organization:universal negro improvement association

  • Lexicologie de la blackness

    « Black, Negroes, spades, niggers, colored, Afro-Americans » : à l’instar de tous les mots qui impliquent l’appellation, la définition d’un groupe sujet à des relations de domination anciennes et fortement enracinées, ceux utilisés pour désigner les Noirs, ceux utilisés par les Noirs eux-mêmes pour se désigner sont tributaires de tensions et de phénomènes de réappropriation. Jusque dans les années 1960, le terme Negro est le plus fréquent et considéré comme le moins péjoratif, à l’inverse de Nigger. Le terme sera ainsi utilisé tant par l’administration blanche que par les Noirs et leurs mouvements (Marcus Garvey baptisera ainsi son organisation l’ Universal Negro Improvement Association ). Au cours des années 1960, sous l’influence du mouvement pour les droits civiques, le terme est de moins en moins utilisé et, surtout, utilisé dans un sens différent, en étant souvent opposé à Black dans le langage du mouvement noir. Black, le terme le plus ancien, utilisé très tôt par les colons et les esclavagistes pour parler des Africains, sera peu utilisé par les Afro-Américains eux-mêmes jusqu’aux années 1950-1960. Dans les discours de Martin Luther King, par exemple, Negro(e) demeure largement employé mais son usage renvoie désormais davantage aux situations d’oppression, par opposition à Black chargé de connotations plus positives : le Black man est celui qui a reconquis sa dignité et lutte pour sa liberté. Une opposition que l’on retrouve également chez Malcolm X chez qui le Negro est le « Nègre » soumis, l’« oncle Tom », par opposition là encore au Black. Dans son discours « Message to the grassroots », il opère ainsi une distinction entre « black revolution », un processus d’affirmation autonome qui assume le conflit, et « negro revolution » (« la seule révolution fondée sur l’amour de votre ennemi est la révolution nègre »). Cette opposition est plus explicite encore chez Stokely Carmichael, dans un discours de 1966, précisément sur le Black Power : « Si nous avions dit “negro power” personne n’aurait eu peur. Tout le monde nous aurait soutenus. Si nous disions pouvoir aux gens de couleur (“colored people”) tout le monde y serait favorable, mais c’est bien le mot “black” qui dérange les gens de ce pays, et ça c’est leur problème, pas le mien. » Quant au terme Nigger, il est celui qui a marqué le plus l’infériorisation des Noirs. Outre ses usages racistes blancs plus anciens, il sera employé par les Afro-Américains dans les années 1970 pour établir des distinctions au sein de la communauté noire : le Nigger est le Noir intégré, individualiste. Les Black Panthers utilisaient le terme dans le même sens et parfois aussi pour parler du nationalisme culturel, comme une pose, une caricature de Noir. Plus tard, à partir des années 1990, c’est le hip-hop qui se réappropriera le terme en introduisant sa variante le Nigga. Et ce, pour signifier que les Noirs demeurent des Niggers, des Nègres. Le rappeur Tupac Shakur introduira une nuance entre Nigger et Nigga :« Nigger : un Noir avec une chaîne d’esclave autour du cou / Nigga : un Noir avec une chaîne en or autour du cou ». Nous avons choisi dans cet ouvrage de traduire Negro par « Nègre » lorsqu’il s’agissait de citations antérieures aux années 1960, et par « Noir » ensuite, sauf lorsque le terme est utilisé en opposition à Black, et non comme son simple synonyme. Le terme Nigger a, quant à lui, été traduit par « Nègre » ou « Négro » selon le contexte. Ainsi, s’il s’agit d’un écrit ou d’un discours datant des années 1930, il nous est apparu plus judicieux de traduire « Nigger » par « Négro », pour restituer sa valeur d’insulte, d’infériorisation raciale, puisque « Nègre » était alors le terme le plus courant parmi les Noirs.