• Avec les #étudiants_précaires de Tours : « On n’a jamais vu autant de monde »
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    En cette soirée de mi-novembre, une quinzaine d’#étudiants, sac de courses vides à la main, ont devancé l’ouverture des portes pour la première distribution de #paniers-repas de l’année à l’université de Tours. Avec le sourire, les bénévoles de l’association Les Halles de Rabelais proposent aux arrivants hésitants un café ou un jus d’orange, en même temps que le formulaire d’inscription.

    Chacun calcule avec l’assistante sociale son « #reste-à-vivre », une fois payé le minimum vital : le loyer, les factures, le transport, les courses. Seuls sont qui ont moins de six euros de marge chaque mois peuvent devenir bénéficiaires de l’association, avec un panier gratuit tous les quinze jours, moyennant dix euros d’adhésion par semestre. [rappel, lors de leur création les restos du coeur ne triaient pas la "clientèle", cela ne s’est fait qu’ensuite avec l’affluence de ce l’on appelait alors des "nouveaux pauvres" et la gestion confiée à des managers retraités ou sortis d’école de commerce] .

    Ce soir, les visiteurs qui affluent sont tous dans ce cas. En France, seuls 43 % des étudiants estiment avoir assez d’argent pour couvrir leurs besoins selon les derniers chiffres de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) parus en 2013.

    Un jeune couple de « 20 ans bientôt et 21 ans bientôt » s’avance. Valentin prend trois boîtes de raviolis et se laisse même tenter par une quatrième : « C’est facile à cuisiner », justifie-t-il. « Trop bien, du coton ! », s’exclame Mélanie, ravie de pouvoir rajouter des produits d’hygiène à son panier.

    Chacun peut choisir une dizaine d’articles parmi des denrées non périssables proposées : des pâtes, du riz, des boîtes de plats cuisinés, de petits pois, de thon, etc. Tous les produits sont fournis par la #banque_alimentaire de Touraine, qui organise des collectes tout au long de l’année et reçoit des aides de l’#Etat et de l’Union européenne.

    « On se débrouille, on mange beaucoup de pâtes »

    Ces paniers représentent un « vrai coup de pouce » pour les deux jeunes gens. Valentin, qui a pour seuls revenus 250 euros de #bourse sur critères sociaux et 160 euros d’aide personnalisée au logement (#APL), n’a plus que 60 euros pour les factures et les courses, une fois réglé le loyer de sa chambre en cité U.

    « On se débrouille, on mange beaucoup de pâtes. Et quand mes parents viennent me voir, ils me font un plein de courses », explique-t-il. En France, 73 % des étudiants reçoivent régulièrement des provisions alimentaires de leurs parents d’après l’OVE.

    Mélanie s’en sort à peine mieux, grâce à une bourse sur critères sociaux de 100 euros, une #bourse_au_mérite du même montant, 200 euros d’APL, et les 100 à 200 euros par mois qu’elle se résout à demander à ses parents, au coup par coup. Leurs études – fac de médecine pour elle, de pharmacie pour lui – ne leur laissent pas de temps pour un emploi à temps partiel à côté, hormis l’été.

    « Ça va, on vit bien, rassure Mélanie. Je préférerais me passer de ces paniers mais je ne veux pas demander plus d’argent à mes parents. C’est Valentin qui m’a convaincu que j’y avais droit, comme les autres. C’est difficile à accepter. » Ils sont les seuls à consentir à être pris en photo. Les autres étudiants rencontrés ne souhaitent pas #apparaître, même de dos, même si l’on zoome sur leurs mains. Beaucoup refusent même de parler et s’esquivent, les yeux baissés.

    Ne compter que sur ses parents

    Adel finit par accepter d’évoquer, du bout des lèvres, une situation financière « difficile ». Arrivé d’Algérie il y a trois ans pour faire ses études en France, il suit cette année un master 2 de Compétence complémentaire en informatique. Il a le statut d’« #étudiant_étranger » et n’a pas #droit à une bourse du Crous, comme de nombreux étudiants présents aux distributions.

