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  • 1947, INSURRECTION MANQUÉE ? par Anatole Istria
    http://www.cequilfautdetruire.org/spip.php?article1637&var
    Publié dans CQFD n°51, décembre 2007.

    Au sortir de la guerre, le mouvement ouvrier français participe à la reconstruction du pays dans ce que les syndicats appelle la « bataille pour la production ». La CGT est le syndicat majoritaire, fort de 4 millions de membres. Staline, le pépère au peupeuple, ordonne au PCF de lever le pied : l’heure n’est pas à la révolution. Pourtant, en Juin 1947, une première vague de grèves éclate du côté des cheminots, bientôt suivis par les gaziers, puis par les employés de banque et les mineurs, en opposition au plan Marshall. Durant l’été, s’ouvrent d’âpres négociations pour la hausse des salaires. Dans ce contexte pas si pacifié va se déclencher un puissant mouvement social à l’automne/hiver 1947, que le président Vincent Auriol qualifiera « d’insurrection froide ».
    C’est à Marseille que s’amorce un mouvement de grèves initié par la base qui va secouer le consensus de l’après-guerre. Avant et après la Libération, la citée phocéenne a particulièrement souffert des pénuries,mais les prolos tiennent le haut du pavé : quinze entreprises y ont été réquisitionnées où l’on tente d’appliquer la « gestion ouvrière ». Dans les quartiers Nord, des « équipes de choc » d’ouvriers bénévoles prennent en main les travaux de voirie. Le 10 novembre 1947, une délégation contre la hausse du prix du tramway se rend à la mairie. Quatre jeunes métallos, dont un ancien déporté, Joseph Dani, sont arrêtés suite à leur refus de payer le ticket. Le 12 novembre au matin, 5000 manifestants se rendent devant le Palais de justice où doivent être jugés les fraudeurs. À midi, la grève s’étend. Les dockers et les marins se joignent au rassemblement et forcent les portes du tribunal. À 14 heures, le drapeau rouge est brandi aux fenêtres : les juges préfèrent prononcer la relaxe. Pendant ce temps, à la mairie, la séance du conseil municipal est houleuse. Un conseiller gaulliste traite une conseillère coco de « fille publique » : la « fille » le gifle en retour. Le maire RPF Carlini fait appel à des nervis qui bastonnent les conseillers communistes. « Tous à la mairie ! » La foule des manifestants envahit l’Hôtel de ville. Les ouvriers font la distribution de torgnoles, le maire reçoit. Pour calmer la plèbe, l’ancien maire communiste, Jean Cristofol, annonce faussement la démission de Carlini au balcon. « À l’Opéra, à l’Opéra », quelques centaines de jeunes se lancent à l’assaut du quartier de la pègre, alliée objective de la corruption municipale. Vincent Voulant, jeune ouvrier des Aciéries du Nord, tombe sous les balles provenant d’un claque appartenant au clan Guérini. Une polémique s’ensuit dans la presse. On hurle à la menace du « complot communiste ». Les socialistes, Gastounet Deferre en tête, réclament « l’épuration de Marseille de tous les gangsters qui l’empoisonnent et la déshonorent ». Il s’agit ici des manifestants, pas de ses amis les Guérini. Les socialos dénoncent les « éléments troubles, dont de nombreux étrangers (sic), qui se sont livrés au pillage organisé de la mairie » (Le Provençal, 14/11/1947). Le préfet demande l’épuration des compagnies de CRS du Sud-est, accusées de « grande mollesse » et soupçonnées d’infiltration communiste (de nombreux CRS sont issus des milices patriotiques de la Libération).