• L’#état_d'urgence, c’est ça

    C’était il y a longtemps. Vigipirate n’existait pas. Il n’y avait pas de caméras dans les rues, pas de contrôle à l’entrée des lieux public, pas de policiers ou de militaires en armes à tous les carrefours ; et les consignes automatiques dans les gares fonctionnaient à la satisfaction des voyageurs. Les gens avaient l’air tranquilles et en sécurité.

    Puis il y a eu des attentats et l’Etat a inventé Vigipirate. Au début, ça nous a fait bizarre ces messages sonores - dans les halls de gare, dans les aéroports, etc. - nous enjoignant de surveiller nos sacs, nos voisins. Ces messages, ces contrôles systématiques dans les lieux publics… on nous avait dit que c’était provisoire, que ça ne durerait pas. Alors on s’y est habitué, d’autant que, nous disait-t-on «  c’était pour notre bien » . C’était il y a plus de 20 ans et vigipirate est toujours là. Dans une version renforcée.

    Et puis, les caméras se sont multipliées pour surveiller les places publiques, les rues, les voies piétonnes. Au début ça nous a fait bizarre de savoir qu’on était surveillés, écoutés, observés en permanence comme des animaux de laboratoire. Et puis, on s’y est habitué, puisque « c’était pour notre bien » . Et puis, les forces de police, de gendarmes, les militaires d’autres corps, les vigiles… sont devenus de plus en plus présents, et ils ont été de plus en plus armés, et les contrôles sur la voie publique se sont multipliés. Au début ça faisait bizarre et puis...

    Nous avons été bien préparés. Si bien que quand aujourd’hui Monsieur Hollande, déclence l’état d’urgence, cela semble tellement naturel à la plus part des gens. Un soulagement même.

    Pourtant, ces trois mots, à eux seuls, devrait être une cause d’effroi. Les attentats de Charlie, du Bataclan sont effroyables. La mort qui frappe au coin de la rue, sans prévenir, c’est effrayant, c’est évident, mais ça reste dans le domaine du connu. Mais l’état d’urgence,ce choix de restreindre nos libertés fondamentales, d’interdire les manifestations, de multiplier les assignations à résidence,...

    Quel lien entre un piquet de grève sur la voie publique, devant son entreprise, et les attentats ? Aucun, mais les piquets de grève sur la voie publique, devant l’entreprise - le piquet de la clinique des Chaumes par exemple - sont interdits. Quel lien entre une manifestation écologique et les attentats ? Aucun, mais les manifestations sont interdites.

    Cynisme politique  : en même temps qu’il instaure, pour trois mois l’état d’urgence (et cette fois-ci, l’Etat peut se permettre le luxe d’annoncer d’avance que ça peut durer davantage), le Pouvoir nous enjoint de vivre… normalement. Vivre normalement (ou plutôt, consommer normalement), c’est, nous dit-il, la meilleure réponse aux attentats. Pour le Pouvoir, il ne fait donc aucun doute que la vie sous un état d’urgence est compatible avec une vie normale.

    Pas pour nous. Pas pour nous, parce que, la vie normale, c’est justement le contraire. Le contraire de ce qui vient d’arriver, par exemple, à un compagnon. Appelons-le X.

    X, donc, est un militant libertaire. Il a plus particulièrement la fibre écologique et a participé à diverses manifestations contre plusieurs projets destructeurs de l’environnement. Lors d’une d’entre elles, sans doute sous l’effet des gaz lacrymogènes, du vacarme ambiant, de la présence d’un hélicoptère au dessus de sa tête, oui, c’est vrai, il a pété les plombs : il a insulté les policiers, a même jeté quelques cailloux dans leur direction, sans atteindre personne. Interpellé, jugé en flagrant délit, il a fait de la prison. Au sortir de prison, il s’est démené pour retrouver un travail. Il l’a retrouvé. Il va le perdre, parce que, vendredi 28 novembre 2015, après une dure journée (il est dans une entreprise de nettoyage) X. dort chez lui, dans son lit l’esprit en paix. Mais, à 3 heures et demi du matin, on tambourine à sa porte : « Police ! » .

    X. est conduit au commissariat et apprend que le ministre de l’intérieur a décidé qu’il devait être consigné à résidence jusqu’au 12 décembre ! Oui, c’est vrai, le ministre de l’intérieur – qu’il n’a jamais vu, bien sûr – c’est fendu d’un arrêté contre lui.

    Il est vrai que X porte un prénom et un nom « à consonnace maghrébine »,... Voici le texte de la déclaration qu’il a été obligé de signer aux commissariat :

    « Je prends acte que je me trouve dans vos locaux afin que me soit notifiée une assignation à résidence.
    Je prends acte du contenu des différents articles de l’arrêté d’assignation à résidence émis par le ministre de l’intérieur en date du 25 novembre 2015, arrêté me concernant à savoir :
    – Qu’à compter de la présente notification et jusqu’au 12 décembre 2015 inclus je suis astreint à résider sur le territoire de la commune de … (article 1er).
    – Que je dois me présenter trois fois par jour, à 09h, à 14 h et à 19 h au Commissariat de Police de … Cette obligation s’appliquant tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés et chômés (article 2)
    – Que je dois demeurer tous les jours de 20 h à 06 h à mon domicile ou je réside (article 3)
    – Que je ne peux me déplacer en dehors de mon lieu d’assignation à résidence sans avoir obtenu l’autorisation écrite (sauf conduit) établi par le préfet de …
    – Que le Préfet de … est chargé de l’exécution du présent arrêté qui me sera notifié et qu’une copie sera transmise au Procureur de la république (article 5) »

    C’est ça, dans la réalité, l’état d’urgence. C’est une atteinte aux droits fondamentaux. C’est aussi une atteinte à la vie elle-même ! Depuis le 25 novembre, X est privé de tout revenu. Il ne peut plus travailler. Il passe le plus clair de son temps à aller et revenir au commissariat (fort éloigné de son domicile et de ses chantiers). Bien sûr, il sera probablement licencié. Sa vie va rebasculer. Par décision d’un ministre. C’est ça, l’état d’urgence. L’arbitraire le plus absolu. Tellement qu’on finit par se demander que, si le FN arrive au pouvoir, qu’est-ce-qu’il va pouvoir inventer de plus...

