• #Chowra_Makaremi : « Le #viol devient le paradigme de la loi du plus fort dans les #relations_internationales »

    En #Ukraine, Poutine revendique de faire la guerre au nom du genre. En #Iran, le régime réprime implacablement la révolution féministe. Dans d’autres pays, des populistes virilistes prennent le pouvoir. Une réalité que décrypte l’anthropologue Chowra Makaremi.

    IranIran, Afghanistan, invasion russe en Ukraine, mais aussi les discours des anciens présidents Donald Trump ou Jair Bolsonaro ou du chef de l’État turc, Recep Tayyip Erdogan : tous ont en commun de s’en prendre aux #femmes, comme l’explique l’anthropologue Chowra Makaremi.

    L’autrice de Femme ! Vie ! Liberté ! Échos du soulèvement en Iran (La Découverte, 2023) fait partie des chercheuses sollicitées par Mediapart pour #MeToo, le combat continue, l’ouvrage collectif publié récemment aux éditions du Seuil et consacré à la révolution féministe qui agite le monde depuis l’automne 2017 et le lancement du fameux mot-clé sur les réseaux sociaux. Depuis, toutes les sociétés ont été traversées de débats, de controverses et de prises de conscience nouvelles. Entretien.

    Mediapart : « Que ça te plaise ou non, ma jolie, il va falloir supporter. » Cette phrase a été prononcée le 7 février 2022 par le président russe, #Vladimir_Poutine, devant Emmanuel Macron. Elle était adressée à l’Ukraine et à son président, Volodymyr Zelensky, qui venait de critiquer les accords de Minsk, signés en 2015 pour mettre fin à la guerre dans le Donbass. Quelle lecture en faites-vous ?

    Chowra Makaremi : Le viol devient le paradigme de la #loi_du_plus_fort dans les relations internationales. La philosophe #Simone_Weil souligne dans un texte combien la #guerre relève de la logique du viol, puisque sa matrice est la #force qui, plus que de tuer, a le pouvoir de changer l’être humain en « une #chose » : « Il est vivant, il a une âme ; il est pourtant une chose. [L’âme] n’est pas faite pour habiter une chose ; quand elle y est contrainte, il n’est plus rien en elle qui ne souffre violence », écrit-elle.

    Cette comptine vulgaire de malfrats que cite #Poutine dit la culture criminelle qui imprègne sa politique. Elle me fait penser à ce que l’anthropologue Veena Das nomme la dimension voyou de la souveraineté étatique : la #truanderie comme n’étant pas seulement un débordement illégitime du pouvoir mais, historiquement, une composante de la #souveraineté, une de ses modalités.

    On le voit avec le pouvoir de Poutine mais aussi avec ceux de #Narendra_Modi en #Inde (dont parle Veena Das), de #Donald_Trump aux #États-Unis, de #Jair_Bolsonaro au #Brésil, de #Recep_Tayyip_Erdogan en #Turquie. Quand Poutine a dit sa comptine, personne n’a quitté la salle, ni Emmanuel Macron ni la presse, qui a cherché, au contraire, à faire parler la symbolique de cette « remarque ». Tout le réseau de sens et de connexions qui permet à cette cruelle boutade de tenir lieu de discours guerrier intuitivement compréhensible et audible montre que le type d’#outrage dont elle relève est une #transgression qui appartient, à la marge, à l’#ordre.

    On parle de la #masculinité_hégémonique au pouvoir avec Poutine, mais elle fait écho à celle de nombreux autres chefs d’État que vous venez de citer. Quelles sont les correspondances entre leurs conceptions de domination ?

    Il n’y a pas, d’un côté, les théocraties comme l’Iran et l’Afghanistan, et, de l’autre, les populismes virilistes de Trump, Erdogan, Bolsonaro, qui s’appuient sur des « #paniques_morales » créées par la remise en cause des rôles traditionnels de #genre, pour s’adresser à un électorat dans l’insécurité. Bolsonaro, très lié à l’armée et à l’Église, s’est appuyé sur je ne sais combien de prêcheurs pour mener sa campagne. Dimension religieuse que l’on retrouve chez Poutine, Modi, Erdogan.

    La #religion est un des éléments fondamentaux d’un #pouvoir_patriarcal très sensible à ce qui peut remettre en question sa #légitimité_symbolique, sa #domination_idéologique, et dont la #puissance est de ne pas paraître comme une #idéologie justement. Cette bataille est menée partout. Il y a un même nerf.

    Quand l’anthropologue Dorothée Dussy parle de l’inceste et de sa « fonction sociale » de reproduction de la domination patriarcale, son analyse est inaudible pour beaucoup. C’est ainsi que fonctionne l’#hégémonie : elle est sans pitié, sans tolérance pour ce qui peut en menacer les ressorts – et du même coup, en cartographier le pouvoir en indiquant que c’est là que se situent les boulons puisque, précisément, la puissance de l’hégémonie est dans l’invisibilité de ses boulons.

    Si on prend le #droit_de_disposer_de_son_corps, en Occident, il s’articule autour de la question de la #santé_contraceptive et du #droit_à_l’avortement et dans les mondes musulmans, autour de la question du #voile. De façon troublante, une chose est commune aux deux situations : c’est le viol comme la vérité des rapports entre genres qui organise et justifie la #contrainte sur les femmes à travers leur #corps.

    En Occident, le viol est le cas limite qui encadre juridiquement et oriente les discussions morales sur l’#avortement. Dans les sociétés musulmanes, la protection des femmes – et de leur famille, dont elles sont censées porter l’honneur – contre l’#agression_masculine est la justification principale pour l’obligation du voile. Il y a de part et d’autre, toujours, cet impensé du #désir_masculin_prédateur : un état de nature des rapports entre genres.

    C’est ce qu’assènent tous les romans de Michel Houellebecq et la plupart des écrits du grand Léon Tolstoï… « L’homme est un loup pour l’homme, et surtout pour la femme », dit un personnage du film Dirty Dancing. Cette population définie par ces rapports et ces #pulsions, il s’agit de la gouverner à travers l’#ordre_patriarcal, dont la domination est posée dès lors comme protectrice.

    L’Iran et l’#Afghanistan figurent parmi les pays les plus répressifs à l’encontre des femmes, les régimes au pouvoir y menant un « #apartheid_de_genre ». Concernant l’Afghanistan, l’ONU parle même de « #crime_contre_l’humanité fondé sur la #persécution_de_genre ». Êtes-vous d’accord avec cette qualification ?

    Parler pour la persécution de genre en Afghanistan de « crime contre l’humanité » me semble une avancée nécessaire car elle mobilise les armes du #droit pour désigner les #violences_de_masse faites aux femmes et résister contre, collectivement et transnationalement.

    Mais il me paraît tout aussi important de libérer la pensée autour de la #ségrégation_de_genre. À la frontière entre l’Iran et l’Afghanistan, au #Baloutchistan, après la mort de Jina Mahsa Amini en septembre 2022, les femmes sont sorties dans la rue au cri de « Femme, vie, liberté », « Avec ou sans le voile, on va vers la révolution ». Dans cette région, leur place dans l’espace public n’est pas un acquis – alors qu’il l’est à Téhéran – et elles se trouvent au croisement de plusieurs dominations de genre : celle d’un patriarcat traditionnel, lui-même dominé par la puissance étatique centrale, iranienne, chiite.

    Or, en participant au soulèvement révolutionnaire qui traversait le pays, elles ont également renégocié leur place à l’intérieur de ces #dominations_croisées, chantant en persan, avec une intelligence politique remarquable, le slogan des activistes chiliennes : « Le pervers, c’est toi, le salopard, c’est toi, la femme libérée, c’est moi. »

    C’est en écoutant les femmes nommer, en situation, la #ségrégation qu’on saisit le fonctionnement complexe de ces #pouvoirs_féminicides : en saisissant cette complexité, on comprend que ce n’est pas seulement en changeant des lois qu’on les démantèlera. On se trouve ici aux antipodes des #normes_juridiques, lesquelles, au contraire, ressaisissent le réel dans leurs catégories génériques. Les deux mouvements sont nécessaires : l’observation en situation et le #combat_juridique. Ils doivent fonctionner ensemble.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/040124/chowra-makaremi-le-viol-devient-le-paradigme-de-la-loi-du-plus-fort-dans-l

  • Caricatural, ultra-politisé : le grand n’importe quoi du nouveau #musée_d'Histoire de #Lyon

    Nous avons visité la nouvelle #exposition_permanente du #musée niché dans le vieux Lyon : un parcours déroutant, regorgeant de lacunes, défendant une vision de l’#histoire_engagée et surtout trompeuse.

    Le jour de notre visite, un dossier de presse le martèle, en #écriture_inclusive : le nouveau parcours du musée d’Histoire de Lyon, qui achevait samedi 2 décembre une réorganisation commencée en 2019, a été « co-construit », aussi bien avec des « expert.es » que des témoins et… « témouines », citoyens anonymes de Lyon. Une des conceptrices du musée le détaille : « On est allé en ville, on a posé des questions aux passants, à des jeunes qui faisaient du skate pour leur demander leur récit de la ville ». Un postulat de départ qui fait sourire autant qu’il inquiète et augure du sentiment qu’on éprouvera pendant toute la visite.

    Celle-ci tient par-dessus tout à s’éloigner de la si décriée approche chronologique. Une première salle « questionne » donc la ville, exposant pêle-mêle des objets touristiques ou sportifs récents (maillot de foot), sans enseignement apparent. Il faudra s’y faire : l’histoire n’est pas vraiment au centre du musée d’histoire. La fondation de la ville est évoquée au détour d’un panneau sur lequel un Lyonnais de l’Antiquité exhibe sa… Rolex. Une farce assumée par le musée, dont les guides nous préviennent que les anachronismes fleuriront tout au long des salles. On se mettrait à rire si le musée n’était pas destiné aux enfants aussi bien qu’aux adultes, avec la confusion que ces erreurs assumées entraîneront chez les premiers.
    L’homme blanc quasi absent de... l’industrie lyonnaise

    Les salles, justement, sont magnifiques dans cet hôtel de Gadagne, bâti au XVIe siècle. Mais l’architecture des lieux ne semble pas devoir nous intéresser : un tout petit cartel pour présenter une cheminée monumentale, puis plus rien. Les objets historiques sont rares et s’effacent au profit de montages photographiques et de récits (tous en écriture inclusive bien sûr) de quatre personnages fictifs censés raconter la ville : trois femmes nées à différents siècles, et Saïd, ouvrier devenu bénévole associatif. À l’étage suivant, une pirogue-vivier datée de 1540 trône quand même, dans une ambiance bleutée : c’est la partie consacrée au Rhône et à la Saône. Quelques (beaux) tableaux figurant des scènes de vie des deux fleuves sont exposés... à quelques centimètres du sol : cette seconde partie est dédiée aux enfants de cinq ans et l’on apprend que deux groupes de maternelle ont été consultés pour la concevoir. Des jeux ont été élaborés avec eux, « sans mauvaise réponse pour ne pas être moralisateurs » et parce que le musée est un avant tout un lieu d’amusement. Nous commençons à le croire.

    La suite de l’exposition permanente, qui aborde le sujet de l’industrie lyonnaise, prend toutefois un tour nettement plus désagréable, voire odieux. Voyons bien ce que nous voyons : une absence quasi totale de référence aux ouvriers masculins et blancs. Un métier à tisser inanimé constitue la seule preuve tangible de l’existence des canuts et une salopette vide accrochée au mur figure le prolétariat du XXe siècle. Une véritable provocation car les ouvrières sont elles bien mises en avant, et surtout les travailleurs immigrés. Le directeur, Xavier de La Selle, avait prévenu : « Le concept de Lyonnais de souche n’a aucun sens. » Un visiteur manquant de recul sortira de cette pièce convaincu que la ville n’a été construite que par le travail de femmes et de maghrébins. Le prisme social de l’histoire aurait pu présenter ici un réel intérêt : il est manipulé pour servir une vision politique qu’on ne peut qualifier autrement que de délirante.

    Et nous ne sommes pas au bout de ce délire : la dernière partie, celle qui vient d’être révélée au public, porte sur les « engagements » des Lyonnais. On entre ici dans un bric-à-brac stupéfiant, synthèse gauchiste assumée faisant de l’histoire politique de Lyon une sorte de grande convergence des luttes. Sur les murs et dans les vitrines, des nuages de mots à peu près tous synonymes de rébellion, des pancartes féministes, un haut-parleur, et même un objet sordide : un fait-tout utilisé par une avorteuse locale, célèbre semble-t-il, qui y stérilisait ses ustensiles médicaux mais y cuisait aussi ses pâtes. Le père Delorme, prêtre connu pour avoir organisé en 1983 une grande marche contre le racisme, est abondamment glorifié. Rappelons qu’en matière de religion, le musée ne nous a toujours pas expliqué pourquoi et quand fut construite la basilique de Fourvière ! L’autre référence au catholicisme dans la ville est celle du Sac de Lyon par les calvinistes, une œuvre de bois peint de 1565 décrivant des scènes de pillage, un bûcher d’objets liturgiques, des moines chassés. Son intérêt historique est toutefois anéanti par le commentaire de notre guide, qui n’y voit « pas du tout une scène violente ».

    Désacralisation du savoir

    À ce stade, le musée d’Histoire de Lyon réussit son pari : il n’est plus qu’un divertissement. On aborde une salle qui couvre à rebours la crise algérienne, la Seconde Guerre mondiale et enfin la Révolution. Cette dernière ne fait l’objet que d’un panneau succinct. Le musée est-il ennuyé de devoir évoquer plus en détail les tendances contre-révolutionnaires de Lyon ? À propos de Joseph Chalier, qui avait mis en place une dictature sanguinaire dans la ville avant d’être renversé par le peuple en 1793, un commentaire : « Certains l’ont considéré comme un martyr de la liberté. » L’homme avait commandé la première guillotine à Lyon et préconisait de l’installer sur le pont Morand afin que « les têtes tombent directement dans le Rhône »... Le principal historien consulté sur cette époque, Paul Chopelin, est entre autres fonctions président de la Société des études robespierristes. Enfin, une galerie des grandes figures de l’histoire lyonnaise conclut ce drôle de parcours. Miracle : il s’y trouve presque autant de femmes que d’hommes. Quitte à ce que la première conseillère municipale féminine y tienne la même place qu’Édouard Herriot, maire pendant près d’un demi-siècle. Pas de portrait de Raymond Barre en revanche, mais une lettre anonyme fièrement disposée, le qualifiant de « peu regretté [maire], qui de toute sa carrière s’est bien peu occupé du sort de ceux que son système économique met de côté ».

    Tirons un bilan positif : il n’est pas donné à tout amateur d’histoire d’expérimenter une telle distorsion, une telle désacralisation du savoir. Aux inventions « pédagogiques » en vogue, pour certaines réussies mais souvent inutiles, le musée d’histoire de Lyon ajoute un militantisme qui laisse pantois, et ignore des pans entiers de l’histoire lyonnaise, ne faisant qu’effleurer le reste. L’équipe du musée est certes enthousiaste, convaincue de bien faire, mais s’est méprise sur la notion d’engagement. Plus qu’une déception, pour une structure qui emploie 50 personnes (et exploite aussi un musée de la marionnette et de guignol, peut-être moins amusant) avec un budget annuel d’environ 3 millions d’euros. Son projet scientifique et culturel, validé par l’État, bénéficie du plein soutien de l’actuelle mairie : le maire Grégory Doucet (EELV) se dit ainsi « admiratif du travail colossal » des équipes du musée d’une ville « profondément humaine, tissée par les lumières du monde ». Un tissu, oui, mais pas vraiment de lumière.

    https://www.lefigaro.fr/histoire/mensonger-ultra-politise-le-grand-n-importe-quoi-du-nouveau-musee-d-histoir

    Mots-clé tirés de l’article et de la vidéo :
    #wokisme #woke #révolution_culturelle_woke #intersectionnalité #affaire_de_Grenoble #militantisme #militants_extrémistes #ségrégationnisme #séparatisme #pride_radicale #non-mixité #genre #panique_morale #anti-wokisme #universalisme #universités #culture #films #imaginaire #civilisation_occidentale #industrie_lyonnaise #woke-washing #engagement #père_Delorme #1983 #Marche_pour_l'égalité_et_contre_le_racisme #planning_familial #catholicisme #racisme_systémique #Sac_de_Lyon #divertissement #Joseph_Chalier #histoire #Paul_Chopelin #militantisme

    Les invité·es :

    1. #Nora_Bussigny, autrice de ce #livre :
    Les Nouveaux Inquisiteurs


    https://www.albin-michel.fr/les-nouveaux-inquisiteurs-9782226476951

    2. #Pierre_Valentin, auteur de ce livre :
    L’#idéologie_woke. Anatomie du wokisme


    https://www.fondapol.org/etude/lideologie-woke-1-anatomie-du-wokisme

    3. #Samuel_Fitoussi :
    https://www.wikiberal.org/wiki/Samuel_Fitoussi
    (et je découvre au même temps « wikilibéral »)
    –-> qui parle notamment du film #Barbie (min 18’30)

    https://www.fondapol.org/etude/lideologie-woke-1-anatomie-du-wokisme

  • Transition énergétique : pour Agnès Pannier-Runacher, « la transformation à engager est d’une ampleur comparable à celle de la première révolution industrielle »
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/11/21/transition-energetique-pour-agnes-pannier-runacher-la-transformation-a-engag

    Transition énergétique : pour Agnès Pannier-Runacher, « la transformation à engager est d’une ampleur comparable à celle de la première révolution industrielle »

    Pour qui voulait encore en douter, une preuve supplémentaire que le capitalisme est à la recherche de sa sauvegarde à travers la "transition énergétique" (qui succède bien entendu au "développement durable" en attendant la prochaine trouvaille des élites dirigeantes). Où est la prochaine source d’accumulation, viiiiite !

    Pannier-Runacher, si parfait exemple de la déconnexion des hauts fonctionnaires avec le monde réel.

    #capitalisme #accumulation #panique (on la sent un peu quand même)
    #paywall (mais en fait à ce stade je crois bien que je m’en fous)

    • Ah mais non, pas question : tu vas boire le calice jusqu’à la lie. Et pouvoir t’endormir en rêvant de voitures électriques (qui consommeront moins de carburant) pilotées par Agnès Pannier-Nulle-à-chier qui fera rien qu’à demander gentiment à Patrick Pouyanné d’éviter de produire davantage d’hydrocarbures à l’horizon 2030.
      On ne saurait trop conseiller à la ministre (de la trahison énergétique) de se déguiser en éolienne : cela lui donnera un prétexte pour pouvoir continuer à brasser du vent.

      https://justpaste.it/apdke

      Ah mais tiens, ça me revient : on lui dit aussi de rapatrier les avoirs qu’elle détient dans des établissements financiers de Guernesey, de Hong Kong et de l’état américain du Delaware et de nous raconter une belle histoire de décarbonation ?

      https://disclose.ngo/fr/article/petrole-et-paradis-fiscaux-les-interets-caches-de-la-ministre-de-la-transi

      ♫♪ Perenco, raconte-nous histoire. Perenco, raconte-nous une histoire ...♪♫

  • Immigration : une autre voie est possible, nécessaire, urgente

    « Ne pas accueillir », et « empêcher les gens d’arriver » : à l’heure où, par la voix de #Gérald_Darmanin, la France s’illustre encore dans le #repli, le #rejet et le manquement à ses obligations éthiques et légales les plus élémentaire, il apparait urgent de déverrouiller un débat trop longtemps confisqué. Quelques réflexions alternatives sur la « #misère_du_monde » et son « #accueil », parce qu’on ne peut plus se rendre complice de cinq mille morts chaque année.

    « Ne pas accueillir », et « empêcher les gens d’arriver » : à l’heure où, par la voix de Gérald Darmanin, la France s’illustre encore dans le repli, le rejet et le manquement à ses obligations éthiques et légales les plus élémentaires, et alors que s’annonce l’examen parlementaire d’un projet de loi plus brutal et liberticide que jamais, signé par le même Darmanin, il apparait urgent de déverrouiller un débat trop longtemps confisqué. C’est ce à quoi s’efforce Pierre Tevanian dans le texte qui suit. Dans la foulée de son livre « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort->, co-signé l’an passé avec Jean-Charles Stevens, et à l’invitation de la revue Respect, qui publie le 21 septembre 2023 un numéro intitulé « Bienvenue » et intégralement consacré à l’accueil des migrants, Pierre Tevanian a répondu à la question suivante : de quelle politique alternative avons-nous besoin ? De son article intitulé « Repenser l’accueil, oser l’égalité », le texte qui suit reprend les grandes lignes, en les développant et en les prolongeant.

    *

    Lorsqu’en juillet 2022 nous mettions sous presse notre ouvrage, « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort, l’association Missing Migrants recensait 23801 morts en méditerranée pour la décennie passée, ainsi que 797 morts aux frontières Nord et Est de la « forteresse Europe ». Un an plus tard, l’hécatombe s’élève à 20 089 morts en méditerranée et 1052 au Nord et à l’Est [Chiffres produits le 20 septembre 2023]. Soit 5340 vies de plus en un an, fauchées par une politique concertée qui, adossée à ce simple dicton sur la « misère du monde », s’arroge insolemment le monopole de la « raison » et de la « responsabilité ».

    C’est de là qu’il faut partir, et là qu’il faut toujours revenir, lorsqu’on parle d’ « immigration » et de « politique d’immigration ». C’est à ce « reste » consenti de la « gestion » technocratique des « flux migratoires » que nous revenons constamment, opiniâtrement, dans notre livre, afin de ré-humaniser un débat public que cinq décennies de démagogie extrémiste – mais aussi de démagogie gouvernante – ont tragiquement déshumanisé.

    L’urgence est là, si l’on se demande quelle politique alternative doit être inventée, et tout le reste en découle. Il s’agit de libérer notre capacité de penser, mais aussi celle de sentir, de ressentir, d’être affectés, si longtemps verrouillées, intimidées, médusées par le matraquage de ce dicton et de son semblant d’évidence. Ici comme en d’autres domaines (les choix économiques néolibéraux, le démantèlement des services publics et des droits sociaux), le premier geste salutaire, celui qui détermine tous les autres mais nécessite sans doute le principal effort, est un geste d’émancipation, d’empowerment citoyen, de sortie du mortifère « TINA » : « There Is No Alternative ».

    Le reste suivra. L’intelligence collective relèvera les défis, une fois libérée par ce préalable nécessaire que l’on nomme le courage politique. La question fatidique, ultime, « assassine » ou se voulant telle : « Mais que proposez-vous ? », trouvera alors mille réponses, infiniment plus « réalistes » et « rationnelles » que l’actuel « pantomime » de raison et de réalisme auquel se livrent nos gouvernants. Si on lit attentivement notre livre, chaque étape de notre propos critique contient en germe, ou « en négatif », des éléments « propositionnels », des pistes, voire un « programme » alternatif tout à fait réalisable. On se contentera ici d’en signaler quelques-uns – en suivant l’ordre de notre critique, mot à mot, du sinistre dicton : « nous » - « ne pouvons pas » - « accueillir » - « toute » - « la misère du monde ».

    Déconstruire le « nous », oser le « je ».

    Tout commence par là. Se re-subjectiver, diraient les philosophes, c’est-à-dire, concrètement : renouer avec sa capacité à penser et agir, et pour cela s’extraire de ce « on » tellement commode pour s’éviter de penser (« on sait bien que ») mais aussi s’éviter de répondre de ses choix (en diluant sa responsabilité dans un « nous » national). Assumer le « je », c’est accepter de partir de cette émotion face à ces milliers de vies fauchées, qui ne peut pas ne pas nous étreindre et nous hanter, si du moins nous arrêtons de l’étouffer à coup de petites phrases.

    C’est aussi se ressouvenir et se ré-emparer de notre capacité de penser, au sens fort : prendre le temps de l’information, de la lecture, de la discussion, de la rencontre aussi avec les concernés – cette « immigration » qui se compose de personnes humaines. C’est enfin, bien entendu, nourrir la réflexion, l’éclairer en partant du réel plutôt que des fantasmes et phobies d’invasion, et pour cela valoriser (médiatiquement, politiquement, culturellement) la somme considérable de travaux scientifiques (historiques, sociologiques, démographiques, économiques, géographiques [Lire l’Atlas des migrations édité en 2023 par Migreurop.]) qui tous, depuis des décennies, démentent formellement ces fantasmagories.

    Inventer un autre « nous », c’est abandonner ce « nous national » que critique notre livre, ce « nous » qui solidarise artificiellement exploiteurs et exploités, racistes et antiracistes, tout en excluant d’office une autre partie de la population : les résidents étrangers. Et lui substituer un « nous citoyen » beaucoup plus inclusif – inclusif notamment, pour commencer, lorsqu’il s’agit de débattre publiquement, et de « composer des panels » de participants au débat : la dispute sur l’immigration ne peut se faire sans les immigré·e·s, comme celle sur la condition féminine ne peut se faire sans les femmes.

    Ce nouveau « nous » devra toutefois être exclusif lui aussi, excluant et intolérant à sa manière – simplement pas avec les mêmes. Car rien de solidement et durablement positif et inclusif ne pourra se construire sans un moment « négatif » assumé de rejet d’une certaine composante de la « nation française », pour le moment « entendue », « comprise », excusée et cajolée au-delà de toute décence : celle qui exprime de plus en plus ouvertement et violemment son racisme, en agressant des migrant·e·s, en menaçant des élu·e·s, en incendiant leurs domiciles. Si déjà l’autorité de l’État se manifestait davantage pour soutenir les forces politiques, les collectifs citoyens, les élus locaux qui « accueillent », et réprimer celles qui les en empêchent en semant une véritable terreur, un grand pas serait fait.

    Reconsidérer notre « impuissance »… et notre puissance.

    Nous ne « pouvons » pas accueillir, nous dit-on, ou nous ne le pouvons plus. L’alternative, ici encore, consisterait à revenir au réel, et à l’assumer publiquement – et en premier lieu médiatiquement. La France est la seconde puissance économique européenne, la sixième puissance économique du monde, et l’un des pays au monde – et même en Europe – qui « accueille », en proportion de sa population totale, le moins de réfugié·e·s ou d’étranger·e·s. Parmi des dizaines de chiffres que nous citons, celui-ci est éloquent : 86% des émigrant·e·s de la planète trouvent refuge dans un pays « en développement ». Ou celui-ci : seuls 6,3% des personnes déplacées trouvent refuge dans un pays de l’Union européenne [Ces chiffres, comme les suivants, sont cités et référencés dans notre livre, « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort, op. cit.].

    Reconsidérer notre puissance, c’est aussi, on l’a vu, se rendre attentif au potentiel déjà existant : publiciser les initiatives locales de centres d’accueil ou de solidarités plus informelles, dont il est remarquable qu’elles sont rarement le fait de personnes particulièrement riches. C’est aussi défendre cette « puissance d’accueil » quand elle est menacée par des campagnes d’extrême droite, la valoriser au lieu de la réprimer. C’est donc aussi, très concrètement, abroger l’infâme « délit de solidarité » au nom duquel on a persécuté Cédric Herrou et tant d’autres. Aucun prétexte ne tient pour maintenir ce dispositif « performatif » (qui « déclare » l’accueil impossible, par l’interdit, afin de le rendre impossible, dans les faits). « Filières mafieuses », sur-exploitation des travailleurs sans-papiers, « marchands de sommeil » : tous ces fléaux sociaux pourraient parfaitement être combattus avec un arsenal légal délesté de ce sinistre « délit de solidarité » : le Droit du travail, le Droit du logement, et plus largement tout l’appareil pénal qui réprime déjà toute forme de violence, d’extorsion et d’abus de faiblesse.

    Repenser l’accueil, oser l’égalité.

    Si notre livre combat le rejet et valorise la solidarité, il critique pourtant la notion d’accueil ou celle d’hospitalité, telle qu’elle est mobilisée dans notre débat public. Pour une raison principalement : en entretenant la confusion entre le territoire national et la sphère domestique, le paradigme de l’hospitalité encourage les paniques sociales les plus irrationnelles (à commencer par le sentiment d’ « invasion »), mais aussi les régressions autoritaires les plus nocives (ce fameux « On est chez nous ! », qui assimile les étranger·e·s, fussent-ils ou elles titulaires d’un logement qui leur est propre, d’un bail ou d’un titre de propriété, à des intrus qui nous placent en situation de « légitime défense »). Ce qui est ainsi évacué du débat, c’est ni plus ni moins qu’un principe constitutionnel : le principe d’égalité de traitement de toutes et tous sur le territoire d’une république démocratique. Plusieurs dispositifs légaux, ici encore, seraient à abroger, parce qu’ils dérogent à ce principe d’égalité : la « double peine » , les « emplois réservés » – sans parler de la citoyenneté elle-même, qui gagnerait à être, comme dans la majorité des pays européens, ouvertes au moins partiellement aux résident·e·s étranger·e·s.

    Enfin, bien en deçà de ces mesures tout à fait réalisables, une urgence s’impose : avant de se demander si l’on va « accueillir », on pourrait commencer par laisser tranquilles les nouveaux arrivants. À défaut de les « loger chez soi », arrêter au moins de les déloger, partout où, avec leurs propres forces, à la sueur de leur front, ils ou elles élisent domicile – y compris quand il s’agit de simples tentes, cabanons et autres campements de fortune.

    Repenser le « tout », assumer les droits indivisibles

    Là encore la première des priorités, celle qui rend possible la suite, serait une pédagogie politique, et avant cela l’arrêt de la démagogie. Car là encore tout est connu, établi et documenté par des décennies de travaux, enquêtes, rapports, publiés par des laboratoires de recherche, des institutions internationales – et même des parlementaires de droite [Nous citons dans notre ouvrage ces différents rapports.].

    Il suffirait donc que ce savoir soit publicisé et utilisé pour éclairer le débat, en lieu et place de l’obscurantisme d’État qui fait qu’actuellement, des ministres continuent de mobiliser des fictions (le risque d’invasion et de submersion, le « coût de l’immigration », mais aussi ses effets « criminogènes ») que même les élus de leurs propres majorités démentent lorsqu’ils s’attèlent à un rapport parlementaire sur l’état des connaissances en la matière. Nous l’avons déjà dit : à l’échelle de la planète, seules 6,3% des personnes déplacées parviennent aux « portes de l’Europe » – et encore ce calcul n’inclut-il pas la plus radicale des « misères du monde », celle qui tue ou cloue sur place des populations, sans possibilité aucune de se déplacer. Cette vérité devrait suffire, si l’on osait la dire, pour congédier toutes les psychoses sur une supposée « totalité » miséreuse qui déferlerait « chez nous ».

    À l’opposé de cette « totalité » factice, prétendument « à nous portes », il y a lieu de repenser, assumer et revendiquer, sur un autre mode, et là encore à rebours de ce qui se pratique actuellement, une forme de « totalité » : celle qui sous-tend l’universalité et l’indivisibilité des droits humains, et du principe d’égalité de traitement : « tout » arrivant, on doit le reconnaître, a droit de bénéficier des mêmes protections, qu’il soit chrétien, juif ou musulman, que sa peau soit claire ou foncée, qu’il vienne d’Ukraine ou d’Afghanistan. Le droit d’asile, les dispositifs d’accueil d’urgence, les droits des femmes, les droits de l’enfant, le droit de vivre en famille, les droits sociaux, et au-delà l’ensemble du Droit déjà existant (rappelons-le !), ne doit plus souffrir une application à géométries variables.

    Il s’agit en l’occurrence de rompre, au-delà des quatre décennies de « lepénisation » qui ont infesté notre débat public, avec une tradition centenaire de discrimination institutionnelle : cette « pensée d’État » qui a toujours classé, hiérarchisé et « favorisé » certaines « populations » au détriment d’autres, toujours suivant les deux mêmes critères : le profit économique (ou plus précisément le marché de l’emploi et les besoins changeants du patronat) et la phobie raciste (certaines « cultures » étant déclarées moins « proches » et « assimilables » que d’autres, voire franchement « menaçantes »).

    Respecter la « misère du monde », reconnaître sa richesse.

    Il n’est pas question, bien sûr, de nier la situation de malheur, parfois extrême, qui est à l’origine d’une partie importante des migrations internationales, en particulier quand on fuit les persécutions, les guerres, les guerres civiles ou les catastrophes écologiques. Le problème réside dans le fait de réduire des personnes à cette appellation abstraite déshumanisante, essentialisante et réifiante : « misère du monde », en niant le fait que les migrant·e·s, y compris les plus « misérables », arrivent avec leurs carences sans doute, leurs traumas, leurs cicatrices, mais aussi avec leur rage de vivre, leur créativité, leur force de travail, bref : leur puissance. Loin de se réduire à une situation vécue, dont précisément ils et elles cherchent à s’arracher, ce sont de potentiels producteurs de richesses, en tant que travailleurs et travailleuses, cotisant·e·s et consommateurs·trices. Loin d’être seulement des corps souffrants à prendre en charge, ils et elles sont aussi, par exemple, des médecins et des aides-soignant·es, des auxiliaires de vie, des assistantes maternelles, et plus largement des travailleurs et des travailleuses du care – qui viennent donc, eux-mêmes et elles-mêmes, pour de vrai, accueillir et prendre en charge « notre misère ». Et cela d’une manière tout à fait avantageuse pour « nous », puisqu’ils et elles arrivent jeunes, en âge de travailler, déjà formé·es, et se retrouvent le plus souvent sous-payé·es par rapport aux standards nationaux.

    Là encore, la solution se manifeste d’elle-même dès lors que le problème est bien posé : il y a dans ladite « misère du monde » une richesse humaine, économique notamment mais pas seulement, qu’il serait intéressant de cultiver et associer au lieu de la saboter ou l’épuiser par le harcèlement policier, les dédales administratifs et la surexploitation. L’une des mises en pratique concrète de ce virage politique serait bien sûr une opération de régularisation massive des sans-papiers, permettant (nous sommes là encore en terrain connu, éprouvé et documenté) de soustraire les concerné·e·s des « sous-sols » de l’emploi « pour sans-papiers », véritable « délocalisation sur place », et de leur donner accès aux étages officiels de la vie économique, ainsi qu’au Droit du travail qui le régit.

    Il y a enfin, encore et toujours, ce travail de pédagogie à accomplir, qui nécessite simplement du courage politique : populariser le consensus scientifique existant depuis des décennies, quelles que soit les périodes ou les espaces (états-unien, européen, français, régional), concernant l’impact de l’immigration sur l’activité et la croissance économique, l’emploi et les salaires des autochtones, l’équilibre des finances publiques, bref : la vie économique au sens large. Que ces études soient l’oeuvre d’institutions internationales ou de laboratoires de recherche, elles n’ont cessé de démontrer que « le coût de l’immigration » est tout sauf avéré, que les nouveaux arrivant·e·s constituent davantage une aubaine qu’une charge, et qu’on pourrait donc aussi bien parler de « la jeunesse du monde » ou de « la puissance du monde » que de sa « misère ».

    Redevenir moraux, enfin.

    Le mot a mauvaise presse, où que l’on se trouve sur l’échiquier politique, et l’on devrait s’en étonner. On devrait même s’en inquiéter, surtout lorsque, comme dans ce « débat sur l’immigration », il est question, ni plus ni moins que de vies et de morts. Les ricanements et les postures viriles devraient s’incliner – ou nous devrions les forcer à s’incliner – devant la prise en considération de l’autre, qui constitue ce que l’on nomme la morale, l’éthique ou tout simplement notre humanité. Car s’il est à l’évidence louable de refuser de « faire la morale » à des adultes consentants sur des questions d’identité sexuelle ou de sexualité qui n’engagent qu’elles ou eux, sans nuire à autrui, il n’en va pas de même lorsque c’est la vie des autres qui est en jeu. Bref : l’interdit de plus en plus impérieux qui prévaut dans nos débats sur l’immigration, celui de « ne pas culpabiliser » l’électeur lepéniste, ne saurait être l’impératif catégorique ultime d’une démocratie saine.

    Pour le dire autrement, au-delà de la « misère » que les migrant·e·s cherchent à fuir, et de la « puissance » qu’ils ou elles injectent dans la vie économique, lesdit·es migrant·e·s sont une infinité d’autres choses : des sujets sociaux à part entière, doté·e·s d’une culture au sens le plus large du terme, et d’une personnalité, d’une créativité, irréductible à toute appellation expéditive et englobante (aussi bien « misère » que « richesse », aussi bien « charge » que « ressource »). Et s’il n’est pas inutile de rappeler tout le potentiel économique, toute l’énergie et « l’agentivité » de ces arrivant·e·s, afin de congédier les fictions anxiogènes sur « l’invasion » ou « le coût de l’immigration », il importe aussi et surtout de dénoncer l’égoïsme sordide de tous les questionnements focalisés sur les coûts et les avantages – et d’assumer plutôt un questionnement éthique. Car une société ne se fonde pas seulement sur des intérêts à défendre, mais aussi sur des principes à honorer – et il en va de même de toute subjectivité individuelle.

    Le réalisme dont se réclament volontiers nos gouvernants exige en somme que l’on prenne en compte aussi cette réalité-là : nous ne vivons pas seulement de pain, d’eau et de profit matériel, mais aussi de valeurs que nous sommes fiers d’incarner et qui nous permettent de nous regarder dans une glace. Personne ne peut ignorer durablement ces exigences morales sans finir par le payer, sous une forme ou une autre, par une inexpugnable honte. Et s’il est précisément honteux, inacceptable aux yeux de tous, de refuser des soins aux enfants, aux vieillards, aux malades ou aux handicapé·e·s en invoquant leur manque de « productivité » et de « rentabilité », il devrait être tout aussi inacceptable de le faire lorsque lesdit·es enfants, vieillards, malades ou handicapé·e·s viennent d’ailleurs – sauf à sombrer dans la plus simple, brutale et abjecte inhumanité.

    https://blogs.mediapart.fr/pierre-tevanian/blog/220923/immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente

    #complicité #Pierre_Tevanian #mourir_aux_frontières #morts_aux_frontières #migrations #réfugiés #asile #déshumanisation #There_is_no_alternative (#TINA) #alternative #courage_politique #intelligence_collective #raison #réalisme #re-subjectivation #émotion #fantasmes #phobie #invasion #fantasmagorie #nationalisme #résidents_étrangers #nous_citoyen #racisme #xénophobie #impuissance #puissance #puissance_d’accueil #délit_de_solidarité #solidarité #extrême_droite #performativité #égalité #hospitalité #paniques_sociales #principe_d'égalité #double_peine #emplois_réservés #citoyenneté #hébergement #logement #pédagogie_politique #fictions #obscurantisme_d'Etat #droits_humains #égalité_de_traitement #lepénisation #débat_public #discrimination_institutionnelle #discriminations #déshumanisation #richesse #régularisation #sans-papiers #économie #morale #éthique #humanité #agentivité #potentialité_économique #valeurs
    #ressources_pédagogiques

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    • « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » : la vraie histoire de la citation de #Michel_Rocard reprise par #Macron

      Le président de la République a cité, dimanche 24 septembre, la célèbre phrase de Rocard. L’occasion de revenir sur une déclaration à laquelle on a souvent fait dire ce qu’elle ne disait pas.

      C’est à la fois une des phrases les plus célèbres du débat politique français, mais aussi l’une des plus méconnues. Justifiant la politique de fermeté vis-à-vis des migrants arrivés à Lampedusa, Emmanuel Macron a déclaré hier : « On a un modèle social généreux, et on ne peut pas accueillir toute la misère du monde. »

      https://twitter.com/TF1Info/status/1706009131448983961

      La citation est un emprunt à la déclaration de Michel Rocard. La droite aime à citer cette phrase, ce qui est une manière de justifier une politique de fermeté en matière d’immigration en citant un homme de gauche. Tandis que la gauche a souvent tendance à ajouter que le Premier ministre de François Mitterrand avait ajouté un volet d’humanité en rappelant que la France devait aussi « prendre sa part » (ou « s’y efforcer »), et donc que sa formule, loin d’être un appel à la fermeture des frontières, était en réalité un appel à l’accueil.

      En réalité, comme Libération l’avait expliqué en détail il y a quelques années, les choses sont moins simples. Contrairement à ce que la gauche aime dire, cette déclaration de Michel Rocard n’était, initialement, pas vraiment humaniste, et était invoquée par le responsable socialiste pour justifier la politique draconienne vis-à-vis de l’immigration du gouvernement d’alors.

      On retrouve la trame de cette formule dans un discours prononcé le 6 juin 1989 à l’Assemblée nationale (page 1 797 du document) : « Il y a, en effet, dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l’Europe et la France puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles », déclare ce jour-là Michel Rocard, avant d’ajouter qu’il faut « résister à cette poussée constante ». Il n’est nullement question alors d’un quelconque devoir de prendre part à cet afflux.

      A l’époque, le climat est tendu sur la question de l’immigration. L’exclusion d’un collège de Creil de trois élèves musulmanes ayant refusé d’ôter leur foulard a provoqué, en octobre 1989, un vif débat national. En décembre, le FN écrase la législative partielle de Dreux. Les discours sur l’immigration se durcissent. Celui du PS n’échappe pas à la règle, d’autant que la gauche se voit reprocher d’être revenue sur les lois Pasqua. François Mitterrand déclare dans une interview à Europe 1 et Antenne 2, le 10 décembre 1989, que le « seuil de tolérance » des Français à l’égard des étrangers « a été atteint dans les années 70 ». Se met en place le discours qui va être celui du PS pendant quelques années. D’un côté, une volonté affichée de promouvoir l’intégration des immigrés réguliers en place (c’est en décembre 1989 qu’est institué le Haut Conseil à l’intégration). De l’autre côté, un objectif affirmé de verrouiller les flux migratoires, avec un accent mis sur la lutte contre l’immigration clandestine, mais pas seulement. Dans la même interview à France 2 et Europe 1, Mitterrand explique ainsi que le chiffre de « 4 100 000 à 4 200 000 cartes de séjour » atteint selon lui en 1982 ne doit, « autant que possible, pas être dépassé ».

      C’est dans ce contexte, le 3 décembre 1989, que Michel Rocard prononce la formule qui restera dans les mémoires. Michel Rocard est l’invité d’Anne Sinclair dans l’émission Sept sur sept sur TF1. Il précise la nouvelle position de la France en matière d’immigration et le moins qu’on puisse dire c’est que ses propos sont musclés. La France se limitera au respect des conventions de Genève, point final, explique-t-il : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique […] mais pas plus. […] Il faut savoir qu’en 1988 nous avons refoulé à nos frontières 66 000 personnes. 66 000 personnes refoulées aux frontières ! A quoi s’ajoutent une dizaine de milliers d’expulsions du territoire national. Et je m’attends à ce que pour l’année 1989 les chiffres soient un peu plus forts. »

      Après l’émission, Michel Rocard décline la formule à l’envi lors de ses discours les mois suivants, pour justifier de sa politique d’immigration. Le 13 décembre 1989, il déclare ainsi à l’Assemblée nationale : « Puisque, comme je l’ai dit, comme je le répète, même si comme vous je le regrette, notre pays ne peut accueillir et soulager toute la misère du monde, il nous faut prendre les moyens que cela implique. » Et précise les moyens en question : « Renforcement nécessaire des contrôles aux frontières », et « mobilisation de moyens sans précédent pour lutter contre une utilisation abusive de la procédure de demande d’asile politique ».

      Il la répète quelques jours plus tard, le 7 janvier 1990, devant des socialistes d’origine maghrébine réunis à l’occasion d’un colloque sur l’immigration. « J’ai beaucoup réfléchi avant d’assumer cette formule. Il m’a semblé que mon devoir était de l’assumer complètement. Aujourd’hui je le dis clairement. La France n’est plus, ne peut plus être, une terre d’immigration nouvelle. Je l’ai déjà dit et je le réaffirme, quelque généreux qu’on soit, nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde », martèle-t-il devant un parterre d’élus pas très convaincus. Avant de conclure : « Le temps de l’accueil de main-d’œuvre étrangère relevant de solutions plus ou moins temporaires est donc désormais révolu. » Le reportage de France 2 consacré au colloque insiste sur le silence qui s’installe alors dans l’auditoire, avec un gros plan sur le visage dubitatif de Georges Morin, en charge du Maghreb pour le PS et animateur des débats.

      Le Premier ministre recycle son élément de langage dans un discours sur la politique d’immigration et d’intégration prononcé dans l’hémicycle le 22 mai 1990 : « Nous ne pouvons pas – hélas – soulager toutes les misères de la planète. » Le gouvernement reprendra aussi à son compte la petite phrase rocardienne, à l’image de Lionel Stoléru, secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre chargé du Plan, qui, face à Jean-Marie Le Pen sur la Cinq le 5 décembre 1989, déclare : « Le Premier ministre a dit une phrase simple, qui est qu’on ne peut pas héberger toute la misère du monde, ce qui veut dire que les frontières de la France ne sont pas une passoire et que quel que soit notre désir et le désir de beaucoup d’êtres humains de venir nous ne pouvons pas les accueillir tous. Le problème de l’immigration, c’est essentiellement ceux qui sont déjà là… » On retrouve le double axe de la politique que revendique le gouvernement : effort pour intégrer les immigrés qui sont présents et limitation au maximum de toute nouvelle immigration.

      Il faudra attendre le 4 juillet 1993 pour une rectification tardive de Michel Rocard, en réaction à la politique anti-immigration de Charles Pasqua, raconte Thomas Deltombe, auteur d’un essai sur l’islamophobie dans les médias, dans un article du Monde diplomatique : « Laissez-moi lui ajouter son complément, à cette phrase », déclare alors Rocard dans Sept sur sept. « Je maintiens que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. La part qu’elle en a, elle prend la responsabilité de la traiter le mieux possible. »

      Trois ans plus tard, dans une tribune publiée dans le Monde du 24 août 1996 sous le titre « La part de la France », l’ex-Premier ministre assure que sa formule a été amputée et qu’elle s’accompagnait à l’époque d’un « [la France] doit en prendre fidèlement sa part ». Ce qu’il répète dans les pages de Libé en 2009, affirmant ainsi que sa pensée avait été « séparée de son contexte, tronquée, mutilée » et mise au service d’une idéologie « xénophobe ». Pourtant, cette seconde partie — censée contrebalancer la fermeté de la première — reste introuvable dans les archives, comme le pointait Rue89 en 2009. Une collaboratrice de Michel Rocard avait alors déclaré à la journaliste : « On ne saura jamais ce qu’il a vraiment dit. Lui se souvient l’avoir dit. En tout cas, dans son esprit, c’est ce qu’il voulait dire. Mais il n’y a plus de trace. On a cherché aussi, beaucoup de gens ont cherché mais on n’a rien. »

      Quelques années plus tard, en 2013, le chroniqueur de France Inter Thomas Legrand (désormais à Libération) a reposé la question à Michel Rocard, qui a alors assuré avoir retrouvé le texte d’un discours prononcé en novembre 1989 lors du cinquantenaire de la Cimade (Comité inter-mouvement auprès des évacués) . C’est là, affirme le Premier ministre, que la phrase aurait été prononcée. Voici ce que Rocard dit avoir déclaré : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, raison de plus pour qu’elle traite décemment la part qu’elle ne peut pas ne pas prendre. » Sauf que le verbatim de son discours n’a jamais été publié. Le site Vie publique ne donne qu’un résumé très sommaire de son intervention (« mise en cause du détournement du droit d’asile et importance de la rigueur dans l’admission des réfugiés »).

      Mais que ces mots aient été, ou pas, prononcés, devant la Cimade, ne change rien au fait qu’entre 1989 et 1990, la phrase a bien été assénée par Michel Rocard sans cette seconde partie, comme une justification de sa fermeté vis-à-vis de l’immigration. Et non comme un encouragement à l’accueil des immigrés.

      https://www.liberation.fr/checknews/on-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde-la-vraie-histoire-de-l
      #Emmanuel_Macron

  • Pourquoi le fisaco de Burning Man fascine autant les internautes ?
    https://www.ladn.eu/media-mutants/ebola-brulures-chimiques-les-inondations-de-burning-man-nourissent-les-rumeurs-

    Si l’on en croit TikTok, le festival Burning Man s’est transformé en catastrophe postapocalyptique. Sur place, les choses sont pourtant bien plus calmes. Et si cet emballement avait quelque chose à voir avec notre envie de voir des riches souffrir ?

    Depuis deux jours, le monde de la tech est sous l’eau… ou plutôt, il patauge dans la gadoue. En effet, le célèbre festival Burning Man qui se déroule tous les ans dans le désert de Black Rock au Nevada, et accueille tout le gratin de la Silicon Valley, vient de connaître un épisode de fortes pluies rendant le terrain impraticable. Si les véhicules à 4 roues motrices peuvent se déplacer, les vélos, les voitures ou les camping-cars sont totalement enlisés dans une boue visqueuse rendant le départ presque impossible. À cause des conditions météorologiques, la mise à feu de l’effigie qui siège au milieu de « la Playa » et qui donne le signal de la fin du festival a été repoussée à ce lundi 4 septembre. 

    @hkenza33
    BURNING MAN 2023 #burningman #burningman23

    ♬ Funny - Gold-Tiger
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    Un arrière-goût de Fyre Festival

    Plusieurs vidéos montrant des festivaliers en train de quitter le désert à pied pour rejoindre l’unique route ainsi que l’annonce d’un mort durant les averses a fini par transformer ces difficultés en véritable feuilleton catastrophe. Il faut dire que les images rappellent un autre évènement ; le fameux Fyre Festival de 2017 durant lequel de jeunes gens avaient payé une fortune pour se retrouver coincés dans un camp de fortune aux Bahamas. Mais cette ressemblance n’explique pas les multiples exagérations que l’on a pu entendre depuis ces dernières 24 heures. 

    Si l’on se fie aux très nombreuses vidéos YouTube et TikTok sur le sujet, les festivaliers souffriraient de faim et de soif, coincés dans un désert boueux sans moyen de contacter le monde extérieur. Les routes étant impraticables, les organisateurs du festival ont demandé à rationner l’eau et la nourriture, chaque participant étant censé avoir apporté de quoi se nourrir et s’hydrater en autonomie pendant une semaine. Certaines vidéos font référence au sable de Black Rock qui est si fin qu’il aspire l’humidité de la peau et provoque des blessures semblables à des brûlures chimiques. D’autres rumeurs plus folles évoquent des cas de maladies semblables à Ebola et un confinement du festival décidé par la FEMA (l’agence américaine spécialisée dans les situations d’urgence).

    #Burning_man #Paniques_morales #Médias #Médias_sociaux

  • Le débat politique s’empare des prévisions météorologiques aussi en Suisse Etienne Kocher - Miroslav Mares - RTS

    Trop alarmantes, erronées ou encore orientées politiquement : les prévisions météorologiques sont souvent critiquées cet été. La télévision alémanique SRF est même accusée de truquer les températures pour créer la panique.

    Dans plusieurs pays, les météorologues sont pris à partie, accusés de se tromper dans leurs prévisions, mais aussi de manipuler les bulletins pour les rendre plus alarmants.


    Normal de colorer le pays en rouge orangé

    Une situation vécue au mois de mai par l’agence météorologique nationale d’Espagne, lorsqu’elle a annoncé des températures anormalement élevées. La vague de chaleur s’est avérée correcte, mais les prévisions et les analyses ont généré un flot d’insultes et de menaces.

    Plusieurs messages anonymes ont mis en doute la véracité du changement climatique et ont sous-entendu que l’agence participait à un large complot pour créer la panique. Le gouvernement espagnol a dû prendre position pour dénoncer ces attaques.

    Un mois plus tard, en France, la chaîne publique France 2 a également constaté une hausse des accusations de désinformation à propos des évènements extrêmes et de leur lien avec le climat.

    La Suisse entre aussi dans le débat
    Au mois de juillet, Météosuisse avait lancé une alerte orage de quatre sur quatre, mais par rapport aux prévisions, la tempête s’est avérée moindre. A l’inverse, la tempête qui a ravagé La Chaux-de-Fonds n’a pas été prévue. A chacun de ces épisodes, les météorologues doivent s’expliquer, voire défendre leur travail.

    Des critiques viennent aussi du monde politique. Récemment, le journal conservateur Weltwoche a dénoncé les prévisions de l’application météo de SRF. Elles prévoyaient, dans certains endroits de la Méditerranée, des températures plus élevées de quelques degrés.

    Un conseiller national UDC accuse donc le diffuseur alémanique de truquer délibérément les prévisions pour alimenter une panique climatique et faire avancer l’agenda des Verts. Le météorologue en chef de SRF a reconnu des erreurs, tout en jugeant la critique absurde puisque ces prévisions sont le résultat d’un algorithme complètement automatique.

    Le public attend davantage de précision
    Invitée mercredi dans l’émission Forum, Marianne Giroud-Gaillard, météorologue à Météosuisse, constate une augmentation des critiques sur les réseaux sociaux. « Par moments, on a l’impression que cela est lié au fait que l’on est un service public ».

    « On peut estimer qu’il y a davantage d’attente du public en termes de précision et de durée de la prévision. On sait aussi que la population a accès à davantage d’information », observe la météorologue.

    Les phénomènes météorologiques restent complexes, ils intègrent une part d’incertitude, « on communique de plus en plus en termes de probabilité et de scénarios possibles. (...) En cas d’orages, on ne peut pas dire avant une heure où ils auront lieu », rappelle Marianne Giroud-Gaillard.

    #météo #propagande sur le #réchaufement_climatique #Climat #température #complot #panique #désinformation #journalistes #médias

    Source : https://www.rts.ch/info/suisse/14229728-le-debat-politique-sempare-des-previsions-meteorologiques-aussi-en-suis

    • Des milliers de contenus illicites retirés des réseaux sociaux
      https://www.lemonde.fr/societe/live/2023/07/05/emeutes-apres-la-mort-de-nahel-m-en-direct-le-bilan-chiffre-du-ministre-de-l

      Les réseaux sociaux ont « très rapidement retiré des milliers de contenus illicites et suspendu des centaines de comptes » à la demande de l’Etat pendant les émeutes, a annoncé mercredi à l’AFP le ministère délégué au numérique.

      Les ministères de l’intérieur et de la justice ont adressé aux grandes plates-formes – Twitter, TikTok, Meta (Facebook et Instagram) et Snapchat – des centaines de réquisitions, portant sur les contenus illicites, par exemple les appels à la violence et la divulgation de données personnelles de policiers. La collaboration avec les plates-formes s’est « très bien passée », s’est félicité le ministère, qui a aussi relevé la rapidité des décisions de retraits.

      Le gouvernement a également demandé à ces plates-formes « la plus grande vigilance sur leurs fonctionnalités qui peuvent être dévoyées pour porter atteinte à l’ordre public », a précisé le ministre délégué chargé de la transition numérique, Jean-Noël Barrot, à Challenges mercredi.

    • https://affordance.framasoft.org/2023/07/cest-la-faute-aux-reseaux-sociaux

      Depuis quelques jours après près la mort de Nahel, le discours politique face aux émeutes part totalement en vrille. Je vais rester sur la partie du commentaire politique qui mobilise mon domaine de recherche, à savoir le rôle des réseaux sociaux (ou des jeux vidéos) dans cette affaire. Emmanuel Macron souligne que certains jeunes seraient intoxiqués, Fabien Roussel propose de couper les réseaux sociaux dans certains quartiers, Eric Dupont-Moretti et Olivier Véran se transforment en Dolto de chez Wish et distribuent des leçons de parentalité, des préfets leur emboîtent le pas en recommandant de distribuer des claques aux gamins récalcitrants et c’est tout un choeur de politiques qui reprend à l’unisson des arguments étayés il est vrai depuis plus de 20 ans dans tout ce que la France compte de cafés du commerce et de débats de fins de banquets trop arrosés.

      #panique_morale

  • Enfants et écrans : « Les médias sont alarmistes, les études scientifiques beaucoup moins » - L’Express
    https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sciences/enfants-et-ecrans-les-medias-sont-alarmistes-les-etudes-scientifiques-beauc
    https://www.lexpress.fr/resizer/VDuhX4gk-JjvAO9i9Gp8sxr3L6o=/1200x630/filters:focal(2047x1685:2057x1695)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/lexpress/45RENNSGDRE2BK62OR5EOPVAKY.jpg

    Halte au catastrophisme ! Coordonné par Anne Cordier, professeure des sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine, et Séverine Erhel, maître de conférences en psychologie cognitive à Rennes 2, Les Enfants et les écrans (Retz) regroupe les contributions de chercheurs en psychologie, psychiatrie, neurosciences ou sociologie (Franck Ramus, Grégoire Borst, Nicolas Poirel, Eric Jamet…). Le numérique diminue-t-il l’intelligence des enfants et des adolescents ? Les jeux vidéo et les réseaux sociaux sont-ils nuisibles pour la santé psychique des jeunes ? Loin des discours alarmistes en vogue sur les « crétins digitaux », ce livre indispensable fait un point sur les connaissances scientifiques, et rassurera des parents culpabilisés. Entretien.

    Vous rappelez que de la radio aux mangas, chaque nouvelle activité de loisir a suscité des discours alarmistes…

    Anne Cordier : Ce phénomène de panique morale s’est observé sur les émissions radiophoniques consacrées aux crimes dans les années 1940, les comics books dans les années 1950, les jeux de rôle type Donjons et Dragons dans les années 1980. Dans les années 1930, on a même vu des discours sur la corruption morale chez les jeunes provoqués par le flipper, qui venait d’être inventé…

    A chaque fois, il y a un schéma similaire. Des lanceurs d’alerte créent une panique morale, avant que des responsables politiques ne la récupèrent. En 1942, le maire de New York, Fiorello LaGuardia, avance ainsi que ces flippers sont des « machines du diable » et ira même jusqu’à se mettre en scène en train d’en détruire un avec une masse. Et ensuite, ça retombe. D’ici à ce qu’on arrive à un consensus scientifique sur les écrans, une nouvelle panique morale aura sans doute été lancée sur autre chose.

    #Panique_morale #Anne_Cordier #Séverine_Erhel

    • Un petit lien justpaste.it avec l’entretien en entier ?

      Le bouquin du neurologue Michel Desmurget, La fabrique du crétin digital (dont j’ai posté mes notes de lecture ici https://seenthis.net/messages/989587), m’a paru scientifiquement très solide. Dans sa première partie, il prend notamment pour cible ces experts qui s’emploient à relativiser l’impact des écrans sur la santé physique, mentale, cognitive des enfants, des adolescents et des adultes.

      Anne Cordier et Séverine Erhel, quant à elle, prennent pour cible Michel Desmurget. C’est en tous les cas ce que le début de cet entretien me laisse à penser...

  • Usul. Est-ce que vous condamnez les violences ?
    https://www.youtube.com/watch?v=L6OW3C-Y3fU

    « Est-ce que vous condamnez les violences ? » Vous avez sûrement entendu cette question, posée sur les plateaux de télévision à des gens de gauche pour leur demander de s’exprimer sur les terribles dégradations commises par des casseurs lors des manifestations. En revanche, on entend beaucoup moins les interrogations des éditorialistes sur les violences policières, et sur le changement de régime que nous sommes peut-être en train de vivre.

  • L’ère de la dévoration – sur Le capital, c’est ta vie de Hugues Jallon - AOC media
    https://aoc.media/critique/2023/01/18/lere-de-la-devoration-sur-le-capital-cest-ta-vie-de-hugues-jallon

    Du capitalisme nous savons presque tout. Nous le connaissons. Nous le reconnaissons. Il n’a pas de mystère pour nous. Le capital c’est ta vie de Hugues Jallon relate de l’emprise croissante du capital sur nos vie. Ce livre aurait alors pour objet de combler ce fossé entre l’intime et le social, les données immédiates de la conscience personnelle et l’histoire collective. Mais il pourrait être tout aussi bien une adresse à un ami désorienté, une main tendue et une invitation à en sortir.

    https://justpaste.it/cbmix

    #capitalisme #mondialisation #panique #littérature

  • Pourquoi détruit-on la planète ? Les dangers des explications pseudo-neuroscientifiques

    Des chercheurs en neurosciences et sociologie mettent en garde contre la thèse, qu’ils jugent scientifiquement infondée, selon laquelle une de nos #structures_cérébrales nous conditionnerait à surconsommer.

    Selon Thierry Ripoll et Sébastien Bohler, les ravages écologiques liés à la surconsommation des ressources planétaires seraient dus aux #comportements_individuels déterminés par notre cerveau. Une structure, le striatum, piloterait par l’intermédiaire d’une #molécule_neurochimique, la #dopamine, le désir de toujours plus, sans autolimitation, indiquaient-ils récemment dans un entretien au Monde.

    (#paywall)
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/07/07/pourquoi-detruit-on-la-planete-les-dangers-des-explications-pseudo-scientifi

    –—

    Tribune longue :

    Dans un entretien croisé pour Le Monde, Thierry Ripoll et Sébastien Bohler présentent leur thèse commune, développée dans deux ouvrages récents et que Bohler avait résumée dans un ouvrage précédent sous le titre évocateur de « bug humain » : les ravages écologiques liés à la surconsommation des ressources planétaires seraient dus aux comportements individuels déterminés par la structure même du cerveau. Précisément, le dogme de la croissance viendrait du striatum. Selon lui, cette structure cérébrale piloterait par l’intermédiaire d’une molécule neurochimique, la dopamine, le désir de toujours plus, sans autolimitation. Ripoll reprend cette thèse à son compte, et il affirme que la décroissance économique, qu’il appelle de ses vœux pour limiter les catastrophes en cours, bute ainsi sur des limites psychobiologiques.

    Cette thèse est très forte et a des conséquences politiques très préoccupantes : la #nature_humaine, ou plus précisément notre #programmation_biologique, conditionnerait le champ des possibles concernant l’organisation socio-économique. Le modèle de croissance économique serait le seul compatible avec le #fonctionnement_cérébral humain. Cela disqualifie les projets politiques de #décroissance ou de stabilité basés sur la #délibération_démocratique. Cela déresponsabilise également les individus[i] : leur #comportement destructeur de l’#environnement n’est « pas de leur faute » mais « celle de leur #striatum ». Une conséquence logique peut être la nécessité de changer notre nature, ce qui évoque des perspectives transhumanistes, ou bien des mesures autoritaires pour contraindre à consommer moins, solution évoquée explicitement par les deux auteurs. Les neurosciences et la #psychologie_cognitive justifient-elles vraiment de telles perspectives ?

    Nous souhaitons ici solennellement informer les lectrices et les lecteurs de la totale absence de fondement scientifique de cette thèse, et les mettre en garde contre ses implications que nous jugeons dangereuses. Ce message s’adresse également à ces deux auteurs que nous estimons fourvoyés, sans préjuger de leur bonne foi. Nous ne doutons pas qu’ils soient sincèrement et fort justement préoccupés des désastres environnementaux mettant en danger les conditions d’une vie décente de l’humanité sur Terre, et qu’ils aient souhaité mobiliser leurs connaissances pour aider à trouver des solutions. Les arguments déployés sont cependant problématiques, en particulier ceux relevant des neurosciences, notre domaine principal de compétence.

    Tout d’abord, le striatum ne produit pas de #dopamine (il la reçoit), et la dopamine n’est pas l’#hormone_du_plaisir. Le neuroscientifique #Roy_Wise, qui formula cette hypothèse dans les années 70, reconnut lui-même « je ne crois plus que la quantité de plaisir ressentie est proportionnelle à la quantité de dopamine » en… 1997. L’absence de « fonction stop » du striatum pour lequel il faudrait toujours « augmenter les doses » est une invention de #Bohler (reprise sans recul par #Ripoll) en contresens avec les études scientifiques. Plus largement, la vision localisationniste du xixe siècle consistant à rattacher une fonction psychologique (le #plaisir, le #désir, l’#ingéniosité) à une structure cérébrale est bien sûr totalement obsolète. Le fonctionnement d’une aire cérébrale est donc rarement transposable en termes psychologiques, a fortiori sociologiques.

    Rien ne justifie non plus une opposition, invoquée par ces auteurs, entre une partie de #cerveau qui serait « récente » (et rationnelle) et une autre qui serait « archaïque » (et émotionnelle donc responsable de nos désirs, ou « instinctive », concept qui n’a pas de définition scientifique). Le striatum, le #système_dopaminergique et le #cortex_frontal, régions du cerveau présentes chez tous les mammifères, ont évolué de concert. Chez les primates, dont les humains, le #cortex_préfrontal a connu un développement et une complexification sans équivalent. Mais cette évolution du cortex préfrontal correspond aussi à l’accroissement de ses liens avec le reste du cerveau, dont le système dopaminergique et le striatum, qui se sont également complexifiés, formant de nouveaux réseaux fonctionnels. Le striatum archaïque est donc un #neuromythe.

    Plus généralement, les données neuroscientifiques ne défendent pas un #déterminisme des comportements humains par « le striatum » ou « la dopamine ». Ce que montrent les études actuelles en neurosciences, ce sont certaines relations entre des éléments de comportements isolés dans des conditions expérimentales simplifiées et contrôlées, chez l’humain ou d’autres animaux, et des mesures d’activités dans des circuits neuronaux, impliquant entre autres le striatum, la dopamine ou le cortex préfrontal. Le striatum autocrate, dont nous serions l’esclave, est donc aussi un neuromythe.

    Par ailleurs, Bohler et Ripoll font appel à une lecture psycho-évolutionniste simpliste, en fantasmant la vie des êtres humains au paléolithique et en supposant que les #gènes codant pour les structures du cerveau seraient adaptés à des conditions de vie « primitive », et pas à celles du monde moderne caractérisé par une surabondance de biens et de possibles[ii]. Il y a deux problèmes majeurs avec cette proposition. Tout d’abord, les liens entre les gènes qui sont soumis à la sélection naturelle, les structures cérébrales, et les #comportements_sociaux sont extrêmement complexes. Les #facteurs_génétiques et environnementaux sont tellement intriqués et à tous les stades de développement qu’il est impossible aujourd’hui d’isoler de façon fiable des #déterminismes_génétiques de comportements sociaux (et ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé). Poser la surconsommation actuelle comme sélectionnée par l’évolution, sans données génétiques, est une spéculation dévoyée de la #psychologie_évolutionniste. Le second problème concerne les très faibles connaissances des modes d’#organisation_sociale des peuples qui ont vécu dans la longue période du paléolithique. Il n’existe pas à notre connaissance de preuves d’invariants ou d’un mode dominant dans leur organisation sociale. Les affirmations évolutionnistes de Bohler et Ripoll n’ont donc pas de statut scientifique.

    Il est toujours problématique de privilégier un facteur principal pour rendre compte d’évolutions historiques, quel qu’il soit d’ailleurs, mais encore plus quand ce facteur n’existe pas. Les sciences humaines et sociales montrent la diversité des modèles d’organisation sociale qui ont existé sur Terre ainsi que les multiples déterminismes socio-historiques de la « grande accélération » caractéristique des sociétés modernes dopées aux énergies fossiles. Non, toutes les sociétés n’ont pas toujours été tournées vers le désir de toujours plus, vers le progrès et la croissance économique : on peut même argumenter que la « religion du #progrès » devient dominante dans les sociétés occidentales au cours du xixe siècle[iii], tandis que le modèle de la #croissance_économique (plutôt que la recherche d’un équilibre) n’émerge qu’autour de la seconde guerre mondiale[iv]. Invoquer la « #croissance » comme principe universel du vivant, comme le fait Ripoll, abuse du flou conceptuel de ce terme, car la croissance du PIB n’a rien à voir avec la croissance des plantes.

    Il peut certes sembler légitime d’interroger si le fonctionnement du cerveau a, au côté des multiples déterminismes sociohistoriques, une part de #responsabilité dans l’état de la planète. Mais la question est mal posée, l’activité de « milliards de striatum » et les phénomènes socioéconomiques ne constituant pas le même niveau d’analyse. Bohler et Ripoll ne proposent d’ailleurs pas d’explications au niveau cérébral, mais cherchent à légitimer une explication psychologique prétendument universelle (l’absence d’#autolimitation) par la #biologie. Leurs réflexions s’inscrivent donc dans une filiation ancienne qui cherche une explication simpliste aux comportements humains dans un #déterminisme_biologique, ce qu’on appelle une « #naturalisation » des #comportements. Un discours longtemps à la mode (et encore présent dans la psychologie populaire) invoquait par exemple le « #cerveau_reptilien » à l’origine de comportements archaïques et inadaptés, alors que cette pseudo-théorie proposée dans les années 60 a été invalidée quasiment dès son origine[v]. Le « striatum », la « dopamine », le « #système_de_récompense », ou le « #cerveau_rapide et le #cerveau_lent » sont en fait de nouvelles expressions qui racontent toujours à peu près la même histoire. Loin d’être subversive, cette focalisation sur des déterminismes individuels substitue la #panique_morale [vi] à la #réflexion_politique et ne peut mener, puisque nous serions « déterminés », qu’à l’#impuissance ou à l’#autoritarisme.

    Les erreurs des arguments développés par Bohler et Ripoll ont d’ores et déjà été soulignées à propos d’ouvrages précédents de Bohler[vii]. Nous souhaitons également rappeler qu’il existe un processus d’évaluation des productions scientifiques (y compris théoriques) certes imparfait mais qui a fait ses preuves : la revue par les pairs. Aucun de ces deux auteurs ne s’y est soumis pour avancer ces propositions[viii]. Il n’est pas sûr que notre rôle de scientifiques consiste à évaluer les approximations (et c’est un euphémisme) qui sont en continu publiées dans des livres ou dans la presse. Notre réaction présente est une exception justifiée par une usurpation des neurosciences, la gravité des enjeux écologiques dont ces auteurs prétendent traiter, ainsi que par la popularité grandissante que ces thèses semblent malheureusement rencontrer[ix].

    _____________________

    Ce texte n’est pas issu des travaux de l’atelier d’écologie politique mais il résonne fortement avec d’autres travaux de l’atécopol. Il a été rédigé par Etienne Coutureau, chercheur CNRS en neurosciences (Bordeaux), Jean-Michel Hupé, chercheur CNRS en neurosciences et en écologie politique et membre de l’atécopol (Toulouse), Sébastien Lemerle, enseignant-chercheur en sociologie (Paris-Nanterre), Jérémie Naudé, chercheur CNRS en neurosciences (Montpellier) et Emmanuel Procyk, chercheur CNRS en neurosciences (Lyon).

    [i] Jean-Michel Hupé, Vanessa Lea, « Nature humaine. L’être humain est-il écocidaire par nature ? », dans Greenwashing : manuel pour dépolluer le débat public, Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières (coords.), Paris, Le Seuil, 2022, p. 150-156.

    [ii] Philippe Huneman, Hugh Desmond, Agathe Du Crest, « Du darwinisme en sciences humaines et sociales (1/2) », AOC, 15 décembre 2021.

    [iii] François Jarrige, Technocritiques, Paris, La Découverte, 2014.

    [iv] Timothy Mitchell, « Economentality : how the future entered government », Critical inquiry, 2014, vol. 40, p. 479-507. Karl Polanyi a par ailleurs montré comment l’économie de marché est une construction socio-historique : La Grande Transformation, Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, (1944) 1983.

    [v] Sébastien Lemerle, Le cerveau reptilien. Sur la popularité d’une erreur scientifique, Paris, CNRS éditions, 2021.

    [vi] Jean-Michel Hupé, Jérôme Lamy, Arnaud Saint-Martin, « Effondrement sociologique ou la panique morale d’un sociologue », Politix, n° 134, 2021. Cet article témoigne également que Bohler et Ripoll ne sont pas les seuls intellectuels mobilisant les neurosciences de façon très contestable.

    [vii] Jérémie Naudé (2019), « Les problèmes avec la théorie du "bug humain", selon laquelle nos problème d’écologie viendraient d’un bout de cerveau, le striatum » ; Thibault Gardette (2020), « La faute à notre cerveau, vraiment ? Les erreurs du Bug humain de S. Bohler » ; Alexandre Gabert (2021), « Le cortex cingulaire peut-il vraiment "changer l’avenir de notre civilisation" ? », Cortex Mag, interview d’Emmanuel Procyk à propos de Sébastien Bohler, Où est le sens ?, Paris, Robert Laffont, 2020.

    [viii] Le bug humain de Sébastien Bohler (Paris, Robert Laffont, 2019) a certes obtenu « le Grand Prix du Livre sur le Cerveau » en 2020, décerné par la Revue Neurologique, une revue scientifique à comité de lecture. Ce prix récompense « un ouvrage traitant du cerveau à destination du grand public ». Les thèses de Bohler n’ont en revanche pas fait l’objet d’une expertise contradictoire par des spécialistes du domaine avant la publication de leurs propos, comme c’est la norme pour les travaux scientifiques, même théoriques.

    [ix] La thèse du bug humain est ainsi reprise dans des discours de vulgarisation d’autorité sur le changement climatique, comme dans la bande dessinée de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici, Le monde sans fin, Paris, Dargaud, 2021.

    https://blogs.mediapart.fr/atelier-decologie-politique-de-toulouse/blog/070722/pourquoi-detruit-la-planete-les-dangers-des-explications-pseudo-neur
    #neuro-science #neuroscience #critique #écologie #surconsommation #politisation #dépolitisation #politique

  • De la #démocratie en #Pandémie. #Santé, #recherche, #éducation

    La conviction qui nous anime en prenant aujourd’hui la parole, c’est que plutôt que de se taire par peur d’ajouter des polémiques à la confusion, le devoir des milieux universitaires et académiques est de rendre à nouveau possible la discussion scientifique et de la publier dans l’espace public, seule voie pour retisser un lien de confiance entre le savoir et les citoyens, lui-même indispensable à la survie de nos démocraties. La stratégie de l’omerta n’est pas la bonne. Notre conviction est au contraire que le sort de la démocratie dépendra très largement des forces de résistance du monde savant et de sa capacité à se faire entendre dans les débats politiques cruciaux qui vont devoir se mener, dans les mois et les années qui viennent, autour de la santé et de l’avenir du vivant.

    https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tracts/De-la-democratie-en-Pandemie

    –-

    Et une citation :

    « La conviction qui nous anime en prenant aujourd’hui la parole, c’est que plutôt que de se taire par peur d’ajouter des #polémiques à la #confusion, le devoir des milieux universitaires et académiques est de rendre à nouveau possible la discussion scientifique et de la publier dans l’espace public, seule voie pour retisser un lien de confiance entre le #savoir et les citoyens, lui-même indispensable à la survie de nos démocraties. La stratégie de l’ _#omerta_ n’est pas la bonne. Notre conviction est au contraire que le sort de la démocratie dépendra très largement des forces de résistance du monde savant et de sa capacité à se faire entendre dans les débats politiques cruciaux qui vont devoir se mener, dans les mois et les années qui viennent, autour de la santé et de l’avenir du vivant. »

    #syndémie #désert_médical #zoonose #répression #prévention #confinement #covid-19 #coronavirus #inégalités #autonomie #état_d'urgence #état_d'urgence_sanitaire #exception #régime_d'exception #Etat_de_droit #débat_public #science #conflits #discussion_scientifique #résistance #droit #santé #grève #manifestation #déni #rationalité #peur #panique #colère #confinement #enfermement #défiance #infantilisation #indiscipline #essentiel #responsabilité #improvisation #nudge #attestation_dérogatoire_de_déplacement #libéralisme_autoritaire #autoritarisme #néolibéralisme #colloque_Lippmann (1938) #économie_comportementale #Richard_Thaler #Cass_Sunstein #neuroscience #économie #action_publique #dictature_sanitaire #consentement #acceptabilité_sociale #manufacture_du_consentement #médias #nudging #consulting #conseil_scientifique #comité_analyse_recherche_et_expertise (#CARE) #conseil_de_défense #hôpitaux #hôpital_public #système_sanitaire #éducation #destruction #continuité_pédagogique #e-santé #université #portefeuille_de_compétences #capital_formation #civisme #vie_sociale #déconfinement #austérité #distanciation_sociale #héroïsation #rhétorique_martiale #guerre #médaille_à_l'engagement #primes #management #formations_hybrides #France_Université_Numérique (#FUN) #blended_learning #hybride #Loi_de_programmation_de_la_recherche (#LPR ou #LPPR) #innovation #start-up_nation #couvre-feu #humiliation #vaccin #vaccination
    #livre #livret #Barbara_Stiegler

    • secret @jjalmad
      https://twitter.com/jjalmad/status/1557720167248908288

      Alors. Pour Stiegler je veux bien des ref si tu as ça, j’avais un peu écouté des conf en mode méfiance mais il y a un moment, sans creuser, et je me disais que je devais pousser parce qu’en effet grosse ref à gauche

      @tapyplus

      https://twitter.com/tapyplus/status/1557720905828253698

      Check son entretien avec Desbiolles chez les colibris par ex. T’as aussi ses interventions à ASI, son entretien avec Ruffin, etc. C’est une philosophe médiatique, on la voit bcp. Et elle dit bien de la merde depuis qq tps. Aussi un live de la méthode scientifique avec Delfraissy

      Je suis pas sur le PC mais je peux te lister pas mal de sources. D’autant plus pbtk parce que « réf » à gauche. Mais dans le détail elle dit de la merde en mode minimiser le virus + méconnaissance de l’antivaccinisme. Et du « moi je réfléchit » bien claqué élitiste et méprisant.

      Quelques interventions de B Stiegler (en vrac) :
      Alors la première m’avait interpellée vu qu’elle était partie en HS complet à interpeller Delfraissy sur les effets secondaires des vaccins : https://radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-methode-scientifique/et-maintenant-la-science-d-apres-8387446
      (le pauve N Martin se retrouvait sur un débat complètement HS)

      Il y a d’une part la critique politique (rapport à la démocratie en santé publique), mais pour Stiegler outre la position « le gvt en fait trop, c’est des mesures autoritaires inutiles » elle se positionne par ailleurs sur des choix

      Parler des EI des vaccins sans balancer avec les effets de la maladie. Utilisation de la santé mentale des enfants pour critiquer le port du masque à l’école, lecture de la situation où il n’y aurait que gvt vs libertay, et en omettant complètement toutes les positions développées par l’autodéfense sanitaire et les militants antivalidistes et de collectifs de patients (immunodéprimés, covid long, ...) quand ils ne vont pas dans son narratif.

      Elle met de côté toutes les lectures matérialistes de la situation et sort clairement de son champ de compétence sur certains points, tout en ne donnant que très peu de sources et de points de référence pour étayer ses propos.

      Genre elle critique la pharmacovigilance et les EI mais elle ne donne jamais aucune source ni aucune information sur les outils, méthodes et acteurs qui travaillent ces sujets. Pareil quand elle dit découvrir les critiques des vaccination. Il y a de quoi faire avec les travaux historique sur la #santé_publique et la vaccination. A t elle interrogé des spécialiste de ces sujets, notamment les spécialistes qui ne vont pas que dans le sens de son propos. Elle semble manquer cruellement de référence historique sur le sujet alors qu’elle s’en saisit et qu’elle a une aura d’#intellectuelle_de_gauche, donc plein de monde lui accorde une confiance et trouve qu’elle est très pertinente sur certains sujets. Mais sur le traitement des points techniques elle me semble plutôt à la ramasse et ce qui ne va pas dans son sens est renvoyé à la doxa gouvernementale ou technoscientiste liberale, sans apparemment regarder les contenus eux même. Et Desbiolles c’est pareil. Alla je connais moins et je l’ai entendu dire qq trucs pertinents (sur les profils des non vaccines par exemple) mais le fait qu’il cite Desbiolles devant l’opecst, alors que celle ci racontait des trucs bien limites sur les masques et les enfants, ça me met des warnings.

      Je rajouterai 2 points : 1) il y a des sujets super intéressants à traiter de trouver comment on construit une position collective sur des questions de santé publique, ni individualiste ni subissant l’autorité de l’état. Genre comment penser une réflexions sur les vaccinations (en général, pas spécifiquement covid) dans une perspective émancipatrice et libertaire, comment on fait collectif, comment on mutualise des risques, comment on se donne des contraintes individuelles pour soutenir celles et ceux qui en ont plus besoin.

      Stiegler ne fait que critiquer l’autoritarisme d’état, parle de démocratie, mais ne propose aucune piste concrète ni axe de réflexion pour développer cela. D’autres personnes le font et développent cela, et c’est des sujets non triviaux sur lesquels il est important de délibérer.

      2) Un autre point c’est son discours, comme ceux d’autres intellectuels, est surtout axé sur la partie « choix libre » de la phrase « choix libre et éclairé », et n’évoquent pas vraiment la manière dont on construit collectivement la partie « éclairé »

      Il y a des sujets super importants à traiter sur le rapport aux paroles d’expert, de la place des scientifiques dans un débat public, de la dialectique entre connaissance scientifique et choix politiques et éthiques, bref plein d’enjeux d’éducation populaire

      Ah et aussi dernier point que j’ai déjà évoqué par le passé : l’axe « liberté » sur les questions de vaccination, c’est un argument central des discours antivaccinaux, qui axent sur le fait que les individus peuvent choisir librement etc. C’est assez documenté et c’est par exemple un registre argumentaire historique de la Ligue Nationale Pour la Liberté de Vaccination (LNPLV), qui défend le rapport au choix, défendant les personnes qui ont refusé les vaccinations obligatoires. Mais sous couvert de nuance et de démocratie, ce sont des positions antivaccinales assez claires qui sont défendues. Ce truc de la nuance et de la liberté, tu la retrouves par exemple également chez les anthroposophes (j’en parlais récemment dans un thread).

      j’ai enfin compris pourquoi on dit intellectuel de gauche : c’est pour indiquer avec quel pied leur marcher dessus.

