Manche : Darmanin réclame un nouveau traité migratoire avec Londres, mais pourquoi ces partenariats sont-ils inefficaces ? - InfoMigrants
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Manche : Darmanin réclame un nouveau traité migratoire avec Londres, mais pourquoi ces partenariats sont-ils inefficaces ?
Par Charlotte Boitiaux Publié le : 04/09/2024
Pour la 4e fois depuis 2021, Paris réclame un nouveau traité migratoire pour mettre fin aux traversées clandestines des « small boats ». Gérald Darmanin qui s’est rendu à Boulogne-sur-Mer après le terrible naufrage de mardi, tente depuis son arrivée au gouvernement en 2020 de trouver une solution pour contrer les passeurs et dissuader les migrants de traverser la Manche. En vain.
Il est arrivé en urgence dans la soirée du mardi 3 septembre à Boulogne-sur-Mer. Le ministre français de l’Intérieur démissionnaire Gérald Darmanin est venu apporter son soutien aux services de secours français après le terrible naufrage le matin même qui a fait 12 morts, en majorité des personnes de nationalité érythréenne. Face au lourd bilan des victimes qui tentaient toutes de rejoindre les côtes anglaises, le chef de la place Beauvau a appelé dans la soirée à la signature d’un nouveau traité migratoire avec Londres. Avec, comme toujours la même finalité : mettre fin à ces départs clandestins.
Ce n’est pas la première fois que la France et son voisin britannique signent des partenariats sur l’épineux sujet migratoire. En mars 2023, un accord prévoyant le versement par les Britanniques à la France de plus de 500 millions d’euros sur quatre ans a été conclu entre les deux pays. L’enveloppe doit servir à stopper les départs en mer en militarisant davantage la frontière maritime, dans la région de Calais, notamment.
Des centaines d’agents de police supplémentaires ont ainsi été déployés sur les plages françaises et davantage de drones ont été fournis pour aider les forces terrestres. L’accord prévoit aussi l’installation et l’utilisation d’équipements de surveillance de haute technologie (jumelles, caméras thermiques...).
Mais, en dépit de ces forces en présence sur les plages françaises, la politique franco-britannique de dissuasion fonctionne peu, a reconnu Gérald Darmanin à mots feutrés, hier soir. Non seulement l’année 2024 est la plus meurtrière en ce qui concerne les décès en mer depuis l’apparition des « small boats », mais les départs ne cessent pas : depuis le début de l’année, 21 400 migrants ont atteint les côtes britanniques, selon le Home office. Un chiffre légèrement en hausse comparé à celui de 2023, sur la même période (21 000).
« Ce ne sont pas les dizaines de millions d’euros que nous négocions chaque année avec nos amis britanniques et qui ne payent qu’un tiers de ce que nous dépensons, nous », qui feront cesser les départs clandestins, a notamment lâché Gérald Darmanin. Le ministre démissionnaire admet même que retenir des gens contre leur gré sur le sol français est mission impossible. « Moins de 5% (des personnes qui veulent aller en Grande-Bretagne) demandent l’asile en France », a-t-il ajouté. « Ce que ces personnes veulent, c’est partir (…) Elle vont souvent rejoindre leur famille (…) et rien ne peut résister à ce désir de vivre avec sa famille ».
Le ministre français explique surtout le succès des traversées de la Manche suite à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). « Les (migrants) tentent beaucoup d’aller en Grande-Bretagne parce qu’ils savent qu’ils sont sans doute non-expulsables du territoire britannique », a-t-il encore expliqué, hier, devant les caméras. Et c’est en partie vrai : le « Règlement Dublin » qui régit les expulsions de migrants entre les pays de l’UE ne s’applique pas outre Manche. On ne peut pas, en effet, renvoyer un migrant qui arrive au Royaume-Uni vers la France ou vers l’UE. « Il n’y a pas de politique d’immigration commune avec le reste de l’Union européenne (…) », a répété Gérald Darmanin.