    Dès qu’il le peut, Adel fait des inventaires de nuit dans des grands magasins pour gagner un peu d’argent, 250 euros par mois en moyenne. Il faut insister pour qu’il concède que « c’est parfois dur d’aller en cours le lendemain ».

    Tout son #salaire, ou presque, passe dans son loyer. Pour tout le reste, il ne peut compter que sur ses parents, qui lui envoient un peu d’argent de temps en temps, et sur les Halles de Rabelais. « Si je n’avais pas les paniers-repas, je serais obligé de travailler beaucoup plus », admet-il.

    Pour Karim, qui l’accompagne, cette première fois sera aussi la dernière. Non qu’il ait trop de revenus pour bénéficier des paniers. Mais cet habitué d’un « sandwich à la boulangerie le midi et d’un kebab le soir » explique, comme un enfant pris en faute, qu’il n’aime pas les légumes. Et que, loin de sa famille au Maroc, préparer ses repas dans la cuisine collective de sa cité U et manger seul dans sa chambre, il ne s’en sent tout simplement « pas capable ». Se nourrir n’est pas qu’une question d’argent.

    Affluence record pour une première distribution

    « Je suis désolée, il faudra revenir la prochaine fois », annonce à contrecœur une bénévole à la quinzaine d’étudiants qui attendaient de s’inscrire, alors que la distribution n’est commencée que depuis une heure à peine. Ils se lèvent et quittent la salle sans un mot. « On n’a jamais vu autant d’étudiants à la première distribution de l’année, glisse Killian Couprie, vice-président de l’association. Nous avions prévu une trentaine de bénéficiaires, nous avons déjà commencé à rationner pour servir plus d’étudiants. »

    Depuis sa création en 2009, l’association est habituée aux grands écarts de fréquentation : il lui arrive de recevoir plus de cent étudiants à la fois, ou « presque personne, comme pendant les partiels par exemple. Je ne sais pas comment ils font, ils ne mangent plus ? » demande Jacques, bénévole de longue date, un peu désabusé.

    Anissa (son prénom a été modifié) s’excuse pour son amie, qui ne veut pas parler et s’esquive en bredouillant. « Il faut la comprendre, c’est un peu honteux d’être ici. Moi ça va, je n’ai pas besoin d’aide, mon oncle m’envoie de l’argent. » 400 euros par mois dans la colonne « revenus » de son tableau Excel, qu’elle tient à jour minutieusement.

    Dans la colonne « dépenses », elle énumère de mémoire « 223 euros de loyer, 28 euros de bus, 20 euros de téléphone, 7 euros d’assurance habitation… » à la façon de ceux habitués à tout #compter. « Pour le moment, j’essaie de m’en sortir seule, mes parents n’aimeraient pas trop que je demande de l’aide. »

    Surprise par nos questions, elle finit par demander : « Mais ce n’est pas beaucoup, en France, 400 euros ? » La jeune femme algérienne, étudiante en master 1 en agrosciences, ouvre des yeux ronds en apprenant que le seuil de pauvreté est d’environ 1 000 euros par mois, avant de relativiser : « Je me débrouille très bien pour l’instant, je mange trois fois par jour. Je préfère ne pas trop sortir avec mes amies parce que ce n’est pas mon argent. Quand j’aurai trouvé un job, ce sera plus facile. Je déposerai des CV après mes partiels. Je dois absolument réussir mes études, sinon, tout ça, c’est pour rien. »

    « On préférerait qu’il n’y ait personne »

    « Quand on n’a pas les parents derrière, c’est impossible de faire des études, lâche Halima Mounir, présidente de l’association. J’ai la chance que mes parents puissent m’aider, sinon je ne vois pas comment je ferais. » Sa deuxième année de licence de biologie lui laisse du temps pour « aider les étudiants comme moi et servir à quelque chose ». Ce qui ne l’empêche pas de travailler le week-end comme animatrice pour enfants, « juste pour le plaisir ».

    #pauvreté #honte #assistance