person:andre gorz

  • Leur écologie et la nôtre, par André Gorz (Le Monde diplomatique, avril 2010)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2010/04/GORZ/19027

    Evoquer l’écologie, c’est comme parler du suffrage universel et du repos du dimanche : dans un premier temps, tous les bourgeois et tous les partisans de l’ordre vous disent que vous voulez leur ruine, le triomphe de l’anarchie et de l’obscurantisme. Puis, dans un deuxième temps, quand la force des choses et la pression populaire deviennent irrésistibles, on vous accorde ce qu’on vous refusait hier et, fondamentalement, rien ne change.

  • Pour le philosophe Serge Audier, la gauche n’est pas très écolo - Idées - Télérama.fr
    https://www.telerama.fr/idees/pour-le-philosophe-serge-audier,-la-gauche-nest-pas-tres-ecolo,n6141758.php

    Dans “L’âge productiviste”, le philosophe Serge Audier montre que la gauche, pourtant porteuse d’un projet alternatif au capitalisme, ne s’est pas souciée d’écologie. Parce qu’elle est depuis toujours fascinée par le productivisme.

    L’écologie, ses occasions perdues, ses virages manqués… En dépit de quelques éclairs de lucidité de penseurs politiques pour la plupart oubliés, le culte de la production et de la croissance industrielle a toujours pris le dessus sur le souci écologique, y compris dans le camp progressiste. La gauche, notamment, en intériorisant l’apologie de l’industrialisme capitaliste, a montré son incapacité à inventer un imaginaire politique propre, opposé à ce productivisme. Dans L’Age productiviste, une nouvelle somme historique érudite qui prolonge La Société écologique et ses ennemis, le philosophe Serge Audier explore de fond en comble les logiciels anti-écologiques de la gauche et de la droite modernes, du début du xixe siècle à nos jours. Et dessine la généalogie d’une impuissance générale aujourd’hui dénoncée, mais favorisée par la résistance tenace d’un productivisme atavique.

    En tant qu’historien des idées politiques, quelle approche spécifique défendez-vous sur le péril écologique ?
    On parle généralement du péril écologique d’un point de vue scientifique, climatologique ou éthique ; on envisage des pratiques alternatives. La tendance dominante me semble manquer d’un questionnement politique et idéologique. J’ai voulu le réhabiliter pour comprendre les sources, toujours actives, de la crise écologique — à droite, bien sûr, mais aussi à gauche. Mon précédent livre, La Société écologique et ses ennemis, montrait que, dès le début du xixe siècle, bien des penseurs avaient vu la gravité des problèmes écologiques. Cette approche articulait déjà une critique à la fois sociale, écologique et même esthétique. Mais une hégémonie industrialiste et productiviste s’est imposée jusque dans le camp progressiste. Elle a pris le dessus sur le souci écologique. C’est au fond l’histoire d’une défaite politique et idéologique que je raconte : des voies alternatives ont existé, mais elles ont été piétinées et oubliées par le récit dominant.

    La critique écologiste est longtemps restée indexée à une critique radicale de la modernité. Etait-ce le cas chez les précurseurs de l’écologie politique ?
    La critique de l’industrialisme va effectivement souvent de pair avec un procès généralisé de la modernité, y compris du rationalisme et des droits de l’Homme. Mais toutes les figures conscientes de la crise écologique n’appartenaient pas à une nébuleuse anti-moderne, anti-Lumières ou anti-libérale. On trouve ainsi une grande sensibilité à la question chez le philosophe utilitariste et libéral John Stuart Mill, qui anticipe la problématique de la décroissance. La critique anti-industrielle a certes été portée par des courants conservateurs, mais aussi par des courants rationalistes héritiers des Lumières. Pensons à Franz Schrader, géographe qui opposait aux folies destructrices de l’âge industriel la préservation rationnelle des forêts vierges, ou encore à Edmond Perrier, pilier du Muséum d’histoire naturelle, qui prévoyait l’épuisement des ressources, lui aussi dès le début du xxe siècle. Les anarchistes, comme Elisée Reclus, développèrent également une critique écologique de l’industrialisme au nom de la liberté, mais aussi de la rationalité scientifique.