    Article d’@anarchosyndicalisme ! n°147 /// Décembre 2015 - Janvier 2016

    Dossier #Paris_13_novembre_2015

  • Islam/Catholicisme : lutte pour les parts de marché

    Mais que pense l’église catholique, en tant que telle, de ce qui se passe ? La voix la plus autorisée est certainement celle du sieur Vingt-Trois, archevêque de Paris, Président de la conférence des évêques de France et cardinal.

    La ligne du cardinal est initialement simple : tenter de mettre « la » religion hors de cause. Pas fou, le cardinal, il comprend bien que, si une religion est perçue comme criminelle, les autres en seront entachées. C’est pourquoi il dénonce « … les ‘instrumentalisations’ bien connues autour de la notion de guerre de religions » et regrette amèrement que « Dans les informations, on montre que la première cause du terrorisme, c’est l’islam. » .

    Solidarité classique imans-évêques quand il faut défendre « la » religion.

    La où la ligne théologique prend une sacrée courbure, c’est quand il faut discuter affaires.

    Ici, pas de doute, il n’y a plus « la » religion mais bien « des » religions et il n’est plus question d’amalgamer les imans et les évêques mais bien de défendre sa… chapelle.

    Ici, le cardinal n’a pas une hostie sur la langue. Le propos est plus que direct, brutal même :

    «  L’islam prendra la place de première religion si les catholiques ne sont pas capables de vivre leur catholicisme. Si nous perdons des parts de marché, c’est que nous ne tenons pas le marché  ».

    Vous avez bien lu : des parts de marché. Pour une fois, nous sommes bien d’accord avec le cardinal : les religions, « la » religion, c’est avant tout une histoire de parts de marché.

    Amen.

    N.B. : Les citations sont extraites du très clérical « Le Figaro » du 5 avril 2015.

    Article d’@anarchosyndicalisme ! n°147 /// Décembre 2015 - Janvier 2016

    Dossier #Paris_13_novembre_2015

  • Question de mots

    Les auteurs et responsables du massacre de masse du 13 Novembre, les dirigeants de Daesh, Bachar El Assad… et quelques autres, sont-ils des fascistes ? Des proches, des amis récusent ce qualificatif. Ainsi peut-on lire dans la revue «  Temps Critiques  » :

    «  Il est aussi erroné de les traiter de fascistes comme le font souvent les libertaires et les gauchistes parce que le #fascisme est un sous-produit du socialisme et du nationalisme alors que ces organisations n’ont justement pas de visées nationales ; elles sont même directement mondiales et s’adressent à une communauté des croyants potentiellement sans limite. » (1)

    On peut effectivement se reporter à l’histoire, aux conditions d’émergence du phénomène pour définir ce qu’est le fascisme et on a tout à fait le droit de s’en tenir là (ce qui, d’ailleurs ne met pas fin aux discussions séman tiques).

    On peut également constater que le mot a évolué et qu’il a pris un sens qui, échappant à sa stricte définition historique, est devenu beaucoup plus général ; et cela depuis longtemps, depuis assez longtemps pour être entré dans les dictionnaires : «  Fascisme : Attitude autoritaire, arbitraire, violente et dictatoriale imposée par quelqu’un à un groupe quelconque, à son entourage. » écrit ainsi le Larousse.

    C’est bien entendu dans ce sens, dans celui de la langue courante de tous les jours, que nous prenons le mot fasciste dans nos textes.

    1.- « Vernissage d’une antiquité : le défaitisme révolutionnaire » , http://mondialisme.org/spip.php?article2383

    Article d’@anarchosyndicalisme ! n°147 /// Décembre 2015 - Janvier 2016

    Dossier #Paris_13_novembre_2015

  • Des liaisons dangereuses

    Il est clair que les événements du 13 Novembre -qu’il ne faut pas séparer des événements antérieurs (Merah, Charlie) - nous renvoient à un constat  : celui d’être en présence d’une tendance de fond particulièrement morbide, néfaste et #anti-lumières ; un véritable courant contre-révolutionnaire qui se dévoile de plus en plus et que l’on peut qualifier de «  fasciste », au sens général de ce terme. Mais, tout ceci n’est pas nouveau en dépit de ce nouvel épisode parisien aussi tragique que spectaculaire.

    En effet, ce courant anti-lumières se traduit, depuis les années 1970’, par un regain des idéologies conservatrices, qu’elles soient religieuses ou laïques (1). Nous avons déjà écrit (2) sur ce courant anti-lumières en le désignant par le terme de «  #postmodernisme  », lequel, dans sa logique, promeut une spécificité culturelle tendant, entre autres aspects fallacieux, à assimiler et à recycler le concept de race.

    Il faut savoir que deux des plus influents auteurs de l’islamisme politique, Sayyid Qutb et Ali Shariati, se sont inspirés avec enthousiasme des écrits d’#Alexis_Carrel. Ce dernier avait développé des théories socio-eugéniques très élaborées allant jusqu’à être couronnées par un prix Nobel (!). Oracle du régime de Vichy, Carrel reste, encore aujourd’hui, un matériel standard de lecture au sein des universités d’été du FN (3)  !

    D’où l’intérêt de le démasquer, de s’y intéresser (à bon escient) et de le faire savoir.

    L’insistance de Carrel sur la minorité créative et salutaire, ainsi que sur la dégénérescence raciale et culturelle, n’est peut-être pas aussi systématique ou sophistiquée qu’elle peut l’être chez d’autres penseurs tels que Nordau, Klages, Nietzche ou Jünger. Mais, cette notion de dégénérescence a des affinités génériques, idéologiques et conceptuelles avec la critique que font les islamistes de la société contemporaine, car elle s’ancre dans une vision vitaliste de la société.