  • Nupes : radiographie d’une panique éditoriale
    http://www.davduf.net/nupes-radiographie-d-une-panique-editoriale-par

    Lu sur Arrêt Sur Images | L’accord historique d’union de la gauche a été accueilli dans les grands médias par une vague d’éditoriaux apocalyptiques. On reproche au Parti socialiste d’avoir « trahi ses valeurs » en s’alliant à La France Insoumise ; à Jean-Luc Mélenchon, d’être un « autre Le Pen », un « Chavez », un « bolivarien » ; aux électeurs de gauche, de « vouloir gagner ». Analyse d’une panique médiatique qui en dit long... sur la (...) Revue de presse, du web & veille en tous genres

    / Une, #Présidentielle_2022

    #Revue_de_presse,du_web&_veille_en_tous_genres

    • « La campagne de la France insoumise pour les élections législatives, à laquelle se sont ralliées les autres formations de la gauche parlementaire a littéralement déchaîné les médias dominants. »

      Anatomie d’une campagne médiatique contre la gauche (1/3)
      https://www.acrimed.org/Anatomie-d-une-campagne-mediatique-contre-la

      « Illusionniste », « prestidigitateur », « chefs à plume », « petites cervelles », « fascisme à visage humain », « Polichinelle hâbleur », « escroquerie », « chiens », « pitbulls », « danger pour la France », « insurgé de prédilection »… La campagne de la France insoumise pour les élections législatives, à laquelle se sont ralliées les autres formations de la gauche parlementaire (Générations-EELV-PS-PCF), a littéralement déchaîné les médias dominants. Éditorialistes et journalistes politiques ont orchestré, du PAF aux grands quotidiens nationaux, une cabale d’une rare violence que nous traiterons en trois temps : 1) Mépriser, délégitimer : l’Union populaire n’adviendra pas ; 2) Stigmatiser : haro sur les « islamogauchistes » ; 3) Traquer : sus aux « déviants » de la social-démocratie. Premier mouvement.

      Aussitôt Emmanuel Macron réélu, les chiens de garde sécurisaient le périmètre de la « démocratie » en étouffant les critiques. « Dire du président qu’il a été "mal élu" ? C’est "ébranler la légitimité du vote, et par là même les fondements de la démocratie représentative" pour Le Monde. C’est "alimenter une défiance dans les institutions, dans notre système démocratique" pour David Pujadas. Des syndicats qui souhaitent être pris en compte ? "C’est factieux !" s’indigne Jean-Michel Aphatie. » Ce n’était là qu’un début.

      « Des gens dangereux »

      Pour Mathieu Bock-Côté (Europe 1, 27/04), « Jean-Luc Mélenchon veut accélérer la crise de régime », tenter « un coup de force » et « un dernier tour de piste avant de se laisser momifier vivant à la manière d’un petit Lénine français vénéré et contemplé par tous les sectateurs de la Révolution ». Un peu plus tôt sur la même antenne, face à Sonia Mabrouk, Raphaël Enthoven commentait l’affiche « Mélenchon Premier ministre » de la France insoumise, qui révélerait selon lui « qui [sont] les gens dangereux […] susceptibles de s’asseoir [sur les institutions] pour un bénéfice à peu près nul. » Un verdict partagé par l’ex-plume de Valeurs actuelles, Louis de Raguenel, désormais chef du service politique de la radio Bolloré : « À force de marteler ces messages dangereux, ça finit par donner aux ultras des espoirs de renversement de l’État. » (Europe 1, 2/05)

      C’est donc de (violent) concert avec l’extrême droite que les chantres de « l’extrême centre » pointent, d’un seul et même doigt, le péril de l’époque : la France insoumise et l’union de la gauche. Sur LCI, Jean-Michel Aphatie prévenait ses confrères (29/04) :

      Le fond de l’affaire, c’est qu’on dit que Marine Le Pen n’est pas républicaine, n’est pas démocrate, très bien, ça fait vingt ans qu’on fait une danse là-dessus à l’extrême-droite ! Et la France Insoumise, elle est comment ? Quel attachement à la démocratie et aux valeurs ?

      L’éditocratie poursuivra précisément sur cette lancée. À commencer par Catherine Nay (Europe 1, 30/04) :

      Si ça ne se passe pas comme prévu, « il faudra aller chercher la victoire dans la rue pour faire avancer la société ». Qui le dit ? C’est la Clémentine Autain [sic]. Vous savez avec son joli sourire et ses yeux myosotis. Et elle dit ça sans être morigénée par quiconque, c’est sa vision de la démocratie ! Ça s’appelle le fascisme à visage humain.

      Dans Le Figaro (6/05), Ivan Rioufol monte d’un cran : « S’il y a un totalitarisme qui vient, c’est au cœur de la gauche marxiste et révolutionnaire qu’il faut le traquer, comme toujours historiquement. » Et de poursuivre : « L’entourloupe sur "le cordon sanitaire" a permis à l’extrême gauche, sectaire et violente, de se comporter en terrain conquis. Oui, il y a un danger pour la République. Mais il est à débusquer dans la stratégie d’infiltration insurrectionnelle du soi-disant Insoumis. » Le totalitarisme, c’est également ce que l’union de la gauche inspire à Bernard-Henri Lévy : « Avec cet accord Insoumis/socialistes, c’est Chavez qu’on accorde avec Jaurès. Poutine avec Léon Blum. Et voilà bradé, pour un plat de lentilles (une poignée de circonscriptions), tout le patient travail de la gauche, depuis 50 ans, pour conjurer sa tentation totalitaire. Navrant. » (Twitter, 4/05).

      Sur LCI (6/05), Jean-François Kahn qualifie sans rire les Insoumis de « néo-bolcheviks ». « Un parti factieux, séditieux ? » interroge de son côté Frédéric Haziza (Radio J, 8/05). « Une secte » affirmait deux jours plus tôt Philippe Val (Europe 1, 6/05) : « Une secte dont certains militants se radicalisent sur internet, comme cette femme "gilet jaune", anti vax et mélenchoniste qui a récemment agressé un pompier », mais également « des irresponsables [qui] jouent la violence sociale contre le suffrage universel. » Un parti qui, en tout cas, « a réussi son pari de caler la gauche sur les extrêmes » selon Challenges (5/05), qualificatif employé partout, inspirant un espoir à Thomas Sotto face à Jean-Luc Mélenchon : « Est-ce que ça ne va pas faire le jeu d’Emmanuel Macron une gauche qui se radicalise ? » (France 2, 6/05).

      Le 2 mai, date de l’accord entre la France insoumise et Europe Écologie les Verts (EELV), David Reyrat, journaliste sportif au Figaro, synthétise : « Pour être certain de ne pas être coincé dans une faille temporelle. On parle bien en 2022 de porter au pouvoir en France des trotskistes, des maoïstes, des communistes, des khmers verts. En 2022. En France. C’est bien ça ? Vous confirmez ? » (Twitter, 2/05, tweet supprimé depuis). Franz-Olivier Giesbert confirme dans Le Point (5/05) : « La haine est en marche et rien ne semble pouvoir l’arrêter ». On ne le lui fait pas dire… « Certes, nous ne sommes pas en 1789 quand la populace […] saccageait et pillait tout sur son passage. […] Il y a en ce printemps ensoleillé mais saturnien beaucoup d’électricité dans l’air, une violence verbale peu ordinaire, en particulier du côté des chefs à plume de la France insoumise. » Et le non-violent-verbal de qualifier les responsables insoumis de « mufles » et de « braillards », quelques lignes seulement avant de fustiger la « décomposition démocratique » du pays : « Une partie des "élites" de la France d’en haut […] commence à basculer dans l’extrémisme de gauche ». Diantre ! L’élite médiatique, au moins, aura été épargnée.

      Pendant ce temps sur Twitter, en écoutant François Ruffin sur BFM-TV, l’ancien directeur du Nouvel Observateur Claude Weill weillise :

      Ce type est un grand malade. « Il y a un bâton pour chasser Macron ! » […] s’excite-t-il. Étonnez-vous que des petites cervelles insoumises, échaudées par ces appels incessants à la haine et au déni de démocratie finissent par aller taper sur des pompiers… (3/04)

      Qui est excité ?

      Jacques Julliard dans Marianne, sans nul doute. Le 4 mai, il tempête dans l’édito « Oui à l’union, non à Mélenchon ! » : « Le mélenchonisme n’est ni l’avenir ni la justice, c’est une construction qui repose sur un homme et sur les branches pourries du mouvement social. Épargnons-nous ce retour en arrière. » Sur France 5 (5/05), Denis Olivennes alerte :

      Il faut se souvenir de ce qu’a été Jean-Luc Mélenchon ! […] Il a quand même conspué les juges indépendants et la presse indépendante ! Je ne crois que ce que je vois. Et ce que je vois, c’est un leader qui a attaqué l’indépendance des juges, attaqué les journalistes, dont les amis c’est Poutine et Maduro, des gens qui n’acceptent pas la démocratie ! C’est ça Mélenchon !

      Le magazine hebdomadaire des Échos fait campagne plus qu’à son tour, et directement par la voix de son directeur adjoint de la rédaction : « Mélenchon ou la défaite de la raison » titre-t-il son édito (2/05). Tout y passe : « Héros fatigué d’une gauche en déliquescence », « amoureux transi des dirigeants d’un Venezuela en ruine », « un "insoumis sauf avec les dictateurs" », des « convictions […] flottantes », la « gauche régressive ». Bref… « la folie Mélenchon ».

      Un crachat que reprend en écho le rédacteur en chef adjoint de L’Est Républicain, dans l’édito qui garnit les huit titres du groupe Ebra – propriété du Crédit Mutuel (28/04) : « Jean-Luc Mélenchon incarne à merveille le Polichinelle hâbleur d’une gauche désorbitée, entraînée vers les abîmes d’une tragique bouffonnerie. » D’une rare brutalité contre « Méluche, le magnifique », l’éditorial se conclut sur un incontrôlable accès de mépris de classe : « Les chiens sont lâchés. Ses pitbulls aboient et mordent. [Mélenchon] est, nous dit-on l’idole des jeunes. Même diplômés. C’est dire l’incurie de l’époque. »

      Un désespoir partagé par l’une des grandes figures macronistes du Monde, Françoise Fressoz, qui aligne les formules de courtoisie à l’égard de Jean-Luc Mélenchon : « Trublion », « prestidigitateur », « acteur talentueux, doublé d’un séduisant bonimenteur. À 70 ans, il joue la partition de sa vie, fait croire que la gauche radicale peut gouverner le pays. » (10/05) Le désarroi puise sa source au milieu de l’article : « Avant le premier tour, il y avait deux France, celle d’Emmanuel Macron et celle de Marine Le Pen. Le soir du 10 avril, une troisième a surgi, celle de Jean-Luc Mélenchon. Depuis, le vaincu s’emploie à la faire survivre et prospérer, au prix d’une personnalisation du pouvoir totalement assumée. »

      Pendant ce temps sur Twitter, Raphaël Enthoven enthovenise :

      UE, OTAN, Syrie, Russie, gilets jaunes, vaccins, oligarchie, populisme, mépris de la constitution... L’avenir de LFI est dans l’alliance avec le RN, plutôt que dans une OPA sur la gauche dont les autres membres doivent renoncer à leur identité pour gratter quelques circos. (2/04)

      « On n’est pas en dictature ! Ce n’est pas Mélenchon qui décide ! »

      « OPA », « coup de force », « au forceps », « destruction », « soumission ». Partout, le champ lexical mobilisé pour décrire le processus d’accord est celui de la violence, les journalistes politiques moulant leur discours dans les diatribes et le narratif des grands pontes du PS qui refusent l’alliance avec la France insoumise.

      Le 5 mai, Le Figaro s’illustre à cet égard par sa Une tout en retenue – « Mélenchon soumet les Verts et le PS à la gauche extrême » – doublée d’un édito signé Vincent Tremolet de Villers, « Bienvenue en mélenchonie » :

      De Catilina à Jean-Luc Mélenchon, on peut écrire, sans risque, que le niveau s’est effondré. Les grossiers appétits écrasent, sans aucune gêne, toute autre considération. Fabien Roussel lâche tout pour un steak aux lentilles, Olivier Faure montre qu’il a les dispositions pour ouvrir un stand à la grande braderie de Lille.

      Brillant. Au moins autant que la chronique de son confrère Guillaume Tabard une page plus loin, relatant la « soumission idéologique » des « socialistes, écologistes et communistes […], passés sous les fourches caudines de l’Insoumis en renonçant à bien de leurs valeurs ». Dans « C ce soir » (France 5, 5/05), Thomas Snegaroff introduit l’émission – « Est-ce que le PS vit son moment populiste ? » – avant de présenter, entre autres, Denis Olivennes, « essayiste, chef d’entreprise » (et accessoirement co-gérant de Libération) : « Vous faites partie de ces figures de la gauche qui voient dans cet accord une forme de reddition, de capitulation, de soumission, de trahison, de suicide, vous me direz quel est le mot que vous préférez. » Réponse de l’intéressé : « Tous. »

      Le but de Jean-Luc Mélenchon selon Christophe Barbier ? « Faire une OPA sur tous les restes de la gauche ». Plus encore ? « Digérer et déchirer la gauche […], et ce qu’il ne digère pas, il veut le déchirer. […] Le rêve du trotskyste Mélenchon, c’est de détruire ce qu’il déteste le plus : ce n’est pas la droite, ce n’est pas l’extrême droite, ce n’est pas Macron ! C’est la social-démocratie ! » (RMC, 3/03) « Lider maximo » titre encore BFM-TV (5/05), dont Alain Marschall donne une déclinaison au moment d’interroger Aymeric Caron : « Le parti socialiste a été liquidé avec gourmandise ? » Sur RMC (3/03), la journaliste Catherine Rambert s’insurge : « On n’est pas en dictature ! Ce n’est pas Mélenchon qui décide ! » avant de s’illustrer par des propos homophobes et orduriers :

      - Catherine Rambert : J’ai une pensée et beaucoup de compassion pour les communistes, pour le PS et pour les Verts qui sont en train d’avaler d’énormes couleuvres pour rentrer dans cette union au forceps. Et quand je dis « avaler des couleuvres », je ne suis pas certaine que ça passe par là mais enfin bon, on ne va pas faire un cours d’anatomie aujourd’hui !

      - Daniel Riolo : On ne sait même pas si c’est des couleuvres hein Catherine !

      De la hargne à l’insulte, il n’y a qu’un pas… que franchit également – comme de coutume –, et sans trébucher, le dessinateur du Point, Xavier Gorce : « Connaissez-vous cette vieille comptine ? "Ce petit animal a la peau si tendue ; Que quand il ferme un œil ; Il ouvre le trou du cul." Pourquoi le sourire de Mélenchon me la rappelle ? » (Twitter, 27/04) Une berceuse que lui inspire la fameuse affiche de la discorde.

      Pile « hargne », face « moquerie »

      Dans Paris Match (5/05), Gilles Martin-Chauffier met à profit son mépris pour réussir l’un des meilleurs portraits du moment : Jean-Luc Mélenchon en « insurgé de prédilection », « faire-valoir du pouvoir ». Extrait :

      Comme un interrupteur, il ne possède que deux positions : allumé ou disjoncté. Sur une estrade, sur un plateau, dans son bureau, il faut qu’il attire l’attention. […] Une fois en scène, il porte le béret du Che, l’auréole de saint François d’Assise (les animaux sont un autre de ses dadas) et la kalachnikov de Castro. Et ça passe : sans avoir jamais pointé dans une entreprise ni lancé un pavé, ce révolutionnaire institutionnel est la voix reconnue des rebelles. Donc il proteste. Le sexisme, le racisme, le nucléaire, les OGM, le capitalisme, la chasse aux bébés phoques, la pluie en été, tout lui tourne les sangs. Malheureusement pour lui, si élevé soit l’arbre, ses feuilles tombent toujours par terre. Les capitalistes se moquent de ses diatribes comme de leur première OPA. Et les sceptiques ricanent : quitte à lutter contre le racisme, à aider le tiers-monde, à préserver la planète, n’importe quelle multinationale en fait cent fois plus que lui. Le leader des insoumis tire plus de flèches qu’il n’abat de proies.

      Puis, le 4 mai, L’Obs se joint au concert des petites mesquineries : « Bientôt primus inter pares, le nouveau chantre de l’union de la gauche s’est imaginé un destin de rechange. […] Le voilà qui prétend marcher sur les traces de Léon Blum […] ou de François Mitterrand […]. Mélenchon se voit à Matignon. Un scénario encore bien improbable. Mais, le cas échéant, il ne serait ni Blum, ni Mitterrand. » Invitée sur le service public – qui plébiscite donc ses outrances sur Europe 1 – Catherine Nay opte pour le filon culinaire : « Jean-Luc Mélenchon doit beaucoup jubiler [...] mais il veut faire un soufflé avec des miettes ! » Plus tard : « Il s’allie chacun pour un plat de lentilles ! » Mais encore ? « Jean-Luc Mélenchon a toujours tendance à faire d’un chou un potager. » Enfin ? « La grand-mère déguisée en loup, c’est Mélenchon. » (France 5, 3/05).

      Sur « Quotidien » aussi, on se bidonne avec l’union de la gauche au moment d’interroger Julien Bayou à la sortie du local de campagne de la France insoumise : « Le couple LFI-EELV s’est fait hier. Là, c’est quoi le challenge quand on se met à faire un trouple ? » Et les journalistes start-up tiennent à faire savoir qu’ils peuvent, comme Catherine Nay, filer les métaphores : « Vous pensez que ça va être une relation passionnelle ? Mais tumultueuse ? » ; « Il y a un mariage pour demain ? » ; « À deux, c’est déjà fait, à trois on va voir, et là à quatre euh… ? » (TMC, 3/05)

      Enfin, après avoir vitupéré contre un rassemblement « navrant », « assez minable » et témoignant d’une « inconséquence politique » (LCI, 4/05), Jean-Michel Aphatie fanfaronne deux jours plus tard : « Hélas, le titre grille le suspense, c’est pas très grave ! Dans les bons films, on essaie de regarder jusqu’au bout ! » et joue les maîtres de foire du plateau : « Olivier Faure, […] vous allez voir, a commenté cet événement avec un enthousiasme désarmant devant les journalistes hier soir ! Il est un peu fatigué le pauvre, il a eu des journées très, très longues, cette semaine ! [Rires] […] Bon, et puis après, il est allé se coucher ! » (LCI, 6/05)

      Pendant ce temps sur Twitter, Enthoven enthovenise – les Insoumis « sont définitivement (car délibérément) imperméables à la raison ». Quid des éditorialistes ?

      Intermède : le 1er mai ? La violence

      Pour ne pas rompre le rythme, il va sans dire qu’au lendemain du 1er mai, comme le jour même, les médias dominants concentrent leurs forces éditoriales sur « les violences » de la manifestation (parisienne). Les chaînes d’info en continu diffusent en boucle l’agression d’un pompier par une manifestante, tandis que France Inter se fend d’une brillante exclusivité : le « soutien à Mélenchon » de la manifestante en question, sur la base d’une exégèse de tweets qui permit à la rédaction de dénicher l’arme du crime : « Un selfie dans l’isoloir avec un bulletin Mélenchon » (2/05).

      Le soir dans « C dans l’air » (France 5, 2/05), on apprendra par Fanny Guinochet que les militants autonomes « souvent s’en prennent […] aux biens publics » comme « l’hôpital » avant que Caroline Roux mentionne seulement la revendication des salaires entre deux virgules… pour mieux embrayer : « Les Français auront surtout vu des scènes de violences, de pillages, en marge de cette manifestation. » Discours performatif au carré : s’ensuit un reportage de 15 secondes, dans lequel en effet, les Français verront exclusivement – soit non plus « en marge » – des scènes de pillage. Le clou du spectacle est atteint dans Le Figaro (6/05), avec Ivan Rioufol :

      Les « antifas » ont une nouvelle fois semé la terreur en brisant des commerces sur leur passage. Or ces milices, qui sévissent au nez de la police, sont les bras armés de l’extrême gauche. Ces nouvelles « chemises noires » partagent avec LFI, la violence en plus, les mêmes objectifs politiques.

      Mais à cet égard, notre palme revient à l’émission « Estelle Midi » (RMC, 3/04). Vingt minutes de bashing en roue libre, réparties entre trois chroniqueurs. Mélenchon ? Un « illusionniste », dont Daniel Riolo entend révéler la vraie nature :

      On l’a vu à la manif, […] dans les électeurs de Mélenchon, il y a cette jeune dame qui trouve ça bien de se balader avec des tournevis et des marteaux pour taper sur les pompiers. C’est cette extrême gauche là, aussi, qu’il y a dans le bloc Mélenchon ! Donc à un moment, je crois quand même que les gens vont devoir ouvrir les yeux, exactement comme on les ouvre parfois sur d’autres partis et se rendre compte que le bulletin […] Nupes là, c’est un danger pour la France !

      Une violence qui se prolonge lors des « prises de parole » des auditeurs. « Antonio », employé dans un service technique hospitalier et électeur de Jean-Luc Mélenchon, ne peut s’exprimer plus de dix secondes en continu sans subir les foudres obsessionnelles de Daniel Riolo :

      Eh Antonio ! Vous, la violence de Mélenchon, elle ne vous gêne pas ? [Quelle violence ?] Bah qu’on agresse des pompiers ? Il n’a pas condamné. Il n’a pas condamné. Il n’a pas condamné. Il n’a pas condamné. Il a accusé l’État de laisser la violence se propager. Il n’a pas condamné. Le discours sur la police, l’agression des pompiers, il n’a pas condamné !

      Six fois.

      Puis, « Antonio » est coupé au bout de six secondes : « Donc vous vous en foutez ! Dites-le ! » Sept secondes, et rebelote : « Donc vous, vous ne condamnez pas l’agression du pompier vous ? Bah il ne veut pas répondre ! Donc vous ne condamnez pas, monsieur ! [Je condamne toute violence.] Bah Mélenchon l’a pas fait ! » Puis… en fin d’émission :

      - Daniel Riolo : Je crois que [Mélenchon] a fini par condamner l’agression de la jeune femme sur le pompier finalement, sur France Inter il me semble. [Non, sur Twitter, NDLR].

      - Rémy Barret : Mais tu avais raison, il avait dit auparavant [Voooilà !] que les violences étaient inhérentes [Voooilà !] à la Préfecture de police [Voooilà !] qui n’avait pas fait son travail. [Voooilà !]

      - Daniel Riolo : Voooilà. Il a mis le temps, il a réfléchi un peu. Voilà.

      Voilà…

      Chronique d’un échec annoncé

      Alors que la quasi-totalité des éditorialistes accablent d’emblée une « union mal embarquée […], de bric et de broc » (Jean-Michel Aphatie, LCI, 6/05), « un mirage, une escroquerie » (Christophe Barbier, RMC, 3/03), une « fable » (Le Monde, 10/05), un « accord factice » et « moche » (Olivier Bost, RTL, 5/05), ou une alliance au « succès timide » (Challenges, 3/05) sur la base de premiers sondages, partout, les journalistes politiques tiennent également à faire la chronique de son échec annoncé. « Arme de conquête ou pistolet à eau ? » interroge Olivier Bost dans son édito en face-à-face avec Yves Calvi (RTL, 5/05). Spoil :

      - Olivier Bost : Ça marche quand vous avez une dynamique pour prendre le pouvoir, réelle et basée sur des gens qui veulent exercer le pouvoir. Très concrètement là aujourd’hui, c’est pas du tout cette histoire-là puisque c’est les plus radicaux qui l’emportent et la radicalité n’a pas pour objectif aujourd’hui d’exercer le pouvoir.

      - Yves Calvi : On a l’impression que cette union populaire, à peine commencée, elle a du plomb dans l’aile, en tout cas qu’on la prend pas au sérieux !

      C’est le moins qu’on puisse dire…

      « Comment va gouverner cet homme ? » s’insurge d’ailleurs Catherine Nay (Europe 1, 30/04). « Parce qu’on voit bien aussi que c’est quelqu’un qui a une certaine enflure de l’égo, qui ne veut pas quitter le pouvoir, qui n’admet pas d’avoir été défait ! Et plutôt que d’être déprimé comme il y a cinq ans, eh bien il dit "Le Premier ministre, c’est moi !" » Même tonalité dans Le Monde, qui prend position le 6 mai et tient à faire savoir sa déception : « manœuvre », « marchandages », chefs de partis qui « convoqu[ent] bruyamment l’Histoire », « Canossa des défaits », « contorsions sémantiques », « silences assourdissants », « reniements »… L’édito du Monde regorge de sentences pour une conclusion sans appel : cet accord « n’en fait […] pas un programme de gouvernement [...]. L’objectif de devenir la principale force d’opposition au président réélu peut permettre de s’en accommoder, tant bien que mal, à titre provisoire. Pas celui d’exercer les responsabilités. »

      Jeff Wittenberg, éditorialiste politique pour France TV, en doute aussi très fortement : « Les femmes et les hommes qui vont porter le futur programme si vous gagnez […], est-ce qu’ils ont suffisamment d’expérience ? » ; « Toutes les personnalités de la France insoumise, celles qui vous rejoignent au PS, les Verts, personne n’a connu de responsabilité gouvernementale. Est-ce que ce n’est pas tout de même un handicap ? ; « Dites-nous si le manque d’expérience à la tête de l’État n’est pas un frein ? » (France Inter, 8/05, face à Jean-Luc Mélenchon). Rappelons qu’il y a cinq ans, les mêmes éditocrates sortaient les violons pour l’entrée de ladite « société civile » macroniste dans l’hémicycle.

      Verdict plus violent dans l’édito des Échos (2/05). La gauche au pouvoir ? Une « supercherie », révélant « une profonde fascination pour le nihilisme. […] Mélenchon Premier ministre ? On se pince ! » Pas autant que nous… « Très difficile de réussir son pari » assène encore Christophe Barbier (BFM-TV, 5/05). L’une des raisons à cela ? « Le vote musulman. C’est-à-dire de ces 69% de Français qui se disent de confession musulmane et qui ont voté Jean-Luc Mélenchon. Ceux-là n’ont pas forcément envie d’aller voter pour X ou pour Y qui sera simplement le représentant de Mélenchon. Ils n’ont pas forcément adhéré à un programme, ils ont adhéré à cette personne. » Car il faut le savoir : ils sont bêtes (en plus d’être méchants).

      Le programme ? « Archaïque » !

      Un échec annoncé donc, qui n’empêche pas les journalistes politiques de délégitimer le programme de A à Z. Les positions de la France insoumise sur le nucléaire ? « Mentalité antiscientifique » et « désir régressif vers une nature fantasmée et divinisée » assène Mathieu Bock-Côté (Europe 1, 5/05). Jean-Luc Mélenchon évoque-t-il sur France Inter « une politique de la radicalité concrète sur le plan écologique » ? La journaliste Claire Gatinois (Le Monde) traduit : « Il y a une forme de brutalité sociale aussi du coup ? Vous nous dites […] j’applique mes actions quitte à ce que ce soit brutal finalement ? » (France Inter, 8/05). Et dans la matinale de RTL (2/05), Alba Ventura fait faire ses gammes à Stéphane Le Foll pour garnir les gros titres : « Il y a une dérive chez Jean-Luc Mélenchon ? C’est ce que vous êtes en train de nous dire ? […] Quand vous dites "autoritaire", quand vous dites "radicalité" ? »

      Au Figaro (6/05), on prend nettement moins de pincettes au moment de dénoncer « une "soviétisation" de l’économie française à plus de 300 milliards par an ». Le programme pour Christophe Barbier ? « Impraticable et infinançable » (RMC, 3/05). « Des promesses intenables », « une radicalité [...] en tout cas anachronique » tance Alain Finkelkraut avant de nuancer : une « radicalité monstrueuse » (Europe 1, 10/05). « Ça serait la faillite si c’était appliqué ! » radote Jean-François Kahn sur LCI (6/05). Quant à Jacques Julliard dans Marianne (4/05), il en est « convaincu » : « L’application brutale de l’ensemble des propositions du programme de Mélenchon nous conduirait à la catastrophe. » « Complétement dingue » ajoute Denis Olivennes sur France 5 (5/05) :

      Emmanuel Macron a fait la plus grosse relance keynésienne de toute l’histoire récente de la 5ème République ! Ce pays prétendument néolibéral atteint des niveaux de dépense publique, de dette publique, de dépense sociale, d’impôts, de fonctionnaires et de réglementations comme on n’en a jamais connus ! Et on va encore alourdir la bête ! Dans ce pays qui souffre déjà d’une faible croissance qui explique son niveau de chômage et son faible pouvoir d’achat, on va encore charger la mule et son ventre va toucher le sol ! Et on va rajouter encore 200 milliards de dépenses publiques, […] c’est complétement dingue !

      Et pour sortir de la dinguerie, rien de tel qu’un recul historique avec François Lenglet. L’objet de sa chronique (RTL, 3/05) ? Faire état du « bilan économique désastreux de l’expérience du Front populaire » ! L’occasion pour l’éditocrate d’anachroniser sa rengaine en fustigeant la « surenchère syndicale » de l’époque, ainsi qu’une France « affaiblie par les grèves à répétition et les nationalisations. » Avant de se faire le porte-parole de Léon Blum, qui « doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe en entendant Jean-Luc Mélenchon récuser la construction européenne qui a tant manqué à l’époque. » Toute honte bue. Autres références, même tonalité sur Europe 1, où Nicolas Bouzou avertit ses contemporains (Europe 1, 4/05) :

      La vérité, c’est que les programmes révolutionnaires du type « La France insoumise » n’ont jamais apporté rien d’autre que de la misère économique et sociale ! C’est toute l’histoire de l’Amérique Latine dans les années 1980 et 90, c’est parfaitement documenté historiquement. Ce type de programme met en place un système économique qui génère des rentes et qui entraîne une explosion des inégalités. Les riches, dans ce genre de système, s’en sortent toujours. Ce sont les plus fragiles qui en souffrent.

      « Révolutionnaire » ? Rétrograde, en tout cas, pour Denis Olivennes : « Back to the future ! On va refaire le programme d’il y a 40 ans, on rentre dans la modernité en refaisant le programme commun des années 70. Ça, c’est l’avenir de la social-démocratie. Euh… non ! » (France 5, 5/05). Paraphrasé le même jour par Challenges : « Il y a des éléments de son discours qui nous ramènent quarante ans en arrière : retraite à 60 ans (alors que l’espérance de vie a gagné presque dix ans depuis), augmentation des impôts et des dépenses publiques (alors que celles-ci ont déjà progressé de dix points de PIB), intervention massive de l’État… Il n’y manque qu’un bon programme de nationalisations ! » Chiche ! L’Europe ? « La même rhétorique que celle de Marine Le Pen […]. Bref, comme avec le projet du Rassemblement national, cela s’appelle un "Frexit" sans le dire. À nous de le répéter. » La majorité des confrères s’y attèlent déjà, dont Frédéric Haziza, tapant sur un « programme anti-européen et pro-Poutine. » (Radio J, 8/05).

      Mais la cabale vaut pour l’ensemble des aspects programmatiques : « Le blocage des prix ? C’est archaïque ! » vilipende Jean-Michel Aphatie (LCI, 6/05) avant de dérouler le prêchi-prêcha : « Tout le monde le sait : l’économie de marché, qu’on régule qu’on tempère, […] est la seule qui permet au consommateur et au producteur de vivre ensemble. » Puis : « Nationaliser les banques ? Mais pas un socialiste n’y croit ! » Et il ose :

      On a l’exemple du Crédit Lyonnais, on a vu ce que ça a donné ! Des masses d’argent non contrôlées, du scandale, du gaspillage… Je ne sais pas si Jean-Luc Mélenchon y croit d’ailleurs ! Mais lui, il a toujours dit ça, donc au moins faisons lui le crédit d’une cohérence intellectuelle à défaut de la sincérité.

      Et de poursuivre le dézingage en règle. La retraite à 60 ans ? « C’est l’un des plus gros bobards de la scène politique actuellement. Ça, Jean-Luc Mélenchon, il va falloir qu’il l’explique hein ! […] Parce que quand il était en campagne présidentielle, vraiment, personne n’a été attentif à ça. On est d’une complaisance souvent avec la gauche qui est très importante. »

      « Complaisance » ? Dans le dictionnaire éditocratique, nom féminin ; définit l’attitude des médias sus-cités, et celle de Paris Match en particulier, au moment d’évoquer les militants et sympathisants de la France insoumise qui « vont refaire un tour de piste d’ici au mois de juin pour aider Jean-Luc Mélenchon. » (5/05) Par exemple ?

      [L]es fameux zadistes qui chassent les paysans creusant des retenues d’eau sans leur permission. Au bout de quelques mois à jouer les Jacquou le Croquant, ils finiront à trente par sortir trois carottes et dix navets d’un terrain où un campagnard nourrissait un village à lui seul. Alors ils les apporteront sur le marché en tendant le poing et la sébile. Je vous rassure : entretemps, rien n’aura changé. Rien ne change jamais. Et Jean-Luc Mélenchon continuera de rêver de révolution comme la chaisière rêve d’épouser l’évêque.

      Terminons ce premier volet sur le service public en compagnie de Renaud Dély, présentateur de « 28 Minutes » sur Arte, également éditorialiste et présentateur sur France Info. Pour l’auteur de l’essai Anatomie d’une trahison. La gauche contre le progrès (mai 2022), la séquence actuelle est plus qu’une aubaine : cabale et auto-promo, d’une pierre deux coups !

      C’est donc en grand expert que Renaud Dély défile sur les ondes publiques : « C ce soir » (France 5, 2/05), France Inter (4/05) et « C à vous » (France 5, 5/05) – dont sont issus les propos qui suivent. Et en grand expert qu’il manie l’art des citations : « Comme disait le psychanalyste Jacques Lacan, "le réel, c’est quand on se cogne". » Voilà pourquoi les éditorialistes ne sont jamais assommés. « Le problème du projet unitaire qui est en voie d’être adopté, c’est qu’aussi sincère soit-il, il est en léger décalage avec le réel aujourd’hui sur de nombreux sujets ! » Plus précisément sur le fond du programme ?

      C’est le signe d’une gauche qui perd confiance en elle, qui rompt aussi avec une certaine idée du progrès, en tout cas du mouvement. C’est une gauche qui est profondément à la fois repliée sur des identités, des communautés qui s’affrontent et repliée sur le passé, qui est nostalgique. […] Ces derniers jours, on entend beaucoup parler du Front populaire, […] c’était il y a 86 ans !

      Le psychanalyste n’est pas encore au bout du raisonnement :

      Et donc cette gauche [veut] se rassurer […] parce qu’elle perd pied face au réel, parce qu’elle a du mal à le comprendre, à comprendre sa complexité et à le réformer. […] Ça contribue probablement à flatter, à enthousiasmer même une frange militante c’est vrai, mais à réduire le champ de la gauche sur un espace beaucoup plus réduit électoralement et à la décaler de la réalité du pays.

      Ce que confirment d’ailleurs noir sur blanc les résultats des deux dernières élections présidentielles.

      D’autres griefs ? Anne-Élisabeth Lemoine se charge du lancement : « C’est une gauche qui donne beaucoup de leçons également ! » « C’est la gauche indignée » acquiesce Renaud Dély, du même ton paternaliste. « C’est légitime et heureux de s’indigner dans la vie face à l’injustice et au malheur, mais ça ne fait pas un projet politique ! » Il n’en fallait pas plus à Patrick Cohen : « Il y a une formule formidable vous vous rappelez, c’est celle de Malek Boutih, "la gauche est condamnée à se liquéfier dans sa méchanceté". » Et les éditorialistes dans leur arrogance… bourgeoise, comme le rappelle Renaud Dély au moment de parler « écologie » :

      L’indignation ou la dénonciation d’une génération, par exemple les boomers […], ne suffit pas à construire le monde d’après ! Le problème de toute une frange de la gauche, et de toute une frange des écologistes au sens large, c’est de tenir parfois un discours anxiogène, catastrophiste, mais sans réussir à dessiner les contours du monde d’après. Si effectivement c’est foutu, s’il n’y a plus rien à faire, foutu pour foutu, on finit par se racheter des SUV !

      Éclats de rire sur tout le plateau.

      *

      Après avoir polarisé leur agenda de campagne autour de l’extrême droite, après avoir tapissé de chats un projet de société structurellement xénophobe et raciste, après avoir propulsé la candidature d’un néo-fasciste reçu partout avec déférence ou complaisance, les médias dominants exploitent la seule fenêtre médiatique (massive) arrachée par la gauche depuis des mois pour (massivement) instruire son procès.

      Dès lors, il faut au moins être éditorialiste au Figaro pour entrevoir, dans la séquence actuelle, un « cirque médiatique mené par l’extrême gauche autour de son nombril » (Ivan Rioufol, 6/05) ; travailler au Point pour titrer une chronique « Mélenchon, nouveau chouchou des médias » et critiquer une « lune de miel médiatique » (Jean-François Kahn, 12/05) ; ou encore vivre sur un plateau de CNews pour avoir « l’impression que c’est Jean-Luc Mélenchon qui a gagné l’élection présidentielle depuis quinze jours avec une complicité ou une douceur de l’espace médiatique » (Pascal Praud, 5/05). « L’extrême gauche n’affole surtout pas les médias bien-pensants. L’extrême droite toujours, l’extrême gauche jamais » lui rétorque l’ancien directeur général de LCI et membre de la direction de TF1 Éric Revel, plus lucide que jamais.

      Mépriser, moquer, délégitimer : les chiens de garde étaient bel et bien de sortie. Comme jamais ? Sans doute non. Mais avec plus d’une corde à leur arc. À suivre…

      Pauline Perrenot, grâce à un travail d’observation collectif des adhérent·e·s d’Acrimed

    • heureusement, le FN va tous nous sauver et appelle à faire barrage à Macron et en même temps à la Menace rouge :

      https://seenthis.net/messages/960181#message960182

      [NUPES] : une « union d’extrême gauche et anti-républicaine. Derrière Jean-Luc Mélenchon se constitue une véritable ZAD avec les idéologies les plus dangereuses pour la France : l’idéologie antiflics et le désarmement de l’État, le communautarisme, l’islamo-gauchisme, la censure de la pensée, la lutte des races et le rejet de la valeur travail : un bloc de 50 nuances de rouge », a prévenu, la mine grave, Jordan B. [et d’appeler] à un « front républicain » contre ce nouveau péril rouge.

    • Au boulot, quand j’ai annoncé que j’attendais la victoire de LFI pour mettre en place une rizière dans le jardin, rizière destinée à accueillir tous les dirigeants locaux de l’entreprise, une collègue m’a demandé ce que j’avais contre Mélenchon.

  • Goldige Verwahrlosung. Wie marode Brücken und Hochschulen Investore...
    https://diasp.eu/p/14069720

    Goldige Verwahrlosung. Wie marode Brücken und Hochschulen Investorenherzen höher schlagen lassen.

    Jetzt ist es raus: Deutschlands Autobahnbrücken sind so kaputt, dass sie schleunigst und unbürokratisch für Zigmilliarden Euro flott gemacht werden müssen. Das hat die neue Autobahn GmbH ermittelt. Wie sie das gemacht hat und wie schlimm die Sache wirklich ist, muss keinen interessieren. Hauptsache, die Bundesregierung hat verstanden und rückt das nötige Geld raus, um den in Jahrzehnten herbeigekürzten Verschleiß zu beheben, am besten gleich durch Komplettneubau. Und wenn sich dabei die Profiteure der Entstaatlichung am Scherbenaufkehren noch einmal bereichern, macht das die Sache noch viel besser – zum Beispiel für anlagesüchtige Banken, Versicherungen und Hedgefonds. Mit bröckelnden Unigebäuden geht (...)

  • Sur la catastrophe en cours et comment en sortir - Serge Quadruppani & Jérôme Floch
    https://lundi.am/Sur-la-catastrophe-en-cours-et-comment-en-sortir

    Il y a tout de même pas mal de choses intéressantes dans cet article de Quadruppani (qu’on sait déjà mais dites au public antibiopolitique).

    On a pourtant aussi toutes les raisons d’écouter le cri de rage d’un ami infirmier, à qui j’ai fait lire l’interview de Lamarck : « Je voudrais surtout pas tomber dans le pathos, mais le subjectif est là, et je vais pas le refouler : quand tu as vu des personnes âgées qui ont un nom : Marthe, Francis, Suzanne, Mario, Huguette , Gilberte et tant d’autres, magnifiques, qui ne demandaient qu’à finir leurs vies tranquilles, sereines et entourées, partir en 24 heures, emballées dans des housses mortuaires, sans préparation, sans que leurs proches ne puissent les voir, ne serait-ce qu’une dernière fois, quand tu as vu tes collègues infirmières et aides-soignantes, pourtant pleines d’expérience, et qui savent tenir la « bonne distance » professionnelle avec la mort, te tomber dans les bras et pleurer de détresse, que tu as vu toute l’équipe soignante aller au tapis, frappée de plein fouet par le virus, et les rares soignantes encore valides rester à poste 18h sur 24, que tu as vu le quart des personnes prises en charge mourir en une semaine, les poumons bouffés par le virus, et qu’il s’en fallait à peine d’un mois pour que des vaccins soient disponibles... alors le gus qui te déclare, du haut de son Olympe conceptuel : « c’est la porte ouverte à la modification moléculaire de l’humain », tu as juste envie de lui hurler : « ta gueule, connard ! Tu n’as aucune idée de ce dont tu parles... ! » C’est con, hein ? »

    Non, c’est pas con, et d’autant moins que c’est assorti d’une critique des affirmations lamarckienne qui peut s’avérer fort utile pour dissiper les fantasmes attachés à ce vaccin à ARNm souvent au cœur des argumentaires antivax. « Bien, alors le truc affreux [d’après Lamarck] ce serait ces vaccins à ARN messager modifié « enrobés dans un vecteur complètement artificiel ». Le mot est lâché : « artificiel », sûrement opposé à « naturel ». Ne relevons même pas que bien des produits artificiels se sont révélés forts utiles, et que nombre de produits naturels peuvent être extrêmement nocifs. Le truc ici consiste à faire peur : c’est « artificiel » ! Pas bon ça ! Le vecteur en question est une microparticule avec 4 lipides (dont du cholestérol), 4 sels (chlorures de sodium, de potassium, dihydrogénophosphates de sodium, de potassium), du sucre (saccharose) et de l’eau... (c’est presque Bio !) Non, faut que ça fasse peur ! Car nous disent-ils tout ça « est injecté massivement depuis décembre 2020 sans tests cliniques suffisants tant sur l’innocuité que sur l’efficacité ». C’est évidement faux, les essais de phase I, II, et III ont bien eu lieu, et si la phase III se poursuit c’est pour étudier les effets secondaires inattendus, la durée de protection induite par la production d’anticorps et la mémoire immunitaire induite, et d’envisager le calendrier vaccinal de rappels le cas échéant … à ce jour près de 8 milliards de doses de vaccins contre la Covid ont été administrées, et près de 55% de la population mondiale a reçu au moins une dose (dont seulement 6% dans les pays pauvres). Jamais dans l’histoire des traitements et vaccins il n’y a eu une telle surveillance de pharmacovigilance. »

    Et jamais peut-être il n’a été aussi important d’éclaircir nos rapports avec la science en général, et avec la science médicale en particulier. L’humeur antivax est ancienne, en particulier dans des milieux où les ennemis du capitalisme se recrutent en grand nombre. Au risque de déplaire à bien des amis ou des alliés, disons-le sans détour : cette humeur repose pour l’essentiel sur des fantasmes sans fondement. Deux reproches principaux ont alimenté longtemps le refus de la vaccination, et, malgré tous les démentis, ont resurgi à la faveur de celle contre le Covid : son lien avec l’autisme et les accidents consécutifs à la présence d’aluminium. La première rumeur, qui eut d’abord les honneurs du Lancet, a ensuite été démentie et il s’est avéré que celui qui l’avait lancée était un escroc. Quant à la seconde, s’il est vrai que de l’aluminium a bien été ajouté à certains vaccins pour les booster, et que ce métal a, dans quelques cas, déclenché des réactions locales à l’endroit de l’injection, il n’a jamais entraîné d’accidents graves.

    […]

    On se gardera pourtant de reprendre à notre compte le vocable de « Big Pharma ». Pas seulement parce qu’on le retrouve systématiquement dans des bouches qui ont très mauvaise haleine, — est-ce un hasard ? — mais parce qu’il charrie une vision simpliste de ce à quoi nous faisons face et ne permet donc pas d’en saisir la complexité, les dynamiques et les rouages. « Big Pharma » est à l’ère des gouvernements biopolitiques revendiqués ce qu’était le mythe des deux cents familles au XIXe siècle. Il n’y a pas plus de gouvernement mondial secret que de Big Pharma, ce à quoi nous faisons face c’est à une coalition d’intérêts qui opèrent et prospèrent au sein d’un ordre du monde et d’une organisation sociale organisés par et pour eux. Il y a donc fort à parier que, à l’instar de toutes les structures étatiques, l’INSERM ne soit pas à l’abri de du lobbying général des grandes compagnies pharmaceutiques comme de l’influence de telle ou telle d’entre elles. Mais c’est justement parce qu’il s’agit d’une coalition d’intérêts particuliers et non pas d’une entité monolithique, qu’on peut compter sur l’existence de contradictions en son sein. Peut-on imaginer que s’il existait le moindre soupçon d’effets secondaires néfastes avec l’ARN, Johnson&Johnson et Astrazeneca, les concurrents sans ARN, épargneraient leurs rivaux d’une intense campagne de lobbying pour effrayer la population et récupérer tout le marché ? Et comment s’expliquer, sous le règne omnipotent de « Big Pharma » et du déjà un peu ancien « nouvel ordre mondial » que les stratégies sanitaires, idéologiques et politiques aient été aussi radicalement différentes des Etats-Unis à la France, d’Israël au Brésil, de la Suède à la Chine ?

    […]

    La vérité est à la fois beaucoup plus simple et complexe. Face à la pandémie, à la profondeur de ce qu’elle venait remettre en cause et au risque qu’elle faisait peser soudainement sur l’économie mondiale, les gouvernants ont paniqué. Et c’est cela que leurs litanies de mensonges devaient recouvrir, alors que tout leur pouvoir repose sur leur prétention à gérer et anticiper, ils ont dû bricoler, dans un premier temps du moins. Non pas pour sauver des vies mais pour préserver leur monde de l’économie. Au moment même où les appareils gouvernementaux de toutes les plus grandes puissances mondiales connaissaient leur plus grande crise de légitimité, certains ont voulu y voir le complot de leur toute puissance. Le complotiste aime les complots, il en a besoin, car sans cela il devrait prendre ses responsabilités, rompre avec l’impuissance, regarder le monde pour ce qu’il est et s’organiser.

    […]

    Dans la vidéo « La Résistance », dont le titre est illustré sans honte par des images de la seconde guerre mondiale, le Chant des Partisans en ouverture et Bella Ciao à la fin, on voit défiler les gourous anti-vax sus-cités. Renard Buté y nomme l’ennemi suivant le vocabulaire typique de QAnon : c’est l’ « Etat profond » et les « sociétés secrètes », il nous dit que le vaccin tue, que c’est un génocide qui est en cours, et qu’il faut s’y opposer par toutes sortes de moyens. La vidéo semble vouloir rallier les différentes chapelles antivax, de Réinfocovid au CNTf (organisation délirante, mêlant islamophobie, revendication du revenu garanti et permaculture, et partisane de rapatrier les troupes françaises pour… surveiller les frontières contre la « crise migratoire » et les banlieues), et après un appel à la fraternisation avec l’armée et la police (thème de prédilection du CNTf) débouche sur un autre appel… à la constitution d’une nouvelle banque qui serait entre les mains du peuple. Tout cela se mêle à des thèmes qui peuvent paraître pertinents aux yeux d’opposants radicaux au capitalisme : l’autonomie comme projet de vie, la manière de s’organiser et de faire des manifestations moins contrôlables, la démocratie directe… autant de thèmes et revendications qui pourraient sortir de bouches amies, voire des nôtres. Que ce genre de salmigondis touche pas mal de gens qui pourraient être des alliés, et que des amis proches puissent éventuellement avoir de l’indulgence pour ce genre de Renard fêlé, nous paraît un signe de l’ampleur de la secousse que la crise du Covid a provoquée dans les cerveaux.

    […]

    On a tendance, dans notre tradition très hégélienne de l’ultragauche à considérer que tout ce qui est négatif est intrinsèquement bon. Comme si par la magie de l’Histoire, la contestation de l’ordre des choses produisait automatiquement et mécaniquement la communauté humaine disposée à un régime de liberté supérieur. Pourtant, lorsque l’on se penche sur la nébuleuse anti-vaccin, c’est-à-dire sur les influenceurs et porte-paroles qui captent l’attention sur les réseaux sociaux, organisent et agrègent les énoncés et les rassemblements, on s’aperçoit qu’une écrasante majorité baigne depuis de longues années dans l’extrême droite la plus bête et la plus rance. Militaires à la retraite, invités hebdomadaires de radio courtoisie, lobbyistes contre les violences féminines (oui, oui...), il suffit de passer une heure à « googliser » ces porte-paroles autoproclamés pour avoir une idée assez précise des milieux dans lesquels ils grenouillent. Certes, on pourrait être magnanimes et essayer d’imaginer que l’épidémie de Covid ait pu transformer de telles raclures en généreux camarades révolutionnaires mais comment s’expliquer que les seules caisses de résonances que trouvent leurs théories alternatives sur le virus et l’épidémie soient Egalité et Réconciliation, Sud Radio, France Soir, Florian Phillipot, on en passe et des pires ? En fait, si on se peut se retrouver d’accord sur des énoncés formels, on bute bien vite sur un point fondamental, c’est-à-dire éthique : la manière dont on est affecté par une situation et à la façon que l’on a de se mouvoir en son sein. En l’occurrence, ce qui rend tous ces « rebelles » anti-macron aussi compatibles avec la fange fasciste c’est l’affect de peur paranoïaque qu’ils charrient et diffusent et qui sans surprise résonne absolument avec une longue tradition antisémite, xénophobe, etc. Et c’est là que l’on peut constater une différence qualitative énorme avec le mouvement gilets jaunes. Eux, partaient d’une vérité éprouvée et partagée : leur réalité matérielle vécue comme une humiliation. C’est en se retrouvant, sur les réseaux sociaux puis dans la rue, qu’ils ont pu retourner ce sentiment de honte en force et en courage. Au cœur du mouvement antivax se loge une toute autre origine affective, en l’occurrence la peur, celle qui s’est distillée des mois durant. La peur d’être contaminé, la peur d’être malade, la peur de ne plus rien comprendre à rien ; que cette peur du virus se transforme en peur du monde puis du vaccin, n’a finalement rien de surprenant. Mais il nous faut prendre au sérieux cette affect particulier et la manière dont il oriente les corps et les esprits. On ne s’oriente pas par la peur, on fuit un péril opposé et supposé, quitte à tomber dans les bras du premier charlatan ou sauveur auto-proclamé. Il n’y a qu’à voir les trois principales propositions alternatives qui agrègent la galaxie antivax : Didier Raoult et l’hydroxychloroquine, Louis Fouché et le renforcement du système immunitaires, l’Ivermectine et le présumé scandale de son efficacité préventive. Le point commun de ces trois variantes et qui explique l’engouement qu’elles suscitent, c’est qu’elles promettent d’échapper au virus ou d’en guérir. Toutes disent exactement la même chose : « Si vous croyez en moi, vous ne tomberez pas malade, je vous soignerai, vous survivrez. » Mot pour mot la parole biopolitique du gouvernement, dans sa mineure.

    […]
    Dans la soirée évoquée, ce n’est pas « quelqu’un du public » mais bien Matthieu Burnel lui-même qui avait ironisé sur les suceurs de cailloux !

    Parce que le pouvoir n’a jamais été aussi technocratique, livide et inhumain, certains tendent une oreille bienveillante aux premiers charlatans venus leur chanter « le vivant ». Mais l’engrenage est vicieux et une fois qu’on a adhéré à une supercherie du simple fait qu’elle prétende s’opposer au gouvernement, on a plus d’autre choix que de s’y enferrer et d’y croire. Lors d’une discussion un lundisoir, une personne du public avait commis quelques blagues peu finaudes à propos d’antivax qui lécheraient des pierres pour se soigner du cancer, et cela a apparemment provoqué quelques susceptibilités. Le problème en l’occurrence, c’est que cette plaisanterie n’était caricaturale que dans sa généralisation certainement abusive. Il n’en est pas moins vrai qu’Olivier Soulier, cofondateur de Réinfocovid assure soigner l’autisme et la sclérose en plaque par des stages de méditation et de l’homéopathie, que ce même réseau promulguait des remèdes à base de charbon aux malheureux vaccinés repentis pour se « dévacciner ». Autre nom, autre star, Jean-Dominique Michel, présenté comme l’un des plus grands experts mondiaux de la santé, il se propulse dès avril 2020 sur les devants de la scène grâce à deux vidéos sur youtube dans lesquelles il relativise l’importance et la gravité de l’épidémie, soutient Raoult et son élixir, et dénonce la dictature sanitaire à venir. Neurocoach vendant des séances de neurowisdom 101, il est membre d’honneur de la revue Inexploré qui assure soigner le cancer en buvant l’eau pure de l’une des 2000 sources miraculeuses où l’esprit des morts se pointe régulièrement pour repousser la maladie. Depuis, on a appris qu’il ne détenait aucun des diplômes allégués et qu’il s’était jusque-là fait remarquer à la télévision suisse pour son expertise en football et en cartes à collectionner Panini. Ses « expertises » ont été partagées par des millions de personnes, y compris des amis et il officie désormais dans le Conseil Scientifique Indépendant, épine dorsale de Réinfocovid, première source d’information du mouvement antivax. Ces exemples pourraient paraître amusants et kitchs s’ils étaient isolés mais ils ne le sont pas.

    […]

    Historiquement, ce qui a fait la rigueur, la justesse et la sincérité politique de notre parti, - et ce qui fait qu’il perdure-, c’est d’avoir toujours refusé de se compromettre avec les menteurs et les manipulateurs de quelque bord qu’ils soient, de s’être accrochés à une certaine idée de la vérité, envers et contre tous les mensonges déconcertants. Que le chaos de l’époque nous désoriente est une chose, que cela justifie que nous perdions tout repère et foncions tête baissée dans des alliances de circonstances en est une autre. Il n’y a aucune raison d’être plus intransigeant vis-à-vis du pouvoir que de ses fausses critiques.

    […]

    Au moment où l’idée même que l’on se faisait de la vie se trouvait acculée à être repensée et réinventé, on a critiqué les politiciens. Quand le gouvernement masquait si difficilement sa panique et son incapacité à exercer sa fonction fondamentale et spirituelle, prévoir, on a entendu certains gauchistes même anarchistes caqueter : si tout cela arrive, c’est qu’ils l’ont bien voulu ou décidé. Ironie cruelle, même lorsque l’État se retrouve dans les choux avec le plus grand mal à gouverner, il peut compter sur ses fidèles contempteurs pour y déceler sa toute puissance et s’en sentir finauds.

    Faire passer des coups de force, de l’opportunisme et du bricolage pour une planification méthodique, maîtrisée et rationnelle, voilà le premier objectif de tout gouvernement en temps de crise. En cela, il ne trouve pas meilleur allié que sa critique complotiste, toujours là pour deviner ses manœuvres omnipotentes et anticiper son plein pouvoir. C’est en cela que le gouvernant a besoin du complotiste, il le flatte.

    #Serge_Quadruppani #covid #antivax #gauche #émancipation #réflexion #science

  • D’un chaman à l’autre : théories du complot et impasses du debunking - AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/analyse/2021/12/29/dun-chaman-a-lautre-theories-du-complot-et-impasses-du-debunking-2/?loggedin=true

    D’un chaman à l’autre : théories du complot et impasses du debunking
    Par Nicolas Guilhot
    Historien
    Si Internet et les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans la diffusion des théories du complot cela ne signifie pas pour autant que celles-ci se réduisent à une question d’information, ni que nous ayons affaire à un phénomène nouveau : ce qui frappe, à y regarder de plus près, c’est, au contraire, l’impression de déjà vu. Rediffusion du 9 novembre 2021

    Comme pour le jour de la photo de classe, la marche du 6 janvier sur le Capitole à Washington consistait à porter sa plus belle tenue. Si le tout-venant s’était contenté de l’uniforme de rigueur – de robustes vêtements de travail et une casquette MAGA (pour Make America Great Again) –, les plus exubérants avaient opté pour des costumes de super-héros, des toges romaines, des peaux d’animaux ou des tenues mimétiques. Les apparences étaient d’autant plus importantes qu’il n’y avait pas grand-chose d’autre en jeu.

    En l’absence d’un programme politique défini et d’une réelle organisation, la pose a pris inévitablement le pas sur la politique : il s’agissait avant tout de faire acte de présence et de se faire remarquer. Seule la violence a sauvé cette fanfaronnade du ridicule. Décidée à reprendre le pays par la force, une foule un peu déphasée est sortie de l’épreuve de force avec un pupitre et quelques souvenirs de procédure parlementaire. Les véritables trophées de la journée furent les selfies.
    La vedette du jour ? Un homme, torse nu, coiffe en fourrure de coyote et cornes de bison, le visage peint aux couleurs du drapeau américain, la poitrine ornée de tatouages néo-païens. Véritable aimant pour les objectifs des caméras et des appareils photo, il est partout dans la couverture médiatique de l’événement : on le voit gonfler ses biceps sur l’estrade de la Chambre du Sénat, brandir une lance, déambuler dans les couloirs vides du pouvoir, inspecter un bureau encore jonché du fouillis d’une évacuation précipitée, s’adresser à des policiers interloqués.
    Devenu instantanément viral, l’homme a inspiré toute une série de comparaisons, du chanteur pop britannique Jamiroquai à Chewbacca de la Guerre des étoiles. Quelques jours à peine après l’émeute, il était possible d’acheter son effigie auprès d’un fabricant argentin de poupées de collection. Et il a fait des émules : en avril dernier, lors d’une manifestation contre la fermeture des restaurants à Rome, un ancien vendeur de lampes à bronzer, propriétaire d’une pizzeria à Modène, a pris part à l’émeute en arborant cornes et fourrure, le visage barbouillé du tricolore.
    Figure emblématique du 7 janvier, l’homme est connu sous le nom de « Q Shaman », en référence à la mouvance QAnon, dont les adeptes sont convaincus que le monde est gouverné par une cabale de pédophiles. Pour l’état civil, il s’agit de Jacob Chansley, un supporteur de Trump âgé de 33 ans et originaire de Phoenix, Arizona. Avant même de devenir le visage public de l’émeute du 6 janvier, les frasques politiques et le sens vestimentaire de Chansley lui avaient déjà valu l’attention de la presse locale. En 2019 et 2020, il assistait régulièrement aux rassemblements organisés par Trump et on pouvait, de temps à autre, le trouver faisant les cent pas devant le Capitole de l’Arizona et dispensant bruyamment la bonne parole de QAnon au rythme d’un tambourin chamanique.
    À la suite du 6 janvier et de l’arrestation de notre homme, des détails biographiques sont venus définir les contours d’une vie par ailleurs banale : une expulsion pour loyers impayés, suite à laquelle Chansley était retourné vivre avec sa mère ; quelques années d’université pendant lesquelles il avait étudié la religion, la psychologie et la céramique ; un passage dans la marine en tant qu’apprenti commis à l’approvisionnement sur un porte-avions ; des velléités rapidement déçues de faire une carrière d’acteur ; et deux ouvrages publiés à compte d’auteur, un essai et un roman, disponibles à la demande sur Amazon.
    Écrit sous le nom de plume de Jacob Angeli, One Mind At A Time (Un esprit à la fois) livre au lecteur les nombreuses opinions de Chansley sur le monde dans un flux ininterrompu et informel qui évoque l’équivalent stylistique de l’incontinence. L’ouvrage contient quelques autres éléments d’informations biographiques. On y apprend qu’adolescent, il se considérait un fervent partisan de George W. Bush, qu’il était indifférent aux questions environnementales, favorable à l’invasion de l’Irak et convaincu que les États-Unis étaient en droit d’exporter la liberté à coups de missiles de croisière – cela jusqu’à ce qu’il cesse de croire les médias grand public et voie la lumière, notamment grâce à « plusieurs expériences de dissolution des frontières […] à base de plantes psychédéliques ». Depuis lors, Chansley se considère comme un guérisseur et un praticien du chamanisme.
    L’attachement que Chansley voue à QAnon et sa participation à l’émeute du 6 janvier ont façonné notre manière d’interpréter politiquement ses gestes et sa personne. Certains commentateurs ont noté que ses tatouages sont des symboles de la mythologie nordique récupérés de longue date par les groupes suprématistes blancs. Et si cela peut sembler incompatible avec un attirail chamanique et une tenue qui évoque davantage une session de Fortnite qu’un penchant pour le look Waffen-SS, il est vrai qu’à ses débuts, le Ku Klux Klan aussi ressemblait à un carnaval qui aurait mal tourné, une sorte de pride macabre avec cosplay et kazoos, avant d’opter pour la sobriété de ce que James Thurber a appelé « la literie d’apparat ».
    L’extrême-droite contemporaine absorbe les répertoires contestataires progressistes et les schémas de la contre-culture pour les canaliser dans une direction réactionnaire.
    Même s’il est tentant de faire de Chansley un fasciste parmi d’autres, la reductio ad Hitlerum atteint rapidement ses limites heuristiques. Il ne fait aucun doute que les diatribes de Chansley recoupent pleinement les vues conspirationnistes de l’extrême-droite : « Q consiste à reprendre le pays aux mondialistes et aux communistes […] qui ont infiltré les médias […], le divertissement[…], la politique », a-t-il par exemple déclaré dans un entretien. Pourtant, à ne prêter attention qu’à ce qui renvoie aux fascismes du passé, on risque de passer à côté de ce qui est nouveau et singulier – et plus immédiatement pertinent.
    Dans son reportage sur les événements du 6 janvier pour le New Yorker, Luke Mogelson a observé que de nombreux participants aux précédentes manifestations contre le confinement « se percevaient comme des gardiens de la tradition du mouvement des droits civiques », et que certains d’entre eux allaient jusqu’à se comparer à Rosa Parks.
    Les adeptes de QAnon comptent dans leurs rangs d’anciens centristes et autres liberals désenchantés : certains ont voté pour Obama, d’autres viennent de familles pro-Hillary ou pro-Bernie. Ce n’est vraisemblablement pas le cas de Chansley, même si certaines de ses convictions pourraient fort bien figurer dans un pedigree progressiste.
    Dans One Mind At A Time, il décrit le monde qui émergera une fois vaincu le « fascisme d’entreprise militarisé » de l’État profond : les prisons seront « progressivement éliminées » et la peine de mort abolie ; les frontières disparaîtront et tout le monde pourra se déplacer librement ; il y aura « beaucoup d’argent pour que les enseignants soient mieux payés, pour que les soins de santé soient couverts pour tous les citoyens, pour que les sans-abri aient un toit et qu’aucun humain ou animal ne souffre de la faim ou de maltraitance ». Sans oublier le chanvre qui remplacera le bois et les colonies d’abeilles de l’Amazonie qui échapperont finalement aux méfaits de la déforestation.
    Il est facile de ne voir dans ces propos que les élucubrations d’un esprit confus – ce qui est le cas. Mais ce bric-à-brac idéologique incohérent – composé de diatribes enragées contre le mondialisme, d’idées qui ne dépareraient pas dans les manifestes Black Lives Matter (« defund the police »), voire dans le matériel de campagne d’un Bernie Sanders – reflète la capacité de l’extrême-droite contemporaine à absorber des répertoires contestataires progressistes et des schémas de la contre-culture pour les canaliser dans une direction réactionnaire.
    Si l’on doit parler de fascisme, c’est moins dans le sens d’une menace extérieure qui pèserait sur les institutions de la démocratie libérale, comme le suggèrent les images du 6 janvier, que dans celui d’un délitement interne de celles-ci. Il ne s’agit pas d’une idéologie codifiée dans le passé, mais d’un mouvement qui préempte et désamorce la nécessité du changement social en faveur du statu quo, un mouvement composé de magnats de l’industrie et d’ouvriers au chômage, de patrons de casinos et de concierges, de marchands de sommeil et de locataires expulsés, un mouvement qui a trouvé dans un escroc de l’immobilier le meilleur porte-drapeau possible.
    Ce qui importe n’est pas tant de savoir si des échos des brasseries des années 1930 résonnent dans les déclarations de Chansley, mais de comprendre pourquoi un éco-guerrier New Age de l’Arizona qui appelle de ses vœux une sécurité sociale à couverture universelle participe à une parodie de putsch aux côtés de néo-nazis et de soccer moms, pour finalement devenir le visage du fascisme gonzo du XXIe siècle. Une partie de la réponse, semble-t-il, est liée aux théories du complot.
    QAnon s’est construit à partir d’une rumeur plus ancienne, connue sous le nom de « Pizzagate », selon laquelle Hillary Clinton était à la tête d’un réseau pédophile opérant depuis le sous-sol de Comet Ping Pong, une célèbre pizzeria de Washington D.C. Même après qu’un adepte lourdement armé eut pris d’assaut les lieux pour ne rien trouver d’autre qu’une arrière-cuisine dans laquelle le personnel de l’établissement s’affairait à pétrir de la pâte à pizza, la rumeur ne s’est pas éteinte. Elle continua à se répandre sous la forme de prophéties cryptiques postées en ligne par un mystérieux contributeur qui signait ses missives de la lettre « Q », en référence à un niveau d’habilitation sécurité-défense du ministère de l’Énergie des États-Unis.
    Pour la communauté en ligne des fidèles, ces « Q drops » suggéraient que Trump était en train de mener une guerre secrète contre le réseau pédophile mondial niché au cœur de l’État profond. Le combat final aurait lieu au grand jour, bien que sous un éclairage crépusculaire, lorsque Trump ordonnerait à diverses branches des forces de sécurité de rafler les membres de la cabale – un événement baptisé « The Storm » (« La Tempête ») dans le folklore QAnon.
    Dans son célèbre essai sur la pensée complotiste, Le Style paranoïaque : théories du complot et droite radicale en Amérique (1964), Richard Hofstadter suggérait que ce qui caractérise l’esprit paranoïaque n’est pas seulement la croyance dans telle ou telle théorie du complot, mais le fait de considérer l’histoire elle-même comme une vaste conspiration. Pour Chansley, QAnon n’est pas seulement une théorie concernant l’establishment politique de Washington mais le canevas même de l’histoire américaine, dans la trame duquel chaque pièce du puzzle trouve sa place, des ovnis et de l’assassinat de John F. Kennedy aux récentes fusillades dans les écoles.
    Il est difficile de résumer les élucubrations de Chansley, à côté desquelles les divers épisodes d’Indiana Jones font l’effet d’un documentaire soporifique sur Arte. En résumé, la conviction que l’élite mondiale s’adonne au trafic d’êtres humains et au viol d’enfants n’est que la couche externe d’un complot bien plus vaste, complot dont les membres sont cooptés précisément du fait de leur dépravation, laquelle permet à l’État profond de s’assurer de leur docilité par la biais du chantage.
    Mais, dans ce cas, qu’est-ce que l’État profond, se demandera-t-on ? Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, explique Chansley, les États-Unis ont secrètement absorbé le réseau de renseignements nazi et, partant, les technologies de pointe allemandes, qui n’étaient pas toutes d’origine humaine : dans leur quête de suprématie, les nazis étaient entrés en possession de savoirs ésotériques, peut-être lors de leurs expéditions secrètes en Antarctique et en Asie, où ils seraient vraisemblablement entrés en contact avec des civilisations extraterrestres (d’où les mystérieux « Foo Fighters » de la fin de la Seconde Guerre Mondiale).
    Transplantés aux États-Unis, accompagnés peut-être de leurs collègues extraterrestres, les scientifiques nazis ont poursuivi leurs expériences médicales sur des sujets humains, ainsi que le développement de technologies extraterrestres secrètes (d’où les événements de Roswell). Cette vaste opération de camouflage se poursuit encore aujourd’hui : le sous-sol de la masse continentale nord-américaine est sillonné par un réseau de cavernes connues sous le nom de « Deep Underground Military Bunkers », ou DUMBs, « reliés par de grands tunnels qui utilise [sic] un train à sustentation magnétique se déplaçant à la vitesse Mach d’une base à l’autre ». Certains de ces bunkers souterrains abritent des installations militaires secrètes ou sont interdits d’accès, d’autres ont été maquillés en infrastructures civiles.
    De courageux chercheurs de vérité ont parfois exposé ces dernières : il est par exemple évident que l’aéroport international de Denver cache un DUMB s’enfonçant dans les entrailles de la terre sur huit niveaux, car comment expliquer autrement la disposition en forme de croix gammée de ses pistes, si ce n’est en guise de clin d’œil à son rôle de plaque tournante pour les fonctionnaires nazis de l’État profond ? Est-ce une coïncidence si l’existence d’un monde souterrain habité par des créatures non humaines soit attestée dans un certain nombre de civilisations anciennes ? Et que se passe-t-il au juste dans les cryptes de cet autre repaire de violeurs qu’est le Vatican ?
    Partout, de Comet Ping Pong à la salle d’embarquement de Denver, des gens sont enlevés pour servir de cobayes dans le cadre d’expériences de transformation génétique, de contrôle mental et de pouvoirs surnaturels, tandis que des enfants sont jetés ici et là en pâture à l’élite pédophile dont le rôle est de tenir l’État profond à l’abri des regards.
    Chansley, lui, a regardé droit dans les ténèbres et n’a pas bronché : « Quand j’ai découvert que 800 000 enfants et 600 000 adultes sont portés disparus chaque année rien qu’aux États-Unis, j’ai eu la Chair de poule [sic] ! » La fluoration des eaux municipales ainsi que le lavage de cerveau idéologique opéré via le système scolaire et les médias grand public garantissent la soumission de la population générale, tandis que des pouvoirs de contrôle mental permettent à l’État profond de commanditer des tueurs programmés et de fomenter des fusillades dans les écoles, et ce dans le but de désarmer les patriotes qui seraient tentés de vouloir libérer la population souterraine d’esclaves sexuels. Et puis, il y a les victimes dont personne ne parle : de mèche avec des sociétés maléfiques comme Monsanto, l’État profond se livre à un « écocide » et massacre non seulement des enfants innocents, mais aussi des millions de nos frères bovins. Où sont nos enfants ? Où sont nos bisons ?
    Les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans la diffusion des théories du complot, mais cela ne signifie pas pour autant que celles-ci se réduisent à une question d’information.
    Il existe de manière assez répandue, chez les universitaires, les responsables des politiques publiques et les chiens de garde de l’information, une tendance à considérer les théories du complot comme des théories, c’est-à-dire des affirmations sur le monde susceptibles d’être vraies ou fausses. Dans la mesure où elles sont typiquement fausses, nous les traitons comme des explications sociologiques erronées, fondées sur des incohérences logiques ou des vices de preuve.
    C’est après tout à un philosophe des sciences que nous devons le concept de « théorie du complot » : lorsque l’expression voit le jour en 1948 sous la plume de Karl Popper, elle désigne l’incapacité à interpréter les événements sociaux comme la résultante d’une myriade de processus interdépendants ; au lieu de cela, ils se trouvent réduits à l’expression d’une volonté unique et omnipotente émanant d’entités collectives invisibles (Popper mentionne pêle-mêle les capitalistes, les impérialistes, les sages de Sion…).
    La « théorie sociologique du complot », écrit Popper, s’apparente à « un type assez primitif de superstition ». Cette vision est restée prédominante depuis lors : dans un article influent publié il y a dix ans, deux juristes de Harvard – Cass Sunstein et Adrian Vermeule – parlent ainsi d’« épistémologies boîteuses ».
    Dès lors que les théories du complot sont considérées comme un problème de nature cognitive, elles deviennent aussi un problème d’ordre purement individuel. Si elles ne nous disent certes rien sur la société, elles nous parlent en revanche des personnes qui y adhèrent. Même lorsque le diagnostic se fait en des termes vaguement sociologiques (faible niveau d’éducation, classes populaires, etc.), les théories du complot deviennent le symptôme d’une déficience de la pensée, d’une incapacité à s’orienter dans l’environnement informationnel.
    En somme, nous avons réduit les théories du complot à de l’information, et ceux qui y croient à de médiocres processeurs d’information. On ne s’étonnera pas si de nombreux observateurs en viennent désormais à considérer les théories du complot contemporaines comme une forme d’analphabétisme propre à l’ère digitale : le « nouveau conspirationnisme », selon eux, ne se rapporterait à aucun événement réel (rien ne se passe à Comet Ping Pong contrairement, par exemple, à l’assassinat de Kennedy) et se réduirait à de l’air chaud généré par les serveurs de Facebook. Pour ces mêmes observateurs, QAnon est un phénomène qui jamais n’aurait été possible « ne serait-ce qu’au début de ce siècle ».
    Il est indéniable qu’Internet et les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans la diffusion des théories du complot, mais cela ne signifie pas pour autant que celles-ci se réduisent à une question d’information, ni que nous ayons affaire à un phénomène nouveau : ce qui frappe, à y regarder de plus près, c’est, au contraire, l’impression de déjà vu.
    Nous avons remplacé les conditions sociales et économiques par des biais cognitifs.
    En mai 1969, une rumeur se répand comme une traînée de poudre dans la ville d’Orléans : des jeunes femmes disparaissent mystérieusement dans les salons d’essayage de six boutiques de la ville. Les victimes sont droguées et enlevées via des tunnels souterrains afin d’être vendues à des réseaux internationaux de prostitution. Le fait que les propriétaires des magasins incriminés soient juifs n’est certainement pas un hasard.
    Au fur et à mesure que la rumeur prend de l’ampleur, le silence des médias locaux devient suspect et finit par se fondre dans la trame de la conspiration : la presse est achetée – fake news ! – et les autorités publiques sont de mèche. Le 31 mai, alors que de nombreux Orléanais font leur marché, des petits groupes se rassemblent devant les magasins incriminés dans une atmosphère volatile. Seule la fin du marché et le début du second tour de l’élection présidentielle désamorcent une situation explosive, dans laquelle il n’aurait pas été impensable que la rumeur pousse quelqu’un à l’action, comme ce fut le cas cinquante plus tard à Comet Ping Pong.
    Ce qui frappe dans l’incident d’Orléans, ce sont les similitudes avec les théories du complot actuelles : l’horreur cachée derrière la devanture d’un commerce populaire, le trafic sexuel mondial, les tunnels secrets, la collusion des médias et de l’élite politique. A une différence près : l’absence d’Internet.
    Au lendemain de la rumeur, le sociologue Edgar Morin s’était rendu à Orléans avec plusieurs de ses collègues afin de comprendre l’origine et la diffusion de la théorie du complot. Publié à chaud, La Rumeur d’Orléans est le récit de cette enquête de terrain. A ma connaissance, aucune analyse du phénomène QAnon n’a fait référence à cet ouvrage, pourtant traduit en anglais dès 1971.
    À le relire aujourd’hui, on est frappé par deux choses : la relative stabilité dans le temps des schémas complotistes, et, à l’inverse, la transformation radicale de notre façon de les analyser. Ne pouvant en attribuer la responsabilité à l’information en ligne, Edgar Morin identifia des facteurs sociaux, économiques et culturels plutôt que des mécanismes cognitifs ou des logiques d’information.
    Il tenta de déchiffrer la panique morale à l’origine des rumeurs antisémites en relation avec l’évolution de la structure démographique de la ville, les nouvelles identités de genre, le rôle des femmes sur le marché du travail, les processus de modernisation économique qui perturbaient le tissu social et les codes moraux de la ville, ainsi qu’un lent processus de déclin qui voyait une ancienne capitale médiévale se transformer en grande banlieue parisienne. Pour le dire brièvement, Morin s’est efforcé de comprendre la situation historique dans laquelle un mythe avait resurgi, et non une erreur d’inférence ou une épistémologie boîteuse.
    Le debunking s’avère être, en définitive, une défense du statu quo.
    Ce qui est remarquable, cinquante ans plus tard, c’est à quel point ce monde réel a disparu de nos réflexions sur les théories du complot. Nous avons remplacé les conditions sociales et économiques par des biais cognitifs, les mythologies politiques et religieuses par des erreurs étiologiques, l’histoire par des préjugés ataviques. Ce n’est pas seulement que nous avons projeté les causes du complotisme dans les profondeurs du cerveau humain : nous partons du principe que ces profondeurs sont plus faciles à sonder que le monde qui nous entoure, et plus faciles, aussi, à réformer.
    Ni les partisans de la démystification (debunking), ni les nouveaux justiciers de l’information ne considèrent la possibilité que la cause profonde des théories du complot puisse se situer en dehors de l’esprit, et nécessiter un réexamen du monde socio-économique qui est le nôtre. Il y a là un quiétisme implicite : ce qui est en cause, ce n’est pas le monde, mais les esprits individuels qui semblent ne pas le voir pour ce qu’il est.
    Il s’agit dès lors d’amener les gens à s’aligner sur une réalité qu’ils ne mesurent pas. Steven Pinker, l’un des paladins de la vérité et de la rationalité, suggère de mettre en œuvre rien moins que des programmes de « débiaisage » qui consisteraient à aider les gens à voir que le monde va bien et que tout se passera au mieux si nous laissons les responsables politiques et économiques continuer à s’en occuper sans leur faire entrave.
    Il s’agit de s’adapter au monde tel qu’il est et de résister à toute tentation de le transformer. Le debunking s’avère être, en définitive, une défense du statu quo – non pas parce que les théories du complot seraient vraies, mais parce que les tenants de la démystification les utilisent pour restreindre un peu plus la place accordée au politique. Par-delà leur opposition, le debunking et les théories du complot sont deux formes d’anti-politique.
    S’il fallait désigner un coupable de cette tendance à faire des théories du complot un problème de psychologie et de rationalité individuelles, ce serait Hofstadter. Selon les commentaires éditoriaux élogieux qui ont accueilli la récente réédition aux États-Unis de The Paranoid Style dans la prestigieuse collection Library of America, les travaux de Hofstadter sur « l’irrationalisme, la démagogie et la pensée complotiste » constituent une « pierre de touche pour donner un sens aux événements de 2020 ».
    Ces éloges ne témoignent pas seulement de l’importance d’Hofstadter pour la culture politique américaine : elles rendent aussi hommage à un historien qui voyait dans les théories du complot l’expression d’un atavisme, une sorte de monstre lacustre qui referait épisodiquement surface dans l’histoire américaine mais que l’on ne peut comprendre qu’en termes de « psychologie des profondeurs ».
    Paradoxalement, Hofstadter a doté de toute le prestige que confère un prix Pulitzer l’idée selon laquelle l’histoire a relativement peu à nous apprendre sur ce qui est en réalité une mentalité archaïque, parfois réveillée par les soubresauts de la modernité mais en dernière instance imperméable à cette dernière. Il ne faut pas s’étonner que le regain d’intérêt pour son essai sur le style paranoïaque ait lieu à l’époque des sciences cognitives et des politiques paternalistes du « nudging ».
    On a prêté beaucoup moins d’attention aux allusions répétées d’Hofstadter à l’Apocalypse. Le porte-parole paranoïaque, écrit Hofstadter, voit le monde « en termes apocalyptiques ». Il lance des « avertissements apocalyptiques » et « trafique la naissance et la mort de mondes entiers […]. Comme les millénaristes religieux, il exprime l’angoisse de ceux qui vivent les derniers jours et il est parfois disposé à fixer une date pour l’apocalypse ».
    Dans la tradition chrétienne, l’Apocalypse offre la première conception complotiste de l’histoire, dont la trame doit culminer dans une épreuve de force finale. Il s’agit d’une histoire d’imposture et d’usurpation. Dans le rôle principal, on trouve généralement l’Antéchrist, ou une version de celui-ci : un imitateur qui prend la place du Christ, il est le « crisis actor » (acteur de crise) et le « false flag » (faux drapeau) originel. Un usurpateur qui prétend unifier l’humanité dans le Royaume tout en installant en réalité sa tyrannie, il est le premier mondialiste et le stigmate qui pèse sur tous les mondialismes ultérieurs. Des anciens millénarismes aux élucubrations de Pat Robertson sur le « nouvel ordre mondial », il fait figure de modèle dans la plupart des théories du complot.
    QAnon aussi est une variation à peine laïcisée de l’Apocalypse : un récit sur le mal absolu paradant dans le monde sous l’apparence d’une dispensation libérale ; une variation sur la dépravation morale d’un globalisme nécessairement trompeur ; une pression eschatologique liée à l’imminence d’un jugement final, assorti du traditionnel avis de tempête.
    Comme l’a brillamment suggéré le critique littéraire Frank Kermode, l’Apocalypse est un récit qui nous permet de donner un sens à la finitude de notre monde, en projetant une cohérence liant sa fin à ce qui la précède. Sa structure profonde est la récapitulation : la fin reprend les événements passés sous la forme de la concordance, tout se vérifie parce que tout était lié dès le début d’une manière qui se révèle enfin. L’Apocalypse répond à un besoin profond de cohérence lorsqu’il s’agit d’appréhender l’idée de la fin ; il n’est pas étonnant que dès les années 1920 la psychiatrie ait fait la part belle à l’expérience de la fin du monde (« Weltuntergangserlebnis ») dans l’analyse de la paranoïa, ni qu’elle revienne sans cesse sous la plume d’un Hofstadter. Face à une échéance sans cesse reportée et à des réfutations répétées, elle doit être continuellement réinventée : « L’image de la fin », a souligné Kermode, « ne peut jamais être réfutée de façon permanente. »
    Cela devrait donner à réfléchir aux partisans du debunking. Non seulement les théories du complot s’appuient sur des modèles culturels fondamentaux qui ne sont pas faciles à déraciner, mais les religions établies sont elles aussi des « épistémologies boîteuses », pour reprendre l’expression de Sunstein et Vermeule. L’implication n’a pas échappé aux adeptes de QAnon : « Si Jésus revenait sur terre aujourd’hui, pensez-vous que vous le reconnaîtriez en raison de ses miracles ? », écrit l’un d’entre eux, « ou le qualifieriez-vous de théoricien du complot ? »
    Les théories du complot reposent sur la foi en ce que le temps tient en réserve. La « vérité » qu’elles défendent est définie par la révélation de ce qui est à venir, et non par une démonstration logique. Non seulement la démystification est impuissante dans ces cas-là, mais c’est précisément dans la persévérance face à l’adversité et aux preuves du contraire que se révèle la foi. Parce qu’elles s’articulent autour d’un sens apocalyptique du temps, les théories du complot ne sont pas seulement des idées erronées : elles sont, aussi, une manière spécifique d’être au monde.
    Hofstadter était trop occupé à faire passer une prise de position politique pour un diagnostic psychanalytique et à assimiler son tiède libéralisme à l’idée même de rationalité pour s’intéresser davantage aux métaphores apocalyptiques qu’il affectionnait. C’est à l’anthropologue des religions Ernesto De Martino que revient le mérite d’avoir exploré les affinités entre l’esprit paranoïaque et l’apocalypse dans un essai publié la même année que The Paranoid Style dans la revue italienne Nuovi argomenti et intitulé « Apocalypses culturelles et apocalypses psychopathologiques ».
    Rien n’indique qu’Hofstadter et De Martino avaient connaissance de leurs travaux respectifs, mais tous deux affrontaient la crise du progressisme libéral – Hofstadter avec le ton posé d’un porte-parole, en présentant ses mécontents comme un atavisme folklorique, et De Martino en développant une analyse historique et anthropologique plus critique. Ce dernier partait d’un diagnostic culturel pour lequel l’épuisement des idéologies du progrès et le déclin du religieux rendaient l’humanité incapable d’affronter autrement que sur un mode pathologique et paralysant les scénarios apocalyptiques que l’arme nucléaire rendait actuels.
    Pour De Martino, les visions rédemptrices de la fin du monde – ce qu’il appelle les « apocalypses culturelles » – constituent un phénomène universel. Si tout risque de se dissoudre dans le néant, ou est voué, de toute façon, à disparaître, l’élan productif qui soutient la vie collective disparaît. Ce n’est qu’en mettant de côté ce risque que les sociétés humaines ont pu donner une valeur à leur existence mondaine et se projeter dans l’histoire. Lorsque les premiers chrétiens de Thessalonique se sont persuadés de l’imminence des derniers jours et ont sombré dans une stupeur oisive, il a fallu toute la verve apocalyptique d’un Saint Paul pour transformer l’angoisse paralysante en promesse d’un monde meilleur autour duquel une communauté chrétienne pouvait organiser sa vie ici et maintenant.
    Les apocalypses culturelles, cependant, ne sont pas forcément religieuses ni ne signifient nécessairement la fin de l’existence terrestre en tant que telle. Elles peuvent aussi se manifester sous la forme de « l’aspect social et politique de la fin d’un monde historique donné » (De Martino s’est particulièrement intéressé aux mouvements millénaristes déclenchés par la fin de la domination coloniale en Afrique, mais aussi à la fin de la société capitaliste bourgeoise promise par le marxisme) ou d’un événement particulier dans la vie d’un individu ou d’une communauté. À chacun de ces moments critiques, les cérémonies religieuses, les rituels profanes, les idéologies progressistes ou révolutionnaires atténuent l’idée d’un effondrement final et révèlent à nouveau la possibilité d’une existence collective et porteuse de sens. Fondamentalement, les cultures apocalyptiques se résument au proverbial Keep Calm and Carry On du blitz anglais.
    En l’absence de ces médiations culturelles, les peurs apocalyptiques prennent une tournure strictement individuelle et, par conséquent, pathologique : l’effondrement du monde devient une expérience solitaire, privée, voire intime, et le sentiment de perte est détaché de toute communauté culturelle. L’individu se retrouve submergé par un sentiment d’aliénation et de passivité. En s’effondrant, le monde emporte avec lui la possibilité d’une présence au monde. Le familier devient étrange et inquiétant, comme si le monde qui figurait à l’arrière-plan du quotidien cédait soudainement et les relations stables et objectives entre les choses se dénouaient au profit de leurs connexions occultes. Le monde devient « un réseau de menaces diffuses, de forces hostiles, d’obscurs complots ourdis à nos dépens ».
    L’apocalypse psychopathologique, en définitive, est une forme paroxystique et existentielle de l’angoisse du statut dont Hofstadter avait fait le fondement psychologique de l’esprit paranoïaque. À une différence près, qui est de taille : là où Hofstadter croyait avoir circonscrit un problème de psychologie collective, De Martino voyait le résultat d’un échec culturel.
    Dans un livre plus ancien, De Martino s’était intéressé à ceux qui, dans le monde archaïque, conjuraient ces risques apocalyptiques : les chamans. Sa grande intuition était que le monde que nous considérons comme acquis, et qui constitue l’arrière-plan stable de nos vies, n’est pas une donnée mais une conquête historique et culturelle, dont dépend notre sentiment d’autonomie.
    Dans les sociétés primitives, il a fallu arracher ce monde à un environnement peuplé d’esprits invisibles et de forces magiques, auxquels l’individualité, encore balbutiante, risquait à tout moment de succomber. De peur qu’il n’anéantisse l’individu et ne menace la communauté tout entière – comme dans le cas des Thessaloniciens –, ce risque devait être contenu.
    Ne pouvant entièrement l’écarter, les chamans faisaient de ce risque d’effondrement de la présence au monde le point de départ de leurs rituels pour en transformer le sens : au lieu d’y succomber passivement, ils le provoquaient afin de contrôler les forces occultes de leurs cosmogonies. En apprivoisant les esprits invisibles et en les soumettant à leur emprise, ils recouvraient pour toute la communauté « le monde qui [était] sur le point d’être perdu », écartant ainsi le risque psychopathologique et enchâssant de manière pérenne l’expérience apocalyptique dans un tissu culturel collectif. Saint Paul n’était rien d’autre que le chaman du christianisme primitif.
    Les théories du complot évitent la chute dans la paranoïa individuelle et transforment les sentiments apocalyptiques en composantes pour la construction de communautés alternatives.
    Will & Power : Inside the Living Library est le roman que Chansley a publié en 2018 sous le pseudonyme de Loan Wold. Il y est question, là aussi, de chamanisme, et d’un monde perdu et retrouvé. Comme pour son essai, il s’agit d’une lecture qui met la bonne volonté du lecteur à l’épreuve. Le personnage principal, qui n’est pas sans rappeler l’auteur de l’ouvrage, part camper après s’être séparé de sa petite amie et avoir perdu son travail dans un magasin de jardinage.
    Au fond des bois, il rencontrer une créature d’une autre planète, semblable à un Sasquash, qui l’initie à une sagesse ancienne appelée « Shama » et lui enseigne à exploiter les pouvoirs du champ magnétique terrestre et à communiquer avec les esprits animaux et végétaux qui peuplent le monde. Bien qu’ils soient accessibles à tous les humains, les pouvoirs du chamanisme ont été gardés secrets et pervertis pour servir les desseins des « Seigneurs Noirs », une race maléfique de colonisateurs extraterrestres qui se dissimulent sous une apparence humaine.
    Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur les détails embarrassants de l’intrigue, donnée à lire dans le style d’un SMS et la gamme sentimentale d’une palette d’emojis. La croyance dans le magnétisme animal n’a rien de nouveau et, depuis son origine au XVIIIe siècle sous la plume de Franz Mesmer, elle a été associée à l’idée d’action à distance et, souvent, à des théories du complot.
    Chansley donne toutefois à ces vieux thèmes une tournure contemporaine et technologique : ces flux d’énergie invisibles deviennent le « Life-Net », réseau par lequel les plantes et les créatures échangent « toutes sortes d’informations ». Les événements locaux sont « téléchargés » sur ce réseau et accessibles de partout dès lors que le nouvel initié au chamanisme s’y connecte. Le monde devient ainsi une « bibliothèque vivante » où chaque créature, chaque être est connecté à tout ce qui l’entoure : une dense forêt d’hyperliens dans laquelle on peut « surfer » indéfiniment.
    Le monde apocalyptique du paranoïaque, selon De Martino, se caractérise par un « excès de sens », une surcharge de signification qui fait que rien n’est exactement conforme aux apparences. Les choses sont insaisissables et mystérieuses, leurs liens sont obscurs, et la rencontre avec la réalité sans cesse repoussée. Les deux livres de Chansley traitent d’un monde tellement saturé de sens qu’il craque aux entournures.
    Dans son essai, il est question d’un univers désorientant, dans lequel aucune vie active n’est possible : une sorte de palais des glaces dans lequel on ne peut que courir après des points de fuite et se sentir impuissant, en proie aux forces menaçantes de l’État profond, et dépossédé de sa liberté.
    Dans son récit consacré au chamanisme, la même expérience de ces couches de sens infinies devient libératrice. Ce qui était auparavant un réseau mystérieux et insaisissable de connexions occultes devient une extension illimitée des pouvoirs individuels. L’étrange sentiment que « rien n’est exactement ce qu’il y paraît » se transforme en une prise de conscience stimulante que « tout est lié ». Le monde de la théorie du complot se retourne sur lui-même, comme un gant. En s’abandonnant aux forces invisibles de l’univers pour mieux les dominer, le « Q Shaman » recouvre lui aussi le monde perdu de la liberté humaine.
    Un chaman aux pouvoirs étendus, qui restitue aux autres leur puissance d’agir : la folie des grandeurs est bien sûr un symptôme classique de la paranoïa de persécution. De ce point de vue, le chamanisme de Chansley est risible. Ses pitreries bruyantes et son accoutrement prétentieux sont aussi authentiques sur le plan culturel que les canaux vénitiens à Las Vegas. Ses expériences avec les psychotropes sont des trips privés sans lien aucun avec quelque tradition vivante que ce soit. Et pourtant, ce chamanisme de pacotille traduit quelque chose de fondamental quant aux théories du complot, quelque chose que les considérations psychologiques ou cognitives, pour ne pas parler des dissertations épistémologiques ou des théories de l’information, ne parviennent pas à saisir. Il vise à exorciser l’emprise paralysante des angoisses apocalyptiques et à restaurer la perspective d’un monde commun. Pour le dire autrement : il esquisse ce que De Martino a appelé une apocalypse culturelle.
    Le « Q Shaman » est le reflet de quelque chose qui traverse, voire définit QAnon et tous les mouvements contemporains qui capitalisent sur la pensée conspirationniste : en prenant de l’ampleur, les théories du complot évitent la chute dans la paranoïa individuelle et cherchent à transformer les sentiments apocalyptiques en composantes de base pour la construction de communautés alternatives, qu’elles soient culturelles ou politiques.
    Si le chamanisme a disparu ou se retrouve désormais réduit au rang de survivance archaïque, ce n’est pas le cas de l’expérience apocalyptique que les chamans cherchaient à canaliser. Pour De Martino, ce « drame existentiel » est susceptible se manifester dans les sociétés modernes, en particulier dans des situations de « souffrance et de dénuement », comme les guerres ou les famines, qui placent l’individu dans une situation de détresse insoutenable.
    Ces situations dans lesquelles la présence au monde ne va plus de soi ne sont plus marginales : le dérèglement climatique et son cortège d’extinctions, la destruction d’écosystèmes d’ampleur continentale, le déracinement de communautés entières fuyant les ravages de guerres sans fin ou la dégradation irréversible de leur habitat, une pandémie mondiale qui ravage les plus vulnérables, des inégalités sociales et économiques sans précédents qui font que, pour des millions de personnes, la fin du mois fait parfois figure de fin du monde.
    Jamais auparavant notre existence en tant qu’individus et en tant qu’espèce n’a semblé aussi précaire. Jamais notre monde n’a semblé aussi fragile. Notre capacité à nous projeter dans l’avenir s’est considérablement réduite. Même les exploits spatiaux, autrefois considérés comme des pas de géant pour l’humanité, ressemblent aujourd’hui à des exercices d’évacuation pour les cabines de première classe. Les capsules de sauvetage privées qui mettent des milliardaires en orbite n’annoncent aucun progrès : elles confirment seulement qu’il est minuit moins une.
    Pourtant, la vie continue comme si de rien n’était. On cherche en vain les ressources culturelles et politiques qui nous aideraient à percer les brumes apocalyptique du présent pour discerner la lueur d’un nouveau jour qui serait aussi un jour meilleur. Dans cette situation schizophrénique, la dissonance cognitive ne peut que devenir la norme—et ce qui est peut-être étonnant n’est pas tant la diffusion des théories du complot que le fait qu’elles ne soient pas plus répandues encore.
    Dans son analyse de la rumeur d’Orléans, Edgar Morin soulignait que l’un des facteurs permettant à des mythologies dangereuses de s’imposer à une ville entière était la « sous-politisation ». La prolifération des théories du complot reflète la pauvreté d’une culture politique qui n’a rien à offrir à des millions d’individus confrontés à la disparition de leur monde. Parce qu’elles sont une tentative désespérée et indigente de donner du sens à la dimension catastrophique du présent lorsque les ressources culturelles disponibles n’y suffisent plus, les théories du complot sont une excroissance directe de ce vide politique.
    Fin observateur, Morin s’en prenait également à « l’incapacité de l’intelligentsia à aborder ces problèmes ». Rien n’a changé : ce n’est que depuis une position privilégiée où la certitude de leur monde est acquise que les experts d’aujourd’hui peuvent considérer les théories du complot comme des déficiences cognitives à corriger, et rester sourds à la crise existentielle qu’elles expriment.
    Si la propagation des théories du complot nous préoccupe, nous devons nous rendre compte que le debunking est une distraction, un passe-temps pour fact-checkers et chiens de garde de l’information. Nous devons nous pencher sur le manque de vision politique dont se nourrit le complotisme, et dont les commissions gouvernementales censées le combattre ne sont que les cache-misère.
    La politique a fondamentalement à voir avec le temps, et elle échoue lorsqu’elle s’apparente à l’administration des derniers jours. Repousser à plus tard la fin du monde a toujours été la justification conservatrice du maintien de l’ordre et de la préservation du statu quo. Quant à l’accélérationnisme aveugle qui fait aujourd’hui figure d’alternative, il n’est en réalité qu’une stratégie différente au service des mêmes objectifs. La seule et véritable alternative consiste à retrouver une capacité politique, à jeter des ponts par-delà un présent cataclysmique, à reconstruire la vision d’un monde commun et d’un avenir inclusif pour tous ceux qui sont en train de perdre le leur.
    À défaut, les théories du complot continueront de prospérer et d’occuper la place qui était autrefois celle des idéologies. Il est déjà clair que les politiciens tentés de les exploiter jouent à l’apprenti sorcier, pour ne pas dire à l’apprenti chaman. Et comme chacun le sait, leur heure vient quand sonnent les douze coups de minuit.

