person:abderrazak el albani

  • Il y a 2,1 milliards d’années, la vie bougeait déjà
    Jean-Baptiste Veyrieras, Le Journal du CNRS, le 11 février 2019
    https://lejournal.cnrs.fr/articles/il-y-a-21-milliards-dannees-la-vie-bougeait-deja

    Certes, ces organismes ont bien exploré la vase, aussi bien dans le sens vertical qu’horizontal, naviguant ainsi entre des tapis de bactéries. Mais ne pourraient-ils pas être fait justement d’un agrégat de bactéries, présentes sur Terre depuis plus de 3,5 milliards d’années ? « La forme, le mode de déplacement “horizontal et vertical”, le recoupement de lamines sédimentaires, la dimension de ces traces, tout cela écarte cette hypothèse », gage le chercheur.


    La flèche blanche indique la trajectoire sub-sinueuse qu’auraient pu suivre des organismes macroscopiques, signe de mobilité. Les flèches jaunes indiquent la présence de tapis bactériens. (Barre d’échelle = 1 cm).

    Article original :
    Organism motility in an oxygenated shallow-marine environment 2.1 billion years ago
    Abderrazak El Albani, M. Gabriela Mangano, Luis A. Buatois, Stefan Bengtson, Armelle Riboulleau, Andrey Bekker, Kurt Konhauser, Timothy Lyons, Claire Rollion-Bard, Olabode Bankole, Stellina Gwenaelle Lekele Baghekema, Alain Meunier, Alain Trentesaux, Arnaud Mazurier, Jeremie Aubineau, Claude Laforest, Claude Fontaine, Philippe Recourt, Ernest Chi Fru, Roberto Macchiarelli, Jean-Yves Reynaud, François Gauthier-Lafaye, Donald E. Canfield, PNAS, 11 February 2019
    https://www.pnas.org/content/early/2019/02/05/1815721116

    #archéologie #paléontologie #fossiles #évolution

  • Paléontologie  : une belle découverte sans lendemain

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/04/03/paleontologie-une-belle-decouverte-sans-lendemain_5279838_1650684.html

    Il y a dix ans, le géologue Abderrazak El Albani découvrait au Gabon des fossiles multicellulaires de 2,1 milliards d’années, les plus anciens. Mais, faute de financements, ses recherches furent suspendues.

    Comment perdre quand on peut ­gagner ? Question de sportifs de haut niveau… mais aussi de scientifiques, tant la compétition côtoie la coopération dans les labos. Une équipe peut perdre en s’acharnant sur une mauvaise idée. En se trompant dans ses calculs. En se montrant incapable de piétiner le savoir acquis pour le dépasser. Mais perdre parce qu’elle manque d’argent alors qu’elle a démarré la compétition en tête, par chance mais aussi par capacité à renverser les idées antérieures, c’est rageant.

    Abderrazak El Albani, professeur à l’université de Poitiers, ne cache pas son amertume devant le refus répété – « cinq fois ! », s’exclame-t-il – de l’Agence nationale de la recherche (ANR) de ­financer la poursuite de recherches saluées par de prestigieuses publications ou par leur mise en valeur par le CNRS pour le grand public sur une fresque du métro parisien. Surtout lorsqu’il voit arriver sur le terrain Noah Planavsky, de Yale, et Andrey Bekker, de Riverside (Etats-Unis), Yuichiro Ueno, de Tokyo, le Norvégien Aivo Lepland ou l’Américain Tony Prave, tout contents de l’aubaine, certains de publier dans les meilleures revues sur un sujet aussi excitant.

    Multiplier les preuves pour convaincre

    En 2008 l’équipe d’El Albani tombe sur un sujet de classe mondiale, dans une carrière de grès au Gabon, près de Franceville. Il y déniche, dans des roches de 2,1 milliards d’années, des macro-fossiles d’organismes multicellulaires de plusieurs dizaines de centimètres. Ils obligeront à réécrire tous les manuels sur l’émergence de la vie complexe. Les paléontologues faisaient jusqu’alors remonter les premiers êtres multicellulaires de taille macroscopique à la faune d’Ediacara (620 à 542 millions d’années). Avant, seuls des unicellulaires, présents depuis 3,8 milliards d’années, peuplent la Terre, « même si de rares traces sont interprétées par certains chercheurs comme de minuscules multicellulaires il y a 1,7 milliard d’années », précise le géologue.

    Abderrazak El Albani a découvert ces plaques d’argile portant la trace d’organismes multicellulaires fossiles près de Franceville, au Gabon.
    Le jeune universitaire sait qu’il devra multiplier les preuves pour convaincre des collègues interloqués. A affirmation extraordinaire, preuves extraordinaires, réclame le conservatisme éclairé des scientifiques. Il s’entoure de pointures mondiales en paléontologie (le Suédois Stephan Bengston) et en histoire de la Terre primitive (l’Américain Donald Canfield). Il multiplie les analyses physico-chimiques à l’aide d’équipements sophistiqués. Bingo ! avec la parution saluée en « une » dans la revue Nature. Les fossiles gabonais et leur milieu de vie seront l’objet de nombreuses publications (PNAS, PloS One, Scientific Reports ou des revues plus spécialisées) et d’une dizaine de thèses dirigées par El Albani. Elles ont permis de ­préciser le contexte géochimique, environnemental et la transformation de l’atmosphère – le taux plus élevé d’oxygène durant cet épisode semble la clé de son émergence puis de sa disparition lorsqu’il baisse vers 1,9 milliard d’années.