    Si tout comme Carrel - et certains penseurs allemands - Henry Ford et Albert Freeman attribuent cette dégénérescence supposée au prolétariat et à la massification de la société, des penseurs tels que Mawdûdi ou Qutb en blâment la non-islamité (qui selon eux serait synonyme de dégénérescence) et prônent une (ré-)islamisation massive capable de soumettre le prolétariat récalcitrant.

    Toutes ces figures de l’occidentalité sont de première importance dans la pensée politique européenne « moderne ». Peu connues du grand public, ces figures ont été reléguées dans les oubliettes de l’Histoire, après que leurs idées mystificatrices aient, logiquement, été battues en brèche dans le combat idéologique qui les avait opposées à la lucidité du rationalisme. Cela nous oblige à revenir sur un passé qui a refait surface en catimini, profitant de l’amnésie collective qui a opportunément suivi la mise en échec de ces idées absurdes.

    L’adulation postmoderne de la différence n’est pas suffisamment consciente de ses origines (!) idéologiques et conceptuelles.

    Une autre affinité, et non des moindres, est l’antisémitisme. Même si les derniers événements semblent, apparemment, avoir franchis un seuil de plus dans l’arbitraire – en frappant sans cibler les juifs en particulier, mais une population plus large - il ne faut pas oublier que l’antisémitisme fait partie de l’arsenal idéologique de l’Etat islamique.

    L’antisémitisme qui imprègne les quartiers depuis de nombreuses années offre, donc et par ce biais, un terrain propice à recevoir, favorablement, les discours de cette nouvelle entité. Il est, paradoxalement, nourri par deux sources contraires en apparence, mais qui, en définitive, se renforcent.

    L’antisémitisme professé par les imams puise ses racines dans une vieille rivalité religieuse – et politique - entre islam et judaïsme. Cet antisémitisme influence beaucoup le discours politique des jeunes ; qu’ils soient, d’ailleurs, pleinement fanatisés ou non. La banalisation de ce discours est un danger imminent et potentiellement dévastateur.

    Cette variante de l’antisémitisme est renforcée par la propagande pro-révisionniste des très chrétiens Alain Soral et Dieudonné M’bala M’bala qui eux aussi se distinguent par l’orientation de leur discours.

    Il faut être conscients des fondements communs qui relient ces deux variantes à l’antisémitisme nazi – mais la preuve n’est plus à faire. Le nazisme fut, aussi, porté par des chrétiens. Au Moyen-Orient, l’antisémitisme fut et est porté par les fondamentalistes musulmans. Les deux courants ont en commun, et depuis longtemps, le même leitmotiv qui est la volonté de voir disparaître les Juifs de l’aire géographique dans laquelle ils se trouvent ; ou «  mieux  », de la surface du globe.

    Quant aux idées portées par les antisémites locaux, elles sont, pour le moins, fascisantes. L’antisémitisme a toujours été très présent dans l’idéologie et dans les faits de toutes les variantes du fascisme, que cela soit sous Pétain ou sous Mussolini (4).

    Le passage à l’acte, par le meurtre d’enfants – Merah (de façon particulièrement barbare et impitoyable - tirs à bout portant) - et le meurtre de personnes adultes, en raison de leur appartenance à la religion juive, fait écho aux crimes antisémites du passé (guerre de 39-45, tous les pogroms et autres attaques contre les ghettos juifs dans l’Histoire). Dès lors, pour nous, la qualification de fascistes ne fait plus aucun doute.

    Entre les islamistes et les représentants de l’irrationalisme politique européen, il y a, en fin de compte, beaucoup plus que des affinités choisies de façon subliminale.

    C’est, aussi, le cas de la mystique de la mort - et du sacrifice - comme remède au « délabrement » -, et de la glorification du sang, du feu et de l’acier comme forme directe de l’action politique.

    Le culte du martyr et de la guerre inscrivent le sacrifice de soi dans un rite de passage, de socialisation intense, auquel les groupes islamistes soumettent leurs membres.

    Goebbels – de triste mémoire - déclarait déjà que «  La guerre est la forme la plus élémentaire de l’amour de la vie  » . Mussolini, lui, énonçait que « L’homme se réalise dans la guerre  » . Quant aux franquistes, c’était le « Viva la muerte !  » .

    A l’évidence, l’#islamisme ne diffère, fondamentalement, pas des idéologies qu’incarnent ces tristes personnages.

    1.- Même si les idéologies supposées laïques se sont effondrées (que ce soit Bachar, les états communistes d’Europe, etc.) et si aux USA, en Amérique du sud, en Asie, il n’y a pas de courant laïque qui soit significatif.

    2.-Voir l’article dans le n° 145 de @anarchosyndicalisme ! (#Journées_iconoclastes).

    3.- Consulter, par exemple : http://www.liberation.fr/france/2005/07/02/le-petainiste-carrel-idole-des-jeunes-du-fn_525401 Cela démontre et confirme le lien générique entre eux.

    4.- En revanche, dans l’Espagne de Franco, les Juifs qui arrivaient de France pendant la seconde guerre mondiale n’étaient pas réellement persécutés. C’est une des choses qui a permis au dictateur Franco de s’en sortir après la fin de cette guerre. Il ne faut pas y voir de la bonté de sa part, mais plutôt un opportunisme politique devant lui permettre de rester au pouvoir – surtout, quand on connaît la force de la révolution sociale qui eut lieu à partir de 1936, en Espagne.

    Article d’@anarchosyndicalisme ! n°147 /// Décembre 2015 - Janvier 2016

    Dossier #Paris_13_novembre_2015

    • wp : "L’Europe des Lumières a ainsi ses lieux privilégiés : cénacles des grandes villes thermales, cours des capitales européennes, chambres de lectures, théâtres, opéras, cabinets de curiosités, salons littéraires et salons artistiques, voire salons de physique à l’instar de celui animé par l’abbé Nollet, Académies, loges maçonniques, cafés mondains, clubs politiques à l’anglaise.