    Nicolas Guilhot
    Historien, professeur d’histoire intellectuelle à l’Institut universitaire européen de Florence

    Traduit de l’anglais par Hélène Borraz

    #complotisme #théories_du_complot #Qanon #Edgar_Morin #debunking #démystification

    • #rumeur_d'Orléans

      Au lendemain de la rumeur, le sociologue Edgar Morin s’était rendu à Orléans avec plusieurs de ses collègues afin de comprendre l’origine et la diffusion de la théorie du complot. Publié à chaud, La Rumeur d’Orléans est le récit de cette enquête de terrain. A ma connaissance, aucune analyse du phénomène QAnon n’a fait référence à cet ouvrage, pourtant traduit en anglais dès 1971.

      À le relire aujourd’hui, on est frappé par deux choses : la relative stabilité dans le temps des schémas complotistes, et, à l’inverse, la transformation radicale de notre façon de les analyser. Ne pouvant en attribuer la responsabilité à l’information en ligne, Edgar Morin identifia des facteurs sociaux, économiques et culturels plutôt que des mécanismes cognitifs ou des logiques d’information.

      Il tenta de déchiffrer la panique morale à l’origine des rumeurs antisémites en relation avec l’évolution de la structure démographique de la ville, les nouvelles identités de genre, le rôle des femmes sur le marché du travail, les processus de modernisation économique qui perturbaient le tissu social et les codes moraux de la ville, ainsi qu’un lent processus de déclin qui voyait une ancienne capitale médiévale se transformer en grande banlieue parisienne. Pour le dire brièvement, Morin s’est efforcé de comprendre la situation historique dans laquelle un mythe avait resurgi, et non une erreur d’inférence ou une épistémologie boîteuse.

    • « L’être de l’homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la folie comme limite de sa liberté » , Jacques Lacan, journées psychiatriques de Bonneval, 1946.

      Un très grand merci, @sombre pour cet article. De quoi m’inciter à la lecture (trop retardée...) de la thèse de François Tosquelles, Le vécu de la fin du monde dans la folie. Le témoignage de Gérard de Nerval et de La fin du monde. Essai sur les apocalypses culturelles, de De Martino (auquel les textes de Wu Ming sur ces choses doivent tant).

      #vide_politique #anthropologie #apocalypses_culturelles #apocalypses_psychopathologiques #peur_apocalyptique #effondrement #psychopathologie #messianisme #millénarisme #Ernesto_De_Martino #QAnon

    • Et bien, disons que c’était mon cadeau pour la nouvelle année. :-))

      Je me plonge dès maintenant dans un long article de chez Cairn.info pour m’instruire sur l’aspect historique du #fact_checking et de ses méthodes d’investigation depuis son apparition aux États-Unis dans les années 1920.

    • bon, j’explicite rapido mon post précédent du coup. ce que je préfère de ce papier, c’est pas tant l’arrimage au raisonnement sociologique (Morin, et l’auteur), bien insuffisant à mes yeux (l’auteur le montre lui aussi lorsqu’il évoque la composition sociale hétérogène des QAnon) que l’analyse des enjeux subjectifs et politiques en tant que tels (le nouage psyche/angoisse/paranoïa et socius)

      La Fin du monde. Essai sur les apocalypses culturelles (extraits)
      https://journals.openedition.org/elh/605

    • En ce sens que l’analyse des théories du complot au crible de la sociologie ne serait que la partie émergée d’un processus qui prend forme dans l’interconnexion entre le « psychopathologique » type paranoïa et le parcours sociopolitique du sujet ?
      Une approche plus anthropologique en somme.

    • oui, ne pas en rester au raisonnement sociologique. histoire, socio, anthropo, rien n’est de trop, et trouver moyen d’explorer les subjectivités, sans psychologie.

      une société qui sépare en individus accroit l’impuissance, voilà une condition bien pathogène. les historiens le savent d’avoir observé, par exemple, la diminution du nombre de suicides lors de la Révolution française.

      autre temps, Nicolas Guilhot :

      Les théories du complot évitent la chute dans la paranoïa individuelle et transforment les sentiments apocalyptiques en composantes pour la construction de communautés alternatives.

      et il y a évidemment bien des communautés terribles :)

      comme en écho au " conspirer, c’est respirer ensemble" (avec des ffp2 !) que l’on pouvait entendre sur radio Alice à Bologne en 1977, avant l’arrivée des chars dans la ville (ce fut seule intervention militaire de ce type en europe occidentale), un livre à paraître

      Manifeste conspirationniste, Anonyme
      https://www.leslibraires.fr/livre/20145297-manifeste-conspirationniste-anonyme-seuil

      Le conspirationnisme procède de l’anxiété de l’individu impuissant confronté à l’appareil gigantesque de la société technologique et un cours historique inintelligible. Il ne sert donc à rien de balayer le conspirationnisme comme faux, grotesque ou blâmable ; il faut s’adresser à l’anxiété d’où il sourd en produisant de l’intelligibilité historique et indiquer la voie d’une sortie de l’impuissance.

      On peut bien s’épuiser à tenter d’expliquer aux « pauvres en esprit » pourquoi ils se trompent, pourquoi les choses sont compliquées, pourquoi il est immoral de penser ceci ou cela, bref : à les évangéliser encore et toujours. Les médias peuvent bien éructer d’anathèmes. C’est le plus généralement sans effet, et parfois contre-productif.

      La vérité est qu’il y a dans le conspirationnisme une recherche éperdue de vérité, un refus de continuer à vivre en esclave travaillant et consommant aveuglément, un désir de trouver un plan commun en sécession avec l’ordre existant, un sentiment inné des machinations à l’œuvre, une sensibilité au sort que cette société réserve à l’enfance, au caractère proprement diabolique du pouvoir et de l’accumulation de richesse, mais surtout un réveil politique qu’il serait suicidaire de laisser à l’extrême-droite.

  • Covid-19 : on vous explique pourquoi le nouveau variant détecté en Afrique du Sud est considéré comme « une menace majeure » - ladepeche.fr
    https://www.ladepeche.fr/2021/11/25/covid-19-on-vous-explique-pourquoi-pour-le-nouveau-variant-detecte-en-afri

    Le variant B.1.1.529 présente un nombre « extrêmement élevé » de mutations et « nous pouvons voir qu’il a un potentiel de propagation très rapide », a déclaré le virologue Tulio de Oliveira, lors d’une conférence de presse en ligne chapeautée par le ministère de la Santé. Son équipe de l’institut de recherche KRISP, adossé à l’Université du Kwazulu-Natal, avait déjà découvert l’année dernière le variant Beta, très contagieux.

    #SARS-CoV2 #variants

    • C’est vraiment pas d’chance s’il y a des variants et si ça casse toute la dynamique positive mise en place par nos zélites. Comme dit l’autre, en même temps, c’est pas que c’est un échec, c’est que ça n’a pas marché.

      Le coup de la 3ème dose pour continuer à avoir le pass, j’avoue, hier soir, ça m’a rendu grognon. Parce que pour le coup, je voyais arriver la 4ème et 5ème dose... alors même que le monde de la recherche semble s’être totalement désintéressé du sujet.

    • Nouvelle souche virale. Thread by Pr_Logos
      https://threadreaderapp.com/thread/1463620077643829256.html

      1/ Nouvelle souche virale. Thread.
      Le mutant du Botswana, B.1.1.529, a 32 points de mutation à la protéine Spike. C’est beaucoup, et ça ouvre la possibilité qu’il soit mal reconnu par le système immunitaire…

      C’est le scenario redouté pour cet hiver.

      3/ Si le graphique du Financial Times est correct, c’est un monstre. Une transmissibilité accrue d’un facteur gigantesque.

      etc...

    • C’est pas pour se faire peur. C’est juste pour dire qu’on en parle depuis des mois. Comme l’aérosolisation dont la première étude explicite sur le sujet date du printemps 2020. Ou le Delta, dont la Grande Bretagne parle depuis Mars-Avril 2021.

      Notre super-équipe de vainqueurs, ils ont décidé que le pire de cette crise, c’était de porter le masque. Et que la meilleure récompense qu’ils pouvaient nous faire, c’était de ne plus nous « obliger » à le porter. Et le pire, c’est qu’ils y croient eux même. Heureux de pouvoir recevoir du monde dans les palais, sans masques ni distanciation.

      Ils ne se rendent pas compte de la violence du contre-choc que cela représente, d’avoir décidé de faire croire que c’était terminé cet été, d’avoir décidé que tout le monde pouvait faire comme si on pouvait tout refaire comme avant... et là, au bout d’un petit mois de vie « quasi-normale », constater que rien n’est résolu, et que même, d’ailleurs, ça va être encore pire, parce que « business as usual », on n’a toujours pas investi dans la santé, car c’est aux copains du privé de le faire et qu’en fait, on a continué à désinvestir, comme dans l’enseignement, d’ailleurs. On radote. Je radote. On ne cesse de répéter la même chose. Et il faut faire la 3ème dose, sinon couic, plus de vie sociale. J’ai envie de dire « pourritures ». J’ai des envies de batte de baseball et de pétage de genoux. Mais faut pas le dire. Faut juste le faire. Comme les flics qu’on envoie dans les Caraïbes, pour faire comprendre qu’il n’y a pas d’alternatives, faut laisser l’eau ne pas couler, faut laisser le chlordécone tuer les gens sans punir les coupables, faut laisser la misère, parce que. On radote. Et ils se serrent les coudes. Autour de Hulot, autour de Darmanin, autour de DSK. Jusqu’à ce qu’ils puent trop, et alors on les envoie à Cnews, où le patron nous emmerdent tous de très haut, nous les puritains qui ne supportons plus les prédateurs, à la Ma*, à la Mo*, à la Ze*. Où le patron les héberge et les met au boulot, protégé par des cordons de CRS, comme hier à la Guillotière à Lyon, provocation obscène sous protection policière. On radote. Et on s’y complait. On continue à faire comme s’il n’y avait pas de solution. Voter ? Non. Ils sont tous pareils. Ils sont trop. Pas assez. On radote.

    • Apparemment, on parlait aussi de reprise épidémique depuis 2 mois. Mais là encore, les épidémiologistes auto-proclamés se sont fait surprendre par l’effet de surprise. Fulgurant (qu’ils disaient) ...

      https://threadreaderapp.com/thread/1439939177357975558.html

      1/21
      Pourquoi le rebond épidémique automnal 2021 va être plus long à percevoir que l’an dernier ?
      Petit thread pour éviter les mauvaises surprises dans les semaines à venir...
      2/21
      Tout d’abord pourquoi s’attendre à un rebond !?
      A] Rentrée scolaire sans vaccination des enfants et sans sécurisation sanitaire des établissements
      B] Rentrée « socio-économique » avec densité+++ dans les transports, entreprises, commerces...
      3/21
      C] ↘ des activités de plein air et retour dans les espaces clos à une période de l’année où leur aération tend à ↘
      D] Persistance du variant Delta hautement transmissible au sein d’une pop majoritairement immunisée via vaccination donc sans immunité mucosale...
      4/21
      Alors pourquoi un rebond plus long à percevoir que l’an dernier ?
      A] Vaccination et ↘↘ des formes symptomatiques d’infection.
      En moyenne, les études récentes montrent une ↘ de 78% des formes symptomatiques d’infection induites par Delta
      cdc.gov/coronavirus/20…
      Coronavirus Disease 2019 (COVID-19)
      CDC provides credible COVID-19 health information to the U.S.
      https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/science/science-briefs/fully-vaccinated-people.html
      5/21
      Cela signifie que la fréquence des formes d’infection conduisant le plus souvent à un dépistage, est ~4,5x plus faible que l’an dernier à la même période (avant vaccination).
      Ce n’est qu’un ordre de grandeur car Delta est plus virulent que les variants antérieurs...
      6/21
      Cette estimation ne tient pas compte non plus de l’atténuation immunitaire au cours du temps.
      C’est donc simplement un ordre de grandeur grossièrement estimé sur la seule efficacité vaccinale issues des données en « vie réelle ».
      7/21
      B] Vaccination et ↘↘ du dépistage
      Les motivations d’un dépistage sont triples :
      – infection symptomatique (maladie)
      – obligation réglementaire (pass, voyage...)
      – enquête de contact tracing
      8/21
      Avec désormais 64% de la population complètement vaccinée, nous avons au moins 64% de la population chez qui le dépistage s’est effondré :
      avec 4,5x moins de maladie chez les vaccinés, le recours au dépistage est au moins 4,5x faible...
      9/21
      L’obligation réglementaire de dépistage est levée du fait de la vaccination, ce qui réduit encore le recours au dépistage.
      Enfin, même si les vaccinés sont censés être inclus dans le contact tracing, l’ampleur du dépistage y est anecdotique (tracing déficient en France)...
      10/21
      Ainsi, on observe un fort ralentissement de l’activité de dépistage, malgré le pass sanitaire et les millions d’éligibles tjs pas vaccinés (ce qui interroge d’ailleurs sur l’application réelle de ce pass sanitaire)
      11/21
      On ne peut donc plus percevoir un rebond épidémique précocement via les indicateurs virologiques car l’activité de « testing » est désormais monopolisée par les asymptomatiques non-vaccinés qui valident leur pass sanitaire via des tests réguliers (cf. BEH)
      12/21
      Il va donc falloir attendre un impact de ce rebond sur la morbi-mortalité (↗ des formes symptomatiques, ↗ de la tension hospitalière...).
      Et pour cela il va au moins falloir attendre une circulation virale ~4,5x plus forte que celle qui « sonnait l’alerte » avant 💉
      13/21
      En reprenant le Re observé avec la vague estivale 2021 (Delta), on peut estimer ce retard à la détection.
      Cet été le Re a atteint 1,68.
      Avec une telle dynamique, le nombre de cas DÉTECTÉS double tous les ~7 à 10j...
      14/21
      Pour avoir une ↗ de ~4,5x sur le nombre de cas détectés, il faut donc un délai de ~19 jours.
      Ceci nous permet d’estimer grossièrement le « retard » à l’alerte...
      15/21
      Si avant la vaccination il fallait environ 3 semaines pour commencer à percevoir l’effet d’un évènement sur la progression épidémique, il faudrait désormais au moins 21+19 = 40 jours pour avoir la même perception !...
      16/21
      Tout ceci sous réserve que le Re soit au moins aussi fort que cet été, et que le recours au dépistage en cas d’infection symptomatique reste au même niveau (ce qui n’est pas garanti avec le déremboursement prochain des tests)...
      17/21
      Donc pour percevoir le rebond induit par la rentrée du 01/09/2021, il faudrait au moins attendre jusqu’au 12/10/2021...
      C’est ballot, on dérembourse les tests à partir du 15/10 ! 😅
      18/21
      L’allègement des mesures sanitaires est annoncé pour mercredi (décisions du Conseil de Défense), alors qu’on n’est même pas à la moitié de la période « critique » de surveillance épidémiologique post-rentrée !
      19/21
      Après >20 mois de pandémie, et la répétition inlassable des mêmes erreurs de relâchement quand il faut au contraire renforcer la prévention pour maintenir les bons résultats, et quand revient sans cesse le discours du « retour des jours heureux », il y a de quoi être agacé+++
      20/21
      Nous avons les tests, nous avons 4 vaccins efficaces+++, nous avons l’expérience de 20 mois décuplée par autant de pays qui ont été concernés, nous avons « l’habituation » aux mesures barrières, nous avons la connaissance des modes de transmission...
      21/21
      Avec tout ça, il serait légitime d’espérer ne pas avoir de nouveau rebond...
      Encore faut-il tenir compte de ces données et les exploiter à bon escient.

    • #B.1.1.529 : c’est la désignation scientifique du nouveau variant. Pour le grand public, il a été baptisé variant « nu » (de la lettre ν de l’alphabet grec correspondant au n de l’alphabet latin)

      Sur Twitter, il est qualifié d’horreur, de cauchemar absolu : 5 fois plus transmissible que « delta » et surtout possibilité d’échappement immunitaire.
      Les états membres de l’UE (dont la France) ferment leurs aéroports aux vols en provenance d’Afrique australe.
      Les indices boursiers plongent, tout comme le prix du baril de brent ...

      https://www.boursorama.com/bourse/actualites/vendredi-noir-les-investisseurs-saisis-par-la-peur-d-un-nouveau-variant-

      https://www.boursorama.com/actualite-economique/actualites/nouveau-variant-du-covid-19-les-cours-du-petrole-s-effondrent-48d66897f3

      C’est la #panique ...

      A une échelle proche : 4 cas détecté en Israël (dont un en provenance du Malawi), et un cas détecté en Belgique.
      On n’ose imaginer combien sont passés sous les radars ...

      La constellation des mutations de B.1.1.529 (il y en a plus d’une trentaine sur le spicule) est une galerie des horreurs, avec de multiples mutations associées à des gains en transmissibilité ou en échappement immunitaire.

      https://twitter.com/Panda31808732/status/1464197382221012993

      Took a look at the spike mutations in B.1.1.529 this evening, and colour coded them (details below)...there is...not much green.🧵 Image
      First the obviously bad stuff (red): nine mutations seen in previous VOCs. There’s a lot of overlap already among VOCs (convergent evolution), but this variant has an unprecedented sampling from mutations previously seen in Alpha, Beta, Gamma and Delta separately.
      In orange are three mutations that are probably meaningful biological changes for the virus, but not previously seen in VOCs. Two from VUI level lineages that likely had modest advantages over original virus, and E484A which is at a key site in the receptor binding domain.
      Next eleven things seen rarely or never before (blue) that may be functional and just new to us, or may be a side-effect of whatever process led to so many mutations in this lineage (i.e. either neutral or mildly deleterious). Need more data on these.
      In green is just D614G, which has been fixed in all SARS-CoV-2 since early 2020.
      Finally, three shades of purple which are new (not in previous VOCs) but have some other data to suggest they may be functional. First is a deletion/substitution/insertion hotspot in the N terminal domain, that may be further remodelling the protein structure there.
      Then there’s a group of 4 nearby substitutions (3 in the space of 5 amino acids) that have not been seen before, but are so close together that I doubt its coincidence. They are also very close to the (previously conserved) binding site of sotrovimab, a therapeutic antibody. Image
      Finally S477N and Q498R, predicted in an experimental evolution paper to substantially increase ACE2 binding together with N501Y, but only seen in the wild separately or rarely. Seeing this full combination now (along with everything else) is grim.
      SARS-CoV-2 variant prediction and antiviral drug design are enabled by RBD in vitro evolution - Nature Microbiology
      Evolution of the SARS-CoV-2 spike protein receptor-binding domain in vitro recapitulates SARS-CoV-2 variant emergence and produces an effective antiviral spike receptor-binding domain variant.
      https://www.nature.com/articles/s41564-021-00954-4
      There are also multiple (possibly funcitonal) mutations in genes other than spike: notably R203K and G204R in nucleocapsid, which were recently shown to be key in increasing transmissibility, and are present in all VOCs to date.
      AAAS
      https://www.science.org/doi/10.1126/science.abl6184
      So the mutation profile is bad (as @PeacockFlu and others have already pointed out). We don’t yet know how they act together, or how a virus with so many changes will behave.
      We need to learn more, fast. To end on a hopeful note, it’s mind-blowing how quickly we’ve got this far. Kudos to @Tuliodna et al for getting this out, and setting the global scientific community onto experiments to answer more of these questions. Let’s get to work.

      https://pbs.twimg.com/media/FFETuhlXsAQKKHe?format=jpg&name=large

      https://twitter.com/jcbarret/status/1463975708770897923

    • D’après ce que j’ai entendu, l’Afrique du Sud est LE réservoir à variant planétaire en raison de la quantité d’immuno-déprimés en mesure de pratiquer un affinage longue durée du virus. Ils ont en particulier le plus haut taux de malades du VIH sans traitement.

      On peut toujours essayer de couper les ponts [aériens] directs avec eux, mais les voyages business ou tourisme indirects vont continuer à transporter du variant frais à travers le monde, j’imagine.

    • De toute façon, je pense que le mal est fait. Ce nouveau variant s’est déjà diffusé au niveau mondial. Perso, ça fait une semaine que j’ai vu passer l’info. Une semaine à mon humble niveau d’information. Combien de semaines précédentes se sont écoulées avant que l’alerte soit lancée ?

    • Quand est-ce que l’Union Européenne va cesser de s’opposer à la levée de la propriété industrielle sur les brevets des vaccins ? (cela peut être limité aux pays pauvres, sur lesquels les labos ne feront de toute façon jamais les profits qu’ils font dans les pays riches).
      Les dons de vaccins ne seront jamais suffisants, et l’Afrique du Sud a les usines pour fabriquer ces vaccins.

      Biden a demandé cette levée de la propriété industrielle sur les brevets des vaccins :

      https://www.reuters.com/article/sante-coronavirus-vaccins-derogations-idFRKBN2CN0BQ

      Actes criminels sur les populations migrantes, accaparement des vaccins, et refus de céder la propriété industrielle des vaccins aux pays pauvres : UNION EUROPÉENNE = UNION BARBARE.

  • Tremblez, les wokes veulent interdire le latin et le grec ! Vraiment ? http://www.slate.fr/story/219375/wokes-interdire-cours-latin-grec-faux-obsession-mediatique-etats-unis-reforme-

    « Ils veulent annuler les cours de latin » is the new « elles veulent interdire La Belle au bois dormant ».

    Spoiler : non. Ni aux États-Unis, ni en France. Et la disparition progressive de l’enseignement des langues anciennes n’a rien à voir avec eux.

    J’ai pris des bonnes résolutions. Par exemple, j’ai décidé de faire mon lit tous les matins (= étendre la couette d’une façon approximative). J’ai également décidé de ne plus cliquer sur les titres ridicules, du type « Face à l’idéologie “woke”, Jean-Michel Blanquer annonce un plan européen pour le latin et le grec ». Donc je n’ai rien lu sur Jean-Michel Blanquer, les cours de grec et le wokisme, jusqu’à ce que je tombe sur cet excellent décryptage d’Elodie Safaris.

    À partir de cet article, elle est allée regarder les liens. En réalité, dans l’article, rien ne concerne la France. Pour une raison assez simple à comprendre : en France, personne n’a demandé la fin des cours de grec ou de latin. C’est donc un non-sujet ici. Comme d’habitude, on parle en réalité des États-Unis –ce qui, rappelons-le à Jean-Michel Blanquer, ne correspond pas géographiquement à sa fiche de poste.

    L’article cite une enquête du Figaro de juin dernier dans lequel une prof italienne raconte qu’une fois, un élève l’a interrogée sur la misogynie de Platon et une autre fois sur le racisme et le sexisme de Homère. Oh mon Dieu... Mais c’est... terrible.

    Cette histoire des wokes contre le latin aura fait à certains toute l’année. Quasiment tous les mois, on a eu nos articles à la titraille bien accrocheuse...

    #débunking #panique-morale #madeInJean-MiMiBlanquer

  • Ce « iel » qui dérange et qui dégenre | Le Devoir
    https://www.ledevoir.com/culture/648207/langue-francaise-ce-iel-qui-derange-et-qui-degenre

    L’entrée du pronom neutre de troisième personne « iel » dans l’édition en ligne du dictionnaire Le Robert provoque depuis mardi des débats très binaires en France. On y est radicalement contre, ou radicalement pour. Et ici ? Des discussions aussi, mais bien moins clivées. Certains lexicographes estiment que Le Robert sort de sa fonction, en précédant l’usage plutôt qu’en le suivant. Petit tour de piste des réactions à ce « iel » au Québec.

    « Nommer une chose, c’est la faire exister », nomme l’autrice et professeure à l’UQAM Lori Saint-Martin, pour saluer l’importance à ses yeux du choix du Robert de suivre les mouvements très rapides qui agitent, depuis deux ou trois ans, la langue et ses réflexions entourant la diversité raciale et d’identité sexuelle.

    Or, pour de nombreux lexicographes québécois, le travail d’un dictionnaire, c’est de « nommer ce qui existe » plutôt que « de nommer pour faire exister ». « Ce n’est pas à un dictionnaire d’être le premier sur la ligne de front, estime la lexicographe Nadine Vincent. Quand j’étudiais, on disait que le dictionnaire était toujours dix ans en retard sur l’usage ; maintenant, les entrées sont plus rapides. Mais quand même… »

    Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue, est du même avis. « Au Québec, en France, en Suisse, en Belgique, dans les pays francophones d’Afrique, en Haïti, le terme “iel” me semble extrêmement rare. C’est comme s’il fallait l’introduire — c’est ma deuxième réserve — parce qu’il y a un débat de société sur un enjeu beaucoup plus large. »

    Pour lui, le combat des personnes non binaires, « ou le combat de la société pour que leurs droits soient respectés et compris dans le grand ensemble des droits citoyens[,] ne peut se ramener à une espèce de naissance aux forceps par l’introduction d’un “iel” qui n’apporte, sur le plan linguistique, aucun éclairage particulier du point de vue de l’efficacité de la communication ».

    Un pronom, pas un mot
    Pour Nadine Vincent, « entrer un nouveau mot dans un dictionnaire, quand c’est un mot plein (nom, verbe, adjectif), ça se gère assez bien. On sait comment l’intégrer dans le système de la langue. Entrer un nouveau pronom qui suppose la création d’un nouveau genre neutre en français est une tout autre histoire », poursuit la professeure de communications à l’Université de Sherbrooke.

    « Comment s’accorde-t-il ? Iel est arrivé/arrivée/arrivae ? Quel est le pronom complément direct ? Je le/la/lae/lu vois ? Et le démonstratif ? Cellui, céal ? Et Le Robert ne donne aucun exemple d’accord. » Pour la spécialiste, Le Robert prétend ici à l’inclusion, mais « c’est plutôt un acte de marketing, puisqu’aucune des missions du dictionnaire n’est ici respectée. L’usager se retrouve face à un mot qu’il ne sait pas comment utiliser dans la langue, et on lui soumet même une autre forme possible : “ielle”, qui, pour la majorité des gens, aura l’air d’un féminin, ce qui est le comble de l’absurde pour un pronom neutre ! »

    Un acte de marketing ? Le Robert en ligne, précise Mme Vincent, « c’est le terrain de jeu du Robert. C’est comme un ballon en politique : ils lancent un mot là et observent. La vraie question, c’est si “iel” va être dans la version papier au mois de mai ». Les ventes de dictionnaires traditionnels sont en chute libre depuis quelques années. « Il y a de plus en plus de concurrence avec les dictionnaires gratuits en ligne », indique Mme Vincent. Et « iel » est déjà dans le Wiktionnaire, depuis avril 2015. « Le Robert doit se vendre. C’est un produit commercial, et ça explique pourquoi le Larousse réagit de façon si violente à l’arrivée du “iel” au Robert. Ce sont deux concurrents commerciaux qui s’affrontent. Que Le Robert se positionne comme plus ouvert, inclusif, certes ; mais je ne comprends pas qu’ils osent aller jusque-là. »

    Habitudes des dictionnaires
    Pour M. Berrouët-Oriol, « Le Robert est d’habitude beaucoup plus nuancé, prudent et surtout beaucoup plus scientifique dans le choix des termes à retenir. Le Larousse est un petit peu plus tolérant que Le Robert, beaucoup plus méthodique et strict. Le Larousse par exemple va laisser plus facilement passer des anglicismes. Dans le cas précis du “iel”, je crois que Le Robert a cédé à un effet de mode et un appétit marketing ».

    Mais qu’est-ce qui constituerait un usage suffisant pour justifier l’entrée du terme dans le dictionnaire ? « Normalement, c’est la fréquence et la dispersion ; ce mot-là est encore très limité dans ses usages, estime Nadine Vincent. Même dans les milieux militants, l’usage est encore en discussion. »

    Loïs Cremier, doctorant en sémiologie à l’UQAM, voit là de son côté un problème propre à la langue française. « C’est cette notion de la Langue, avec une majuscule, ayant un répertoire qui doit évoluer plus lentement que tous les usages du domaine de la parole. »

    « Cette distinction entre la diversité des discours de la parole et un répertoire qui serait plus immuable, intouchable… mais qu’est-ce qui permet ce passage du discours à la Langue ? demande Loïs Cremier. Qu’est-ce qui fait que le seuil est franchi ? Ce n’est pas que je ne suis pas d’accord avec les lexicographes », précise celui qui applaudit l’arrivée du « iel », et si rapidement, au Robert, « mais j’ai peut-être une autre vision de ce qui constitue la langue ».

    Iel poursuit : « Le Robert a très sagement évité toute trace politique en choisissant le sens comme pronom inclusif. C’est un de ses multiples usages ; mais l’un des premiers, c’est de désigner des gens non binaires, non conformes. Déjà, sa définition est partielle, et semble témoigner d’une volonté de mettre le moins d’huile sur le feu possible. » C’est aussi cet usage, poursuit le doctorant, « qu’on voit de plus en plus en littérature, et en traduction. Les éditions Cambourakis, par exemple, dans certaines traductions, choisissent le pronom “iel” de manière générique, et non spécifique à des personnes queers. C’est intéressant que ce soit cet usage qui soit retenu pour la normalisation ».

    Et dans les dictionnaires québécois ? L’entrée de « iel » n’est pas pour demain. À l’Office québécois de la langue française (OQLF), on ne conseille pas de recourir à ce pronom, mais plutôt à la rédaction épicène. Simon Jolin-Barrette, ministre responsable de la Langue française, estime que c’est au choix de chacun d’utiliser « iel ». « Ça se retrouve dans Le Petit Robert. Moi, je vais me conformer à ce qui est indiqué par l’OQLF. » « “Iel” va entrer dans le dictionnaire Usito quand il va être prêt à entrer, indique Mme Vincent, membre du comité de rédaction. Là, on est dans les premiers pas, les tentatives d’implantation de quelque chose, et pas du tout rendus au dictionnaire. »

  • #Frédérique_Vidal annonce vouloir demander une #enquête au #CNRS sur l’#islamogauchisme à l’#université

    Sur le plateau de Jean-Pierre Elkabbach dimanche 14 février, la ministre de la recherche et de l’#enseignement_supérieur, Frédérique Vidal, a fustigé, dans un flou le plus total et pendant 4 minutes 30 secondes, des chercheurs et chercheuses soupçonné·e·s d’islamogauchisme et a annoncé la commande au CNRS d’une enquête « sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du #militantisme et de l’#opinion. »

    L’entame du sujet annonçait déjà la couleur : « Moi, je pense que l’#islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable et fait partie de la société » affirme Frédérique Vidal.

    Puis la ministre de la recherche continue tout de go, sans s’appuyer sur aucune étude scientifique ni même quoi que ce soit qui pourrait prouver ce qu’elle dit :

    « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des #idées_radicales ou des #idées_militantes de l’islamogauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de #diviser, de #fracturer, de #désigner_l’ennemi, etc… »

    Mélange entre #biologie et #sociologie

    Pour se prévaloir implicitement de son titre d’enseignante-chercheuse, la ministre effectue un mélange erroné entre biologie et sociologie en affirmant :

    « En biologie, on sait depuis bien longtemps qu’il n’y a qu’une espèce humaine et qu’il n’y a pas de #race et vous voyez à quel point je suis tranquille sur ce sujet là. »

    Cette phrase est censée répondre à des chercheur·euse·s en #SHS qui ont fait le constat, non de l’existence de races humaines biologiques, mais de l’existence de #discriminations liées à des races perçues par la société.

    #Confusionnisme sur les #libertés_académiques

    La ministre continue ensuite un discours confusionniste en faisant croire que les chercheur·euse·s revendiquent le droit de chercher contre leurs collègues :

    « Dans les universités, il y a une réaction de tout le milieu académique qui revendique le #droit_de_chercher, d’approfondir les connaissances librement et c’est nécessaire »

    La plupart des chercheur·euse·s qui revendiquent ce droit, le font surtout en s’opposant à la droite sénatoriale qui voulait profiter de la Loi Recherche pour restreindre les libertés académiques (https://www.soundofscience.fr/2517) et à l’alliance LR/LREM lors de la commission paritaire de cette même loi qui a voulu pénaliser les mouvements étudiants (https://www.soundofscience.fr/2529), empêchée, au dernier moment, par le Conseil constitutionnel.

    La ministre Frédérique Vidal semble faire un virage à 180° par rapport à sa position définie dans sa tribune publiée en octobre dernier par l’Opinion et titrée « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du #fanatisme » (https://www.lopinion.fr/edition/politique/l-universite-n-est-pas-lieu-d-encouragement-d-expression-fanatisme-227464). Cette #contradiction entre deux positions de la ministre à trois mois et demi d’intervalle explique peut-être le confusionnisme qu’elle instaure dans son discours.

    Alliance entre #Mao_Zedong et l’#Ayatollah_Khomeini

    Mais ce n’est pas fini. #Jean-Pierre_Elkabbach, avec l’aplomb que chacun lui connaît depuis des décennies, affirme tranquillement, toujours sans aucune démarche scientifique :

    « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre #Mao Zedong et l’Ayatollah #Khomeini »

    Loin d’être choquée par une telle comparaison, Frédérique Vidal acquiesce avec un sourire :

    « Mais vous avez raison. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela. »

    C’est dans ce contexte là, que la ministre déclare :

    « On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des #courants_de_recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion. »

    La suite du passage n’est qu’accusations d’utilisations de titres universitaires non adéquates, ce que la ministre ne s’est pourtant pas privée de faire quelques minutes plus tôt et accusations de tentatives de #censure.

    La ministre finit sa diatribe en appelant à défendre un « #principe_de_la_République » jamais clairement défini et proclame un curieux triptyque « #Danger, #vigilance et #action » qui ne ressemble pas vraiment au Républicain « Liberté, égalité, fraternité ».

    https://www.soundofscience.fr/2648
    #Vidal #ESR #facs #France #séparatisme

    –---

    Fil de discussion sur ce fameux « séparatisme » :
    https://seenthis.net/messages/884291

    Et l’origine dans la bouche de #Emmanuel_Macron (juin 2020) et #Marion_Maréchal-Le_Pen (janvier 2020) :
    https://seenthis.net/messages/884291
    #Macron #Marion_Maréchal

    • Quand ta ministre te fout tellement la honte que tu dois lui dire gentiment :

      Du jamais vu : répondant à la ministre de l’enseignement supérieur, la Conférence des présidents d’université « fait part de sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile » et invite « à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce » !

    • Comme le faisait justement remarquer un syndicaliste (entendu à la radio) le terme « islamo-gauchisme » est construit sur le même modèle que le « judéo-bolchévisme » de l’entre deux guerre.
      Avec le résultat qu’on connait...

    • Je n’ai plus de ministre
      https://academia.hypotheses.org/31026

      Après le président de la République, après plusieurs autres ministres, c’est notre ministre de tutelle, Frédérique Vidal, qui a repris à son compte la rhétorique de l’« islamo gauchisme » en déclarant notamment « Moi, je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable et fait partie de la société » et en annonçant commissionner une enquête du CNRS sur les pratiques universitaires.

      Ces déclarations sont extrêmement graves et forment une attaque frontale non seulement contre les libertés universitaires qui garantissent l’indépendance de la recherche au pouvoir politique, mais aussi contre toutes celles et ceux qui à l’université et ailleurs mettent leur énergie à rendre la société meilleure : plus juste, plus inclusive, moins discriminante, où tous et toutes ses membres ont place égale. L’« islamo gauchisme » est un mot dont le flou est une fonction. Côté pile, face une demande de définition (dont on notera l’absence chez madame la ministre) on trouvera un contour restreint, qui se veut repoussoir, et dont on aura bien du mal à trouver des signes tangible. Mais côté face, en utilisant le mot on convoque sans avoir besoin de l’expliciter un grand nombre d’idées et d’actions qui se retrouvent stigmatisées. Là où des chercheurs et chercheuses révèlent des discriminations et leur mécanisme de racialisation, c’est-à-dire d’assignation d’autrui à une race qui n’existe que dans l’esprit de ceux qui discriminent ; là où des militantes et militants dénoncent ces discriminations, les documentent, les exposent ; on les désigne comme nouveaux racistes ou « obsédés de la race ».

      Ainsi le gouvernement espère-t-il sans doute protéger son action des critiques virulentes qu’elle appelle. Déclare-t-on ne pas voir le problème si des femmes choisissent de s’habiller d’une façon ou d’une autre pour suivre leurs cours à l’université, y compris la tête couverte d’un foulard ? Islamo gauchisme. Déclare-t-on qu’il faut se préoccuper d’une très faible représentation des femmes et des personnes racisées aux postes titulaires de recherche et d’enseignement, alors que le jury d’admission du CNRS déclasse l’une de ces personnes trois fois en désavouant le jury d’admissibilité ? Islamo gauchisme. Dénonce-t-on la destruction illégale des tentes de migrants par les forces de l’ordre ? Islamo gauchisme.

      Madame la ministre, j’avais beaucoup à critiquer dans vos actions, vos inaction, vos discours et vos non-dits. Vous avez choisi d’achever de démontrer publiquement que vous n’êtes pas là pour servir les universités, leurs étudiantes et étudiants, leur personnel, mais pour servir votre carrière, quitte à l’adosser à un projet politique mortifère. Je ne vous reconnais aujourd’hui plus comme ma ministre, Madame Vidal. Je ne me sens plus lié par vos écrits. Vous avez rompu le lien de confiance qui doit lier une ministre aux agents et usagers de son ministère. Seule votre démission pourrait encore redonner son sens à la fonction que vous occupez sur le papier.

    • « Danger, vigilance et action ». La Ministre demande à l’Alliance Athena d’actionner le tamis

      Grâce à Martin Clavey, The Sound of Science, nous disposons du verbatim de l’ « interview » de Frédérique Vidal par Jean-Pierre Elkabach le 14 février 2021 sur CNews.

      Frédérique Vidal annonce qu’elle va demander « notamment au CNRS » de faire une enquête sur « l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets à l’université, de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ».Elle précise aujourd’hui à AEF qu’elle en fait la demande officielle à l’Alliance Athena.Dirigée actuellement par Jean-François Balaudé, président de la commission des moyens de la CPU et président du Campus Condorcet ainsi que par Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, et vice-président de l’Alliance depuis le 1er novembre 2016, ce consortium va être chargé de distinguer parmi les « opinions ».

      Dans son interview, Frédérique Vidal annonce son intention de demander une enquête sur « l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets à l’université, de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ».

      « Ce qu’on peut observer, c’est qu’il y a des gens qui peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou militantes. En regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi ».

      « Quand on s’en sert pour exprimer des opinions ou faire valoir des opinions, en niant le travail de recherche, c’est là qu’il faut le condamner.

      « Il faut être extrêmement ferme, il faut systématiquement parler et que l’université se réveille »

      « Disons-le, quand les gens ne font pas de sciences mais du scientisme », poursuit la Ministre qui a couvert au moins une grave affaire de fraude scientifique.


      *

      Alors que certains entendent distinguer les « sciences critiques » et les « sciences militantes » et que la Ministre commande à des anciens universitaires de trier entre le bon grain et l’ivraie, Academia invite donc ses lecteurs et ses lectrices à relire Max Weber1 dans la traduction précise d’Isabelle Kalinowki :

      De nos jours, il est fréquent que l’on parle d’une « sciences sans présupposés, écrit Max Weber. Une telle science existe-t-elle ? Tout dépend ce que l’on entend par là. Tout travail scientifique présuppose la validité des règles de la logique et de la méthode, ces fondements universels de notre orientation dans le monde. Ces présupposés-là sont les moins problématiques du moins pour la question particulière qui nous occupe. Mais on présuppose aussi que le résultat du travail scientifique est important au sens où il mérite d’être connu. Et c’est de là que découlent, à l’évidence, tous nos problèmes. Car ce présupposé, à son tour, ne peut être démontré par les moyens de la science. On ne peut qu’en interpréter le sens ultime, et il faut le refuser ou l’accepter selon les positions ultimes que l’on adopte à l’égard de la vie
      — Weber, 1917 [2005], p. 36

      Academia, pour sa part, a choisi contre une nouvelle forme de police politique, la protection des libertés académiques.

      https://academia.hypotheses.org/30958

    • #Diffamation à l’encontre d’une profession toute entière ? La Ministre doit partir. Communiqué de la LDH EHESS

      Malgré leur habitude des faux-semblants et du peu d’attention portée à leur profession, les enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheures sont confronté.es aujourd’hui à une campagne de #dénigrement sans précédent, désignant en particulier par le terme aussi infâmant qu’imprécis « d’islamo-gauchisme » des établissements ou des disciplines dans leur entier.

      Il serait attendu d’une ministre qu’elle prenne quelque hauteur dans ce débat de plus en plus nauséabond, et qu’elle refuse de reprendre à son compte des notions aussi peu scientifiquement fondées. On attendrait que la responsable de l’enseignement supérieur et de la recherche, elle-même issue de ce milieu, relève avec gratitude la façon dont les enseignant.es universitaires ont en première ligne fait face à la détresse étudiante en cette période de pandémie ; ils n’ont pas démérité en tant que pédagogues, allant même au-delà dans leur rôle d’accompagnement d’étudiant.es par ailleurs largement oubliés.

      Mais, plutôt que de s’intéresser à la crise qui les touche, Mme Frédérique Vidal, sur les ondes d’une chaîne télévisuelle dont un des animateurs a été condamné pour injure et provocation à la haine, répond par l’affirmative lorsque M. Elkabbach décrit les universités françaises, dont elle a la charge, comme étant régies par une sorte d’alliance entre Mao Tsé-Toung et l’ayatollah Khomeini.

      Et elle enchaîne le lendemain en demandant à l’Alliance Athena (qui n’est pas une inspection mais une institution qui coordonne les sciences sociales) « d’enquêter » sur l’islamo-gauchisme et ses « courants » dans le milieu académique.

      Une accusation typique de l’extrême-droite est ainsi reprise une nouvelle fois par une ministre de la République, rassemblant dans une formule ignominieuse un groupe fantasmatique et fantasmé de pseudo-adversaires qui ne sont, en réalité jamais nommés, ou au prix d’approximations grossières amalgamant des concepts mal compris et de noms de collègues ne partageant parfois que peu de choses (si ce n’est les menaces parfois graves que ces accusations font tout à coup tomber sur eux).

      Bref, à ces accusations mensongères faisant courir des risques parfois graves à des fonctionnaires, leur ministre ne trouve à répondre que par de vagues admonestations décousues (selon lesquelles, par exemple, en tant que biologiste elle peut dire que « la race » n’existe pas), et par la réitération des accusations portées à leur encontre. Plus encore, elle en appelle à une sorte de police par et dans les institutions d’enseignement et de recherche, rejoignant de la sorte les interdictions de certaines thématiques (les études sur le genre) dans les universités hongroises, brésiliennes ou roumaines

      Elle se fait ainsi complice de faits de diffamation collective à l’encontre d’une profession toute entière, mais aussi d’une dévalorisation accrue des universités. Elle parvient ainsi, au-delà de ces dégâts dans l’opinion qui ne peuvent qu’accroître le désespoir des étudiantes et des étudiants dont les formations sont ainsi décrites, à confirmer sa décrédibilisation personnelle aux yeux des personnels de l’ESR.

      Un appel à la démission de Frédérique Vidal avait été porté en novembre 2020 par la CP-CNU, représentant l’ensemble des disciplines, après le vote de la loi LPR.

      Plus que jamais, au regard de ces nouvelles dérives dans un contexte de difficultés sans précédent pour l’université et la recherche, sa démission s’impose, tout comme l’abandon de cette prétendue « enquête » non seulement nauséabonde mais déshonorante au regard des difficultés sans précédent dans lesquelles se débat l’ESR. Oui, danger, vigilance et action mais à l’encontre de la Ministre.

      Qu’aucun.e collègue, quel que soit son statut, ne prête main forte à cette campagne de dénonciation.

      https://academia.hypotheses.org/31060

    • Vidal au stade critique. Communiqué de Sauvons l’université !, 17 février 2021

      Sauvons l’université ! avait été la première à monter au créneau lorsque Jean-Michel Blanquer, dans les pas d’Emmanuel Macron et de Marion Maréchal-Le Pen, avait tenu des propos diffamatoires devant les sénateurs et sénatrices. Academia reproduit le communiqué que l’association fait paraître ce jour sur leur site.

      –---

      Ainsi, depuis des mois, par petites touches, se met en place un discours officiel anti-universitaire, sans que jamais la ministre de l’Enseignement supérieur qui devrait être le premier rempart des universitaires contre ces attaques n’ait eu un mot pour les défendre » disions-nous dans notre communiqué du 24 octobre pour dénoncer les propos de Jean-Michel Blanquer devant les sénateurs dans lesquels il dénonçait « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits ».

      Dans une tribune à L’Opinion deux jours plus tard la ministre de l’ESR semblait y répondre du bout des lèvres : « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du fanatisme ». Bien.

      Mais depuis, la petite musique est devenue fanfare assourdissante : ainsi, deux députés LR, Julien Aubert et Damien Abad demandaient en novembre une mission d’information de l’Assemblée Nationale sur « les dérives idéologiques dans les établissements d’enseignement supérieur » ; ce même Julien Aubert publiait le 26 novembre 2020 les noms et les comptes Twitter de sept enseignants-chercheurs, nommément ciblés et livrés à la vindicte publique ; cette dénonciation calomnieuse s’ajoutait aux propos tenus par la rédaction du journal Valeurs Actuelles à l’encontre du Président nouvellement élu de l’université Sorbonne Paris Nord ; le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin (le 1er février 2021 sur France-Inter) parlait d’idéologie racialiste ; la députée LR Annie Genevard dans le débat sur l’interdiction du voile à l’université dans le cadre de la loi sur le séparatisme (le 3 février 2021) synthétisait tout cela en affirmant que « L’université est traversée par des mouvements puissants et destructeurs […] le décolonialisme, le racialisme, l’indigénisme et l’intersectionnalité ».

      Et le 14 février, la ministre Frédérique Vidal, muette sur l’abandon de l’université et de ses étudiants depuis le début de la pandémie, sonne l’hallali sur une chaîne ouvertement d’extrême droite :

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc… »

      Et de répondre dans un rire à une question toute en nuance de l’interviewer

      « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ? » : « Mais vous avez raison ! »

      Tant de bêtise pourrait prêter à rire.

      Mais au milieu d’inepties qui ne témoignent que de sa confusion, Frédérique Vidal conclut, sans crainte de se contredire dans une même phrase :

      « On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion ».

      Voilà le CNRS transformé en IGPN (Inspection Générale de la Pensée Nationaliste).

      La chasse aux sorcières est donc lancée, cette fois en haut lieu. Elle ne peut qu’encourager le harcèlement, déjà intense sur internet, et assorti à l’occasion de menaces de mort, envers des collègues accusés d’être des « islamogauchistes ». Elle s’inscrit dans une course à l’extrême-droite qui n’est pas isolée dans le gouvernement : il s’agit bien d’un choix politique concerté (voire d’une intervention sur commande ?).

      Retenons, cependant, une phrase de la ministre :

      « Il faut que le monde académique se réveille ».

      Oui, il est grand temps de nous réveiller. Toutes les instances, tous les échelons que comptent l’enseignement supérieur et la recherche doivent désormais ouvertement se prononcer et clamer haut et fort : nous ne pouvons plus reconnaître Frédérique Vidal comme notre ministre, nous refuserons de mettre en place des directives contraires aux principes fondamentaux de l’université.

      https://academia.hypotheses.org/31070

    • L’ « islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique. Communiqué du CNRS, 17 février 2021

      « L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. Ce terme aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées. Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance.

      Concernant les questions sociales, le rôle du CNRS, et plus généralement de la recherche publique, est d’apporter un éclairage scientifique, une expertise collective, s’appuyant sur les résultats de recherches fondamentales, pour permettre à chacun et chacune de se faire une opinion ou de prendre une décision. Cet éclairage doit faire état d’éventuelles controverses scientifiques car elles sont utiles et permettent de progresser, lorsqu’elles sont conduites dans un esprit ouvert et respectueux.

      La polémique actuelle autour de l’ « islamogauchisme », et l’exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science. Elle n’est ni la première ni la dernière, elle concerne bien des secteurs au-delà des sciences humaines et des sciences sociales. Or, il y a des voies pour avancer autrement, au fil de l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche. C’est là aussi la mission du CNRS.

      C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés. Ce travail s’inscrirait dans la continuité de travaux d’expertise déjà menés sur le modèle du rapport « Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent » réalisé en 2016 par l’alliance Athena, qui regroupe l’ensemble des forces académiques en sciences humaines et sociales dans les universités, les écoles et les organismes de recherche, ou du rapport « Les sciences humaines et sociales face à la première vague de la pandémie de Covid-19 – Enjeux et formes de la recherche », réalisé par le CNRS en 2020.

      https://academia.hypotheses.org/31086

    • Non à la #chasse_aux_sorcières ! Communiqué de la #CP-CNU, 17 février 2021

      La CP-CNU demandait la #démission de Vidal dès le 6 novembre 2020 en ces termes

      « Madame Frédérique Vidal ne dispose plus de la #légitimité nécessaire pour parler au nom de la communauté universitaire et pour agir en faveur de l’Université.

      C’est pourquoi, Monsieur le Président de la République, nous vous posons la question de la pertinence du maintien en fonctions de Madame la Ministre dans la mesure où toute communication semble rompue entre elle et la communauté des enseignants-chercheurs. Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre respectueuse considération. »

      Les choses étant dites, elles n’ont pas été répété dans le communiqué de 17 février 2021

      https://academia.hypotheses.org/31089

    • Sortir toute armée de la cuisse de Jupiter. Communiqué de l’#Alliance_Athéna, 18 février 2021

      L’alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales (#Athéna) est un lieu de concertation et de coopération stratégique entre les universités et les organismes de recherche. Elle a pour mission d’organiser le dialogue entre les acteurs majeurs de la recherche en sciences humaines et sociales, sur des questions stratégiques pour leur développement et leurs relations avec les autres grands domaines scientifiques. L’alliance porte les positions partagées qui émergent de ce dialogue auprès des instances de décision et de financement de la recherche, de niveau national et européen notamment. L’alliance Athéna consacre ainsi exclusivement ses réflexions aux questions de recherche avec pour objectif constant de servir le débat scientifique, de préserver les espaces de controverses et de favoriser la diversité des questions et des méthodes. A cet égard, il n’est pas du ressort de l’alliance Athéna de conduire des études qui ne reposeraient pas sur le respect des règles fondatrices de la pratique scientifique, qui conduiraient à remettre en question la pertinence ou la légitimité de certains champs de recherche, ou à mettre en doute l’intégrité scientifique de certains collègues.

      https://academia.hypotheses.org/31107

    • Heating Up Culture Wars, France to Scour Universities for Ideas That ‘Corrupt Society’

      The government announced an investigation into social science research, broadening attacks on what it sees as destabilizing American influences.

      Stepping up its attacks on social science theories that it says threaten France, the French government announced this week that it would launch an investigation into academic research that it says feeds “Islamo-leftist’’ tendencies that “corrupt society.’’

      News of the investigation immediately caused a fierce backlash among university presidents and scholars, deepening fears of a crackdown on academic freedom — especially on studies of race, gender, post-colonial studies and other fields that the French government says have been imported from American universities and contribute to undermining French society.

      While President Emmanuel Macron and some of his top ministers have spoken out forcefully against what they see as a destabilizing influence from American campuses in recent months, the announcement marked the first time that the government has moved to take action.

      It came as France’s lower house of Parliament passed a draft law against Islamism, an ideology it views as encouraging terrorist attacks, and as Mr. Macron tilts further to the right, anticipating nationalist challenges ahead of elections next year.

      Frédérique Vidal, the minister of higher education, said in Parliament on Tuesday that the state-run National Center for Scientific Research would oversee an investigation into the “totality of research underway in our country,’’ singling out post-colonialism.

      In an earlier television interview, Ms. Vidal said the investigation would focus on “Islamo-leftism’’ — a controversial term embraced by some of Mr. Macron’s leading ministers to accuse left-leaning intellectuals of justifying Islamism and even terrorism.

      “Islamo-leftism corrupts all of society and universities are not impervious,’’ Ms. Vidal said, adding that some scholars were advancing “radical” and “activist” ideas. Referring also to scholars of race and gender, Ms. Vidal accused them of “always looking at everything through the prism of their will to divide, to fracture, to pinpoint the enemy.’’

      France has since early last century defined itself as a secular state devoted to the ideal that all of its citizens are the same under the law, to the extent that the government keeps no statistics on ethnicity and religion.

      A newly diversifying society, and the lasting marginalization of immigrants mostly from its former colonies, has tested those precepts. Calls for greater awareness of discrimination have met opposition from a political establishment that often views them as an invitation to American multiculturalism and as a threat to France’s identity and social cohesion.

      In unusually blunt language, the academic world rejected the government’s accusations. The Conference of University Presidents on Tuesday dismissed “Islamo-leftism’’ as a “pseudo notion” popularized by the far right, chiding the government’s discourse as “talking rubbish.’’

      The National Center for Scientific Research, the state organization that the minister ordered to oversee the investigation, suggested on Wednesday that it would comply, but it said it “firmly condemned” attacks on academic freedom.

      The organization said it “especially condemned attempts to delegitimize different fields of research, like post-colonial studies, intersectional studies and research on race.’’

      Opposition by academics hardened on Thursday, when the association that would actually carry out the investigation, Athéna, put out a sharply worded statement saying that it was not its responsibility to conduct the inquiry.

      The seemingly esoteric fight over social science theories — which has made the front page of at least three of France’s major newspapers in recent days — points to a larger culture war in France that has been punctuated in the past year by mass protests over racism and police violence, competing visions of feminism, and explosive debates over Islam and Islamism.

      It also follows years of attacks, large and small, by Islamist terrorists, that have killed more than 250 French, including in recent months three people at a basilica in Nice and a teacher who was beheaded.

      While the culture war is being played out in the media and in politics, it has its roots in France’s universities. In recent years, a new, more diverse generation of social science scholars has embraced studies of race, gender and post-colonialism as tools to understand a nation that has often been averse to reflect on its history or on subjects like race and racism.

      They have clashed with an older generation of intellectuals who regard these social science theories as American imports — though many of the thinkers behind race, gender and post-colonialism are French or of other nationalities.

      Mr. Macron, who had shown little interest in the issues in the past, has won over many conservatives in recent months by coming down hard against what he has called “certain social science theories entirely imported from the United States.’’

      In a major speech on Islamism last fall, Mr. Macron talked of children or grandchildren of Arab and African immigrants “revisiting their identity through a post-colonial or anticolonial discourse’’ — falling into a trap set by people who use this discourse as a form of “self-hatred’’ nurtured against France.

      In recent months, Mr. Macron has moved further to the right as part of a strategy to draw support from his likely main challenger in next year’s presidential election, Marine Le Pen, the far-right leader. Polls show that Mr. Macron’s edge has shrunk over Ms. Le Pen, who was his main rival in the last election.

      Chloé Morin, a public opinion expert at the Fondation Jean-Jaurès, a Paris-based research group, said that Mr. Macron’s political base has completely shifted to the right and that his minister’s use of the expression Islamo-leftism “speaks to the right-wing electorate.”

      “It has perhaps become one of the most effective terms for discrediting an opponent,” Ms. Morin said.

      Last fall, Mr. Macron’s ministers adopted a favorite expression of the far right, “ensauvagement,’’ or “turning savage,’’ to decry supposedly out-of-control crime — even though the government’s own statistics showed that crime was actually flat or declining.

      Marwan Mohammed, a French sociologist and expert on Islamophobia, said that politicians have often used dog-whistle words, like “ensauvagement’’ or “Islamo-leftism,’’ to divide the electorate.

      “I think the government will be offering us these kinds of topics with a regular rhythm until next year’s presidential elections,’’ Mr. Mohammed said, adding that these heated cultural debates distracted attention from the government’s mishandling of the coronavirus epidemic, the economic crisis and even the epidemic-fueled crisis at the nation’s universities.

      The expression “Islamo-leftism” was first coined in the early 2000s by the French historian Pierre-André Taguieff to describe what he saw as a political alliance between far-left militants and Islamist radicals against the United States and Israel.

      More recently, it has been used by conservative and far-right figures — and now by some of Mr. Macron’s ministers — against those they accuse of being soft on Islamism and focusing instead on Islamophobia.

      Experts on Islamophobia examine how hostility toward Islam, rooted in France’s colonial experience, continues to shape the lives of French Muslims. Critics say their focus is a product of American-style, victim-based identity politics.

      Mr. Taguieff, a leading critic of American universities, said in a recent email that Islamophobia, along with the “totally artificial importation’’ in France of the “American-style Black question” sought to create the false narrative of “systemic racism’’ in France.

      Sarah Mazouz, a sociologist at the National Center for Scientific Research, said that the government’s attacks on these social theories “highlight the difficulty of the French state to think of itself as a state within a multicultural society.”

      She said the use of the expression “Islamo-leftism” was aimed at “delegitimizing” these new studies on race, gender and other subjects, “so that the debate does not take place.”

      https://www.nytimes.com/2021/02/18/world/europe/france-universities-culture-wars.html

    • L’ « islamogauchisme » — et le HCERES — au tapis. #Jean_Chambaz et #Pap_Ndiaye — et Thierry Coulhon — sur Radio France

      L’islamogauchisme, concept de Pierre-André Taguieff au début des années 2000 pour signaler des formes de dérives d’une extrême-gauche pro-palistinien tendant à des discours antisémites, se trouve désormais récupéré par l’extrême-droite à des fins d’anathème.Deux interventions matinales très claires de Jean Chamblaz, président de Sorbonne Université, et de Pap Ndiaye, professeur à Sciences po.

      A retrouver sur academia :

      https://academia.hypotheses.org/31126

    • #Pétition : #Vidal_démission !

      Le mardi 16 février, à l’Assemblée nationale, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal confirmait ce qu’elle avait annoncé deux jours plus tôt sur la chaîne Cnews : le lancement d’une « enquête » sur l’ « islamogauchisme » et le postcolonialisme à l’université, enquête qu’elle déclarait vouloir confier au CNRS à travers l’Alliance Athéna. Les raisons invoquées : protéger « des » universitaires se disant « empêchés par d’autres de mener leurs recherches », séparer « ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion » ainsi que … « l’apparition au Capitole d’un drapeau confédéré ».

      Si le propos manque de cohérence, l’intention est dévastatrice : il s’agit de diffamer une profession et, au-delà, toute une communauté, à laquelle, en tant qu’universitaire, Frédérique Vidal appartient pourtant et qu’il lui appartient, en tant que ministre, de protéger. L’attaque ne se limite d’ailleurs pas à disqualifier puisqu’elle fait planer la menace d’une répression intellectuelle, et, comme dans la Hongrie d’Orban, le Brésil de Bolsonaro ou la Pologne de Duda, les études postcoloniales et décoloniales, les travaux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l’intersectionnalité sont précisément ciblés.

      Chercheur·es au CNRS, enseignant·es chercheur·es titulaires ou précaires, personnels d’appui et de soutien à la recherche (ITA, BIATSS), docteur·es et doctorant·es des universités, nous ne pouvons que déplorer l’indigence de Frédérique Vidal, ânonnant le répertoire de l’extrêmedroite sur un « islamo-gauchisme » imaginaire, déjà invoqué en octobre 2020 par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Mais, plus encore, nous nous insurgeons contre l’indignité de ce qu’il faut bien qualifier de chasse aux sorcières. La violence du projet redouble la lâcheté d’une ministre restée silencieuse sur la détresse des étudiant·es pendant la pandémie comme elle avait été sourde à nos interpellations sur une LPR massivement rejetée par tout·es celles et ceux qui font la recherche, y contribuent à un titre ou un autre.

      La crise économique et sociale la plus grave depuis 1945 assombrit l’avenir des jeunes adultes, l’anxiété face à la pandémie fissure la solidarité entre les générations, la pauvreté étudiante éclate aux yeux de tous·tes comme une question sociale majeure, les universités – lieux de vie et de savoirs – sont fermées. Mais pour Frédérique Vidal, le problème urgent de l’enseignement supérieur et de la recherche, celui qui nécessite de diligenter une « enquête » et d’inquiéter les chercheur·es, c’est la « gangrène » de l’ « islamo-gauchisme » et du postcolonialisme.

      Amalgamant un slogan politique douteux et un champ de recherche internationalement reconnu, elle regrette l’impossibilité de « débats contradictoires ». Pourtant, et nous espérons que la ministre le sait, nos universités et nos laboratoires déploient de multiples instances collectives de production et de validation de la connaissance : c’est bien dans l’espace international du débat entre pair·es que la science s’élabore, dans les revues scientifiques, dans les colloques et les séminaires ouverts à tous·tes. Et ce sont les échos de ces débats publics qui résonnent dans nos amphithéâtres, comme dans les laboratoires.

      Contrairement à ce qu’affirme Frédérique Vidal, les universitaires, les chercheur·es et les personnels d’appui et de soutien à la recherche n’empêchent pas leurs pair.es de faire leurs recherches. Ce qui entrave notre travail, c’est l’insincérité de la LPR, c’est le sous-financement chronique de nos universités, le manque de recrutements pérennes, la pauvreté endémique de nos laboratoires, le mépris des gouvernements successifs pour nos activités
      d’enseignement, de recherche et d’appui et de soutien à la recherche, leur déconsidération pour des étudiant·es ; c’est l’irresponsabilité de notre ministre. Les conséquences de cet abandon devraient lui faire honte : signe parmi d’autres, mais particulièrement blessant, en janvier dernier, l’Institut Pasteur a dû abandonner son principal projet de vaccin.

      Notre ministre se saisit du thème complotiste « islamo-gauchisme » et nous désigne coupables de pourrir l’université. Elle veut diligenter une enquête, menace de nous diviser et de nous punir, veut faire régner le soupçon et la peur, et bafouer nos libertés académiques. Nous estimons une telle ministre indigne de nous représenter et nous demandons, avec force, sa démission.

      Vous pouvez signer la pétition ici : https://www.wesign.it/fr/justice/nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-freder

      https://academia.hypotheses.org/31187

    • Islamo-gauchisme à l’université ? La proposition de Vidal fait bondir ces universitaires

      Sur CNews, la ministre a annoncé vouloir "demander notamment au CNRS" une enquête "sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université."

      “L’islamo-gauchisme gangrène les universités”. C’est ce titre du Figaro que le journaliste Jean-Pierre Elkabbach a présenté à Frédérique Vidal, invitée sur son plateau sur CNews dimanche 14 février, l’invitant à le commenter avec lui. La réponse de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a provoqué la colère d’une partie des enseignants-chercheurs.

      “Je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble, et que l’université n’est pas imperméable, l’université fait partie de la société”, a-t-elle affirmé.

      Et d’ajouter : “Ce que l’on observe, à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc…”
      “Une sorte d’alliance entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini”

      Des idées que semble alors partager Jean-Pierre Elkabbach, qui décrit les universitaires en question comme “une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini.”

      “Mais vous avez raison, renchérit la ministre. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé, mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela.”

      À la suite de quoi, la ministre a annoncé sur le plateau de CNews qu’elle allait confier une enquête au CNRS “sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université.”

      Pour Christelle Rabier, maîtresse de conférence à l’EHESS, ce n’est pas un hasard si la ministre tient ces propos maintenant. “La semaine dernière, elle a été mise en cause au Sénat pour répondre face à la détresse étudiante, remarque-t-elle. Il y a 20% des étudiants qui ont recours à l’aide alimentaire, sans parler des suicides et de la détresse psychologique. Elle en est directement responsable.”
      Attaques contre les universitaires

      Les propos de la ministre ont provoqué la colère d’une partie des enseignants-chercheurs, même s’ils ne surprennent pas. “Nous sommes vraiment scandalisés, s’indigne une chercheuse du CNRS, qui préfère rester anonyme. La ministre s’en prend - une fois de plus - à la liberté académique en confondant approches scientifiques critiques et militantisme.”

      Après la Loi de programmation sur la recherche, très mal reçue, c’est pour eux une nouvelle attaque contre les universitaires, dans un contexte aggravé par la crise sanitaire. Le 6 novembre, la Commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU) avait demandé la démission de Frédérique Vidal.

      “On observe plusieurs formes d’attaques contre les universitaires, soutient Christelle Rabier. Les non-renouvellements et les suppressions de postes, des attaques systématiques de collègues sur leurs travaux, en particulier si ce sont des femmes et qu’elles traitent de questions qui pourraient remettre en cause l’ordre dominant.”
      L’utilisation du terme “islamo-gauchisme”

      Pour les enseignants-chercheurs, l’utilisation du terme “islamo-gauchisme” n’est pas anodin. “C’est un mot un peu aimant, qui rassemble toutes les détestations et qui ne veut absolument rien dire, estime Christelle Rabier. Et que cela vienne d’une ministre, qui n’a déjà plus de légitimité depuis plusieurs mois, c’est intolérable.”

      Pour François Burgat, directeur de recherches au CNRS, cette “appellation stigmatisante” a pour objectif de “discréditer les intellectuels (non musulmans) qui se solidarisaient ou qui refusaient de criminaliser les revendications des descendants des populations colonisées.”

      Le terme avait déjà été utilisé par Jean-Michel Blanquer le 22 octobre, qui affirmait :“Ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme fait des ravages”, notamment ”à l’université.” Quelques jours plus tard, Frédérique Vidal avait réagi tardivement pour rappeler le principe des libertés académiques.

      “On peut constater depuis hier qu’elle a franchi un cran supplémentaire. C’est juste scandaleux”, s’indigne la chercheuse du CNRS.

      Dans un communiqué, la Conférence des présidents d’université (CPU) a fait part de “sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile sur le sujet de l’“islamogauchisme” à l’université”.

      Elle appelle ”à élever le débat”. “Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition”, a-t-elle proposé.


      https://twitter.com/CPUniversite/status/1361727549739515908

      “Une réalité hautement contestable”

      L’annonce d’une enquête au CNRS “sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université”, si elle n’est pas en soit répréhensible, pose plusieurs questions.

      “Le ‘cahier des charges’ de la demande qui lui est adressée fait réellement peur, estime François Burgat. La ministre s’abstrait purement et simplement de toute exigence scientifique.” Pour le chercheur, le postulat de la ministre, selon lequel “la société est gangrénée par l’islamo-gauchisme”, dont l’université, et une “réalité hautement contestable” qui ne repose sur “aucun corpus”.

      La chercheuse du CNRS qui préfère garder l’anonymat ajoute : “Si des cas particuliers sont litigieux au regard de la loi, qu’elle les cite et ouvre le débat. Sinon, qu’elle se taise.”

      Et d’ajouter : “Nous sommes des chercheurs, nous essayons de penser et analyser le monde, mobiliser des outils, et débattre de nos méthodes ou concepts d’analyse. Nous ne sommes pas au service d’un ministère et de ses obsessions politiques et calculs électoralistes.”

      https://www.huffingtonpost.fr/entry/la-proposition-de-vidal-sur-lislamo-gauchisme-fait-bondir-ces-univers

    • Frédérique Vidal veut demander au CNRS une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université

      La ministre de l’Enseignement supérieur souhaite ainsi faire le distinguo entre « recherche académique » et « militantisme ».

      Mobilisée sur la précarité étudiante liée à la crise sanitaire actuelle ou sur la multiplication des dénonciations d’agressions sexuelles dans les IEP avec le hashtag #SciencesPorc, Frédéric Vidal ouvre un nouveau front. Invitée ce dimanche sur le plateau de Jean-Pierre Elkabbach sur CNews, la ministre de l’Enseignement supérieur a annoncé vouloir « demander notamment au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université. »

      Par « ces sujets », la ministre parle de « l’islamo-gauchisme », qui selon elle « gangrène la société dans son ensemble », et donc l’université également.

      Avec ces travaux, Frédérique Vidal souhaiterait ainsi « distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion », relate le site d’information scientifique Soundofscience, qui se fait l’écho de l’annonce.

      « Alliance » entre Mao et Khomeini

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont », affirme la ministre, malgré l’émoi provoqué dans le milieu universitaire par ces accusations, régulières ces derniers mois. « Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc… »

      En guise de conclusion, la ministre a de nouveau persisté et signé dans son idée, prenant au mot une affirmation de Jean-Pierre Elkabbach selon laquelle la situation à l’université pourrait ressembler à « une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini. »

      « Mais vous avez raison. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé, mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela », termine-t-elle.

      Les universités déjà émues par des propos de Blanquer

      Ce n’est pas la première fois qu’un membre du gouvernement utilise ce terme. En octobre dernier, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer avait à son tour dénoncé « l’islamo-gauchisme » qui fait selon lui « des ravages à l’université », prenant notamment pour cibles le syndicat étudiant Unef et La France Insoumise. « Notre société a été beaucoup trop perméable à des courants de pensée », avait-il alors ajouté au micro d’Europe 1.

      Face à cette accusation, la Conférence des présidents d’université (CPU) s’était émue et avait tenu à répondre au ministre.

