person:alice munro

  • Pourquoi est-ce plus difficile de devenir un classique quand on est une femme ?
    https://www.franceculture.fr/litterature/pourquoi-est-ce-plus-difficile-devenir-un-classique-quand-est-une-femm

    Légitimation, émergence, consécration, perpétuation : ce sont les quatre étapes que le sociologue Alain Viala identifiait dans le processus de classicisation d’une œuvre. Les deux dernières étapes sont encore difficiles d’accès aujourd’hui pour les femmes.
    Simone De Beauvoir à son bureau, en 1953
    Simone De Beauvoir à son bureau, en 1953• Crédits : Keystone-France / Gamma-Keystone - Getty

    Proust, Molière, Racine, Flaubert, Lafontaine, Zola, Gide, Cocteau, Rimbaud, Baudelaire, etc. Si les noms d’hommes ne manquent pas au patrimoine littéraire, en revanche, combien de femmes parvenez-vous à dénombrer dans la catégorie des auteures dites “classiques” ? Les écrivaines, pourtant, ne manquent pas en littérature. Si les femmes accèdent à la publication, beaucoup plus rares, en revanche, sont celles qui accèdent à la consécration. Et le cru 2017 des prix littéraires en apporte une nouvelle fois la preuve : Kazuo Ishiguro (Nobel de littérature), Eric Vuillard (Goncourt), Olivier Guez (Renaudot), Philippe Jaenada (Femina), Yannick Haenel (Medicis). Seule femme à l’heure actuelle : Alice Zeniter (Goncourt des lycéens).

    Alain Viala, historien et sociologue de la littérature, dans un article intitulé Qu’est-ce qu’un classique ?, répondait ceci :

    Un classique est un auteur toujours déjà lu, une œuvre précédée d’un commentaire qui en oriente la lecture. Un classique est un écrit dont, qu’on le lise ou non, on a forcément entendu parler.

    Dans ce même article, Viala expliquait que le processus de classicisation des œuvres littéraires comportait quatre étapes majeures :

    La légitimation : c’est l’accès à une première reconnaissance, par les pairs, après la publication.
    L’émergence : c’est le moment où un·e auteur·e se détache par le regard de la presse sur son œuvre
    La consécration : c’est le temps des prix littéraires prestigieux, du Nobel de littérature au Goncourt et au Femina.
    La perpétuation : c’est l’inscription dans le temps et la durée. Dictionnaires, manuels scolaires, œuvres sélectionnées pour les programmes de baccalauréat ou encore d’agrégation : ce sont là autant de manière de patrimonialiser un œuvre et de la faire accéder au rang de classique.

    Du rôle de l’éditeur dès la publication à la perpétuation de l’œuvre, en passant par les instances de prescription qui élargissent la réception des œuvres, la route est longue et souvent sinueuse pour les écrivaines.
    Légitimation et émergence : la reconnaissance par les pairs

    Tout commence par l’accès des auteurs à la publication. L’exemple du roman montre que les hommes et les femmes y parviennent de manière à peu près égale : c’est ce que révélait l’étude Entrer en littérature, conduite en 2012 par les sociologues Bertrand Legendre et Corinne Abensour. Pour Cécile Rabot, maîtresse de Conférences en sociologie à l’Université Ouest Paris-Nanterre, l’enjeu est celui de la visibilité :

    Bertrand Legendre et Corinne Abensour se sont aperçus qu’il y avait à peu près autant d’hommes que de femmes dans ces primo-romanciers. Mais après, c’est l’accès à la visibilité qui reste inégal, ainsi que l’accès à la consécration. C’est d’autant plus marqué que l’on est dans un contexte où l’accès à la visibilité est difficile parce qu’il y a une production éditoriale de plus en plus abondante, qui implique une accélération de la rotation éditoriale en librairie, ce qui veut dire les critiques ont de plus en plus d’ouvrages à regarder.

    Si l’accès à la consécration et à la perpétuation reste complexe pour les femmes, pour la sociologue, tout se joue en amont :

    “L’accès à la consécration, c’est ce sur quoi se focalise le regard, mais ça se joue avant. Ça se joue avant, dans l’étape d’émergence, voire de légitimation.”

    La sociologue invite alors à s’interroger en amont sur les outils permettant de combattre les dominations de genre, en s’interrogeant par exemple, pour les prix littéraires, sur la composition des jurys et encore sur le processus de sélection des œuvres afin d’assurer la représentativité des femmes.
    Consécration : la difficile visibilité des femmes

    Si les femmes en littérature ne manquent pas, plus rares sont celles qui sont consacrées, et accèdent à la reconnaissance des grands prix littéraires. Depuis 1903, le prix Nobel de littérature a été accordé à quatorze femmes, soit 16% des Nobel littéraires. Parmi les lauréates, Selma Lagerlöf (1909), Toni Morrisson (2004), Alice Munroe (2013) et Svetlana Aleksievitch (2015).