      Ces lieux où se croisent les anciennes et les nouvelles élites, les artistes sans fortune et leurs mécènes, les agents de l’État et les aventuriers, sont le creuset d’une communauté cosmopolite et hétérogène, faite d’entre soi et d’exclusion. Ils participent à l’affirmation d’une « sphère publique bourgeoise »"

  • #Impérialisme : la pensée zombie

    Depuis les attentats du 13 novembre, on a vu déferler une avalanche de communiqués de la part de l’extrême-gauche (et de certains groupes anarchistes) pour expliquer que les attentats étaient une réponse à « l’impérialisme occidental »(1) et qu’il s’agissait donc, peu ou prou, de « lutte anti-impérialiste ».

    Rappelons brièvement ce qu’est l’impérialisme. Ce concept, s’il n’a pas été inventé par Lénine, a nourri largement sa pensée tant et si bien qu’il en est devenu le principal théoricien. Pour les léninistes – et dans une approche quelque peu simplifiée, car le sujet est plus complexe - l’impérialisme est un mode d’action qui apparait au moment où le capitalisme finit de se concentrer en monopoles, moment auquel les Etats développés se partagent le monde (notamment par l’exploitation des colonies) afin de lutter contre la «  baisse tendancielle du taux de profit  » (2).

    Or, l’histoire a montré, du moins à ce jour, que le capitalisme trouve toujours des ressources et de nouveaux marchés pour lutter efficacement contre cette « baisse tendancielle » et que les entreprises font toujours de substantiels profits, ce qui constitue un premier « accroc » aux théories marxistes-léninistes. Le non-effondrement du capitalisme depuis un siècle (malgré la prédiction marxiste), ainsi que l’innovation technologique en constante accélération, sont des preuves suffisantes de la légitimité très limitée de cette thèse.

    Autre défaut du concept d’impérialisme : il met en jeu des Etats. La conséquence qu’en tirent les léninistes (ainsi que divers libertaires), c’est que certains « petits » Etats seraient à défendre contre les « gros » Etats impérialistes. Le problème, pour des révolutionnaires, c’est que défendre un Etat, « petit » ou « gros », c’est toujours favoriser sa bourgeoisie.

    Les défauts pointés ici étaient déjà valables en 1916, date de l’écriture de «  L’impérialisme, stade suprême du capitalisme  » ; ils le sont encore plus aujourd’hui. Le développement économique, la mondialisation et la multipolarisation mettent à mal les analyses léninistes qui ont tenu, malgré leurs insuffisances, le haut du pavé pendant presque tout le 20ème siècle, même si cela a conduit des «  révolutionnaires  » à défendre parfois des dictatures de la pire espèce. Ce sont ces vieux « réflexes » qui ont empêché l’extrême-gauche et certains libertaires de soutenir les révoltés pendant le printemps arabe en 2011 (puisque, en s’attaquant à leurs maitres, ils s’attaquaient à des Etats «  victimes de l’impérialisme  »).

    En ce qui concerne le « 13 Novembre », nos anti-impérialistes n’ayant trouvé aucun caricaturiste à blâmer ou aucun sioniste à accuser, se sont rabattus sur le noyau dur, « historique » de leurs analyses : la faute des attentats, nous expliquent-ils doctement, revient à l’impérialisme français (et à la guerre qu’il mène au Moyen-Orient). S’il est certain que les frappes effectuées par les pays occidentaux ne sont pas pour rien dans la situation dramatique de la Syrie (notamment en déstabilisant fortement la région et en ouvrant un espace politique aux djihadistes), ces analyses oublient plusieurs facteurs déterminants dans la création et le développement de Daesch  :

    – premièrement le fait que Daesch a, en grande partie, été créé grâce à l’ouverture des prisons par Bachar El Assad en 2011, lequel a ainsi libéré des islamistes purs et durs dans le but de créer un deuxième front contre les populations qui se soulevaient contre lui et de les prendre pour ainsi dire « en sandwich ». Ce noyau de djihadistes a ensuite été rejoint par des membres du parti Baas irakien, par des transfuges du parti Baas syrien, qui misaient sur une défaite d’El Assad, puis par des renforts religieux venus d’un peu partout.

    – Daesch ne se place pas essentiellement dans une perspective de développement du capitalisme, il poursuit un but avant tout religieux  : le développement d’un islam radical. Daesch n’est pas une nation. Il a une prétention universaliste et veut convertir et dominer la planète.

    – Le capitalisme dans la zone contrôlée par Daesch se limite à du commerce. Il n’y a pas d’industries, et pas de projet de développement de celle-ci. Certes, Daesch vit de la rente pétrolière, mais celle-ci n’est pas une fin en soi, plutôt un moyen de s’acheter des armes et de la clientèle (au sens antique du terme).

    Nous sommes donc en face d’un groupe qui a une dimension religieuse et féodale extrêmement marquée, fort éloignée des conditions nécessaires, d’après les léninistes eux-mêmes, à la lutte anti-impérialiste (3)  ! Cette dimension est fondamentale si l’on veut saisir le sens de ce qui s’est passé le 13 Novembre à Paris. De plus, l’analyse que nous pouvions faire des évènements de janvier 2015 voit son sens renforcé : dans tous les cas, ce qui a été attaqué en novembre 2015, ce ne sont pas des cibles stratégiques, ayant un intérêt militaire, mais bien des symboles de ce qui est contraire à l’Islam. Les communiqués de Daesch que nous avons pu lire sont clairs : ont été attaqués « des blasphémateurs » , « des Juifs » (pour les attaques de janvier), et « des idolâtres » (pour les attaques de novembre). Les lieux et publics visés n’avaient que peu d’importance économique, ou stratégique (militairement parlant). Ils avaient par contre une portée symbolique évidente. Il s’est agit de lieux de vie populaires : le stade de France, qui accueillait ce soir là de nombreux jeunes de Seine St-Denis, des bars, des restaurants et une salle de concert. Nous ne sommes pas là dans le cas d’un Etat qui se défend contre une attaque qui menace ses intérêts comme tentent de nous le faire croire les anti-impérialistes. Nous sommes en face d’un phénomène sectaire à vocation hégémonique (type secte Aum) qui dispose d’une puissance militaire.