      « Non, les universités ne sont pas des lieux où se construirait une ’idéologie’ qui mène au pire. Non, les universités ne sont pas des lieux d’expression ou d’encouragement du fanatisme. Non, les universités ne sauraient être tenues pour complices du terrorisme », était-il affirmé dans un communiqué.

      https://www.bfmtv.com/societe/education/frederique-vidal-veut-demander-au-cnrs-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l

    • Frédérique Vidal tombe dans la fange de l’extrême droite

      Invitée de CNews ce 14 février, Frédérique Vidal a emboité le pas aux dérives de Blanquer et Darmanin en reprenant la petite musique nauséabonde de « l’islamo-gauchisme » qui « gangrène la société dans son ensemble » et l’université en particulier. Un discours qui stigmatise tout ensemble les universitaires et les musulmans.

      Ce dimanche j’échangeais avec un étudiant qui, comme des milliers d’autres, tente de survivre à la désocialisation et aux cours à distance. Il ne va pas bien. Je lui ai proposé une conversation téléphonique. Le confinement, le sens de la vie, les doutes face à un projet professionnel... Mais ce qui le rend le plus anxieux, parmi toutes les difficultés qu’il tente d’affronter, c’est simplement le fait d’être musulman. Il m’a dit : « l’anxiété d’être musulman aujourd’hui ». Tout est là. Et je crois que c’est vraiment le résultat d’une politique. L’exploitation idéologique et sécuritaire du #terrorisme. La loi sur le « séparatisme » qui détricote nos libertés et grave dans le marbre la #stigmatisation des #musulmans. La politique guerrière de Macron au Sahel et le mépris, affiché ce jour, des pays africains. Tout ceci fait système. Et l’étudiant avec lequel je parle l’a très bien compris. L’étudiant musulman qui a eu peur en entendant Vidal, dimanche dernier. Et qui m’en a parlé en premier.

      J’ai donc écouté Frédérique Vidal répondre à Elkabbach, sur la chaîne qui est devenue le caniveau du journalisme d’extrême droite. Zemmour and co. Et une fois de plus j’ai eu #honte en écoutant « ma » ministre. Honte pour l’intelligence critique et les savoirs qu’elle devrait représenter. Honte de voir une « chercheuse », ancienne présidente d’université, asséner des #contre-vérités, insulter les universitaires et la pensée elle-même, se complaire dans la fange de l’extrême droite et rejoindre ainsi Blanquer et Darmanin dans le jeu dangereux de celui qui sera plus radical que Marine le Pen. En novembre 2020 la CP-CNU appelait à la démission de la ministre et écrivait ceci : « Madame Frédérique Vidal ne dispose plus de la légitimité nécessaire pour parler au nom de la communauté universitaire et pour agir en faveur de l’Université. » Aujourd’hui au nom de qui parle cette ministre ? Au nom du gouvernement et de Macron, ou au nom de Marine Le Pen ? De qui ou de quoi fait-elle le jeu ?

      On peut se faire une idée de la partie que Vidal a jouée en écoutant cet extrait mis en ligne par The Sound of Science, une vidéo devenue virale en quelques heures, Vidal devenue virale par sa haine des sciences humaines, de la recherche libre et des universitaires :

      https://twitter.com/SoundofScFr/status/1361390845111451650

      Petit retour en arrière. En octobre 2020 Frédérique Vidal avait été pressée par la CPU de recadrer Blanquer qui s’en était pris violemment aux universitaires, ravagés par « l’islamo-gauchisme », et accusés de « #complicité_intellectuelle avec le terrorisme ». La ministre avait pris position dans un journal à faible visibilité en affirmant dans une tribune, contre son collègue, que « l’université n’est pas un lieu d’expression ou d’encouragement du terrorisme ». La ministre défendait alors « la liberté d’expression et les libertés académiques » qui « sont indissociables ». De deux choses l’une : ou bien Vidal défend les libertés académiques, la liberté de recherche et la liberté d’expression des universitaires qui ont une valeur constitutionnelle, ou bien elle sacrifie ces trois libertés sur l’autel d’une attaque idéologique du libéralisme autoritaire contre l’université et la recherche. Comment comprendre cette contradiction ? Comment comprendre la violente #stigmatisation des islamo-gauchistes sur le plateau de C News quatre mois après la tribune de L’Opinion ? L’art macronien du « en même temps » ? Une immense #hypocrisie dans la tribune du mois d’octobre ? Un voile de fumée jeté sur un bilan désastreux ? La réponse à une commande politique de Macron ? Continuer la petite chanson « le RN est trop mou, LREM fera mieux dans la radicalité » ?

      Rien de tout ceci n’est exclu, mais je pense que la réponse est donnée par Vidal elle-même dans la suite de l’entretien. Très spontanément Vidal, pour remettre à leur place les méchants universitaires qui font des études de genre trop libres ou des études postcoloniales trop engagées, en appelle à l’évaluation-sanction par les pairs et pourquoi pas à la #délation et à la #condamnation : « C’est là qu’il faut être condamné … Allons-y, disons quand les gens ne font pas de #science, mais font du #scientisme » - où Vidal montre, au passage, qu’elle ne maitrise pas le concept de scientisme (à 43:20 ici). Et Vidal de diligenter une enquête du CNRS sur les disciplines suspectes. Comme si le CNRS était une section disciplinaire ou avait des pouvoirs d’enquête. Ce que la CPU elle-même dénonce en remettant vertement en place la ministre dans un communiqué qui appelle à "stopper la confusion et les polémiques stériles" et à cesser de "raconter n’importe quoi" (sic).

      A quoi assiste-on ? A une #dérive_autoritaire qui montre que la LPR et la chasse idéologique aux islamo-gauchistes forment un tout. Evaluer, sanctionner, séparer, diviser les universitaires pour les affaiblir. Les monter les uns contre les autres. Faire en sorte que l’institution soit elle-même l’agent de la chasse aux sorcières. Instiller partout la #concurrence, la #peur, la #suspicion et la #servitude_volontaire. Le premier séparateur des universitaires, c’est la LPR. Dans le viseur de Vidal : la limitation et la surveillance des libertés académiques. Macron, son gouvernement et LREM font le même travail avec toute la société. Dans leur viseur : la limitation et la surveillance des libertés publiques. Monter le plus grand nombre de citoyens contre les musulmans, monter les français contre eux-mêmes. Macron et son système, c’est une guerre sans fin, une guerre contre le peuple. Le #séparatisme permanent. Il est temps de nous unir contre lui. Il est temps de déradicaliser ce gouvernement.

      Contre le séparatisme, nous avons besoin d’une politique qui remettre de la lumière dans les regards tristes de nos amis musulmans. Contre la LPR, nous avons besoin d’une politique qui remettre de la lumière dans les regards tristes des universitaires. Contre la gestion calamiteuse de la crise sanitaire, nous avons besoin d’une politique qui remettre de la lumière dans les regards tristes des étudiants. Vite de la lumière, avant que ne retombe la longue nuit brune de l’histoire !

      #Pascal_Maillard

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/160221/frederique-vidal-tombe-dans-la-fange-de-l-extreme-droite

    • "Islamo-gauchisme" à l’université : 5 questions sur l’enquête demandée par Vidal

      La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a annoncé lundi 15 février qu’elle souhaitait enquêter sur « l’islamo-gauchisme » à l’université. Des propos qui ont indigné le monde universitaire.

      « Moi je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble, et que l’université n’est pas imperméable, l’université fait partie de la société. » D’une phrase prononcée dimanche 14 février, Frédérique Vidal a provoqué une levée de bouclier du monde académique et de la gauche française.

      Invitée de CNews ce jour-là, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche était interrogée par Jean-Pierre Elkabbach sur l’islamo-gauchisme, terme décrit par le journaliste comme désignant « une sorte d’alliance (...) entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ». C’est là que Frédérique Vidal a annoncé « demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université ». Une séquence repérée par le site The Sound of Science.

      Le lendemain, la ministre a confirmé sa position devant l’Assemblée nationale. « Je vais demander à ce que l’on fasse un bilan des recherches qui se déroulent dans notre pays que ce soit les recherches sur le postcolonialisme… » a-t-elle répondu à la question de Bénédicte Taurine, députée de la France insoumise, sans finir son énumération. Mais quel est l’objet de cette enquête ?

      1. Qu’est-ce que l’"islamo-gauchisme" ?

      Le terme « islamo-gauchisme » est né sous la plume de l’écrivain #Pierre_André-Taguieff en 2000. Il le définit alors comme une association entre les mouvements de gauche et les mouvements pro-palestiniens. Cependant, comme l’explique le linguiste Albin Wagener à RTL.fr, ce terme a très vite été repris par l’extrême-droite pour désigner « deux ennemis : l’islam et la gauche ».

      Aujourd’hui, son utilisation s’est démocratisée au point de se faire une place dans les éléments de langage du gouvernement et de la gauche elle-même, dans la bouche de #Manuel_Valls. Ainsi, le terme controversé qualifié même de « faux concept » par le chercheur Pascal Boniface, désigne aujourd’hui une supposée collusion entre les mouvements islamistes et certains mouvements de gauche.

      Pour Philippe Marlière, chercheur et auteur d’une tribune publiée dans Mediapart au mois de décembre, la trajectoire de ce terme est inquiétante. ""L’islamo-gauchisme’ est un mot grossièrement codé qui désigne un ennemi (l’islamisme) et ses porteurs de valise (les intellectuels de gauche critiques), explique-t-il. Ce vocabulaire d’#extrême_droite crée et entretient un climat de #guerre_civile. Il ne nourrit pas le débat, il prend les personnes pour #cible."

      Le CNRS, lui, affirme dans un communiqué que le terme ne revêt « aucune réalité scientifique » quand la conférence des présidents d’université (CPU) parle de « pseudo-notion ».

      2. Qu’est-ce que le CNRS ?

      L’acronyme CNRS désigne le Centre national de la recherche scientifique. Placé sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dirigé par Frédérique Vidal, il est l’organisme de référence de la recherche universitaire française. Plus particulièrement, l’enquête demandée par la ministre s’intéresse aux #sciences_sociales, c’est-à-dire des disciplines comme la sociologie, l’histoire ou la science politique.

      Dans ses propos devant l’Assemblée nationale, Frédérique Vidal cite ainsi l’alliance Athéna présidée par le CNRS en alternance avec la Conférence des Présidents d’Université (CPU). Sur son site, cette institution est décrite comme réunissant « les principaux acteurs de la recherche publique française en #sciences_humaines_et_sociales », plus communément désignées sous le sigle #SHS.

      3. Quel est le type de recherche visé ?

      Dans ses propos tenus sur CNews, Frédérique Vidal a justifié sa décision de mener une enquête sur « l’islamo-gauchisme » au sein de ces champs disciplinaires pour « distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du #militantisme et de l’#opinion ».

      Le CNRS a répondu mercredi soir à la ministre de l’Enseignement supérieur dans un communiqué désapprobateur. « Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de ’race’, ou tout autre champ de la connaissance », écrit le centre de recherche.

      Une réponse claire et nette aux nombreuses attaques ciblant ces champs disciplinaires qualifiés parfois de « racialistes » par leurs détracteurs qui se multiplient ces derniers mois. En octobre, Jean-Michel Blanquer avait par exemple explicitement cité « les ravages » de l’islamo-gauchisme comme ayant joué un rôle dans l’assassinat de #Samuel_Paty.

      « Il y a un combat à mener contre une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des thèses intersectionnelles, qui veulent essentialiser les communautés et les identités, aux antipodes de notre modèle républicain qui, lui, postule l’égalité entre les êtres humains, indépendamment de leurs caractéristiques d’origine, de sexe, de religion, expliquait-il au Journal du Dimanche dans des propos décryptés par L’Obs. C’est le terreau d’une #fragmentation de notre société et d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. Cette réalité a gangrené notamment une partie non négligeable des sciences sociales françaises. »

      4. #Postcolonialisme, #intersectionnalité... De quoi parle-t-on ?

      Théorisée par la juriste américaine #Kimberlé_Crenshaw à la fin des années 1980, l’intersectionnalité permet d’étudier un phénomène sociologique en appliquant une réflexion multiple, au carrefour de plusieurs parts d’identité comme le genre, la classe et la race (au sens de race sociale perçue par la société, pas de la race biologique qui n’existe pas). Son objectif n’est donc pas d’essentialiser mais de prendre en compte différentes caractéristiques sociologiques pour mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre dans les situations de discrimination. Par exemple, une femme noire ne vivra pas seulement d’un côté le sexisme et de l’autre le racisme, mais l’intersection des deux.

      Quant aux théories décoloniales et postcoloniales, elles permettent d’étudier la société contemporaine au regard des dynamiques historiques et du racisme qui découle de périodes telles que l’#esclavage et la #colonisation. Ce sont ce type de recherches qui révèlent les #inégalités sous toutes leurs formes (sociologiques, économiques, politiques, historiques...) qui sont visées lorsque les ministres parlent d’"islamo-gauchisme" à l’université.

      5. Comment le monde universitaire réagit-il ?

      Au-delà de condamner les propos de Frédérique Vidal, dans son communiqué, le CNRS regrette une « #instrumentalisation de la science » et rappelle qu’il existe des voies de « l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche ». « C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés », conclut l’organisme.

      La veille, la conférence des présidents d’université (CPU) publiait elle aussi un communiqué dans lequel elle s’étonnait de « l’instrumentalisation du CNRS dont les missions ne sont en aucun cas de produire des évaluations du travail des enseignants-chercheurs, ou encore d’éclaircir ce qui relève ’du militantisme ou de l’opinion’ ». « La CPU réclame, au minimum, des clarifications urgentes, tant sur les fondements idéologiques d’une telle enquête, que sur la forme, qui oppose CNRS et universités alors que la recherche est menée conjointement sur nos campus par les chercheurs et les enseignants-chercheurs. »

      Contacté par RTL.fr, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation n’a pour l’heure par répondu aux sollicitations.

      https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/islamo-gauchisme-a-l-universite-5-questions-sur-l-enquete-demandee-par-frederiqu

    • Les leçons de Vidal

      Avec ses sorties sur « l’islamo-gauchisme » cette semaine, la ministre déléguée à l’Enseignement supérieur fait surtout les affaires de ses collègues de l’Education et de l’Intérieur. Une femme se grille. Des hommes engrangent.

      La chose se répète souvent sous ce quinquennat. Une ministre femme, issue de la société civile (donc non-politique) qui monte en première ligne pour faire les affaires politiciennes de ses collègues ministres hommes (eux devenus professionnels de ce milieu). La sortie de Frédérique Vidal sur « l’islamo-gauchisme » est un nouvel exemple de ce constat. La ministre de l’Enseignement supérieur n’a pas « dérapé » sur CNews, dimanche, face à Jean-Pierre Elkabbach. Elle savait très bien ce qu’elle faisait. Sinon elle n’aurait pas réitéré ses propos au centre de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, mardi après-midi, lors de la séance hebdomadaire des questions d’actualité au gouvernement.

      Alors qu’elle avait été muette sur le sujet, en octobre, lorsque deux de ses camarades au gouvernement, Jean-Michel Blanquer et Gérald Darmanin, avaient déjà balancé, en octobre à l’Assemblée, cette formule appartenant au champ lexical de l’extrême droite, la voilà qui les devance. Le ministre de l’Education et celui de l’Intérieur ont pourtant passé deux semaines sur les bancs lors du projet de loi « confortant les principes de la République » sans écart de langage. Ordre du Président de se tenir à carreaux sur ce texte censé réincarner « le rassemblement » de la majorité sur la laïcité. Foutaises. A peine les ministres avaient-ils récupéré leurs bons de sorties pour les médias que Vidal est partie à son tour en croisade contre les affreux « islamo-gauchistes » qui professeraient dans les amphis. Recadrée par le président de la République, éloignée un peu plus du monde universitaire et du monde étudiant… Mauvais résultat pour elle : la voici un peu plus isolée Rue Descartes. A qui profite donc cette séquence ? A Ses collègues Darmanin et Blanquer qui voient un de leurs marqueurs politiques progresser. Vidal, une femme, prend le bouillon médiatique et une humiliation présidentielle. Ses collègues, hommes, avaient été épargnés.

      Vidal n’est pas la première victime de cette stratégie du bélier. On rembobine. Mars 2019, en pleine « concertation » sur la réforme des retraites, la ministre de la Santé et des Solidarités d’alors, Agnès Buzyn, s’autorise une sortie inattendue sur un « allongement de la durée du travail ». « Je suis médecin, je vois que la durée de vie augmente d’année en année, expliquait Buzyn. Est-ce que, alors que le nombre d’actifs diminue, nous allons pouvoir maintenir sur les actifs le poids des retraites qui vont augmenter en nombre et en durée ? Nous savons que cet équilibre-là va être de plus en plus difficile à tenir. » Exactement la ligne portée en coulisses par le Premier ministre de l’époque, Edouard Philippe, et de ses deux camarades de l’ex-UMP installés à Bercy : Bruno Le Maire et (déjà) Gérald Darmanin. Lequel se presse pour saluer le « courage » de Buzyn.

      Comme pour Vidal, les politiques hommes avaient laissé une femme issue de la société civile monter au front médiatique pour pousser leurs propres billes. Obligée de rétropédaler (repousser l’âge de départ n’était pas dans le programme d’Emmanuel Macron et le haut-commissaire d’alors, Jean-Paul Delevoye, menaçait de démissionner), Buzyn s’était abîmée dans cette aventure politicienne. Cette dernière n’est plus au gouvernement. Le Maire et Darmanin plus que jamais.

      https://www.liberation.fr/politique/les-lecons-de-vidal-20210219_BI4BCKNDCNBXBDMT2TRO3BZPB4
      #genre #hommes #femmes #hommes_politiques #femmes_politiques

    • Frédérique Vidal, une ministre bisbilles en tête

      Déjà critiquée, entre autres, pour son management à l’université Sophia-Antipolis, la Niçoise s’est lancée dimanche, sans le soutien de l’Elysée, dans une offensive contre l’« islamo-gauchisme » dans la recherche, se mettant à dos une majorité d’enseignants.

      On ne l’attendait pas vraiment sur ce dossier. Frédérique Vidal, ministre de troisième rang en macronie, a surpris beaucoup de monde en appelant à lancer, dimanche sur CNews, une enquête sur l’« islamo-gauchisme » dans la recherche universitaire.

      Décrédibilisée dans les rangs de la recherche supérieure après avoir maintenu la ligne libérale de la loi de programmation de la recherche (LPR), fragilisée dans les universités après plusieurs cafouillages sur l’organisation en ce temps de crise sanitaire, critiquée pour son manque de réactions face au malaise étudiant qui a poussé certains au suicide, Frédérique Vidal n’a pourtant pas hésité à se mettre à dos une nouvelle fois une bonne partie des professionnels qui dépendent de son ministère.

      Au sein du gouvernement, l’axe Blanquer-Darmanin-Schiappa, porteur de ce débat droitier sur l’islam, a-t-il décidé de se servir d’elle comme bélier, après deux semaines sans grandes controverses sur le projet de loi de lutte contre les « séparatismes » ? Ou bien Vidal a-t-elle choisi ce registre en guise de diversion, alors que les polémiques sur la précarité étudiante ne s’apaisent pas ? En tout cas, on ne la suit pas côté Elysée. Le Président reste attaché à « l’indépendance des enseignants-chercheurs », a bien souligné le porte-parole, Gabriel Attal, mercredi à l’issue du Conseil des ministres. Un désaveu.

      « Elle a toujours eu de l’ambition »

      Dans le casting de début de quinquennat, Vidal faisait pourtant partie de ces ministres de la société civile censés ouvrir le monde politique au monde universitaire. Une présidente d’université pour s’occuper des universités, forcément ça avait du sens dans le « en même temps » macronien. Jusque-là, la Niçoise n’était jamais sortie du couloir qu’on lui avait assigné. A peine s’était-elle aventurée, en 2019 – soit bien avant la crise sanitaire, économique et sociale –, dans une poignée de réunions de ministres souhaitant incarner « l’aile gauche » de l’ex-gouvernement Philippe. L’idée était, à l’époque, de tenter de s’organiser pour peser davantage sur la ligne de l’exécutif, jugée trop… à droite.

      Et avant son arrivée au gouvernement, Frédérique Vidal n’avait aucun engagement politique. L’universitaire est passée des bancs de la fac, où elle étudiait la génétique, à la présidence de cette même université, en 2012. Une évolution fulgurante en moins de vingt-cinq ans. Sabine, aujourd’hui chercheuse syndiquée CGT Ferc Sup, était inscrite dans la même promo, « il y a un peu plus de vingt ans », en maîtrise de biochimie et en DEA de virologie. « C’est quelqu’un qui a toujours eu de l’ambition, dit-elle. Ça a été une bonne enseignante, mais elle a fait peu de recherche sur la durée car elle a très vite rejoint la direction de la formation. Elle est devenue doyenne de la fac de sciences, puis présidente. »

      « Phrases assassines »

      Les techniques managériales de Vidal marquent les esprits à l’université de Sophia-Antipolis. « C’est quelqu’un qui ne tolère pas le débat, ce qui est paradoxal quand on est universitaire, ni la contradiction, ce qui est un problème quand on est scientifique, estime Sabine. Elle a imprimé cette façon de diriger. »

      En novembre, le directeur général de la recherche et de l’innovation, Bernard Larrouturou, qui dépendait de son ministère, a claqué violemment la porte. Dans une lettre qu’avait révélée Libération, il dénonçait la gestion peu humaine du cabinet de Vidal.

      Sandra (1) parle de « tendances managériales à l’américaine » qui l’auraient poussée au burn-out. Cette technicienne audiovisuelle, ancienne déléguée syndicale à l’université, pointe une « infantilisation », avec un renforcement de la hiérarchie, et des « expériences assez douloureuses en conseil d’administration », avec des « phrases assassines » à chaque question ou opposition de sa part. « Mme Vidal est une vraie grande pédagogue, défend le docteur en génétique Erwan Paitel, son ancien bras droit à l’université, qui l’a rejointe au ministère. Elle sait gouverner au sens d’aller au bout de ses idées. »

      Mais, selon différents membres de l’université qui témoignent à Libération, « les sciences de l’éducation ont été mises plus bas que terre », « les sciences humaines étaient méprisées », « ça rigolait » à l’évocation des profs d’histoire. « Quand elle parle d’islamo-gauchisme, c’est juste un moyen de bâillonner le débat d’idées, estime Marc, syndiqué CGT Ferc Sup et travaillant dans un labo de maths à Nice. C’est une insulte pour notre intelligence et pour les victimes. On est à Nice, on a été touché par plusieurs attentats, c’est assez dégueulasse de jouer là-dessus. »

      (1) Cette personne a souhaité rester anonyme pour ne pas nuire à sa carrière.

      https://www.liberation.fr/societe/frederique-vidal-une-ministre-bisbilles-en-tete-20210217_G4WLKNLQGNGTZPOF

    • « Frédérique Vidal risque d’alimenter une #police_de_la_pensée qui serait dramatique »

      Le président de l’université Clermont-Auvergne, Mathias Bernard, revient sur la sortie de sa ministre de tutelle sur « l’islamo-gauchisme », qu’il juge « schématique » et « caricaturale ».

      En s’inquiétant du développement d’« idées militantes de l’islamo-gauchisme » dans les universités françaises au cours d’une interview à CNews dimanche, la ministre Frédérique Vidal a suscité de nombreuses critiques dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans un communiqué, la Conférence des présidents d’universités a par exemple dénoncé une « nouvelle polémique stérile » et invité les politiques à ne pas « raconter n’importe quoi ». Président de l’université Clermont-Auvergne, l’historien Mathias Bernard revient sur cette sortie médiatique. Pour lui, les propos caricaturaux de la ministre instrumentalisent politiquement des études nécessaires au débat scientifique.

      Dans un communiqué, les présidents d’universités ont dit leur « stupeur » à la suite des propos de Frédérique Vidal. Pourquoi cette surprise ?

      Parce que cela ne correspond pas aux positions antérieures de la ministre. A l’automne, elle avait tenu des propos bien plus distanciés lorsque son collègue Jean-Michel Blanquer avait parlé d’islamo-gauchisme. A cela, il faut ajouter le contexte sanitaire : la priorité n’est pas de lancer un débat politicien, mais plutôt de répondre à la détresse des étudiants après un an de confinement. C’est un bel exemple du décalage entre les gouvernants et la réalité des opérateurs sur le terrain.

      Qu’est-ce qui invalide cette accusation d’« islamo-gauchisme » ?

      Depuis une quinzaine d’années, ce mot est instrumentalisé politiquement. Il ne sert pas à caractériser un ensemble de positions scientifiques, mais à les discréditer. Cette notion produit aussi un effet de généralisation : l’islamo-gauchisme gangrènerait l’université, comme on l’a vu écrit il y a quelques jours à la une du Figaro. Cette rhétorique de la contamination rappelle les discours antisémites des années 30 sur l’influence juive qui corromprait l’ensemble des corps sociaux. Dans mon université, il n’y a eu par exemple aucun incident, aucune étude ou manifestation scientifique susceptible de s’apparenter à une « menace islamo-gauchiste ». Cette généralisation crée une dramatisation, un climat anxiogène qui ne peut qu’alimenter le rejet.

      Quels sont les faits initiaux à partir desquels s’opère cette généralisation ?

      Il existe un militantisme intolérant qui, en empêchant par exemple la tenue de certaines conférences, pose problème à l’université, car celle-ci est par nature un lieu de dialogue. Mais il faut le distinguer des études en sciences sociales qui s’inscrivent dans l’héritage de la pensée postcoloniale et élaborent une pensée critique qui contribue au débat scientifique. Or, ce sont ces débats qui font progresser la science. Une prise de position rapide, schématique et caricaturale comme celle de Frédérique Vidal risque de jeter l’opprobre sur toute cette réflexion et d’alimenter une forme de police de la pensée qui serait dramatique. Cela donne l’impression que des chercheurs confondraient massivement militantisme et travail universitaire, ce qui n’est pas le cas. Et si des cas se présentaient, il existe des instances pour les traiter. Inutile d’instrumentaliser le CNRS, dont les chercheurs travaillent au quotidien avec les universités.

      Faut-il y voir une volonté de contrôle politique du travail universitaire ?

      Les contraintes inhérentes à une interview télévisée ont sans doute occasionné des maladresses. Mais si on regarde ces propos à l’aune du contexte plus global, marqué à la fois par une séquence très régalienne de la présidence Macron et par les débats sur la loi « séparatisme », il peut y avoir une volonté de distinguer deux types de recherche, l’une bonne et l’autre dangereuse. Un peu comme à l’époque de la guerre froide où l’on se méfiait de l’université marxiste. Cela explique une partie de la défiance actuelle du monde politique vis-à-vis de l’université, qui est constitutionnellement indépendante du point de vue scientifique.

      Le dialogue entre le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche et la ministre est-il rompu ?
      En 2020, les débats sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche ont contribué à une rupture assez nette entre la ministre et une partie de la communauté universitaire. Mais il ne faut pas généraliser : les présidents d’université et les établissements continuent à travailler avec le ministère dans cette période difficile. Je suis certes critique sur cette sortie médiatique, je n’en suis pas moins reconnaissant à la ministre d’avoir défendu l’ouverture des universités alors que la situation sanitaire reste tendue.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/frederique-vidal-risque-dalimenter-une-police-de-la-pensee-qui-serait-dra

    • #Thomas_Piketty : «Frédérique Vidal doit partir»

      Les déclarations sur l’« islamo-gauchisme » de la ministre de l’Enseignement supérieur montrent sa méconnaissance des sciences sociales, estime l’économiste. Elle livre à la vindicte populaire des chercheurs dont les savoirs sont pourtant essentiels.

      Une suspicion généralisée qui amènerait à un dialogue de sourds : l’économiste Thomas Piketty, connu pour ses recherches internationales sur les inégalités, estime que la demande d’enquête sur la présence de courants « islamo-gauchistes » à l’université, faite dimanche par la ministre Frédérique Vidal, est un non-sens.

      Jean-Michel Blanquer en octobre, Frédérique Vidal aujourd’hui. Pourquoi ces attaques contre le monde universitaire, et sur ce thème de l’islamo-gauchisme ?

      L’horreur des attentats de 2015-2016 et de la décapitation de Samuel Paty en 2020 fait que chacun cherche naturellement des explications, des coupables. Chez les plus désespérés, mais aussi parmi les plus cyniques, certains ont eu l’idée géniale de soupçonner de complicité jihadiste n’importe quel chercheur s’intéressant aux questions de discrimination, ou encore n’importe quel croyant musulman achetant du hallal ou portant des leggings sur la plage, un foulard dans la rue ou lors d’une sortie scolaire. Ces soupçons ignobles sont totalement à côté de la plaque, dans un contexte où le pays devrait être rassemblé derrière son système de justice, de police et de renseignement pour lutter contre l’ultraminorité terroriste. Cette logique de la suspicion généralisée ne peut conduire qu’à des raidissements et à des dialogues de sourds. Et pendant ce temps-là, personne ne parle des politiques antidiscriminatoires dont nous aurions tant besoin, et qui demandent des débats approfondis et apaisés, tant les enjeux sont nouveaux et ouverts.

      Pourquoi demandez-vous la démission de la ministre Frédérique Vidal ?

      Avec ses déclarations, Frédérique Vidal a démontré sa totale inculture et sa profonde ignorance de la recherche en sciences sociales. Elle livre à la vindicte populaire les personnes qui produisent et diffusent les savoirs dont nous avons tant besoin dans cette époque hyperviolente. Avec l’extrême droite aux portes du pouvoir dans plusieurs régions et au niveau national, c’est totalement irresponsable. Elle doit partir.

      Vous connaissez bien le monde de la recherche. Quelle est la réalité de ces « chercheurs minoritaires qui porteraient au sein de l’université des idées radicales et militantes de l’islamo-gauchisme » que dénonce la ministre ?

      Je ne connais aucun chercheur que l’on puisse soupçonner de près ou de loin de complaisance avec les jihadistes, ou dont les travaux auraient pu « armer idéologiquement le terrorisme », suivant l’expression désormais routinière au sommet de l’Etat. Et le terrorisme au Nigeria, au Sahel, en Irak, aux Philippines, c’est aussi de la faute des universitaires islamo-gauchistes français ou américains ? C’est ridicule et dangereux. Au lieu de mobiliser l’intelligence collective pour appréhender des processus sociohistoriques inédits et complexes, ce que font précisément les chercheurs en sciences sociales, on sombre dans la logique du bouc émissaire à courte vue.

      Pensez-vous qu’il y a un climat anti-intellectuels en France ?

      Les diatribes anti-intellectuels sous Sarkozy avaient marqué une première étape. Mais l’hystérie actuelle autour de l’accusation d’islamo-gauchisme nous fait franchir un nouveau seuil. Petit à petit, les responsables politiques français, du centre droit à l’extrême droite, se rapprochent sans le savoir de l’attitude des nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP) qui, depuis dix ans, visent à asseoir leur domination politique en stigmatisant toujours davantage la minorité musulmane (14% de la population, soit 150 millions de personnes tout de même) et les intellectuels réputés islamo-gauchistes soupçonnés de les défendre. On l’ignore trop souvent en France, mais cette hargne des nationalistes hindous se nourrit elle aussi des attentats jihadistes commis sur le sol indien, comme ceux de Bombay en 2008 ou les attaques au Cachemire musulman début 2019. Là encore, je peux comprendre que le traumatisme des attentats conduit les uns et les autres à chercher des explications pour cette horreur nihiliste. Mais cela n’a aucun sens de soupçonner de complicité les 150 millions de musulmans indiens qui, comme en France, cherchent simplement à mener une vie ordinaire, à trouver un travail, un revenu, un logement, et ne se demandent pas chaque matin comment ils vont venir en aide à un terroriste. Les soupçons vis-à-vis des universitaires indiens, qui tentent de faire leur travail dans des conditions précaires, sont toutes aussi odieux. En Inde, le gouvernement BJP en est arrivé à fomenter des émeutes antimusulmans, à fermer des centres de recherche et à faire arrêter des intellectuels. On en est évidemment très loin en France, mais il est urgent de se mobiliser avant que les choses ne continuent à dégénérer pour les groupes les plus fragiles. Concrètement, les intellectuels français disposent encore de solides ressources pour se défendre, mais il n’en va pas de même pour les populations issues de l’immigration extra-européenne, qui font face dans notre pays à des discriminations sociales et professionnelles extrêmement lourdes et à une stigmatisation croissante.

      Vous qui travaillez avec des réseaux de recherches dans le monde entier, comment jugez-vous l’université française par rapport aux autres grandes universités internationales ? Y a-t-il une américanisation de la recherche ?

      L’idée d’une contamination des chercheurs français par leurs collègues américains ne correspond à aucune réalité. En pratique, le développement des études coloniales et postcoloniales, par exemple des travaux sur l’histoire des empires coloniaux et de l’esclavage, est une coproduction internationale. Cette évolution implique depuis longtemps des chercheurs basés en Europe, aux Etats-Unis, en Inde, au Brésil, etc. Elle est là pour durer, et c’est tant mieux. Le phénomène colonial s’étale de 1500, avec les débuts de l’expansion européenne, jusqu’aux années 60 avec les indépendances, voire jusqu’aux années 90 si l’on intègre le cas de l’apartheid sud-africain. A l’échelle de la longue durée, cette phase coloniale vient tout juste de se terminer. Ses conséquences sur les structures sociales ne vont pas disparaître en un claquement de doigts. Il a fallu quelques décennies pour que la recherche s’empare pleinement des thèmes coloniaux et postcoloniaux. Ce n’est pas près de changer, et c’est tant mieux.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/thomas-piketty-frederique-vidal-doit-partir-20210217_22G6RI2Q4ZA6RID5XRX5
      #Piketty

    • «Islamo-gauchisme»: Vidal provoque la #consternation chez les chercheurs

      En annonçant commander au CNRS une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, la ministre a suscité l’ire du monde de la recherche. Les présidents d’université dénoncent « une pseudo-notion qu’il conviendrait de laisser […] à l’extrême droite », le CNRS émet de profondes réserves.

      Particulièrement transparente ces derniers mois malgré la crise grave que connaît l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal embrase la communauté universitaire, abasourdie par son intention de commander « une enquête » au CNRS sur « l’islamo-gauchisme » à l’université.

      Tout est parti d’un entretien pour le moins sidérant accordé par la ministre, dimanche 14 février, à CNews, la chaîne préférée de l’extrême droite. Interrogée par Jean-Pierre Elkabbach sur la récente une du Figaro titrée « Comment l’islamo-gauchisme gangrène l’université », la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a commencé par acquiescer à ce « constat ».

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont […]. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi », commence-t-elle par affirmer.

      « Vous ajoutez aussi les #indigénistes qui disent la race, le genre, la classe sociale… tout ça, ça forme un tout ? », la relance doctement Jean-Pierre Elkabbach.

      Nullement gênée par l’incroyable confusion de la question, la ministre acquiesce à nouveau. « Absolument. D’ailleurs en biologie cela fait bien longtemps qu’on sait qu’il n’y a qu’une espèce humaine et qu’il n’y a pas de race donc vous voyez à quel point je suis tranquille avec ce sujet-là », répond-elle, montrant combien les récents débats scientifiques sur la notion de « race » dans les sciences sociales lui ont totalement échappé.

      « Oui, vous, vous êtes tranquille, mais il y a des minorités et elles sont agissantes… », relance encore le journaliste en agitant les doigts – une gestuelle censée représenter une forme d’infiltration de ces « minorités » à l’université.

      « Il y a une sorte d’alliance entre Mao Zedong et l’ayatollah Khomeini ? », suggère encore un Jean-Pierre Elkabbach à qui le sujet tient manifestement à cœur.

      « Vous avez raison. Mais c’est pour cela qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé, mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela », avance Frédérique Vidal, sans que le spectateur, à ce stade, sache très bien ce que « cela » désigne, perdu entre les différentes chimères de « l’islamo-maoïsme » et du « féminisme-racialiste »…

      « C’est pour cela que je vais demander, notamment au CNRS, de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche, sur ces sujets, dans l’université, de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme, de l’opinion », lance alors la ministre.

      Dans la communauté scientifique, l’annonce de la ministre a manifestement pris tout le monde de court. Interrogé mardi sur les contours de cette future mission d’enquête, le CNRS semblait bien en peine de fournir le moindre élément de réponse. « À ce stade, nous en discutons avec le cabinet de Frédérique Vidal pour préciser les attentes de la ministre », nous a-t-on d’abord répondu dans un embarras manifeste.

      Au cabinet de Frédérique Vidal, on semble tout autant dans le brouillard, quant aux « attentes de la ministre ». « Les objectifs de cette étude seront définis dans les prochains jours. Il s’agira de définir ce qui existe comme courants d’études en France, sur différents thèmes », nous répond-on finalement. Difficile de faire plus vague.

      S’agit-il de faire une typologie des « courants » de pensée plus ou moins suspects ainsi que, pourquoi pas, des listes d’enseignants participant à ces courants comme aux grandes heures du maccarthysme ?

      L’enquête, selon le ministère, sera « portée » par l’alliance Athena « qui regroupe les principaux acteurs de la recherche publique française et qui est présidée par #Antoine_Petit », c’est-à-dire le directeur du CNRS. Sauf que l’alliance Athena est encore dirigée pour un mois par #Jean-François_Balaudé, qui, comme l’a révélé Le Monde, n’a même pas été informé de ce projet.

      Traversant aujourd’hui une période particulièrement difficile en raison de la pandémie, avec des étudiants en grande détresse et un corps d’enseignants-chercheurs à bout de souffle, la communauté universitaire s’est littéralement embrasée ces dernières heures.

      Mercredi en fin de journée, le CNRS a finalement publié un communiqué cinglant, expliquant que « l’islamogauchisme » était un « #slogan_politique » qui « ne correspond à aucune réalité scientifique ». « L’#exploitation_politique qui en est faite est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science ». L’organisme de recherche, qui précise qu’il mènera une enquête « visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés », a pris les devants en affirmant qu’il « condamne en particulier les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de "race", ou tout autre champ de la connaissance ».

      La conférence des présidents d’université, d’ordinaire très prudente, s’est fendue mardi en fin de journée d’un communiqué assassin faisant part de sa « stupeur » et réclamant des « clarifications urgentes » à leur ministre de tutelle. « L’islamo-gauchisme n’est pas un #concept. C’est une #pseudo-notion dont on chercherait en vain un commencement de définition scientifique, et qu’il conviendrait de laisser sinon aux animateurs de CNews, plus largement à l’extrême droite qui l’a popularisée », écrit ainsi l’organisation qui représente tous les présidents d’université.

      Le but de cette « enquête » confiée au CNRS est-il d’identifier des éléments potentiellement idéologiquement dangereux au sein de la communauté universitaire ? Sur ce point également, la Conférence des présidents d’université (CPU) tient à mettre les choses au point : « La CPU regrette la confusion entre ce qui relève de la liberté académique, la liberté de recherche dont l’évaluation par les pairs est garante, et ce qui relève d’éventuelles fautes et infractions, qui font l’objet si nécessaire d’enquêtes administratives », et qui sont confiées dans ce cas à l’Inspection générale de l’éducation.

      « La CPU s’étonne aussi de l’instrumentalisation du CNRS dont les missions ne sont en aucun cas de produire des évaluations du travail des enseignants-chercheurs, ou encore d’éclaircir ce qui relève “du militantisme ou de l’opinion”, cingle l’organisation. Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition. Le débat politique n’est par principe pas un débat scientifique : il ne doit pas pour autant conduire à raconter n’importe quoi. »

      Sauf qu’en matière de « n’importe quoi », la CPU et le monde de la recherche plus généralement n’avaient, sans doute, pas encore tout entendu. Questionnée mardi par la députée Bénédicte Taurine (La France insoumise) sur sa volonté de créer une « police de la pensée », Frédérique Vidal a eu cette réponse étonnante : « Alors, oui, en sociologie on appelle ça mener une enquête. Oui, je vais demander à ce qu’on fasse un bilan de l’ensemble des recherches qui se déroulent actuellement dans notre pays… Sur le postcolonialisme… Mais moi, vous savez, j’ai été extrêmement choquée de voir apparaître au Capitole un drapeau confédéré et je pense qu’il est essentiel que les sciences sociales se penchent sur ces questions qui sont encore aujourd’hui d’actualité. »

      Un rapprochement entre études postcoloniales et drapeau confédéré, emblème aujourd’hui des suprémacistes blancs, que personne n’a compris… Et pourquoi citer désormais les #études_postcoloniales qui sont un domaine de recherche présent dans les universités du monde entier ?

      Beaucoup d’universitaires et de chercheurs indignés ont demandé, à l’instar de l’économiste Thomas Piketty ou de la philosophe #Camille_Froidevaux-Metterie, le départ de la ministre aujourd’hui désavouée par une grande partie de la communauté scientifique. « Avec Frédérique Vidal, le gouvernement Macron-Castex réalise le rêve de Darmanin : contourner Le Pen par sa droite… Cette ministre indigne doit partir », a déclaré Thomas Piketty sur Twitter, où le mot-dièse #VidalDemission a rencontré un grand succès.

      Une « chasse aux sorcières »

      Les chercheurs du CNRS que Mediapart a interrogés ont unanimement rejeté l’idée d’être « instrumentalisés » par l’improbable projet d’enquête de la ministre.

      Pour l’historienne Séverine Awenengo Dalberto, chargée de recherche au CNRS et membre de l’Institut des mondes africains, Frédérique Vidal doit effectivement démissionner. « C’est scandaleux et honteux de vouloir restreindre les libertés académiques, d’instrumentaliser la recherche en histoire et sciences sociales à des fins politiciennes, et surtout, dans le contexte pandémique actuel, de mépriser à ce point les étudiants et étudiantes en portant l’attention médiatique et parlementaire sur cette fausse question de l’islamo-gauchisme plutôt que sur la détresse et la précarité des jeunes », explique-t-elle. Cette historienne, spécialiste des questions coloniales, fustige une démarche visant, selon elle, « à banaliser un discours d’extrême droite et à alimenter les fractures qu’elle feint de dénoncer. Comment peut-elle sérieusement penser que travailler sur des discriminations raciales, sur les mécanismes et les effets des assignations identitaires chromatiques, c’est reconnaître l’existence de races biologiques ? »

      Comme elle, nombre de chercheurs insistent aussi sur l’#absurdité de faire diligenter cette enquête sur l’université par le CNRS, puisque nombre de laboratoires ont une double tutelle CNRS et université.

      Le spécialiste des mobilisations ouvrières Samuel Hayat, chargé de recherche au CNRS, décrit ainsi ses collègues « entre #sidération et #découragement ». « Cela s’inscrit dans la suite logique de la gestion autoritaire de l’enseignement supérieur et de la recherche par Frédérique Vidal », souligne-t-il, en référence à la loi de programmation sur la recherche passée au forceps. « C’est une offensive générale contre, en gros, le #discours_critique et la #pensée_critique », estime-t-il. « Pour Frédérique Vidal, l’université doit être dans “l’#excellence” et la #rentabilité mais l’idée qu’il y ait des pôles de résistances critiques aux politiques est insupportable », assure-t-il. Ce politiste souligne aussi combien cette « chasse aux sorcières » rappelle les politiques menées au Brésil, en Hongrie, aux États-Unis, en Turquie ou au Japon contre les libertés académiques.

      Si dans ces pays la bataille s’est principalement concentrée sur les études de #genre, accusées de détruire les fondements de la société, la lutte contre l’#islamisme offre, en France, l’excuse toute trouvée pour traquer les chercheurs « déviants ». « Comme ils ne vont pas trouver d’islamistes dans les universités, ils s’appuient sur un concept comme “l’islamo-gauchisme” qui ne veut rien dire mais qui permet d’amalgamer les savoirs critiques au terrorisme », affirme Samuel Hayat. « La cerise sur le gâteau est l’instrumentalisation du CNRS, qui est un établissement public de recherche qui détermine évidemment son agenda de recherche. Être traité comme une officine pour cerner un objet qui n’existe pas, c’est particulièrement insultant. Le CNRS doit réaffirmer qu’il n’est pas aux ordres des objectifs politiques du gouvernement. »

      Pour l’historienne Camille Lefebvre, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de l’Afrique aux XVIIIe et XIXe siècles, cette annonce de Frédérique Vidal s’inscrit dans « un pur enjeu électoral consistant à placer la question de l’islam au cœur de la prochaine campagne présidentielle. Le problème c’est que c’est un #discours_performatif et qu’ils n’en mesurent pas les conséquences », souligne-t-elle, décrivant des discours stigmatisants « qui blessent une partie de la société française à qui l’on veut faire comprendre qu’elle doit rester à sa place ».

      Pionnier, avec #Marwan_Mohammed, de l’étude de l’islamophobie comme nouvelle forme de racisme, le sociologue #Abdellali_Hajjat (qui a quitté la France pour enseigner en Belgique devant le climat de plus en plus hostile à ces travaux dans l’Hexagone) estime que les déclarations de Frédérique Vidal sont « la énième étape d’un processus de #panique_morale d’une partie des #élites_françaises qui a commencé au moins en 2015-2016. Et cela marque le succès d’un intense #lobbying de la part des “#universalistes_chauvins”, tenants de la fausse opposition entre “universalistes” et “décoloniaux”, estime-t-il. La ministre dit qu’il s’agit de distinguer travail de recherche et militantisme… Il semble qu’il s’agit surtout de cibler les universitaires qui seraient “déviants” d’un point de vue politique et scientifique ».

      Selon lui, malgré l’ineptie du discours d’une ministre qui semble largement dépassée par la situation, et qui pourrait prêter à sourire, la situation est très alarmante. « Cette volonté d’#hégémonie, de #contrôle total sur la recherche rappelle les pratiques des régimes politiques contemporains les plus autoritaires », assène-t-il.

      « Je suis en colère car ce qui est en train de se passer est à la fois honteux et très inquiétant », affirme de son côté Audrey Célestine, maîtresse de conférences en sociologie politique et études américaines à l’Université de Lille et membre du conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. « Nous sommes dans une forme de #maccarthysme », assure-t-elle jugeant le niveau du débat public « atterrant ». « Lorsqu’on voit quelqu’un comme #Raphaël_Enthoven évoquer “la #peste_intersectionnelle”, on se dit qu’il y a une fierté à étaler dans ces débats son #ignorance crasse. Je suis pour le débat mais avec des gens qui lisent les travaux dont ils parlent », explique-t-elle. Comme pour tous les chercheurs interrogés, Frédérique Vidal a désormais perdu toute #crédibilité et ne peut plus rester ministre de tutelle.

      Après les premières déclarations de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche avait semblé vouloir défendre les libertés académiques. « L’université n’est ni la matrice de l’extrémisme ni un lieu où l’on confondrait émancipation et endoctrinement », avait-elle rappelé à son collègue du gouvernement.

      Aujourd’hui, Frédérique Vidal semble appliquer avec zèle une feuille de route écrite par l’exécutif. Interrogé sur France Inter, le 1er février par Léa Salamé, sur la place des « indigénistes » et des « racialistes » à l’université – un questionnement qui en dit long sur la maîtrise du sujet –, Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, a ainsi expliqué que ces idéologies sont peut-être « majoritaires » à l’université : « C’est un drame pour la France et nous devons absolument débattre pied à pied, idée par idée cela », a détaillé ce matin-là – sans souci du mélange des genres – le « premier flic de France ».

      « C’est d’ailleurs ce qu’a souhaité le président de la République dans son discours des Mureaux », rappelait-il alors, en référence au discours du chef de l’État ciblant le « #séparatisme_islamiste ».

      Soutenu par le gouvernement, un amendement glissé au Sénat dans la loi de programmation sur la recherche avait déjà, en octobre dernier, tenté de soumettre les libertés académiques au « cadre des valeurs de la République ». Finalement rejeté, au vu de sa formulation floue, il révélait déjà combien l’exécutif se montrait soupçonneux à l’égard du monde universitaire.

      La tribune des cent universitaires publiée dans le Monde fin octobre, parmi lesquels Marcel Gauchet, Gilles Kepel, Pierre-André Taguieff ou Pierre Nora, dénonçant un « déni » face à l’islamisme et déplorant que « Les idéologies indigéniste, racialiste et « décoloniale » (transférées des campus nord-américains) » aient infiltré l’université « nourrissant une haine des « Blancs » et de la France » a sans doute fait son effet sur l’exécutif. Lequel n’a pas prêté grand crédit aux multiples contre-tribunes, sur le sujet, dont celle de deux mille chercheurs aussi publiée par le Monde, et pourtant signée par des chercheurs encore en prise, eux, avec la production en sciences sociales.

      Le président, passé de la lecture de Paul Ricœur à celle de Pierre-André Taguieff et sa dénonciation des « bonimenteurs du postcolonial », avait déjà affirmé en juin dernier devant des journalistes que « le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’#ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux ».

      Aujourd’hui, sous les coups de boutoir d’un pouvoir obsédé par la mise au pas de la communauté universitaire, ce sont surtout les enseignants, les chercheurs et plus largement les libertés académiques qui sont menacés.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/170221/islamo-gauchisme-vidal-provoque-la-consternation-chez-les-chercheurs?ongle

    • Vidal au stade critique - Communiqué de SLU, 17 février 2021

      « Ainsi, depuis des mois, par petites touches, se met en place un discours officiel anti-universitaire, sans que jamais la ministre de l’Enseignement supérieur qui devrait être le premier rempart des universitaires contre ces attaques n’ait eu un mot pour les défendre » disions-nous dans notre communiqué du 24 octobre pour dénoncer les propos de Jean-Michel Blanquer devant les sénateurs dans lesquels il dénonçait « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits ».

      Dans une tribune à L’Opinion deux jours plus tard la ministre de l’ESR semblait y répondre du bout des lèvres : « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du fanatisme ». Bien.

      Mais depuis, la petite musique est devenue fanfare assourdissante : ainsi, deux députés LR, Julien Aubert et Damien Abad demandaient en novembre une mission d’information de l’Assemblée Nationale sur « les dérives idéologiques dans les établissements d’enseignement supérieur » ; ce même Julien Aubert publiait le 26 novembre 2020 les noms et les comptes Twitter de sept enseignants-chercheurs, nommément ciblés et livrés à la vindicte publique ; cette dénonciation calomnieuse s’ajoutait aux propos tenus par la rédaction du journal Valeurs Actuelles à l’encontre du Président nouvellement élu de l’université Sorbonne Paris Nord ; le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin (le 1er février 2021 sur France-Inter) parlait d’idéologie racialiste ; la députée LR Annie Genevard dans le débat sur l’interdiction du voile à l’université dans le cadre de la loi sur le séparatisme (le 3 février 2021) synthétisait tout cela en affirmant que « L’université est traversée par des mouvements puissants et destructeurs […] le décolonialisme, le racialisme, l’indigénisme et l’intersectionnalité ».

      Et le 14 février, la ministre Frédérique Vidal, muette sur l’abandon de l’université et de ses étudiants depuis le début de la pandémie, sonne l’hallali sur une chaîne ouvertement d’extrême droite :

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc… »

      Et de répondre dans un rire à une question toute en nuance de l’interviewer « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ? » : « Mais vous avez raison ! »

      Tant de bêtise pourrait prêter à rire.

      Mais au milieu d’inepties qui ne témoignent que de sa confusion, Frédérique Vidal conclut, sans crainte de se contredire dans une même phrase : « On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion ».

      Voilà le CNRS transformé en IGPN (Inspection Générale de la Pensée Nationaliste).

      La chasse aux sorcières est donc lancée, cette fois en haut lieu. Elle ne peut qu’encourager le harcèlement, déjà intense sur internet, et assorti à l’occasion de menaces de mort, envers des collègues accusés d’être des « islamogauchistes ». Elle s’inscrit dans une course à l’extrême-droite qui n’est pas isolée dans le gouvernement : il s’agit bien d’un choix politique concerté (voire d’une intervention sur commande ?).

      Retenons, cependant, une phrase de la ministre : « Il faut que le monde académique se réveille ».

      Oui, il est grand temps de nous réveiller. Toutes les instances, tous les échelons que comptent l’enseignement supérieur et la recherche doivent désormais ouvertement se prononcer et clamer haut et fort : nous ne pouvons plus reconnaître Frédérique Vidal comme notre ministre, nous refuserons de mettre en place des directives contraires aux principes fondamentaux de l’université.

      http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8893

    • Lettre à Frédérique Vidal

      Depuis vos dernières déclarations sur « l’islamo-gauchisme », je suis dans un cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en Turquie sont en train de vivre. Je vous demande de prêter attention à ma parole qui s’est forgée à travers une expérience très dure de la défense de la liberté de la recherche et de l’autonomie de la production scientifique.

      https://blogs.mediapart.fr/pinar-selek/blog/210221/lettre-frederique-vidal

    • Merci @marielle, je mets tout le contenu de la lettre de #Pinar_Selek sur ce fil :

      Lettre à Frédérique Vidal

      Depuis vos dernières déclarations sur « l’islamo-gauchisme », je suis dans un #cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en #Turquie sont en train de vivre. Je vous demande de prêter attention à ma parole qui s’est forgée à travers une expérience très dure de la défense de la liberté de la recherche et de l’#autonomie de la production scientifique.

      –—

      Madame Vidal,

      Vous vous souvenez de moi, l’enseignante-chercheure exilée que vous aviez accueillie, dans le cadre du Programme PAUSE, à l’Université Côte d’Azur, quand vous étiez sa présidente. Mais nous nous sommes rencontrées la première fois, le 30 septembre 2019, dans le cadre de la conférence de presse du Programme PAUSE ( Programme national d’Aide à l’Accueil en Urgence des Scientifiques en Exil). En tant que ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, vous souteniez ce programme. Je pense que vous le soutenez encore. Tant mieux : vous soutenez les enseignant.es-chercheur.es qui ont fui la répression politique dans leur pays et qui ont besoin d’un espace de liberté pour continuer à poser des questions et à conduire leurs recherches.

      Depuis vos dernières déclarations sur "l’islamo-gauchisme", je suis dans un cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en Turquie sont en train de vivre, sous l’islamo-fascisme. Je pense que tout.es les scientifiques exilé.es qui sont aujourd’hui accueilli.es par le Programme PAUSE sont entrés dans le même cauchemar, car elles-ils savent aussi très bien comment les libertés académiques se rétrécissent quand les pouvoirs politiques interviennent dans le champ scientifique avec la justification de la lutte contre le terrorisme. En général, c’est comme ça que ça se passe. En Turquie, en Chine, en Iran. Et aujourd’hui en France.

      J’ai envie de vous dire que si vous ne revenez pas publiquement sur vos propos ou si vous ne démissionnez pas, le cancer se diffusera et des scientifiques français.es prendront le chemin d’exil.

      Ne me dites pas qu’en France ce n’est pas possible. Si, Madame Vidal, si. Vous le savez mieux que moi : le pétainisme n’est pas si vieux que ça. Rappelez-vous dans les années 1940, il y avait beaucoup d’universitaires français exilés, refusant de se soumettre au fascisme.

      Vous vous souvenez peut-être, dans la conférence de presse de PAUSE, j’avais commencé mon intervention en disant ceci : « Pour vous épargner un récit victimisant et pour me distancier d’une vision intégrationniste imprégnée de colonialisme, j’avais pensé d’abord rappeler que chaque pays a besoin de passeurs des théories scientifiques. Surtout la France qui a de grandes difficultés de traduction. Elle a besoin de savant.es qui se sont formés dans d’autres pays. De plus, accueillir les scientifiques qui ne sont pas soumis à l’autorité ne peut être qu’une richesse pour ceux et celles qui les accueillent. » Je vous demande de prêter attention à ma parole qui s’est forgée à travers une expérience très dure de la défense de la liberté de la recherche et de l’autonomie de la production scientifique.

      Madame Vidal, essayez d’écrire des articles scientifiques, avec votre casquette universitaire, pour remettre en question les notions scientifiques et inscrivez-vous dans le débat collectif des chercheur.es, mais surtout cessez d’intervenir en mettant votre casquette politique !

      Sinon vous allez mettre la machine infernale en marche.

      Et la machine du pouvoir peut aller plus loin que vous ne l’imaginez.

      Pinar Selek

      https://blogs.mediapart.fr/pinar-selek/blog/210221/lettre-frederique-vidal

    • "Islamogauchisme" : Le piège de l’#Alt-right se referme sur la Macronie

      Mardi dernier, la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) a exprimé son souhait de missionner le CNRS pour une « étude scientifique » sur “l’islamo-gauchisme” qui, d’après ses propos de dimanche (14/02/21) sur une chaîne TV privée, « gangrène la société dans son ensemble ». « L’université n’[y étant] pas imperméable », il s’agirait de définir « ce qui relève de la recherche et du militantisme ». La Conférence des Présidents d’Université a immédiatement exprimé sa stupeur devant de tels propos, tandis que le CNRS indiquait dans un communiqué de presse que « “L’islamogauchisme” , slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique ».

      C’est la troisième fois en moins de six mois que l’expression “l’islamo-gauchisme” est employée par un ministre du gouvernement Castex, contribuant à inscrire ce terme comme dénomination légitime d’une catégorie sociale, malgré l’absence de réalité scientifique.

      Au-delà de la menace que fait peser la démarche de la Ministre sur les libertés académiques, qui a suscité de vives polémiques, nous montrons qu’elle s’inscrit dans une tendance d’autant plus inquiétante qu’elle semble relever d’un #aveuglement au niveau de la Présidence et du gouvernement.

      Afin de discerner ce qui relève du #militantisme ou de la #stratégie_politique dans la #popularisation de ce #néologisme, ainsi que l’impact que pourrait avoir sa #légitimation par de hauts responsables de la République, nous présentons ici une étude factuelle sur les contextes de son utilisation dans le paysage politique français sur les 5 dernières années.

      Nous nous appuierons sur le #Politoscope, un instrument du CNRS que nous avons développé à l’Institut des Systèmes Complexes de Paris IdF pour l’étude du #militantisme_politique en ligne. Il nous permet d’analyser à ce jour plus de 290 millions de messages à connotation politique entre plus de 11 millions de comptes #Twitter émis depuis 2016.

      Nous renvoyons le lecteur intéressé par l’origine de l’expression “islamo-gauchisme” à l’historique qui en avait été fait en octobre dernier lors des premières utilisations de ce terme, d’abord par le Ministre de l’Intérieur lors d’un échange à l’Assemblée Nationale, puis par le Ministre de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports en réaction à l’assassinat de Samuel Paty.

      Le point important pour notre propos est que nous avons affaire à un néologisme relativement ancien (une quinzaine d’années) qui a jusque-là été peu utilisé. Entre le 1er Août 2017 et le 30 décembre 2020, sur 230M de tweets analysés, le terme « islamogauchisme » ou ses variantes ont été promus dans des tweets originaux et relayés via retweets respectivement par 0,019% et 0,26% du total comptes Twitter analysés, au sein de « seulement » 73.806 messages (0,032% du total). Nous sommes donc sur une #terminologie, et a priori une catégorisation des groupes sociaux, très marginales[1].

      Comme le montrent les recherches en sociologie et psychologie sociale[2], ce type de dénomination émergente indique la volonté de créer une nouvelle catégorie dans l’#imaginaire_collectif, passage obligé pour faire accepter de nouveaux #récits_de_référence et pour façonner de manière durable de nouvelles #représentations, #croyances et #valeurs.

      S’agissant de la dénomination d’un #groupe_social, elle est l’instrument d’une démarcation entre le groupe social qui l’emploie et le groupe social réel ou fantasmé qu’elle est censée désigner. Si le CNRS s’est exprimé au plus haut niveau pour indiquer que l’« islamogauchisme » était plus un #fantasme qu’une réalité scientifique, nous posons ici la question de ce que cette expression révèle sur le ou les groupes sociaux qui l’emploient.

      Voici donc ce qui ressort de l’expression « islamogauchisme »[3] lorsque nous la passons au macroscope de nos méthodes d’analyse.

      Quels ont été les contextes d’usage de l’expression « islamo-gauchisme » ces dernières années ?

      Si l’expression« islamo-gauchisme » est très marginale dans la #twittersphère et dans le #langage_politique ordinaire, elle apparaît dans des contextes très précis en tant qu’instrument de #lutte_idéologique.

      Une première évaluation qualitative de ce fait peut être menée à partir des messages mentionnant cette expression. Nous reproduisons ci-dessous les tweets ayant touché le plus de comptes distincts ces cinq dernières années. Ils sont classés par ordre décroissant de leur impact.

      Il apparaît clairement sur cet échantillon, par ailleurs assez représentatif de l’ensemble, que « islamo-gauchisme » est employé dans un contexte d’hostilité entre communautés politiques et non de discours programmatique, prosélyte ou de débat politique. Une analyse plus complète du contenu de ces tweets hostiles montre que les notions les plus associées à « islamo-gauchisme » sont celles de #traître, d’#ennemi_de_la_république, d’#immoralité, de #honte, de #corruption ainsi que de #menace, d’#insécurité, de #danger, d’alliance avec l’ennemi et bien sûr de compromission avec l’#islamisme_radical.

      La principale communauté politique visée par ce terme (et qui s’en défend, d’où sa présence dans ce corpus de tweets) est la #France_Insoumise et la personnalité de #Jean-Luc_Mélenchon, mais occasionnellement, ce terme vise la communauté plus large des personnalités et militants de #gauche, comme le montre le tweet le plus relayé de tout notre corpus et adressé à #Benoît_Hamon.

      Nous sommes donc sur un terme utilisé pour ostraciser et dénigrer un groupe social particulier tout en en donnant pour l’opinion publique une image anxiogène et associée à un #danger_imminent. Son utilisation a pour but de polariser l’opinion publique autour de deux camps déclarés incompatibles entre lesquels il faudrait choisir : d’un côté les défenseurs du droit et des valeurs républicaines, de l’autre les traîtres aux valeurs françaises et alliés d’un ennemi sanguinaire. La construction même du terme reflète cette ambition. Dans un pays encore meurtris par les attentats du Bataclan, le préfixe « islamo- » est au mieux négatif voire désigne des personnes dangereuses pour l’ordre public, quant au suffixe « gauchisme », il est une forme péjorative pour désigner en vrac les #idéologies_de_gauche.

      Qui a fait la promotion de la notion « islamo-gauchisme » ces dernières années ?

      En y regardant de plus près, l’usage de l’expression « islamo-gauchisme » est un marqueur de types de comptes Twitter très précis. Voici les comptes qui ont le plus utilisé cette expression ces cinq dernières années, classés par nombre décroissant d’usages de cette expression :

      Table 1. Liste des comptes ayant le plus relayé le terme « islamo-gauchisme » depuis 2016 dans le Politoscope. La mention ‘suspendu’ indique des comptes suspendus par Twitter pour leur comportement violant ses règles d’utilisation. La mention ‘protégé’ indique des comptes qui ont choisi de rendre leurs messages confidentiels. La mention bot indique des comptes ouvertement pilotés par des robots informatiques.

      On remarque tout d’abord qu’il y a une forte majorité de #comptes_suspendus. D’après Twitter, la plupart des comptes suspendus sont des #spammeurs, ou tout simplement des #faux_comptes qui introduisent des risques de sécurité pour Twitter et ses utilisateurs. Un compte peut également être suspendu si son détenteur adopte un comportement abusif, comme envoyer des menaces à d’autres personnes ou se faire passer pour d’autres comptes, ou si Twitter pense qu’il a été piraté.

      Les cas de suspension de comptes sont très rares. L’une des plus importantes purges de comptes Twitter a visé récemment 70.000 comptes ayant incité à la violence dans les jours précédant le saccage du Capitole aux USA, ce qui ne représente que 0,023% de l’ensemble des comptes actifs. Avoir plus de la moitié de comptes suspendus parmi les plus prolixes sur l’« islamo-gauchisme » est donc une prouesse et un marqueur très significatif de comportements abusifs et malveillants.

      Dans le cas présent, les raisons de la suspension semblent être un comportement verbalement violent et peut-être même plus probablement un comportement de tromperie ou d’astroturfing typique des agissements d’une certaine frange de l’#extrême_droite : une démultiplication démesurée et généralement artificielle de l’activité d’un compte pour faire illusion sur le soutien réel d’une population à une idée. Cette hypothèse est confortée par la présence de deux ‘amplificateurs’ parmi cette short list, c’est à dire des comptes dont le nombre quotidien de tweets (plus de 60 par jour en moyenne) indique qu’ils sont probablement pilotés par des robots ou des salariés.

      La seconde chose que l’on peut remarquer est l’#orientation_politique des quelques comptes présents dans cette liste pour ceux qui sont encore actifs : ils sont tous idéologiquement d’extrême-droite.

      L’analyse de l’ensemble des 83.000 #tweets contenant « islamo-gauchisme » et de leur dynamique permet de préciser ce tableau.

      Les deux communautés politiques historiques qui ont été les plus actives sur ce thème sont le #Rassemblement_National et #Les_Républicains, mais avec des temporalités très différentes. Jusqu’au 1er tour de la présidentielle de 2017, Les Républicains, et principalement les sarkozystes, étaient les plus actifs sur le sujet. Ce point n’est pas une coïncidence puisque, comme nous l’avons démontré[4] la tactique consistant à dénigrer un adversaire en révélant sa soit-disant proximité avec l’islamisme radical avait déjà été utilisée au sein même de LR contre Alain Juppé, une première fois par les sarkozistes pendant la primaire de la droite de 2016 où il était grand favori, puis par les fillionnistes au moment du Peneloppe Gate, alors que la possibilité d’un retour de Juppé était évoquée.

      La tendance s’est inversée très exactement dans l’entre-deux tours et le #RN est alors devenu, et de loin, le courant politique qui a le plus fréquemment fait usage du terme « islamo-gauchisme ». Sur ces quatre dernières années, les militants d’extrême droite ont consacré plus de deux fois plus d’efforts à sa promotion que leurs homologues Républicains (rapporté à leur volume total de tweets).

      Cette inversion s’explique par la reconfiguration des forces politiques à l’issue de la présidentielle. Comme nous l’avons déjà décrit[5], pendant la majeure partie de la campagne présidentielle, Marine Le Pen étant pronostiquée au second tour, les autres candidats se sont affrontés entre-eux pour obtenir la place restante. #Mélenchon était donc l’un des principaux adversaires de Fillon. Mais dès la présidentielle terminée et l’effondrement du PS et de LR qui s’en sont suivis, LFI et le RN sont devenus les principaux partis d’opposition et se sont donc mis à s’affronter pour prendre la place de première force d’opposition. C’est dans ce cadre que le RN a tenté d’imposer sa vision de « islamo-gauchisme » afin de discréditer son principal opposant et servir par la même occasion son agenda politique anti-immigration.

      Le terme « islamo-gauchisme » est donc avant tout une #arme_idéologique utilisée dans un #discours_hostile pour discréditer une communauté politique indépendamment de la réalité qu’il est supposé désigner.

      Une #cartographie de l’ensemble des échanges Twitter avec identification des communautés politiques révèle d’ailleurs très bien cette organisation dichotomique des échanges autour de cette expression. La figure 2 montre deux blocs qui s’affrontent : d’un côté les communautés d’extrême-droite et LR qui utilisent ce terme de manière hostile pour dénigrer ou stigmatiser la communauté LFI, de l’autre LFI qui se défend. On remarquera par ailleurs que l’extrême droite est elle-même divisée en deux sous groupes : le RN et les courants patriotes/identitaires. Enfin, la figure 3 ci-dessous montre bien l’activité ancienne, persistante et massive de l’extrême-droite pointant l’intention de faire accepter une certaine représentation du monde par ce néologisme.


      Figure 2. Cartographie des communautés politiques mentionnant « islamo-gauchisme ». Chaque point est un compte Twitter, sa couleur indique son appartenance à un courant politique. A droite, les communautés d’extrême-droite et LR utilisant ce terme de manière hostile pour dénigrer ou stigmatiser la communauté LFI (à gauche) qui se défend. La taille des nœuds est fonction du nombre de leurs tweets mentionnant « islamo-gauchisme » mise à part celle des nœuds labellisés avec des comptes actifs dont la taille a été augmentée pour des questions de visualisation. Pour ces nœuds là uniquement, la couleur indique le nombre de tweets mentionnant « islamo-gauchisme », par ordre croissant du blanc au violet. On remarquera la présence marquée de comptes très impliqués dans ce type d’échanges et suspendus depuis par Twitter. Image : CNRS, #David_Chavalarias – CC BY-ND 4.0.


      Figure 3. Cartographie des communautés politiques mentionnant « islamo-gauchisme » avec indication de la longévité des comptes. La taille des nœuds est proportionnelle à l’intervalle de temps pendant lequel a été détectée une participation à la polémique « islamo-gauchisme ». Il apparaît clairement qu’il y a une activité ancienne, persistante et massive à l’extrême-droite. Image : CNRS, David Chavalarias – CC BY-ND 4.0.

      Pourquoi l’adoption du #vocabulaire de l’extrême droite est-elle un piège ?

      Si l’on résume les éléments factuels que nous venons de présenter :

      Bien que la science ne reconnaisse pas « islamo-gauchisme » comme une catégorie sociale légitime, plusieurs courants d’extrême-droite en font depuis longtemps la promotion,
      Cette promotion, qui s’inscrit dans des échanges hostiles et dépourvus d’éléments programmatiques, a des objectifs bien précis : 1) discréditer ses opposants de gauche, 2) convaincre l’#opinion_publique de l’existence d’une nouvelle catégorie d’acteurs : des ennemis intérieurs alliés aux forces obscures de l’islamisme radical. Ce faisant, elle crée une #atmosphère_anxiogène propice à l’adhésion à ses idées.

      Si, comme nous avons pu le mesurer, cet effort soutenu n’a pas eu d’effet notable sur l’écosystème politique jusqu’à récemment, les interventions successives de trois ministres de la République ont changé la donne. La dernière intervention de Frédérique Vidal lui a fourni une exposition inespérée.

      L’existence de groupes « islamo-gauchites » vient d’être défendue officiellement au plus haut niveau puisqu’il serait absurde de demander une enquête sur quelque chose à laquelle on apporte peu de crédit. Cette dénomination est donc légitimée par le gouvernement, avec en prime l’idée que de notre jeunesse serait menacée d’#endoctrinement.

      La réaction épidermique du milieu universitaire à ces interventions n’a fait qu’amplifier l’exposition à cette idée, même si c’était pour la démentir, laissant présager d’un #effet_boomerang. Nous voyons ainsi sur le détail de l’évolution de la popularité de ce terme (Figure 4) qu’il a été propulsé au centre des discussions de l’ensemble des communautés politiques à la suite de l’intervention de la ministre et qu’il a même atteint assez profondément “la mer”.

      « La mer » est le nom que nous avons donné à ce large ensemble de comptes qui ne sont pas suffisamment politisés pour être associés à un courant politique particulier mais qui échangent néanmoins des tweets politiques. Toucher “la mer” avec leurs idées est le graal pour les communautés politiques car c’est un réservoir important de nouvelles recrues. Ainsi, “la mer”, concentrant son attention sur ce concept d’« islamo-gauchisme », est amenée à problématiser les enjeux politiques à partir des idées de l’extrême-droite.

      D’après nos mesures, les ministres du gouvernement ont réussi à faire en quatre mois ce que l’extrême-droite a peiné à faire en plus de quatre années : depuis octobre, le nombre de tweets de “la mer” mentionnant « islamo-gauchisme » est supérieur au nombre total de mentions entre 2016 et octobre 2020. On peut parler de #performance.


      Figure 4. Détail de l’évolution du nombre cumulé de tweets émis par les principales communautés politiques avec la mention « islamo-gauchisme » ou ses variantes. Le volume de tweets de “la mer” apparaît en vert et peut être lu sur l’axe des ordonnées à droite. Image : CNRS, David Chavalarias – CC BY-ND 4.0.

      La porte ouverte à l’#alt-right

      Pour bien comprendre la faute politique que constitue la légitimation et l’appropriation d’un concept tel que « islamo-gauchisme » par un gouvernement, il faut se placer dans le contexte mondial de la montée de l’alt-right et des étapes qui permettent à cette idéologie de gangrener le pouvoir.

      Contrairement à “« islamo-gauchisme », l’alt-right est un mouvement idéologique bien réel, scientifiquement documenté[6], et revendiqué publiquement au sein d’espaces d’échanges en ligne tels que #4Chan et #8Chan.

      L’alt-right est l’idéologie dont l’ascension a accompagné la prise du pouvoir de Donald Trump. Ses partisans sont nationalistes et suprématistes, racistes et antisémites, complotistes, intolérants et d’une violence parfois teintée de néonazisme[7]. Ils s’organisent de manière décentralisée via les médias numériques et recrutent “parmi les identitaires blancs, éduqués ou non, qui se présentent comme victimes de la culture dominante” (Port-Levet, 2020). Ils utilisent la #désinformation comme principal moyen pour propager leur idéologie “qui se fonde sur la #confusion_idéologique et dont l’un des principaux objectifs est de troubler l’ordre politique pour accélérer le chaos”[8].

      On ne s’étonnera pas que l’alt-right conçoive l’Université comme un repère de gauchistes et que certains de ses partisans en aient fait leur principal champ de bataille[9].

      L’idéologie alt-right a déjà quelques belles victoires à son palmarès, dont les mandatures de Donald Trump aux États-Unis et de Bolsonaro au Brésil, pays dont on relèvera qu’il dispose du même mode de scrutin présidentiel que la France.

      Comme nous l’avons documenté[10], ses partisans sont convaincus que #Marine_Le_Pen est de leur côté (cf. Figure 5), ils l’ont d’ailleurs activement soutenu en 2017 en espérant lui donner le coup de pouce décisif qui la mènerait à la victoire. L’un de leurs forums post-premier tour, intitulé “#Final_Push_Edition”, commençait le 25 avril 2017 par la formule “Alright everyone, our golden queen has won the first round and must now face her final opponent Macron Antoinette.”[11]. S’en suivait une série d’échanges et de conseils sur la meilleure manière de manier la désinformation pour réorienter une partie de l’opinion française vers un vote Le Pen ou l’abstention.


      Figure 5. Meme propagé en 2017 par les partisans de l’alt-right montrant Marine Le Pen faisant le symbole « O-KKK » (en référence au Ku Klux Klan) qui signifie “White Power”, signe de ralliement des suprémacistes blancs. Ce signe peut être vu également sur de multiples photos de la prise du Capitole. La grenouille, “Pepe the frog”, est la mascotte du mouvement. Ce photo-montage est un message entre partisans de l’alt-right pour indiquer que Marine Le Pen défend leurs valeurs. Image : 4Chan – Meme Internet – auteur anonyme.

      Depuis, ce courant n’a cessé de se renforcer à travers le monde, bénéficiant de la bouffée d’oxygène apportée par la mandature #Trump. Avec la victoire de Biden, ils n’auront rien de mieux à faire ces prochains mois que de s’occuper à nouveau des élections présidentielles en Europe.

      Pour propager leur idéologie à grande échelle, les activistes de l’alt-right se doivent de conquérir l’#imaginaire_collectif avec leurs représentations du monde. Comme une araignée, ils nécrosent progressivement la #morale_collective et la confiance que les citoyens ont dans leurs institutions démocratiques jusqu’à leur faire perdre tout repère. L’espoir de ces activistes est qu’alors un coup de force coordonné, jouant sur les #émotions_négatives, leur permettra de faire basculer une élection.

      Le chemin de cette nécrose est connu et documenté par la recherche en psychologie sociale, sociologie et sciences politiques. Il a été emprunté par les partisans de #Donald_Trump et a mené à l’insurrection du Capitole. En avoir connaissance nous permet de constater que nous l’empruntons déjà et que la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation vient, probablement à son insu, d’y jouer un rôle d’agent de la circulation très efficace.

      Il y a en effet un parallèle quasi parfait entre la stratégie de l’alt-right américaine et celle qui sous-tend la promotion de la notion d’« islamo-gauchisme ». Citons pour nous en convaincre quelques passages d’une excellente recherche sur ce mouvement aux États Unis. Elle se fonde sur une analyse qualitative du discours alt-right sur le forum “r/The_Donald” au sein de Reddit (McLamore and Uluğ, 2020) :

      […] La théorie des représentations sociales met en évidence la pensée dualiste et dichotomique qui distingue les catégories, c’est-à-dire les “bonnes personnes/mauvaises personnes”, les “amis/ennemis”, les “élites/nonelites”, la “majorité/minorité” (Markova, 2006 ; Staerklé, 2009 ; Staerklé, Clemence, & Spini, 2011) – et l’appartenance à ces #catégories_antagonistes est attribuée en fonction de la concordance ou de la discordance avec des #symboles, #valeurs ou caractéristiques qui sont socialement représentés (Staerklé, Clemence, & Spini, 2011)

      Les résultats indiquent que les billets[12] qui contiennent des représentations sociales ou des éléments narratifs sur r/The_Donald se concentrent largement sur les caractéristiques des libéraux/gauchistes/démocrates, y compris leurs idéologies, leurs motivations et leurs objectifs perçus, et représentent les partisans de Donald Trump et des conservateurs plus généralement par opposition à ces groupes.

      Dans les trois catégories principales les plus courantes, les billets ont pour fonction de rejeter les positions libérales et de délégitimer les opposants politiques au populisme d’extrême droite (par exemple, les libéraux, les gauchistes, les marxistes, les militants des minorités, les militants de l’immigration, les féministes, les militants queer, etc.) […]

      Ces représentations des libéraux interprètent les positions libérales comme peu sincères et/ou invalides, représentant l’opposition au #populisme d’extrême droite comme le produit d’un lavage de cerveau, et représentant les opposants au populisme d’extrême droite comme illégitimes dans leurs croyances. Ce faisant, ces représentations des libéraux fonctionnent non seulement pour rejeter les idées libérales, mais aussi pour positionner les partisans de Donald Trump et les libéraux comme des parties opposées au sein d’un récit. L’émergence de tels récits, qui représentent des groupes en tant que forces opposées ayant des buts et des objectifs incompatibles, tout en délégitimant ou en rejetant simultanément les buts et les objectifs du parti rival, est un élément essentiel de l’infrastructure sociopsychologique des conflits entre groupes (Bar-Tal, 2007 ; Bekerman & Zembylas, 2009 ; Salomon, 2004).

      Comme les représentations sociales fonctionnent comme les éléments constitutifs des récits (Liu & Hilton, 2005 ; Moscovici, 1968/2008), ces représentations des libéraux et du libéralisme contribuent à établir les bases d’une infrastructure sociopsychologique des conflits entre groupes. […]

      La #délégitimisation des musulmans et des immigrants renforce mutuellement la délégitimisation des libéraux sur r/The_Donald. En tant que tels, les libéraux ne sont pas seulement présentés comme une #menace_interne, intragroupe, par leur élitisme et leur censure perçus de la culture américaine traditionnelle, mais aussi comme facilitant ou permettant une #menace_externe, intergroupe, par leur association avec les immigrants et les musulmans, qui sont représentés sur r/The_Donald comme intrinsèquement dangereux. Ces deux processus pourraient faciliter le soutien à l’#escalade_de_la_violence, car des travaux antérieurs en psychologie sociale établissent un lien entre la menace perçue et le soutien à l’escalade du conflit et à la #violence future dans les conflits violents (Hirschberger, Pyszczynski, & Ein-Dor, 2015). Au sein de r/The_Donald, nos résultats qualitatifs suggèrent donc que les libéraux représentent à la fois une menace culturelle par leurs attaques (perçues) contre les valeurs traditionnelles de ces Redditeurs, mais aussi une menace physique tangible par leurs liens avec des groupes extérieurs qui sont représentés comme violents et dangereux. Ces perceptions de la menace, qui se chevauchent mais sont distinctes, suggèrent que, dans ces représentations, les libéraux peuvent représenter des menaces à la fois symboliques et réelles (voir Stephan & Stephan, 2000).

      Pris dans leur ensemble, les billets des principales catégories [de r/The_Donald] représentent les libéraux comme étant à la fois oppresseurs des Blancs américains et des traditions américaines, mais impuissants, s’appuyant sur la #conspiration et le #lavage_de_cerveau pour conserver leur position d’élite. […]

      Ces représentations pourraient, en théorie, évoquer une #mentalité_de_siège typique des victimes dans un conflit où elles perçoivent tout comme étant contre elles (voir Bar-Tal & Antebi, 1992). Avec cette mentalité, les personnes partageant les représentations sociales qui prévalent sur r/The_Donald peuvent se comporter comme si elles étaient assiégés parce qu’ils se perçoivent et se représentent comme tels.

      Dans sa prise de parole sur l’« islamo-gauchisme » à l’assemblée, la Ministre a justifié sa démarche en se disant “extrêmement choquée de voir au Capitole apparaître un drapeau confédéré et [qu’elle pensait] qu’il est essentiel que les sciences humaines et sociales se penchent sur ces questions qui sont encore d’actualité”. Aussitôt dit aussitôt fait, dirions-nous. Les sciences humaines et sociales se sont déjà penchées sur les dérives qui ont mené au Capitole et elles n’ont rien à voir avec l’« islamo-gauchisme ». Au contraire, comme le démontrent les extraits précédents, les événements du Capitole sont directement liés à la légitimation de termes tels que « islamo-gauchisme ».

      En résumé, la première étape pour ancrer l’#idéologie_alt-right et arriver à saboter une démocratie est de concrétiser dans l’imaginaire collectif la représentation d’un #ennemi_de_l’intérieur qui pilote nos élites et fait alliance avec des ennemis de l’extérieur (non-blancs). La notion d’« islamo-gauchisme » est en cela une #trouvaille_géniale qui véhicule en quelques lettres cette idée maîtresse. En France, l’alt-right n’aurait pu rêver mieux que l’intervention récente de la Ministre : l’« islamo-gauchisme » pourrait être en train de corrompre les têtes pensantes de nos Universités ; propos amplifié par le Ministre de l’Éducation Nationale qui le voit “« comme un #fait_social indubitable »[13]. La polémique nationale que cela a suscité est un service rendu inestimable.

      Le billard du chaos

      Le recours du gouvernement à la rhétorique de « islamo-gauchisme » révèle une perte inquiétante de repères. Après trois reprises par trois ministres différents et importants, la dernière étant assumée deux jours plus tard par une intervention à l’Assemblée Nationale puis une autre au JDD, une #stratégie_gouvernementale affleure qui révèle une certaine nervosité. Et si LREM n’était pas au deuxième tour de la présidentielle en 2022 ?