    Pourtant, Abderrazak El Albani ne parvient pas à réunir les fonds pour continuer son action. Les élus locaux, très fiers de pouvoir dire qu’à Poitiers aussi on fait de la science de classe mondiale, financent des équipements sur les fonds européens régionaux. Le président de l’université a très peur de perdre sa vedette, rapidement promue professeur. L’université Columbia de New York lui propose un contrat de cinq ans et un million de dollars pour la recherche. Une grande université française veut le débaucher. Très attaché à sa région, soucieux de sa famille, El Albani fait le pari de rester à Poitiers. Mais le financement scientifique national va faire défaut. Une seule exception, significative, lorsqu’il peut s’expliquer « les yeux dans les yeux » avec le directeur de l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS, Jean-François Stephan (décédé en 2013), qui mobilise 50 000 euros rapidement afin de sauver le chantier. « Sans cette décision, le projet se serait arrêté dès 2011 », précise El Albani.

    Mais, avec les réformes et les budgets sarkoziens puis hollandais, les directions du CNRS n’ont plus grand-chose à distribuer sur la base d’une stratégie scientifique. Tout doit passer par l’ANR, censée permettre aux jeunes de s’affranchir de la tutelle de leurs aînés et des directions. El Albani va donc déposer, chaque année depuis 2013, des demandes pour un programme de ­recherche séduisant. L’idée ? « Elucider les raisons de l’apparition de ces formes de vie multicellulaires et complexes, leur règne de près de 200 millions d’années, puis leur disparition : les gènes de ces organismes ont-ils disparu ou ont-ils été réactivés lors du redémarrage de la vie multicellulaire, plus d’un milliard d’années après ? »

    Pas un centime d’euro en cinq ans

    Le programme d’El Albani exige de comparer l’écosystème gabonais avec des fossiles du « milliard d’années ennuyeux » lui succédant, s’amuse-t-il, et avec la faune d’Ediacara. Il propose donc des sites et des équipes, en France et à l’étranger, disponibles pour faire ce travail avec lui. Peine perdue. Pas un centime d’euro en cinq ans. Même les missions au Gabon, onze depuis 2010, sont financées de bric et de broc. Des centaines de fossiles rapportés à Poitiers attendent leur étude, faute de crédits. L’ANR, pour justifier ces refus, avance souvent qu’il n’y a pas assez d’argent pour financer toutes les recherches. Un euphémisme, puisque près de 90 % des projets déposés en recherche fondamentale ne sont pas financés ces dernières années. En 2016, cette ­situation avait conduit le jury de la commission maths et informatique à démissionner, jugeant que son travail ressemblait plus à une « loterie » qu’à une évaluation scientifique.

    Les difficultés d’El Albani montrent que l’ANR est moins capable que les directions scientifiques des organismes de recherche de financer des petites équipes de province lorsqu’elles sont à la pointe de la science. Cela conduit à ­arroser « là où c’est déjà mouillé ». Alain Fuchs, dans sa lettre aux personnels, lorsqu’il a quitté la direction du CNRS en octobre 2017 dénonçait « la chute vertigineuse des crédits de l’ANR » mais disait aussi son regret « de ne pas avoir pu suffisamment convaincre la puissance publique de l’importance cruciale de la recherche scientifique pour notre avenir ». Quant au budget 2018, avec zéro création de postes de chercheurs, d’ingénieurs et de techniciens et des crédits en berne, il ne rassure guère El Albani devant ­l’arrivée de concurrents beaucoup mieux dotés que lui. « Les Japonais sont arrivés à quinze au Gabon », s’alarme-t-il.

    • Y-a des fois, on aimerait trouver des mots pour désigner cette politique nihiliste qui fait que la recherche fondamentale est ignorée. Les élites sont des nains intellectuels à qui on a juste appris à partager le gâteau en leur faveur... et c’est vrai, elles sont très douées à ce jeu là. Pour tout le reste, elles sont parfaitement nulles et l’ont déjà démontrées des dizaines de fois dans l’Histoire.

    • C’est très spécifique à la France. Et sinon il en dit quoi Villani sur la question ? Parce que l’IA je veux bien mais il n’y a pas que ça dans la vie. Vu la déliquescence de la recherche fondamentale en France, c’est tout simplement scandaleux de ne pas en parler quand on est chercheur et responsable politique !

    • Je crois que les refus sont tout simplement la conséquence de la réduction des budgets pour la recherche avec la perspective de la privatisation d’une partie du travail scientifique. Chez nous on pratique le culte des « #Drittmittel » depuis des décennies déjà. Avec cette privatisation arrive dans le domaine de la recherche le fléau qui constitue depuis longtemps déjà un grave problème pour les sociétés cotées en bourse : Leurs managers ne raisonnent plus qu’en trimestres parce que c’est le rythme de publication des infos qui intéressent les spéculateurs. C’est parfaitement incompatible avec une recherche qui s’intéresse à des développements qui prennent des milliards d’années.

      Il est dommage que ces fossiles n’aient pas été découvertes en Chine. Là bas on aurait mis à disposition des fonds illimités afin de prouver que la culture chinoises existe depuis de milliards d’années ;-)

      #science #privatisation