    1.- A l’inverse, des groupes comme « Non Fides » ou « Temps Critiques » ont produit des textes tout à fait pertinents et intéressants.

    2.- Pour les marxistes, au fur et à mesure que l’histoire avance, la concurrence entre capitalistes tend à diminuer les profits des entreprises.

    3.- Ajoutons, comme cela est mentionné dans d’autres articles de ce dossier que Daesch attaque violemment la Tunisie, que même les « anti-impérialistes » les plus orthodoxes ne peuvent pas qualifier d’Etat impérialiste ; et que la montée des intégrismes religieux qui ont fait le lit de Daesch est largement une conséquence de la politique Truman (impérialisme US).

    Article d’@anarchosyndicalisme ! n°147 /// Décembre 2015 - Janvier 2016

    Dossier #Paris_13_novembre_2015

  • #Islamisme
    Pour une approche rationnelle

    Après les événements du 13 Novembre, il est essentiel de revenir sur le «  phénomène  » islamiste en se débarrassant du côté spectaculaire. Partout et avec insistance, il nous est présenté comme totalement, nouveau, étranger et différent à notre société et à notre histoire. Mais, dès que l’on s’informe un tant soit peu, il s’avère qu’il n’est pas si éloigné de ce qui fait l’histoire commune de l’humanité, malgré un discours dominant particulièrement chauvin qui tend à occulter ce fait.

    L’islamisme met constamment en avant sa (prétendue) singularité (1) et revendique une ascendance authentique par l’usage du spectaculaire et d’une violence féroce, tout en se posant, lui-même, comme le destin postcolonial inévitable des populations, des territoires et même des continents «  islamiques  ».

    Phénomène récent mais posé, tant par ses défenseurs que par ses détracteurs, comme un creuset transhistorique de tous les musulmans, la «  civilisation musulmane  » serait seule dépositaire du «  sens  » et conditionnerait, dès lors et inexorablement, les pensées et les actions de tous les musulmans (et, par une abusive dérive, de tous les «  arabes  »). Devenant soudain des Êtres sur-islamisés, ils sont, alors, censés créer des systèmes «  islamiques  » totalement différents de ceux existants, dans le cadre d’une culture totalisante englobant tous les domaines (économie, politique, législation, sciences, archéologie… et même vestimentaire ou pileux) (2), et dont le caractère, à la fois, orthodoxe et ultra-simpliste l’emporterait sur la complexité encombrante de l’économie, de la société, de l’histoire,… bref de la vie.

    Prétendant ne pouvoir être reconnu qu’en ses propres termes (3), l’islamisme est d’une cohérence interne prodigieuse (4). Partant de là, il se présente comme étant le seul à pouvoir décrire et à pouvoir expliquer de façon adéquate tout ce qui concerne les populations et les pays dits musulmans ainsi que toute leur histoire et tout ce qui les concerne ; et il fait injonction à l’ensemble des musulmans de retourner à ce qui les constituerait essentiellement, à leur supposée nature transhistorique dont l’intégrisme serait l’expression sanglante, mais adéquate.

    Cette vision des choses entre en totale résonance avec le relativisme des anthropologues postmodernes, lesquels ont «  innové  » en déterrant une ethnologie de la classification (sortie tout droit du XIXe siècle) dont l’appareil conceptuel a pourtant été disqualifié par l’avancée des sciences. Ainsi, d’après les postmodernes, la connaissance ne serait pas liée à la cognition, mais à la reconnaissance d’un «  soi collectif  » à travers une iconostasie disqualifiant toute attitude rationnelle au profit d’une auto-référence intrinsèquement affective.

    Cette position idéologique nourrit le discours postcolonialiste dont nous avons eu un pathétique échantillon à Paris-même, peu de jours avant le massacre, le 31 octobre 2015 (5). La défense de la singularité, qui déclare l’irréductibilité de la différence, mène à l’essentialisation de l’identité et à sa réduction en clichés se voulant inattaquables, qu’elle se présente sous un angle xénophobe ou xénophile. Cette vision des choses s’est insinuée dans la société d’aujourd’hui et mine l’opinion publique, sans que celle-ci puisse entendre d’autres sons de cloche.

    L’approche de la culture d’islam ne pourrait donc se faire qu’à travers l’identification ou l’adhésion à cette religion car, bien trop «  spécifique  », elle serait inaccessible à toute approche rationnelle. De façon tout aussi pernicieuse, le postmodernisme affirme, dans un même temps, que les catégories d’origine occidentale sont, elles aussi, intransitives, entièrement réductibles à leurs origines, qu’elles leur sont ontologiquement destinées et, par conséquent, qu’elles sont inapplicables -  en tant que catégories descriptives et explicatives - à la «  communauté musulmane  ».

    Il ne fait pourtant aucun doute qu’on peut (6) aborder le phénomène islamiste tout à fait rationnellement, en reprenant, en particulier, les conditions de son émergence, laquelle est, et bien que cela ne soit pas diffusé, très récente.

    Brève approche historique

    Les phénomènes politiques islamiques sont apparus dans les années 1920-30’ (dans la période-même qui voyait l’émergence en Europe des mouvements fascistes  : Italie, Allemagne, Espagne…) autour, notamment, d’une jeune milice marginale, pieuse et protofasciste. Chemises brunes, chemises grises, vertes ou bleues,… ces jeunes étaient principalement actifs en Egypte et en Syrie et, dans une moindre mesure, dans la zone d’influence de ces pays.