      Les mouvements sociaux de 2018, les gilets jaunes éborgnés, la pandémie qui n’en finit pas de finir, la crise économique sans précédent qui s’annonce, tout cela fait #désordre et n’a pas permis à Emmanuel Macron de développer pleinement son programme. Il y a de quoi s’inquiéter. Comme en 2017, les partis politiques semblent se résoudre à avoir Marine Le Pen au second tour, jeu dangereux étant donné les failles de notre système de vote[14]. Pour passer les deux tours, LREM devra donc éliminer LFI au premier tour, actuellement son opposant le plus structuré hormis le RN, puis battre le RN au deuxième tour. Accréditer l’existence d’un “islamo-gauchisme”, c’est à la fois affaiblir LFI en emboîtant le pas de l’extrême droite et montrer aux électeurs qui seraient tentés par le RN que, dans le domaine de la lutte contre l’islamisme radical, LREM peut tout à fait faire aussi bien, voire mieux, qu’une Marine Le Pen qualifiée de “molle” par Gérald Darmanin[15].

      Ce billard à trois bandes qui relève du “en même temps” est cependant extrêmement dangereux et a toutes les chances de devenir incontrôlable.

      Il n’y a pas de “en même temps” dans le monde manichéen de l’alt-right qui s’attaque aux personnalités avant de s’attaquer aux idées. Une fois les représentations ad-hoc adoptées, l’électeur préférera toujours l’original à la copie et l’anti-système au système. Le vainqueur de 2022 sera celui qui arrivera à contrôler le cadre dans lequel s’effectueront les raisonnements des électeurs, et si ce cadre contient en son centre le terme “islamo-gauchisme”, il est fort à parier que Macron pourra faire ses valises. Pour ne pas perdre en terrain ennemi, la meilleure stratégie est de ne pas s’y aventurer.

      Epilogue

      Pour revenir sur la question de l’indépendance des universitaires et des chercheurs qui a donné à cette polémique une couverture nationale, on remarquera qu’il y a là un exemple assez pur du mode opératoire de l’alt-right, que la Ministre, a priori à son insu, a accompagné. Comme le montre Simon Ridley (2020), l’alt-right n’est plus un activisme marginal, exercé sous couvert de la « liberté d’expression », mais un engagement dans des actions criminelles destinées à créer du #chaos et à renverser la réalité[16]. Un mode opératoire récurrent des partisans de l’alt-right est de créer un #ennemi_imaginaire contre lequel ils se positionnent en rempart, espérant ainsi créer la réaction hostile à leur encontre qui justifiera leurs actions, souvent violentes.

      L’alt-right cible de manière privilégiée la #jeunesse et les universités. L’idée qu’il puisse y avoir au sein de l’université des groupes tels que des “islamo-gauchistes” sert précisément à légitimer leur intervention dans ce milieu. On a donc ici un parfait renversement de valeurs : un groupe qui promeut des méthodes malhonnêtes et violentes essaie de faire croire à l’existence d’un pseudo-groupe pour apparaître comme un rempart salutaire.

      https://politoscope.org/2021/02/le-piege-de-lalt-right-se-referme-sur-la-macronie

    • #Blanquer voit l’"islamo-gauchisme" comme «un fait social indubitable»


      https://twitter.com/BFMTV/status/1363103524020760578

      Blanquer, je transcris ici ses propos:

      « Ce serait absurde de ne pas vouloir étudier un #fait_social. Il faut bien étudier dans ce cas là... si c’est une #illusion... il faut étudier l’illusion, et regarder si ça n’est une. Pour ma part je le vois comme un fait social indubitable, ça se voit par exemple dans les déclarations de certains politiques politiques. Quand vous avez Monsieur Mélanchon qui participe à une manifestation du CCIF où il y avait clairement des islamistes radicaux, Monsieur Mélanchon quand il fait cela tombe dans l’islamogauchisme sans aucun doute. Je veux bien après que des spécialistes de sciences politiques examinent ça, trouvent d’autres mots pour décrire le phénomène, chacun doit voir cela avec sérénité et objectivité »

    • Au soldat du déni Frédérique Vidal, la patrie résistante

      « Une diversion et un ballon d’essai » : c’est ce que j’ai répondu quand on m’a demandé mon avis sur le commentaire de Frédérique Vidal sur CNews. Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps d’y réfléchir à l’aune des persistances dans l’attaque des libertés académiques. Le déni doit cesser, à nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      « Une diversion et un ballon d’essai » : c’est ce que j’ai répondu à la journaliste du Monde quand elle m’a demandé, mardi 16 février 2021, mon avis sur le commentaire de Frédérique Vidal sur CNews, repéré par Martin Clavey (The Sound of Science). J’ai aussi précisé que je n’avais pas écouté son discours. Que je ne pouvais plus lire, ni écouter Frédérique Vidal, ma ministre de tutelle depuis plus de trois mois — car il en allait de ma santé mentale.

      Mais il en va désormais de la sécurité de toute une profession.

      Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps d’y réfléchir, à l’aune d’une connaissance approfondie acquise par la chronique quotidienne d’une grève universitaire sur academia.hypotheses.org et commençons par rappeler que l’Assemblée nationale vient d’adopter, en première lecture, un des projets de loi les plus racistes portés par un gouvernement depuis Vichy ; et un autre projet de loi « Sécurité globale » qui constitue, par ses termes, une atteinte majeure aux libertés publiques.
      Faire diversion

      Une diversion d’abord, bien réussie. Quelques jours plus tôt, Frédérique Vidal avait fait l’objet d’une sévère mise en cause publique au Sénat, à l’occasion d’un débat « Le fonctionnement des universités en temps de COVID et le malaise étudiant » à l’initiative de Monique de Marco groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, vice-présidente de la Commission Culture.

      Le réquisitoire était implacable : ces derniers mois, 20% des jeunes ont eu recours à l’aide alimentaire ; la moitié des étudiant·es disent avoir des difficultés à payer leurs repas et leur loyer, qui représente 70% de leur budget. Dans une enquête portant sur 70 000 étudiant·es, 43% déclaraient des troubles de santé mentale, comme de l’anxiété ou de la dépression.

      Face à cela, les mesures prises par le MESRI sont insuffisantes ou plutôt dérisoires, inégalitaires ; les services universitaires complètement débordés. Pierre Ouzoulias, à cette occasion, a d’ailleurs clairement établi l’importance du définancement du budget « Vie étudiante » : 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante » supprimés en novembre 2019 ; 100 millions d’euros de crédits votés en 2018 et 2019, finalement non affectés.

      Les longues files devant les distributions alimentaires trouvent dans cette politique budgétaire continue leur origine : le gouvernement ; qui a préparé la catastrophe sociale, n’a pas cherché depuis le confinement à la contrecarrer.

      Sans budget supplémentaire, Frédérique Vidal réussit également à contrecarrer toute réflexion collective sur l’aménagement des examens et des concours, jusqu’à intervenir dans une procédure judiciaire au nom de la « qualité des diplômes ».

      Ces réflexions, que nous menons tous et toutes dans des collectifs restreints, sont indispensables pourtant pour limiter les inégalités, réduire le stress qui ont conduit des étudiant∙es à se suicider et surtout mieux concentrer nos efforts sur les contenus de formation, autrement plus indispensables pour la « génération sacrifiée » ; au-delà des inégalités, nous voyons se profiler déjà de graves conséquences psychopathologiques du confinement.

      Mais les étudiant∙es ne sont pas les seul∙es à faire les frais de cette politique dont la Ministre est la première VRP, sans les responsabilités qui vont avec : siège vacant depuis le début de son mandat au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de son propre ministère ; des circulaires sans fondements, tendant uniquement à éloigner la communauté universitaire des campus.

      Pour couronner le tout, elle fait voter une loi de programmation de la recherche (LPR) —censée être une loi de finances,mais sans postes ni crédits supplémentaires — en pleine épidémie, qui s’emploie méthodiquement à attaquer l’indépendance de l’université et, en poursuivant l’expérience Parcoursup, à limiter sinon anéantir la formation universitaire supérieure publique.

      Une diversion donc, mais aussi un ballon d’essai.

      Il faut sans doute avoir suivi un an de préparation et de vote de la LPR, dans toutes ses étapes comme l’a fait le blog de veille Academia.hypotheses.org, pour comprendre que les récents propos de la Ministre sont l’exacte réplique de la demande faite par Julien Aubert et Damien Abad le 25 novembre dernier demandant la création d’une « mission d’information parlementaire sur les dérives idéologiques intellectuelles dans les milieux universitaires », où l’on repérait déjà l’anathème attrape-tout islamogauchistes.

      Pour ces compagnons de la première heure de Gérald Darmanin, il s’agissait tout à la fois de sauver le soldat Blanquer de la mission d’enquête parlementaire « Avenir lycéen » (diversion) et de préparer le terrain pour leur camarade Ministre, qui mitonnait déjà sa loi « Principes républicain » (ballon d’essai).

      Au lieu d’une agitation, il s’agissait ainsi d’une étape dans une séquence commencée avec les voeux de Marion Maréchal-Le Pen, dont les idées sont reprises par Emmanuel Macron le 10 juin, accusant des universitaires de « casser la République en deux » et continuée avec Jean-Michel Blanquer qui, le 28 octobre, met en cause les universitaires devant le Sénat, à qui la frange « Printemps républicain » des Républicains, emboîte le pas. À l’appui de leur démarche, une tribune d’universitaires est opportunément parue un mois plus tôt, invitant le pouvoir à organiser une police politique des universités.
      Le soldat du déni

      Quel ballon d’essai lance donc Frédérique Vidal qui persiste encore ce dimanche dans ce que les organismes scientifiques jugent au mieux absurde ?

      Pour le comprendre, il faut mettre en résonance deux choses : sa pratique législative, d’une part, dans son lien étroit avec l’Élysée ; les objectifs qu’elle s’était donnée avec la précédente loi, d’autre part.

      Du côté de la pratique législative, nous pouvons résumer son action comme mue par un « déni de démocratie permanent ».

      Avec Academia, à l’occasion d’une table-ronde qui s’est tenue entre les votes Assemblée et Sénat de la LPR, nous avons pu mesurer combien la ministre avait fait fi de toutes les avis et recommandations des instances consultatives, depuis la consultation des agents de l’ESR, des organismes, des organisations syndicales représentatives.

      Le plus flagrant est la mise sous le tapis de l’avis du Conseil Économique, Social et Environnemental, pourtant voté à l’unanimité, par la CGT et le Medef. La 3e Assemblée de la République avait en effet établi un constat initial assez proche du Ministère, mais en tirait des conclusions bien différentes : pour le CESE, il faut des milliards d’euros, tout de suite, des recrutements là encore massifs.

      Pour comprendre les vues diamétralement opposées, il suffit de comprendre qu’outre les avis obligatoires des instances, le gouvernement s’est dispensé d’une étude d’impact en bonne et due forme. Le projet politique n’a jamais été « analysons correctement les données du problème posé par l’ESR et tirons-en des conclusions », mais « mettons en œuvre notre plan, et établissons une stratégie et une communication pour la mener à bien ».

      Quelle était la stratégie ?

      Zéro budget, zéro création de postes, voire passe-passe budgétaire divers avant la fin du quinquennat. La stratégie de communication, digne d’un Ministère de la Vérité, a consisté à marteler « 25 milliards » sur tous les plateaux de télévision avant la fin du quinquennat Macron ; ou à parler de création de postes, quand il y multiplication de statuts précaires, mais pas de budget pour les financer non plus.

      La tactique consiste elle à opérer par coups de force à la fin du processus législatif, par le biais d’amendements votés par une « nuit noire » d’octobre : suppression de la qualification, en affaiblissant ainsi le Conseil national des universités, organe représentatif des universitaires ; création d’un délit pénal, aggravé en commission mixte paritaire en « délit d’atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements », puni de 3 ans de prison et de 45 000€ d’amendes.

      Et pour parachever le dispositif, sans considération pour conflit d’intérêt, faire nommer le Conseiller présidentiel à la tête de ce qui doit devenir l’instrument de l’achèvement de la mise au pas des universités : le Haut Conseil à l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

      En un mot, faire croire à une politique budgétaire favorable pour les universités alors qu’il s’agit de fragiliser encore leur capacité d’action, leur autonomie et leur rayonnement à l’international. Frédérique Vidal, en bon petit soldat de la macronie, fait un sans faute. Sur tout, sauf sur un point de détail, censuré par le Conseil constitutionnel comme « cavalier législatif » : le délit pénal.
      Abattre la résistance

      Pourquoi Frédérique Vidal sort-elle tout cela de son chapeau maintenant ?

      Que cherche-t-elle, à vouloir distinguer des déviances au sein de l’université ?

      Y a-t-il une volonté, sous prétexte de séparer le « savoir » des « opinions » de venir contrôler ce qui s’y dit et s’y fait ?

      Sur ce sujet, l’introduction d’un délit pénal d’un type nouveau représente un vrai danger, sous forme de première étape. Avec le projet de loi « Principes républicains », il s’agit donc d’ajouter un volet « universités » et de donner les moyens judiciaires à l’État macronien de faire plier ce qui représente un lieu historique de la formation critique des citoyens et des enseignant∙es des premiers cycles.

      Avec le délit pénal, c’est la fin des franchises académiques arrachées à l’exécutif au Moyen-Âge, et protégeant les campus universitaires des incursions non-autorisées du pouvoir exécutif.

      Déjà, on voit bien comment la fermeture des établissements d’enseignement supérieur depuis près d’un an semble moins résulter d’une gestion de l’épidémie que de buts politiques moins glorieux, comme celui de briser toute contestation. Les forces de police s’invitent désormais dans des espaces qui leur étaient interdits sans autorisation, comme jeudi dernier à Nanterre, lors d’un hommage à un étudiant qui s’était suicidé.

      Les agents publics de l’ESR, victimes d’injure, de diffamation, voire de menaces de mort, n’ont pas le soutien de leur hiérarchie dont bénéficient les agents de police, même en cas de fautes lourdes. La protection fonctionnelle, outil important des libertés académiques, ne constitue plus un bouclier pour préserver l’indépendance des agents publics.

      Il ne reste donc plus qu’une chose à faire pour compléter l’arsenal répressif, après avoir rogné les franchises universitaires et limité l’usage de la protection fonctionnelle : remettre le délit pénal « pour atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements » — qualification tellement vague qu’un courriel professionnel pourrait suffire à faire entrer l’universitaire ou l’étudiante un peu critique dans le radar des délits.

      Pour cela, Frédérique Vidal peut compter sur les mêmes sénateurs qui l’ont aidée en octobre : le président de la commission culture, et le rapporteur pour avis du projet de loi « Principes républicains ». Ces parlementaires et ceux qui ont déjà voté leurs amendements l’ont déjà prouvé : ils haïssent l’université, n’envisagent pas une seconde que l’émancipation de son milieu social et la formation à l’esprit critique relèvent des missions de l’université.

      Pour ces esprits chagrins, il faut empêcher de nuire les étudiant∙es et ceux — ou plutôt celles — qui ne partagent pas leurs idées. Pour cela, tous les moyens seront bons : même un vote à 1h du matin, entre une poignée de sénateurs. Frédérique Vidal le sait. Mardi, devant l’Assemblée nationale, c’est un signal déjà envoyé aux sénateurs et aux sénatrices par Blanquer, agissant pour le compte du président de la République : les universitaires sont complices ; elles sont donc coupables. Empêchez-les de nuire, en les arrêtant et en les emprisonnant si besoin.

      De toute cette séquence commencée il y a un an, ce que je retiens, c’est que les institutions universitaires, qui ont jusqu’à présent fait confiance à leur tutelle ― de façon mesurée mais réelle ― doivent saisir que le danger est réel ; que le déni doit cesser.

      La Ministre encore en poste, pilotée de toutes les façons au plus haut sommet de l’État par l’Elysée et le HCERES n’a plus rien à perdre. Le président de feue la République entend assouvir son désir de faire taire toute opposition, surtout si elle émane des puissants mouvements civiques en branle depuis l’an passé qui exigent une société plus juste pour tous et toutes.

      Le déni doit cesser.

      Depuis la présidence Sarkozy et le vote de la loi dite « Libertés et responsabilités des universités », les gouvernements successifs s’en prennent frontalement aux universitaires et aux étudiant⋅es en sous-finançant délibérément le service public de l’enseignement supérieur et la recherche, en en limitant l’accès, en nous imposant ainsi des conditions de travail indignes, des rémunérations horaires inférieures au SMIC et désormais en affamant les étudiant∙es — conduisant l’ensemble de la communauté universitaire dans une situation de mépris et de souffrance intolérable.

      À la souffrance s’ajoute désormais une certaine folie induite par le double-discours gouvernemental, privilégiant la diversion à la saisie du problème de la pauvreté étudiante. Radicaliser le débat public en désignant un bouc émissaire pour engendrer une peur panique participe de la fabrication du déni des réalités sociales et politiques quotidiennes de nos concitoyennes et de nos concitoyens, des jeunes particulièrement et donne une réelle assise à un pouvoir autoritaire.

      Mais un autre déni doit cesser, si on entend encore appliquer les principes constitutionnels de la République : la réactivation d’un ordre colonial et patriarcal.

      À force de nier quotidiennement les droits humains élémentaires des réfugiés, d’organiser des contrôles au faciès dès l’adolescence, en stigmatisant au sein de l’institution scolaire les enfants et les mères, de ne pas sanctionner les comportements et des crimes racistes au sein des forces de police — capables, rappelons-le, de mettre à genoux des lycéens pendant de longues heures, rejouant ainsi une scène de guerre coloniale — l’État français entend reconstituer sur son sol même une classe de sous-citoyens et de sous-citoyennes, privées des droits communs.

      La dissolution d’une association de lutte contre les discriminations, au prétexte de « complicité » de faits non avérés, se comprend ainsi : il faut désormais abattre toutes les tentatives de résistance antiraciste, féministe et de défense des libertés publiques non comme des facteurs d’émancipation mais une opposition néfaste.

      Désormais, à lire la séquence qui a commencé sur CNews et qui a « persisté » dans le Journal du dimanche hier, c’est l’université dans son ensemble qui représente une telle force de résistance. À nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      Christelle Rabier, maîtresse de conférences, EHESS (Marseille)

      1- Voir par exemple : « Le Roy le veult ! » — Circulaire d’Anne-Sophie Barthez du 22 janvier 2021

      2- Expression reprise à Anthony Cortès (Marianne) https://www.marianne.net/societe/education/frederique-vidal-la-ministre-de-lenseignement-superieur-maitre-dans-lart-d

      3- Pour lire une analyse sur l’avis cf. https://academia.hypotheses.org/25936

      4- Seuls 500 millions sont mis sur la table– soit 10 fois poins que ce que le CESE jugeait urgent de budgeter. Pour information, le Crédit impôt recherche, important dispositif d’ “optimisation fiscale”ou refus d’impôt, représente plus de deux fois le budget annuel du CNRS, masse salariale incluse.

      5- Sur le traitement différentiel des agents entre fonctions publiques et l’usage de la protection fonctionnelle comme protection politique des affidés, voir les deux billets Protection fonctionnelle : cas d’école et Courrier à la ministre : Mesure de protection de la santé et de la sécurité d’une enseignante-chercheuse.

      6- Sur le déni du sexisme universitaire, à commencer par ’invisibilisation active du travail des femmes universitaires, conceptualisé en 1993 par Margaret W. Rossiter, comme “Effet Matilda” : Margaret W. Rossiter, « L’effet Matthieu Mathilda en sciences », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 11 | 2003, mis en ligne le 16 février 2010, consulté le 22 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/cedref/503 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cedref.503. Voire également Cardi Coline, Naudier Delphine, Pruvost Geneviève, « Les rapports sociaux de sexe à l’université : au cœur d’une triple dénégation », L’Homme & la Société, 2005/4 (n° 158), p. 49-73. DOI : 10.3917/lhs.158.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2005-4-page-49.htm - à l’origine de la naissance du collectif Clashes contre les violences sexistes et sexuelles à l’université.

      7- Sur ce sujet douloureux, voir Fassin Didier, 2011, La force de l’ordre : une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Editions du Seuil ; Brahim Rachida, 2021, La race tue deux fois : une histoire des crimes racistes en France (1970-2000), Paris, Éditions Syllepse, ainsi que le documentaire de David Dufresne, Un Pays qui se tient sage, 2020.

      https://blogs.mediapart.fr/chrabier/blog/230221/au-soldat-du-deni-frederique-vidal-la-patrie-resistante

      #Christelle_Rabier

    • Note de solidarité à l’intention des chercheuses et chercheurs en poste en France

      Nous, chercheurs et chercheuses en poste en Allemagne, suivons avec inquiétude les derniers développements de la polémique en France autour du prétendu « islamo-gauchisme » dans les universités françaises ainsi que les attaques répétées faites aux recherches intersectionnelles et postcoloniales. Nous y voyons un effort ciblé pour réduire au silence certains champs de recherche qui, par leurs résultats scientifiques, remettent en question des privilèges et inégalités structurellement ancrés.

      Ce débat a des effets dévastateurs sur nos collègues dont on essaie de délégitimer le travail. Nous rejetons résolument les insinuations destinées à semer le doute sur leur intégrité scientifique. Nous voyons dans ces reproches un empiètement inacceptable sur la liberté de recherche et de l’enseignement académique. L’évaluation de la qualité académique d’une approche scientifique n’incombe pas aux ministres ou aux parlementaires, c’est une compétence primordiale de la communauté scientifique. Or, tout comme chercheuses et chercheurs font valoir les fruits de leurs recherches sur la scène publique sous forme d’un transfert des connaissances, leur travail régulier consiste également en l’évaluation des travaux de leurs pairs.

      Nous déplorons que cette polémique ait vu certains membres du gouvernement et de la majorité présidentielle apporter leur soutien à des positions et des stratégies rhétoriques jusqu’ici réservées à l’extrême droite. Nous constatons avec inquiétude ces évolutions, qui ouvrent la voie à une profonde remise en question des principes qui sous-tendent jusqu’à présent l’enseignement supérieur et la recherche.

      Le débat dépasse le seul cadre de la sphère académique française : il a une dimension européenne et mondiale. Il touche également aux valeurs communes de la coopération scientifique franco-allemande et internationale. Afin de pouvoir continuer notre travail au-delà des frontières tant disciplinaires que nationales, il est essentiel que nos collègues en France puissent poursuivre leurs recherches sans aucune intervention politique dans le choix de leurs approches théoriques, méthodologiques et empiriques. Notre échange d’idées ne saurait se faire si nos travaux étaient soumis à une conditionnalité politique.

      C’est pourquoi nous exprimons notre solidarité et notre soutien à nos collègues de toutes les disciplines qui refusent de telles tentatives d’intimidation. Nous lançons un appel solennel à Madame la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et à toutes les personnalités de l’échiquier politique qui alimentent cette polémique : nous vous demandons instamment de cesser les attaques et de revenir immédiatement à une situation de respect absolu de la liberté académique en France.

      [Nous suivons de très près les développements actuels de ce débat en France. La collecte des signatures est ouverte jusqu’au 25 février inclus. Si nous arrivons à atteindre un nombre significatif de signatures, nous transmettrons cette note aux médias français et allemands le 26 février.]
      * Solidaritätserklärung mit Forschenden in Frankreich *
      Wir, in Deutschland beschäftigte Forschende, verfolgen mit Sorge die andauernde Debatte in Frankreich um angebliche „islamisch-linke“ Strömungen an den französischen Universitäten und die wiederholten Angriffe auf intersektionale und postkoloniale Forschungsrichtungen. Wir sehen darin einen gezielten Versuch, bestimmte Forschungsfelder zum Verstummen zu bringen, welche auf Basis ihrer wissenschaftlichen Erkenntnisse zahlreiche lange bestehende Privilegien und strukturelle Ungleichheiten offenlegen.

      Diese Debatte hat eine verheerende Wirkung auf unsere Kolleg_innen, deren Arbeit man zu delegitimieren versucht. Wir weisen entschieden die Andeutungen zurück, mit denen die wissenschaftliche Integrität unserer Kolleg_innen in Zweifel gezogen werden soll. Die Bewertung der wissenschaftlichen Qualität eines Forschungsansatzes obliegt nicht den Ministerien oder Abgeordneten ; dies ist zuallererst die ureigene Kompetenz der wissenschaftlichen Community. Wenn Forschende die Ergebnisse ihrer Arbeit als Wissenstransfer in die Öffentlichkeit tragen, so ist auch dies ein integraler Bestandteil ihrer üblichen Tätigkeit.

      Wir missbilligen die Art und Weise, wie sich einige Mitglieder der Regierung und der parlamentarischen Regierungsmehrheit in der Debatte an Konzepte und rhetorische Strategien anlehnen, die bisher vor allem der extremen Rechten vorbehalten waren. Diese Entwicklung beunruhigt uns sehr, denn sie bereitet einer Entwicklung den Weg, welche letztendlich die Grundprinzipien unseres Wissenschafts- und Bildungssystem in Frage stellt.

      Die Debatte geht über das akademische Umfeld Frankreichs hinaus, sie hat eine europäische und weltweite Tragweite. Sie berührt auch die gemeinsamen Werte der deutsch-französischen und internationalen wissenschaftlichen Zusammenarbeit. Um unsere Arbeit über nationale wie fachliche Grenzen hinaus fortsetzen zu können, ist es unabdingbar, dass unsere Kolleg_innen in Frankreich ohne jede Einmischung der Politik in die Wahl ihrer theoretischen, methodischen oder empirischen Zugänge forschen können. Unser Ideenaustausch wäre erheblich gestört, wenn ihre Arbeit künftig einem politischen Vorbehalt unterläge.

      Unsere Solidarität und Unterstützung gilt deshalb allen Kolleg_innen in den Geistes-, Sozial- und Naturwissenschaften, welche derartige Einschüchterungsversuche ablehnen. Wir richten uns daher an die französische Wissenschaftsministerin sowie an alle anderen Personen des politischen Lebens, die sich hieran beteiligen : Wir fordern Sie mit Nachdruck dazu auf, diese Angriffe zu unterlassen und fortan die akademische Freiheit in Frankreich wieder vollumfänglich zu gewährleisten und zu respektieren.

      [Eine Zusammenfassung der Hintergründe zu dieser Thematik auf Deutsch finden Sie hier : https://www.sueddeutsche.de/meinung/frankreich-islamismus-hochschulen-1.5214459

      Wir verfolgen weiterhin aufmerksam den Fortgang der Debatte in Frankreich. Die Liste zur Mitunterzeichnung ist offen bis zum 25. Februar. Kommt eine signifikante Anzahl von Unterschriften zustande, übermitteln wir die Erklärung am 26. Februar den französischen und deutschen Medien zur Veröffentlichung.]
      * Appel initié par / Initiiert von *
      Dr. Philipp Krämer, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Dr. Naomi Truan, Universität Leipzig
      * Signataires / Unterzeichnende *
      Merci d’indiquer votre nom complet, votre institution, et, si vous souhaitez être tenu·e informé·e, votre adresse email institutionnelle. Si vous avez des changements urgents à proposer, merci de nous les communiquer par e-mail jusqu’au 25 février au plus tard (voir adresses ci-dessus).

      Bitte vollständigen Namen und Institution angeben, sowie Ihre Mailadresse, falls Sie über den Stand der Dinge informiert werden möchten. Bei dringenden Formulierungsvorschlägen bitten wir bis spätestens 25. Februar um eine persönliche Nachricht per E-Mail (s. oben).

      Dipl. Frank.-Wiss. Magdalena von Sicard, Universität zu Köln
      Dr. Vladimir Bogoeski, University of Amsterdam / Centre Marc Bloch
      Dennis Dressel, M.A., Albert-Ludwigs-Universität Freiburg
      Dr. Aleksandra Salamurovic, Friedrich-Schiller-Universität Jena
      Ignacio Satti, M.A., Albert-Ludwigs-Universität Freiburg
      Dr. Florian Busch, Martin-Luther-Universität Halle-Wittenberg
      Dr. Benjamin Krämer, Ludwig-Maximilians-Universität München
      Edgar Baumgärtner, M.A., Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Oliver Niels Völkel, M.A., Freie Universität Berlin
      Dr. Dorothea Horst, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Katharina Jobst, M.A., Paris Sorbonne Université
      Dr. Marie-Therese Mäder, Universität Bremen
      Lisa Brunke, M.A., Martin-Luther Universität Halle-Wittenberg
      Prof. Dr. Theresa Heyd, Universität Greifswald
      Elena Tüting, M.A., Universität Bremen
      Christoph T. Burmeister, M.A., Humboldt-Universität zu Berlin
      Dr. Marie Leroy, Goethe Universität Frankfurt
      Dr. Silva Ladewig, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Hagen Steinhauer, M.A., Universität Bremen
      Prof. Dr. Jürgen Erfurt, Goethe-Universität Frankfurt am Main
      Prof. Dr. Britta Schneider, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Dr. Andreas Frings, Johannes Gutenberg-Universität Mainz
      Anka Steffen, M.A., Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Prof. Dr. Sylvie Roelly, Universität Potsdam
      Kira van Bentum, M.A., Freie Universität Berlin
      Dr. Baptiste Gault, Max-Planck Institut für Eisenforschung, Düsseldorf
      PD Dr. Benoit Merle, Friedrich-Alexander Universität Erlangen-Nürnberg
      Lucie Lamy, M.A., Centre Marc Bloch / Université de Paris
      Annette Hilscher, M.A., Goethe-Universität Frankfurt am Main
      Dr. Giulio Mattioli, Technische Universität Dortmund
      Yasmin Afshar Fernandes Abdollahyan, M.A., Humboldt-Universität zu Berlin / Centre Marc Bloch
      Martin Konvička, M.A., Freie Universität Berlin
      Laura Bonn, M.A., Friedrich-Alexander-Universität Erlangen-Nürnberg
      Dr. habil. Béatrice von Hirschhausen, ULR Géographie-cités / Centre Marc Bloch
      Dr. Eva Schöck-Quinteros, Universität Bremen
      Mariia Mykhalonok, M.A., Europa-Universität Viadrina Frankfurt (Oder)
      Christopher Smith Ochoa, M.A., Universität Duisburg-Essen
      Dr. Zoé Kergomard, Deutsches Historisches Institut Paris
      Dr. habil. Nikola Tietze, WiKu Hamburg / Centre Marc Bloch
      PD Dr. Silke Horstkotte, Universität Leipzig
      Dr. Thomas Stockinger, G. W. Leibniz Bibliothek Hannover / Leibniz-Archiv
      Dr. Felix Hoffmann, TU Chemnitz
      Maximilian Frankowsky, M.A., Universität Leipzig
      Enora Palaric, M.A., Hertie School
      Amelie Harbisch, M.A, Freie Universität Berlin
      Dr. Johara Berriane, Centre Marc Bloch Berlin
      Prof. Dr. Andrea Geier, Universität Trier
      Dr. Andreas Bischof, TU Chemnitz
      Prof. Dr. Sabine Broeck, Universität Bremen
      Cristina Samper, M.A., Hertie School
      Patrick Bormann, M.A., Universität Bonn

      https://academia.hypotheses.org/31322
      #solidarité #solidarité_internationale

    • Frédérique Vidal. Frankreichs Ministerin für Hochschule und Forschung stürzt sich in ideologische Grabenkämpfe.

      „Islamo-Gauchisme“, Islamo-Linke - wer diesen Begriff verwendet, kann sich sicher sein, in Frankreich viel Aufmerksamkeit zu bekommen. Und so geht es nun auch der Ministerin für Hochschule und Forschung, Frédérique Vidal. Vergangene Woche sprach sie zunächst in einem Fernsehinterview davon, dass der „Islamo-Gauchisme“ die „Gesellschaft vergifte“ und damit auch die Universitäten. Vor der Nationalversammlung legte die Ministerin dann nach: Sie forderte eine Untersuchung, um zu klären, inwieweit der „Islamo-Gauchisme“ dazu führe, dass bestimmte Recherchen verhindert würden. Zudem solle untersucht werden, wo an den Universitäten „Meinungen und Aktivismus“ statt Wissenschaft gepflegt würden. Sie nannte auch direkt ein Forschungsfeld, dass ihr besonders untersuchungswürdig erschien - postkoloniale Studien.

      Mit ihrem Vorschlag hat Vidal nun große Teile derjenigen gegen sich aufgebracht, die sie als Hochschulministerin vertritt. 600 Forscher und Professoren, darunter auch der Ökonom Thomas Piketty, veröffentlichten am Freitag einen offenen Brief, in dem sie Vidals Rücktritt fordern. Vidal handele so wie „das Ungarn Orbáns, das Brasilien Bolsonaros oder das Polen Dudas“, also wie eine nationalistische Populistin. Sie greife diejenigen Institute an, in denen zu rassistischer Diskriminierung, zu Gender und zu den Folgen des Kolonialismus geforscht werde. Kritik an Vidal kam dabei nicht nur von Linken. Auch die französische Hochschulrektorenkonferenz sagte, sie sei „verblüfft“ über Vidals Idee. Das nationale Forschungsinstitut CNRS stellte klar, dass „Islamo-Gauchisme“ kein wissenschaftlicher Begriff sei und warnte davor, die Freiheit der Wissenschaft einzuschränken.

      Tatsächlich distanziert sich auch der Schöpfer des Begriffes, der Soziologe Pierre-André Taguieff, von seiner eigenen Wortfindung. Er habe 2002 mit „Islamo-Gauchisme“ eine Allianz zwischen einigen Linksextremen und muslimischen Fundamentalisten beschreiben wollen, durch die ein neuer Antisemitismus entstand. Seitdem hat sich das Wort zum Lieblingskampfbegriff der Rechten entwickelt, die Linken vorwirft, sich nur für die Diskriminierung von Muslimen zu interessieren, nicht jedoch für islamistischen Terror.

      Sonderlich präzise ist der Begriff des „Islamo-Gauchisme“ dabei nicht. Allein schon, weil er keine klare Grenze zwischen Muslimen und Islamisten zieht. In die Rhetorik der Regierung hat er dennoch Einzug gehalten. Vor Vidal verwendeten ihn bereits der Bildungs- und auch der Innenminister. Gerade Innenminister Gérald Darmanin gibt in Emmanuel Macrons Regierung die rechtskonservative Gallionsfigur. Die Angst vorm links-islamistischen Schulterschluss treibt vor allen Dingen konservative und rechte Wähler um. Laut einer aktuellen Ifop-Umfrage halten mehr als 70 Prozent der Le-Pen-Sympathisanten den „Islamo-Gauchisme“ für eine in Frankreich weit verbreitete Denkrichtung.

      Vidal reagiert auf die Kritik an ihren Äußerungen gelassen. In Interviews am Sonntag und Montag betonte sie jeweils zum einen, dass die „aktuelle Polemik“ den Blick auf die wirklichen Probleme, also auf die Not der Studenten in Corona-Zeiten, versperre. Zum anderen hielt sie daran fest, dass eine „Bestandsaufnahme“ zu linkem Aktivismus an den Universitäten nötig sei. Die 56-Jährige sieht sich dabei als Wissenschaftlerin, die „Rationalität zurückbringt“. Bevor Macron sie 2017 zur Wissenschaftsministerin machte, war die Biochemikerin Vidal Präsidentin der Universität von Nizza.

      Auch jenseits ideologischer Kämpfe stecken Frankreichs Universitäten in der Sinnkrise. Das Geburtsland des Impfpioniers Louis Pasteur hat bislang keinen Corona-Impfstoff entwickeln können. Wissenschaftler machen dafür auch die schlechte finanzielle Ausstattung der Labore verantwortlich. Diese Arbeitsbedingungen kennt Vidal gut. Vor ihrer Doktorarbeit forschte sie am Institut Pasteur.

      https://www.sueddeutsche.de/meinung/frankreich-islamismus-hochschulen-1.5214459

    • La ministre, la science et l’idéologie

      En demandant au CNRS une enquête sur l’« islamo-gauchisme » à l’université, ce sont les sciences sociales que vise Frédérique Vidal, sous prétexte qu’elles seraient gangrénées par des idéologies. Mais faut-il rappeler qu’il y a des sciences sociales parce qu’il y a des idéologies ? Et que, si les sciences sociales ne se réduisent pas à un écho des idéologies, elles n’auraient à vrai dire aucun sens si elle ne se rapportaient pas à elles. En effet, il y a des sciences sociales parce qu’il y a des problèmes sociaux, et que ceux-ci sont traversés par des positionnements idéologiques.

      https://aoc.media/analyse/2021/02/23/la-ministre-la-science-et-lideologie

      #paywall

    • « Islamo-gauchisme, le jeu dangereux de la macronie ». #André_Gunthert, sur Le Média, 23 février 2021

      Ça y est. La Macronie s’en va-t-en-guerre. Elle a décidé de lancer la bataille contre un concept à la fois fumeux et ambigu, l’islamogauchisme. Une bataille qui se mène sur un front particulier : nos universités publiques, qui seraient (et je caricature à peine) des foyers de sédition voués aux idées de Mao Tsé Toung et de l’ayatollah Khomeini. Mais au fait, c’est quoi ce mot, “islamogauchisme” ? D’où provient-il ? Pourquoi Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, prend le risque d’une confrontation avec le monde universitaire en le dégainant, et en annonçant une sorte d’audit idéologique des amphithéâtres ?

      Pour répondre à ces questions, j’ai invité André Gunthert, historien des cultures visuelles, enseignant-chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. André Gunthert a publié il y a peu sur son site imagesociale.fr, un article très instructif dont le titre est “Islamogauchisme : un épouvantail en retard d’une crise”.

      https://www.youtube.com/watch?v=kqakmGVZEFM&feature=emb_logo

      https://academia.hypotheses.org/31324

    • Macron et la bête immonde

      Le #macronisme porte en lui la #guerre. Après la guerre aux Gilets jaunes réprimés dans une violence inouïe, après celle conduite contre nos libertés fondamentales avec la loi « sécurité globale », après la loi « séparatisme » qui légalise la guerre contre les musulmans et les minorités, Macron entend conduire à son terme la guerre contre l’Université et la chimère de l’islamo-gauchisme.

      "Existe-t-il une possibilité de diriger le développement psychique de l’homme de manière à le rendre mieux armé contre les psychoses de haine et de destruction ?"

      "Pourquoi la guerre ?" Lettre d’Albert Einstein à Sigmund Freud, le 30 juillet 1932

      L’entretien donné par Frédérique Vidal ce 20 février au Journal du Dimanche aura eu au moins deux vertus. En persistant dans sa #stigmatisation des universitaires et en maintenant sa demande d’enquête sur « l’islamo-gauchisme », la ministre aura élevé au carré l’indignation des chercheurs et renforcé leur unité : en trois jours à peine, la tribune du Monde demandant sa démission a recueilli 18 000 signatures (https://www.wesign.it/fr/science/nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-freder) de personnels de l’université et de la recherche. Voir ici (https://universiteouverte.org/2021/02/22/la-ministre-vidal-doit-demissionner-plus-de-13-000-universitaires) le communiqué d’Université Ouverte et là (https://www.snesup.fr/article/frederique-vidal-doit-etre-remplacee-lenseignement-superieur-et-la-recherche-) la demande de démission d’un syndicat, parmi bien d’autres. Il est exceptionnel qu’une pétition dans le secteur de l’enseignement supérieur atteigne autant de signatures – 18 000 signatures correspond à 20 % des enseignants du supérieur. À titre de comparaison le « #Manifeste_des_100 » réactionnaires et laïcistes de la gauche égarée qui soutenaient Blanquer à l’automne dernier, apparait, avec ses 258 signataires, tout aussi inconsistant et marginal que le phénomène incriminé par Vidal, à savoir « l’islamo-gauchisme » à l’université. Dans son entretien au JDD, Vidal, après l’avoir fait descendre très bas, souhaite qu’on « relève le débat ». Elle voulait probablement dire « élever le débat ». Ce sont les universitaires qui souhaitent aujourd’hui que l’on « relève » la ministre de ses fonctions.

      La seconde vertu de l’entretien au JDD est d’asseoir une lecture politique de la séquence qui laisse peu de place à l’hypothèse de la #maladresse d’une ministre fatiguée et très impopulaire, qui ne saurait plus quoi faire pour masquer son #incurie et son #incompétence dans la gestion de la crise sanitaire à l’université. Il apparaît en effet que nous avons affaire à la construction délibérée d’une #séquence_politique dans laquelle Vidal est une pièce maîtresse dans un dispositif étroitement associé à la construction de la loi sur « les séparatismes » et à la loi « sécurité globale » (voir ici la très bonne analyse de Christelle Rabier : https://blogs.mediapart.fr/chrabier/blog/230221/au-soldat-du-deni-frederique-vidal-la-patrie-resistante). Il convient de raisonner en terme de #cohérence systémique et idéologique, et non selon le registre de la #pulsion ou de l’#improvisation. La séquence commence le 22 octobre avec la sortie de #Blanquer contre les universitaires islamo-gauchistes accusés de « #complicité_intellectuelle avec le #terrorisme » (ici chaque mot compte), accusation à laquelle Vidal répondra très mollement dans L’Opinion le 26 octobre (https://www.lopinion.fr/edition/politique/l-universite-n-est-pas-lieu-d-encouragement-d-expression-fanatisme-227464). La séquence se poursuit le 1er novembre avec le #Manifeste_des_100, co-produit par le cercle de « #Vigilance_Universités » (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-) dont la majorité des publications est également accueillie dans le journal libéral et pro-business de L’Opinion. Et nous assistons aujourd’hui au troisième acte avec l’attaque de Vidal contre l’institution qu’elle est censée représenter. Le quatrième acte sera probablement l’appui des réactionnaires/laïcistes à la demande d’enquête de Vidal. Et le cinquième la réalisation de l’enquête en question, même si on ne connaît pas encore l’instance qui trouvera les quelques volontaires pour la conduire.

      Les avantages de la séquence ont été soulignés à mainte reprises : le coup de politique politicienne vise à racoler toujours plus loin sur les terres du RN, à attaquer la gauche et à la diviser davantage – il n’est pas anodin que Vidal s’en soit prise nommément à Mélenchon – et à faire oublier l’état calamiteux dans lequel Vidal a mis l’université et la recherche, les personnels et les étudiant.es. Les conséquences, calamiteuses au plan éthique et politique, sont principalement les suivantes : la création d’une #polémique qui cherche à faire oublier que des étudiant.es se suicident ou meurent de faim ; la #validation, la #banalisation et le renforcement des thèses du RN ; la #légitimation du concept d’islamo-gauchisme auprès de l’opinion publique alors qu’il est une construction de l’extrême droite ; la porte ouverte à l’alt-right, dont l’un des schèmes de la pensée est que l’université serait un ramassis de gauchistes, ainsi que le rappelle justement David Chavalarias dans son étude (https://politoscope.org/2021/02/islamogauchisme-le-piege-de-lalt-right-se-referme-sur-la-macronie). Tout ceci est entendu, mais nous ne pouvons en rester à cette seule analyse. Car les armes utilisées par les néolibéraux pour faire la guerre aux biens communs, aux services publics, aux libertés fondamentales et à toutes les minorités, ces armes sont celles-là mêmes que les régimes les plus autoritaires utilisent systématiquement. On peut au moins commencer à le montrer.

      *

      Reprenons ! Le passage de la ministre sur CNews, le choix de cette chaine ainsi que l’adéquation des propos de Vidal à sa ligne éditoriale et idéologique qui est celle de l’extrême droite raciste et nationaliste, renforcent la lecture d’une #stratégie_politique élaborée en amont, nécessairement en lien avec le sommet de l’Etat, avec l’accord de #Macron et #Castex. Dès lors, la critique de Macron rapportée par Gabriel Attal doit être comprise comme une nouvelle tartuferie d’un pouvoir qui nous a habitués à toutes les comédies du « #en_même_temps », avec son lot de #mensonges, son #hypocrisie permanente et son #cynisme consommé. On trouvera une preuve évidente de la tartuferie de Macron dans le fait que dès le 2 octobre 2020, soit 20 jours avant la sortie de Blanquer, le président, lors de son discours des Mureaux sur le « #séparatisme_islamiste », a porté la charge contre les #intellectuels qui « sont hors de la République », contre certaines « #traditions_universitaires » et des « théories en sciences sociales totalement importées des États-Unis d’Amérique ». Des théories que Vidal, dans un #confusionnisme digne des complotistes les plus dérangés, n’hésitera pas à mettre en rapport avec la prise du Capitole et le drapeau des Confédérés… En d’autres temps, la séquence aurait pu provoquer le rire, tant la farce politique semble énorme, tant la bêtise est confondante. Mais, de la bêtise à la bête, il n’y a souvent qu’un pas. Car, si une analogie pouvait avoir du sens, il me semble que nous assistons à la pièce que #Brecht écrivit en 1941, La résistible Ascension d’Arturo Ui, dont l’épilogue est bien connu : « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la #bête_immonde ». Je laisse chacune et chacun imaginer ce à quoi pourrait bien correspondre, aujourd’hui, le trust des choux-fleurs. Et retrouver qui fit l’éloge de Pétain en 2018. Sans mémoire et sans éthique, un homme politique porte en lui un #monstre.

      « La bête immonde » est donc à l’œuvre. Elle use de trois moyens, parmi bien d’autres : elle fait exister une chose qui n’a aucune réalité, elle crée des #boucs_émissaires et elle programme de les éradiquer de la société. Les deux premières étapes ont été méthodiquement appliquées. Si nous n’y prenons garde, la troisième pourrait être mise en œuvre rapidement. Elle a peut-être déjà commencé.

      Il en va du « séparatisme » comme de « l’islamo-gauchisme » : l’incrimination de « séparatisme » crée le « séparatisme », l’incrimination d’« islamo-gauchisme » crée « l’islamo-gauchisme » . En effet, il arrive que dans certains états autoritaires les lois fassent exister des choses qui n’existent pas, simplement en les nommant. En #Turquie on accuse des chercheur.e.s de terrorisme pour la conduite d’une enquête sociologique. C’est ce qui est arrivé à Pinar Selek. En France les propos et la communication de Blanquer, Vidal, Darmanin et Macron font exister l’islamo-gauchisme par le simple fait d’utiliser, de propager et de banaliser le concept : le donner en pâture aux médias qui s’en repaissent et à une opinion publique fragilisée en temps de pandémie, suffit à faire exister une chose qui n’a pourtant aucune réalité effective. C’est une #politique_du_performatif : je fais exister la chose en la nommant. La vérité et la force du concept seront proportionnels à sa #viduité, c’est-à-dire à son aptitude à être rempli par de l’impensé, du fantasmatique et de l’idéologie. Vidal elle-même concède dans le JDD que le concept n’a aucun fondement scientifique et correspond à « un #ressenti de nos concitoyens ». Une enquête sur un ressenti : Vidal ou l’art du #vide. Mais une stratégie qui marche à plein.

      Car l’invention du concept est pleine de sens. L’idéologie qui la sous-tend est toute entière dans la relation entre les deux concepts : elle est dans le tiret entre #islamisme et #gauchisme, l’association de la #gauche à l’#islam_politique et, par glissement, de la gauche au #terrorisme_islamiste. Et encore, pour finir, elle produit cette double équation : gauche = islamisme = terrorisme. Le #monstre_idéologique créé par Macron, Vidal and Co est le suivant : les universitaires sont des gauchistes, des islamistes et des terroristes. L’opinion a désormais ses boucs émissaires, désignés, dénoncés et bientôt nommés : les musulmans, les gauchistes et les universitaires. L’association des universitaires aux seconds et premiers construit un #schème_imaginaire de la #radicalisation et du danger. Ce n’est plus seulement de l’#anti-intellectualisme primaire, ce qui devrait en soi faire honte à une ministre le l’enseignement supérieur, mais une véritable #incitation_à_la_haine.

      Il sera donc non seulement légitime, mais urgent – troisième étape - de couper le membre gangréné que les « islamo-gauchistes » constituent au sein de l’université et qui risque de pourrir, tout comme l’islam menace de gangréner la totalité du corps social. Ce schème est au-delà de la droite extrême : il est proprement fasciste. Macron, qui souhaite "décapiter" Al-Qaïda au Sahel, met dans son langage la pratique des terroristes. On a souligné que l’incrimination d’islamo-gauchiste fonctionnait sur le modèle sémantique et historique de l’incrimination de #judéo-bolchévique. L’« islamo-gauchiste » ne devient-il pas le juif de l’université, le juif des années 30 ?

      Une dernière question : quel sens y a-t-il à ce que les musulmans et les universitaires « gauchistes » soient si étroitement associés ? Question sans réponse. Mais question essentielle. Il nous faudra y répondre avant que ce pouvoir sans nom ne passe vraiment à la troisième étape. Nous n’en sommes pas loin, si l’on veut bien considérer tout l’arsenal législatif que Macron et sa majorité mettent au service de la bête immonde, de "la bête qui monte, qui monte", et de la bête qui est déjà là, en eux.

      Un épilogue, en manière d’hommage à celles et ceux qui se sont battus et se battent encore, et se battront demain, sans fin. Les Gilets jaunes ont parfaitement saisi la nature du pouvoir politique auquel ils se confrontaient : la dimension militaire de la répression policière leur a permis de comprendre dans leur chair ce qu’il en était de la #violence pure de ce pouvoir. Ils l’ont exprimé dans une chanson qui a la force des chants populaires et révolutionnaires : « Macron nous fait la guerre, et sa police aussi ». Les universitaires sont en train de comprendre la vraie nature du pouvoir qui les opprime, qui tente de les diviser, et qui les affaiblit un peu plus chaque jour en détruisant leur outil de travail, leurs libertés et leur dignité. Macron devrait y prendre garde : quand on touche à la #dignité et à la #liberté d’une communauté, elle résiste. La #résistance est en route.

      #Pascal_Maillard

      L’expression « Nous sommes la bête qui monte, qui monte… » est de Jean-Marie Le Pen, le 3 mars 1984, à quelques mois des élections européennes.

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/230221/macron-et-la-bete-immonde
      #fascisme

    • TEMOS et les libertés académiques
      Texte approuvé par l’assemblée générale des membres de l’UMR réunie le 23 février 2021

      TEMOS UMR CNRS 9016 – 23 février 2021
      Réponse à Mme Vidal, pour la défense des libertés académiques à l’Université

      Les propos de Mme Vidal, ministre de l’ESR, tenus le 14 février 2021 et réitérés le 21 février, mettent en cause « l’islamo-gauchisme » qui, selon elle, « gangrène » l’université. La ministre entend diligenter une enquête sur cette question, qui serait conduite par le CNRS, chargé de produire un « bilan » des recherches menées dans les universités afin d’établir « ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». Pour rappel, ces déclarations font suite à des propos similaires de M. Blanquer, ministre de l’EN, le 25 octobre 2020, qui, à la suite de l’assassinat du professeur Samuel Paty, dénonçait les « complicités intellectuelles » de certain·es chercheur·es universitaires qu’il désignait comme des « islamo-gauchistes ».
      Des déclarations qui vont à l’encontre de la méthode scientifique

      Il convient tout d’abord d’affirmer que, comme le souligne le CNRS dans un communiqué daté du 17 février 2021, le terme d’islamo-gauchisme « ne correspond à aucune réalité scientifique », mais relève d’une instrumentalisation politique. Il ne renvoie à aucun groupe précisément identifié qui le revendique, à aucune forme d’action collective en son nom, à aucun corps de doctrine clairement formulé comme tel qui pourraient être observés et analysés par les scientifiques. Aucune enquête sociologique, aucune observation empiriquement fondée ne permet de prétendre qu’il existe à l’Université un tel courant de pensée, à supposer que ce courant puisse être défini précisément. Le terme, mot-valise aux contours volontairement flous, n’a pour fonction que de fédérer ceux qui l’utilisent, en particulier dans les rangs de l’extrême droite. Y sont amalgamées pêle-mêle, les études postcoloniales, intersectionnelles, sur le genre et jusqu’à l’écriture inclusive… Ainsi, les prémices de la pensée de Mme Vidal relèvent tout simplement d’une contre-vérité, notamment mobilisée par des mouvements se donnant pour mission de répertorier et combattre les champs d’études précités.
      Des actes qui remettent en cause les libertés académiques

      Derrière les mots, Mme Vidal entend poser un certain nombre d’actes, dont la conduite d’une enquête sur ce supposé phénomène, présenté comme une menace pour la liberté des chercheur·es. Cette enquête aurait pour objectif d’ausculter les recherches universitaires, principalement en sciences sociales, selon leur accointance présumée avec les mouvements islamistes. Au-delà du caractère ubuesque d’une telle recherche voulue « rationnelle et scientifique » par la ministre bien que portant sur un objet dont elle reconnaît elle-même qu’il « n’a pas de définition scientifique », il apparaît, en première analyse, que ces investigations commanditées par le gouvernement remettent en cause le principe d’indépendance de la science et les libertés académiques, institutionnalisées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1984 (décision n°83-165 DC). À cet égard, la CPU a condamné dans un communiqué du 16 février 2021 une « instrumentalisation du CNRS », dont la vocation n’est pas d’enquêter sur l’université, et encore moins « d’éclaircir ce qui relève ‘du militantisme ou de l’opinion’ ». En prétendant, habilement, garantir les libertés académiques, Mme Vidal les bafoue, au mépris de la loi constitutionnelle, et laisse présager des représailles contre une partie de la communauté scientifique (à quoi bon enquêter sur ce fléau, sinon ?).
      Une récupération politique contre un projet émancipateur

      En dehors de l’effet d’aubaine politique attribuable à l’actuel gouvernement qui voit venir de nouvelles échéances électorales, ces attaques s’inscrivent dans une généalogie des ingérences politiques à l’égard de l’Université en général et des sciences sociales en particulier. Ces propos relèvent d’une forme de panique morale, argutie contrefactuelle livrant à la vindicte de l’opinion publique des universitaires diabolisé·es, dans un contexte d’angoisse au sujet de la cohésion nationale. Elle est le fait d’entrepreneurs de morale dont le dessein politique discerne un danger dans le projet émancipateur des sciences sociales. En effet, ces dernières, à travers l’épistémologie « intersectionnelle » notamment, cherchent à agencer les concepts de classe, de genre et de race dans l’étude des fondements des inégalités. Leur ambition politique, en tant que savoirs situés, est de contribuer à la réduction des inégalités et des injustices qui traversent nos sociétés. Là où leurs pourfendeurs les accusent de faire le lit des « séparatismes », les sciences sociales entendent justement réfléchir à la construction des hiérarchies sociales qui justifient les discriminations, conduisant précisément à la mise à l’écart de certain·es citoyen·nes hors de la communauté politique.
      C’est en pratiquant une histoire sociale qui cherche à définir les inégalités que des membres de l’UMR TEMOS se sont trouvé·es confronté·es à des attaques, stigmatisé·es pour leurs recherches et ce qu’ils/elles sont. En novembre 2020, un colloque en ligne sur les 50 ans du Mouvement de Libération des Femmes a été piraté et interrompu par des cyberharceleurs néo-nazis. En février 2021, une enseignante-chercheuse, #Nahema_Hanafi, a été accusée par « l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires » de faire « l’éloge de la cybercriminalité » pour avoir analysé les motivations énoncées par les cyber-escrocs ivoiriens, puis nommément exposée sur des sites d’extrême-droite. Les entraves, intimidations et instrumentalisations de ce type se sont multipliées ces dernières années. Les auteur·es de ces attaques sont justement ceux/celles qui se plaignent d’être soi-disant empêché·es dans leurs recherches par une prétendue mainmise des « islamo-gauchistes » sur l’Université. Mme Vidal, dont la fonction est précisément de protéger la communauté universitaire de ces ingérences extrémistes, prend le parti des agresseurs.

      En cela, il nous apparaît non seulement nécessaire de défendre le principe épistémologique d’indépendance de la science à l’égard des pouvoirs politiques, économiques ou religieux, condition d’une pratique scientifique objective, mais aussi de justifier le rôle politique de la science de participer à l’avènement d’un monde à la fois plus lucide et, de ce fait, plus juste.

      https://temos.cnrs.fr/actualite/temos-et-les-libertes-academiques

    • Islamo-gauchisme : une étude du CNRS pointe un « piège » pour le gouvernement

      Après les déclarations de Frédérique Vidal, une enquête du CNRS montre comment l’exécutif a offert une “exposition inespérée” à un néologisme promu par l’extrême droite.

      Aussi préoccupée par cette question que demandeuse d’une enquête en la matière, la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal devrait lire avec attention cette étude produite par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur l’emploi de l’expression “islamo-gauchisme”. Elle y constaterait, éléments objectifs à l’appui, qu’en réclamant un “bilan” sur “l’islamo-gauchisme” à l’université, elle a surtout contribué à populariser un néologisme, surtout utilisé sur Internet comme un “instrument de lutte idéologique” par l’extrême droite.

      Côté méthode, cette étude menée par le Politoscope du CNRS et rendue publique ce dimanche 21 février, a utilisé un outil permettant d’analyser “plus de 290 millions de messages à connotation politique émis depuis 2016 entre plus de 11 millions de comptes Twitter”. Un système permettant de cartographier avec précision les tweets mentionnant cette expression et d’étudier les communautés militantes qui l’utilisent, et de quelle façon.
      Surreprésentation de l’extrême droite

      “Le premier constat que l’on peut faire est que les comptes qui se sont le plus impliqués dans la promotion d’‘islamo-gauchisme’ depuis 2016 sont tous idéologiquement d’extrême droite. Le second constat est qu’il y a une forte majorité de comptes suspendus”, note David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS et auteur de l’étude. Autre point soulevé par l’article, le caractère marginal de cette expression qui, entre le 1er août 2017 et le 30 décembre 2020, n’a concerné que 0,26% du total des comptes Twitter analysés.

      Au-delà des débats sur l’origine du terme et sur sa réalité scientifique, l’étude démontre que l’expression “islamo-gauchiste” est essentiellement utilisée pour dénigrer et/ou disqualifier un adversaire. Le néologisme est ainsi “employé dans un contexte d’hostilité entre communautés politiques et non de discours programmatique, prosélyte ou de débat politique. Une analyse plus complète du contenu de ces tweets hostiles montre que les notions les plus associées à ‘islamo-gauchisme’ sont celles de traître, d’ennemi de la République, d’immoralité, de honte, de corruption ainsi que de menace, d’insécurité, de danger, d’alliance avec l’ennemi et bien sûr de compromission avec l’islamisme radical”, énumère David Chavalarias.

      Un phénomène que l’on peut mettre en parallèle avec d’autres méthodes de disqualification prisées sur Twitter, comme celles d’affubler son adversaire politique d’un patronyme oriental pour souligner sa compromission avec l’islamisme.

      “Nous sommes donc sur un terme utilisé pour ostraciser et dénigrer un groupe social particulier tout en en donnant pour l’opinion publique une image anxiogène et associée à un danger imminent. Son utilisation a pour but de polariser l’opinion publique autour de deux camps déclarés incompatibles entre lesquels il faudrait choisir : d’un côté les défenseurs du droit et des valeurs républicaines, de l’autre les traîtres aux valeurs françaises et alliés d’un ennemi sanguinaire”, poursuit le chercheur, soulignant que la communauté politique la plus ciblée à travers ce terme est la France insoumise ainsi que celle de Benoît Hamon et de ses sympathisants.
      Une “exposition inespérée”

      L’étude souligne également que la multiplication des mentions du terme “islamo-gauchisme” sur le réseau social est fortement liée à une pratique bien connue de ceux qui suivent le militantisme en ligne : l’astroturfing. Une méthode prisée par l’extrême droite consistant à multiplier les comptes bidon dans le but d’accroître la visibilité d’une thématique ou d’une fake news.

      “Avoir plus de la moitié de comptes suspendus parmi les plus prolixes sur ‘l’islamo-gauchisme’ est donc une prouesse et un marqueur très significatif de comportements abusifs et malveillants”, souligne l’étude.

      Pour résumer, nous avons affaire à un terme qui est massivement utilisé comme un outil de dénigrement, dont la visibilité a été artificiellement augmentée sur Twitter et qui était jusqu’il y a peu un anathème marginal prisé par l’extrême droite. Or, cela n’a pas empêché le néologisme de se retrouver cité à trois reprises en moins de six mois par un ministre du gouvernement Castex.

      Et c’est en s’appropriant ce vocabulaire que le gouvernement est tombé dans un piège, selon l’étude. Car en l’adoptant et en focalisant l’attention sur le danger “islamo-gauchiste” qui guetterait les universités, le gouvernement a offert à ce terme polarisateur une “exposition inespérée”.

      Pour schématiser l’effet des polémiques sur la masse des messages étudiés, les chercheurs utilisent l’image de “la mer”, décrit comme un “ensemble de comptes qui ne sont pas suffisamment politisés pour être associés à un courant politique particulier mais qui échangent néanmoins des tweets politiques”. Résultat : “les ministres du gouvernement ont réussi à faire en quatre mois ce que l’extrême droite a peiné à faire en plus de quatre années : depuis octobre, le nombre de tweets de “la mer” mentionnant ‘islamo-gauchisme’ est supérieur au nombre total de mentions entre 2016 et octobre 2020”.

      Cette explosion de la visibilité de ce néologisme s’apparente à un jeu “extrêmement dangereux” pour le chercheur, dans la mesure où cette “mer” de comptes s’intéressant au débat public est dorénavant “amenée à problématiser les enjeux politiques à partir des idées de l’extrême droite”. D’autant que la France n’est pas un cas isolé concernant l’entrisme des concepts extrêmes dans le corps social, à l’image du travail de longue haleine abattue par l’alt-right américaine et dont la réalisation la plus emblématique à ce jour s’est concrétisée par l’invasion du Capitole.

      “Il n’y a pas de ‘en même temps’ dans le monde manichéen de l’alt-right qui s’attaque aux personnalités avant de s’attaquer aux idées”, conclut l’étude. Avant de prévenir un gouvernement qui se perçoit comme un rempart contre l’extrême droite : “pour ne pas perdre en terrain ennemi, la meilleure stratégie est de ne pas s’y aventurer”.

      https://www.huffingtonpost.fr/entry/une-etude-du-cnrs-sur-lexpression-islamo-gauchisme-pointe-le-piege-qu

    • Derrière « l’islamo-gauchisme » : les semaines à venir sont celles de tous les dangers

      Don’t feed the troll. Depuis des mois, des collègues bien intentionné·es et un brin condescendant·es soutiennent qu’il ne faut pas faire de publicité aux attaques en « islamo-gauchisme », en « militantisme » et autres « dérives idéologiques » qui fleurissent de toutes parts. « Ne tombez pas dans le piège de députés en mal de notoriété », « ne venez pas perturber avec vos histoires la sérénité de l’examen par le Conseil constitutionnel de la loi de programmation de la recherche », « ne déposez pas de plainte en diffamation », « ne jouez pas à vous faire peur » : il faudrait que, du côté de la rédaction d’Academia, l’on recense tous les bons conseils qu’ont bien voulu prodiguer des collègues, des chef·fes d’établissement et des parlementaires.

      Jusqu’il y a peu, certain·es semblaient même croire que cette stratégie de l’autruche pouvait être tenable. Ils et elles y croient peut-être encore, d’ailleurs, quand on voit à quel point, depuis quelques jours, la ministre Vidal sert de paratonnerre facile à la CPU et au CNRS, alors même que c’est le président de la République, ses principaux ministres, la quasi-intégralité de la droite parlementaire et une bonne partie des député·es de la majorité qui sont désormais convaincu·es que des militant·es grimé·es en scientifiques dévoient le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche en « cassant la République en deux ». Nous sommes malheureusement déjà entré·es dans l’étape d’après, désormais, celle dont nous décrivions le processus il y a trois mois à partir de l’expérience de la dissolution du CCIF : ce qui est en jeu ces jours-ci, en effet, ce n’est plus le fait de savoir si des « dérives idéologiques » traversent l’ESR car cela, les principaux titulaires du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif en sont désormais convaincus. La seule chose sur laquelle on hésite encore au sommet de l’État, c’est sur la manière de mettre en forme, sur le plan juridique et administratif, les conséquences à tirer de cette nouvelle conviction partagée.

      Formaliser la défense de « l’université républicaine »

      Dans les couloirs du parlement et dans certains cabinets ministériels, en effet, d’âpres discussions sont en cours pour trouver les « bons » moyens de sauver « l’#universalisme_républicain » dans les universités. C’est à cet aune qu’il faut comprendre les dernières sorties de la ministre : ce qui est notable dans l’intervention de Frédérique Vidal sur CNews, ce n’est pas tant le fait qu’elle légitime de manière abjecte les attaques en « islamogauchisme » que le fait qu’elle ressente le besoin de défendre publiquement un traitement des « dérives idéologiques » dans l’ESR qui soit interne, c’est-à-dire qui se fasse par les instances de l’ESR elles-mêmes. Dans son passage sur CNews, autrement dit, Vidal ne s’adresse pas aux Français·es, ni à la communauté universitaire ; elle sait mieux que quiconque quelles sont les discussions en cours et cherche à peser sur les parlementaires et sur le gouvernement, pour imposer ce qui lui semble être le meilleur compromis entre la prétendue nécessité de sauver l’université des communautarismes et des militantismes qui l’assailliraient, d’une part, et l’obligation de respecter les libertés académiques, d’autre part.

      C’est pour cette raison que nous sommes déjà « à l’étape d’après » : les débats en cours, au sein des pouvoirs exécutif et législatif, ne sont plus désormais que des débats d’ingénierie juridique et administrative. Des débats de forme, autrement dit, car sur le fond, il existe, d’ores et déjà, un accord général sur le fait qu’il faut agir. Il faut agir, pensent-ils ou pensent-elles, car il faut apporter une réponse à « la question urgente des nouvelles formes de censure et d’intolérance qui se sont manifestées ces dernières années, ainsi que, plus largement, des rapports entre valeurs morales, engagement politique et activité scientifique », pour reprendre la formule employée dans un récent communiqué de l’association Qualité de la science française (QSF) qui est particulièrement représentatif de ce qui est devenu, au sein des cercles du pouvoir en France, la représentation très majoritaire des deux plaies qui submergeraient l’ESR, à savoir la censure et, « plus largement », le militantisme.

      Or, si la ministre a jugé utile de défendre publiquement, ces jours-ci, « sa » solution contre les « dérives idéologiques » dans l’ESR, c’est parce qu’elle sait que les discussions à ce propos sont en train de s’emballer. Le moment est charnière, en effet : nous sommes au tout début de l’examen, par le Sénat, du projet de loi confortant le respect des principes de la République – actuellement en commission, puis, à partir de la fin mars, en hémicycle – et la droite, qui y est majoritaire, est tentée d’introduire dans ce texte des dispositions sur l’ESR, comme elle a tenté de le faire à l’Assemblée. Non pas les dispositions grossières qu’ont pu proposer les député·es LR il y a quelques semaines1, mais des dispositions qui s’attaqueraient à ce qu’ils et elles conçoivent comme étant le fond du problème, à savoir – on ne se lasse pas de la formule de QSF – « la question urgente des nouvelles formes de censure et d’intolérance qui se sont manifestées ces dernières années, ainsi que, plus largement, des rapports entre valeurs morales, engagement politique et activité scientifique ».

      Les scenarii possibles

      Ce qui est presque amusant, c’est que pour répondre à une telle « question urgente », tout ce beau monde tâtonne. Juridiquement parlant, en effet, lutter contre les « dérives idéologiques » dans l’ESR est particulièrement complexe à mettre en forme, du fait de la protection constitutionnelle des libertés académiques. Academia a appris, par exemple, que le cabinet de Marlène Schiappa (en novembre dernier), puis les rapporteurs du projet de loi confortant le respect des principes de la République (ces dernières semaines), avaient sollicité Vigilance Universités à propos des mesures à prendre concernant l’ESR, mais que les membres de ce collectif – aujourd’hui débordé·es sur leur droite par l’Observatoire du décolonialisme – ont été incapables de se mettre d’accord sur la moindre proposition légistique concrète.

      Alors, comment va se mettre en forme, sur le plan juridique et administratif, la lutte contre les « dérives idéologiques » à l’université ? Il est peu probable que l’on pénalise certaines recherches et mette en prison les enseignant·es et chercheur·ses qui ne se conformeraient pas à ces interdictions. Il n’y a guère que Xavier-Laurent Salvador pour oser le proposer, il y a quelques jours sur Public Sénat, lorsqu’il comparait les études décoloniales avec le négationnisme pénalement réprimé :

      Les libertés académiques, « ce n’est pas un droit opposable à la loi. Lorsque Faurisson se lançait dans un enseignement négationniste, personne ne s’est posé la question de savoir si, oui ou non, cela relevait de sa liberté académique ».

      Non, les choses se passeront d’une manière un peu plus subtile, si l’on peut dire, et le scénario le plus probable qui se dessine désormais est le suivant, en deux pans : l’organisation d’un déni de la scientificité de certaines recherches et de certains enseignements, pour contrer le « militantisme » ; la mise en place d’un délit pénal spécial, pour contrer les « censures ».

      1) S’agissant du premier pan, la solution qui se prépare consiste non pas à pénaliser des recherches et des enseignements, mais à chercher à les exclure du champ académique, et donc du champ des libertés académiques. Un précédent papier d’Academia décrivait déjà cette dynamique, qui passe par une négation de scientificité, au travers du renvoi de certaines recherches et de certains enseignements au statut d’« opinions » ou d’« idéologies ». C’est très exactement ce que soutient la tribune d’un collectif de 130 universitaires parue dans Le Monde du 22 février :

      « Il y a bel et bien un problème dans l’enceinte universitaire, mais ce n’est pas tant celui de l’« islamo-gauchisme » que celui, plus généralement, du dévoiement militant de l’enseignement et de la recherche », qui produirait une « pseudo-science ».

      Sur ce point, on observe qu’un accord assez large est en train de se forger autour de cette option, qui présente le double avantage de préserver une régulation interne au champ académique – en conformité apparente avec les libertés académiques – tout en donnant un outil pour lutter contre la prétendue « expansion des militantismes dans l’université ». C’est cette stratégie que poursuivait Frédérique Vidal lorsqu’elle a annoncé une « enquête » du CNRS ou de l’Alliance Athena. C’est cette même stratégie que défendent les 130 universitaires de la tribune précitée, lorsqu’ils et elles en appellent au Hcéres pour lutter contre « la contamination du savoir par le militantisme ».

      L’idée de recourir au Hcéres est la plus inquiétante, car elle vient vérifier toutes les craintes que l’on pouvait avoir concernant l’usage politique croissant qui risque d’être fait de cette autorité, dont la majorité des membres, rappelons-le, est nommée par le pouvoir exécutif hors de toute proposition émanant des organismes de l’ESR (12 membres sur 23, auxquel·les il faut ajouter les deux représentants parlementaires). Il aura donc suffi de quelques mois après la nomination du conseiller d’Emmanuel Macron à la tête de cette autorité pour que nous arrivions déjà à une croisée de chemins : dès lors que les libertés académiques offrent aux enseignant·es et aux chercheur·ses une protection constitutionnelle – aussi imparfaite soit-elle – contre les immixtions extérieures, le HCERES se trouve structurellement condamné à être le réceptacle de toutes les pressions politiques sur les recherches et les enseignements menés. C’est la raison pour laquelle, rappelons-le aussi, la nomination de Thierry Coulhon représentait – et représente encore – la mère de toutes les batailles, justifiant le dépôt, début janvier, d’un recours en annulation devant le Conseil d’État, à propos duquel Academia fera prochainement un point d’étape.

      2) Ceci dit, à côté de cette instrumentalisation administrative des critères de la scientificité, il existe encore et toujours une vraie tentation d’investir le terrain pénal. À partir du moment où les titulaires des pouvoirs exécutif et législatif sont persuadés que l’ESR produit de la « censure », à partir du moment où une député de la majorité peut raconter en hémicycle, sans être démentie par quiconque, que « les partisans des thèses indigénistes, sur l’intersectionnalité » (?) « excluent tout autre débat » et que « c’est leur intolérance et une forme de totalitarisme intellectuel qu’il nous faut combattre » (Anne-Christine Lang, 3 février 2021), alors il est inévitable qu’un équivalent de l’amendement Lafon ou de l’amendement Benassaya soit de nouveau mis sur le tapis un de ces prochains jours.

      Car qui peut être pour les entraves aux débats universitaires ? Qui pourrait s’opposer à la pénalisation des entraves à l’exercice des missions de services public de l’enseignement supérieur ? On a déjà répondu plusieurs fois à ces questions sur Academia, encore récemment, si bien qu’on ne reviendra pas ici, une fois encore, sur les dangers immenses qui accompagnent les tentatives de ce type. Rappelons simplement, à titre général, que les deux tentatives ces quatre derniers mois d’introduire un délit nouveau en ce sens sont caractéristiques d’une véritable surenchère sécuritaire en cours, telle qu’on l’a connue dans d’autres domaines, mais qui, appliquée à l’université, se retournera contre les étudiantes et les étudiants en premier lieu, mais aussi contre l’université en général et contre les libertés académiques. C’est bien simple : le débat universitaire n’a en réalité pas besoin d’être protégé par un durcissement de l’arsenal répressif qui prétend faussement venir à son soutien, car les risques qui y sont associés sont bien supérieurs aux dangers auxquels il prétend répondre.

      De ce point de vue, d’ailleurs, il faut être bien aveugle à tout ce qui se joue aujourd’hui sur les terrains juridique et administratif, pour juger qu’il est opportun de comparer les atteintes aux libertés académiques actuellement en préparation, d’une part, avec la polémique qui a accompagné, sur les réseaux sociaux, la parution de l’essai Race et sciences sociales de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, d’autre part. Soutenir, comme le font d’excellent·es collègues dans une tribune publiée hier, que « beaucoup de chercheurs, a fortiori lorsqu’ils sont précaires, ont désormais peur de s’exprimer dans un débat où l’intensité de l’engagement se mesure à la véhémence de la critique et où l’attaque ad hominem tient lieu d’argument », et qualifier cette polémique de « menaces » pour les libertés académiques au même titre que toutes celles qui sont vraiment en cours, c’est alimenter directement le sentiment irrationnel d’insécurité concernant les débats dans l’ESR aujourd’hui. Et le faire dans le contexte législatif actuel, à quelques jours des débats sur le projet de loi confortant le respect des principes républicains, c’est proprement irresponsable : certain·s, au gouvernement et au parlement, n’attendent que cela pour en tirer des conséquences juridiques.

      https://academia.hypotheses.org/31344

    • Démission de Frédérique Vidal : la pression monte !
      https://universiteouverte.org/2021/02/24/demission-de-frederique-vidal-la-pression-monte

      "Nous en sommes là !!

      Libé met en Une la tribune de « Vigilance Université », collectif réactionnaire ami de « l’observatoire du décolonialisme », qui prétend que nous refuserions le « débat scientifique contradictoire » ! 1/10..."
      https://twitter.com/UnivOuverte/status/1364890298694983681

      " L’air de rien, les universalistes ont mis de l’eau dans leur vin, donnant raison à leurs critiques. Plus d’accusations sordides d’islamogauchisme, retour à la dénonciation d’une « cancel culture » fantasmée, qui permet de poser à la défense des libertés académiques …"

    • Une vague de pyromanie

      Une nouvelle polémique vient de naître chez nos voisins français, lancée dimanche sur CNews, la Foxnews hexagonale. L’islamo-gauchisme gangrène-t-il les universités ? Oui, estime la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche qui entend confier au CNRS (!) une enquête sur la question. Mardi, à l’Assemblée, elle pointait aussi du doigt les études postcoloniales.

      La réponse a été cinglante : les présidents des universités réunis ont appelé la ministre à laisser l’islamo-gauchisme, cette « pseudo-notion », « aux animateurs de CNews » ou « à l’extrême droite qui l’a popularisée », tandis que le CNRS dénonçait « les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de ‘race’ ».

      Tentative de #diversion d’une ministre peu présente sur les difficultés du corps enseignant en temps de pandémie ou celles des étudiant·e·s faisant entendre leur précarité fin janvier à Paris ? Forme de chasse aux sorcières, plutôt, nourrie à la fois par le contexte d’adoption de la loi sur le séparatisme et une présidentielle approchant à grands pas. On sait combien les chercheurs sur l’islam sont observés à la loupe, en particulier quand ils ne sont pas Gilles Kepel mais Olivier Roy ou François Burgat. Combien l’islamo-gauchisme est devenu soupçonnable – de collusion avec l’ennemi, l’islamisme radical – au point qu’un sociologue dénonce un « #néo-maccarthysme ».

      Citoyen·nes, député·es, associations : jusqu’ici, cette production sémantique aléatoire a servi à disqualifier (la gauche de) la gauche préoccupée de discriminations. Avec l’intervention de la ministre, elle étend son territoire à la recherche, qui régulièrement produit des analyses (sur les rapports sociaux de pouvoir, l’égalité des chances, la mémoire historique) contrant les puissantes manœuvres néolibérales destinées à défaire les fondements humanistes de notre démocratie. Et, à l’ère des fake news triomphantes, qui fournit des moyens de #résistance_intellectuelle. La suspicion exprimée par sa propre ministre de tutelle est de taille à ébranler profondément ceux-ci.

      Lors de leur récent face-à-face, Gérald Darmanin qualifiait Marine Le Pen de « molle » face au « péril islamique ». L’enjeu n’est donc pas seulement culturel, il est aussi politique : le « ni de droite ni de gauche » macronien de 2017 a vécu, et c’est la carte identitaire qui sera brandie pour la présidentielle de 2022. Quitte à prendre cinq millions de musulmans en tenailles d’une rhétorique boute-feu.

      https://lecourrier.ch/2021/02/18/une-vague-de-pyromanie

    • If You Thought the Culture War in the US and UK Was Dumb, Check Out France’s

      French politicians are proudly using a new term – originally coined by the far-right – to paint left-wing academics as sympathetic to Islamist terrorists.

      On the 17th of October, the day after French school teacher Samuel Paty was beheaded outside his school, threats from France’s far-right began to rain down on liberal academics across the country.

      Éric Fassin — a professor of sociology at the University of Paris 8 who had written a blog arguing the reaction to terror attacks “must at all costs avoid falling into their trap” of becoming a “conflict of civilisations” — became a lightning rod for their anger.

      “Traitor” wrote one far-right supporter on Twitter; “collaborator” added another. But one individual known in the neo-Nazi scene struck a more chilling tone with an overt death threat: “I’ve put you on my list of assholes to decapitate when it begins”.

      Fassin is among a group of French academics that supposedly embody the concept of “Islamo-gauchisme” (Islamo-leftism), a term suggesting an alliance between extremist Islamists and left-wing academics that had until recently only been used in neo-Nazi circles. The insult is levelled at those whose so-called “woke” theories point out the discrimination suffered by Muslims in France, where deep-set discrimination touches hiring, housing, policing and beyond — paralleling culture wars currently raging in the US and the UK.

      The term has found its way into the lexicon of prominent members of the French government. “Islamo-gauchisme is an ideology which, from time to time, leads to the worst,” Education Minister Jean-Michel Blanquer told French radio station Europe 1. Then Gérarld Darmanin, France’s right-leaning Minister of the Interior, used the term in the National Assembly, referring to “intellectual accomplices” in terrorist acts.

      On Sunday, events took a dramatic turn. Frédérique Vidal, the University Minister, went on TV channel CNews and denounced how Islamo-gauchisme “plagues society as a whole” and pledged to launch an investigation into academic research considered in breach, particularly postcolonial studies.

      “They are in the minority and some do it to carry radical ideas or militant ideas … always looking at everything through the prism of their desire to divide, to fracture,” she said, likening it to an alliance between Mao Zedong and Ayatollah Khomeini.

      The comments have sparked outrage. On Tuesday, France’s Conference of University Presidents called for the debate “to be elevated” and that the government should not talk “nonsense.” On Wednesday, the French National Centre for Scientific Research, who Vidal said should carry out the investigation, criticised the “political exploitation that is... emblematic of a regrettable instrumentalisation of science.” On Thursday, daily newspaper Libération dedicated its front page to the debacle, quipping that Vidal had “lost her faculties”.

      However, for Fassin, and numerous other academics across France, the efforts to target them are cause for serious concern and could pose a very real danger. “This is very worrying,” he told VICE World News. “This is a political attempt to control knowledge. One imagines that it will not succeed, but the effect sought is intimidation. Above all, it helps to justify repression.”

      Frédéric Sawicki, professor of political science at Paris 1 University Panthéon-Sorbonne, said he felt “targeted” by the move. “If you declare yourself hostile to the ban on the wearing of the veil or to the organisation of a mandatory minute of silence in schools after a terrorist attack,” he said. “You are therefore an accomplice and as a consequence, you become an ‘Islamo-left-winger’!”

      “I am outraged,” he added. “The French Republic, except during the period of the Vichy regime, has always protected academic freedom. The Minister should protect this freedom at the foundation of any democracy.”

      Eyebrows have also been raised at the timing of the move by Vidal, with protests in response to the widespread problem of sexual assault on campus and huge numbers of students forced into financial uncertainty during the pandemic – leading to snaking queues for the subsidised university canteens.

      “The minister’s words are just a political diversion to make us forget her catastrophic management of higher education and research,” said Léon Thébault, a student at SciencesPo University Paris. “If Frédérique Vidal put as much energy into fighting these problems as she does into the media show, we wouldn’t have any more students living in precarity. She is out of touch with universities and students.”

      Michel Deneken, president of the University of Strasbourg, said the underlying motives behind Vidal’s announcement are purely political. “The regional and presidential elections are on the horizon,” he said. “The government is using this as a way to capture the support of the right. [Right-wing daily newspaper] Le Figaro writes every day about Islamo-gauchisme every day now.”

      French Muslim campaign groups express little doubt that it is an attempt to flirt with the far-right. “One has the impression that every week they want to find a new reason to talk about Islam,” said Sefen Guez Guez, a lawyer for the Collective Against Islamophobia in France (CCIF).

      But the French government’s crackdown on campuses also extends to legislation to limit research that is deemed unacceptable. The Senate last month adopted a bill setting the research budget for French universities, and while it is yet to pass through the National Assembly, critics say will curtail student protests and put freedom of research at stake by requiring it to “align with the values of the republic.”

      Rim-Sarah Alouane, a French legal academic and PhD candidate in comparative law at the University Toulouse Capitole, said “the vast majority of people working in academia are shocked and terrified for the future of research in this country”. She added that French academia has been “falling apart” due to budget cuts and lack of recruitment.

