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  • Projet » Les pauvres : victimes ou coupables ?
    http://www.revue-projet.com/articles/2014-05-defraigne-tardieu-les-pauvres-victimes-ou-coupables

    Les pauvres, victimes du fonctionnement de la société ? Ils ne ressentent pas le besoin d’être reconnus comme tels : ils se sentent coupables. L’Université populaire Quart Monde leur offre un lieu de réflexion pour ouvrir le chemin d’une libération.

    Les personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté sont, selon certains, les victimes du fonctionnement de la société. Souvent exclues et rejetées, elles doivent vivre ou survivre en étant privées de l’accès aux droits fondamentaux (logement, protection médicale, éducation, formation, revenu, participation sociale…). Elles sont, de plus, jugées coupables de leur sort. Si elles se sentent personnellement persécutées par les circonstances humiliantes qu’elles vivent, elles les prennent comme des malchances personnelles et intègrent ce sentiment de culpabilité. La pauvreté n’est pas créatrice de valeurs propres, mais elle introduit dans une perpétuelle improvisation. Elle force à s’installer dans une condition qui limite les aspirations à la survie au niveau le plus élémentaire.

    Le pauvre est une honte, il gêne dans le processus du travail, son enfant gêne l’école, il ne vote pas (ou mal), il est un poids pour le budget de l’aide sociale. Il n’a aucun rôle, ni individuel, ni collectif. Le peu d’aide matérielle ou sociale qu’on lui consent ne favorise pas sa promotion. « Ce cercle ne sera brisé que dans la mesure où la société établira avec les couches sociales sous-privilégiées des rapports humains d’une nouvelle qualité », conclut Wresinski[1].
    Inventer de nouveaux rapports humains

    Toutes les actions du Mouvement ATD Quart Monde sont conçues pour créer de nouveaux rapports sociaux : des rapports humains au cœur desquels se trouvent les personnes d’ordinaire rejetées et méprisées. Ainsi, l’Université populaire Quart Monde se veut un lieu d’expression collective où s’opère un renversement total des relations sociales, des relations de pouvoir liées aux savoirs. De façon inattendue, incongrue, elle consiste à demander aux personnes qui vivent dans la grande pauvreté et l’exclusion de contribuer par leur expérience et leur réflexion à une compréhension du monde incluant leur apport.

    Les savoirs d’expérience des plus pauvres sont très utiles pour comprendre les dysfonctionnements de la société et tenter d’y remédier.

    Elles ont souvent connu des déboires à l’école, elles sont supposées dépourvues de savoirs. Or s’intéresser à leur expérience de vie et les amener à y réfléchir est une démarche très fructueuse. Elle leur permet de construire des savoirs d’expérience, de les transmettre, de se remettre à apprendre. Ces savoirs d’expérience sont très utiles pour comprendre les dysfonctionnements de la société, le non-accès aux droits fondamentaux, et pour tenter d’y remédier. Ce travail de fond, accompli depuis de nombreuses années, produit des savoirs émancipateurs essentiels à la lutte contre la grande pauvreté.
    Un engagement commun

    Pourquoi des personnes entreraient-elles dans cette démarche ? Leur condition de pauvres et d’« assistés » les oblige, le plus souvent, à raconter leur vie, à étaler leurs malheurs pour « mériter » de l’aide, voire simplement pour accéder à leurs droits. À l’Université populaire, rien de tel. Les personnes s’engagent petit à petit dans une relation d’égal à égal avec l’entourage, elles perçoivent clairement que tous les participants ont part au combat pour le respect et les droits de tous. Les personnes pauvres sont sollicitées pour entrer dans ce combat. L’Université populaire veut offrir les conditions nécessaires à cette expression d’abord personnelle, puis collective. Cet espace de rencontre, de réflexion partagée, est bâti par et pour les personnes qui vivent dans la grande pauvreté, mais il réunit aussi des citoyens qui appartiennent à des milieux socio-économiques différents et veulent lutter contre la grande pauvreté.

    Pendant deux heures, une centaine de personnes dialoguent ainsi. Leur apport, réfléchi au préalable au sein de groupes locaux de préparation, touche à des thèmes précis, en présence d’un invité ayant une expertise particulière (juge, médecin, philosophe…). Un réseau de membres qui ont une grande proximité avec les personnes défavorisées permet d’animer avec elles les petits groupes de préparation, dans un lieu proche de leur habitation (cité, caravane, squat…)[2].
    Sans préalable ni contrepartie

    Le pari est de s’adresser à des personnes qui ont très peu bénéficié de l’éducation formelle, qui ont quitté le système scolaire sans avoir acquis les outils de base nécessaires : elles ont donc un autre rapport au savoir : « J’ai peu appris à l’école car je n’avais pas l’esprit à ça. »[3] Elles ont des capacités qui n’ont pas été mises en valeur. Car non seulement elles n’ont pas bénéficié de formation, mais elles en ont une expérience négative. Pourtant s’il y a de fortes corrélations entre le milieu socioculturel et l’absence de formation qualifiante, il n’y a pas de causalité inéluctable entre grande pauvreté et non-savoir.