Quelle solution donc pour empêcher les gens d’entreprendre des traversées meurtrières ? Pour le gouvernement français, la réponse est évidente : elle est européenne et pas française. « Nous voulons négocier, et c’est ce qui a été demandé par le président de la République à Boris Johnson il y a plus de deux ans : un traité migratoire européen », a insisté Gérald Darmanin face aux médias présents. « Le nouveau gouvernement britannique (de Keir Starmer, travailliste) a évoqué un ’reset’ avec l’UE (...) », a ajouté le ministre français qui l’attend avec impatience. Car si rien ne change, « nous n’arrêtons pas, malgré tous les efforts que font les policiers et les gendarmes », les traversées, a-t-il conclu.
Pour d’autres, comme l’élu local et maire de Portel Olivier Barbarin - cette petite commune collée à Boulogne où les corps des victimes ont été ramenés après le naufrage - la solution réside dans l’instauration de « voies légales » de passage dans la Manche. Martial Beyaert, le maire de Grande-Synthe, ville de départ de migrants propose lui, de « déplacer les services administratifs du Royaume-Uni » dans le nord de la France « pour qu’ils viennent traiter les demandes d’asile sur le sol français ». Côté ONG, mêmes arguments. On insiste depuis des années sur des voies de passages sûres et la création de lieux d’accueil. « La politique actuelle est complètement inefficace (....) et conduit à des incidents et à des drames (...) à répétition », s’indigne Charlotte Kwantes, de l’association d’aide aux migrants Utopia 56. Même son de cloche, outre-Manche. Le chef de l’association britannique Refugee Council, Enver Solomon, a appelé à « améliorer les accès légaux pour ceux qui cherchent à se mettre en sécurité », arrivant notamment d’Afghanistan, Syrie ou du Soudan.
Le sujet des traversées de migrants dans la Manche a toujours été un thème de discorde au sein même du Royaume-Uni, où les conservateurs restés longtemps au pouvoir avant l’arrivée de Keir Starmer cet été, ont toujours été pressés d’agir davantage.
Ainsi, depuis des années, des partenariats franco-britanniques ont été signés, des rencontres diplomatiques ont été organisées. Mais sans impact sur les traversées. En novembre 2022, un accord avait déjà été signé entre les deux pays. Une enveloppe de 72,2 millions d’euros avait été négocié pour couvrir les années 2022-2023. En contrepartie, Paris s’engageait à augmenter ses forces de sécurité de 100 policiers et gendarmes supplémentaires sur les plages d’où partent les migrants.
En 2021, les ministres britannique et français de l’Intérieur, à l’époque Priti Patel et Gérald Darmanin, s’étaient entretenus pour convenir d’une nouvelle batterie de mesures destinées à lutter contre l’immigration illégale dans la Manche. À cette époque, une enveloppe de 63 millions avait été versée par Londres à Paris. Gérald Darmanin avait également sollicité l’aide de Frontex, l’agence européenne des garde-frontières de l’UE, pour qu’elle intervienne dans la Manche. Cette dernière a cependant déclaré à InfoMigrants à l’été 2021 que sa contribution dans le nord de la France serait limitée au déploiement d’avions de surveillance de septembre à fin octobre 2021.
En novembre 2020, un accord avait permis un doublement des effectifs des patrouilles françaises « appuyées de drones et de radars permettant de repérer ceux qui tentent la traversée ». Sous le mandat de Boris Johnson, des mesures pour le moins farfelues avaient même été évoquées. Ainsi, en août 2020, Londres, visiblement prêt à tout pour stopper les arrivées, avait demandé à un ancien de la Royal Marine, Dan O’Mahoney de réfléchir à une solution qui rendrait la Manche « impraticable ». Ce dernier avait dévoilé au Sunday Telegraph une des méthodes qu’il envisageait de déployer pour mener à bien sa mission : l’utilisation de filets de pêche pour empêcher les canots de migrants de rejoindre les côtes de Douvres, en bloquant les hélices et ainsi immobiliser les embarcations. L’idée n’a pas fait d’émules.
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