      For Alouane, it’s the latest in a long line of tightening of civil freedoms, including the controversial separatism law – aimed at tackling the Islamist terrorism that has grown since 2015 but labelled Islamophobic by rights groups – that was passed by the National Assembly, and the Global Security law, which at the end of last year proposed banning the filming of police, despite several high-profile cases of police violence.

      “You need to integrate this kind of announcement into a broader scope which is the hyper securitisation of our society, that is processed by limiting civil liberties on the ground of national security and public order,” she said.

      It comes as part of a wider reckoning in France, with “woke” leftist theories on race, gender and post-colonialism said to be imported from the US and the UK the target of the government’s ire. “There’s a battle to wage against an intellectual matrix from American universities,’’ Blanquer said in October.

      Philippe Marlière, professor of French and European Politics at University College London, says that those Anglophone countries are themselves facing battles over freedom of speech, “wokeness” and so-called “cancel culture” at universities.

      “I think that there’s a bit of a deja-vu with what’s happening in the UK,” he said. “But the French situation is far worse. In the UK, the attacks remain quite implicit, but in France the government is trying to taint the personalities and reputations of academics. These are highly dangerous means that is the usual approach of the far right.”

      Marlière, who has himself been the target of far-right attacks – including in a recent article claiming he “has not ceased to work to promote racialist ideology” – warns there could be serious repercussions for this approach.

      “France is in complete denial when it comes to race,” he said. “Islamo-gauchisme is of course an insult. It’s almost a physical aggression because you put people at risk. What is remarkable is that it’s becoming more mainstream.”

      The Ministry of Higher Education, Research and Innovation did not respond to a request for comment. But government spokesman Gabriel Attal said on Wednesday that French President Emmanuel Macron has “an absolute attachment to the independence of teacher-researchers.”

      https://www.vice.com/en/article/jgq9m4/if-you-thought-the-culture-war-in-the-us-and-uk-was-dumb-check-out-frances

    • Aux sources de l’« islamo-gauchisme »

      Le philosophe #Pierre-André_Taguieff revient sur les origines d’un concept qu’il a contribué à forger. Selon lui, les usages polémiques discutables du terme ne doivent pas empêcher de reconnaître qu’il désigne un véritable problème : la #collusion entre des groupes d’extrême gauche et des #mouvances_islamistes de diverses orientations.

      En France, à entendre les clameurs qui montent de l’arène politico-médiatique, le nouveau grand clivage serait celui qui oppose les « islamo-gauchistes » aux « islamophobes ». Cependant, rares sont ceux qui s’assument soit en tant qu’« islamo-gauchistes », soit en tant qu’« islamophobes », sauf par provocation. L’« islamophobe » ou l’« islamo-gauchiste », c’est toujours l’autre. Ces termes d’usage polémique sont des hétéro-désignations. Mais il serait naïf de reprocher à des termes politiques d’être polémiques. En les employant, on vise à stigmatiser un individu ou un groupe, pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

      Face aux « islamophobes » se tiendraient donc les « islamo-gauchistes », censés être islamophiles. Mais l’opposition est faussement claire. Il y a en effet de très nombreux citoyens français, de droite et de gauche, qui considèrent que l’islamisme, sous toutes ses formes, constitue une grave menace pour la cohésion nationale et l’exercice de nos libertés. Peuvent-ils être déclarés « islamophobes » ? C’est là, à l’évidence, un abus de langage et une confusion entretenue stratégiquement par les islamistes eux-mêmes. Ils sont en vérité « islamismophobes », et ils ont d’excellentes raisons de l’être, au vu des massacres commis par les jihadistes, du séparatisme prôné par les salafistes et des stratégies de conquête des Frères musulmans. Mais ils n’ont rien contre l’islam en tant que religion, susceptible d’être critiquée au même titre que toute religion. Quant aux « islamismophiles » d’extrême gauche, ils sont de deux types : il y a d’abord ceux qui, sur les réseaux sociaux, applaudissent les attaques jihadistes, ensuite ceux qui, intellectuels ou acteurs politiques, s’efforcent de justifier le comportement des islamistes en arguant que ces derniers ne font que réagir aux discriminations dont sont victimes les musulmans.

      À lire aussiEn finir avec l’« islamo-gauchisme » ?

      Il est de bonne méthode de revenir au moment de la formation de l’expression « islamo-gauchisme » en langue française. Il se trouve que, sur la question, j’ai joué un rôle, ce qui me permet d’intervenir en tant que témoin direct. C’est à partir de mes enquêtes, au début des années 2000 alors que débutait la seconde Intifada, sur des manifestations dites propalestiniennes où des activistes du Hamas, du Jihad islamique et du Hezbollah côtoyaient des militants gauchistes, notamment ceux de la LCR (devenue en 2009 le NPA), que j’ai commencé à employer l’expression « islamo-gauchisme », forgée par mes soins. Au cours de ces mobilisations, les « Allahou akbar » qui fusaient ne gênaient nullement les militants gauchistes présents, pas plus que les appels à la destruction d’Israël sur l’air de « sionistes = nazis ».
      Valeur descriptive

      L’expression « islamo-gauchisme » avait sous ma plume une valeur strictement descriptive, désignant une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche, au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle cause universelle. Elle intervenait dans ce qu’on appelle des « énoncés protocolaires » en logique. J’ai utilisé l’expression dans diverses conférences prononcées en 2002, ainsi que dans des articles portant sur ce que j’ai appelé la « nouvelle judéophobie », fondée sur un antisionisme radical dont l’objectif est l’élimination de l’Etat juif. Pour ne prendre qu’un exemple, dans mon article synthétique intitulé « L’émergence d’une judéophobie planétaire : islamisme, anti-impérialisme, antisionisme », publié dans la revue Outre-Terre, j’évoque la « mouvance islamo-gauchiste » en cours de formation.

      Il faut par ailleurs être d’une insigne mauvaise foi pour laisser entendre, comme le font certains aujourd’hui sur les réseaux sociaux, que je voulais par là assimiler insidieusement islam et islamisme, alors que tous mes écrits sur la question témoignent du contraire. Je n’allais pas forger, pour éviter de donner prise aux lectures malveillantes, une expression juste mais un peu lourde du type « islamismo-gauchisme », qui n’aurait d’ailleurs pas empêché des gens de mauvaise foi de s’indigner.
      « Judéo-bolchevisme »

      Que, mise à toutes les sauces, l’expression ait eu par la suite la fortune que l’on sait, je n’en suis pas responsable. Mais ses usages polémiques discutables ne doivent pas empêcher de reconnaître qu’elle désigne un véritable problème, qu’on peut ainsi formuler : comment expliquer et comprendre le dynamisme, depuis une trentaine d’années, des différentes formes prises par l’alliance ou la collusion entre des groupes d’extrême gauche se réclamant du marxisme (ou plutôt d’un marxisme) et des mouvances islamistes de diverses orientations (Frères musulmans, salafistes, jihadistes) ? Pourquoi cette imprégnation islamiste des mobilisations « révolutionnaires » ?

      Ecartons pour finir un argument fallacieux, souvent repris sur les réseaux sociaux, qui consiste à rapprocher, pour la disqualifier, l’expression « islamo-gauchisme » de l’expression « judéo-bolchevisme ». Lorsqu’elle s’est diffusée, au début des années 20, dans certains milieux anticommunistes et antisémites, l’expression « judéo-bolchevisme » signifiait que le bolchevisme était un phénomène juif et que les bolcheviks étaient en fait des Juifs (ou des « enjuivés »). Il n’en va pas du tout de même avec l’expression « islamo-gauchisme », qui ne signifie pas que le gauchisme est un phénomène musulman ni que les gauchistes sont en fait des islamistes. L’expression ne fait qu’enregistrer un ensemble de phénomènes observables, qui autorisent à rapprocher gauchistes et islamistes : des alliances stratégiques, des convergences idéologiques, des ennemis communs, des visées révolutionnaires partagées, etc.

      C’est ainsi qu’on observe, d’une part, que des militants marxistes-léninistes passés au terrorisme, tel Carlos, se sont rapprochés des milieux islamistes, jusqu’à se convertir à l’islam en version Al-Qaïda et à prôner un front islamo-révolutionnaire « contre les Juifs et les croisés ». Et que, d’autre part, des islamistes se sont ralliés au drapeau du tiers-mondisme, puis à celui de l’altermondialisme (tel Tariq Ramadan), avant de donner dans le postcolonialisme et le décolonialisme pour accuser les sociétés démocratiques occidentales de « racisme systémique ». C’est ainsi qu’un pseudo-antiracisme importé des campus étatsuniens, représentant une nouvelle forme de racialisme militant désignant « les blancs » comme les seuls racistes, est devenu à la fois un moyen d’intimidation et un puissant instrument de mobilisation, principalement d’une partie de la jeunesse.

      Les querelles de mots ne doivent pas nous empêcher de voir la dure réalité, surtout lorsqu’elle contredit nos attentes ou heurte nos partis pris.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/10/26/aux-sources-de-l-islamo-gauchisme_1803530

    • Une quatrième raison de la nécessaire démission de Frédérique Vidal

      Dans la course à l’échalote identitaire qui met désormais en compétition le Rassemblement national, Les Républicains et La République en marche l’extrême-droite ne pouvait pas rester à la traîne. Sur l’un de ses sites un individu livre donc à la vindicte publique « 600 gauchistes complices de l’islam radicale qui pourrissent l’Université et la France ».

      Aux trois raisons qui d’emblée rendaient nécessaire la démission de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, à la suite de ses déclarations sur CNews et dans le Journal du Dimanche et de sa décision de demander au CNRS d’enquêter sur la présence de l’ « islamo-gauchisme » au sein de l’Université, s’en ajoute maintenant une quatrième.

      Comme il fallait s’y attendre de premières listes de dénonciation circulent. Julien Aubert, député LR du Vaucluse, en avait pris l’initiative dès l’automne en stigmatisant nominativement des universitaires.

      Dans la course à l’échalote identitaire qui met désormais en compétition le Rassemblement national, Les Républicains et La République en marche l’extrême-droite ne pouvait pas rester à la traîne. Sur l’un de ses sites un individu livre donc à la vindicte publique « 600 gauchistes complices de l’islam radicale (sic) qui pourrissent l’Université et la France ».

      Il ne s’agit de nuls autres que les signataires de la pétition publiée par Le Monde et demandant la démission de la ministre. Tant qu’à faire il eût été plus honnête de parler des 17 000 « gauchistes complices de l’islam radicale, etc. » puisque la pétition a aujourd’hui recueilli ce nombre de signataires – et ceux-ci continuent d’affluer.

      La lecture de cette liste de « gauchistes complices de l’islam radicale, etc. » est en elle-même assez comique. S’y retrouvent pêle-mêle des universitaires dont la plupart n’ont jamais écrit une ligne sur l’islam, la décolonialité, les genres ou je ne sais quelle autre phobie du bloc identitaire dont se réclame désormais sans fard la macronie, mais protestent tout simplement contre l’atteinte ministérielle à la liberté académique. Il y a en elle un côté inventaire à la Prévert désopilant quand on connaît les personnes mises en cause.

      Une fois de plus il se vérifie que les obsédés de l’ « islamo-gauchisme » et autres fadaises identitaristes parlent de choses qu’ils ne connaissent précisément pas ni ne comprennent.

      C’est par exemple ce qui les a amenés à auditionner à l’Assemblée nationale, le 1er mars, Bernard Lugan, enseignant à l’Université nationale du Rwanda de 1972 à 1983, puis à l’Université Lyon-III de 1984 à 2009, négationniste du caractère prémédité du génocide des Tutsi en 1994, polygraphe apprécié de Saint-Cyr et des nostalgiques de l’apartheid pour son insistance sur l’explication ethniciste du politique en Afrique à défaut de l’être par la corporation des historiens africanistes patentés, pour qu’il livre son expertise sur… l’opération Barkhane, en dépit de son ignorance complète du Sahel.

      Alors que l’Université et le CNRS abritent, à défaut d’ « islamo-gauchistes », nombre d’excellents spécialistes de la région, toutes disciplines, toutes générations et, horresco referens, tous genres confondus, dont le député France insoumise Bastien Lachaud s’est fait un malin plaisir de rappeler quelques noms à la présidente de la commission de la Défense nationale et des forces armées.

      Nous en sommes là.

      L’#idéologisation du savoir vient bel et bien du gouvernement, à l’initiative du président de la République lui-même, dans le cadre de la stratégie de sa réélection en 2022, comme le soulignent un nombre croissant d’observateurs de la vie politique française. J’avais moi-même parlé de maccarthysme après les déclarations de Jean-Michel Blanquer, dans ma tribune du Monde du 31 octobre.

      Au train où nous allons il faudra bientôt parler de lyssenkisme.

      Quoi qu’il en soit, Frédérique Vidal, déjà désavouée par la Conférence des présidents d’Université, l’alliance Athéna et la direction du CNRS à la suite de ses déclarations délibérées et destinées à complaire à son maître présidentiel, va devoir désormais exercer sa tutelle ubuesque sur des institutions qui vont accorder (on ne peut imaginer qu’elles se dérobent) leur protection fonctionnelle à une partie de leur personnel livrée à la haine en ligne, au harcèlement moral, voire – qu’à Dieu ne plaise – à des agressions physiques commises par quelque tête brûlée, à la suite des déclarations irresponsables qu’elle a elle-même faites et réitérées.

      Choisira-t-elle d’attendre qu’un quelconque groupe Charles Martel casse la gueule de Christelle Rabier, Sophie Wanich, Eric Fassin, Samuel Hayat et autres « islamo-gauchistes » pour qu’elle tire les conséquences de son cynisme électoral ?

      Ce gouvernement commence à sérieusement puer les années trente…

      https://blogs.mediapart.fr/jean-francois-bayart/blog/030321/une-quatrieme-raison-de-la-necessaire-demission-de-frederique-vidal

    • Islamo-gauchisme : « Nous ne pouvons manquer de souligner la résonance avec les plus sombres moments de l’histoire française »

      Près de 200 universitaires du monde anglophone, parmi lesquels #Arjun_Appadurai, #Judith_Butler, #Frederick_Cooper et #Ann_Stoler, et plusieurs organisations universitaires dénoncent la « chasse aux sorcières » menée par la ministre Frédérique Vidal.

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      Nous écrivons pour exprimer notre profonde consternation devant la récente requête de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, demandant au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de diligenter une enquête sur les agissements « islamo-gauchistes » dans les universités françaises.

      Nous regrettons qu’après le passage par le gouvernement français d’une loi sur le « séparatisme » ayant déjà accentué la stigmatisation de musulmans en France, ce soit désormais aux universitaires d’être accusés de polariser les débats publics. L’idée que l’on puisse surveiller des enseignants-chercheurs sous prétexte du « dévoiement militant de la recherche » est dans les faits une menace directe de censure qui nous inquiète à plus d’un titre.

      Tout d’abord, l’Etat n’a ni le droit ni la compétence pour censurer les travaux d’universitaires qui s’appuient sur leur expertise pour contribuer à l’avancée du savoir dans nos sociétés. C’est un précédent dangereux qui ne saurait être toléré dans une société démocratique.
      Fanon, Sartre, Bourdieu…

      L’argument selon lequel des universitaires, soi-disant « islamo-gauchistes », risquent de diviser la société est dans les faits un effort visant à diffamer nos collègues. Cette #attaque est de surcroît justifiée au nom de la protection de la République face à l’alliance supposée entre une partie de la gauche et un groupe religieux.

      Nous ne pouvons manquer de souligner la résonance avec les plus sombres moments de l’histoire française, et notamment avec un discours attaquant les « judéo-bolcheviques » qui déjà servait à créer l’#amalgame entre engagements politiques et religieux.

      Par ailleurs, les approches actuellement sous le feu de la critique ont été directement inspirées par quelques-unes des plus brillantes figures de la tradition philosophique, littéraire et sociologique française. En tant que chercheurs travaillant aux États-Unis et ailleurs, nous sommes redevables intellectuellement envers la France pour avoir contribué par ses universités à l’émergence de penseurs tels que #Frantz_Fanon, #Albert_Memmi, #Hélène_Cixous, #Aimé_Césaire, #Paulette_Nardal, #Jean-Paul_Sartre, #Pierre_Bourdieu, #Louis_Althusser, #Jacques_Derrida et #Michel_Foucault.

      La plupart de ces figures n’étaient pas seulement des penseurs, mais aussi des individus impliqués dans des #luttes_politiques prolongées pour rendre nos sociétés meilleures. Ces #intellectuels_engagés sont devenus les piliers des diverses approches qui sont désormais attaquées sous le nom de « #post-colonialisme. »

      Censure

      Qu’un pays qui a tant contribué à faire avancer la #pensée_critique tourne ainsi le dos à son #patrimoine_national n’est pas seulement alarmant, c’est aussi dénué de vision à long terme. Nous ne demandons pas que tout le monde embrasse ces approches et reconnaisse leurs mérites, mais simplement que les universitaires français puissent en débattre et les partager avec leurs étudiants, si tel est leur bon vouloir.

      Enfin, ceux qui gouvernent l’enseignement supérieur feraient mieux de chercher des solutions concrètes au problème de la #discrimination_raciale en France, plutôt que de se lancer dans une chasse aux sorcières contre des chercheurs. Las, plutôt que de soutenir des universitaires afin de faire avancer la lutte commune pour l’égalité, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche les menace de censure.

      Plutôt que de répondre à la souffrance des étudiants dans un contexte de pandémie globale, ou aux problèmes économiques auxquels est confrontée l’éducation publique, Frédérique Vidal et ses collègues désignent des enseignants comme la principale #menace pesant sur les universités françaises.

      De nombreux signataires de la présente tribune ont bénéficié de leurs échanges prolongés avec des universités françaises, que ce soit avec des individus ou au niveau institutionnel. Nous souhaitons que cette collaboration avec nos collègues français se poursuive dans un esprit de débat ouvert et libre. C’est pourquoi nous attirons à nouveau votre attention sur les graves #dangers que ces menaces de censure font peser sur la #liberté_académique.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/04/islamo-gauchisme-nous-ne-pouvons-manquer-de-souligner-la-resonance-avec-les-

      –—

      Liste des signataires :
      https://docs.google.com/document/d/1sAvvdgTRQgx-L5XaiX2e8g76Y1hjJkxDeBRudgq3Lrg/edit

    • L’université menacée par « l’islamo-gauchisme » ? Une cabale médiatique bien rodée

      Problème public numéro un à l’université ? Depuis les déclarations de la ministre Frédérique Vidal face à Jean-Pierre Elkabbach autour des « universités en proie à "l’islamo-gauchisme" » (un des thèmes de « l’interview-tribune » de CNews), et ses velléités de commander une enquête sur le prétendu phénomène dans les facultés françaises, le sujet est traité partout dans les grands médias. Enième illustration de la capacité de ces derniers à co-construire un problème public en grossissant et déformant les faits convoqués en plus de balayer les positions du CNRS d’un revers de main, l’épisode nous invite à nous repencher sur une précédente séquence, ayant largement labouré le terrain de la cabale politico-médiatique actuelle : le « Manifeste des 100 » publié dans Le Monde en octobre 2020, et pour ce qui concerne Acrimed, ses dites « preuves à l’appui », composées majoritairement d’articles de presse.

      « Comment l’islamo-gauchisme gangrène les universités » (Une du Figaro, 12/02), « alliance entre Mao Tsé-Toung et l’ayatollah Khomeini » (Jean-Pierre Elkabbach, CNews, 14/02), « peste intersectionnelle qui ronge les facs » (Raphaël Enthoven, Twitter, 16/02), « Nos facs sont-elles gangrénées par l’islamo-gauchisme ? » (« Grandes gueules, RMC, 17/02), « Islamisme à l’université : faut-il confier l’enquête au principal suspect ? » (Le Point, 17/02), « "Islamo-gauchisme" à l’université : comment Frédérique Vidal s’est piégée » (L’Express, 19/02), « Islamo-gauchisme : la ministre persiste » (en Une du JDD, 21/02), « Islamo-gauchisme dans les universités : "Il n’y a pas lieu de faire de polémique", selon Vidal » (en interview chez RTL, 22/02), « Islamo-gauchisme : il faut sauver la soldate Vidal » proclame Franz-Olivier Giesbert qui parle lui de « totalitarisme » (Le Point, 25/02), « Universités : les nouveaux fanatiques » (LCI, 27/02)… Une nouvelle séquence de chasse aux sorcières médiatique, coproduite avec une partie de la classe politique et du gouvernement (ministre de l’Enseignement supérieur en tête), s’est déroulée en ce mois de février 2021 sur les plateaux des chaînes d’info, dans les pages de certains quotidiens nationaux et d’une grande partie de la presse magazine, en passant par les comptes Twitter des éditocrates, gagnant une nouvelle fois l’ensemble du paysage médiatique.

      Si tous les médias ne versent pas dans le même degré d’outrances, et si certains (rares) ont même (enfin) l’idée d’inviter des chercheurs jusqu’alors inaudibles dans l’espace du débat autorisé, le sujet de « l’islamo-gauchisme » – et de sa prétendue omniprésence dans les universités françaises – occupe bel et bien le haut de l’agenda. La mécanique est alimentée par d’innombrables dépêches AFP, occupées à titrer sur la moindre « petite phrase » de responsable politique, par d’intarissables « débats » et par de multiples interviews, conduites par d’infatigables journalistes tribuns… sans compter les tribunes et pseudo « enquêtes », en passant par les instituts de sondage, qui ne résistent pas à entretenir la machine médiatique (savamment sollicités par les médias eux-mêmes) en fabriquant l’opinion qu’ils prétendent sonder [1].

      Les émissions de service public n’y coupent pas non plus : « Islamo-gauchisme : entre opportunisme politique et débat scientifique » titre la matinale de France Culture (23/02), « Enquête ouverte sur "l’islamo-gauchisme" à la fac » annonce « C à vous » (France 5, 17/02) dans une discussion avec… Gérald Darmanin ; « Islamo-gauchisme : fantasme ou réelle menace politique ? » demande encore « C ce soir » (France 5, 17/02) ; « Islamo-gauchisme : la polémique » titre à son tour « C l’hebdo » (20/02), « Islamo-gauchisme à l’université : fantasme ou réalité ? » radotent « Les Informés » (France Info, 18/02), « Islamo-gauchisme : Frédérique Vidal s’invite au cœur du débat politique » ose le 20h de France 2 (21/02). Revenant sur les propos de la ministre, France Inter en fait même son « mot de la semaine » (21/02), dont le « décryptage » est confié au fin analyste et expert Renaud Dély, éditorialiste sur France Info et Arte [2]. Et le 26 février, à peine deux minutes avant la fin de l’interview matinale, Nicolas Demorand (France Inter) demande à Gabriel Attal, porte-parole de LREM, s’il « estime que "l’islamo-gauchisme" gangrène l’université […], oui, non ? »

      Pendant ce temps, les problèmes structurels qui frappent de plein fouet l’université (manque de moyens et des postes pérennes, précarité voire détresse économique et morale des étudiants, etc.) sont relégués au second plan dans les grands médias, les angles morts révélés par ce genre d’obsessions éditoriales se multipliant. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) par exemple, menée par le gouvernement actuel et encore combattue par « 114 universités et écoles, 330 labos, 30 collectifs de précaires, 157 revues, 16 sociétés savantes, 47 séminaires, 39 sections CNU et 11 sections CoNRS, 54 évaluateur·trices de l’HCERES… » [3], reste ainsi plus que jamais « d’actualité » dans les faits, quoique négligée et traitée de manière superficielle par une grande partie des médias dominants. Car rien n’y fait : déformant ou hypertrophiant certains "faits" d’actualité encore plus que d’ordinaire, la focale médiatique construit « l’islamo-gauchisme à l’université » et les théories intersectionnelles ou décoloniales comme un problème public de premier plan. Ainsi Le Figaro peut-il se fendre de trois Unes sur le sujet entre le 12 et le 26 février, et Le Point y consacrer pas moins de trois éditoriaux dans son numéro du 25 février, dont celui de BHL qui a tranché du haut de sa superbe : « Un spectre hante les universités et que ce soit celui de l’islamo-gauchisme n’est pas douteux. Que les universités […] ne puissent elles-mêmes s’y dérober et devenir je ne sais quels territoires perdus de la pensée critique me semble également l’évidence. »

      Un terrain médiatique labouré de longue date : le cas du « Manifeste des 100 »

      Il faut dire que ce discours contre l’université française (et les études post-coloniales en particulier) a gagné en amplitude depuis l’assassinat de Samuel Paty. En octobre 2020 s’étaient en effet déjà multipliés les tribunes alarmistes, les éditos survoltés et les Unes tapageuses. Et depuis, les stars de l’info n’ont de cesse d’entretenir le même climat anxiogène à coups de questions désinformées, comme ce 1er février où Léa Salamé interrogeait Gérald Darmanin :

      Si on parle de ce qui se passe dans nos universités françaises, ces idées racialistes, indigénistes, qui viennent des campus américains, cette idéologie... idée différentialiste, aujourd’hui, elle n’a pas gagné selon vous dans les universités françaises ? Vous n’avez pas l’impression qu’elle gagne du terrain chaque jour ?

      Les « polémiques » et « controverses » actuelles ne sauraient donc être abordées sans rappeler combien le terrain médiatique est labouré de longue date par des « entrepreneurs de cause », reçus à colonnes ouvertes et micros branchés.

      Revenons ainsi sur un cas emblématique. Le 31 octobre 2020, une centaine d’universitaires (auxquels se sont ajoutés cent-cinquante-huit nouveaux signataires) publiaient dans Le Monde une tribune en soutien à Jean-Michel Blanquer, lequel dénonçait au micro d’Europe 1 un « islamo-gauchisme » qui « fait des ravages à l’université » [4]. Les signataires reprenaient alors à leur compte ces graves accusations. Ils s’alarmaient en outre d’un « militantisme parfois violent » et d’un « déni » des universitaires (en général), et d’une « liberté de parole tend[ant] à [se] restreindre de manière drastique » à l’université. Que pointaient-ils du doigt ? « L’islamisme », et plus diversement « les idéologies indigéniste, racialiste et "décoloniale" (transférées des campus nord-américains) » qui nourriraient une « haine des "blancs" et de la France ». Des « idéologies » dont les signataires s’attachaient à montrer la matérialisation en-dehors de l’université, en pointant notamment « le port du voile […] qui se multiplie ces dernières années ». En conclusion, ils demandaient à la ministre Frédérique Vidal « de mettre en place des mesures de détection des dérives islamistes [à l’université], de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent, et d’engager nos universités dans ce combat pour la laïcité et la République ».

      Des « preuves à l’appui » médiatiques

      L’histoire aurait pu en rester là : une prise de position dans les pages « idées » d’un grand quotidien, comme il y en a des dizaines chaque semaine. Mais les signataires du « Manifeste » sont allés plus loin, en créant un site internet sur lequel ils revendiquent — entre autres — de mobiliser des « preuves » à l’appui de leur propos. Ce qui était « opinion » deviendrait ainsi « faits », comme on peut le lire sur la page d’accueil du site : « […] Tous les éléments rassemblés sur ce site depuis la publication du Manifeste en témoignent : articles de presse, livres, témoignages, mais aussi exemples de connivences entre des islamistes patentés et certains universitaires et chercheurs militants. […] Parlons moins mais parlons vrai. Parlons des faits. »

      Or il s’avère que le corpus des « preuves » en question est presque exclusivement constitué d’articles et d’émissions publiés et diffusées majoritairement dans les grands médias : 47 articles, cinq livres, trois émissions de radio et un documentaire [5]. Ce qui ne pouvait manquer d’interpeller un observatoire des médias comme Acrimed [6]. « Parlons des faits. » Dont acte. Nous nous sommes donc attelés à analyser et objectiver le corpus fourni : les articles/émissions cités s’appuient-ils sur des données scientifiques, statistiques et sur un ensemble d’éléments à même d’étayer les accusations contre l’université française dans son ensemble ? Quel statut ont ces articles ? Sont-ce des enquêtes, des reportages ou des tribunes et des commentaires ? Quel est le statut de leurs auteurs ? Comment présentent-ils les travaux en sciences sociales incriminés ? Les relayent-ils seulement ? Etc.

      Le nombre important d’articles laissait penser que les universitaires s’étaient donné la peine de bien faire leur travail ; qu’ils avaient puisé dans un corpus hétérogène (où le commentaire se nourrit de l’enquête et des statistiques) et pluraliste (où les journaux d’opinion côtoient les journaux d’information et d’investigation). Et pourtant…

      Vous avez dit « preuves » ?

      Sauf erreur de notre part, il n’y a tout simplement aucune statistique ou étude empirique approfondie sur l’invasion des théories dites « indigénistes » ou « racialistes », encore moins sur les prétendues « connivences entre des islamistes patentés et certains universitaires et chercheurs militants », pas plus que sur la restriction « drastique » de « la liberté de parole » à l’université. Ces questions sont pourtant au centre du propos du « Manifeste ». Vous avez dit « preuves » ?

      Une absence d’autant plus problématique que les différents articles du corpus usent (et abusent) de qualificatifs soulignant la progression, en nombre et en intensité, de ce qui est présenté comme une « menace » ou un « danger ». Entre autres : « montée croissante des pensées racialiste, décolonialiste et indigéniste » qui « inquiète de nombreux étudiants et parlementaires » (Le Figaro, 10 janvier 2021) ; « le politiquement correct et l’affirmation du droit des minorités se sont largement répandus dans les facultés » (L’Opinion, 30 octobre 2019) ; « l’emprise croissante d’un dogme qui […] ignore la primauté du vécu personnel et dénie la spécificité de l’humain » (Le Monde, 25 septembre 2019) ; « En quelques années, les théories intersectionnelles se sont imposées dans les amphis des sciences sociales » (Marianne, 12 avril 2019) ; « l’influence grandissante de l’islamo-gauchisme sur la faculté » (Causeur, 20 novembre 2017)…

      Une menace grandissante sans statistique ? Et pour cause [7]…

      Mais cette absence de données chiffrées ne suffit évidemment pas à rejeter en bloc les « preuves à l’appui » du Manifeste. Une autre interrogation peut alors porter sur le nombre d’enquêtes et de reportages dans le corpus. Et force est de constater que le journalisme d’investigation n’y a pas bonne presse…

      Les tribunes ou formats apparentés (communiqués, éditos…) arrivent largement en tête : près de la moitié des articles (21 sur 47), auxquels il faut ajouter les interviews (8). Ils sont suivis des chroniques (ou d’articles non basés sur un reportage) signées de journalistes « maison » (13). En résumé, seuls cinq articles se basent sur une enquête. Et encore reste-t-il à souligner la déontologie pour le moins approximative qui les caractérise, notamment en termes de pratique du contradictoire et de pluralité des sources (voir en annexe 1, une courte analyse de l’une des enquêtes). Ces enquêtes se résument bien souvent à l’interview de quelques enseignants, étudiants et militants (dont on ne sait pas comment ils sont sélectionnés, ni à quel point ils sont représentatifs ou illustratifs de l’objet de l’article) et/ou à la retranscription de propos entendus durant un évènement. Le tout est rarement contextualisé et circonstancié. Quel statut accorder en effet à une invective lancée par un étudiant à un enseignant durant un cours ou un séminaire, ou à des tensions et conflits entre militants lors d’une réunion ? Dans quelle mesure peut-on parler d’une tendance régulière ou croissante à l’université, et si c’est bien le cas, dans quelles proportions ?

      Plus généralement, il est pour le moins significatif qu’aucun article scientifique publié dans une revue à comité de lecture (faisant appel à des pairs et à des relecteurs extérieurs pour évaluer l’article) ne vienne « appuyer » une tribune d’universitaires. Pour gage de sérieux scientifique, peut-être ses auteurs se contentent-ils des cinq livres référencés sur leur site, qui font la part belle à l’essai et qui ne s’éloignent guère de leur espace intellectuel de prédilection. L’un d’eux est ainsi écrit par un des premiers signataires du « Manifeste » (Pierre-André Taguieff, à l’origine du « concept » d’« islamo-gauchisme »), qui occupe également une bonne place dans les articles de presse « à l’appui » : une fois comme auteur, deux fois dans des entretiens donnés au Figaro et une fois avec un extrait de l’un de ses essais. Un deuxième ouvrage « preuve » (constitué, en guise d’enquête, de « témoignages et verbatim […] recueillis lors de colloques, de sessions universitaires ou de rassemblements associatifs ») est rédigé par Anne-Sophie Nogaret et Sami Biasoni. Tous deux écrivent pour Causeur. La première apparaît à plusieurs reprises dans les articles de presse du corpus. Et le second est, en plus de ses fonctions universitaires (chargé de cours à l’Essec, doctorant en philosophie à l’ENS), banquier d’investissement et conseiller politique LR… Les autres livres sont : un essai de Pascal Bruckner, que l’on ne présente plus (et qui a préfacé l’ouvrage d’Anne-Sophie Nogaret et Sami Biasoni…) ; un essai de Fatiha Boudjahlat, habituée des colonnes de Causeur et Valeurs actuelles ; un ouvrage du sociologue Manuel Boucher, dont une tribune publiée dans Marianne figure également dans le corpus, dans laquelle il s’en prend à Clémentine Autain (députée du groupe La France insoumise) qui serait dans « une logique munichoise servant les intérêts des extrémistes nationalistes ». Sic.

      Vase clos : des médias d’opinion (de droite) massivement mobilisés

      L’impression de vase clos se poursuit lorsque l’on regarde d’un peu plus près les médias mobilisés, ainsi que la circulation entre ses signataires et les intervenants des articles de presse. Sur les 50 auteurs des 47 articles, on dénombre 26 auteurs universitaires [8], parmi lesquels… 22 sont logiquement signataires du « Manifeste des 100 ». Ainsi, on ne s’étonne guère que plus de la moitié des articles (28) comporte au moins une référence à un signataire de la tribune, ou que leur auteur se retrouve dans une autre « preuve à l’appui ».

      Ensuite, il est à noter que près de la moitié des articles (20) proviennent de médias d’opinion, marqués à droite voire à l’extrême droite : Figarovox (5), Le Point (7), L’Opinion (3), Causeur (2), Atlantico (2), Le Figaro (1).

      En deuxième position du corpus figurent une diversité de sources intermédiaires (12 au total), que l’on ne peut soupçonner d’être en opposition à ce peloton de tête. On y trouve d’abord cinq articles de médias dédiés à l’information ou à la discussion « intellectuelle » : le « portail des livres et des idées » Nonfiction livre quatre contributions (en réalité une contribution en quatre parties, du même auteur : un sémanticien… François Rastier), la cinquième venant d’une revue électronique de philosophie « dévolue à la présentation et l’analyse des nouveautés éditoriales publiées en langue française » (Actu Philosophia). Quatre autres articles de cette deuxième catégorie viennent ensuite de médias qui se destinent à la réponse à l’actualité, à l’opinion ou à la demande politique : une plateforme se définissant comme un « organisateur de débats pressants » (Persuasion), une « agence intellectuelle » se disant « d’inspiration réformiste » (Telos), un observatoire du « conspirationnisme » (Conspiracy Watch) et un blog (Mezetulle). Les trois derniers sont signés du journal satirique Charlie Hebdo, par deux fois, et d’une association, la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra).

      Enfin, une troisième et dernière catégorie est composée de médias classés « au centre » ou « à gauche » (15 au total) : Le Monde (5), Marianne (5), Libération (3), Télérama (1) et L’Obs (1).

      À propos de ce panorama, on remarquera que les médias les plus représentés contribuent activement depuis au moins une décennie à construire le « problème » de l’islam et de l’immigration dans le débat public, et à fustiger sans discontinuer les « obsédés de la race, du sexe, du genre, de l’identité », pour reprendre la formule placardée en Une de Marianne (avril 2019) : trois thématiques dont ces médias font régulièrement leurs choux gras, quand elles ne sont pas érigées en obsessions éditoriales [9]… En témoignait (encore) dernièrement la Une du Point [10] (14 janvier 2021), agitant comme des épouvantails les « déboulonneurs », « indigénistes », la « gauche racialiste » mais également « l’écriture inclusive ».

      Si d’autres médias et acteurs politiques (du côté de la gauche républicaine notamment) se sont appropriés ce sujet, une récente étude statistique de l’Ina [11] corrobore d’ailleurs le rôle joué par cette (petite) poignée d’entrepreneurs médiatiques – chroniqueurs ou titres de presse – dans la légitimation et la promulgation du pseudo « concept » d’« islamo-gauchisme » et partant, dans la banalisation de son usage dans le débat public :

      À compter de cet événement [l’attentat contre Charlie Hebdo], le terme [« islamo-gauchisme »] trouve ses entrepreneurs de cause : un petit nombre de journalistes le convoqueront désormais à l’envi, contribuant à en ritualiser l’usage. Ivan Rioufol, Gilles-William Goldnadel, surtout, mais aussi Éric Zemmour, Alexandre Devecchio, Étienne Gernelle et Michel Onfray à la fin de l’année 2015, forment ce personnel médiatique rassemblé autour d’un petit nombre de titres — Le Figaro, Le Point, Marianne.

      Autant dire qu’au total, ce corpus est l’incarnation d’une information et d’idées qui circulent en vase clos [12] : forte homogénéité des médias mobilisés qui répond à l’homogénéité toute aussi importante des auteurs des articles. En résumé, les opinions de ces universitaires (notamment les plus médiatiques d’entre eux) ne pouvaient que rencontrer celles des médias qui en assurent déjà la visibilité et la promotion…

      Un corpus qui révèle davantage les biais ordinaires du journalisme dominant que des « preuves » factuelles

      Sans même mentionner la part non négligeable de productions du corpus dans lesquelles on peine à trouver le moindre lien avec la problématique initiale (l’université) [13], il faut enfin souligner combien les différents articles de presse et émissions mis en avant sont avant tout des « preuves à l’appui » des travers ordinaires du journalisme dominant. Un journalisme notamment marqué par l’affranchissement quasi systématique du contradictoire, entre autres règles professionnelles de base : ainsi les termes du débat ne sont-ils quasiment jamais interrogés, les travaux universitaires incriminés rarement cités, et le pluralisme… piétiné (dans le cas des cinq enquêtes figurant dans le corpus).

      Et quand il ne s’agit pas de tribune (un format qui ne permet pas la contradiction), il n’est pas rare que les interviews soient d’une complaisance à l’égard des intervenants (voir deux exemples en annexe 2), n’ayant d’égal que la disqualification violente et arbitraire des chercheurs, étudiants et universitaires taxés contre leur gré [14] d’« indigénistes » ou d’ « identitaires ». Souvent en leur absence, et plus encore en leur présence : car lorsque ces derniers ont la rare occasion de présenter leur point de vue, on peut apprécier les conditions dans lesquelles ils sont reçus…

      Reportons-nous pour cela à l’une des trois émissions de France Culture citées « à l’appui » du Manifeste : « Signes des temps » (25 octobre 2020), consacrée à « la crise dans l’enseignement et crise de la gauche après l’assassinat de Samuel Paty ». Une émission bien connue d’Acrimed puisque nous l’épinglions déjà dans notre article consacré à la traque médiatique des « islamo-gauchistes », comme une illustration exemplaire d’ « interrogatoires journalistico-policiers en règle », durant laquelle Marc Weitzmann [15] est rapidement sorti de son rôle de présentateur pour endosser celui de procureur contre Mélanie Luce, présidente du syndicat étudiant Unef. En effet, si les trois autres intervenants avaient eu droit à des questions ouvertes les invitant à rebondir sur les termes de leurs propres écrits, Mélanie Luce s’est vue sommée de répondre à une série d’accusations. Le tout enrobé de sous-entendus, amalgames et suspicions à son encontre (voir en annexe 3).

      Ainsi la question du pluralisme dans les différentes productions médiatiques « à l’appui » se joue-t-elle autant dans l’absence – ou la disqualification immédiate – de contradicteurs que dans les cadrages à sens unique du débat. L’escroquerie des « preuves à l’appui » est de taille lorsque l’on constate que France Culture (dont trois émissions sont citées dans le corpus, et dans lesquelles on peut aisément repérer des nuances et contre-arguments au propos du « Manifeste »), a pourtant beaucoup produit sur la question. Notamment, une série documentaire de l’émission « LSD » en quatre épisodes (« Les débats de société à l’assaut de l’université », quatre heures au total), n’apparaît pas dans les « preuves à l’appui », alors qu’elle donne à voir ce que la pratique d’un (vrai) pluralisme, incluant donc les chercheurs concernés, apporte à la salubrité du débat public.

      *

      Ainsi les amalgames et les analyses fourre-tout (« islamisme », travaux « décoloniaux/racialistes », port du voile, etc.) cachent-ils donc très mal le caractère hautement politique du « Manifeste », appuyé par et sur une série d’articles loin d’être « factuels » ou « neutres ». Tous répondent en réalité d’un raisonnement circulaire, qui pourrait se résumer comme suit : « Il existe un danger "islamiste" et "racialiste" à l’université. La preuve ? Nous le dénonçons. »

      Le problème n’est pas tant que ce monde d’entre-soi puisse se satisfaire d’une circulation intellectuelle et médiatique en circuit fermé : ils ont évidemment le droit de penser ce qu’ils veulent, et de le dire publiquement ! C’est finalement le pluralisme des idées et des opinions dans les médias dominants qui est en jeu, et son déséquilibre structurel flagrant. De même que l’appauvrissement en continu du débat public. Il est ainsi pour le moins surprenant, de la part d’universitaires et chercheurs censés être au fait des courants de pensée et des discussions et controverses académiques nécessaires à la progression de la connaissance, de les voir rabattre un ensemble de recherches en sciences humaines et sociales à une « haine des "blancs" » ou à des traces suspectes d’« islamo-gauchisme »… Encore plus surprenant d’accuser des adversaires de faire œuvre d’idéologie et non de science, de sacrifier les idéaux de la recherche pure sur l’autel de leur militantisme – une conception en outre épistémologiquement douteuse de la « neutralité » absolue du savant – tout en déroulant d’un autre côté une litanie de jugements éminemment marqués idéologiquement, sans avoir recours au moindre travail scientifique rigoureux — ou en ignorant superbement les travaux existants. Le tout en recevant les soutiens d’Emmanuel Macron, en mobilisant les analyses d’une conseillère régionale du Val-d’Oise, ou encore en étant signataires de l’appel des 80 intellectuels contre le « décolonialisme » aux côtés d’Alain Finkielkraut et… Bernard de la Villardière.

      De tels discours bifaces et autres pétitions de convictions pourraient ainsi faire sourire s’ils ne s’inscrivaient pas dans une offensive politico-médiatique d’ampleur. Et dont les conséquences dépassent en réalité de loin le bavardage hors sol : ainsi des attaques concrètes contre la recherche, son autonomie et les libertés académiques voient-elles le jour, depuis la mission d’information sur les « dérives idéologiques à l’Université » réclamée par deux députés LR, jusqu’à l’enquête souhaitée au plus haut sommet de l’État par la ministre Frédérique Vidal [16]. Une croisade médiatico-politique, décuplée depuis les attentats de 2015, qui montre plus que jamais les dangers d’un fonctionnement médiatique donnant, à travers un ensemble de mécanismes, le primat à « l’opinion » sur l’information et la connaissance scientifique.

      https://www.acrimed.org/L-universite-menacee-par-l-islamo-gauchisme-Une

    • « L’éthique de la recherche, c’est la capacité à distinguer les enjeux, à ne pas glisser de la théorie vers l’idéologie »

      Face au mélange entre science et politique, au refus du #pluralisme, les chercheurs doivent pouvoir échanger de façon argumentée et réfutée, en s’employant à « éviter les #fractures et les #enclaves », explique le géographe Jacques Lévy dans une tribune au « Monde ».

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      Une des effets dommageables de la prise de position de Frédérique Vidal sur l’ « islamo-gauchisme » à l’université a été de permettre à ses détracteurs d’inverser son propos et de porter la charge sur les lanceurs d’alerte. Pourtant, il existe bien des motifs d’#inquiétude sur la relation entre la société et ses chercheurs, et pas seulement en sciences sociales. Pour y voir plus clair, distinguons trois plans : celui des théories, celui du mélange des genres et celui du pluralisme.

      Les théories qui cherchent à expliquer le monde sont nombreuses et tant mieux ! L’une d’elles se fonde sur une vision communautaire du social : elle se représente la société comme une constellation de groupes aux appartenances non choisies et irréversibles. La fameuse « #intersectionnalité » consiste en une #essentialisation des #identités, qu’on peut éventuellement croiser, mais sans les remettre en question. Cette école de pensée tente de sauver le #structuralisme_marxiste, dans lequel la communauté de #classe était centrale, en ajoutant de nouvelles « structures » à un édifice qui se lézarde, pris à contre-pied par l’irruption des #singularités_individuelles. On peut préférer, dans le sillage de Norbert Elias (1897-1990), le paradigme de la « société des individus », qui décrit un monde où les individus acteurs prospèrent de conserve avec une société postcommunautaire. La différence entre ces deux conceptions est patente, mais on ne peut s’en plaindre. Cela, c’est le débat, sain parce que libre et transparent, qui caractérise la démarche scientifique.

      Création de monstres

      Le danger apparaît avec le mélange des genres entre science et #politique. Roger Pielke (The Honest Broker, Cambridge University Press, 2007, non traduit) a montré, à propos des débats sur le climat, que lorsqu’un sujet est marqué à la fois par des controverses scientifiques et des oppositions politiques fortes, les deux dissensus peuvent s’épauler et créer des monstres : le militant choisit l’hypothèse qui l’arrange pour se parer de la #légitimité_scientifique, tandis que le chercheur se mue subrepticement en un politicien sans scrupule. Les chercheurs sont aussi des citoyens et ils ont bien le droit de l’être. Leurs expériences personnelles peuvent être des ressources pour la connaissance.

      Si la conscience que les registres ne doivent pas se fondre les uns dans les autres fait défaut, les savants se muent tout bonnement en #idéologues d’autant plus déplaisants qu’ils s’abritent derrière leur statut. On voit fleurir des #novlangues dignes du 1984 de George Orwell, lorsque, au nom de la science, l’ « antiracisme » couvre un nouveau type de racisme, ou lorsque la « démocratie éco logique » vise une dictature des écologistes intégristes. L’enquête qu’ont menée les chercheurs britannique et américain Helen Pluckrose et James Lindsay (Cynical Theories, Pitchstone Publishing, 2020, non traduit) montre que des revues universitaires prestigieuses acceptent aisément de publier des textes délirants dont on aimerait pouvoir rire mais qui sont animés par une idéologie de la haine intercommunautaire et n’hésitent pas à traiter de « négationniste » toute prise de position divergente.

      Le troisième plan est sans doute le plus grave. Il s’y déroule une attaque frontale contre la démarche scientifique et un refus du pluralisme des idées. De la « #positionalité » (l’autoanalyse par le chercheur de biais liés à sa position sociale) déjà ambiguë, on est passé à la #standpoint_theory, un oxymore qu’on peut traduire par la « théorie-point de vue », qui décrète que l’ « #objectivité_forte » ne peut être atteinte que si le chercheur s’appuie sur sa propre #expérience. Seules les femmes peuvent parler des femmes, seuls les Noirs peuvent parler des Noirs, et c’est ainsi que les women studies ou les black studies désignent, par défaut, à la fois l’objet d’études et l’identité du chercheur. Une épistémologie ubuesque dans laquelle l’histoire des temps reculés devient impossible même si l’on s’intéresse aux dominés et où le travail de terrain et l’observation participante sont bannis. C’est une technique pour discréditer les travaux qui dérangent, rappelant la stalinienne opposition entre « science bourgeoise » et « science prolétarienne .

      Un contrat exigeant signé avec la société

      Cette fois, c’est l’appartenance ou non à une communauté définie par un principe biologique, le sexe ou la race, qui arme les censeurs. La #cancel_culture, cette posture de l’annulation et de l’#annihilation, s’appuie sur la tradition puritaine américaine qui, en dénonçant des blasphèmes, cherche à intimider, parfois à brutaliser les récalcitrants.

      Il y a donc plusieurs dangers, qu’il ne faut pas confondre. C’est justement cela le principal risque : le #glissement, de la théorie vers l’idéologie et de la désinvolture vers la #négation_de_l'autre. L’#éthique de la recherche réside au contraire dans la capacité à distinguer les enjeux différents. Le contrat que les chercheurs signent avec la société en s’engageant à construire autant qu’il est possible, par leur observation et par leur raison, des #vérités_objectives est exigeant. Ceux qui le déchirent minent la confiance de nos concitoyens. Ce contrat est subtil et il ne peut être vérifié que dans la pratique incessante d’échanges argumentés et réfutés, dans le monde de la recherche, mais dans l’ensemble de la société qui, elle aussi, nous écoute, nous lit et nous évalue. Le #tournant_éthique que nous vivons se manifeste à chaque fois qu’on peut imaginer une proportionnalité entre #liberté et #responsabilité. Ce tournant concerne les puissants et les puissances, mais tout autant chaque individu.

      Face à une société états-unienne tristement clivée, l’Europe peut montrer l’exemple en s’employant à éviter les fractures et les enclaves de manière que tous puissent continuer à parler à tous. De ce nécessaire dialogue les sciences du social comme celles du monde biophysique ou les mathématiques ne peuvent s’affranchir.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/02/l-ethique-de-la-recherche-c-est-la-capacite-a-distinguer-les-enjeux-a-ne-pas
      #Jacques_Lévy

    • #Etienne_Balibar : « Le conflit fait partie des lieux du savoir »

      Alors que le gouvernement reproche aux universitaires leur militantisme, le philosophe s’interroge : quel rapport y a-t-il en sciences sociales entre la nécessité de prendre parti et celle du savoir pour le savoir ? L’université doit, plus que par le passé, ouvrir ses portes et ses oreilles à l’extérieur de la société.

      On peut trouver effarant (c’est mon cas) que les ministres de l’Education et de l’Enseignement supérieur, encouragés du sommet, soient allés ramasser dans un caniveau idéologique une épithète aux sinistres résonances pour lancer dans l’Université et au CNRS une campagne d’épuration.

      On peut s’inquiéter (c’est mon cas) de la vitesse avec laquelle s’accomplit le démantèlement de la recherche publique autonome, à travers l’austérité budgétaire et la généralisation des crédits ciblés (et contrôlés) « par objectifs ».

      On peut se désoler (c’est mon cas) de voir les porte-parole de la « qualité de la science française » vouloir interdire à nos étudiants de participer à de grands courants internationaux d’innovation et de pensée critique, censés attenter aux valeurs républicaines, nous enfermant ainsi dans le provincialisme et le chauvinisme.

      On peut – alors même qu’on défend, comme je le fais, la légitimité des études de « race », de « genre », de « classe », de « culture postcoloniale », ainsi que toutes leurs intersections – savoir mettre en garde contre les amalgames sans fondement historique et les interdits de parole sectaires aux marges de l’Université.

      On peut (ce qui est mon cas) regretter de voir des sociologues et historiens, qui avaient contribué par des travaux de référence à la critique des inégalités et des exclusions sociales ou nationales, rallier avec aigreur le camp du #conservatisme et du #corporatisme_intellectuels.

      Mais tout ceci ne fait pas avancer la question épistémologique : Quel rapport y a-t-il, dans le champ desdites sciences humaines et sociales, entre la nécessité de prendre parti, et celle du savoir pour le savoir (le seul qui mérite ce nom, en vérité) ? Voici que se pose à nouveau la question de Max Weber dans ses conférences de 1919 (1) : Quelle est la « vocation » de la science ? En quoi diffère-t-elle de la « vocation » de la politique ? Or la solution qu’il proposait alors : « #neutralité_axiologique », séparation des deux « éthiques » (de la #conviction et de la #responsabilité) s’est avérée impraticable.

      Je vois quatre raisons à cela. Elles dessinent comme une unité de contraires, dans laquelle nous avons à tracer notre route, sans céder sur aucune exigence.

      Non aux institutions de #monologue

      Premièrement, l’Université et ses centres de recherches ne peuvent plus être des institutions de monologue. Elles doivent, plus que par le passé, ouvrir leurs portes et leurs oreilles à l’extérieur de la société, ou mieux de la cité. Nul ne conteste qu’il faille étudier, transmettre des savoirs, s’exercer à l’argumentation rationnelle : tout cela se fait dans des salles de classe et de séminaires. Mais l’objet lui-même, dont on recherche l’intelligibilité, est par définition au-dehors et surtout il est irréductiblement conflictuel, car nous ne vivons pas (et ne vivrons pas de sitôt) dans une cité « harmonieuse ». Pour qu’il y ait chance de l’appréhender et de le comprendre, ce conflit ne doit pas seulement faire l’objet d’une enquête ou d’une analyse à distance. Il doit s’introduire dans les lieux du savoir à travers ses acteurs réels, à moins que les chercheurs eux-mêmes ne partent à l’aventure pour les retrouver (par exemple dans une « jungle » ou dans un « quartier »). Comme aurait pu le dire Foucault, il faut faire sortir (les enseignants, les étudiants, les chercheurs) et laisser entrer (les manifestants avec ou sans gilet, les « militants », c’est-à-dire les citoyens actifs). Il faut leur donner la parole dans les enceintes réservées au discours. On sait que c’est presque impossible, mais des protocoles doivent pouvoir être expérimentés pour cela.

      Avec le lieux entre l’idéologie. C’est une banalité. Le problème est que l’idéologie est toujours déjà dans la place sous une forme plus ou moins « dominante ». Poser que le socle indiscutable du savoir économique est l’anticipation rationnelle des opérateurs de marché, ou que la connaissance sociologique se rejoue indéfiniment entre l’individualisme méthodologique et la solidarité organique, ou que l’objet commun de la psychologie et de la pédagogie est l’adaptation, ou que le sens de la modernité historique est la sécularisation du religieux, ce ne sont pas que des postulats, ce sont des prises de parti qui s’étayent sur des rapports de pouvoir. Naturellement il y en a d’autres, plus ou moins reconnues suivant les époques. Une institution de savoir vivante, capable d’accueillir l’inconnu, devrait se fixer comme objectif (y compris dans les instances nationales d’évaluation) de débusquer systématiquement les paradigmes « incontestés » pour les remettre en discussion. Souvenons-nous de l’épisode désastreux qui a vu l’interdiction d’une section « Economie et société » au Conseil national des universités (CNU), et dont nous payons le prix à l’heure du « quoi qu’il en coûte » …

      Aiguiser la #conflictualité

      Mais le conflit des idéologies scientifiques (comme disait Canguilhem) et des idéologies de savants (comme disait Althusser) n’est peut-être pas le cœur du problème. On pourrait croire, une fois de plus, que la conflictualité n’est que dans l’objet, ou dans les « investissements » du savoir par les intérêts, les engagements de ses porteurs. Mais pas dans le concept, qui est le cœur même du savoir. Rien n’est plus faux. Le savoir parvient au concept non pas en se protégeant de la conflictualité mais en l’aiguisant, en l’intensifiant autour de grandes alternatives « ontologiques », forçant à choisir entre des conceptions incompatibles de la nature des choses ou des êtres. L’histoire de la vérité n’est pas dans la synthèse, même provisoire, mais dans l’ascension polémique, vers les points d’#hérésie de la #théorie. C’est l’évidence en économie, dans les sciences humaines, dans les sciences de l’environnement, et peut-être au-delà – par exemple en biologie dans la théorie de l’évolution.

      Enfin, plus profondément, il y a ceci que le savoir n’est pas sans sujet(s). Ceci n’est pas un défaut de la #connaissance_scientifique, c’est sa condition de possibilité, en tout cas dans toutes les sciences qui ont une dimension anthropologique (et peut-être dans d’autres). Pour connaître il faut « s’avancer » subjectivement dans le champ où on se trouve déjà situé, avec tout le bagage des caractères (comme disait Kant) qui nous font « ce que nous sommes » (par construction historique et sociale, bien évidemment), car il n’y a pas de subjectivité « transcendantale ». Mieux, il faut s’avancer vers le point de trouble dans l’identité où chaque sujet se loge tant bien que mal avec sa « différence », qu’il s’agisse de masculinité et de féminité (ou d’autre « sexe » encore), de blanchité et de noirceur (ou de quelque autre « couleur »), de compétence et d’incompétence intellectuelle, de croyance ou d’incroyance « religieuse », pour en faire un analyseur des effets de société qui nous enferment, nous orientent et nous repoussent. Car si nul (le) ne peut absolument choisir sa place dans la cité, en raison même des rapports de domination qui la traversent, aucune place n’est pourtant assignable une fois pour toutes. Faire ainsi de la différence anthropologique vécue et reconnue et de son incertitude propre l’instrument de dissection du corps politique que nous sommes collectivement, et faire de l’analyse des mécanismes qui la produisent et la reproduisent le moyen d’en relativiser les effets normatifs, ce n’est peut-être pas la voie royale de la science, mais c’en est certainement un passage obligé. On pense ici à ce que Sandra Harding appelle « l’#objectivité_forte », incluant la connaissance de son propre sujet. C’est dire à quel point les positivismes font fausse route.

      Des modèles coûts-bénéfices prévisionnels aux comités d’experts…

      Le chemin qui nous attend est donc très difficile. J’ai fait ma carrière de professeur dans une époque que, rétrospectivement, on pourrait être tenté de qualifier de « bénie ». Les conflits étaient très durs, mais les interdits professionnels de guerre froide n’avaient plus cours. La « valeur de la science » était peu contestée. Mai 68, qui avait voulu secouer l’académisme et faire exploser les frontières, laissait beaucoup de déceptions, mais nourrissait de sa ferveur et de ses fureurs nombre de « programmes », dans lesquels se formèrent les jeunes chercheurs d’aujourd’hui, dont la moitié végète d’un contrat court à un autre. Notre classe dirigeante n’est plus en effet une bourgeoisie au sens historique du terme : elle n’a ni projet d’hégémonie intellectuelle ni point d’honneur artistique. Il ne lui faut (du moins le croit-elle) que des modèles coûts-bénéfices prévisionnels, des programmes d’éducation « cognitifs » et des comités d’experts. C’est pourquoi, pandémie et révolution télématique aidant, elle prépare activement la liquidation des départements de sciences sociales et d’humanités, ou même de sciences théoriques. Qui veut noyer son chien l’accuse alors de la rage (« l’islamo-gauchisme », le « militantisme », « l’idéologie »). De toutes nos forces, comme intellectuels, comme citoyens, nous devons résister à ce démantèlement des outils du savoir et de la culture. Mais pour ce faire, nous devons aussi ouvrir les yeux sur les révolutions dont a besoin l’institution, et les mettre en discussion parmi nous sans pudeurs ni présupposés.

      (1) Max Weber, le Savant et le Politique, nouvelle traduction et introduction par Catherine Colliot-Thélène, éditions La Découverte, Paris 2003.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/etienne-balibar-le-conflit-fait-partie-des-lieux-du-savoir-20210309_YFL47

      Et ici :
      https://seenthis.net/messages/905530

    • Attaques contre des universitaires : le SNESUP-FSU écrit à la ministre F. Vidal

      Publié le : 12/03/2021

      Paris, le 12 mars 2021

      Madame la Ministre,

      Le #SNESUP-FSU, attaché aux libertés académiques indispensables pour faire avancer les débats scientifiques suivant des démarches partagées, comme aux institutions garantissant ces libertés, déplore leur mise en cause dans des interventions médiatiques politiques qui ont abouti à fragiliser l’Université et à attiser les tensions de toutes parts.

      Vous avez exprimé récemment votre attachement sans faille à la protection de l’ensemble des enseignants-chercheurs et des agents du ministère.

      À notre connaissance, vos déclarations ont été très vite suivies de l’attribution de la protection fonctionnelle à des enseignants de l’IEP de Grenoble dont les noms ont été diffusés sur internet accompagnés de propos injurieux ou accusatoires.

      En parallèle un grand nombre d’enseignants du supérieur sont exposés de façon similaire depuis une quinzaine de jours sur un site web qui les accuse d’être « complices de l’Islam radicale » (sic) et de « pourrir l’université et la France ». Certains de nos collègues craignent en conséquence pour leur intégrité. Les organismes et les établissements disposent des éléments sur cette attaque calomnieuse. Un certain nombre ont informé leurs agents concernés de leur soutien et des démarches à suivre pour bénéficier de la protection prévue par l’article 11 de la loi 83-634, notamment pour la prise en charge de frais d’avocat ou pour des mesures spécifiques suite à des menaces. Mais les autres n’ont pas alerté leurs agents. Le retrait de la page diffamant les agents aurait été demandé à son auteur et à son hébergeur mais à ce jour les propos diffamatoires sont toujours visibles.

      Fin novembre un tweet du député Julien Aubert toujours accessible en ligne désignait déjà nommément sept collègues « coupables » d’« islamo-gauchisme ». D’après la question écrite n° 21254 d’un sénateur1 une maitresse de conférences ainsi visée a essuyé un refus d’octroi de la protection fonctionnelle de la part de la présidence de son établissement sur la base d’une consultation de vos services.

      Face à ces discordances, le SNESUP-FSU rappelle que le droit des agents à être défendu par l’administration n’est pas à géométrie variable. La loi prévoit l’obligation de les défendre indépendamment de l’origine des attaques. La circulaire du 2 novembre 2020 sur le renforcement de la protection des agents publics rappelle que la PF est une obligation pour l’employeur public pour ne pas laisser l’agent sans défense dans une situation pouvant se traduire par une atteinte grave à son intégrité. Elle indique qu’« en cas de diffamation, de menace ou d’injure véhiculée sur les réseaux sociaux visant nominativement un fonctionnaire ou un agent public, il est demandé à l’employeur d’y répondre de manière systématique », et elle poursuit par des actions concrètes à entreprendre.

      La circulaire enjoint chaque administration à communiquer largement à ses agents sur les dispositions prises – ce qui reste donc à concrétiser – et à mettre en place un dispositif permettant de recenser les attaques, les protections fonctionnelles accordées et refusées, et les mesures de protection mises en œuvre. Par conséquent le SNESUP-FSU souhaiterait avoir connaissance du dispositif mis en place, et du bilan des actions entreprises qui devait être transmis début 2021 au ministère chargé de la FP.

      La circulaire demande aux ministres de garantir la mobilisation à tous les niveaux de l’administration en ajoutant « nous vous demandons de vous assurer que les agents concernés bénéficient d’un soutien renforcé et systématique de leur employeur ». C’est pourquoi le SNESUP-FSU vous demande donc de vous assurer que c’est bien le cas pour les agents du ministère victimes des attaques précitées, qu’un bilan des mesures prises et des éventuels refus de protection soit établi et lui soit communiqué (ou diffusé).

      Nous attirons enfin votre attention sur la situation des étudiants, notamment les doctorants, qui se retrouveraient attaqués ou menacés dans le cadre de leur participation à des travaux de recherche ou de formation sous la responsabilité d’une administration. Il importe qu’ils sachent compter sur le soutien de celle-ci même en l’absence de lien contractuel. À cet effet, nous souhaiterions savoir la nature de la protection sur laquelle ils peuvent compter et les modalités pour en bénéficier.

      Nous vous prions de croire, Madame la Ministre, en l’assurance de notre haute considération.

      Anne ROGER - Christophe VOILLIOT
      Co-secrétaires généraux du SNESUP-FSU

      Philippe AUBRY
      Secrétaire général adjoint du SNESUP-FSU

      https://www.snesup.fr/article/attaques-contre-des-universitaires-le-snesup-fsu-ecrit-la-ministre-f-vidal

    • Au soldat du déni Frédérique Vidal, la patrie résistante

      « Une #diversion et un #ballon_d’essai » : c’est ce que j’ai répondu quand on m’a demandé mon avis sur le commentaire de F. Vidal sur CNews. Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps de réfléchir à l’aune des persistances dans l’attaque contre les universités. Le #déni doit cesser : à nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      « Une diversion et un ballon d’essai » : c’est ce que j’ai répondu à la journaliste du Monde (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/16/frederique-vidal-lance-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l-universite_607) quand elle m’a demandé, mardi 16 février 2021, mon avis sur le commentaire de Frédérique Vidal sur CNews, repéré par Martin Clavey (The Sound of Science). J’ai aussi précisé que je n’avais pas écouté son discours. Que je ne pouvais plus lire, ni écouter Frédérique Vidal, ma ministre de tutelle depuis plus de trois mois — car il en allait de ma santé mentale.

      Mais il en va désormais de la #sécurité de toute une profession.

      Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps d’y réfléchir, à l’aune d’une connaissance approfondie acquise par la chronique quotidienne d’une grève universitaire sur academia.hypotheses.org (https://academia.hypotheses.org/newsletters) et commençons par rappeler que l’Assemblée nationale vient d’adopter, en première lecture, un des projets de loi les plus racistes (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/16/frederique-vidal-lance-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l-universite_607) portés par un gouvernement depuis Vichy ; et un autre projet de loi « Sécurité globale » (https://academia.hypotheses.org/30630) qui constitue, par ses termes, une atteinte majeure aux #libertés_publiques.

      Faire diversion

      Une diversion d’abord, bien réussie. Quelques jours plus tôt, Frédérique Vidal avait fait l’objet d’une sévère mise en cause publique au Sénat (https://academia.hypotheses.org/30821), à l’occasion d’un débat « Le fonctionnement des universités en temps de COVID et le malaise étudiant » à l’initiative de Monique de Marco groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, vice-présidente de la Commission Culture.

      Le réquisitoire était implacable : ces derniers mois, 20% des jeunes ont eu recours à l’aide alimentaire ; la moitié des étudiant·es disent avoir des difficultés à payer leurs repas et leur loyer, qui représente 70% de leur budget. Dans une enquête portant sur 70 000 étudiant·es, 43% déclaraient des troubles de santé mentale, comme de l’anxiété ou de la dépression.

      Face à cela, les mesures prises par le MESRI sont insuffisantes ou plutôt dérisoires, inégalitaires ; les services universitaires complètement débordés. Pierre Ouzoulias, à cette occasion, a d’ailleurs clairement établi l’importance du #définancement du budget « #Vie_étudiante » : 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante » supprimés en novembre 2019 ; 100 millions d’euros de crédits votés en 2018 et 2019, finalement non affectés.

      Les longues files devant les distributions alimentaires trouvent dans cette politique budgétaire continue leur origine : le gouvernement ; qui a préparé la catastrophe sociale, n’a pas cherché depuis le confinement à la contrecarrer.

      Sans budget supplémentaire, Frédérique Vidal réussit également à contrecarrer toute réflexion collective sur l’aménagement des examens et des concours, jusqu’à intervenir dans une procédure judiciaire au nom de la « qualité des diplômes ».

      Ces réflexions, que nous menons tous et toutes dans des collectifs restreints, sont indispensables pourtant pour limiter les inégalités, réduire le stress qui ont conduit des étudiant∙es à se suicider et surtout mieux concentrer nos efforts sur les contenus de formation, autrement plus indispensables pour la « génération sacrifiée » ; au-delà des inégalités, nous voyons se profiler déjà de graves conséquences psychopathologiques du confinement (https://www.elsevier.com/fr-fr/connect/psy/consequences-psychopathologiques-du-confinement).

      Mais les étudiant∙es ne sont pas les seul∙es à faire les frais de cette politique dont la Ministre est la première VRP, sans les responsabilités qui vont avec : siège vacant depuis le début de son mandat au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de son propre ministère ; des circulaires sans fondements, tendant uniquement à éloigner la communauté universitaire des campus.

      Pour couronner le tout, elle fait voter une loi de programmation de la recherche (LPR) —censée être une loi de finances, mais sans postes ni crédits supplémentaires — en pleine épidémie, qui s’emploie méthodiquement à attaquer l’indépendance de l’université et, en poursuivant l’expérience Parcoursup, à limiter sinon anéantir la formation universitaire supérieure publique.

      Une diversion donc, mais aussi un ballon d’essai.

      Il faut sans doute avoir suivi un an de préparation et de vote de la LPR, dans toutes ses étapes comme l’a fait le blog de veille Academia.hypotheses.org, pour comprendre que les récents propos de la Ministre sont l’exacte réplique de la demande faite par Julien Aubert et Damien Abad le 25 novembre dernier demandant la création d’une « mission d’information parlementaire sur les dérives idéologiques intellectuelles dans les milieux universitaires », où l’on repérait déjà l’anathème attrape-tout islamogauchistes.

      Pour ces compagnons de la première heure de Gérald #Darmanin, il s’agissait tout à la fois de sauver le soldat #Blanquer de la mission d’enquête parlementaire « #Avenir_lycéen » (diversion) et de préparer le terrain pour leur camarade Ministre, qui mitonnait déjà sa loi « #Principes_républicain » (ballon d’essai).

      Au lieu d’une agitation, il s’agissait ainsi d’une étape dans une séquence commencée avec les voeux de #Marion_Maréchal-Le Pen (https://academia.hypotheses.org/27305), dont les idées sont reprises par #Emmanuel_Macron le 10 juin, accusant des universitaires de « casser la République en deux » (https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/10/il-ne-faut-pas-perdre-la-jeunesse-l-elysee-craint-un-vent-de-revolte_6042430) et continuée avec #Jean-Michel_Blanquer qui, le 28 octobre, met en cause les universitaires devant le Sénat (https://academia.hypotheses.org/27386), à qui la frange « Printemps républicain » des Républicains, emboîte le pas. À l’appui de leur démarche, une tribune d’universitaires (https://academia.hypotheses.org/27264) est opportunément parue un mois plus tôt, invitant le pouvoir à organiser une police politique des universités.

      Le soldat du déni

      Quel ballon d’essai lance donc Frédérique Vidal qui persiste encore ce dimanche (https://www.lejdd.fr/Politique/exclusif-vidal-persiste-sur-lislamo-gauchisme-je-veux-une-approche-rationnelle) dans ce que les organismes scientifiques jugent au mieux absurde ?

      Pour le comprendre, il faut mettre en résonance deux choses : sa pratique législative, d’une part, dans son lien étroit avec l’Élysée ; les objectifs qu’elle s’était donnée avec la précédente loi, d’autre part.

      Du côté de la pratique législative, nous pouvons résumer son action comme mue par un « #déni_de_démocratie permanent ».

      Avec Academia, à l’occasion d’une table-ronde (https://academia.hypotheses.org/26788) qui s’est tenue entre les votes Assemblée et Sénat de la LPR, nous avons pu mesurer combien la ministre avait fait fi de toutes les avis et recommandations des instances consultatives, depuis la consultation des agents de l’ESR, des organismes, des organisations syndicales représentatives.

      Le plus flagrant est la mise sous le tapis de l’avis du Conseil Économique, Social et Environnemental (https://www.lecese.fr/travaux-publies/contribution-du-cese-au-projet-de-loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-re), pourtant voté à l’unanimité, par la CGT et le Medef. La 3e Assemblée de la République avait en effet établi un constat initial assez proche du Ministère, mais en tirait des conclusions bien différentes : pour le CESE, il faut des milliards d’euros, tout de suite, des recrutements là encore massifs.

      Pour comprendre les vues diamétralement opposées, il suffit de comprendre qu’outre les avis obligatoires des instances, le gouvernement s’est dispensé d’une étude d’impact (https://academia.hypotheses.org/24589) en bonne et due forme. Le projet politique n’a jamais été « analysons correctement les données du problème posé par l’ESR et tirons-en des conclusions », mais « mettons en œuvre notre plan (https://academia.hypotheses.org/9135), et établissons une stratégie et une communication pour la mener à bien ».

      Quelle était la stratégie ?

      Zéro budget, zéro création de postes, voire passe-passe budgétaire divers avant la fin du quinquennat. La stratégie de communication, digne d’un Ministère de la Vérité, a consisté à marteler « 25 milliards » sur tous les plateaux de télévision avant la fin du quinquennat Macron ; ou à parler de création de postes, quand il y multiplication de statuts précaires, mais pas de budget pour les financer non plus.

      La tactique consiste elle à opérer par coups de force à la fin du processus législatif, par le biais d’amendements votés par une « #nuit_noire » d’octobre (https://academia.hypotheses.org/27401) : suppression de la qualification, en affaiblissant ainsi le Conseil national des universités, organe représentatif des universitaires ; création d’un délit pénal, aggravé en commission mixte paritaire en « délit d’atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements », puni de 3 ans de prison et de 45 000€ d’amendes.

      Et pour parachever le dispositif, sans considération pour conflit d’intérêt, faire nommer le Conseiller présidentiel à la tête de ce qui doit devenir l’instrument de l’achèvement de la mise au pas des universités : le Haut Conseil à l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

      En un mot, faire croire à une politique budgétaire favorable pour les universités alors qu’il s’agit de fragiliser encore leur capacité d’action, leur autonomie et leur rayonnement à l’international. Frédérique Vidal, en bon petit soldat de la macronie, fait un sans faute. Sur tout, sauf sur un point de détail, censuré (https://academia.hypotheses.org/29702) par le Conseil constitutionnel comme « cavalier législatif » : le délit pénal.

      Abattre la résistance

      Pourquoi Frédérique Vidal sort-elle tout cela de son chapeau maintenant ?

      Que cherche-t-elle, à vouloir distinguer des déviances au sein de l’université ?

      Y a-t-il une volonté, sous prétexte de séparer le « savoir » des « opinions » de venir contrôler ce qui s’y dit et s’y fait ?

      Sur ce sujet, l’introduction d’un #délit_pénal d’un type nouveau représente un vrai danger, sous forme de première étape. Avec le projet de loi « Principes républicains », il s’agit donc d’ajouter un volet « universités » et de donner les moyens judiciaires à l’État macronien de faire plier ce qui représente un lieu historique de la formation critique des citoyens et des enseignant∙es des premiers cycles.

      Avec le délit pénal, c’est la fin des #franchises_académiques arrachées à l’exécutif au Moyen-Âge, et protégeant les campus universitaires des incursions non-autorisées du pouvoir exécutif.

      Déjà, on voit bien comment la fermeture des établissements d’enseignement supérieur depuis près d’un an semble moins résulter d’une gestion de l’épidémie que de buts politiques moins glorieux, comme celui de briser toute contestation. Les forces de police s’invitent désormais dans des espaces qui leur étaient interdits sans autorisation, comme jeudi dernier à Nanterre (https://www.parisnanterre.fr/espace-presse/message-de-la-presidence-19-02-2021-1004292.kjsp), lors d’un hommage à un étudiant qui s’était suicidé. Pour ce qui touche à la formation des enseignantes et des enseignants, les menaces se font toujours plus pressantes : il n’est que de voir, après de longues années à retirer des heures de formation aux universitaires, la nouvelle expérimentation qui fait la « une » du site web du Ministère de l’Education Nationale : l’annonce qu’à titre expérimental, dans vingt-deux académies, on va retirer de l’université les étudiants et les étudiantes destinées à devenir professeur∙es des écoles, pour les former, pendant trois ans, dans des lycées, avec très peu de cours à l’université. En confiant leur formation à des professeur∙es du secondaire, beaucoup moins en phase avec la recherche critique faute de temps à y consacrer et à l’inverse beaucoup plus soumis aux pressions de leur ministère, qui s’exercent par toute une série de relais (rectorats, inspecteurs, conseillers pédagogiques), il s’agit ni plus ni moins de retirer aux universités l’influence qu’elles exercent sur les jeunes citoyennes et citoyens en formant leur esprit critique.

      Les agents publics de l’ESR, victimes d’injure, de diffamation, voire de menaces de mort, n’ont pas le soutien de leur hiérarchie dont bénéficient les agents de police, même en cas de fautes lourdes. La #protection_fonctionnelle, outil important des libertés académiques, ne constitue plus un bouclier pour préserver l’indépendance des agents publics.

      Il ne reste donc plus qu’une chose à faire pour compléter l’arsenal répressif, après avoir rogné les franchises universitaires et limité l’usage de la protection fonctionnelle : remettre le délit pénal « pour atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements » (https://academia.hypotheses.org/28160) — qualification tellement vague qu’un courriel professionnel pourrait suffire à faire entrer l’universitaire ou l’étudiante un peu critique dans le radar des délits.

      Pour cela, Frédérique Vidal peut compter sur les mêmes sénateurs qui l’ont aidée en octobre : le président de la commission culture, et le rapporteur pour avis du projet de loi « Principes républicains ». Ces parlementaires et ceux qui ont déjà voté leurs amendements l’ont déjà prouvé : ils haïssent l’université, n’envisagent pas une seconde que l’émancipation de son milieu social et la formation à l’esprit critique relèvent des missions de l’université.

      Pour ces esprits chagrins, il faut empêcher de nuire les étudiant∙es et ceux — ou plutôt celles — qui ne partagent pas leurs idées. Pour cela, tous les moyens seront bons : même un vote à 1h du matin, entre une poignée de sénateurs. Frédérique Vidal le sait. Mardi, devant l’Assemblée nationale (https://www.soundofscience.fr/2671), c’est un signal déjà envoyé aux sénateurs et aux sénatrices par Blanquer, agissant pour le compte du président de la République : les universitaires sont complices (https://academia.hypotheses.org/29291) ; elles sont donc coupables. Empêchez-les de nuire, en les arrêtant et en les emprisonnant si besoin.

      De toute cette séquence commencée il y a un an, ce que je retiens, c’est que les institutions universitaires, qui ont jusqu’à présent fait confiance à leur tutelle ― de façon mesurée mais réelle ― doivent saisir que le danger est réel ; que le déni doit cesser.

      La Ministre encore en poste, pilotée de toutes les façons au plus haut sommet de l’État par l’Elysée et le HCERES n’a plus rien à perdre. Le président de feue la République entend assouvir son désir de faire taire toute opposition, surtout si elle émane des puissants mouvements civiques en branle depuis l’an passé qui exigent une société plus juste pour tous et toutes.

      Le déni doit cesser.

      Depuis la présidence #Sarkozy et le vote de la loi dite « #Libertés_et_responsabilités_des_universités », les gouvernements successifs s’en prennent frontalement aux universitaires et aux étudiant⋅es en sous-finançant délibérément le service public de l’enseignement supérieur et la recherche, en en limitant l’accès, en nous imposant ainsi des conditions de travail indignes, des rémunérations horaires inférieures au SMIC (https://connexion.liberation.fr/autorefresh?referer=https%3a%2f%2fwww.liberation.fr%2fchecknews) et désormais en affamant les étudiant∙es — conduisant l’ensemble de la communauté universitaire dans une situation de mépris et de souffrance intolérable.

      À la #souffrance s’ajoute désormais une certaine folie induite par le double-discours gouvernemental, privilégiant la #diversion à la saisie du problème de la #pauvreté_étudiante. Radicaliser le débat public en désignant un bouc émissaire pour engendrer une peur panique participe de la fabrication du déni des réalités sociales et politiques quotidiennes de nos concitoyennes et de nos concitoyens, des jeunes particulièrement et donne une réelle assise à un pouvoir autoritaire.

      Mais un autre déni doit cesser, si on entend encore appliquer les principes constitutionnels de la République : la réactivation d’un #ordre_colonial et patriarcal.

      À force de nier quotidiennement les droits humains élémentaires des réfugiés, d’organiser des contrôles au faciès dès l’adolescence, en humiliant les gens du voyage, en stigmatisant au sein de l’institution scolaire les enfants et les mères, de ne pas sanctionner les comportements et des crimes racistes au sein des forces de police — capables, rappelons-le, de mettre à genoux des lycéens pendant de longues heures, rejouant ainsi une scène de guerre coloniale — l’État français entend reconstituer sur son sol même une classe de sous-citoyens et de sous-citoyennes, privées des droits communs.

      La dissolution d’une association de lutte contre les discriminations, au prétexte de « complicité » de faits non avérés, se comprend ainsi : il faut désormais abattre toutes les tentatives de résistance antiraciste, féministe et de défense des libertés publiques non comme des facteurs d’émancipation mais une opposition néfaste.

      Désormais, à lire la séquence qui a commencé sur CNews et qui a « persisté » dans le Journal du dimanche hier, c’est l’université dans son ensemble qui représente une telle force de #résistance. À nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      Christelle Rabier, maîtresse de conférences, EHESS (Marseille)

      1- Voir par exemple : « Le Roy le veult ! » — Circulaire d’Anne-Sophie Barthez du 22 janvier 2021

      2- Expression reprise à Anthony Cortès (Marianne) https://www.marianne.net/societe/education/frederique-vidal-la-ministre-de-lenseignement-superieur-maitre-dans-lart-d

      3- Pour lire une analyse sur l’avis cf. https://academia.hypotheses.org/25936

      4- Seuls 500 millions sont mis sur la table– soit 10 fois poins que ce que le CESE jugeait urgent de budgeter. Pour information, le Crédit impôt recherche, important dispositif d’ “optimisation fiscale”ou refus d’impôt, représente plus de deux fois le budget annuel du CNRS, masse salariale incluse.

      5- Sur le traitement différentiel des agents entre fonctions publiques et l’usage de la protection fonctionnelle comme protection politique des affidés, voir les deux billets Protection fonctionnelle : cas d’école et Courrier à la ministre : Mesure de protection de la santé et de la sécurité d’une enseignante-chercheuse.

      6- Sur le déni du sexisme universitaire, à commencer par ’invisibilisation active du travail des femmes universitaires, conceptualisé en 1993 par Margaret W. Rossiter, comme “Effet Matilda” : Margaret W. Rossiter, « L’effet Matthieu Mathilda en sciences », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 11 | 2003, mis en ligne le 16 février 2010, consulté le 22 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/cedref/503 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cedref.503. Voire également Cardi Coline, Naudier Delphine, Pruvost Geneviève, « Les rapports sociaux de sexe à l’université : au cœur d’une triple dénégation », L’Homme & la Société, 2005/4 (n° 158), p. 49-73. DOI : 10.3917/lhs.158.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2005-4-page-49.htm - à l’origine de la naissance du collectif Clashes contre les violences sexistes et sexuelles à l’université.

      7- Sur ce sujet douloureux, voir Fassin Didier, 2011, La force de l’ordre : une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Editions du Seuil ; Brahim Rachida, 2021, La race tue deux fois : une histoire des crimes racistes en France (1970-2000), Paris, Éditions Syllepse, ainsi que le documentaire de David Dufresne, Un Pays qui se tient sage, 2020.

      https://blogs.mediapart.fr/christelle-rabier/blog/230221/au-soldat-du-deni-frederique-vidal-la-patrie-resistante#at_medium=cu

      #ordre_patriarcal

    • Islamophobie ou islamo-gauchisme : l’indignation à géométrie variable de Frédérique Vidal

      La ministre de l’Enseignement supérieur défend promptement les universitaires accusés d’islamophobie quand elle tarde à apporter son soutien aux professeurs désignés comme « islamo-gauchistes ».