    Comment comprendre l’incapacité de la gauche à prendre au sérieux le péril écologique, alors même qu’elle prétend favoriser le progrès ?
    Etant porteuse d’une critique du capitalisme et d’un projet alternatif, la gauche aurait dû en effet prendre davantage en charge le péril écologique. Or elle l’a fait mal, peu ou pas du tout. Le culte des forces productives fut un facteur décisif. Si le communisme s’est montré si attrayant, c’est aussi parce qu’une large partie de la gauche avait intériorisé cet impératif de développement scientifique et industriel. Ce qui confirme d’ailleurs que le productivisme n’est pas intrinsèquement lié au « libéralisme ».

    Pourquoi l’écologie politique est-elle toujours restée minoritaire dans le logiciel de la gauche socialiste ?
    Le pôle écologique est presque partout resté dominé, même après la prise de conscience des années 1970. On ne peut l’expliquer seulement par certains travers du mouvement écologique. Il y a certes une tendance écologique dans la « deuxième gauche » des années 1970, mais dès que celle-ci se « normalise », au début des années 1980, cette orientation s’étiole. Même après l’effondrement du communisme, si fortement anti-écologique, persiste l’hégémonie des figures diverses du productivisme, depuis le productivisme souverainiste jusqu’à celui du centre-gauche « social-libéral » qui, épousant les mutations du capitalisme et de la mondialisation, a encore pour horizon la relance de la croissance. Tout cela me semble remonter à une fascination compréhensible pour la société industrielle, facteur de progrès, d’abondance et d’emploi. On peut la repérer même dans le socialisme originaire, divisé par des tendances contradictoires. Les milieux fouriéristes et anarchistes avaient certes esquissé une sorte de ­socialisme jardinier qui entendait se ­réconcilier avec la nature. Mais, à côté de ce socialisme naturaliste, s’imposait un autre pré-socialisme, venu du comte de Saint-Simon, fasciné par l’industrie, les ingénieurs et la science, qui a inventé le néologisme « industrialisme ». Le saint-simonisme a exercé une influence colossale dans l’histoire de la gauche, en posant que l’avenir du monde appartient aux industriels. On trouve là également une des sources aussi bien du marxisme dogmatique que du discours technocratique. L’imaginaire dominant de gauche a été « phagocité » par cette vision saint-simonienne, elle-même dominée par une apologie diffuse de l’industrialisme capitaliste. L’histoire de la gauche, même anticapitaliste — et même marxiste ! — a été marquée par une intériorisation de la nécessité historique du capitalisme industriel, et de l’apport grandiose de ce dernier, tout en le condamnant plus ou moins. A cet égard, cette histoire est aussi celle d’une impuissance à développer un imaginaire propre.

    Quid de la tradition libérale et de l’histoire de la droite sur cette question ?
    Le libéralisme en soi n’est pas de droite ou de gauche. Et, à partir du XIXe siècle, il ne célèbre pas toujours l’industrialisme — Tocqueville s’en méfiait. Reste que la tendance à cette célébration est majoritaire à droite depuis Benjamin Constant, qui construit un discours apologétique du progrès industriel, foyer de liberté et de prospérité. Et puis se constitue l’école d’économie politique, autour de figures comme Vilfredo Pareto, qui détestait les critiques écologiques et esthétiques du capitalisme. On retrouve cette tendance dans le néo-libéralisme contemporain.

    Des « brèches » écologiques ont pourtant aussi existé à droite…
    Une certaine critique, de droite et antilibérale, du capitalisme industriel, a pu revêtir une portée écologique jusqu’à nos jours. Cette tendance « verte » est présente dans la mouvance conservatrice réactionnaire, dans la « Révolution conservatrice » sous l’Allemagne de Weimar, voire dans le fascisme et le nazisme. Avant d’être avancée par le pape François, la formule de « l’écologie intégrale », qui relie la question écologique et la question sociale, fut lancée par Alain de Benoist, le père de la « Nouvelle Droite ». Le pôle conservateur a également développé dès les années 1930 une dénonciation du productivisme, du taylorisme et du fordisme, comblant le vide de la gauche. Le fait même que cette critique passe alors à droite contribue d’ailleurs à la décrédibiliser auprès des progressistes. Même le néolibéralisme fut clivé à l’origine, dans les années 1930 : une sensibilité à la destruction industrielle de la nature y existe, mais ce pôle, minoritaire, sera, toujours plus, dominé par un pôle anti-écologique et climato-sceptique.