    Certes, il faut prendre en compte la réalité : les non-savoirs, les blocages, les blessures, le rejet, la honte et la culpabilité de sa propre misère. « On a peur de parler quand on est moins instruit. On a peur d’être rejeté parce que certaines personnes sont plus instruites que nous. » Mais la réponse passe par la création de liens. « La personne qui a eu des difficultés est sauvage. C’est dur d’apprivoiser quelqu’un d’autre. Il faut prendre étape par étape. »

    « La personne qui a eu des difficultés est sauvage. C’est dur d’apprivoiser quelqu’un d’autre. Il faut prendre étape par étape. »

    Pour bâtir cette qualité de relation, une éthique est nécessaire : la reconnaissance de la dignité de chacun. « Vous ne regardez pas la personne dans sa détresse, vous regardez l’être humain en face de vous. » L’égalité est respectée : « On est tous sur le même piédestal, on est tous égaux… ». La culpabilité est récusée : « Je pensais que la misère, c’était de ma faute… » « J’ai été très surprise de voir les gens qui écoutaient ce que je disais et même d’entendre les réponses qui m’étaient faites. Aucun jugement n’était porté sur moi, ça m’a redonné une très grande confiance en moi-même. »

    Le respect de la liberté de chacun est assuré. Personne ne doit se trouver dans une relation de dépendance. « Si je dis : ‘Je suis libre’, c’est qu’avant je n’avais pas le courage de la rencontre, tellement j’avais peur des gens. ».....

    #société
    #pauvreté

    ..La pauvreté n’est pas créatrice de valeurs propres...

    #honte
    #victimes
    #accès-aux-droits

    .....

    #coupables

  • Projet » Pauvreté  : qui sont les vrais experts ?
    http://www.revue-projet.com/articles/2014-02-godinot-pauvrete-qui-sont-les-vrais-experts

    Les politiques de lutte contre la pauvreté, pensées sans les pauvres, se retournent trop souvent contre eux. Fort de ce constat et de sa pédagogie, le Mouvement ATD Quart Monde a voulu imaginer l’après 2015 à partir du savoir, unique, des exclus.

    À l’heure où les Nations unies et la Banque mondiale affirment que l’éradication de l’extrême pauvreté est possible d’ici à 2030, si l’humanité veut bien s’en donner les moyens, il n’est pas inutile de se situer dans une perspective historique longue. Au cours des siècles, la lutte contre la pauvreté s’est bien souvent transformée en lutte acharnée contre les pauvres. Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, formé lui-même à la dure école de la misère, a radicalement renouvelé les perspectives : loin d’être les déchets inévitables de toute société, ceux qu’accable l’extrême pauvreté sont porteurs, affirmait-il, d’une pensée indispensable si nous voulons que nos projets respectent les droits de l’homme. Sur cette approche s’est construit un mouvement social qui permet à de nombreuses personnes de passer de la honte de la misère à la fierté de contribuer à un projet collectif de libération. Il est possible de mettre en œuvre une pédagogie par laquelle « exclus » et « inclus » s’efforcent de co-construire, à égalité, de nouveaux savoirs et de nouvelles pratiques.
    De la lutte contre la pauvreté
    à la lutte contre les pauvres

    En 2012, le Mouvement ATD Quart Monde a ainsi rendu publiques les conclusions d’un vaste projet international de recherche : « La misère est violence, rompre le silence, bâtir la paix »[1]. En voici quelques extraits : « Quand nous nous mettons en situation de comprendre et d’apprendre à partir des personnes qui subissent l’extrême pauvreté, apparaissent de véritables violences faites sur elles, qui vont de pair avec le déni des droits fondamentaux. Les privations matérielles enferment dans la survie ; l’insécurité peut provoquer l’éclatement de la famille ; l’exploitation est telle qu’elle ne laisse aucune chance de développer ses capacités ; les humiliations, l’exclusion et le mépris vont jusqu’à la non-reconnaissance des personnes très pauvres comme êtres humains. »

    Comme le disait une participante péruvienne : « La pire des choses quand on vit dans l’extrême pauvreté, c’est le mépris : on vous traite comme des gens sans valeur, on vous regarde avec dégoût et crainte, et on vous traite même comme des ennemis. Nous et nos enfants en faisons l’expérience tous les jours, ça nous blesse, ça nous humilie et ça nous fait vivre dans la peur et dans la honte. »

    « La pire des choses quand on vit dans l’extrême pauvreté, c’est le mépris. »

    Cette violence imposée aux pauvres n’est pas nouvelle. Elle a toujours coexisté avec des réactions de pitié, alimentée par une peur séculaire, souvent fantasmée, à l’égard de populations prises comme bouc émissaire, réputées dangereuses pour l’ordre, la sécurité, l’hygiène ou les finances publiques. L’historien Bronislaw Geremek a montré combien en Europe, du Moyen-Âge à nos jours, « peu de gens ont manifesté leur révolte face à une politique [à l’égard des pauvres] qui a préféré les potences et les prisons à la charité[2] ». Et le sociologue Robert Castel parlait d’une « législation sanguinaire » des sociétés occidentales à l’égard des vagabonds avant la révolution industrielle et des « misérables » au XIXe siècle, faite de bannissements, d’exécutions capitales, d’enfermements, de travaux forcés, de déportations aux colonies[3]. Ces comportements considérés comme normaux pendant des siècles perdurent de la part de personnes, d’institutions et d’États qui n’ont pas intériorisé la rupture introduite par les droits de l’homme....

    #pauvreté