      Le gouvernement défend-il plus les enseignants-chercheurs qui vont dans son sens politique ? Depuis plusieurs semaines, des universitaires sont affichés publiquement, tantôt pour islamophobie, tantôt pour islamo-gauchisme. Force est de constater que la réponse du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche n’est pas égale face à ces prises à partie ad hominem.

      Quand deux enseignants-chercheurs de l’IEP de Grenoble, Klaus Kinzler et T., sont la cible d’un affichage sur les murs de l’établissement les traitant de « fascistes » et d’« islamophobie » le 4 mars, le communiqué de condamnation de l’acte par Frédérique Vidal ne se fait pas attendre plus de quatre jours. De même, la direction de l’IEP se range derrière ses personnels et saisit le procureur de la République.

      Par contre, quand #Pascal_Praud désigne la directrice du laboratoire Pacte prise dans la polémique de Sciences-Po Grenoble au sujet de Klaus Kinzler, Anne-Laure Amilhat Szary, comme « militante » et livre son nom dans son émission du 9 mars dernier, sa ministre de tutelle ne publie aucun communiqué, malgré la virulente campagne de calomnies qui a suivi par les propos de l’animateur de CNEWS. « Je me sens fortement soutenue par mes tutelles, l’université Grenoble Alpes, le CNRS et l’IEP, déclare la principale intéressée à Libération. Il faut laisser du temps à l’enquête et je le comprends, mais je reçois des menaces de mort depuis ce week-end et je suis préoccupée pour notre pays que l’on puisse jeter en pâture le nom d’une professeure des universités et celui de son laboratoire sans qu’il y ait d’intervention publique immédiate pour les défendre dans les médias. » Les messages sur les réseaux sociaux l’accusent en effet « d’#islamo-fascisme » et d’avoir lancé « une #fatwa » à l’encontre de ses deux collègues de l’IEP Grenoble, ce que les faits contredisent tout à fait.

      Cet embrasement sur le thème d’un supposé « islamo-gauchisme » au sein des universités françaises a été attisé par la ministre Frédérique Vidal elle-même. En février, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche annonçait, sur CNEWS déjà, son intention de commander « une enquête » au CNRS portant sur « l’islamo-gauchisme » dans les facs. Très vite, une pétition de chercheurs et universitaires va « demander avec force la démission de Frédérique Vidal ». Les 600 premiers signataires de cette pétition vont se retrouver affichés sur un site sous le titre « Liste des 600 gauchistes (et quelques autres) complices de l’islam radical qui pourrissent l’université et la France », sans que cela n’émeuve le ministère rue Descartes. Comme dans le cas de l’affaire de l’IEP de Grenoble, ce sont les tutelles qui vont faire le travail, accordant la #protection_fonctionnelle à leurs personnels pour prendre en charge les frais de justice, comme à l’université de Toulouse Jean-Jaurès. Le CNRS a aussi saisi le procureur de la République sur ces faits. Finalement, le 9 mars, lors d’une réunion du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), Frédérique Vidal fera lire un message condamnant « l’attitude de certains sites et organisations politiques, adoptant la même attitude envers des universitaires au prétexte qu’ils ont participé à une pétition. Sur ce dernier point, je soutiens sans réserve le signalement effectué à l’initiative du CNRS ». Un soutien à bas bruit médiatique au nom d’une position de principe réitérée au Sénat le lendemain.


      https://twitter.com/VidalFrederique/status/1369667352497958917

      Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT, s’inquiète de cette dérive consistant à attaquer les chercheurs personnellement en raison de leur thème de recherche. « Cela demande une réaction forte du gouvernement. Il faut protéger les libertés académiques sans rentrer dans une forme de choix en fonction de la couleur politique des personnes », plaide-t-il avant de reconnaître que cette indignation sélective a été tant le fait « du gouvernement, de certains parlementaires que, parfois, de certains collègues ».

      https://www.liberation.fr/politique/islamophobie-ou-islamo-gauchisme-lindignation-a-geometrie-variable-de-fre

    • « Le Klu Klux Klan en aurait rêvé ! » Ce que les #paniques_morales sur les universités révèlent de la #propagande d’extrême-droite

      Les universités n’ont jamais eu bonne presse avec les journaux conservateurs. Espaces de contestation et de critique, particulièrement depuis la massification d’après-Seconde Guerre Mondiale et les mouvements sociaux de la fin des années 1960 et des années 1970, ces institutions se sont révélées, pour une part importante d’entre elles, très résistantes aux tentatives d’entrée et d’emprise du militantisme conservateur ou réactionnaire — même si quelques-unes d’entre-elles sont fameuses pour avoir accueilli des groupes et des intellectuels essentiels de la droite radicale. Il y aurait certainement une histoire à faire des paniques morales agitées concernant ces espaces, qui s’y prêtent bien, étant fréquentés par une partie bien définie de la population et relativement coupés du reste des sphères sociales, mais un tel effort dépasserait les ambitions de ce billet pour Academia.

      Une actualité insistante

      Une chose toutefois claire — et que j’ai discutée ailleurs (https://racismes.hypotheses.org/209) — est le fait que l’année 2019 voit en France une résurgence d’un tel cycle de #paniques, dont la fin de l’année 2020 et le début de l’année 2021 semblent être un pic : pas un jour ne passe ou presque sans qu’un article discutant, qui la mise en place d’une cérémonie de remise de diplômes réservée aux personnes LGBT dans une université états-unienne (https://www.lepoint.fr/monde/a-columbia-une-remise-de-diplomes-pour-chaque-minorite-18-03-2021-2418406_24) — où la pratique existe pourtant depuis plusieurs décennies —, qui un conflit mineur au sein d’une salle de classe quant aux conditions acceptables d’utilisation d’une injure raciste (https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/10/30/a-l-universite-d-ottawa-le-mot-qui-ne-doit-jamais-etre-prononce_6057913_4500) — particulièrement en ce qui concerne la lecture de textes employant ces termes — qui d’un débat concernant le programme à enseigner dans un cours (https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/non-l-antiquite-n-etait-pas-raciste-20210311). Les personnes ayant tenté sans succès l’attention des médias sur la situation des universités, notamment concernant les ravages de l’austérité et de la précarité tant sur les usagers que les travailleurs de ces institutions, ressentiront sans doute une pointe de jalousie face à cet intense intérêt pour la question de la composition du syllabus du cours de littérature médiévale de l’université de Leicester (https://www.lepoint.fr/culture/cancelculture-quand-l-universite-de-leicester-decolonise-ses-programmes-24-0), par exemple, au moment même où l’avenir des départements de lettres est remis en cause en France (https://twitter.com/JulienGossa/status/1371816497274888197) car ils constitueraient un « aller simple pour le chômage ».

      Dans ce contexte médiatique survolté, l’association Qualité de la science française (https://www.qsf.fr/2021/03/16/le-climat-dintimidation-a-luniversite-ne-peut-pas-perdurer) s’interroge « sur la place à réserver au sein des universités à des manifestations consacrées à la défense ou à la promotion de certaines #valeurs (telles les « semaines de l’égalité ») ». Car, ajoute-elle, « Les valeurs sont par définition des objets polémiques ».

      C’est précisément ce qui va m’intéresser ici, à savoir la place que tient en particulier le thème de la « #ségrégation » dans le registre de la dénonciation des initiatives pro-diversité ou anti-racistes, spécifiquement dans les universités, tel qu’il se déploie dans ces paniques morales. Une interjection souvent entendue en ce sens se résume ainsi à « Le Klu Klux Klan en a rêvé, les universitaires l’ont fait ! » (https://twitter.com/Eric_Anceau/status/1372085529437745158), reprenant la vieille accusation bien connue de « #racialisme », selon laquelle dans une société largement post-raciste, les seules personnes faisant exister encore le racisme seraient d’une part quelques marginaux racistes en pleine débandade, et de l’autre un groupe bien plus dangereux, que seraient les antiracistes « obsédés de la race ».

      Cette accusation se retrouve sur le temps long dans la littérature conservatrice : dans son fameux Sanglot de l’Homme Blanc, l’essayiste #Pascal_Bruckner nous avertissait déjà de ce qu’il pensait être le risque de la valorisation de la diversité :

      "Perçue alors comme infériorité, la différence est vue désormais comme distance infranchissable. Poussée dans sa logique extrême, cet éloge de l’autarcie aboutit aux politiques discriminatoires de triste renom : qu’est-ce d’autre en effet que l’apartheid sud-africain, sinon le respect de la spécificité pris au pied de la lettre, jusqu’au point où l’autre est si distinct de moi qu’il n’a plus le droit de m’approcher ? On sait qu’à Pretoria la règle du « chacun chez soi et tout le monde sera content » est une religion d’État."

      Le fait que le texte en question ait été écrit une décennie avant l’abolition de l’apartheid permet de saluer toute la finesse de l’analyse. Mais il en ressort la présence durable d’une crainte, réelle ou feinte — et au vu des craintes face au cosmopolitisme ou au multiculturalisme que l’auteur énonce dans son texte par la suite, ce caractère feint est une hypothèse à prendre au sérieux — face au fait que le principal moteur d’une résurgence du racisme soit finalement les antiracistes eux-mêmes. Cela explique les exclamations paniquées devant la moindre initiative visant à transformer en dispositifs de politiques publiques des principes antiracistes : « Le KKK en aurait rêvé ! ».

      Il faut certes reconnaître la profonde méconnaissance de l’histoire des effets politiques du groupe terroriste états-unien, de son agenda, et de l’actualité de son militantisme et de celui d’organisations partageant ses idées qui suinte du discours de Pascal Bruckner. En effet, il sous-entend que le KKK n’existerait plus ou que ses idées ne pourraient être déduites que de débats de plusieurs décennies, quand non seulement l’organisation, en déclin, existe et parle encore, mais de surcroit des organisations partageant ses idées ont pignon sur rue. La plus célèbre — le #Council_of_Conservative_Citizens — organise des meetings publics, où elle invite des politiciens de premier plan, aux campagnes desquels elle participe, et publie des journaux : il est très facile de savoir ce que pense le mouvement ségrégationniste aux États-Unis, puisqu’il n’a pas disparu. Un élément néanmoins marquant, c’est la façon dont les expressions de choc moral et les cris d’orfraie de l’essayiste français se font de façon paradoxale l’écho d’éléments de propagande issus, précisément, de ces milieux radicaux.

      Inverser les valeurs

      On aurait tort d’ignorer, dans le discours de ces nouveaux prophètes réactionnaires, la tradition intellectuelle états-unienne suprémaciste blanche. Comme je viens de le préciser, il est en effet possible de lire et d’entendre des analyses d’intellectuels issus du mouvement suprématiste blanc états-unien, auquel se rattache le KKK, de façon régulière : le mouvement dispose depuis longtemps de ses presses, de ses think tanks, etc. Comme le rappelle le philosophe Jason Stanley dans son ouvrage How Fascism Works, l’extrême-droite états-unienne a depuis plusieurs décennies considéré la lutte contre l’institution universitaire comme une mission de premier plan. Le rôle de l’activiste #David_Horowitz, analysé par Stanley, peut être considéré central dans de telles attaques, notamment via son organisation, #Students_for_Academic_Freedom :

      "Le but de Students for Academic Freedom est de faire la promotion de l’embauche d’enseignants ayant un point de vue conservateur, un effort présenté comme une promotion de la « #diversité_intellectuelle et de la liberté académique dans les universités américaines », d’après la #Young_America_Foundation [autre organisation de droite proche de SAF]. Pendant les dernières décennies, #Horowitz a été une personnalité marginale dans la #droite_radicale états-unienne. Plus récemment, ses tactiques et objectifs, parfois sa #rhétorique, sont entrées dans le #langage_commun, où les attaques envers le « #politiquement_correct » sur les campus sont devenues banales."

      La stratégie de David Horowitz évoquée ici est définie par ce dernier dans une note stratégique qu’il a rédigée pour le Sénateur Républicain Jeff Sessions en 2012 : intitulée « Viser le cœur plutôt que la tête », la note développe une méthode consistant à faire haïr le camp adverse à l’électorat plutôt que de gager sur les atouts du programme que l’on défend. Pour Horowitz, le camp progressiste parvenant à se représenter comme ayant le surplomb moral, il fallait au contraire développer « une #campagne_émotionnelle qui mette nos agresseurs [les Démocrates] sur la défensive ; qui les attaque sur le même plan moral, leur attacher l’#image des méchants ».

      Il n’est dès lors pas étonnant que sur le long terme, les entreprises militantes que cet activiste a développées s’appuient sur une #inversion_des_valeurs. Comme le fait remarquer Jason Stanley, les propositions concrètes portées par les groupes du type de ceux soutenus par Horowitz n’est pas une extension des libertés, mais une réduction de celles-ci : « Les attaques depuis la droite montrent clairement le désir même de la droite de contrôler ce sur quoi on a le droit de travailler. Dans le genre classique de la propagande démagogique, la tactique consiste à attaquer des institutions représentant la #raison et le débat ouvert, au nom de ces mêmes idéaux ». Ce qui explique que les organisations soutenues par Horowitz, qui font toutes appel à la liberté et au débat dans leurs noms, publient également régulièrement des listes d’enseignants jugés déviants à remettre en cause : en 2016, #Turning_Point_USA, un groupe similaire, lançait la plateforme « #Professor_Watchlist » (https://academia.hypotheses.org/2684), qui visait à effectuer une liste de « #professeurs_dangereux ». Horowitz avait lui-même inauguré le modèle en publiant un ouvrage sur « les 101 professeurs les plus dangereux des États-Unis », puis en créant le répertoire « #Discover_the_Networks », suivant le même objectif.

      L’un des éléments les plus structurants du discours de la droite horowitzienne consiste très tôt à mettre en avant la façon dont l’antiracisme sur les campus universitaires reviendrait à réactiver une ligne de couleur par ailleurs effacée, particulièrement dans le cadre des débats sur les politiques d’affirmative action visant à accroître la diversité sur les campus : « Le KKK en rêvait ! », commence-t-on alors à s’émouvoir dans une droite qui, peu de temps avant, continuait dans certaines parties du pays à élire des représentants issus des rangs du même KKK, et qui prendrait bientôt l’habitude de recevoir des soutiens financiers de ses héritiers. Cette image d’une université qui, croyant bien faire, réactiverait des clichés et surtout développerait des pratiques incompréhensibles, devient en tant que telle un élément de propagande de cette même extrême-droite : dans un document d’ »analyse » pour un think tank suprématiste blanc, le « #Geopolitical_Studies_Institute », un auteur expliquait ainsi le mouvement #Black_Lives_Matter comme suit :

      "Nous avons remarqué que des jeunes gens éduqués – avec des diplômes supérieurs à la licence – sont surreprésentés parmi les militants #BLM. Une explication possible – outre le fait que les départements de lettres et de sciences sociales sont de plus en plus des machines à #endoctrinement gauchistes – est qu’il y a une relation positive entre le #neuroticisme [un trait de personnalité associé aux émotions fortes en psychologie] et le succès universitaire, particulièrement combiné à un haut niveau de conscience de soi (contrôle des impulsions et suivi des règles). C’est peut-être parce que l’#anxiété agit comme motivateur de la diligence ou parce que le neuroticisme implique un plus grand désir de connaître la nature du monde de façon certaine, et donc de croire que l’on peut y accéder via les études supérieures."

      Traduit en autre chose que le sabir pseudo-scientifique original, le raisonnement revient à dire qu’à la fois le désir de faire des études et la propension à participer à un mouvement social antiraciste n’est explicable ni par l’état de la société, ni par une position idéologique avec laquelle il est possible d’être en désaccord, mais qui se discute au moins, mais en réalité par une sorte de défaut fondamental de la personnalité des personnes qui s’y prêtent. L’auteur explique un peu plus haut qu’un tel phénomène aurait lieu du fait d’un changement évolutionnaire dans l’espèce humaine lié à l’#industrialisation, qui conduirait à la disparition des processus darwiniens naturels réduisant la prévalence de tels traits dans la population. On retrouve facilement les vieilles marottes eugénistes et spencériennes qui portent la droite radicale dans toute son histoire moderne.

      Une telle lecture psychologisante et médicalisante de « la religion de la justice sociale » est longtemps restée enfermée dans les champs de la pseudo-science raciale, mais trouve à la fin des années Obama une place accueillante sur la chaîne de télévision #Fox_News, où un segment quasi-quotidien, « La folie des campus », animé par le présentateur vedette #Tucker_Carlson, vient documenter quasi-quotidiennement des non-événements censés éclairer les #dérives_universitaires, montées de façon unilatérale autour d’une histoire simpliste dans laquelle les « antiracistes gauchistes extrémistes » sont toujours des « fous » et des « méchants », tandis que leurs « victimes » sont toujours de libres-penseurs modérés souhaitant seulement « discuter d’idées ». C’est à cette même époque que des intellectuels états-uniens proches de ces idées, auto-qualifiés du label peu flatteur mais ironiquement bien trouvé d’#Intellectual_Dark_Web prennent l’habitude de se qualifier de « #libéraux_classiques » (classical liberals), tout en travaillant comme l’illustrait le commentateur politique #Michael_Brooks dans son propre décorticage du mouvement, #Against_the_Web, à mettre à l’agenda des positions violemment réactionnaires et antiscienti (fiques renvoyant aux vieilles marottes de la « science raciale », et plus généralement du rappel à l’ordre :

      "Ils défendent tous l’ordre économiste capitaliste sur le plan domestique, et l’hégémonie impérialiste américaine internationalement. Ils se voient comme les défenseurs d’une construction floue (et franchement incohérente historiquement) qu’ils appellent « l’Occident ». Ils défendent tous ce qu’ils imaginent être « la biologie » contre les féministes, et au moins certains d’entre eux, comme #Sam_Harris – qui fait la promotion de #Charles_Murray, intellectuel odieusement d’extrême-droite et aux préjugés explicites – prennent une position similaire sur le sujet de la race. Plus encore, dans l’ensemble de ces sujets, l’#IDW promeut des perspectives qui naturalisent ou mythologisent des relations de pouvoir historiquement contingentes – entre patrons et travailleurs, hommes et femmes – ce sont des réactionnaires à l’ancienne."

      Pas étonnant dès lors que ces « progressistes classiques » soient rapidement devenus les progressistes préférés de la droite états-unienne, et commencent à devenir des lumières pour une partie de la droite européenne.

      Liaisons dangereuses

      Les représentations des paniques morales de 2021 sont directement tributaires de la littérature des « #progressistes_classistes ». Avec une précision millimétrique, les mêmes affaires sont traduites, diffusées, et discutées dans les mêmes termes, devenant l’un des produits les plus populaires d’exportation des États-Unis vers la France. La multiplication d’ »enquêtes » sur « la #folie_des_campus », accusant la « #génération_offensée » que seraient les jeunes et les « endoctrineurs » que seraient leurs enseignants de « créer de toutes pièces » un antiracisme « racialiste » qui se mettrait à agiter des polémiques « imaginaires », qui est désormais une obsession bien fixée d’une partie de la presse, n’est pas sans faire écho non seulement aux paniques qui agitaient la presse générale états-unienne il y a cinq ans. Les raisons en sont certainement nombreuses, et on ne peut pas entièrement ignorer le fait que, dans la machine du clickbait et de l’info en continu, des affaires qui ne nécessitent pas beaucoup d’enquête — et, disons-le, pas beaucoup de #déontologie non plus, comme l’a bien illustré la récente affaire de Sciences Po Grenoble dans laquelle la parole d’une partie au conflit a été érigée immédiatement en vérité face à laquelle aucune perspective dissonante ne devait être entendue, sont une bonne matière première. Cette même matière sert apparemment désormais des discours pour qui les fondements constitutionnels de la République Française — liberté, égalité, fraternité — poseraient problème, à l’université notamment.

      Enquêter à l’université, aller chercher les conditions de vie et de travail des gens qui y sont, comprendre l’imbroglio administratif qui conduit à la dégradation progressive de cette institution est fastidieux et fait peu vendre, par rapport au fait de multiplier des Unes sensationnalistes suivant une recette bien établie et facile à reproduire. Mais – et c’est particulièrement ironique face à l’accusation de ressembler au discours d’organisations terroristes comme le KKK – cette logique qu’elle provienne de contraintes, de conviction, ou de malveillance, conduit irrémédiablement à se calquer petit à petit sur les analyses et à l’agenda que, de longue date, le mouvement suprématiste blanc états-unien a mises en avant sur ces questions.

      https://academia.hypotheses.org/31676

    • Courrier de la ministre Vidal (22.03.2021) :

      https://i.imgur.com/1po5SGh.jpg

      A propos de la « #Liste des #600_gauchistes complices de l’islam radicale qui pourrissent l’université et la France » publiée sur le blog de #Philippe_Boyer :
      https://philippe-boyer.eu/liste-des-600-gauchistes-complices-de-lislam-radicale-qui-pourrissent

      Comme dit Claire Sécail sur twitter :

      « C’est aussi à la vitesse de réaction que l’on reconnait un foutage de gueule. »

      https://twitter.com/clairesecail/status/1374055660531429379

    • Derrière la polémique sur l’« islamo-gauchisme », la ministre Vidal isolée comme jamais

      Imaginée par une poignée de conseillers de Frédérique Vidal, la #polémique sur l’« islamo-gauchisme » a servi de paravent à une ministre isolée comme jamais du monde académique, des réalités étudiantes mais aussi de sa propre administration.

      Ses conseillers lui avaient promis de marquer, enfin, l’agenda politique. De ce point de vue, l’opération est réussie. Absente du débat public depuis le début de la crise sanitaire, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal a provoqué un tollé en déclenchant, en pleine pandémie, un débat sur « l’islamo-gauchisme » dans les universités.

      L’instant d’une polémique – qui l’a soudainement amenée à défendre le contraire de ce qu’elle prétendait penser à l’automne –, la ministre a même réussi à reléguer au second plan les critiques sur son défaut de gestion de la crise. Oublié aussi son isolement du monde académique, des réalités étudiantes ainsi que de sa propre administration. Fin novembre, son ministère a été marqué par la démission fracassante du directeur général de la recherche et de l’innovation. Mais de cet événement aussi inédit que parlant sur l’état du ministère, il n’a pas été question sur les plateaux de télévision. De l’art de faire #diversion.

      En recommandant à leur patronne d’attaquer bille en tête la communauté universitaire, les quelques conseillers de Frédérique Vidal à la manœuvre n’avaient en revanche pas anticipé l’ampleur des protestations qui s’élèveraient contre elle.

      Les pétitions appelant sur tous les tons à sa démission se multiplient – celle issue d’une tribune publiée le 21 février 2021 dans Le Monde cumulant même, à ce jour, plus de 22 000 signatures individuelles d’universitaires. Consternés, des intellectuels du monde entier volent désormais au secours de leurs collègues français (lire cette tribune de L’Obs). Jamais une ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche n’avait autant fait l’unanimité contre elle. Signe que l’heure est grave, des organisations scientifiques d’habitude discrètes affichent désormais leur désaccord.

      Alors que Frédérique Vidal avait demandé, le mardi 16 février 2021, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), « un bilan de l’ensemble des recherches », pour mieux séparer ce qui relèverait de la science et du militantisme, le CNRS a répondu que « l’islamogauchisme n’est pas une réalité scientifique ». L’organisme de recherche a condamné « les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche ».

      Même la conférence des présidents d’université s’est exprimée en des termes peu habituels : « Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition. Le débat politique n’est par principe pas un débat scientifique : il ne doit pas pour autant conduire à raconter n’importe quoi. »

      Du côté syndical aussi, le front est large. La FSU (Syndicat national des chercheurs scientifiques et Syndicat national de l’enseignement) et Sud (Recherche et Éducation) ont appelé au départ de la ministre. La CGT estime que « la ministre doit retirer ses déclarations et présenter ses excuses aux personnels, annuler ses velléités d’inspection politique de la recherche ». Et l’Unsa d’attaquer : « Cela fait des mois que les universitaires se dépensent sans compter pour assurer la continuité du service public de l’enseignement supérieur. La plupart sont épuisés. Est-ce pour renforcer l’attractivité du métier d’enseignant-chercheur que l’on stigmatise des pans entiers de la recherche ? »

      Avant même la polémique sur « l’islamo-gauchisme », la communauté universitaire s’était émue, cet automne, des attaques faites aux libertés académiques lors de l’examen puis du vote de la Loi de programmation de la recherche (LPR). Les premiers à avoir demandé la démission de Frédérique Vidal ont été les membres de la Commission permanente du conseil national des universités (CP-CNU), une instance aux deux tiers élus et se prononçant sur le recrutement et la carrière des enseignants-chercheurs.

      Déjà le 7 novembre 2020, ils estimaient que Frédérique Vidal devait quitter ses fonctions, dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron. La CP-CNU y déplorait le fait de ne jamais avoir été entendu lors de la préparation de la LPR. L’ultime affront, celui poussant cette instance à demander pour la première fois de son existence la démission d’un ministre, étant le vote au Sénat, tard dans la nuit du 28 au 29 octobre 2020 et avec le soutien du gouvernement, de deux amendements sulfureux.

      Le premier sanctionne de trois ans de prison l’occupation en réunion d’un bâtiment universitaire. Le second passe outre l’expertise du CNU pour la qualification des professeurs et marque le début de la même expérimentation pour les maîtres de conférences, remettant totalement en cause l’organisme qui délivre ladite qualification, le CNU.

      « En touchant à la question de l’autonomie de la production des savoirs vis-à-vis du pouvoir politique (quel qu’il soit) et aux libertés académiques, ainsi qu’au cadre national du recrutement des enseignants-chercheurs, ces amendements confirment le mépris dans lequel la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche est tenue depuis des mois en France », s’est alors alarmée l’organisation.

      Sylvie Bauer, présidente de la CP-CNU, se souvient de sa stupeur en découvrant la position du gouvernement : « À maintes reprises, le cabinet et la ministre nous avaient promis qu’ils ne toucheraient pas au CNU et au recrutement des enseignants chercheurs, ils ont menti. » Une manière de faire si brutale qu’elle a choqué jusqu’à Cédric Villani, ancien représentant des universitaires chez LREM. 

      Le député de l’Essonne a même voté contre la #LPR. Dans une lettre publiée au lendemain du vote, il dénonce la réforme, sur le fond comme sur la forme. Au sujet de la criminalisation de l’occupation des facs, il écrit : « En tant que député, je trouve inconcevable qu’une telle disposition soit prise sans débat à l’Assemblée ; en tant qu’universitaire, je ne puis voter pour une telle limitation de nos précieuses libertés académiques. »

      Depuis, la colère de la CP-CNU n’est pas redescendue. « La seule fois où j’ai vu Frédérique Vidal depuis 2017, c’était en mars 2020. Nous étions en pleine mobilisation contre la LPR. Elle nous a engueulés parce que des profs exerçaient leur droit de grève. Elle s’est plainte que personne ne la soutienne », se rappelle Sylvie Bauer. Un récit confirmé par Fabrice Planchon, vice-président de la CP-CNU. Un échange tendu puis un appel à démission plus tard, les liens entre le ministère et l’instance ont complètement été rompus.

      La CP-CNU n’est pas la seule instance à avoir gardé un amer souvenir des discussions autour de la LPR. Patrick Lemaire, biologiste et président du collège des sociétés savantes académiques de France, se souvient d’une curieuse « #garden_party » organisée à l’été 2020 dans les jardins du ministère en guise de « concertation ». « C’était un drôle de mélange. Frédérique Vidal était là, debout, usant de l’argument d’autorité pour nous convaincre du bien-fondé de sa loi. Quand on la contredisait, elle pouvait devenir plus constructive mais ne remettait jamais en question son projet. Elle ne voulait rien changer à son texte, mais mieux l’expliquer. »

      Un autre invité se souvient auprès de Mediapart d’un « one-women show d’une heure et demie », du buffet, du beau jardin et de l’impression de s’être rendu à une réunion pour rien : « Nous, on aurait préféré être assis, à une table, pouvoir échanger calmement, échanger des dossiers. Ça ne s’est pas fait mais ça voulait peut-être dire que, pour elle, il n’y avait déjà plus grand-chose à discuter. »

      Pour dénoncer les attaques faites aux libertés académiques et le manque de dialogue social avec le ministère, les syndicats ne s’adressent d’ailleurs plus à Frédérique Vidal mais passent directement par le premier ministre. Même chose pour les décisions pour lutter contre la précarité étudiante, qui sont annoncées depuis l’Élysée.

      Toutes les organisations de l’arc syndical ont écrit, au moins à trois reprises, à Matignon sur l’unique mois de novembre 2020. Le 5 novembre, contre la fermeture des établissements. Le 9 novembre, contre un amendement sénatorial durant l’examen de la LPR, depuis retoqué par la commission paritaire mixte, visant à inscrire dans la loi que « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République ». Le 16 novembre, la CGT, la FSU, FO, la CFDT, le SNPTES, Sud et l’Unsa reprenaient la plume pour demander un rendez-vous urgent à Jean Castex après le vote au Sénat des deux amendements, « validés par Frédérique Vidal » sans « consultations préalables », sur l’occupation des facs et la qualification des professeurs.

      La démission fracassante d’un directeur d’administration

      Plus particulièrement, Anne Roger, co-secrétaire générale du SNESUP-FSU, décrit des relations avec la ministre totalement dégradées. « C’est simple, on n’a pas de discussion avec elle. Notre dernier rendez-vous avec le cabinet remonte à quatre mois, il n’y avait ni la ministre, ni le directeur, ni le directeur adjoint de son cabinet. C’était juste pour nous calmer », souffle la représentante syndicale. Selon elle, les rendez-vous sont « des grand-messes qui ne sont pas exactement le lieu du débat. Et à plusieurs reprises, lors de ces réunions, en multilatérales ou au CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche), elle vient, fait son topo, écoute un peu puis part et laisse son cabinet gérer la fin de la réunion. En fait, l’important pour elle, c’est de dire, pas d’écouter. »

      Cette absence d’écoute est aussi ressentie par le Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS-CGT), qui vient d’ailleurs de remporter une bataille judiciaire contre le ministère. Le tribunal administratif de Paris a ordonné, le 8 mars, en référé, à Frédérique Vidal de convier le syndicat aux réunions de suivi du protocole d’accord relatif à l’amélioration des rémunérations et des carrières des agents du ministère jusqu’en 2027.

      Début 2021, la ministre avait unilatéralement décidé d’écarter des réunions de suivi la FERC-CGT (la fédération à laquelle est affilié le SNTRS-CGT), qui s’était opposé publiquement au protocole d’accord. Or, cette décision « porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale », a estimé le juge des référés.

      Devant le tribunal administratif, le représentant du ministère a soutenu que la FERC-CGT n’avait pas été lésé puisque aucune réunion n’avait jusqu’ici été organisée, ni même programmée, avec les autres organisations syndicales. Ce qui est faux, une première réunion du comité de suivi ayant même été organisée le 5 février, selon nos informations. Interrogé sur ce mensonge, le cabinet de la ministre nous a fait savoir qu’il ne souhaitait pas répondre (voir notre « Boîte noire »).

      Même impression de désinvolture au CHSCT du ministère. Alors qu’elle préside cette instance, Frédérique Vidal ne s’est jamais rendue à aucune des réunions. S’il est habituel que les ministres se fassent excuser, « vu la crise sanitaire, il aurait été logique qu’elle montre un peu d’intérêt… », grince une membre du CHSCT. Un avis de l’instance, en date du 6 novembre 2020, laisse transparaître un agacement général : « Les représentants du personnel du CHSCT MESR attendent que la ministre montre un intérêt à l’instance qu’elle préside, en y faisant acte de présence, ne serait-ce qu’une fois. »

      D’autant plus que le CHSCT semble être baladé, de réunions exceptionnelles en délais incompressibles, dans une urgence permanente. Tous les membres se souviendront de cette réunion du 18 décembre 2020 à 15 heures, dernier jour avant les vacances de Noël. Ils y ont été convoqués à la dernière minute, la veille à 17 heures. « Prendre son service dans cet état de stress et de panique constitue à l’évidence un danger grave et imminent pour tous les personnels, mais également et par voie de conséquence pour les étudiants », relève d’ailleurs l’avis du CHSCT.

      Lors de cette réunion fut discutée la mise en place d’une circulaire permettant le retour progressif des étudiants à l’université à partir du 4 janvier 2021, par groupe de dix. La circulaire, rendue publique le samedi 19 décembre, était censée être applicable dès la rentrée. Impossible, pourtant, pour la plupart des universités, de mettre en place de telles dispositions mal ficelées et diffusées pendant les vacances scolaires. Par ailleurs, la circulaire contrevenait à un décret qui n’a finalement été modifié que le 9 janvier 2021, cinq jours après le début de la soi-disant rentrée. « À chaque fois on râle, mais ça n’a aucun impact, souffle la membre du CHSCT. Même avec la crise, on pourrait mieux anticiper et réfléchir. »

      « Aux États-Unis, ils se sont organisés dès le mois de mai 2020 pour l’année universitaire 2020-2021, avec des cours en ligne, des programmes allégés. Nous aussi, on aurait pu le faire, mais Frédérique Vidal ne nous a pas écoutés », abonde Bruno Vallette.

      Ce mathématicien a bien connu Frédérique Vidal à l’université de Nice, où la ministre a passé l’intégralité de sa carrière : étudiante puis maître de conférences en 1994, professeure des universités en 2002 (elle n’a officiellement jamais encadré de thèse), directrice de l’UFR Sciences en 2009 et, enfin, présidente de l’université à partir de 2012, jusqu’à son entrée au gouvernement en 2017.

      Élu d’opposition (Snesup) au conseil d’administration, Bruno Vallette retient des mandats de Frédérique Vidal, arrivée à la présidence d’une université désorganisée et exsangue financièrement, une gestion « “en bonne mère de famille”, comme elle le disait elle-même, mais de manière autocratique, toute seule, au nom de l’efficacité ». « Elle sait mieux que les autres. Je trouve au ministère sa manière de fonctionner à l’université de Nice », insiste le professeur, désormais à l’université Paris-XIII.

      Son passage à la présidence de l’université de Nice n’a pas laissé un mauvais souvenir qu’à ses opposants. « Je n’avais aucun a priori négatif. Je savais qu’elle avait publié dans des revues prestigieuses et elle a, d’ailleurs, été accueillie de façon tout à fait conviviale », se rappelle Frédéric Torterat, l’un des maîtres de conférences rattachés à une équipe de recherche supprimée brutalement en 2017 sous la présidence de Frédérique Vidal. « On ne s’y attendait pas, j’ai dû partir à l’université de Montpellier, complète-t-il. On était 15 à 16 enseignants chercheurs et deux fois plus de doctorants et on a tous dû changer d’unité, et pour certains changer d’université. Elle ne nous a même pas prévenus, c’est assez irrespectueux. »

      Pour l’ancienne directrice de cette unité de recherche, « ce fut un traumatisme ». Nicole Biagioli, aujourd’hui professeure émérite à l’université de Nice, se rappelle de la manière avec laquelle son travail de plusieurs années a été anéanti : « Mme Vidal a fait voter par le conseil d’administration – sauf les élus FSU – la suppression de mon laboratoire en refusant de le faire évaluer scientifiquement, alors que tout était prêt pour la visite de l’HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Je n’en ai jamais été avisée par Mme Vidal, c’est sa collègue en charge de la visite pour le HCERES qui m’a appris la suppression du laboratoire. Au niveau réglementaire, elle a le droit de le faire mais la moindre des choses aurait été de nous prévenir… » Un récit confirmé par Chantal Amade-Escot, déléguée scientifique pour les sciences de l’éducation auprès du HCERES de 2015 à 2018 et professeure émérite à l’université de Toulouse…

      Aujourd’hui, Nicole Biagioli estime que « Mme Vidal n’est ni formée ni intéressée par les langues, les lettres et les sciences humaines. Il y a chez elle une certaine forme de mépris pour ces matières ».

      Rue Descartes, où l’ambiance s’est alourdie au fur et à mesure de l’aggravation de la crise sanitaire, l’explosion a finalement eu lieu le 25 novembre 2020. #Bernard_Larrouturou, alors directeur général de la recherche et de l’innovation (DGRI), l’une des deux directions d’administration centrale, démissionne avec fracas.

      Il s’en explique à ses anciens collègues dans un courrier, sans mâcher ses mots. « Cette démission a été pour moi une décision difficile, et même douloureuse… Je ne m’y suis résolu que parce que l’isolement, entretenu par la direction du cabinet, par la ministre, avec laquelle les directeurs généraux n’ont eu aucun échange depuis plus de six mois, et les difficultés aiguës qui persistent depuis un an et demi en matière de relations de travail entre le cabinet et les services ont installé un véritable empêchement, voire une impossibilité, pour la conduite des actions que la DGRI doit porter », dénonce-t-il dans une lettre de trois pages, dont des premiers extraits avaient été dévoilés par Libération et que Mediapart publie ci-dessous en intégralité.

      Dans son courrier, qui est remonté jusqu’à l’Élysée, Bernard #Larrouturou déplore notamment l’isolement de la ministre avec ses équipes. Il y raconte, par exemple, comment « elle a traité avec mépris et humilié des personnes de la DGRI ou lorsqu’elle a exigé arbitrairement la mise à pied de tel cadre de nos équipes… ». Interrogé sur le contenu de cette missive accablante, Frédérique Vidal n’a pas répondu non plus.

      Des relations compliquées avec les parlementaires

      « Le rythme des cabinets a toujours été caractérisé par l’urgence mais, ce qu’il y a de nouveau depuis l’arrivée de Frédérique Vidal, c’est qu’il est de plus en plus fréquent que le cabinet court-circuite les directions et aille directement voir les agents, ça peut créer de grandes tensions », relève Sylvie Aebischer, responsable CGT Educ’action pour l’administration centrale qui compte plus de 3 300 agents.

      À l’hiver 2018, lors d’un CHSCT, des délégués du personnel et le médecin de prévention alertent sur la situation au sein du service de la stratégie des formations et de la vie étudiante. Un rapport est commandé à l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR). Ses résultats remis le 26 mars 2019, auxquels Mediapart a eu accès, font notamment état « de situations collectives de #souffrance_au_travail ». Les inspecteurs pointent du doigt une surcharge de travail, des conflits éthiques, « des relations au travail compliquées, avec des problèmes liés au soutien jugé parfois insuffisant de la hiérarchie, régulièrement encartée ou empêchée, parfois mis en fragilité par un pilotage peu clair ».

      L’une des douze recommandations de l’inspection était de formaliser les rapports avec le cabinet. Signée en juillet 2019, une charte prévoit depuis l’organisation de réunions régulières entre les directeurs d’administration et le cabinet pour fluidifier les relations. Une tentative qui se soldera par un échec, comme en témoigne la démission de Bernard Larrouturou l’année suivante.

      Au Parlement aussi, les relations avec la ministre sont tout sauf fluides. Au Sénat, une séquence reste gravée dans les mémoires. Le 7 avril 2020, Frédérique Vidal renvoie dans les cordes le sénateur communiste Pierre Ouzoulias qui lui demande pourquoi les biologistes de Marseille ne sont pas dotés d’un cryo-microscope électronique pour étudier le SARS-CoV-2.

      Ces biologistes n’ont qu’à se déplacer à Nice où se trouverait justement un « magnifique microscope » au sein du « Centre commun de microscopie appliquée (CCMA) », répond avec assurance la ministre. Frédérique Vidal, biochimiste de formation, rappelle qu’elle a fait toute sa carrière à Nice – « je connais donc bien le sujet », glisse-t-elle, avec certitude. Sauf que son explication est fausse : l’équipement niçois ne comporte aucun cry-microscope capable d’aider les biologistes à élucider la structure moléculaire du virus, relève le journaliste spécialisé Sylvestre Huet sur son blog.

      Frédérique Vidal « répond souvent avec beaucoup de désinvolture », regrette le député d’opposition Régis Juanico (Génération·s), membre de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée. « Elle nous répond souvent avec suffisance en se référant à son passé de présidente d’université. Cela lui permet de disqualifier les élus qui ne seraient pas d’accord avec elle », ajoute-t-il. Le parlementaire relève aussi que la ministre « n’a jamais répondu » aux conclusions de son rapport parlementaire, co-rédigé avec Nathalie Sarles (LREM), sur Parcoursup.

      « En audition, on a le sentiment qu’elle ne se sent pas concernée », abonde la députée communiste Marie-George Buffet, membre de la même commission. Lors de l’audition du 10 novembre 2021, dans le cadre du rapport sur l’impact qu’a eu le Covid sur les jeunes et les enfants, l’élue de Seine-Saint-Denis a relevé que, « contrairement à d’autres ministres », Frédérique Vidal « répétait des éléments de langage sans répondre réellement ». « Est-ce qu’elle pensait que cette audition n’avait pas d’importance ? Est-ce que la problématique des étudiants ne l’intéresse pas ? », s’interroge la députée.

      Le député LREM Bruno Studer, qui préside la commission, voit les choses autrement : « Je lance régulièrement des missions d’information qui portent sur la recherche et à chaque fois le cabinet se met à disposition des parlementaires. La ministre vient régulièrement devant la commission », témoigne-t-il. Il précise que Frédérique Vidal « est une ministre technique, pas politique », raison pour laquelle elle n’aurait donc pas « tous les codes ».

      « Les choses se sont tendues ces dernières semaines avec ces histoires d’islamo-gauchisme », reconnaît le député de la majorité, en expliquant avoir lui-même été étonné par l’ouverture de cette séquence. « Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Ça m’a surpris de sa part et je lui ai dit, je suis plutôt en désaccord. Ce ne sera pas la première fois que je trouve que des ministres ont des expressions maladroites. »

      Plutôt qu’une expression « maladroite », la séquence sur l’islamo-gauchisme a été réfléchie sur un coin de table par une poignée de membres de l’entourage de la ministre, ainsi que nous l’ont indiqué plusieurs témoins. Cette orientation correspond aussi à la recomposition d’un cabinet, qui a connu un turn-over impressionnant ces dernières semaines. « Cette stratégie ne correspond pas à ce que Frédérique pense », veut croire un de ses proches.

      Plusieurs interlocuteurs datent une vraie rupture à partir du remplacement du directeur de cabinet de la ministre, le 4 mai 2020, par un ancien du cabinet de Manuel Valls à Matignon. La nouvelle conseillère presse de Frédérique Vidal est également la fondatrice des « #Jeunes_avec_Valls », micro-mouvement créé en décembre 2016 pour accompagner la candidature de l’ancien premier ministre à la primaire du PS.

      Beaucoup s’interrogent aussi sur la place croissante occupée par le conseiller spécial de la ministre, un certain #Graig_Monetti, qui cumule aussi avec les fonctions de chef de cabinet. Le trentenaire, qui connaît bien Frédérique Vidal depuis ses années étudiantes à l’université de Nice, où il a présidé l’antenne locale du syndicat étudiant de la Fage, a gravi un à un les échelons de son cabinet. En juin, il a aussi été élu adjoint au maire de Nice Christian Estrosi, avec une délégation à la jeunesse. Ce qui n’est pas sans créer une certaine confusion : on peine parfois à discerner au nom de qui (le ministère ou la mairie de Nice) il intervient dans certains dossiers universitaires.

      Selon un fin connaisseur de la rue Descartes, « Frédérique Vidal a écarté les autres et n’écoute plus que lui ». Cela n’a pas empêché l’actuel président de la Fage, Paul Mayaux, de prendre quelques distances avec le ministère.

      Son syndicat a même appelé à la mobilisation intersyndicale du 26 janvier 2021. « Ce n’est pas leur stratégie politique. Si même eux y vont, c’est un signe qu’il y a une absence totale d’écoute de la part du gouvernement », glisse une responsable syndicale étudiante sous le couvert de l’anonymat. Paul Mayaux confirme : « Effectivement, ce qui s’est passé le 26 janvier, ce ne sont pas des choses qui arrivent souvent. Il y a urgence et même si parfois le cabinet examine certaines de nos propositions, on n’a pas été entendus au bon moment sur la crise des étudiants. C’était trop tard et trop faible, même si on ne nie pas que quelques mesures ont été prises dans le bon sens. »

      En dehors des Jeunes avec Macron, logiquement du côté du gouvernement, les autres organisations de jeunesse sont nettement plus critiques. Frédérique Vidal est « méprisante » et « infantilisante » avec les étudiants, notamment dans son expression publique, dénonce Mélanie Luce, la présidente de l’Unef. Lors d’un énième retour symbolique à l’université, le lundi 11 janvier 2021, à Cergy-Université, la ministre glisse, selon Le Monde : « Le problème, c’est le brassage. Ce n’est pas le cours dans l’amphithéâtre mais l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table ou un sandwich avec les copains à la cafétéria. »

      « On ne demande pas juste sa démission, on veut un vrai changement politique », affirme Mélanie Luce dont l’organisation s’est opposée farouchement aux trois grandes réformes de Frédérique Vidal : Parcoursup, qui instaure la sélection à l’entrée de l’université, « Bienvenue en France », qui multiplie les frais d’inscription pour les étudiants étrangers, et la LPR, qui réforme en grande partie l’université et la recherche française.

      La crise du Covid et sa gestion chaotique par le ministère de l’enseignement supérieur puis la polémique autour de l’islamo-gauchisme ont été les attaques de trop. « Nous, notre priorité, c’est comment aider les étudiants à sortir de cette crise. On demande 1,5 milliard d’euros mais ça n’avance jamais. La solution pour sortir un peu la tête de l’eau, c’est d’augmenter les APL et les bourses du Crous, on le répète sans cesse mais on a l’impression de ne pas être entendus », souffle la présidente de l’Unef. En ce qui concerne les bourses, la refonte du système Crous promise par l’exécutif ne vient pas. Et pour les APL, une réforme a bien eu lieu, mais elle désavantage les jeunes travailleurs et les étudiants en apprentissage.

      « Des milliers d’étudiants font la file pour pouvoir manger. On attendait des aides qui soient à la hauteur de la crise, de la précarité et de la détresse psychologique qu’on voit tous les jours. À la place, on a eu une nouvelle polémique sur l’islamo-gauchisme. C’était tout, sauf ce qu’on attendait… », souffle Ulysse Guttmann-Faure, qui préside l’association Co’p1, fondée en octobre 2020 par six étudiants parisiens pour distribuer de la nourriture aux étudiants précaires.

      L’étudiant, dont l’association rassemble désormais 300 bénévoles, note qu’il « a fallu des mobilisations dans la rue et des suicides pour que la ministre nous entende ». « Et encore…, reprend-il, il y a eu de petites avancées, mais c’était trop tard et pas suffisant ». Les files d’attente, le soir, à la banque alimentaire ne désemplissent effectivement pas.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/220321/derriere-la-polemique-sur-l-islamo-gauchisme-la-ministre-vidal-isolee-comm

      Citation :

      Plutôt qu’une expression « maladroite », la séquence sur l’islamo-gauchisme a été réfléchie sur un coin de table par une poignée de membres de l’entourage de la ministre, ainsi que nous l’ont indiqué plusieurs témoins. Cette orientation correspond aussi à la recomposition d’un cabinet, qui a connu un turn-over impressionnant ces dernières semaines. « Cette stratégie ne correspond pas à ce que Frédérique pense », veut croire un de ses proches.

    • Communiqué de presse de l’#Action_française suite à leur action contre l’hôtel de région Occitanie (25.03.2021) (https://www.midilibre.fr/2021/03/25/toulouse-deux-membres-daction-francaise-tentent-de-sintroduire-au-sein-du-) :

      –-> où on peut voir, comme l’a identifié Pierre Plottu sur twitter, que « l’Action française a donc diffusé un communiqué pour revendiquer cette action.
      Il s’y appuie notamment sur les propos de votre collègue, Mme la ministre Vidal, sur un prétendu l’islamo-gauchisme qui gangrènerait les universités pour la justifier. »


      https://twitter.com/pierre_plottu/status/1375188878630477831

      Repris aussi sur le blog academia :
      https://academia.hypotheses.org/31962

    • « Combien d’attaques contre la science faudra-t-il pour briser le silence ? »

      Des procès en islamo-gauchisme à la disparition annoncée de l’Observatoire de la laïcité, les volontés de faire taire toute pensée critique se multiplient dangereusement, alertent Albert Ogien et Sandra Laugier.

      Il est des #silences qui sont plus accablants que des milliers de discours. Il y eut d’abord celui qui a entouré la publication de la liste rouge des enseignants-chercheurs « islamo-gauchistes », accusés de « gangréner » l’Université en faisant de la politique plutôt que de la science. Il y eut ensuite celui qui a accompagné le rejet de la candidature d’une personnalité scientifique de renom (#Nonna_Mayer) à la présidence de Sciences Po, après qu’elle a été publiquement réprouvée au nom de son engagement en faveur des exclus. Et puis est venu celui qui entoure la disparition annoncée de l’#Observatoire_de_la_laïcité, que la secrétaire d’Etat à la citoyenneté Marlène Schiappa présente comme une simple formalité, le mandat de sa direction arrivant à expiration. Et maintenant la course à l’échalote des sénateurs pour remporter le prix de l’amendement le plus sévère apporté à la loi confortant le respect des principes de la République. Bien sûr, quelques voix se sont élevées pour condamner chacune de ces attaques écœurantes contre le droit et la pensée, mais elles sont elles-mêmes déconsidérées ou ignorées, comme une discordance dans l’indifférence convenue et majoritaire des politiques, des médias et des intellectuels.

      Une étrange confrérie de traqueurs-censeurs

      Ces silences sont autant de reculs et d’abdications face à la #violence qu’exerce cette étrange confrérie de militants qui réunit des personnes venant d’horizons idéologiques différents et partageant une même volonté : disqualifier, rendre inaudibles, voire interdire les voix qui leur déplaisent et contestent leur autorité. Leur principale occupation et obsession consiste à dénicher et détruire la moindre intervention publique ou expression qui signale une compréhension des problèmes politiques et sociaux du présent ; notamment des revendications et souffrances des groupes de population qui subissent des inégalités, des discriminations, des dénis de citoyenneté, au nom d’une ascendance dont la légitimité reste suspecte – « les Noirs et les Arabes » pour parler clair. Et petit à petit, la #traque et l’#opprobre ont gagné d’autres thèmes présentés comme autant de manifestations de #dégénérescence : les études décoloniales, l’écriture inclusive, les études de genre, l’emploi du mot de « racisé », les réunions non-mixtes…

      Discréditer la recherche

      Cette inquisition permanente, inimaginable encore il y a quelques mois, a aujourd’hui une cible prioritaire : ceux et celles qui disposent de titres universitaires et d’une parole publique, et qu’elle accuse de minorer les graves menaces que ferait peser l’islamisme sur la paix civile et les libertés individuelles. Mais la lutte contre le terrorisme doit-elle se mener sur ce front ? En s’en prenant à la production de connaissance, elle s’avilit. Ses agents ne s’embarrassent plus d’aucune considération pour les torts infligés aux personnes ou aux organisations qu’ils livrent en bloc à la vindicte – ou aux injures sur des réseaux sociaux mobilisés à leur profit et dont la force de frappe est incommensurable à celle de la recherche.

      Leur but est que les travaux scientifiques soient discrédités sur un #soupçon, que les enseignements soient marginalisés avant si possible d’être interdits, avec toutes les conséquences de cette mise en cause sur les vies et carrières d’universitaires qui travaillent simplement à maintenir la recherche française au niveau des standards internationaux. C’est que, n’en déplaise à nos censeurs, les questions du #racisme_systémique, des violences faites aux femmes, du #sexisme et de l’#homophobie, mais aussi du désastre climatique et de la souffrance animale (questions qu’on croyait plus consensuelles mais depuis incluses, pour faire bon prix, dans le paquet) sont reconnues dans le monde académique global alors que de vieilles résistances font, en France, qu’elles restent polémiques.

      Une peur viscérale de l’islam

      Ce qui est étrange est que ce front des bien-pensants se construit sur une #peur viscérale de la religion musulmane, à laquelle il prête des propriétés qui en feraient l’ennemi irréductible de la modernité démocratique. Cette peur alimente la crainte fantasmatique de l’organisation d’une cinquième colonne qui occuperait déjà les « territoires perdus de la République », attendant son heure pour frapper et déloger les nationaux. Et chaque meurtre commis au nom de l’Etat islamique (quelle que soit la réalité de cette allégeance) est une occasion de raviver la suspicion. Dès lors, évoquer et analyser les #injustices, les #discriminations, l’#exclusion ou le #harcèlement_policier subis par « l’ennemi de l’intérieur » revient à pactiser ou trahir.

      Pour faire taire ceux et celles qui doutent sincèrement d’une telle menace de l’islam, une solution ne serait-elle pas de documenter, de quantifier et d’exposer publiquement le danger ? Cela ferait normalement tomber les réticences. Mais voilà : aucune information ne filtre qui permettrait de confirmer les craintes des apeurés. La seule indication qui vient périodiquement donner un peu de crédit à cette accusation est celle, livrée sans aucun détail, du nombre d’attentats qui auraient été déjoués par les services de renseignements sur le territoire français. Parfois, la mise en scène de l’arrestation d’un ou une « terroriste » dont, la plupart du temps, on est bien en peine de savoir exactement quel objectif il ou elle poursuivait.

      Nous sommes donc tous censés savoir que nous vivons dans un état d’alerte permanent sans en être vraiment alertés. Un peu comme nous traversons la crise sanitaire sans être jamais associés aux mesures prises par une poignée de « sachants » autoproclamés qui décident seuls de ce qui est bon pour en finir avec le Covid 19, avec le succès qu’on sait. Les avertis qui se sont arrogé le droit d’organiser la riposte se posent de même en surplomb de la République. Les premières victimes de ces sentinelles sont tous ces citoyens qui sont ramenés à une identité musulmane sans qu’on ne leur demande leur avis, sauf quand on les somme de prendre position contre les attentats (eux à la différence des autres, comme si c’était moins évident). On a beau jurer ne pas vouloir faire d’amalgame entre musulman et islamiste radical, le moindre signe d’appartenance à cette communauté est vu comme un péril pour la nation. Ce qui est choquant dans cette volonté d’ostraciser un groupe social est le fait qu’elle méprise totalement les sensibilités individuelles et gomme la diversité des croyances et des opinions qui s’y expriment.

      Extension du domaine de la #suspicion

      Et dans un saut épistémique propre à tous les régimes autoritaires et promoteurs de l’#ignorance, cette suspicion s’étend en deuxième lieu à tous ceux qui, dans les milieux de la recherche et de l’enseignement, s’efforcent de prendre la juste mesure du danger djihadiste et introduisent des distinctions et des clarifications qui en dressent un tableau réaliste. Un tel saut a été effectué par les gouvernements qui au Brésil, aux Etats-Unis, en Hongrie, en Pologne ou en Turquie ont allié la misogynie, l’homophobie, les discriminations ethniques et le climato-scepticisme de leurs politiques à la suppression des recherches sur les femmes, les sexualités, le racisme ou l’environnement ; par l’ex-président Trump, qui tout en multipliant les mesures discriminatoires et soutenant ouvertement les violences contre les Noirs a voulu faire réécrire les manuels scolaires pour y minorer l’histoire de l’esclavage ; et en France, par la violence inédite d’un gouvernement contre les universitaires qui observent les discriminations qui travaillent la société française.

      Ce saut est révélateur : il s’agit de décourager la #pensée_critique et l’#argumentation_rationnelle, immédiatement traînées dans la boue des réseaux et dans la mêlée des plateaux TV ou radio – où les quelques chercheurs qui se risquent encore à faire entendre des éléments de connaissance se retrouvent mis sur un pied d’égalité avec des idéologues ignorants du domaine. Cette situation honteuse, qui rappelle les mauvaises heures du maccarthysme, s’explique ici par une haine conjuguée des recherches et des objets/sujets de ces recherches. Ce phénomène est connu des spécialistes du genre. Il prend ces derniers temps l’allure ultra glauque d’un #assaut concerté mené par des ministres et des intellectuels alliés, par calcul politique incertain, pour faire taire toutes les voix, des plus vives au plus modérées, qui les rappellent aux exigences minimales de l’égalité. Voilà qui nous oblige à briser ce silence.

      https://www.nouvelobs.com/idees/20210415.OBS42801/combien-d-attaques-contre-la-science-faudra-t-il-pour-briser-le-silence.a

    • « Islamo-gauchisme » à l’université : « On ne peut pas nous accuser d’être des #militants »

      Face aux attaques contre les sciences humaines et sociales, accusées de diffuser un discours « islamo-gauchiste » à l’université, des universitaires angevines (Maine-et-Loire) sortent du bois et prennent la parole. Retour sur une polémique pas nouvelle, mais qui, depuis quelques mois, rebondit sur la scène politico-médiatique.

      Elles ont décidé de prendre la parole. Parce qu’elles ont des choses à dire et qu’elles en ont gros sur le cœur, surtout après les attaques visant #Nahema_Hanafi, leur collègue, maîtresse de conférences en histoire moderne et contemporain à l’Université d’Angers, après la publication de son ouvrage consacré aux « brouteurs ».

      Elles, ce sont ces universitaires angevines, dont le champ de recherches s’applique aux sciences humaines et sociales, confrontées aux attaques et aux accusations d’ « islamo-gauchisme » à l’université. De quoi parle-t-on ? Quel est le problème ? Décryptage.

      Pourquoi des responsables politiques visent-ils l’université ?

      La polémique concernant l’universitaire angevine Nahema Hanafi n’est pas tombée du ciel. Tout le monde garde en tête les déclarations de la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Dans un entretien sur CNews , le 14 février, elle a demandé une enquête sur « l’islamo-gauchisme » qui gangrènerait l’université.

      Avant de persister, tout en tentant de réduire la portée de son propos, puisqu’elle s’est montrée bien incapable de définir cette notion. Elle a été soutenue par certains de ses collègues. En réalité, elle avait été largement devancée par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Pas plus précis, mais bien plus vindicatif contre les « ravages » à l’université.

      À chaque fois, ces sorties ont provoqué une levée de boucliers des chercheurs, en particulier du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS.

      Cette attaque contre l’université est une antienne régulièrement reprise à droite comme à gauche, avec des relais forts comme le Printemps républicain dont le cofondateur, #Gilles_Clavreul, dénonce la pensée décoloniale. Idéologiquement proche de ce courant, qui défend une conception très restrictive de la laïcité, l’ancien Premier ministre socialiste #Manuel_Valls avait ouvert les hostilités au lendemain des attentats de novembre 2015 à Paris.

      Dans une première déclaration au Sénat, deux semaines après, il avait lancé : « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé. » Quelques semaines plus tard, en janvier 2016, il avait poussé plus loin cette réflexion, lors d’un hommage aux victimes. « Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. »

      À l’origine de la récente polémique visant Nahema Hanafi et ses travaux, l’Observatoire du décolonialisme, fondé par des enseignants linguistes, historiens et médiévistes, creuse ce même sillon.

      Pourquoi la polémique touche- t-elle l’#Université_d’Angers ?

      Parce qu’un membre de cet Observatoire, #Hubert_Heckmann, maître de conférences en littérature du Moyen Âge à Rouen (Seine-Maritime) a publié, le 2 février, une tribune, sur le site internet de l’hebdomadaire Le Point , fustigeant le travail de Nahema Hanafi.

      Maîtresse de conférences en histoire moderne et contemporaine au sein de l’institution angevine, cette dernière est l’autrice d’un livre, L’arnaque à la nigériane, spams, rapports postcoloniaux et banditisme social , consacré aux « brouteurs », ces cyberescrocs spécialisés dans l’escroquerie à l’avance de frais.

      Pour Hubert Heckmann, l’universitaire angevine fait, dans son ouvrage, « en connaissance de cause, l’éloge d’un système criminel ». Des mots, comme un procès d’intention, qui ont trouvé un écho dans les milieux d’extrême droite.

      « L’article issu des travaux de l’Observatoire du décolonialisme et des théories identitaires », comme il est présenté, devient alors le terreau d’une haine sans filtre contre Nahema Hanafi. Une #haine déversée sur les réseaux sociaux et la section commentaires du site.

      La maîtresse de conférences encaisse, mais elle a décidé de porter plainte. Le parquet d’Angers a ouvert une enquête préliminaire. « Ces attaques ont suscité chez moi une vive émotion », exprime-t-elle.

      Bien sûr, il y a les insultes racistes, mais Nahema Hanafi s’alarme aussi de « voir attaqués, par des membres de l’université, des champs d’études et des méthodologies – celles des sciences sociales – pourtant essentiels à la compréhension de nos sociétés ».

      Qu’est-ce qu’on reproche aux sciences humaines et sociales ?

      Car, au fond, la question est là. Au-delà du « cas » Nahema Hanafi, tout un pan des recherches universitaires actuelles est actuellement remis en cause, autant par le monde politique que par le monde universitaire.

      Un opprobre grossi, déformé, récupéré, amplifié par la caisse de résonance des réseaux sociaux, et qui contribue, aujourd’hui, à un sentiment d’insécurité des enseignantes et enseignants investis dans ces recherches.

      « La période est tellement difficile pour nous que l’on se doit de faire attention aux paroles qui vont être portées publiquement, relève Marie Sonnette, enseignante-chercheuse en sociologie à l’Université d’Angers, qui travaille, notamment, sur les rapports de pouvoirs et de genre. Le moindre mot de travers peut nous porter préjudice. On se demande comment on va pouvoir continuer à faire notre métier. » Elle a d’ailleurs été contrainte de suspendre un temps son compte Twitter après des attaques groupées.

      Un métier qui, pour rappel, consiste à explorer et enseigner des disciplines liées à la réalité humaine, dans toute sa pluralité. Un métier qui, justement, en raison de cette pluralité, amène à investir des champs nouveaux, à l’aune de travaux, d’ici et d’ailleurs. Comme les études de genres, développées aux États-Unis.

      « Les sciences humaines et sociales aident à mieux comprendre le monde, plaide Chadia Arab, géographe à l’Université d’Angers et chargée de recherches au CNRS, qui travaille, notamment, sur les migrations et le genre. Elles servent aussi à expliquer les dysfonctionnements de ce monde, les inégalités produites par ce monde. Et je pense que c’est cela qui fait peur aux politiques. » Pas seulement les politiques…

      Ces recherches sont-elles le porte-voix d’un #militantisme ?

      Chadia Arab réfute ne serait-ce que l’idée. « Nous sommes tout le temps évalués, tout le temps éprouvés par la rigueur scientifique, il faut en tenir compte. On ne peut pas nous accuser d’être des militants en sciences sociales ni, pour aller vite, d’être des islamo-gauchistes. »

      Pour Katell Brestic, docteure en études germanophones à l’Université d’Angers, qui mène, notamment, des études postcoloniales et transnationales, c’est clair : « La valeur de nos recherches est scientifique, au même titre que celles d’un biologiste ou d’un généticien. Simplement, on ne travaille pas sur l’ADN avec des pipettes dans un laboratoire, mais sur d’autres formes de matériaux, qu’on analyse après, avec des grilles scientifiques précises. »

      Aujourd’hui, confrontées à un débat qui n’a plus rien d’apaisé, les universitaires angevines que nous avons interrogées sont inquiètes. Pour leurs champs de recherches, pour la liberté académique, pour l’avenir. Pour elles.

      « D’éminents confrères du monde entier ont récemment signé une tribune pour nous soutenir, souligne Marie Sonnette. Ils concluent en disant qu’ils seront prêts à accueillir les chercheurs qui ne pourront plus mener leurs recherches en France. Et ça, ça nous fait extrêmement peur. »

      https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/islamo-gauchisme-a-l-universite-on-ne-peut-pas-nous-accuser-d-etre-des-

    • Ecole de #Marion_Maréchal: anatomie d’un fiasco

      Lancé il y a trois ans, l’#Issep, qui se voulait le « Sciences-Po » de la droite de la droite, vivote. Loin de la communication à outrance, l’école recrute surtout parmi le microcosme des proches de l’ancienne députée frontiste.

      « Avez-vous déjà entendu parler de la “blanchité hégémonique” (les Blancs responsables de tous les malheurs du monde), du “racisme systémique” (l’État et la société française seraient intrinsèquement racistes) ou encore de la séparation du monde entre “dominants (blancs) et racisés” ? Sûrement trouvez-vous ces concepts délirants et dangereux. Eh bien sachez qu’aujourd’hui ces “thèses” sont très répandues voire enseignées dans de nombreuses écoles et universités du supérieur. »

      Dans un courrier de quatre pages envoyé le 16 avril à un fichier de 10 000 personnes, Marion Maréchal, qui entend bien profiter des polémiques sur « l’islamo-gauchisme » censé « gangrener » l’université, fait un vibrant appel aux dons pour son école de sciences politiques, l’Issep (Institut de sciences sociales, économiques et politiques), créée il y a trois ans à Lyon.

      « L’Issep est l’un des seuls remparts contre le terrorisme intellectuel qui sévit en France […] Si votre vœu le plus cher pour vos enfants ou petits-enfants est qu’ils fassent de belles études, il faut agir maintenant. Aussi modeste soit-il, votre geste peut changer l’avenir de notre cher pays », affirme l’ancienne députée FN.

      Elle décrit des facs où règnent des « commissaires du peuple d’un nouveau genre qui n’hésitent pas à utiliser la violence ou la menace » contre les mal-pensants. Pour achever de vaincre les dernières réticences, Marion Maréchal rappelle les déductions fiscales propres à ce type de dons.

      Initiés par le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer, au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, puis réactivés par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal, les débats autour de « l’islamo-gauchisme », les études de genre ou décoloniales à l’université semblent une formidable opportunité pour l’entreprise de la petite-fille de Jean-Marie Le Pen.

      Ces controverses, aussi artificielles soient-elles, offrent une soudaine légitimité au discours de l’extrême droite, qui n’a pendant longtemps pas dépassé ce cercle militant.

      « L’Issep étant né d’un constat négatif porté sur l’enseignement supérieur et en particulier les filières en sciences sociales – i.e. la baisse du niveau moyen des formations avec notamment l’abandon progressif des humanités et le militantisme associé, voire le sectarisme idéologique, qui sévissent trop souvent dans les établissements privés ou universitaires – les dérives et les violences du courant islamo-gauchiste ne font que conforter notre diagnostic et légitiment un peu plus notre existence, ce qui incite de nombreux Français à soutenir notre projet », assure d’ailleurs auprès de Mediapart Jacques de Guillebon, coprésident du conseil scientifique de l’Issep, également directeur de la rédaction du magazine L’Incorrect.

      Depuis son inauguration en juin 2018, l’Issep, qui se voulait une « vitrine » pour la « bataille culturelle » de la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, aurait pu profiter d’un climat politique a priori favorable. Et pourtant, l’établissement, censé démontrer que l’ancienne députée du Vaucluse pouvait être une cheffe d’entreprise loin de la vie politique, vivote péniblement.

      Malgré un lancement sous une forêt de micros et de caméras, les débuts de « l’institut » ont été des plus laborieux. L’Issep n’a d’abord reçu l’agrément ministériel l’autorisant à s’afficher en tant qu’établissement privé du supérieur qu’en janvier 2019, plusieurs mois après son ouverture. En cause, un dossier administratif longtemps incomplet, l’école étant incapable de fournir au rectorat les informations administratives de base, comme l’avait raconté à l’époque une enquête de l’émission de télévision « Quotidien ».

      Dans la déclaration d’ouverture de l’Issep, transmise au rectorat de Lyon, Marion Maréchal promettait ainsi plus de 400 heures d’enseignement et une équipe d’une vingtaine de professeurs. Fin septembre, son dossier ne contenait plus que 90 heures de cours et apportait des informations lacunaires sur à peine six professeurs, comme l’avait révélé le magazine Challenges.

      Le « diplôme » de l’Issep n’a surtout aujourd’hui aucune valeur dans l’enseignement supérieur et n’offre aucune équivalence. Le tour de passe-passe, avancé lors de la création de l’école, consistant à nouer un partenariat avec une université européenne pour obtenir une équivalence de diplôme n’a pas marché.

      « Au-delà de la reconnaissance du diplôme, il est important d’avoir des partenaires de qualité afin de crédibiliser la pédagogie de notre école, répond l’Issep. Aujourd’hui, nous avons une antenne de l’Issep à Madrid, et des partenariats avec l’université de Saint-Pétersbourg en Russie et l’université du Saint-Esprit à Kaslik au Liban. » Ce qui signifie qu’aucune université européenne n’a souhaité associer son nom avec ce qui ressemble fort à une coquille vide.

      Celui qui a œuvré au partenariat entre l’Issep et l’université de Saint-Petersbourg, l’historien #Oleg_Sokolov, spécialiste de Napoléon, est aujourd’hui en prison depuis novembre 2019 après avoir tué et démembré son épouse de 24 ans, également son ancienne étudiante.

      Une affaire pour le moins embarrassante pour l’image de l’Issep, même si l’école n’y est évidemment pour rien. Le choix de s’adjoindre, cette année, les services du professeur de droit #Jean-Luc_Coronel_de_Boissezon, aujourd’hui renvoyé devant le tribunal correctionnel pour son implication, en mars 2018, dans une opération de l’extrême droite pour déloger des grévistes de la faculté de droit de Montpellier, pose par ailleurs question.

      Proches des identitaires, lui et son épouse, #Patricia_Margand, sont accusés d’avoir « activement participé à la mise en place » du commando, selon la juge d’instruction chargée du dossier, comme l’ont révélé Mediacités et Mediapart.

      « Nous avons fait le choix de lui confier un cours, parce que nous considérons cette histoire de l’université de Montpellier comme particulièrement injuste et politiquement orientée. C’est un professeur reconnu, qui a mené durant 30 ans une carrière irréprochable, et a toujours été apprécié par ses étudiants. Il a été la victime de bloqueurs d’extrême gauche outranciers et violents, laissés libres de leurs actions par un préfet qui n’a pas voulu prendre ses responsabilités », répond à ce propos Jacques de Guillebon.

      Le principal échec de l’école, qui n’a formé en trois ans que 230 étudiants, la majorité en formation continue (c’est-à-dire en suivant des cours quelques week-ends par an), est ailleurs. Il tient dans l’incapacité de recruter au-delà d’un tout petit cercle militant ou amical, comme a pu l’établir Mediapart. À chaque rentrée, Marion Maréchal est d’ailleurs obligée de battre le rappel pour trouver de nouvelles recrues.

      Un microcosme consanguin

      À cet égard, le pari de convaincre la bourgeoisie lyonnaise conservatrice d’inscrire ses enfants à l’Issep est un échec cuisant. « Nos étudiants ont des profils très variés, et la majorité n’a jamais eu d’engagement politique. Ils viennent de toute la France et de filières très diverses, allant de l’écogestion au droit, en passant par l’histoire ou des écoles d’ingénieur », affirme Jacques de Guillebon.

      Sauf que l’Issep, qui se targuait de concurrencer les instituts de sciences politiques, ne « forme » en réalité que des militants identitaires ou des proches de Marion Maréchal.

      Une certaine idée du « pluralisme » maintes fois mis en avant par la directrice de l’école, Marion Maréchal, qui n’a cessé de mettre en scène son retrait de la vie politique et sa distance avec le RN présidé par sa tante.

      L’examen de la liste que Mediapart s’est procurée des 35 étudiants inscrits en formation continue cette année – il existe deux promotions – est à ce titre édifiant.

      Un premier groupe d’élèves est constitué d’élus ou de membres du #RN de la région lyonnaise : #Enzo_Dubois est le référent #Génération_nation, la branche jeune du RN à Voiron ; #Antonia_Dufour est une ancienne conseillère départementale RN du canton de Monteux ; #Mathilde_Robert, qui milite au parti depuis ses 15 ans, était aussi candidate du RN aux municipales 2020 à Vienne (Isère) au côté d’#Adrien_Rubagotti, qui fait d’ailleurs, lui aussi, partie de la même promotion Issep.

      Le deuxième cercle est celui des militants de Génération identitaire (#GI), mouvement dissous en mars par le ministère de l’intérieur pour plusieurs motifs, dont la provocation à la « discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison » de leur origine, mais aussi pour présenter dans sa forme et son organisation « le caractère de groupes de combat ou de milices privées ».

      Sous son nom civil, #Anne-Thaïs_du_Tertre, on trouve la très médiatique #Thaïs_d’Escufon, porte-parole du groupuscule dissous et qui a fait parler d’elle pour avoir participé au happening identitaire – les militants de GI avaient déroulé en haut d’un immeuble une banderole contre « le racisme anti-Blanc » – en marge de la manifestation contre les violences policières place de la République, en juin 2020.

      Le président de GI, #Clément_Gandelin, dit « #Galant », fait aussi partie des « étudiants » de l’école de Marion Maréchal. Condamné en première instance à six mois de prison ferme, 2 000 euros d’amende et une privation de ses droits civiques pour une durée de cinq ans, dans l’affaire de l’opération anti-migrants à la frontière franco-italienne, en 2018, avant d’être relaxé par la cour d’appel de Grenoble, « Galant » avait déjà été condamné pour des faits de violence en marge d’une rencontre sportive.

      #Corentin_Merdy est lui aussi un militant bien connu de GI à Toulouse. Il a participé à l’action du groupe place de la République et a été interpellé au côté de Thaïs d’Escufon – une photo les immortalise ensemble dans le fourgon de police.

      Le troisième groupe est constitué de militants identitaires et de catholiques traditionalistes. On peut y classer #Alexis_Forget, qui tient la librairie identitaire #Les_Deux_Cités, à Nancy, et écrit régulièrement dans L’Incorrect, le journal de Jacques de Guillebon.

      La chroniqueuse à Sud Radio #Stella_Kamnga, qui se présente comme « citoyenne contre la désinformation » (et qu’on peut voir ici débattre à Sud Radio avec sa camarade de promotion Thaïs d’Escufon), fait elle aussi partie des étudiants de l’Issep cette année. L’engagement politique de certains, plus anonymes, se comprend assez rapidement en consultant leurs pages personnelles sur différents réseaux sociaux.

      Le dernier groupe, à l’intersection des groupes précédents, est constitué de « fille de », de « femme de » ou, pour un cas, de « mari de ». Il est intéressant en ce qu’il révèle l’étroitesse de la galaxie Marion Maréchal, en décalage total avec l’incroyable attention que lui accordent les médias depuis plusieurs années.

      La militante RN #Mathilde_Robert, précédemment citée, est ainsi non seulement l’épouse du conseiller régional RN #Thibaut_Monnier, grand ami de Marion Maréchal et cofondateur de l’Issep, mais elle est aussi la fille de #Sophie_Robert, candidate RN à la mairie de Saint-Étienne et vieille connaissance de la famille Le Pen. Cette dernière soutient tellement l’école que trois autres de ses filles sont dans la même formation. Une formation continue, qui leur permet de suivre de « vraies » études par ailleurs ou d’exercer un métier.

      #Anne-Sophie_Legauffre est, quant à elle, la compagne du conseiller régional #Antoine_Mellies, lui aussi proche parmi les proches de Marion Maréchal et qui a assuré lors du lancement de l’école les relations avec la presse.

      Autre étudiant en formation continue, #Benoît_Marion, imprimeur lyonnais de 43 ans, n’est autre que le mari d’#Agnès_Marion, candidate RN à la mairie de Lyon et qui gravite depuis des années dans la sphère des catholiques traditionalistes lyonnais proches de #Bruno_Gollnisch.

      Trois ans après sa création, l’Issep, qui affirme dans le courrier envoyé le 16 avril vouloir « former la jeunesse de notre pays, préparer l’élite de demain pour relever la France », forme donc surtout le microcosme consanguin des amis de Marion Maréchal. Une certaine idée de la relève.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/100521/ecole-de-marion-marechal-anatomie-d-un-fiasco#at_medium=custom7&at_campaig

  • L’#enseignement_numérique ou le supplice des Danaïdes. Austérité, surveillance, désincarnation et auto-exploitation

    Où l’on apprend comment les étudiants en #STAPS de #Grenoble et #Saint-Étienne ont fait les frais de la #numérisation - #déshumanisation de l’#enseignement bien avant l’apparition du coronavirus. Et comment ce dernier pourrait bien avoir été une aubaine dans ce processus de #destruction programmé – via notamment la plate-forme #FUN (sic).

    Les #plateformes_numériques d’enseignement ne datent pas de la série quasiment continue de confinements imposés aux universités depuis mars 2020. Enseignante en géographie à l’Université Grenoble Alpes, je constate le développement croissant d’« outils numériques d’enseignement » dans mon cadre de travail depuis plus d’une dizaine d’années. En 2014, une « #licence_hybride », en grande majorité numérique, est devenue la norme à Grenoble et à Saint-Étienne dans les études de STAPS, sciences et techniques des activités physiques et sportives. En 2020, tous mes enseignements sont désormais numériques à la faveur de l’épidémie. Preuves à l’appui, ce texte montre que le passage total au numérique n’est pas une exceptionnalité de crise mais une #aubaine inédite d’accélération du mouvement de numérisation global de l’#enseignement_supérieur en France. La #souffrance et les dégâts considérables que provoque cette #numérisation_de_l’enseignement étaient aussi déjà en cours, ainsi que les #résistances.

    Une politique structurelle de #transformation_numérique de l’enseignement supérieur

    La licence hybride de l’UFR STAPS à Grenoble, lancée en 2014 et en majorité numérique, autrement dit « à distance », est une des applications « pionnières » et « innovantes » des grandes lignes stratégiques du ministère de l’Enseignement supérieur en matière d’enseignement numérique définies dès 2013. C’est à cette date que la plateforme FUN - #France_Université_Numérique [1] -, financée par le Ministère, a été ouverte, regroupant des #MOOC - Massive Open Online Courses - ayant pour but d’« inciter à placer le numérique au cœur du parcours étudiant et des métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche [2] » sous couvert de « #démocratisation » des connaissances et « #ouverture au plus grand nombre ». De fait, la plateforme FUN, gérée depuis 2015 par un #GIP - #Groupe_d’Intérêt_Public [3] -, est organisée autour de cours gratuits et en ligne, mais aussi de #SPOC -#Small_Private_Online_Course- diffusés par deux sous-plateformes : #FUN-Campus (où l’accès est limité aux seuls étudiant·e·s inscrit·e·s dans les établissements d’enseignement qui financent et diffusent les cours et doivent payer un droit d’accès à la plateforme) et #FUN-Corporate (plate-forme destinée aux entreprises, avec un accès et des certifications payants). En 2015, le ministère de l’Enseignement supérieur présentait le nouveau « #GIP-FUN » et sa stratégie pour « mettre en place un modèle économique viable en développant de nouveaux usages de cours en ligne » avec :

    - une utilisation des MOOC en complément de cours sur les campus, voire en substitution d’un #cours_magistral, selon le dispositif de la #classe_inversée ;
    - une proposition de ces #cours_en_ligne aux salariés, aux demandeurs d’emploi, aux entreprises dans une perspective de #formation_continue ;
    – un déploiement des plateformes en marques blanches [4]

    Autrement dit, il s’agit de produire de la sur-valeur à partir des MOOC, notamment en les commercialisant via des #marques_blanches [5] et des #certifications_payantes (auprès des demandeurs d’emploi et des entreprises dans le cadre de la formation continue) et de les diffuser à large échelle dans l’enseignement supérieur comme facteur de diminution des #coûts_du_travail liés à l’#encadrement. Les MOOC, dont on comprend combien ils relèvent moins de l’Open Source que de la marchandise, sont voués aussi à devenir des produits commerciaux d’exportation, notamment dans les réseaux postcoloniaux de la « #francophonie [6] ». En 2015, alors que la plateforme FUN était désormais gérée par un GIP, vers une #marchandisation de ses « produits », était créé un nouveau « portail de l’enseignement numérique », vitrine de la politique du ministère pour « déployer le numérique dans l’enseignement supérieur [7] ». Sur ce site a été publié en mars 2016 un rapport intitulé « MOOC : À la recherche d’un #business model », écrit par Yves Epelboin [8]. Dans ce rapport, l’auteur compare en particulier le #coût d’un cours classique, à un cours hybride (en présence et via le numérique) à un cours uniquement numérique et dresse le graphique suivant de rentabilité :

    Le #coût fixe du MOOC, à la différence du coût croissant du cours classique en fonction du nombre d’étudiants, suffit à prouver la « #rentabilité » de l’enseignement numérique. La suite du document montre comment « diversifier » (depuis des partenariats publics-privés) les sources de financement pour rentabiliser au maximum les MOOC et notamment financer leur coût de départ : « la coopération entre les universités, les donateurs, des fonds spéciaux et d’autres sources de revenus est indispensable ». Enfin, en octobre 2019, était publié sur le site du ministère de l’Enseignement supérieur un rapport intitulé « #Modèle_économique de la transformation numérique des formations dans les établissements d’enseignement supérieur [9] », écrit par Éric Pimmel, Maryelle Girardey-Maillard et Émilie‐Pauline Gallie, inspecteurs généraux de l’éducation, du sport et de la recherche. Le rapport commence par le même invariable constat néolibéral d’#austérité : « croissance et diversité des effectifs étudiants, concurrence nationale et internationale, égalité d’accès à l’enseignement supérieur dans les territoires et augmentation des coûts, dans un contexte budgétaire contraint », qui nécessitent donc un développement généralisé de l’enseignement numérique. La préconisation principale des autrices·teurs du rapport tient dans une « réorganisation des moyens » des universités qui :

    « consiste notamment à réduire le volume horaire des cours magistraux, à modifier les manières d’enseigner (hybridation, classes inversées...) et à répartir différemment les heures de cours, voire d’autres ressources, comme les locaux par exemple. Les économies potentielles doivent être chiffrées par les établissements qui devront, pour ne pas se voir reprocher de dégrader les conditions d’enseignement, redéployer ces montants dans les équipements ou le développement de contenus pédagogiques. »

    Autrement dit encore, pour financer le numérique, il s’agit de « redéployer » les moyens en encadrement humain et en locaux, soit les moyens relatifs aux cours « classiques », en insistant sur la dimension « pédagogique » du « redéploiement » pour « ne pas se voir reprocher de dégrader les conditions d’enseignement ». Le financement du numérique dans l’enseignement universitaire par la marchandisation des MOOC est aussi envisagé, même si cette dernière est jugée pour l’instant insuffisante, avec la nécessité d’accélérer les sources de financement qu’ils peuvent générer : « Le développement de nouvelles ressources propres, tirées notamment de l’activité de formation continue ou liées aux certificats délivrés dans le cadre des MOOCs pourrait constituer une voie de développement de ressources nouvelles. » Un programme « ambitieux » d’appel à « #flexibilisation des licences » a d’ailleurs été lancé en 2019 :

    Au‐delà de la mutualisation des ressources, c’est sur la mutualisation des formations qu’est fondé le projet « #Parcours_Flexibles_en_Licence » présenté par la mission de la pédagogie et du numérique pour l’enseignement supérieur (#MIPNES / #DGESIP) au deuxième appel à projets du #fonds_pour_la_transformation_de_l’action_publique (#FTAP) et financé à hauteur de 12,4 M€ sur trois ans. La mission a retenu quatre scénarios qui peuvent se combiner :

    - l’#hybridation d’une année de licence ou le passage au #tout_numérique ;

    - la transformation numérique partielle de la pédagogie de l’établissement ;

    - la #co‐modalité pour répondre aux contraintes ponctuelles des étudiants ;

    - les MOOCS comme enjeu de visibilité et de transformation.