    Dans les années 1950-60’, les mouvements islamistes connaîtront une grande prospérité financière, grâce aux agences pétro-islamiques et aux organismes obscurantistes «  d’éducation  » (7) qu’elles avaient créées (8). Ils étaient portés par un contexte international dominé par la #doctrine_Truman, dont le cheval de bataille était l’endiguement du communisme qui se déployait rapidement aux quatres coins du globe. Dans le monde arabe, la docrine Truman se traduisit par un choc frontal contre les nationalismes arabes socialisants ou pro-soviétiques  ; l’islam devenant, pendant la guerre froide, l’axe, à la fois culturel et idéologique, de la défense du «  monde libre  » contre le communisme dans le monde «  arabe  » (ainsi qu’en Malaisie et en Indonésie). Tout le monde connaît maintenant les effets catastrophiques et sanglants de cette ligne politique.

    Avec des succès inégaux, les mouvements islamiques ont, cependant, mis du temps à occuper le devant de la scène. Il leur a fallu, pour cela, attendre le milieu des années 1970’ et des circonstances bien précises.

    Les nouvelles conditions internationales liées à la dérégulation économique et à la prédominance financière, enrobées dans une théologie du «  marché libre  », s’accompagnaient d’un désengagement de l’Etat qui était, jusqu’alors, revendiqué comme le garant du développement social et culturel (Keynesianisme), ce qui leur a ouvert la voie (9). S’incrustant dans le tissu social à travers, notamment, des services caritatifs, s’appuyant, tour à tour, sur le nationalisme et sur la pratique d’un populisme ultra-conservateur, les mouvements islamistes ont pu se développer puis donner libre cours à leur délire apocalyptique.

    Apparaissant avec le fascisme en Europe et entrant en parfaite résonance avec l’idéologie postmoderne qui mine la pensée rationnelle, les mouvements islamistes ne constituent donc pas un simple épiphénomène mais une tendance lourde, un véritable courant contre-révolutionnaire - structuré et subventionné.

    1.- Pour qui connaît l’histoire des religions (et celle des dictatures), sa singularité est bien légère...

    2 - Il y a eu sous les régimes staliniens (et il y a toujours en Corée du Nord ou en Chine) une «  science socialiste  » , un «  art socialiste  » (par opposition à la science, à l’art «  bourgeois  »). Le même phénomène se produit maintenant avec l’islamisme. Les totalitarismes ont beaucoup de points communs entre eux malgré les différences idéologiques qu’ils affichent !

    3.- D’où le classique «  Vous ne pouvez pas comprendre  » qui met, en général, rapidement fin aux discussions.

    4.- C’est le propre des orthodoxies  : elles constituent des systèmes de pensée clos, tautologiques, qui « doivent » être acceptés comme intangibles.

    5.- La marche dite de la «  dignité  » qui, sous des apparences progressistes, cachait un discours identitaire des plus nauséabonds.

    6.- Et, il est tout à fait recommandé et souhaitable de le faire  !

    7.- Ben Laden et ses hommes des cavernes en sont de purs produits, même si tardivement.

    8.- Aujourd’hui encore, dans la continuité, l’éducation semble être un des axes de pénétration de l’islamisme – bien que se présentant sous des atours rassurants et engageants – comme, par exemple, avec le WISE (World Innovation Summit for Education).

    9.- En Europe, cette «  évolution  » économique (accompagnée du repli de l’Etat sur son rôle policier) a eu, en matière sociale, les conséquences économiques que chacun connaît ainsi que le développement des idéologies d’extrême-droite  : la xénophobie virulente étant à la fois une réponse aussi abjecte que confuse aux effets de la globalisation et un bien mauvais remède à l’anomie et à la frustration. C’est aussi la marque de la détermination du pouvoir cherchant à affaiblir la volonté collective, entraînant une baisse de la capacité à s’auto-organiser en dehors de toute tutelle étatique ou religieuse et de trouver collectivement des réponses.

    Article d’@anarchosyndicalisme ! n°147 /// Décembre 2015 - Janvier 2016

    Dossier #Paris_13_novembre_2015

  • Seule la Raison peut s’opposer à la Folie
    La guerre, dans tous ses états

    Ironie de l’histoire, passée quelque peu inaperçue, ce 11 novembre 2015, les magasins étaient ouverts. A peine clôturé, en 2014, le centenaire de la première guerre mondiale, qu’il n’était plus question de mémoire mais de profits. Aux oubliettes, les réflexions sur l’escalade belliciste à l’origine de cette boucherie, sur les souffrances indicible des soldats, sur la terrible injustice des «  fusillés pour l’exemple  » … En cette date commémorative, il n’y avait vraiment plus rien de nouveau à l’Ouest, sinon cette injonction de travailler tous les jours pour acheter tous les jours.

    Etat de vide : la fabrique des insensés

    Après le massacre de masse du «  13 Novembre  », devant la chute de la consommation, Macron chantre du travail du dimanche, apôtre de la déconstruction du temps commun et de la destruction mémorielle de ce 11-Novembre a évoqué en guise d’explication une «  perte de repères  » . Il aura donc fallu un carnage pour que ce phare du modernisme économique commence à avouer que sa politique cynique, que la perte de sens sur l’autel des marchés, n’est qu’une fabrique à insensés.

    Cette montée de l’insignifiant se retrouve dans l’indigence des discours politiciens que nous avons du subir. Hollande a donné le top départ dès sa première allocution guerrière. Il a tourné en rond autour du thème de la peur  :

    «  Ce que les terroristes veulent, c’est nous faire peur, nous saisir d’effroi. Il y a effectivement de quoi avoir peur, il y a l’effroi,…  ».

    En face l’extrême-gauche a ressorti son bréviaire du XIXe siècle pour dénoncer les interventions impérialistes (comme si la Tunisie, cible majeure des islamistes nourrissait des visés impérialistes envers qui que ce soit) et cela, elle n’est pas à une contradiction près, tout en continuant à demander une intervention occidentale pour soutenir les Kurdes du PKK. Du mauvais Clemenceau contre du mauvais Jaurès ! Pour finir sur ce rapide état des lieux, les observateurs retiendront que le 13 novembre nous sommes entrés en guerre au soir de la… « Journée mondiale de la gentillesse » .

    Tout ceci n’est pas seulement un enchaînement de niaiseries abrutissantes mais signale ce qui domine notre époque : le vide sidéral de la pensée qui rend possible toutes sortes de folies collectives.