    Pourquoi la plupart des grands intellectuels du xxe siècle en France ont-ils négligé la question écologique ?
    L’existentialisme et le structuralisme y furent indifférents. Sartre et Beauvoir sont des philosophes de la liberté du sujet. Ils refusent toute idée d’« essence » humaine et la nature n’est pas un principe explicatif ni un objet autonome dans leur pensée de la liberté. La seconde dira même que la nature est « de droite ». Si la vague structuraliste, et « post-structuraliste », déboulonna ensuite cette approche « humaniste », elle n’en resta pas moins largement aveugle, elle aussi, à la question de la nature. Michel Foucault n’y prêta aucune attention sérieuse, tant il se méfiait des discours « naturalisant » les institutions et les individus. Plus tard, son adversaire de toujours, Marcel Gauchet, couvrira de sarcasmes les écologistes. Il y eut bien sûr des exceptions, en particulier Claude Lévi-Strauss. Mais ce sont surtout des voix ultra minoritaires qui transmirent la flamme écologique. Ainsi de Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, amoureux de la nature et critiques de la « méga-­machine » technologique. Après une longue traversée du désert, ils ont influencé l’écologie politique naissante. André Gorz ou Serge Moscovici furent d’autres exceptions, soucieux de la manière dont le capitalisme appuyé par l’Etat privait les individus du contrôle de leur propre vie et de leur milieu vital.

    Peut-on enfin envisager la possibilité d’une sortie de cet âge productiviste ?
    Le capitalisme a muté. Mais la droite, comme l’extrême droite, entretient le credo de la croissance à tout prix et le déni de la crise écologique. Et, à gauche, on est dans un entre-deux indécis. Le populisme de gauche, incarné par Jean-Luc Mélenchon, se réclame d’un « éco-socialisme », mais l’ambiguïté demeure, car en privilégiant le thème du clivage entre le peuple et les élites, il tend à gommer l’urgence écologique. Une autre gauche, portée notamment par Benoît Hamon, a compris que le ­logiciel productiviste était une impasse ; elle cherche du côté de l’allocation universelle ou d’un modèle éco­logiquement soutenable, mais peine à construire un discours cohérent et à trouver une base sociale.

    Le modèle « éco-républicaniste » que vous défendez peut-il nous sauver du péril écologique ?
    Je parle moins de modèles que de rapprochements politiques possibles, entre le libéralisme, le conservatisme, l’anarchisme, le féminisme, le socialisme ou le républicanisme. La tradition républicaine telle que je la conçois est une philosophie de la vie civique, fondée sur une conception de l’homme comme citoyen plus que comme producteur et consommateur. Or la crise écologique est aussi liée à une crise civique, à une vision étriquée de la liberté, celle des entreprises et des consommateurs. Corrélativement, la tradition républicaine est hantée par l’impératif du bien commun et de l’intérêt général — d’où aussi sa philosophie du service public. Et l’intérêt général a une dimension intergénérationnelle, il se déploie dans l’horizon du temps. Cette exigence de solidarité entre les générations est au cœur de la philosophie ­républicaine comme de l’écologie politique. Elle ne se fera pas sans d’âpres luttes.

    #Ecologie_politique #Gauche #Serge_Audier #Communs

  • L’idéologie sociale de la bagnole, André Gorz, 1973.
    https://infokiosques.net/lire.php?id_article=346

    Le vice profond des bagnoles, c’est qu’elles sont comme les châteaux ou les villas sur la Côte : des biens de luxe inventés pour le plaisir exclusif d’une minorité de très riches et que rien, dans leur conception et leur nature, ne destinait au peuple. À la différence de l’aspirateur, de l’appareil de T.S.F. ou de la bicyclette, qui gardent toute leur valeur d’usage quand tout le monde en dispose, la bagnole, comme la villa sur la côte, n’a d’intérêt et d’avantages que dans la mesure où la masse n’en dispose pas. C’est que, par sa conception comme par sa destination originelle, la bagnole est un bien de luxe. Et le luxe, par essence, cela ne se démocratise pas : si tout le monde accède au luxe, plus personne n’en tire d’avantages ; au contraire : tout le monde roule, frustre et dépossède les autres et est roulé, frustré et dépossédé par eux.

    La chose est assez communément admise, s’agissant des villas sur la côte. Aucun démagogue n’a encore osé prétendre que démocratiser le droit aux vacances, c’était appliquer le principe : une villa avec plage privée pour chaque famille française. Chacun comprend que si chacune des treize ou quatorze millions de familles devait disposer ne serait-ce que dix mètres de côte, il faudrait 140 000 kilomètres de plages pour que tout le monde soit servi ! En attribuer à chacun sa portion, c’est découper les plages en bandes si petites - ou serrer les villas si près les unes contre les autres - que leur valeur d’usage en devient nulle et que disparaît leur avantage par rapport à un complexe hôtelier. Bref, la démocratisation de l’accès aux plages n’admet qu’une seule solution : la solution collectiviste. Et cette solution passe obligatoirement par la guerre au luxe que constituent les plages privées, privilèges qu’une petite minorité s’arroge aux dépens de tous.