    Le ministère a pour ambition, depuis 2013 et jusqu’à aujourd’hui, « la transformation numérique partielle de la pédagogie des établissements ». Les universités sont fermées depuis quasiment mars 2020, avec une courte réouverture de septembre à octobre 2020. L’expérience du passage au numérique, non plus partiel, mais total, est en marche dans la start-up nation.

    Nous avons déjà un peu de recul sur ce que l’enseignement numérique produit comme dégâts sur les relations d’enseignement, outre la marchandisation des connaissances qui remet en cause profondément ce qui est enseigné.

    A Grenoble, la licence « pionnière » de STAPS- Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives

    En 2014 et dans le cadre des politiques financières décrites précédemment, était lancée à Grenoble une licence « unique en son genre » de STAPS- Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives dont voici le fonctionnement :

    Les universités Grenoble-Alpes et Jean-Monnet-Saint-Étienne proposent une licence STAPS, parcours « entraînement sportif », unique en son genre : la scolarité est asynchrone, essentiellement à distance, et personnalisée.

    Cette licence s’appuie sur un dispositif de formation hybride : les étudiant·e·s s’approprient les connaissances chez eux, à leur rythme avant de les manipuler lors de cours en présentiel massés.

    Le travail personnel à distance s’appuie sur de nouvelles pédagogies dans l’enseignement numérique : les cours #vidéos, les #screencasts, #quizz et informations complémentaires s’articulent autour de #parcours_pédagogiques ; des sessions de #classe_virtuelle sont également organisées à distance [10].

    Dès 2017, des enseignant·e·s de STAPS faisaient paraître un texte avec la section grenobloise du syndicat FSU - Fédération Syndicale Unitaire - intitulé « Les STAPS de Grenoble sont-ils un modèle à suivre ? ». Les auteur·trice·s expliquaient que, en 2014, la présidence de l’université avait instrumentalisé un « dilemme impossible : “la pédagogie numérique ou la limitation d’accueil” ». Il s’agit ici d’un exemple significatif de technique néolibérale de capture de l’intérêt liée à la rhétorique de l’#austérité. Ce même non-choix a été appliqué dans l’organisation de la #PACES à Grenoble, première année de préparation aux études de médecine : numérique ou limitation drastique des étudiant·e·s accueilli·e·s. La tierce voie, toujours écartée, est évidemment celle de recruter plus d’enseignant·e·s, de personnels administratifs, de réduire les groupes d’amphithéâtres, de construire des locaux qui permettent à des relations d’enseignement d’exister. En 2017, les enseignant·e·s de STAPS constataient, effectivement, que « l’enseignement numérique permet(tait) d’accueillir beaucoup de monde avec des moyens constants en locaux et personnels enseignants titulaires (postes) ; et même avec une diminution des #coûts_d’encadrement ». Elles et ils soulignaient dans le même temps que le niveau d’#épuisement et d’#isolement des enseignant·e·s et des étudiant·e·s était inédit, assorti d’inquiétudes qui résonnent fortement avec la situation que nous traversons aujourd’hui collectivement :

    —Nous craignons que le système des cours numérisés s’accompagne d’une plus grande difficulté à faire évoluer les contenus d’enseignements compte tenu du temps pour les réaliser.
    — Nous redoutons que progressivement les cours de L1 soient conçus par un seul groupe d’enseignants au niveau national et diffusé dans tous les UFR de France, l’enseignant local perdant ainsi la main sur les contenus et ceux-ci risquant de se rigidifier.
    — Un certain nombre de travaux insistent sur le temps considérable des jeunes générations accrochées à leur smartphone, de 4 à 6 heures par jour et signalent le danger de cette pratique pour la #santé physique et psychique. Si s’ajoutent à ces 4 à 6 heures de passe-temps les 3 ou 4 heures par jour de travail des cours numériques sur écran, n’y a-t-il pas à s’inquiéter ?
    — Si les étudiants de L1 ne sont plus qu’une douzaine d’heures par semaine à l’université pour leurs cours, qu’en est-il du rôle de #socialisation de l’université ?

    (…)

    Il est tout de même très fâcheux de faire croire qu’à Grenoble en STAPS en L1, avec moins de moyens humains nous faisons aussi bien, voire mieux, et que nous ayons trouvé la solution au problème du nombre. Il serait plus scrupuleux d’exposer que :

    — nous sommes en difficulté pour défendre la qualité de nos apprentissages, que sans doute il y a une perte quant aux compétences formées en L1 et que nous devrons compenser en L2, L3, celles-ci. Ce qui semble très difficile, voire impossible ;
    — le taux de réussite légèrement croissant en L1 se fait sans doute à ce prix et qu’il est toujours faible ;
    — nous nous interrogeons sur la faible participation de nos étudiants au cours de soutien (7 % ) ;
    — nous observons que les cours numériques n’ont pas fait croître sensiblement la motivation des étudiants [11].

    Ces inquiétudes, exprimées en 2017, sont désormais transposables à large échelle. Les conditions actuelles, en période de #confinement et de passage au tout numérique sur fond de #crise_sanitaire, ne sont en effet ni « exceptionnelles », ni « dérogatoires ». Ladite « #exceptionnalité de crise » est bien plus l’exacerbation de ce qui existe déjà. Dans ce contexte, il semble tout à fait légitime de s’interroger sur le très probable maintien de l’imposition des fonctionnements généralisés par temps de pandémie, aux temps « d’après », en particulier dans le contexte d’une politique très claire de transformation massive de l’#enseignement_universitaire en enseignement numérique. Ici encore, l’analyse des collègues de STAPS publiée en 2017 sur les modalités d’imposition normative et obligatoire de mesures présentées initialement comme relevant du « volontariat » est éloquente :

    Alors qu’initialement le passage au numérique devait se faire sur la base du #volontariat, celui-ci est devenu obligatoire. Il reste à l’enseignant ne souhaitant pas adopter le numérique la possibilité d’arrêter l’enseignement qui était le sien auparavant, de démissionner en quelque sorte. C’est sans doute la première fois, pour bon nombre d’entre nous, qu’il nous est imposé la manière d’enseigner [12].

    Depuis 2020, l’utopie réalisée. Passage total à l’enseignement numérique dans les Universités

    Depuis mars et surtout octobre 2020, comme toutes les travailleur·se·s et étudiant·e·s des universités en France, mes pratiques d’enseignement sont uniquement numériques. J’avais jusqu’alors résisté à leurs usages, depuis l’analyse des conditions contemporaines du capitalisme de plateforme lié aux connaissances : principalement (1) refuser l’enclosure et la #privatisation des connaissances par des plateformes privées ou publiques-privées, au service des politiques d’austérité néolibérale destructrices des usages liés à l’enseignement en présence, (2) refuser de participer aux techniques de surveillance autorisées par ces outils numériques. Je précise ici que ne pas vouloir déposer mes cours sur ces plateformes ne signifiait pas me replier sur mon droit de propriété intellectuelle en tant qu’enseignante-propriétaire exclusive des cours. Au contraire, un cours est toujours co-élaboré depuis les échanges singuliers entre enseignant·e·s et étudiant·e·s ; il n’est pas donc ma propriété exclusive, mais ressemble bien plus à un commun élaboré depuis les relations avec les étudiant·e·s, et pourrait devoir s’ouvrir à des usages et des usager·ère·s hors de l’université, sans aucune limite d’accès. Sans défendre donc une propriété exclusive, il s’agit dans le même temps de refuser que les cours deviennent des marchandises via des opérateurs privés ou publics-privés, déterminés par le marché mondial du capitalisme cognitif et cybernétique, et facilité par l’État néolibéral, comme nous l’avons vu avec l’exposé de la politique numérique du ministère de l’Enseignement supérieur.

    Par ailleurs, les plateformes d’enseignement numérique, en particulier de dépôt et diffusion de documents, enregistrent les dates, heures et nombres de clics ou non-clics de toutes celles et ceux qui les utilisent. Pendant le printemps 2020, sous les lois du premier confinement, les débats ont été nombreux dans mon université pour savoir si l’ « #assiduité », comme facteur d’ « #évaluation » des étudiant·e·s, pouvait être déterminée par les statistiques individuelles et collectives générées par les plateformes : valoriser celles et ceux qui seraient les plus connectées, et pénaliser les autres, autrement dit « les déconnecté·e·s », les dilettantes. Les éléments relatifs à la #fracture_numérique, l’inégal accès matériel des étudiant·e·s à un ordinateur et à un réseau internet, ont permis de faire taire pendant un temps celles et ceux qui défendaient ces techniques de #surveillance (en oubliant au passage qu’elles et eux-mêmes, en tant qu’enseignant·e·s, étaient aussi possiblement surveillé·e·s par les hiérarchies depuis leurs fréquences de clics, tandis qu’elles et ils pouvaient s’entre-surveiller depuis les mêmes techniques).

    Or depuis la fermeture des universités, ne pas enseigner numériquement signifie ne pas enseigner du tout. Refuser les plateformes est devenu synonyme de refuser de faire cours. L’épidémie a créé les conditions d’un apparent #consentement collectif, d’une #sidération aussi dont il est difficile de sortir. Tous les outils que je refusais d’utiliser sont devenus mon quotidien. Progressivement, ils sont même devenus des outils dont je me suis rendue compte dépendre affectivement, depuis un rapport destructeur de liens. Je me suis même mise à regarder les statistiques de fréquentation des sites de mes cours, les nombres de clics, pour me rassurer d’une présence, là où la distance commençait à creuser un vide. J’ai eu tendance à surcharger mes sites de cours de « ressources », pour tenter de me rassurer sur la possibilité de resserrer des liens, par ailleurs de plus en plus ténus, avec les étudiant·e·s, elles-mêmes et eux-mêmes confronté·e·s à un isolement et une #précarisation grandissantes. Là où la fonction transitionnelle d’objets intermédiaires, de « médias », permet de symboliser, élaborer l’absence, j’ai fait l’expérience du vide creusé par le numérique. Tout en étant convaincue que l’enseignement n’est jamais une affaire de « véhicule de communication », de « pédagogie », de « contenus » à « communiquer », mais bien une pratique relationnelle, réciproque, chargée d’affect, de transfert, de contre-transfert, que « les choses ne commencent à vivre qu’au milieu [13] », je n’avais jamais éprouvé combien la « communication de contenus » sans corps, sans adresse, créait de souffrance individuelle, collective et d’auto-exploitation. Nombreuses sont les analyses sur la difficulté de « #concentration », de captation d’une #attention réduite, derrière l’#écran. Avec Yves Citton et ses travaux sur l’#écologie_de_l’attention, il m’apparaît que la difficulté est moins celle d’un défaut de concentration et d’attention, que l’absence d’un milieu relationnel commun incarné :
    Une autre réduction revient à dire que c’est bien de se concentrer et que c’est mal d’être distrait. Il s’agit d’une évidence qui est trompeuse car la concentration n’est pas un bien en soi. Le vrai problème se situe dans le fait qu’il existe toujours plusieurs niveaux attentionnels. (…) La distraction en soi n’existe pas. Un élève que l’on dit distrait est en fait attentif à autre chose qu’à ce à quoi l’autorité veut qu’il soit attentif [14].

    La souffrance ressentie en tant que désormais « enseignante numérique » n’est pas relative à ce que serait un manque d’attention des étudiant·e·s généré par les écrans, mais bien à l’absence de #relation incarnée.

    Beaucoup d’enseignant·e·s disent leur malaise de parler à des « cases noires » silencieuses, où figurent les noms des étudiant·e·s connecté·e·s au cours. Ici encore, il ne s’agit pas de blâmer des étudiant·e·s qui ne « joueraient pas le jeu », et n’ouvriraient pas leurs caméras pour mieux dissimuler leur distraction. Outre les questions matérielles et techniques d’accès à un matériel doté d’une caméra et d’un réseau internet suffisamment puissant pour pouvoir suivre un cours et être filmé·e en même temps, comment reprocher à des étudiant·e·s de ne pas allumer la caméra, qui leur fait éprouver une #intrusion dans l’#espace_intime de leur habitation. Dans l’amphithéâtre, dans la salle de classe, on peut rêver, regarder les autres, regarder par la fenêtre, regarder par-dessus le tableau, à côté, revenir à sa feuille ou son écran…pas de gros plan sur le visage, pas d’intrusion dans l’espace de sa chambre ou de son salon. Dans une salle de classe, la mise en lien est celle d’une #co-présence dans un milieu commun indéterminé, sans que celui-ci n’expose à une intrusion de l’espace intime. Sans compter que des pratiques d’enregistrement sont possibles : où voyagent les images, et donc les images des visages ?

    Pour l’enseignant·e : parler à des cases noires, pour l’étudiant·e : entendre une voix, un visage en gros plan qui ne le·la regarde pas directement, qui invente une forme d’adresse désincarnée ; pour tou·te·s, faire l’expérience de l’#annihilation des #corps. Même en prenant des notes sur un ordinateur dans un amphithéâtre, avec un accès à internet et maintes possibilités de « s’évader » du cours, le corps pris dans le commun d’une salle engage des #liens. Quand la relation ne peut pas prendre corps, elle flotte dans le vide. Selon les termes de Gisèle Bastrenta, psychanalyste, l’écran, ici dans la relation d’enseignement, crée l’« aplatissement d’un ailleurs sans au-delà [15] ».

    Le #vide de cet aplatissement est synonyme d’#angoisse et de symptômes, notamment, celui d’une #auto-exploitation accrue. Le récit de plusieurs étudiant.e.s fait écho à l’expérience d’auto-exploitation et angoisse que je vis, depuis l’autre côté de l’écran. Mes conditions matérielles sont par ailleurs très souvent nettement meilleures aux leurs, jouissant notamment de mon salaire. La précarisation sociale et économique des étudiant·e·s creuse encore le vide des cases noires. Plusieurs d’entre elles et eux, celles et ceux qui peuvent encore se connecter, expliquent qu’ils n’ont jamais autant passé d’heures à écrire pour leurs essais, leurs dissertations…, depuis leur espace intime, en face-à-face avec les plateformes numériques qui débordent de fichiers de cours, de documents… D’abord, ce temps très long de travail a souvent été entrecoupé de crises de #panique. Ensuite, ce temps a été particulièrement angoissant parce que, comme l’explique une étudiante, « tout étant soi-disant sur les plateformes et tout étant accessible, tous les cours, tous les “contenus”, on s’est dit qu’on n’avait pas le droit à l’erreur, qu’il fallait qu’on puisse tout dire, tout écrire, tout ressortir ». Plutôt qu’un « contenu » élaborable, digérable, limité, la plateforme est surtout un contenant sans fond qui empêche d’élaborer une #réflexion. Plusieurs étudiant·e·s, dans des échanges que nous avons eus hors numérique, lors de la manifestation du 26 janvier 2021 à l’appel de syndicats d’enseignant·e·s du secondaire, ont également exprimé cet apparent #paradoxe : -le besoin de plus de « #contenu », notamment entièrement rédigé à télécharger sur les plateformes pour « mieux suivre » le cours, -puis, quand ce « contenu » était disponible, l’impression de complètement s’y noyer et de ne pas savoir quoi en faire, sur fond de #culpabilisation d’« avoir accès à tout et donc de n’avoir pas le droit à l’erreur », sans pour autant parvenir à élaborer une réflexion qui puisse étancher cette soif sans fin.

    Face à l’absence, la privatisation et l’interdiction de milieu commun, face à l’expression de la souffrance des étudiant·e·s en demande de présence, traduite par une demande sans fin de « contenu » jamais satisfaite, car annulée par un cadre désincarné, je me suis de plus en plus auto-exploitée en me rendant sur les plateformes d’abord tout le jour, puis à des heures où je n’aurais pas dû travailler. Rappelons que les plateformes sont constamment accessibles, 24h/24, 7j/7. Poster toujours plus de « contenu » sur les plateformes, multiplier les heures de cours via les écrans, devoir remplir d’eau un tonneau troué, supplice des Danaïdes. Jusqu’à l’#épuisement et la nécessité - politique, médicale aussi - d’arrêter. Alors que je n’utilisais pas les plateformes d’enseignement numérique, déjà très développées avant 2020, et tout en ayant connaissance de la politique très offensive du Ministère en matière de déshumanisation de l’enseignement, je suis devenue, en quelque mois, happée et écrasée par la fréquentation compulsive des plateformes. J’ai interiorisé très rapidement les conditions d’une auto-exploitation, ne sachant comment répondre, autrement que par une surenchère destructrice, à la souffrance généralisée, jusqu’à la décision d’un arrêt nécessaire.

    L’enjeu ici n’est pas seulement d’essayer de traverser au moins pire la « crise » mais de lutter contre une politique structurelle de #destruction radicale de l’enseignement.

    Créer les milieux communs de relations réciproques et indéterminées d’enseignement, depuis des corps présents, et donc des présences et des absences qui peuvent s’élaborer depuis la #parole, veut dire aujourd’hui en grande partie braconner : organiser des cours sur les pelouses des campus…L’hiver est encore là, le printemps est toujours déjà en germe.

    https://lundi.am/L-enseignement-numerique-ou-le-supplice-des-Danaides

    #numérique #distanciel #Grenoble #université #facs #France #enseignement_à_distance #enseignement_distanciel

    • Le #coût fixe du MOOC, à la différence du coût croissant du cours classique en fonction du nombre d’étudiants, suffit à prouver la « #rentabilité » de l’enseignement numérique.

      mais non ! Si la création du MOOC est effectivement un coût fixe, son fonctionnement ne devrait pas l’être : à priori un cours en ligne décemment conçu nécessite des interactions de l’enseignant avec ses étudiants...

  • L’enfant interdit - Comment la pédophilie est devenue scandaleuse | Pierre #Verdrager
    https://www.armand-colin.com/lenfant-interdit-comment-la-pedophilie-est-devenue-scandaleuse-9782200

    « (...) dans certaines sociétés, ce que nous appellerions des actes pédophile sont acceptés comme des actes naturels de la vie sociale » in Tom o’caroll paedophilia, p.38. Les sciences sociales dans leur ensemble n’ont cessé d’encourager ce type de raisonnement. Le schéma inférentiel qui sous-tend cette analyse est le même que celui des analyses de la sociologie critique qui tentent de rendre fragile l’état des choses en faisant référence à d’autres cieux, reprenant par là des arguments relativistes qui sont formulés depuis des siècles, lesquels déduisent de la variation des normes leur arbitraire. La démarche des sciences sociales critiques, qui font rimer variation et arbitraire et souhaitent mettre en évidence le caractère contingent d’éléments qui ne seraient que « naturalisés » parce que préalablement « intériorisés », fut donc fortement mise à contribution [pour défendre la pédophilie]. (...) Les défenseurs de la pédophilie furent des gens qui culturalisaient à tout bout de champ comme le font les professionnels (...) dans Gai Pied , on développe une passion pour les peuples primitifs (...) « près des Asmats, vivent les Marins Anim dont parle Van Baal dans son livre intitulé Dema (...) ils croient à la sodomie comme étant la seule voie possible pour l’enfant de devenir un homme. (...) » [ et Verdrager de donner d’autres exemples de ce « relativisme pédophile »].
    En indexant la variation des attitudes sur celle des latitudes, l’utilisation de l’argument anthropologique visait à rendre contingent et arbitraire le rejet de la pédophilie ayant cours en Occident. Et comme toujours, rendre contingent et arbitraire une pratique sur le plan sémantique aboutit à la rendre vulnérable à la déconstruction sur le plan pragmatique : la dynamique appelle la dynamite.

    (p56-57)

    #pédophilie #relativisme #argumentaire_pédophile

    • même type d’argumentaire là :

      L’enfance est une invention récente.

      Les caractéristiques qu’on lui attribue (innocence, vulnérabilité, dépendance, etc.) sont le produit d’une construction sociale. Les attentions spéciales, la « protection », le « respect » dont les enfants sont l’objet, ainsi que les institutions créées pour eux (l’école en particulier) servent avant tout à les tenir sous tutelle, à les priver de tout pouvoir sur leur vie, à les enfermer dans leur rôle, à les... infantiliser.

      En réexhumant ce texte qui, pour la première fois sans doute, étendait aux enfants l’analyse des mécanismes de domination, nous espérons bien contribuer à donner des outils de lutte à tous ceux, toutes celles -et particulièrement aux mineur-es- qui jugent que la « condition de l’enfance » est inaceptable.

      http://www.tahin-party.org/firestone.html

      peut-être avec de nouvelles visées émancipatrices qui m’échappent, où le sexe avec des enfants est estimé à sa juste dangerosité...

      Je n’ai jamais réussi à lire la domination adulte , notamment parce l’auteur repartait de schérer, comme s’il n’y avait que les penseurs pédophiles pour nous mettre sur la voie de... je ne sais pas trop quoi à vrai dire... parce que pour moi les enfants, depuis 50 ans, ont gagné énormément d’espace, de liberté, de respect... Je ne dirais pas que c’est la teuf, mais ces mouvements qui n’en finissent plus de reprendre l’argumentaire pédophile, en citant duvert, schérer et hocquenghem, comme encore une fois l’ultime libération... alors que les types ont causé des dégâts colossaux...

      L’enfant, en tant que catégorie socialement construite, (...)

      http://www.trounoir.org/?Lire-Hocquenghem-II-L-Education-antisexuelle

      #constructivisme #fabrique #fabrication #déconstruction

    • Toujours dans le chapitre sur la rationalisation de la pédophilie, sa tentative de légitimation par les sciences :

      #Réné_Schérer se référa à la biologie pour défendre l’idée que la puberté démarrait non pas à l’âge de quinze ans mais bien plus tôt, à six ans. Et si Schérer préférait défendre la pédophilie en affirmant la rareté de la pénétration, à Homophonies on a fait appel à des médecins pour certifier que la sodomie des enfants n’était pas un problème.

    • épistémologie bachelardienne va comme un gant à l’argumentaire pédophile (...) être favorable à la pédophilie c’est être du côté de la raison raisonnable et non de la pulsion incontrolée, du côté du petit nombre qui comprend et non de la grande masse qui s’égare, du côté de ceux qui pensent et non de ceux qui sont pensés.

    • La psychanalyse était puissante à un point qu’on a du mal à imaginer aujourd’hui. Omniprésente. Offrit un cadre d’analyse inespéré et réputé scientifique : si la société rejetait la pédophilie c’était qu’elle « résistait » à la sexualité infantile et parce qu’elle était mue par des « tabous ».

    • #élisabeth_badinter, dans son livre L’amour en plus : vise à #dénaturaliser l’amour maternel. En observant les variations du sentiment maternel à travers les âges, elle en conclut au caractère contingent de celui-ci. La conséquence pragmatique d’un tel constat consistait à libérer les femmes d’un amour auquel elles ne sentaient pas nécessairement vouées. Gérard Bach-Ignasse rapportait ainsi que dans dans sa plaidoirie pour la défense de Claude Sigala dans l’affaire du #Coral, son avocat fit référence à Badinter pour considérer des attouchements sexuels comme étant parfaitement anodins (...) chez #gai_pied et au #petit_gredin, cette référence fut également sollicitée : si l’amour maternel était historique et socialement contingent, alors il était arbitraire et n’était pas inévitable. Mutatis mutandis , on appliqua le même raisonnement à la pédophilie (...) cette inférence pouvait être facilitée par le fait que l’auteure défendait un sens très extensif de la pédophilie, puisqu’elle la voyait en toute mère : "je suis vraiment convaincue, affirmait-elle en 1993, qu’il y en a chez toute mère et cela me semble parfaitement naturel. Dans une publicité pour couche culottes, on voit cette images d’une extrême sensualité qui montre un petit bébé sur le ventre et s’approchant de ses fesses, une superbe bouche de femme avec du rouge à lèvres. Il me semble aberrant de hurler à la perversion lorsqu’il y a semblable situation entre un père et ses enfants.

    • Autre grande référence #Philipe_Ariès, l’enfant et la vie familiale sous l’ancien Régime , (...) qui visait à mettre en évidence une triple variation de la notion d’enfance.
      La première, ontologique. Selon l’auteur le « sentiment de l’enfance » (notion reprise par #Vigarello dans son travail sur le viol) n’a pas toujours existé. Il varie avec le temps. le moyen âge ne connaissaient pas ce sentiment. L’enfance aurait donc fait l’objet d’une découverte (...) Il y avait une symétrie,et non un hiatus, entre enfants et adulte.
      Deuxième variation axiologique : la haute valeur de l’enfance serait tardive elle aussi. Il citait Montaigne, qui affirmait avoir perdu « deux ou trois enfants » (...) Troisième variation : sexuelle. L’idée de l’enfant comme être sexué : c’est la psychanalyse qui l’apporterait. Elle aurait été inconnue avant. C’est la raison pour laquelle les adultes n’hésitaient pas à jouer avec le sexe des enfants (...) Paradoxalement, ce qui permettait ces jeux sexuels, était la putative asexualité infantile (...)
      Les théories constructionnistes dans le domaine du sentiment connaissaient un considérable succès dans les années 1980. La thèse de George Duby selon laquelle l’amour était une invention de l’Europe du XIIé siècle rencontrait un large écho et était relayée par la presse gaie. (...)
      Le propos d’Ariès fut tout à fait stratégiques pour les défenseurs de la pédophilie et c’est la raison pour laquelle il fut parfois mobilisé pour dénoncer le caractère réactionnaire, puritain ou rétrograde des normes de conduite proscrivant tout contact sexuel entre adultes et enfants. (...)

    • #Schérer : a soutenu le combat pédophile toute sa vie (...) Incursions dans l’histoire du droit (...) âge de la majorité sexuelle n’est pas éternel et a effectivement varié (...) Reprend argument de #Jean-Jacques_Passay, qui avait retracé l’histoire du droit des mineurs relativement au sexe dans le numéro « #fou_d'enfance » de la revue #Recherches, ou de #Jacques_Girard : l’apparition et le déplacement du seuil s’expliquaient par l’essor de la bourgeoisie puritaine, mouvement que devait amplifier le régime de Vichy. L’apparition et les variations de cet âge de consentement manifestait selon lui l’arbitraire de ce seuil. D’où sa dénonciation sur un mode historico-constructionniste qui fait dériver de la variation des normes leur aberration : sa sémantique historique était une pragmatique politique. S’il faisait l’histoire du droit, c’était pour tenter de conquérir le droit de faire ou plutôt de défaire, l’histoire.

      Autre argument : variation de l’âge de la puberté, selon les personnes et selon les époques (...)

      Rejetait la pédérastie pédagogique, car vectrice d’asymétrie. Pour lui « le pédophile (...) traite l’enfant qu’il désire ou qu’il aime (...) comme un véritable partenaire sexuel ». Schérer considérait que la famille était un lieu clos qui avait besoin d’un tiers. Elle contribuaient à la « fétichisation » de l’enfance. Par cette « mise en croyance », il désignait pragmatiquement deux groupes : ceux qui « croient » au fétiche, qui fait d’eux des croyants crédules, et ceux qui « savent » que l’enfant n’est pas sacré (...) Pour lui, la violence liée à la pédophilie était largement imputable aux peurs des représailles et non à la pédophilie en elle-même. Elle était non pas substantielle mais relationnelle. (...)

    • #Michel_Foucault : 1978 « la loi de la pudeur » Michel Foucault : « aller supposer que du moment qu’il est un enfant, on ne peut pas expliquer ce qu’il en est, que du moment qu’il est un enfant, il ne peut pas être consentant, il y a là deux abus qui sont intolérables, inacceptables ».

      La menace pesant sur la pédophilie lui paraissait viser la société tout entière : « autrefois les lois interdisaient un certain nombre d’actes (...) on condamnait des formes de conduite. Maintenant, ce qu’on est en train de définir, et ce qui, par conséquent, va se trouver fondé par l’intervention et de la loi et du juge et du médecin, ce sont des individus dangereux. On va avoir une société de dangers, avec d’un côté ceux qui sont mis en danger, et d’un autre côté ceux qui sont porteurs de danger. Et la sexualité ne sera plus une conduite avec certaines interdictions précises ; mais la sexualité, ça va devenir cette menace dans toutes les relations sociales, dans tous les rapports d’âges, dans tous les rapports des individus. C’est là sur cette ombre, sur ce fantôme, sur cette peur que le pouvoir essaiera d’avoir prise par une législation apparement généreuse et en tout cas générale » (in la loi de la pudeur ).

      Si Foucault propulsait son discours à de si hauts niveaux de généralité (...) ce n’est pas seulement parce qu’il jugeait les grands problèmes comme seuls véritablement dignes de lui, mais c’était aussi parce qu’il s’agissait d’enrôler un maximum d’acteurs dans la cause pédophile. Si la pédophilie ne concernait pas seulement les pédophiles mais tout un chacun, alors il convenait d’adopter un style prophétique impressionnant où « tout le monde » pouvait se sentir concerné.

    • Une partie de la gauche libertaire considère que l’abolition du statut de mineur permettrait de répondre aux violences sexuelles âgistes. Le raisonnement un peu résumé consiste à dire que sans catégorisation adulte-enfant, non seulement on facilite la « puissance d’agir » des jeunes mais en plus on expulse la notion de pédophilie et d’inceste, pour encourager la liberté dans les rapports amoureux et sexuels contre la morale puritaine, familialiste, âgiste. Qu’en pensez-vous ?

      D.D. – C’est un raisonnement qu’il est très difficile de contrer, les pro-pédophiles contestant tous les arguments en brandissant la responsabilité délétère de la morale sociale opposée à la libéralisation de la sexualité avec des enfants. Ce discours pro-pédophilie a coûté la vie à des tas d’adultes, anciens enfants ‘partenaires’ sexuels de pédophiles et qui n’ont pas supporté l’expérience dépersonnalisante et déshumanisante d’être un objet sexuel. Il faut être très clair à ce sujet : ni en France, ni ailleurs, je n’ai jamais lu, jamais entendu, jamais rencontré quelqu’un qui pouvait témoigner que la sexualité qu’il avait vécu enfant était sans conséquence néfaste sur sa vie adulte. Les bibliothèques sont pleines de témoignages allant dans le sens radicalement contraire. Même les enfants ayant grandi dans les années soixante-dix dans des milieux sociaux libertaires et intellectuellement favorables à la pédophilie témoignent de l’horreur rétrospective d’être le « partenaire » sexuel d’un adulte. Les pro-pédophiles sont de mauvaise foi et mentent ; il faut garder cela en tête.

      https://christinedelphy.wordpress.com/2021/01/11/viol-incestueux-et-on-ose-encore-dire-que-nous-ne-savions

    • bon on dira que je n’ai pas de vie, mais je vous explique le projet vite fait : j’ai lu ce livre et j’en recopie des passages pour m’en, peut-être, servir plus tard. Me dis que ça peut aussi être utile à d’autres (et c’est cool de savoir que je suis pas seul à lire ces merdes ha !)

      Donc la suite :

      DE LA PÉDOPHILIE CONSIDÉRÉE COMME UN DES BEAUX-ARTS

      Je la fait courte, d’aucuns font du chantage à l’avenir (ne pas louper l’art qui sera considéré important demain).

      Fameuse Pétition de matzneff

      ("si une fille de 13 ans à droit à la pilule, c’est pour quoi faire ?")

      Soit dit en passant, violence dans le ton qui me rappelle celle de ginsberg revendiquant son droit aux petits garçons. cf : https://seenthis.net/messages/885607]

      Tony Duvert fut très à la mode et constituait même l’incarnation de ce qui, alors, était dans le vent. Son nom apparu dans La Distinction de Bourdieu dans les propos d’un « jeune cadre qui sait vivre » comme symbole même des livres « un peu stimulants ». (...)

      Alors ça, je paye une bouteille à celle ou celui qui la retrouve :

      La brochure destinée à la jeunesse éditée en 1982 par le ministère de la Jeunesse et des Sports intitulé J’aime, je m’informe qui recommandait la lecture du Bon Sexe illustré, [de Tony duvert] texte vantant les mérites de la pédophilie et argumentant en sa faveur.

      Ce #pedoland_total.

    • LA POLITISATION DE LA PÉDOPHILIE

      Les mouvement pédophiles visaient la collectivisation de leur cause, d’une part en agrégeant les pédophiles entre eux et , d’autre part, en s’adressant au reste de la société, tant sur le plan national qu’international. (...) Ceux qui formèrent des collectifs pédophiles savaient bien que, pour compter, il fallait d’abord se compter car dans ce domaine, le qualitatif - que peut-on faire ?- était fortement lié au quantitatif - combien sommes nous ?

    • En France, c’est le GRED, qui, à partir de 1979 tenta d’imposer l’idée que la question de la défense de la pédophilie relevait de la politique. Ce groupe succéda aux éphémères FLIP, le Front de libération des pédophiles et FRED, le front d’action de recherche pour une enfance différente, mouvement qui ont vu le jour en 1977 pour s’éteindre aussitôt.
      (...)

    • Les difficultés étaient essentiellement liées à la redéfinition du pédophile non plus en tant que coupable d’abus, mais en tant que victime d’une législation « rétrograde ». La victimisation du pédophile se heurta à d’importantes difficultés car la place de la victime dans la relation pédophile était déjà occupée par l’enfant. La victimisation du pédophile, pour réussir, devait donc opérer une redéfinition de la place de l’enfant au sein de cette relation. Cela n’était pas une mince affaire, mais parut « jouable » aux acteurs de l’époque.
      Dans un tel cadre, les publications eurent un rôle très important (...) l’écrit donne du pouvoir (...)
      Au cours des années 1970 et 1980, toute une série publications appartenant peu ou prou à la mouvance pédophile fit son apparition. Backside vit le jour en 1981, pour quelques numéros. Revue de poésie dirigé par #Harold_Giroux qui avait pour sous-titre « écritures-sexualités » elle était pour l’essentiel consacré à des textes érotique illustrés de photo d’enfant nus (...)
      #Bernard_Alapetite fit paraître Beach boy (...) #Jean_Manuel_Vuillaume fonda quant à lui Palestra , (...)il publia de 1984 à 1990 une revue érotique Jean’s (...) qui comportait très peu de textes. Lorsque texte il y avait, il s’agissait le plus souvent de topos d’allure savant, que pouvait réhausser, ça et là, des allusions à Nietzsche, Derrida ou #Barthes, lequel avait été le directeur de thèse de #Vuillaume. La revue qui parle toujours d’"adolescents", faisait une grande place aux enfant prépubères dénudés (...) Vuillaume publia également la revue P’tit Loup entre 1985 et 1990 (...) spécialisée dans les tout jeunes enfants - presque tous impubères, entre cinq et dix ans pour la plupart - et comportait de nombreuse photos de nus. Les photos était parfois assorties de l’expression « bon appétit ». (...)

    • SYMÉTRISATION ADULTES/ENFANTS

      Ceux qui ont tenté d’établir la légitimité de la relation pédophile ont fréquemment fait reposer leur argumentation sur une exigence de symétrie visant à combler l’écart entre l’enfant et l’adulte. C’est la résorption des différentiels entre adulte et enfants qui semblait, pour certains, être la manoeuvre la plus à même de rendre la pédophilie acceptable (...)

    • (...) blocage du sujet au stade infantile se projetant dans l’objet infantile (...) rapprocher l’enfant de l’adulte (...) hypothèse : tout être possède toujours son âme d’enfant. Cette diminution du caractère adulte de l’adulte avait pour viser de le rapprocher de l’enfant.(...)

    • #Symétrisation cognitive : #Tony_Duvert a « fait l’amour avec des gamins parce qu’ils le voulaient bien ; ça ne les embêtait pas » (...) on sollicitait la parole de l’enfant en exigeant qu’on la prenne au sérieux. Symétrisation ontologique : référence à la notion de « personne ». L’#enfant, tout comme l’#adulte était une personne et devait à ce titre (...) avoir « droit » à la sexualité. (...) C’est la raison pour laquelle certains ont considéré que le pédophile était d’un intérêt supérieur au père de famille. Il était le seul à savoir considérer l’enfant comme « embryon de citoyen » et non comme un subordonné. Symétrisation actantielle : il arrive en effet que ce soient les enfants et non les adultes qui prennent une initiative de type sexuel car, selon Tony Duvert « les #gamins aiment faire l’amour comme on se mouche » (...) Pour les #pédophiles il s’agissait non pas de condamner ce « #consentement », mais de le « prendre au sérieux ». #Dominique_Fernandez, tout en estimant qu’il aurait pu « très bien être pédophile », regrettait qu’il y ait « cette erreur de ne pas vouloir savoir que l’enfant a une #sexualité très débordante, folle ». #André_Baudry, de même, défendait l’idée que les « #adolescents » étaient bien souvent à l’initiative des relation sexuelles avec des adultes (...) #Frits_Bernard, quant à lui, considérait que son roman pédophile Costa Brava présentait de l’intérêt dans la mesure où il fournissait le récit d’une telle symétrisation : l’enfant et non l’adulte, était le moteur dans la relation érotique. [pareil pour ] #Tom_O'Caroll.

      Cette thèse fut défendue par certains médecins au cours des années 80. En 1985, #Michèle_Eilstein, dans sa thèse de doctorat de médecine :

      "le mouvement de détournement qu’implique la séduction se retrouve (...) au sein de la relation pédophilique (...) on parle alors de « détournement de mineur ». Mais ne peut-on pas retourner la proposition dans l’autre sens (...) Est-ce que (...) l’enfant ne peut pas devenir celui qui détourne l’adulte de sa sexualité d’adulte ?" (...) Si l’enfant se soumet effectivement à la règle de cette relation duelle, il n’en reste pas moins vrai qu’il conserve la maîtrise du jeu et ce pour deux raison essentielles. La première est en rapport avec l’interdit, l’enfant sait qu’il ne risque rien, alors que l’adulte a tout à perdre dans cette relation. Ainsi, fort de sa parfaite #innocence l’enfant garde la liberté d’interrompre le jeu selon son désir. La deuxième raison tient à la différence de sexualité qui existe entre l’enfant et l’adulte. En effet, ici l’adulte joue avec sa sexualité d’adulte dans laquelle réside une ascension du désir qu’il ne peut arrêter quand il veut. L’enfant, qui lui ne ressent pas ce désir croissant de l’autre mais est simplement satisfait par l’idée même du jeu, possède donc là encore une #emprise sur l’adulte."(...) dans notre société l’enfant (...) a une place privilégiée de « victime innocente » (...) d’autre part les dénonciation calomnieuses faites par des enfants ne sont pas rares (..) il faut savoir se poser la difficile question des limites de son innocence et de sa pureté, venant constituer une véritable forteresse imprenable".

      allez #victime_innocente comme scandale par rapport à la bonne vieille #victime_coupable, on est pas à ça près hein...

    • Ces gestes de symétrisation était encouragés dans les années 70 par les mouvements de #fugues_de_mineurs qui faisaient l’objet d’une importante couverture médiatique (...) on parlait désormais de « #mineurs_en_lutte » dans la presse. Certains furent accueillis à #Vincennes ; Ces enfants affirmaient vouloir « disposer de leur corps et de leur tête ». On parla même à Marseille d’un « mouvement de libération des enfants » par des enfants eux-mêmes (...)

      Symétrisation amoureuse (...) défendue jusqu’en 1997, par exemple dans la revue de #Phillipe_Solers, où l’on publia plusieurs textes qui défendirent l’idée d’une possible symétrie dans ce domaine, comme ceux de #Bertrand_Boulin ou de #René_de_Ceccatty.

    • Pour Je m’aime, je m’informe :
      • un article de Robert Salé, du Monde du 18/06/1984 où, juste avant le #paywall :
      « J’aime, je m’informe »
      https://www.lemonde.fr/archives/article/1984/06/18/j-aime-je-m-informe_3025363_1819218.html

      À la fin de la brochure, le lecteur était renvoyé à neuf ouvrages, parmi lesquels le Bon Sexe illustré, de Tony Duvert et l’Amour, c’est pas triste, de Jane Cousins. Ce n’est pas le genre de livres qu’on conseille généralement aux fiancés catholiques. Toutes les formes de relations sexuelles y sont plus ou moins justifiées, y compris l’inceste et la pédophilie.

      • sinon, aux milieux de beaucoup d’autres documents, la brochure a été déposée le 9 octobre 1985 aux Archives Nationales à Pierrefitte-sur-Seine par le cabinet du Ministre de la Jeunesse et des Sports …
      https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/pdfIR.action?irId=FRAN_IR_014364

    • #paywall de l’article du monde signalé par @simplicissimus
      C’est intéressant de voir que les références ont certainement été ajoutées infine. Du coup, le travail du Planning familial sur la contraception et les termes clairs pour son usage sont anéantis. De ce que j’observe et lis c’est tout à fait la façon d’agir des pro-viols d’enfants et des pédocriminels, parasiter le discours de libération de la sexualité.
      #stratégie_de_perversion

    • Tout son univers [de Matzneff] respire pourtant la droite extrême depuis ses auteurs admirés (de #Montherlant (...) à #Julius_Evola) ses fréquentations ou ses amis (#Alain_de_Benoist (...) mais aussi #Pierre_Boutang, #Ghislain_de_Diesbach, Pierre #Gripari, #François_d'Orcival, #Roger_Peyrefitte, #Lucien_Rebatet, #Michel_de_Saint_Pierre, ¨#Phillipe_de_Saint_Robert etc.) jusqu’à sa pensée dans laquelle les valeurs aristocratiques, que manifeste le vif rejet de la gauche ou la récurrence des injures adressées aux gens ordinaires, la misogynie ou l’admiration des chefs, ont une place centrale.

    • si les relations asymétrique plaisent aux pédophiles d’extrême droite, c’est avant tout parce que , dans cet univers, on y prise sans doute comme nulle part ailleurs l’autorité, les rapports de domination clairs, les structures hiérarchiques incontestées, comme dans l’armée, où se distribue nettement petits et grands , dominés et dominants, esclaves et maîtres, serviteurs et chefs, masses et élites (...)

    • Les uns [d’extrême droite] et les autres [pédophiles] adoptaient un vocabulaire qui accorde à la singularité une large place : ils se revendiquaient « non conformiste », « dérangeants », et « politiquement incorrects » (...)

    • EXPLICATION DES REJETS DE LA PÉDOPHILIE

      Sociologisation

      Le rejet de la pédophilie s’expliquerait non pas parce qu’elle serait intrinsèquement mauvaise mais parce qu’elle serait l’objet d’un rejet inadéquat (...) les pédophiles n’ont pas eut leur pareil pour sociologiser le rejet dont ils ont fait l’objet. Ainsi au Petit Gredin , on fit référence à une citation du #Marquis_de_Sade qui affirmait que « ce n’est point [sa] façon de penser qui fait [son]malheur, c’est celle des autres ». (...)

      Le psychologue et militant pédophile #Fritz_Bernard considérait que lorsqu’on interroge les enfants qui ont été en contact sexuel avec des adultes, « aucun ne parle d’expérience traumatisante, c’est plutôt le contraire. Ce ne sont pas les actes en eux-mêmes, généralement caresses et masturbation, qui engendrent des problèmes ou des conflits, mais plutôt (...) l’attitude négative de la société qui engendre le traumatisme chez l’enfant »

      (...) #Claude_Sigala (...) « le problème ne vient pas de l’individu [mais] de la norme, du social ». (...) #Sociologisation du rejet fut une ressource cardinale (...)

    • Discréditation et pathologisation

      (..) Profonde « crédulité » de la société s’exprimerait dans la « croyance » en ces « personnages » ou « figures » de fiction que sont le « pédophile monstre » ou « l’enfant pur » (...) L’écrivain #Michel_Tournier regrettait (...) que l’enfant soit depuis Victor Hugo assimilé à un saint. « L’enfant c’est #sacré » se désolait-on de même à #Gai_Pied (...) on ricanait dans la revue de #Phillipe_Solers de l’enfant contemporain, vu comme un « petit jésus mâtiné de litte Bouddha ».

    • Dans les années 70 et 80, on s’affrontait de façon vive afin de répondre à la question suviante : qui est malade ? était-ce les pédophiles qui avaient une sexualité aussi pathologique que pathogène, ou bien « la société » qui, en les pourchassant, manifestait une attitude pathologique ? (...)

      Est-ce que c’étaient les pédophiles qui devaient entamer une psychothérapie pour admettre, par exemple, leur immaturité psycho-sexuelle ou bien était-ce la société qui devait douter de son « #hystérie » et de sa « panique ». On le voit la référence à la #panique est un acte de guerre. Dire de l’autre qu’il ne se maîtrise pas - qu’il est « hystérique » ou « en panique »- a pour effet en retour de laisser penser que celui qui énonce un tel diagnostic contrôle, lui, ses émotions et donc, la situation. (...) Bref, il s’est agi de répondre à la question suivante : qui donc devait aller consulter ?

    • les défenseurs de la pédophilie ont fait l’hypothèse d’une « phobie » antipédophile, d’une « pédophobie »(...) cette hystérie faisait par exemple qu’on n’était jamais sensible à la dimension positive que pourrait avoir la prostitution infantile.
      (...)

    • #Edward_Brongersma opéra ce double mouvement de pathologisation du normal et de normalisation du pathologique en prenant appui sur l’expertise du docteur #Sigusch, professeur de #sexologie, lequel considérait "les adultes qui seraient dépourvus du désir d’avoir des relations sexuelles avec un enfant comme des « figures problématiques ». (...)

      dans la revue Recherches de #Felix_Guattari, on est même allé jusqu’à affirmer qu’il « n’y a pas un homme de quarante ans, qui n’aurait envie, en voyant nu un garçon de quatorze ans, de l’enculer ». Or comme notre société serait « pathologiquement meurtrière », elle opprimerait ce mouvement naturel.

      On s’attendait donc à une dépathologisation de la pédophilie. De même que l’homosexualité avait été sortie en 1973 du (...) #DSM.

    • Mauvaise presse

      Le fait que TF1 — la chaîne de télévision la plus regardée de France qui cristallise tout ce qu’un penseur digne de ce nom peut mépriser — s’empare à ce point de l’affaire Dutroux ne suffisait-il pas à prouver qu’il s’agissait d’une bien mauvaise cause, et ce d’autant plus qu’elle laissait de côté les petits africains en privilégiant les enfants blanc d’Occident ? ( #Annie_Ernaux in L’infini , p62)

    • Pédagogisation

      [Non pas manque de contrôle sexuel des pédophiles mais manque d’information du grand public.]

      La réduction au cognitif était une arme redoutable en ce sens qu’elle plongeait simultanément celui qu’elle visait dans les abîmes de la subjectivité à mesure qu’elle hissait celui qui l’opérait dans les hauteurs de l’objectivité. Les problèmes était donc liés non pas à l’essence de la pédophilie mais à méconnaissance.

      (...)

      Comme « les lois des pays occidentaux montrent une variation incroyable dans la fixation de l’âge du consentement » affirmait le sénateur hollandais pro-pédophile #Edward_Brongersma, cela était censé fournir la « preuve évidente de la maladresse et de l’arbitraire des législateurs confrontés avec un sujet dont ils ne savaient rien ».

      (...)

      Dans un tel contexte, caractérisé, selon #Roger_Peyrefitte, « à la fois [par] un manque d’intelligence et un manque de culture » les associations pédophiles pouvaient prétendre (...) à un rôle important d’information et de démystification.

      (...)

      L’usage du terme « #tabou » (...) rappelle que ce ne sont pas de simples instruments de description classificatoire mais bien des armes pragmatiques dont le but est de transformer le monde. Le « tabou » ce n’est pas seulement l’interdit, c’est l’interdit du « sauvage » dont parlent les anthropologues, c’est dont l’interdit qui transforme celui qui s’y soumet en sauvage.

      (...)

      Le combat pédophile se solda par un fiasco complet.

    • me semble hyper important ça (en gras) :

      3 LA DEROUTE PEDOPHILE

      Les arguments des pédophiles sont devenus des termes, dûment identitifés dans les manuels de psychiatrie, qui servent à établir le diagnostic de ce dont ils sont atteints.

      (...)

      Comme le rapporte Catherine Dolto, « le nombre d’adultes, hommes et femmes, qui racontent avoir été abusés pendant leur enfance est proprement stupéfiant. Ce qui l’est plus encore, c’est qu’ils sont très nombreux à dire que, s’ils en ont parlé dans leur famille, on leur conseillé de se taire. Ceux qui ont consulté des thérapeutes à l’époque sont nombreux à ne leur avoir rien dit ».

      (...)

      Le pédophile n’est plus cet être honteux qui hante le privé et dont on ne dit rien car « on ne parle pas de ces choses-là ». Il est désormais un monstre ignoble à l’identité stabilisée et dont les méfaits doivent désormais être mis « en pleine lumière ».

      Chaque acteur du système de la pédophilie connaît une telle dynamique identitaire. La victime, par exemple, se définit peu à peu comme telle. Avant le milieu des années 1990, le statut du mineur victime d’abus sexuel n’est pas tout à fait clair, s’il on admet qu’une victime pour l’être pleinement doit être considéré comme telle par tout le monde. C’est ce qui explique que des personnes qui, alors qu’elles étaient enfants, ont subi des relations avec des adultes, se sont senties progressivement devenir des « victimes » à mesure que les pédophiles devenaient des « coupables ». L’activité d’un rapport sexuel entre adulte et enfant n’implique pas nécessairement la conscience d’être victime pour celui ou celle qui subit ce que fait l’adulte. L’éditeur #George_Kempf s’est senti être une « victime » de son « agresseur » trente ans après les faits. On peut devenir une victime longtemps après ce qu’on a subi car, comme souvent, il n’y a pas nécessairement coïncidence entre l’activité — être violé— et l’identité —être victime. Dans une autre affaire, un plaignant accuse Monseigneur Di Falco de viol. L’argumentaire de son avocat est le suivant : bien que les faits aient censé avoir eut lieu entre 1972 et 1975, son client n’a compris qu’en 1995 qu’il aurait été victime d’une relation non consentie du fait de la médiatisation des affaires de pédophilie. On peut donc « prendre conscience » d’une identité de victime en découvrant qu’elle est justiciable par d’autres d’une telle « prise de conscience ». D’où ce statut de victime à retardement. Les psys y verraient une manifestation du mécanisme de « refoulement ». Mais cette analyse est largement rétrospective. Pour qu’une personne se sente victime, il faut que tout le circuit du système de la pédophilie soit actif, institutions, associations, coupables, médias. Qu’un acteur, voire plusieurs, viennent à manquer et c’est le court-circuit : plus rien ne se passe, l’identité de victime devient moins stable, plus « subjective ». L’identité de victime est profondément relationnelle, elle suppose l’activité continuée de la collectivité des acteurs participant au système de la pédophilie : son objectivité est la forme réifiée et stabilisée que rend possible tout le système. Plus l’identité de coupable se solidifie et plus l’identité de victime risque de prendre de plus en plus de place dans l’identité de la personne, voire prendre toute la place, au point que certains font l’hypothèse qu’on peut « rester prisonnier toute [la] vie de cet attentat », qu’on peut devenir comme un « mort-vivant » (in Marie-Ondine, pédophilie, une histoire vraie).

      (...)

    • Deux causes permettent de comprendre pourquoi les #féministes ont été hostiles à la cause pédophile. La première fut statistique : l’attrait pédophile semblant bien moins fréquent chez les femmes que chez les hommes (...) il était logique qu’elle n’aient pas été en première ligne pour défendre cette cause, tout au contraire. La seconde était historique : la division sexuelle du travail domestique assignant aux femmes traditionnellement un rôle de protection des enfants, celle-ci ont été sensibles bien plus que les hommes à cette dimension protectrice.

    • DÉPOLITISATION DE LA PÉDOPHILIE

      Les acteurs pédophiles n’ont pas été reconnus comme des acteurs « militants » : tout ce petit monde est entré en #clandestinité.
      (...)

      Accès des femmes aux postes à responsabilité politique, médiatique, judiciaire ou associative, a été déterminant dans la dépolitisation du combat pédophile et la politisation de la lutte contre la pédophilie

      (...)

      C’est là l’ironie de l’histoire : cantonnées, par les hommes, à des postes qu’ils considéraient comme subalternes, elles en ont fait des postes clés, voire des plaques tournantes de toute la vie publique.

      (...)

      En 1980, en pleine vague pro-pédophile, c’est un magazine féminin qui publia un grand papier qui lui était hostile. De 1997 à 2002, c’est une femme, #Ségolène_Royal qui a été le fer de lance de la lutte contre « l’enfance maltraitée » : rapports, missions, circulaires, Royal multiplia les initiatives dans ce domaine. Elle contribua à renforcer l’insertion de la question pédophile dans celle, plus large, de la maltraitance infantile.

      (...)

      Ségolène Royal = bête noire de Matzneff ("la quarkeresse")

      (...)

      sympathie pédo des franges néopaïennes d’extrême droite

      (...)

      rejet de la pédophilie a désormais force de loi.

    • Pierre Verdrager, le sociologue qui a vu un « grand renversement » au sujet de la pédophilie

      https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/02/26/pierre-verdrager-le-sociologue-qui-a-vu-un-grand-renversement-au-sujet-de-la

      Armand Colin lui demande de préparer une version courte et actualisée de L’Enfant interdit – celle qui est publiée aujourd’hui sous le titre Le Grand Renversement – et de travailler à une nouvelle version enrichie, prévue pour l’automne.

      [...]

      Il sait qu’il peut être accusé de faire le jeu de l’amalgame entre homosexualité masculine et pédophilie, que les gays ne cessent de combattre. « Je n’ai jamais caché mon homosexualité, précise-t-il. En tant que gay, j’ai plus de facilité à aborder ce sujet et personne ne peut me soupçonner d’être homophobe. »

      [...]

      Il raconte aussi que les féministes ont joué un rôle important dans la défaite de la pédophilie. « La libéralisation de la pédophilie annonçait pour certains gays une victoire de la liberté, écrit-il, alors qu’elle signifiait pour de nombreuses féministes une victoire de la domination masculine. »

    • A sa petite échelle, Pierre Verdrager, 50 ans, a, lui aussi, vécu un grand renversement. La première fois que M le contacte, début décembre 2019, sa réponse est claire et nette : la pédocriminalité et les œuvres de Gabriel Matzneff, c’est fini, il ne s’exprime plus sur ces questions. Il a donné, publié L’Enfant interdit (Armand Colin, 2013) et recueilli d’ailleurs peu d’échos : zéro article de presse, une critique dans une revue spécialisée, deux passages radio et une poignée de colloques. Il termine la traduction d’un livre de l’anthropologue britannique Jack Goody et se dit « peu disponible ».

      [...]

      Pierre Verdrager s’affiche comme un « électron libre » dans le monde de la recherche

      [...]

      « C’est un grand sociologue, avec d’autant plus de mérite qu’il n’est inséré dans aucun cadre institutionnel », admire sa consœur Martine Gross, spécialiste de l’homoparentalité. En 2007, Pierre Verdrager publie L’Homosexualité dans tous ses états (Les Empêcheurs de penser en rond), réalisé à partir d’entretiens. « C’est en lisant les journaux gay comme Gai Pied et en découvrant les articles de défense de la pédophilie que je me suis dit qu’il fallait que je creuse », se souvient-il.

    • merci @ktche j’ai pas fini encore de recopier, il me reste notamment un passage sur les chiffres et l’effet grossissant de l’observation, qui est très clair et très bien dit. C’est un peu sa force je trouve, comme ça par exemple :

      La victime, par exemple, se définit peu à peu comme telle. Avant le milieu des années 1990, le statut du mineur victime d’abus sexuel n’est pas tout à fait clair, s’il on admet qu’une victime pour l’être pleinement doit être considéré comme telle par tout le monde. C’est ce qui explique que des personnes qui, alors qu’elles étaient enfants, ont subi des relations avec des adultes, se sont senties progressivement devenir des « victimes » à mesure que les pédophiles devenaient des « coupables ». L’activité d’un rapport sexuel entre adulte et enfant n’implique pas nécessairement la conscience d’être victime pour celui ou celle qui subit ce que fait l’adulte. L’éditeur #George_Kempf s’est senti être une « victime » de son « agresseur » trente ans après les faits. On peut devenir une victime longtemps après ce qu’on a subi car, comme souvent, il n’y a pas nécessairement coïncidence entre l’activité — être violé— et l’identité —être victime.

      qui est très réel.

    • Merci de partager ta lecture. J’entends ce qu’il dit sur le « devenir victime » mais il y a quelque chose qui cloche tout de même car le déni ou le refoulement sont très puissants et actifs avant que ne puisse intervenir cette prise de conscience « socialisée/judiciarisable » et se caractérise malheureusement par des pathologies et des comportements à risques (voir Salmona qui parle de comment reconnaitre ses signes pour mieux aider).
      J’en viens à penser que cette souffrance indicible ne tient pas que de l’évolution sociale et justement quand elle peut se dire c’est aussi un chemin libératoire pour refuser tous rapports de domination, voire se questionner politiquement. Cela peut soulager la victime et non pas comme il est écrit la poursuivre toute sa vie et la personne victime peut aider à libérer d’autres victimes, ce qui est une grande joie merde quoi quand même, vive la bienveillance.

    • pour moi c’est une explication parallèle, ou complémentaire, au « délai d’apparition » des victimes (je ne sais pas comment dire mieux) délai que l’amnésie traumatique de Salmona explique aussi très justement et pour un grand nombre de personnes, mais qui, pour encore ramener mon nombril dans la place, ne me concerne pas... j’ai jamais rien oublié, mais j’ai mis du temps à interpréter et surtout à accepter ce statut d’ancienne victime. C’est bête mais une émission de Mireille Dumas sur le sujet m’a bp aidé... Je comprends pas trop ce que tu dis sur « poursuivit toute la vie » ...

      tu parle de ça ?

      On peut devenir une victime longtemps après ce qu’on a subi car, comme souvent, il n’y a pas nécessairement coïncidence entre l’activité — être violé— et l’identité —être victime.

    • Je cite le passage plus haut

      Plus l’identité de coupable se solidifie et plus l’identité de victime risque de prendre de plus en plus de place dans l’identité de la personne, voire prendre toute la place, au point que certains font l’hypothèse qu’on peut « rester prisonnier toute [la] vie de cet attentat », qu’on peut devenir comme un « mort-vivant » (in Marie-Ondine, pédophilie, une histoire vraie).

    • la pédocriminalité et les œuvres de Gabriel Matzneff, c’est fini, il ne s’exprime plus sur ces questions. Il a donné, publié L’Enfant interdit (Armand Colin, 2013) et recueilli d’ailleurs peu d’échos : zéro article de presse, une critique dans une revue spécialisée, deux passages radio et une poignée de colloques.

      En 2014, Matzneff à eu le prix Renaudot, du coup ce que dit Pierre Verdrager est faux. Il percevait d’autre part un logement de la ville de Paris et des aides financières de l’etat. Gallimard publiait toujours son journal de pédovioleur et c’est seulement à la sortie du livre de Springora que l’éditeur a découvert ce qu’il éditait et à cessé la diffusion de cet auteur. C’est aussi d’autant plus faux que Matzneff publie encore en 2021 grace aux crowdfounding et qu’il insulte toujours librement ses victimes depuis l’autre coté des alpes.

    • LA PEDOPHILIE PARTOUT

      L’amélioration de l’#observabilité des cas de pédophilie, qui entraîna immanquablement l’augmentation des cas observés, suscita donc une vive inquiétude. Cette inquiétude a été engendrée par l’énonciation de #statistiques toutes plus alarmantes les unes que les autres « une jeune fille sur trois est victime d’une agression sexuelle avant l’adolescence » (...) L’accumulation de #chiffres de ce genre crée une peur diffuse. Ces statistiques peuvent parfois donner lieu à des hypothèses sur l’effondrement de la morale. En 2001, un #sondage fit de la pédophilie la préoccupation n°1 des Français en matière de politique de l’enfance — celle-ci justifiant un renforcement des moyens de lutte contre la pédophilie, qui lui-même augmenta l’observabilité du phénomène pédophile : le phénomène est circulaire.

      (...)

      S’il y a clairement une circularité entre l’amélioration de l’observation et la multiplication des « cas » de pédophilie, je ne souhaite pas la traiter avec ironie ou l’envisager avec le dédain de l’expert s’indignant de l’usage naïf des statistiques : elle appartient aux acteurs eux-mêmes. (...) Pour ce qui me concerne, je me borne à constater cette circularité, laquelle est un phénomène bien connu des sciences sociales et des acteurs de terrain comme les magistrats ou les travailleurs sociaux. Plus on se donne les moyens de voir quelque chose et plus ce quelque chose risque d’apparaître avec netteté et en grand nombre et ceci de façon croissante dans le temps. À la manière de la prophétie auto-réalisatrice, le dispositif d’observation a eu tendance à contribuer à produire les preuves de la pertinence de son existence : il était performatif. #Ian_Hacking fut très certainement fondé à affirmer que « nous ne savons guère si des nombres plus importants sont à mettre sur le compte de l’augmentation de la maltraitance ou d’une meilleure détection de celle-ci, ou encore de l’extension de ce qui est jugé comme telle ». (...) C’est là le paradoxe de ce genre de statistiques : plus elles sont précises, fiables, nombreuses et moins nous savons exactement ce qu’elles mesurent.

      (...)

      Ceux qui se sont penchés sur les statistiques savent cependant qu’il est impossible d’avoir une idée fiable et consensuelle du nombre de pédophiles en France : cela est bien fait pour renforcer l’inquiétude. (...) La répression doit être d’autant plus sévère que l’omerta a été générale. D’où cette demande réitérée de peines toujours plus lourdes, le nombre des années d’emprisonnement semblant à même de compenser les années de retard dans la « prise de conscience ».

    • L’AFFAIBLISSEMENT DES THÈSES #CONSTRUCTIONNISTES SUR L’ENFANCE

      Dans ses derniers livres, le grand anthropologue #Jack_Goody (...) a donné un coup de frein au #constructionnisme intégral dans certains domaines (...) il constate en effet que « pour l’immense majorité de l’humanité, [...] les soins à donner aux enfants sont une choses essentielle » et ceci à toutes les époques. Au-delà, des flottements de seuils, il n’y a pas de variations aussi tranchée qu’on le prétend parfois de la notion d’enfance d’une civilisation à l’autre et faire naître l’enfance en Occident à l’époque moderne relève, selon lui, de l’ethnocentrisme le plus étroit. (...) Pour [Goody] il existe un lien entre l’hyperconstructionnisme historiciste et l’ethnocentrisme.

      (...)

      La notion de « construction sociale », si elle a pu fournir un levier extraordinaire à la lutte militante, car ce qui est construit peut être déconstruit et changé, a aussi freiné la réflexion (...) Ian Hacking considère que certains des emplois de la notion de « construction sociale » sont intellectuellement paresseux (...) il constate par exemple que lorsqu’Aristote parle du plus pur exemple d’amour, il cite le cas de celui qu’une mère porte à son enfant, remarque qui fragilise les thèses constructionnistes soutenues avec vigueur dans ce domaine, de Philipe Ariès à Elisabeth Badinter

      (...)

      le sol constructionniste des défenseurs de la pédophilie s’ouvre chaque jour un peu plus sous leur pieds.

    • FRAGILITÉ DU MOUVEMENT PÉDOPHILE

      #André_Baudry avait bien essayé d’organiser les choses à #Arcadie [une des premières assos gay en France ndgwyneth] (...) pour autant il s’était rapidement heurté à des déconvenues : « il y a de nombreuses années, écrivit-il en 1982, nous avions constitué un groupe de réflexion rassemblant des pédophiles. Ils se réunissaient par dix ou vingt. Je leur avait demandé d’étudier ensemble le problème pédophile, de rassembler des documents divers et irréfutables, de faire parler l’Histoire, la morale, la psychologie, la sociologie, la littérature, en un mot de rassembler toutes ces données afin de publier un manifeste honnête sur ce terrible problème. Les réunions, malgré la bonne volonté de leur animateur, devinrent vite des réunions de voyeurs, d’exhibitionnistes, de rêveurs... une agence pour pédophiles. On se racontait ses bonnes, ses mauvaises, ses infructueuses rencontres de la semaine, en faisant circuler des revues qui, à l’époque, arrivaient de Scandinavie, voire même des photos récentes prises sur le vif entre tel participant et un adolescent (le pédophile la manie de l’appareil photo ! (cc @touti). On organisait un voyage vers le Maroc, la Tunisie, les Philipines... On vivait la pédophilie comme chacun aurait bien voulu la réaliser, mais on était loin de ce travail de recherche honnête, seul capable de faire progresser les choses à cette époque. Je n’eus pas à intervenir, le groupe cessa de vivre ».

    • 4. Du point de vue pédophile

      SUBCULTURE ?

      (...) il existe bien deux journées mondiales qui sont programmées chaque année afin de défendre la cause pédophile. Il s’agit de la Alice’s day (25 avril) et de la journée Boy Love (21 juin) [mais] pour l’essentiel, les pédophiles s’exprimant à visage découvert appartiennent au passé.

      (...)

      Un langage codé prolifère sur internet. L’enfant y devient un « Jigé », forme lexicalisé de l’abréviation « JG », signifiant « Jeune Garçon » qui est lui-même un euphémisme d’enfant de sexe masculin. Le pédophile, quant à lui, y est désigné comme un « boy lover », qui s’abrège en « BL ». Sur certains sites pédophiles, on a coutume de mettre en capitales les lettres B et L dans les mots qui comprennent ces deux lettres dans cette ordre. Par exemple on écrira « sensiBiLité » ou « biBLiothèque »

      (...)

      #Internet va comme un gant au monde pédophile. C’est un univers où l’on peut se renseigner sur les risques encourus, se plaindre des épreuves traversées, deviser avec des inconnus, évoquer les « Jigés » croisés, voir presque sans être vu, et rêvasser sans relâche à un monde jugé « meilleur », c’est-à-dire plus clément vis-à-vis des amours pédophiles. De nombreuses conversations sont le lieu d’une intense critique de « la société ». (...) les pédophiles (...) sont également présent sur un site essentiel du Web 2.0 : #Wikipédia. D’une manière générale, les articles qui font référence à la pédophilie, s’ils proposent des informations ou des références bibliographiques tout à fait intéressantes (...) manquent de neutralité. Ils ont tendance à présenter la pédophilie d’une manière extrêmement favorable . Les pages wikipédia sont particulièrement stratégiques car elles sont généralement bien positionnées dans les résultats des principaux moteurs de recherche, comme Google. La guerre de la pédophilie a donc désormais lieu sur la Toile.

    • Pour finir...

      LE SYNDROME DES #FAUX_SOUVENIRS­

      Au cours des années 80, on assista au états-unis à une explosion de plaintes de personnes déclarant, longtemps après les avoir oubliés, des abus sexuels pendant l’enfance. (…) Une psychologue, #Elizabeth_Loftus, tenta d’élucider cette explosion de cas avec sa théorie des « faux souvenirs ». Ces faux souvenirs seraient une création pure de la #thérapie qui suggère que ces abus ont eu lieu. Ses travaux furent controversés. Certaines féministes lui reprochèrent de mettre en cause la parole des femmes et par conséquent d’être une alliée objective des pédophiles. Certains #psychanalystes, parce qu’elle critiquait la notion de refoulement, qui pour elle était sans bases objectives, lui reprochèrent de saper les fondements mêmes de la psychanalyse.(...) La question demeure, encore aujourd’hui, hautement controversée car les intérêts en présence sont considérables.

      Quel était l’argument d’Elizabeth Loftus ? Selon elle, un des éléments qui permettait d’expliquer la multiplication d’abus sexuels sur enfants fut la vogue, dans les années 80, notamment aux états-unis, des thérapies dites de la "#mémoire retrouvée. Ces thérapies défendaient l’idée que certaines #troubles psychiques pouvaient s’expliquer par l’enfouissement de souvenirs d’événements oubliés. La guérison requérait de déterrer ces souvenirs. S’inspirant des théories de #Freud, ces thérapies faisaient le pari que les troubles psychiques d’aujourd’hui pouvait être imputable au refoulement des abus sexuels subis pendant l’enfance : à force de regarder les nuages de leur passé, les patients finissaient toujours par y découvrir des abus sexuels. Les faux souvenirs étaient congruents avec l’épidémie de pédophilie et, en même temps, la généraient : ils créaient des situations de conflits innombrables et détruisit des familles où les enfants accusaient à tort les parents de les avoir abusés sexuellement. Les dégâts furent si considérables que des institutions prenant la défense des familles injustement accusées se mirent en place (…) Ces faux souvenirs étaient pour l’essentiel, produit par la théorie qui les conceptualisait. Les thérapeutes, en induisant le fait que le traumatisme présent était le produit d’abus sexuels passés, engendraient les faux souvenirs de patients qui, localisant une cause, se sentaient soudain bien mieux. Le fait que les patients refusaient parfois de se rendre à cette thèse confirmait la théorie : le « déni » était une preuve supplémentaire qu’il y avait bien eu abus. La théorie devenait irréfutable : si les patients trouvaient des souvenirs d’abus, c’est parce que des abus avaient eu lieu, s’ils n’en trouvaient pas, c’est aussi parce qu’ils avaient eu lieu, chose que les patients « refoulaient » : la réalité ne régulait plus rien, la théorie était, quoiqu’il advînt, vraie. Freud , lui même, pourtant, avait abandonné la théorie de la séduction, théorie qui faisait le lien entre un traumatisme et un abus sexuel subi dans l’enfance. Il s’était rendu compte que les patients inventaient de toute pièces des abus qu’il avait lui-même suggérés. Il se retrouvait avec un trop grand nombre de cas d’abus (…)

      Lorsque Freud constata l’échec de la théorie de la séduction, il passa à la théorie de l’OEdipe qui laissait une large place à l’aspect « fantasmatique » des choses. La nouvelle théorie permettait de se passer des abus sexuels réels pour basculer sur le plan du fantasme. Le problème est que cette théorie compliqua considérablement la vie des personnes qui avaient été réellement victimes d’abus pendant leur enfance puisque le soupçon pesait désormais sur eux que ce qu’il rapportaient était « fantasmatique » et n’était donc arrivé que dans leur imagination. C’est la « pulsion de mort » inhérente à la triangulation oedipienne. Ce déni psychanalytique encouragea le mouvement féministe à adopter des thérapies alternatives. Un mouvement des thérapies de la mémoire retrouvée ( recovered memory movement ) se mit même en place, de nombreux livres de témoignages de victimes d’abus sexuels dans l’enfance furent alors publiés. Et c’est alors que commencèrent à déferler les faux souvenirs. Pourtant la théorie du refoulement prêtait à la critique. En effet, les enfants traumatisés par des abus sexuels se souviennent d’ordinaire parfaitement bien des traumatismes qu’ils ont subis. Nul besoin n’était d’aller les débusquer dans les tréfonds de l’esprit de souvenirs enfouis. Car le problème des événement traumatisants ne réside pas dans leur enfouissement ou leur refoulement mais bien, tout au contraire, dans leur incapacité à se faire oublier.
      (…)
      caractère #iatrogène -produit par la thérapie-

      (…)

      En France, c’est essentiellement par le biais de la lutte contre les sectes que la question des faux souvenirs a été abordée. (…) l’#AFSI (association Alerte aux Faux Souvenirs Induits) constata que certaines sectes manipulaient leurs adeptes en leur faisant se souvenir d’abus sexuels qui ne s’étaient jamais produits (…) Mais déjà, le danger guette : l’association a conscience d’être elle-même vulnérable à la récupération par d’authentiques pédophiles qui tenteraient de se faire dédouaner par son biais. (…) Ces fausses accusations font de singulier dégâts sur les victimes : maladies, dépressions, suicides. La mission recommande ainsi un meilleur encadrement des psychothérapies et en appelle à la formation des personnels – policiers, magistrats— susceptible d’être confrontés à ce type de réalité. Tout le monde a peur que l’explosion des signalements de cas de pédophilie, incestueuse ou non, ayant eu lieu dans les années 1980 ne se reproduise en France...

  • « #Covid_19 / Le monde de demain - Se libérer de l’imaginaire capitaliste ? » - Isabelle Stengers, entretien filmé à Bruxelles en juin 2020
    https://www.youtube.com/watch?v=WTHVqvH2Bvg

    #Isabelle_Stengers, philosophe des #sciences, nous explique comment l’imaginaire capitaliste met en danger les sciences, la démocratie et l’environnement.

    " On nous force à penser contre la réalité, ce n’est plus une démocratie (...) On a vu une indifférence à tout ce qui n’était pas maintien de l’ordre public au fond. Et l’ordre public on a su qu’il allait être dévasté si les services, si tout le système sanitaire était débordé. Donc les vulnérables c’était avant tout ceux qui menaçaient de fabriquer ce scandale qui est le système sanitaire, fierté d’un pays développé, qui craque. Le reste ce sont des conséquences. " (...)

    Quand on mobilise « la science » pour se substituer à un processus de pensée collectif, avec les gens, on perd les trois-quart de l’intelligence et on le remplace par une bonne dose de bêtise, de satisfaction et de faire semblant.(...)

    Il y a des semi-vérités qui deviennent des non vérités parce qu’elles sont affirmées comme scientifiques. (...)

    La science était soumise en fait à la non décision politique. C’est un processus profondément vicieux et on peut perdre confiance. Et, ce qu’il y a de grave, c’est qu’on peut perdre confiance en des sciences qui pourraient avoir quelque chose à nous dire, qui pourraient être intéressantes. Mais quand on traite les gens comme des idiots et qu’on leur demande d’avoir confiance dans ce qui n’est pas fiable et bien on se retrouve devant des sceptiques généraux, et ça c’est une catastrophe culturelle (...)

    Les virus sont des machines à inventer, je parle de machines et pas de vivant parce que sont des machines dont la seule raison d’être c’est de rencontrer un hôte qui l’accueille, qui lui donne l’hospitalité. Parfois au détriment de cet hôte, mais c’est pas ça le projet du virus. Le virus ne devient avant que si il rencontre un hôte et donc, il mute à toute vitesse, il innove dans tout les sens pour maximiser ses chances (...) on peut dire que c’est un exilé de la vie qui essaie de trouver une terre d’accueil, et parfois ça se passe bien, beaucoup de choses que nous sommes en tant que mammifères nous le devons à des #virus (...) "

    #philosophie #vidéo #imaginaire_capitaliste #imagination #pandémie #crise_sanitaire #panique #confinement #entraide #solidarité #scepticisme #chômeurs #climat #réchauffement_climatique #droits_sociaux

  • Les « stories » de Twitter risquent-elles de devenir un nouvel outil de cyberharcèlement ?
    https://www.20minutes.fr/high-tech/2911319-20201119-stories-twitter-risquent-elles-devenir-nouvel-outil-cyber

    Voici pour moi un cas d’école :
    – est-ce que les menaces soulevées de cyberharcèlement sont bien réelles ?
    – ou bien s’agit-il d’une nième "panique morale" : à chaque fois qu’une nouvelle techno se met en place, les gens voient le pire en découler.

    Seul le temps nous dira... mais c’est quand même surprenant d’avoir un article sur les menaces avant que ces mêmes menaces aient eu lieu. Mais c’est dans la logique actuelle : les menaces sont partout, les solutions nulle part. Il va falloir sortir de cette spiirale mortifère.

    Une nouvelle fonctionnalité sur Twitter permet aux utilisateurs de publier pour une durée de 24 heures, des photos, des vidéos, des textes ou encore les tweets d’un autre compte.
    Un outil qui, pour certains, pourrait faciliter le cyberharcèlement.
    La disparition des preuves, les problèmes de blocage de compte ou encore les délais trop courts pour signaler les posts sont notamment pointés par les utilisateurs.
    C’est non sans enthousiasme que Twitter a annoncé ce mardi le déploiement progressif d’une toute nouvelle option sur sa plateforme : les « fleets ». Rien de particulièrement innovant puisque cette option ressemble de loin comme de près aux stories Instagram. En cliquant sur le « + » sur la vignette de son compte, un utilisateur peut désormais publier des photos, des vidéos, des textes ou encore les tweets d’un autre compte. Ces posts ne resteront visibles que 24 heures (oui, tout pareil que sur Instagram, on vous dit !).

    Les Fleets de Twitter - capture @Twitter
    Twitter présente cet outil comme un moyen de partager des pensées et des opinions sans engendrer de longs débats et des réactions agressives sur le réseau social. Une réponse positive, au premier abord, « pour permettre à tout le monde, notamment les militantes féministes ou LGBT+, de s’exprimer sans pour autant avoir le risque d’un déferlement des commentaires haineux en chaîne », commente le Centre Hubertine Auclert, qui lutte notamment contre les cyberviolence faites aux femmes. En effet, il n’est pas possible de partager le fleet, ce qui limite sa diffusion virale. Et si l’on peut y répondre par message privé, Twitter propose de masquer les commentaires des fleets.

    Perte des preuves en cas de cyberharcèlement
    La nouvelle fonctionnalité est pourtant loin de faire l’unanimité auprès des internautes. Jugés « inutiles » ou encore « anxiogènes », les fleets ont rapidement essuyé de vives critiques sur la plateforme. Des voix se sont élevées pour alerter sur le fait qu’ils pourraient devenir un outil très pratique pour les cyberharceleurs, les trolls et les comptes malveillants. « Vous avez créé une méthode que les gens peuvent utiliser pour des campagnes de harcèlement ciblé et dans lesquelles les preuves du harcèlement disparaissent », s’indigne une internaute.

    Car une photo ou un message malveillant avec une durée de vie de seulement 24 heures complique la défense des victimes pour diverses raisons. « Une capture d’écran suffit pour porter plainte, mais s’il y a un procès ensuite, il faut un constat d’huissier. Dans un délai aussi court, c’est quasiment impossible », souligne Stéphanie de Vanssay, professeure des écoles et conseillère nationale au syndicat enseignant de l’Unsa sur les questions numériques et éducation. « Cela accroît l’impunité de ceux qui voudraient diffuser un contenu haineux ou comportant des violences sexistes ou sexuelles », ajoute le Centre Hubertine Auclert.

    Signalement encore plus compliqué
    Stéphanie de Vanssay, autrice du livre Manuel d’autodéfense contre le harcèlement en ligne – #DompterLesTrolls, note également que les utilisateurs cités ou retweetés dans les fleets n’en sont pas notifiés. « On peut donc exposer quelqu’un sans qu’il le sache. » Un aspect qui complique sérieusement le processus de signalement. « C’est un point sur lequel nous travaillons », nous assure un porte-parole de Twitter, qui affirme que le réseau est « en permanence à l’écoute des retours » pour améliorer la sécurité de la plateforme.

    Parmi les nombreuses réactions à l’annonce de Twitter, un internaute interpelle le réseau en expliquant qu’avec les fleets, il est actuellement possible de mentionner une personne qui nous a bloqué. Là encore, le réseau social assure travailler en ce moment pour que la fonction « bloquer » s’applique également aux stories.

    La durée de vie des posts est également pointée du doigt, jugée assez longue pour faire du mal, mais trop courte pour réagir. « Par exemple, un fleet avec une vidéo volée et le nom de la jeune fille qui apparaît dessus. 24 heures, c’est suffisant pour que tout le monde voie bien ce contenu, mais pas assez pour le signaler par celle qui est directement concernée et qui l’apprend après coup », analyse le Centre Hubertine Auclert.

    Efficacité suffisante des signalements ?
    Concernant les signalements, le compte « Twitter Support », géré par le réseau social, indique que « n’importe quel fleet peut être signalé, tout comme les tweets ». « Si vous souhaitez nous signaler un fleet, appuyez sur la flèche en haut à droite et sélectionnez l’option "Signaler le fleet" », explique-t-il.

    Reste à voir si la modération de la plateforme sera assez rapide pour agir sur des messages visibles seulement 24 heures. Un engagement pris par Twitter : « Notre équipe Trust & Safety utilise son expertise et connaissance en matière de comportement observé sur la plateforme, ainsi que des études en continu pour adresser une réponse à toute infraction. » Le réseau n’a toutefois pas précisé s’il allait augmenter le nombre de modérateurs en prévision du plus grand nombre de posts à traiter avec les fleets.

    Régulièrement prise à partie sur Twitter, la militante pédagogique Stéphanie de Vanssay souligne que sur les nombreux signalements qu’elle a pu faire sur des tweets classiques ou des comptes, seuls 1 % ont été pris en compte et « jamais pour des cas de harcèlement ».

    « La violence reste la même pour les victimes »
    Malgré tout, l’éphémérité des fleets peut être un atout pour le droit à l’oubli. « Cela évite que des trolls aillent déterrer des vieux tweets, que vous aviez postés à une période de votre vie et que vous n’auriez pas publiés aujourd’hui », souligne Stéphanie de Vanssay, faisant notamment référence à l’affaire Mennel Ibtissem, dont d’anciens tweets avec lesquels elle n’était plus en phase avait été ressortis après sa participation à « The Voice ».

    Enfin, le Centre Hubertine Auclert appelle à ne pas minimiser l’impact d’un harcèlement, d’un message violent ou d’une photo malveillante qui serait visible « seulement » une journée. « Les conséquences d’un tweet au contenu insultant ou haineux sont toutes aussi importantes, même s’il disparaît. La violence reste la même pour les victimes. » Difficile de faire, pour l’heure, des prévisions sur la manière dont sera utilisé l’outil, qui sera accessible à tous d’ici les prochains jours.

    #Fllets #Cyberharcèlement #Modération #Panique_morale

    • De toute façon, cette prétendue « disparition » des fleets après 24h n’est-elle pas un leurre ? Ne disparaissent-ils pas pour tout le monde sauf la plateforme qui pourra toujours les déterrer ? Encore une asymétrie de pouvoir / d’accès au savoir...