    « Etats sans raison » versus « exigence de rationnel »

    Les «  gentils contre les méchants  », le «  Bien contre le Mal  »,… si la pensée religieuse est une pensée magique et simplette, la pensée nationaliste l’est tout autant. Dieu n’existe que pour ceux qui veulent bien y croire et la Nation (ou en d’autres temps la «  Classe ouvrière  » mythifiée) n’est pas un organisme supérieur à l’individu. L’un et l’autre renvoient une image négative de celui qui ne partage pas les mêmes croyances, qui n’a pas le même Dieu ou la même Nation. Le mauvais, c’est toujours l’autre. Si l’on continue sur ce lamentable chemin, il y a de quoi nourrir effectivement de longues, très longues guerres. Car, dans les deux cas, domine cette idée absolument folle que des constructions imaginaires telles que Dieu ou la Nation sont supérieures à l’individu, à sa liberté et à sa vie  ; en fonction de quoi chacun peut facilement trouver de mauvaises raisons de massacrer l’autre.

    Dans notre actualité, pour nous libertaires, inverser cette donne criminelle c’est déjà remettre dans le bon sens la relation entre les abstractions idéologiques et le concret des existences des individus et donc de leur liberté.

    Au quotidien c’est défendre non pas simplement une pensée laïque, dont l’inconvénient est qu’elle peut s’intégrer au nationalisme, mais défendre une pensés rationnelle En fait l’enjeu est bien de sortir d’un manichéisme propre à favoriser la polarisation belliciste pour rentrer dans un débat qui traverse tous les individus : celui de la Raison et du raisonnable.

    Guerre asymétrique / terreur / état d’urgence

    Dans les médias, les experts se sont succédé pour nous expliquer que nous serions en train de vivre une «  guerre asymétrique  » . La guerre asymétrique est une stratégie militaire destinée à prolonger un conflit armé ; elle est menée par le plus faible contre le plus fort. C’est la petite guerre, la guérilla. De très nombreuses guérillas ont été menées sans pratiquer la Terreur, sans pratiquer des massacres de masse. Ce fut le cas en France, entre 1940 et 1944, dans un conflit asymétrique mené par les Maquisards contre les nazis, ce fut aussi le cas en Espagne avec des actions menés par des groupes de résistance anarchiste au franquisme.

    La Terreur est tout autre chose. C’est une stratégie politique.
    Ses manifestations, au contraire de la guérilla, sont toujours le fait du fort contre le faible. Adossée à toutes sortes d’idéologies, dont le point commun est le mépris absolu de la vie humaine, la férocité assumée de la Terreur s’exerce en vue de la conquête du Pouvoir ou du maintien dans celui-ci.

    Historiquement, la relation que la Terreur entretient avec son but, la domination totale de l’homme par l’homme, nous renvoie à ce qui est aussi la substance de l’Etat. C’est pourquoi, si tous les Etats ne pratiquent pas la terreur, tous les Etats en ont la capacité (1).

    Entre la guerre asymétrique et la Terreur, il existe donc une distinction fondamentale qui aurait dû sauter aux yeux de tous.

    Si la confusion est rarement levée, c’est que le concept de terrorisme a été l’objet pour le Pouvoir d’une commode inversion de valeurs. Tout au long du XXe siècle, les Pouvoirs les plus totalitaires n’ont pas hésité à qualifier de «  terroristes  » ceux qui n’étaient que des Résistants. Le procédé rhétorique est bien connu  : «  Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage  » . Un marqueur de dérive totalitaire est d’ailleurs la facilité avec laquelle le Pouvoir se permet de traiter ses opposants comme des terroristes ou de les qualifier de tels. Nous en retrouvons, hélas, les germes dans l’utilisation de l’actuel état d’urgence.

    Déjà, certains responsables politiques et administratifs commencent à utiliser l’état d’urgence contre de simples opposants à tel ou tel de leurs projets. Il s’agit là d’une faute gravissime car en agissant ainsi, ils font le jeu de Daesch et de sa folie criminelle. En traitant, pour satisfaire de petits calculs politiques du moment, toute contestation politique et sociale comme si elle était similaire à la Terreur semée par Daesch, non seulement « ils donnent plus d’eau au poisson », mais ils augmentent fatalement le néant réflexif et la confusion, deux facteurs qui ne peuvent faire qu’accroître le pouvoir d’attraction des fanatiques.

    Pour la liberté malgré l’Etat.
    Capacités d’une société solidaire

    On peut comprendre la subtilité qui consiste à ne pas vouloir nommer Daesch pour ce qu’il est réellement dans sa substance, mais, de fait, là où il a déjà le pouvoir, Daesch pratique la terreur d’Etat, en s’appuyant sur un corpus idéologique religieux totalitaire et en soumettant une population de 10 à 12 millions d’individus. On peut comprendre également les discussions théoriques autour du terme de « fasciste » - on trouvera d’ailleurs, dans les pages qui suivent des remarques sur ce sujet comme sur plusieurs autres évoqués ici. Mais d’un point de vue opérationnel, qu’on nomme cela comme on voudra, les conséquences sont les mêmes que si nous étions face à un Etat fasciste développant une dynamique d’expansion qui nous concerne directement en ceci qu’elle touche nos lieux et modes de vie.

    Nous n’avons rien à attendre de ces politiciens minables qui profitent de l’état d’urgence pour régler des comptes avec des opposants politiques, nous n’avons rien à attendre des intellectuels munichois qui, comme Onfray, parlent déjà de négocier avec Daesch comme d’autres parlaient hier de censurer le blasphème, nous n’avons rien à attendre de ces syndicalistes qui, tel celui-ci, éructent que

    «  Il vaut mieux avoir un événement organisé, encadré, que des choses qui fleurissent spontanément  » (2)

    Ce que ces agissements et ces dires nous apprennent aujourd’hui confirme notre expérience historique  : dans la lutte contre le fascisme, ce n’est surtout pas dans l’Etat et ses satellites mais dans la société que nous devons mettre nos espérances.