    Lorsque le prix Goncourt est créé en 1904, Karl-Joris Huyssmans avait une position radicale et s’exclamait "Pas de jupons chez nous !" Ce refus précipita la création du Prix Femina en 1904. En 1910, Judith Gautier, fille de Théophile Gautier, est la première femme à entrer à l’académie Goncourt... mais plutôt au titre d’un hommage à son père ! Il faudra ensuite attendre 1944 pour qu’une femme soit primée : Elsa Triolet, pour son recueil de nouvelles Le premier accroc coûte 200 francs. Depuis 1903, onze femmes ont reçu le prix Goncourt, soit environ 10% des lauréats.

    En 2016, les décodeurs du Monde s’étaient intéressés, en statistiques, à la faible consécration des femmes, et aux jurys encore très masculins. Parmi les prix qui récompensent le plus de femmes, le prix Femina (37%) puis le Goncourt des lycéens (35%).

    En 1980, Marguerite Yourcenar devient la première femme à entrer à l’Académie Française. Elles sont à ce jour huit à avoir pris place dans l’hémicycle du Quai de Conti. Parmi elles : Jacqueline de Romilly (1988) ou encore Simone Veil (2008).
    Patrimonialisation : où sont les femmes ?

    Plus le spectre s’élargit, plus les femmes disparaissent. Dans cette dernière étape de patrimonialisation relative à l’inscription dans la durée et s’adressant au grand public, la question de la visibilité se pose de manière accrue. Prenons l’exemple de la prestigieuse collection de la Pléiade, référence en matière de classiques. Le 28 avril 2014, voici ce que la collection publiait sur son site au sujet de la parité dans le catalogue :

    En ce printemps 2014, les femmes sont à l’honneur à la « Pléiade », avec la parution des deux nouveaux tomes des Œuvres complètes de Marguerite Duras et la « nouvelle entrée » de Mme de Lafayette dans la collection. Nous sommes loin de la parité, il est vrai ; mais force est de constater que l’histoire littéraire elle-même s’écrit au masculin jusqu’au milieu du XXe siècle ; et il n’est pas à la portée de la collection, si bienveillante soit-elle, de la corriger.

    Du côté des programmes scolaires également, la marche est encore longue. En 2016, un collectif d’enseignant·e·s s’indignaient, par l’intermédiaire d’une pétition, qu’aucune œuvre écrite par une femme, n’ait encore été inscrite au programme de l’épreuve de littérature pour le baccalauréat littéraire. Il aura fallu donc fallu attendre la rentrée 2017-2018 pour que les bacheliers planchent sur la nouvelle de Madame de Lafayette, La princesse de Montpensier. Mais le constat vaut aussi du côté de l’agrégation de lettres : une pétition lancée en avril 2017 a ainsi réclamé que davantage d’œuvres écrites par des femmes soient intégrées aux programmes pour des agrégatifs.

  • Ringards sur le monde, par Marie Darrieussecq - Libération
    http://www.liberation.fr/chroniques/2015/10/09/ringards-sur-le-monde_1400736

    Mon fils est en troisième et il étudie, en français, la nouvelle : c’est au programme de littérature, et forcément, ça m’intéresse. Douze Nouvelles contemporaines ; regards sur le monde, c’est le titre du livre conseillé, que vont lire quantité d’élèves cette année. Un tableau de Martial Raysse fait la couverture, une jolie femme avec un cœur sur la joue. Au dos, la liste des douze auteurs : dix Français, un Italien, un Américain ; je ne les connais pas tous, mais ce qui me saute aux yeux, c’est que ce sont tous des hommes. J’ai un petit espoir sur un ou une Claude ; ah non, c’est un Claude. « Regards sur le monde », au pluriel peut-être, mais tous masculins. L’ambitieux sous-titre du recueil est : « Portrait des hommes et des femmes d’aujourd’hui, de la naissance à la mort » ; les hommes sont donc vus ici par des hommes, et les femmes aussi. Dans le dossier pédagogique, un chapitre est intitulé : « Un portrait critique de l’homme d’aujourd’hui » ; j’y lis que « les personnages féminins ne sont pas davantage épargnés par la critique que les hommes » ; la femme y est traitée en dix lignes et quatre personnages : deux tueuses, une quinquagénaire « vénale et hypocrite » et une jeune coquette « qui semble réduire la femme à un être sans profondeur intellectuelle ». Il est vrai que ce recueil ne laisse aucune chance à « la » femme de s’exprimer avec ses mots et son regard. Peut-être aurait-il fallu « des » femmes ? Mon fils, amusé et déjà féministe - c’est-à-dire raisonnablement sensible à l’injustice -, me montre le dossier pédagogique final. Dans le chapitre « Regards sur le monde en poésie et en chansons » sont proposés cinq autres auteurs… tous des hommes. Dans le chapitre « Visions du monde de demain », ils sont quatre, attention… tous des hommes. Le fou rire nous gagne, nous allons au chapitre « Fenêtres sur » : quatorze noms… suspense… deux femmes ! Bravo, Andrée Chedid et Fred Vargas ! Mais rien d’Alice Munro, qui semblait tout indiquée puisqu’elle pratique exclusivement la nouvelle, prix Nobel en 2013, deux ans avant la composition de ce recueil « pédagogique ».

