J’avais déjà repéré ton commentaire sur un autre seen ( ▻http://seenthis.net/messages/143243#message143266 ) en défense de la méthode syllabique, et ton lien vers le très anti-pédago site de Sauvons Les Lettres.
Je ne sais pas si je suis un “pédagogiste prétentieux” (trop le second et pas assez le premier à mon goût), mais je ne partage pas ton avis.
Un jour, j’aimerais mettre mes idées au clair parce que cette question revient souvent avec les parents d’élèves. Peut-être bientôt.
En attendant, sans développer, quelques réflexions en vrac :
– la querelle syllabique/globale me paraît une querelle largement dépassée, typique des débats stériles à la française entre “Républicains” et “Pédagogues” (Anciens et Modernes ?) qui nous empêchent de relever les vrais défis actuels en matière d’Éducation et d’affronter les vrais empêchements.
– l’apprentissage de la lecture est un processus complexe (≠ compliqué) qui ne peut être réglé par une recette souvent réductrice ou par une autre.
– J’ai une classe de CP dans un “quartier populaire” (genre 50% de chômeurs chez les parents, et 40% des élèves ne parlent pas français chez eux). J’ai une progression phonologique très rigoureuse et un temps quotidien de pratique de la combinatoire (le b-a ba, syllabique). Et je confronte mes élèves, dès le début de l’année, à de vrais textes (lecture d’albums jeunesse) qu’ils ne peuvent lire au début qu’en s’appuyant sur leur bagage de mots (reconnaissance globale), afin, notamment, de les mettre en situation de travailler les processus de mises en lien qui assurent la lecture-compréhension.
– À la fin de l’année, la totalité de mes élèves (hors absentéisme et troubles cognitifs) savent déchiffrer un texte court inconnu, pourtant ils pourront être en difficulté en lecture, mais parce qu’ils ne comprennent pas nécessairement ce qu’ils déchiffrent. Ce défaut de compréhension ne s’explique pas uniquement par un déchiffrage trop faible ou trop lent.
– Les méthodes ascendantes (syllabique) et descendantes (globale) ne sont pas nécessairement antagonistes. Consolider la combinatoire permet de gagner en vitesse de lecture ce qui donnera des lecteurs experts qui bien souvent lisent en global (vous combinez les sons pour lire vous ?). Inversement, reconnaître un mot en global incite à faire des prises d’indices (sur les caractéristiques, les extrémités, le contenu du mot) qui permettront d’installer plus efficacement et pertinemment les techniques combinatoires.
– Travailler le b-a ba seul, c’est lire en aveugle. Car b-a ça fait ba comme dans bar. Mais pas dans bande, là il faut aller au-delà de b-a, voir qu’il y a un n, donc que les lettres-copines an priment et qu’il faut combiner b-an. Mais pas dans banane, où là il faut presque avoir pré-lu le mot pour le déchiffrer. Bref, la combinatoire pour être efficace doit être “pilotée” (par des hypothèses, des aller-retours), et ce pilotage ne peut être appris par la méthode syllabique seule.
– Dans mes classes, les élèves qui sont en échec important le sont pour des raisons autres que celles posées par la question de méthodes de lecture. Souvent, ce sont des élèves qui cumulent des difficultés psychologico-socialo-familialo-cognitives (souvent imbriquées).
– Je vois une corrélation très forte entre la façon dont l’enfant se projette dans (et donc s’approprie) les apprentissages et sa réussite. Un enfant qui n’a pas (par défaut, intuitivement) de projet de lecteur, projet d’élève, voire de projet personnel a un fort risque de décrochage : d’où l’intérêt des démarches actives (vs. transmission) des “pédagogistes prétentieux”. En début d’année, je demande à mes élèves : « à quoi ça sert d’apprendre à lire ? », la corrélation entre l’absence de réponse (même fantaisiste) et les difficultés à venir est saisissante. La réponse à la question n’est pas innée, elle se construit, y compris au cours du CP et après, à condition de ne pas réduire l’apprentissage de la lecture à la combinatoire et de rendre l’élève acteur de ses apprentissages.
Voilà quelques idées en attendant mieux…
EDIT :
quand quelque chose fonctionne : on le garde !
Les méthodes qui ont fait les grandes heures de la IVème, tant regrettées par les conservateurs et/ou les réactionnaires fonctionnaient, mais pour qui et pour quoi ?
Pour qui ? Avant les réformes du début des "années pédagos", le certificat de fin d’étude (CM2) était un objectif en soi et de nombreux élèves quittaient le système scolaire au niveau d’un collège qui n’était pas unique. Et l’illettrisme était important (déjà ?).
Pour quoi ? La méthode syllabique a été créée à un moment où l’objectif était l’alphabétisation, lire c’était se débrouiller avec l’écrit du quotidien, lire à l’école c’était oraliser un texte. Aujourd’hui, les objectifs ont changé, ils sont paradoxalement (paradoxalement, car « le niveau baisse » cf. ▻http://seenthis.net/messages/163095#message163267) plus ambitieux. Et lire, à l’heure de l’économie de la connaissance, ce n’est plus oraliser un texte avec une bonne diction, c’est comprendre, c’est chercher l’information, c’est mettre en lien, c’est articuler une réflexion. Il n’est donc pas illogique que les méthodes d’apprentissage évoluent aussi.
Après, je ne dis pas que tout va bien, bien au contraire, mes seens sont là pour illustrer régulièrement mes inquiétudes, mes insatisfactions et mes critiques.