant derrière les valeurs de la laïcité et de l’égalité hommes-femmes. Le hijeb tend à être identifié par une majorité d’acteurs de la société française (médias, hommes politiques, intellectuels, enseignants, citoyens ordinaires...), comme l’expression d’une islamité menaçante et le symbole d’un nouveau fondamentalisme musulman qui mettrait en danger les valeurs laïques et républicaines :

    « Aujourd’hui la République, sous la pression d’un islamisme fondamentaliste, est à nouveau convoquée à affronter le fait religieux. Là encore la voie républicaine est claire : il faut exiger de l’islam qu’il renonce à s’emparer du corps politique (qui doit rester laïque) et qu’il reflue vers la société civile. »

    De ce fait, le foulard islamique est moins traité comme un signe de pudeur féminine ou comme la volonté de femmes musulmanes de vivre « librement » leur spiritualité au sein d’une société sécularisée que comme un danger social et un problème sécuritaire. Les jeunes filles ou les femmes portant le hijeb sont de plus en plus perçues comme des délinquantes, nécessitant un traitement sécuritaire particulier.

    Il existe une tendance dans la société française à criminaliser les porteuses de hijeb : avant 2003-2004, c’étaient surtout les garçons d’origine arabe, turque ou africaine qui étaient victimes du « racisme anti-musulman » ; depuis les débats récents autour de l’interdiction du voile, les filles et les femmes au hijeb rejoignent les cohortes de « mâles » dans les nouvelles catégories délinquantes et criminalisantes.

    À ce titre, les retombées indirectes des débats médiatiques sur l’interdiction du foulard islamique à l’école (mise en place de la Commission Stasi en juillet 2003) nous paraissent avoir joué un rôle beaucoup plus significatif dans la facilitation de l’islamophobie « à la française » que les effets collatéraux du terrorisme international (New York, Karachi, Madrid...), même si les deux phénomènes sont intrinsèquement liés dans les imaginaires. De ce point de vue, le « cas français » se distinguerait des autres États européens par une islamophobie davantage « idéologique », voire « intellectuelle » : les leaders d’opinion (journalistes, éditorialistes, écrivains, essayistes et experts) sont les principaux vecteurs d’une islamophobie latente qui se réfugient derrière le droit à la critique des religions et la liberté de pensée pour véhiculer des représentations stigmatisantes à l’égard de l’islam et des musulmans.

    En somme, l’islamophobie « à la française » trouve des relais chez certaines élites, la légitimant auprès des différents groupes sociaux et favorisant ainsi une libération et une banalisation de la parole islamophobe. Force est d’admettre, qu’à côté des organisations d’extrême droite qui ont en quelque sorte « islamisé » leurs mots d’ordre racistes (de la figure de l’immigré à celle du musulman), ce sont principalement les associations appartenant à la nébuleuse laïciste (Union des familles laïques, Laïcité-République, Res Republica, Mouvement des Maghrébins laïques de France...) qui ont contribué à diffuser l’image de peur d’une « France en danger d’islam ». Au-delà de leurs principes généreux et universels, elles sont porteuses d’un discours « national-laïciste » prenant appui sur l’image d’une « pureté française », qui serait aujourd’hui menacée par les communautarismes en général et le communautarisme musulman en particulier. En définitive, ces organisations laïcistes aboutissent à fétichiser et à essentialiser le « modèle républicain français. » Sur ce plan, nous rejoignons l’analyse du philosophe Pierre Tévanian, selon laquelle l’islamophobie en France serait d’abord l’expression d’un racisme de type « culturaliste » (et non biologique), la religion musulmane étant majoritairement perçue moins comme une spiritualité à part entière mais d’abord comme une « culture totalisante » porteuse de danger (vision essentialiste) :

    « De la confusion entre les situations française, algérienne, afghane ou iranienne aux amalgames entre voile et viol, en passant par des généralisations racistes sur “l’arrogance” ou “la sexualité des garçons musulmans”, sans parler des propos orduriers (“le foulard c’est de la merde”, “les filles voilées sont des putes”) ou des injures adressées aux collègues opposés à l’interdiction [du voile], les poncifs les plus grossiers et les plus violents ont été repris. Il faut se rendre à l’évidence : il existe en France un racisme culturaliste, visant les descendants des colonisés, et prenant pour principal prétexte leur référence musulmane, et ce racisme atteint les milieux “éduqués”..., autant que les autres . »

    Cette « peur française » de l’islam plonge, en grande partie, ses racines dans l’ambivalence d’une certaine pensée universaliste. Aujourd’hui, nous n’avons toujours pas surmonté ce complexe de pureté républicaine à l’égard du fait musulman. C’est bien au nom de la prétendue supériorité et universalité du « modèle républicain français » que nous estimons avoir à l’égard des musulmans une mission émancipatrice et un devoir de régénérescence du corps national : il faut guider les musulmans, en les incitant à se détacher progressivement de leur « esprit communautaire » (la Umma), les aider à devenir de « bons citoyens », en respectant certes, leur foi, leurs croyances et leurs pratiques mais, dans les limites d’un seuil d’islamité tolérable par notre société laïque et républicaine. Nous retrouvons là la théorie de l’assimilation progressive, évoquée par Charles-Robert Ageron à propos du traitement de l’islam au temps de l’Algérie coloniale. En somme, un « bon musulman » est un musulman qui n’est plus musulman, un « musulman sur-mesure », « un musulman sans bruit et sans odeur ». Une belle mosquée est « une mosquée sans minaret, discrète et quasiment invisible ». Une « femme musulmane émancipée » est une fille qui se plaint de la violence de son père, de ses frères et de ses cousins, et qui fait le tour de France en scandant « halte aux soldates du fascisme vert !80 ». C’est cette pression normative et permanente « sur » les musulmans ou les groupes d’individus perçus comme tels qui constitue, selon nous, le ressort principal d’une « islamophobie à la française ».

    Vincent Geisser

    http://books.openedition.org/editionscnrs/2871#bodyftn24