    Comment éduquons-nous nos enfants ? Christine Pau, professeure d’histoire-géo à Laval, commentait récemment ici les modifications du nouveau programme d’histoire : « Le chapitre "Les femmes au cœur des sociétés qui changent", que j’avais repéré dans la première version, devient "Femmes et hommes dans les sociétés des années 1950" ». Il est louable que le mot « femmes » vienne, pour une fois, en premier ; mais probable que le cours novateur sur les femmes d’action se transforme en panorama des fifties.

    Une jeune amie australienne me montre avec étonnement la carte d’étudiant qu’elle vient d’obtenir à la Sorbonne : « Est-ce que le "e" du féminin est toujours mis entre parenthèses ? » Sous sa photo, les mentions « étudiant(e) » et « né(e) » l’ont choquée. Mais ma propre carte d’étudiant, dans les années 90, était au masculin d’évidence, au masculin universel du « neutre ». J’étais donc « étudiant » et « né » ; à l’époque, ça ne m’avait même pas surpris(e).

    Ici-même, dans Libération, je n’ai jamais pu obtenir le moindre « e », parenthèse ou pas, à « auteur » écrit sous ma pomme (ne parlons d’« autrice », qui serait pourtant la forme correcte en français). Toute la vie d’une femme en France est à l’avenant ; ma carte d’« assuré social » est à mon nom d’épouse ; je paie mes impôts à mon nom à moi depuis peu de temps et après avoir beaucoup insisté (c’est-à-dire à mon nom de jeune fille, qui est de facto le nom de mon père). Il se trouve que j’en paie plutôt plus que mon mari ; ça aussi, ça amuse mes enfants. Et mon mari aussi, ça l’amuse, que la plupart de nos biens soient à mon nom mais que, pour toutes les administrations, le « chef de famille », ce soit lui. Il parvient à me faire rire quand tous mes formulaires de réservation en ligne se bloquent si je refuse de renseigner la case « madame » ou « mademoiselle », alors que lui, on ne lui demande rien de son état conjugal, de sa virginité de damoiseau ou de sa disponibilité sexuelle quand il doit remplir un bordereau quelconque. La case « civilité » est obligatoire, madame ou mademoiselle : cochez ! Oui, nous nous mettons en colère et nous rions aussi, plutôt que de nous taper la tête contre les murs. Parce que nous sommes féministes, lui plus encore que moi, et que la lourdeur du monde en est moins accablante. Féministe, la vie est plus gaie. D’ailleurs, on ne dit plus « chef de famille ». On dit « personne de référence ». Un changement purement cosmétique. Allez voir les définitions de l’Insee : dans les couples homosexuels, la personne de référence est la personne la plus âgée ; et dans les couples hétérosexuels, c’est l’homme. Un regard sur le monde aussi simple que ça.

    #féminisme #manuels_scolaires #historicisation #femmes #litterature

  • Du côté de Castle Rock - Alice Munro
    http://www.telerama.fr/livres/rencontres-fortuites-du-cote-de-castle-rock,47850.php

    bel exercice généalogique et autobiographique dans lequel le réel et la fable s’emmêlent avec une rare connivence, jusqu’à fusionner. Une douzaine de chapitres permettent à Alice Munro de décliner, dans un premier temps, avec une précision rêveuse, l’album souvenir souvent âpre des générations qui l’ont précédée - depuis 1818 et l’exil de ses ancêtres écossais vers l’Amérique -, préparant ainsi le récit parfaitement exempt de nostalgie de sa propre jeunesse, étouffante, dans l’Ontario rural de l’immédiat après-guerre. A cet autoportrait de l’écrivaine en jeune fille passionnée autant qu’empêchée, entravée, l’ancrage généalogique, mais aussi géographique, donne une superbe profondeur méditative - plus qu’une gravité, une dimension métaphysique, aussi discrète qu’évidente et tangible, qui est la marque de tout l’œuvre d’Alice Munro.

    #livre #écosse #roman et aussi #nobel

  • J’irais bien refaire un tour du côté de Castle Rock : à propos du roman d’#Alice_Munro
    http://www.larevuedesressources.org/j-irais-bien-refaire-un-tour-du-cote-de-castle-rock-a-propos-d

    Alice Munro, la grande nouvelliste canadienne, vient d’obtenir le Prix Nobel de Littérature. Il va sans dire que nous nous réjouissons de cette distinction et, même si l’Académie suédoise vient de faire d’elle « la souveraine de l’art de la nouvelle contemporaine », nous avons choisi de vous proposer ici une recension que nous avions publiée en 2009 à propos de la sortie de son merveilleux roman, J’irais bien refaire un tour du côté de Castle Rock, car Alice Munro, qui affirme malicieusement n’avoir (...)

    #Recensions #Ecosse #Autobiographie #Généalogie #Amérique