En Italie, l’immigration toujours au cœur du conflit entre la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni et les juges
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En Italie, l’immigration toujours au cœur du conflit entre la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni et les juges
Par Allan Kaval (Rome, correspondant)
Publié hier à 16h30, modifié hier à 17h50
La présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, et une partie de la magistrature continuent à s’enfoncer dans un conflit qui a pour principal objet la question migratoire. Les polémiques se sont poursuivies après que les juges, vendredi 31 janvier, ont infligé un troisième revers à la dirigeante d’extrême droite dans la mise en œuvre de son projet albanais. Les centres de détention pour migrants clandestins installés par l’Italie sur le territoire de ce pays des Balkans resteront donc vides. Pour l’instant.
Giorgia Meloni et ses alliés entendent transformer ce nouvel échec en opportunité politique, désignant les juges comme adversaires de l’intérêt national et les accusant de bafouer la légitimité démocratique. Ce discours a pris une dimension nouvelle depuis que son gouvernement est mis en cause dans l’affaire du rapatriement, le 21 janvier, d’un milicien libyen visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI). En arrière-fond se profile une réforme de la justice, accusée de préparer une reprise en main de la magistrature.
Interceptés, transbordés, transportés, débarqués sur le sol albanais, enfermés, libérés, envoyés finalement en Italie : en moins d’une semaine, les 43 personnes concernées par l’opération visant à gérer une partie des procédures de demande d’asile en dehors du territoire italien ont suivi le même parcours que deux groupes de migrants passés, à l’automne 2024, par le centre de détention de Gjadër, en Albanie. De nationalités bangladaise, égyptienne, ivoirienne et gambienne, c’est-à-dire originaires de pays considérés comme sûrs par la loi italienne, ils ont vu leur détention invalidée par la cour d’appel de Rome, vendredi 31 janvier.
Comme en octobre et novembre 2024, les juges ont renvoyé l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) au sujet de la définition de la catégorie des « pays sûrs ». Une des décisions de la CJUE, antérieure, implique qu’un Etat ne puisse être défini comme tel s’il ne l’est pas pour l’ensemble de la population et sur l’ensemble du territoire de celui-ci.
Ce nouveau camouflet intervient alors que Giorgia Meloni est aux prises avec la justice sur un autre front : la Libye, autre pays constituant une pièce stratégique de sa politique migratoire. Depuis son arrivée au pouvoir, en octobre 2022, la présidente du conseil soigne ses relations avec les potentats libyens qui contrôlent les carrefours migratoires de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine.
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Pour avoir organisé, le 21 janvier, le rapatriement du milicien libyen et criminel de guerre présumé Osama Najim, brièvement détenu après son arrestation à Turin, sur mandat de la CPI, la cheffe de l’exécutif est visée par une enquête judiciaire ouverte par le parquet de Rome. Le ministre de l’intérieur italien, Matteo Piantedosi, celui de la justice, Carlo Nordio, et le secrétaire d’Etat à la présidence du conseil, chargé de superviser les services de renseignement, Alfredo Mantovano, sont également concernés.
Les passes d’armes entre le gouvernement Meloni et les magistrats italiens se succèdent alors que l’exécutif entend mener à son terme une réforme de l’institution judiciaire, historiquement divisée en factions politiques. Visant à séparer les carrières entre procureurs et juges, elle est critiquée par l’opposition et certains magistrats, vue comme susceptible d’affecter l’indépendance de ces derniers.
Les différends entre le pouvoir exécutif, en particulier quand il est aux mains de la droite, et le pouvoir judiciaire sont monnaie courante en Italie depuis les années 1990. Toutefois, le conflit actuel intervient alors que la coalition en place est dirigée par Fratelli d’Italia (FDI), le parti de Giorgia Meloni, proche d’autres formations illibérales européennes qui, au pouvoir, se sont illustrées par leur volonté de mettre au pas les systèmes judiciaires. A l’instar du parti Droit et justice, qui a gouverné la Pologne de 2015 à 2023, et du Fidesz du premier ministre hongrois, Viktor Orban, ami politique de longue date de la présidente du conseil italien.
« Il faut que les magistrats se souviennent que les lois sont faites au Parlement. La réforme que nous sommes en train de faire est vouée à retirer leur pouvoir aux courants politiques de la magistrature », explique le président du groupe FDI au Sénat, Lucio Malan. Le député du même parti Galeazzo Bignami, cité samedi par l’agence de presse ANSA, dénonce pour sa part une « attitude de résistance de la part d’une fraction de la magistrature italienne par rapport aux mesures adoptées pour garantir la sécurité et combattre l’immigration irrégulière ».
Dans l’opposition, on dénonce le projet albanais comme un échec ruineux. « Le gouvernement détourne des ressources considérables pour une opération de distraction visant à faire passer au second plan les problèmes du pays. Alors que la santé publique est en crise, on envoie des policiers à l’étranger garder des centres de détention vides », accuse Chiara Braga, présidente du groupe du Parti démocrate (centre gauche) à la Chambre des députés. Le coût total de l’opération est estimé à environ 680 millions d’euros. « Les migrants sont transportés comme des colis entre l’Albanie et l’Italie. Ceux-là mêmes qui ont pu être torturés par des miliciens comme Osama Najim », s’indigne-t-elle.
L’efficacité de ces arguments face au récit que veulent imposer Giorgia Meloni et ses alliés n’a cependant rien d’évident. Le thème lourd et porteur de la « sécurité nationale » qui serait menacée par les juges était ainsi au cœur de la déclaration de Mme Meloni lorsqu’elle a annoncé, mardi 28 janvier, faire l’objet d’une enquête dans l’affaire libyenne. Elle se disait alors « mal aimée par ceux qui ne veulent pas que l’Italie change et devienne meilleure », agitant l’argument des intérêts géopolitiques du pays et de la raison d’Etat pour justifier son action.
Au cours des dernières semaines, marquées par l’accentuation du conflit avec la magistrature, les intentions de vote de FDI n’ont pas fléchi, d’après les données au 31 janvier du média spécialisé dans les sondages politiques Youtrend. Elles ont même progressé pour atteindre 30,1 %, tandis que la coalition au pouvoir dans son ensemble atteignait 49,3 %, le taux le plus élevé depuis le début de la législature, en octobre 2022. « D’un point de vue qualitatif, on constate que le conflit avec la magistrature soude puissamment autour de Giorgia Meloni une majorité dont les composantes peuvent diverger sur les autres sujets », dit le directeur de Youtrend, Lorenzo Pregliasco.
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