    D’ores et déjà il faut saluer la solidarité dont la population a spontanément fait preuve - malgré les discours politiciens l’appelant à la plus grande passivité.

    Oui, saluons les actions spontanées de solidarité qui ont fleuri lors de ces journées tragiques. Saluons toutes ces actions d’individus libres et courageux, de celles et ceux qui ont spontanément ouvert leur porte aux rescapés ensanglantés du 13 Novembre, des personnels de santé qui spontanément (et malgré un mouvement de grève) se sont rendus dans les hôpitaux pour soigner les centaines de blessés, des personnes qui, spontanément et par milliers, ont donné leur sang au matin du 14 novembre.

    C’est autour de ces capacités de réponse individuelle et collective, de solidarité, c’est en encourageant une réflexion rationnelle, capable d’envisager toutes les éventualités, que les anarchosyndicalistes doivent participer à la résistance populaire et autonome pour défendre le plus précieux de tout  : la Liberté.

    1.- L’idée d’inspirer de la crainte comme préalable à la soumission est en effet très ancienne. Elle se trouve déjà dans un propos célèbre de Caligula  : «  Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent  !  » . Machiavel a bien explicité l’emploi de la Terreur comme arme politique

    «  Or, se réemparer du pouvoir voulait dire, selon eux, renouveler cette terreur et cette crainte qu’ils avaient su inspirer à tous les esprits au moment où ils s’en étaient emparé.  » , «  Discours sur la première décade de Tite Live  », livre III, chapitre 1.

    2.- Bernard Debedan, un des secrétaires départementaux FSU, le vendredi 20 novembre sur « Direct matin  ».

    Article d’@anarchosyndicalisme ! n°147 /// Décembre 2015 - Janvier 2016

    Dossier #Paris_13_novembre_2015

  • MASSACRE DU 13 NOVEMBRE

    Le 7 janvier 2015, nous écrivions déjà que la situation en France était d‘une extrême gravité. C’est avec désolation que nous constatons qu’elle a empiré. Ce 13 novembre nous avons eu affaire à une attaque d’envergure de fascistes islamistes frappant lourdement des lieux fréquentés par un public populaire. C’est aux accents de l’inquisition que ces fanatiques, en plein Paris, ont tué et blessé gravement des centaines de personnes (désignées dans le communiqué de Daesch comme « idolâtres », et donc méritant, d’après eux, la mort). Soyons clairs, non seulement la CNT-AIT est aux côtés des victimes et de leurs familles, mais elle prendra toute sa modeste part dans la dure lutte qui s’annonce contre le fascisme, qu’il soit islamiste ou nationaliste.

    Cette lutte nous ne la mènerons certainement pas aux côtés des politiciens mais aux côtés de la population dans laquelle réside les véritables capacités d’émancipation. Nous avons eu encore un exemple de ces capacités ce samedi matin 14 novembre : alors que le pouvoir appelait chacun à se claquemurer prudemment chez lui et que les habituels « experts », toujours aussi ineptes, blablataient en boucle dans les médias, une foule de parisiens avec intelligence et courage s’est spontanément présentée dans les hôpitaux pour donner son sang. Aujourd’hui comme hier c’est dans la vie réelle - avec cette intelligence, avec cette solidarité qui la caractérisent - et à la base que se vaincra le totalitarisme quelque forme qu’il prenne.

    La découverte sur un des lieux du crime d’un passeport syrien constitue une grosse ruse de guerre. Il faut rappeler que les réfugiés syriens sont un obstacle majeur au développement de Daesch. En effet ils sont autant de témoins directs susceptibles de dénoncer, partout et face à qui que ce soit, les pratiques fascistes de Daesch : ils les ont vues, ils les ont subies. Glisser quelques barbouzes parmi les réfugiés, puis mettre clairement en scène cette infiltration en abandonnant sciemment un passeport syrien dans un endroit propice, voilà la ruse de Daesch pour tenter de discréditer ceux qui, par leurs témoignages, par leurs informations, par leur courage sont en mesure de contrecarrer son discours et son expansion. Mettre tous les Syriens dans un même sac, c’est tomber dans le piège que Daesch nous tend. C’est pourquoi il faut soutenir plus que jamais les réfugiés Syriens dans le cadre de la lutte antifasciste contre Assad et Daesch.

    Une autre ruse de guerre a été encore moins comprise. C’est « l’étonnante » conduite des kamikazes du stade de France. Elle a été moins commentée que l’histoire du passeport. Les rares fois où elle l’a été, les commentateurs ont laissé entendre qu’il s’agissait d’imbéciles incapables de se faire sauter là où il fallait, quand il le fallait. C’est sous-estimer gravement un ennemi qui a largement démontré son efficacité dans l’art du crime de masse. D’abord il est certain que les kamikazes ont agi sur ordre, ensuite s’il est toujours possible que l’un se soit « trompé », ce qui serait vraiment étonnant, c’est que les deux aient été dans la même erreur. Ce qui est arrivé n’a en fait rien de fortuit. En se faisant exploser à l’extérieur, au milieu du match (et ni avant ni après) ils ont mis leurs commanditaires en situation de suivre à la télé avec précision par qui, par où et comment on exfiltre le président de ce pays… et de comprendre comment on « gère » une foule immense captive dans un lieu... autant d’informations stratégiques.

    La mauvaise analyse de ces deux faits révèle une grave faiblesse polémologique de la sphère politico-médiatique, celle qui consiste à ne voir que ce que l’ennemi veut qu’on voit. Elle fait, ce faisant, preuve d’une aptitude certaine à être trompé par lui.

    SOLIDARITE CONTRE TOUS LES FACISMES !

    #CNT-AIT #Toulouse.

    https://www.facebook.com/Cnt-ait-toulouse-officiel-186830011469841

    En photo : le rassemblement ce midi dans le quartier des Izards à Toulouse des réfugiés syriens en solidarité avec les victimes de Paris