• Congo Vision : Interview de 2005 de Ngandu Nkashama
    http://www.congovision.com/interviews/ngandu_pius.html

    Professeur #Ngandu_Nkashama : Il faudrait noter que je suis passé par de nombreuses Institutions d’Europe ou des Amériques, et j’ai enseigné dans différentes Universités de l’Afrique francophone. Après huit années en Algérie (1982-1990), j’ai passé dix années difficiles et exaltantes aussi en France, à Limoges, ensuite à Paris III-Sorbonne Nouvelle où j’ai été titularisé pour la chaire de Littératures francophones. Par rapport à ces institutions d’enseignement, la pratique pédagogique des États-Unis semble totalement décalée des objectifs théoriques qui sont répandus dans le monde francophone. La littérature apparaît plutôt comme un espace de liberté à partir duquel les Peuples tentent de donner un sens concret à leur expérience en tant que communauté. Paradoxalement, les instances de décision aux U.S.A. prennent les productions fictionnelles tellement au sérieux qu’elles leur confèrent un coefficient de crédibilité plus conséquent par rapport aux autres études dites “scientifiques”. Dans ces derniers domaines concernant les économies, les systèmes politiques, les données climatiques, géologiques ou minéralogiques, ils se réfèrent exclusivement à leurs propres compétences. Mais quand il s’agit d’une compréhension probable des références anthropologiques, culturelles ou simplement historiques, ils privilégient les textes des écrivains de ces pays, et ils leur témoignent de la considération. Pensez que les ténors des Écrivains africains ont été engagés dans les Universités américaines les plus valables, et ils bénéficient des postes prestigieux. Et ceci ne se réduit pas aux seuls Africains, car ils proviennent de tous les horizons et de tous les pays, y compris les meilleurs Écrivains de France. Nos pays n’ont pas encore compris cette logique, et le vide intellectuel ainsi produit joue certainement sur l’évolution des régimes qui gouvernent en Afrique. Le monde de ce millénaire appartient aux Nations qui auront réussi à rassembler autour d’elles des Intellectuels de haut niveau dans tous les domaines, et plus particulièrement en sciences humaines. Les technologies les plus performantes peuvent s’acquérir avec des capacités financières colossales. À l’étape actuelle de la science, n’importe quelle Nation motivée peut se doter de l’arme nucléaire ou de tout autre potentiel atomique si elle s’en donne les moyens et la volonté de réussir. Mais aucun Peuple ne peut emprunter un univers culturel même commercialisé par des logiciels s’il refuse de reconnaître son propre imaginaire. L’époque des infantilismes et des amateurismes politiques est révolue, et ceux qui persistent à tolérer des individus peu crédibles au niveau de l’intelligence des actes et des événements contribuent à la destruction des valeurs et donc au désastre permanent de notre pays.

    Dans toute l’histoire de la linguistique, les langues évoluent selon leur propre logique qu’aucune loi ni aucune condescendance des hommes ne peut arrêter. Nul ne peut décréter arbitrairement que telle langue va dominer et telle autre disparaître. Il convient d’observer par ailleurs que les concepts de “langue tribale” sont totalement dépassés, car il n’est pas possible d’imaginer que les sept à huit millions de Bakongo (plus de quinze millions s’il faut compter les régions périphériques) constituent une tribu ou que les dix millions de Baluba restent inféodés à une identité tribale. La question a toujours hanté les imaginations, car le danois parlé par cinq millions de locuteurs est décrit dans les manuels comme une langue, alors que le swahili avec ses trente millions de locuteurs reste classé parmi les dialectes. L’aberration totale !

    (cité dans PIUS NGANDU NKASHAMA, Trajectoires d’un discours de Célestin Monga)

    voir https://seenthis.net/messages/876582
    (l’ocr arrive même si il manque malheureusement les 20 premières pages)