    Or, ce qui est parfaitement évident pour les plages, pourquoi n’est-ce pas communément admis pour les transports ? Une bagnole, de même qu’une villa avec plage, n’occupe-t-elle pas un espace rare ? Ne spolie-t-elle pas les autres usagers de la chaussée (piétons, cycliste, usagers des trams ou bus) ? Ne perd-elle pas toute valeur d’usage quand tout le monde utilise la sienne ? Et pourtant les démagogues abondent, qui affirment que chaque famille a droit à au moins une bagnole et que c’est à l’« État » qu’il appartient de faire en sorte que chacun puisse stationner à son aise, rouler à 150 km/h, sur les routes du week-end ou des vacances.

    La monstruosité de cette démagogie saute aux yeux et pourtant la gauche ne dédaigne pas d’y recourir. Pourquoi la bagnole est-elle traitée en vache sacrée ? Pourquoi, à la différence des autres biens « privatifs », n’est-elle pas reconnue comme un luxe antisocial ? La réponse doit être cherchée dans les deux aspects suivants de l’automobilisme.

    1. L’automobilisme de masse matérialise un triomphe absolu de l’idéologie bourgeoise au niveau de la pratique quotidienne : il fonde et entretient en chacun la croyance illusoire que chaque individu peut prévaloir et s’avantager aux dépens de tous. L’égoïsme agressif et cruel du conducteur qui, à chaque minute, assassine symboliquement « les autres », qu’il ne perçoit plus que comme des gênes matérielles et des obstacles à sa propre vitesse. Cet égoïsme agressif et compétitif est l’avènement, grâce à l’automobilisme quotidien, d’un comportement universellement bourgeois (« On ne fera jamais le socialisme avec ces gens-là », me disait un ami est-allemand, consterné par le spectacle de la circulation parisienne [1]).

    2. L’automobile offre l’exemple contradictoire d’un objet de luxe qui a été dévalorisé par sa propre diffusion. Mais cette dévalorisation pratique n’a pas encore entraîné sa dévalorisation idéologique : le mythe de l’agrément et de l’avantage de la bagnole persiste alors que les transports collectifs, s’ils étaient généralisés, démontreraient une supériorité éclatante. La persistance de ce mythe s’explique aisément : la généralisation de l’automobilisme individuel a évincé les transports collectifs, modifié l’urbanisme et l’habitat et transféré sur la bagnole des fonctions que sa propre diffusion a rendues nécessaires. Il faudra une révolution idéologique (« culturelle ») pour briser ce cercle. Il ne faut évidemment pas l’attendre de la classe dominante (de droite ou de gauche).

  • L’écotartuffe du mois, par Nicolas Casaux
    https://www.facebook.com/nicolas.casaux/posts/10155970187972523?__tn__=K-R

    Voudriez-vous voir se former un mouvement de résistance sérieux contre le capitalisme ? Si oui, oubliez Aurélien Barrau.

    Cet astrophysicien a récemment acquis une certaine notoriété à cause de sa perspective écologiste : il a récemment publié un appel signé par plein d’idiots utiles de l’industrie du divertissement (d’Alain Delon à Muriel Robin) demandant la restriction de certaines libertés individuelles afin de sauver la planète. Que ceux qui ont le plus profité des conforts et des luxes de la civilisation industrielle, qui sont parmi les plus privilégiés des privilégiés, se permettent de demander aux autorités qu’elles restreignent les libertés du peuple, tout de même, il fallait oser — même si l’expression "libertés individuelles" est une triste blague dans le cadre de la société technocapitaliste, bien entendu, mais c’est une autre histoire. Ainsi, cet appel est une sorte de plaidoyer en faveur de l’écofascisme prédit par Bernard Charbonneau il y a plusieurs décennies :

    « L’écofascisme a l’avenir pour lui, et il pourrait être aussi bien le fait d’un régime totalitaire de gauche que de droite sous la pression de la nécessité. En effet, les gouvernements seront de plus en plus contraints d’agir pour gérer des ressources et un espace qui se raréfient. [...] Si la crise énergétique se développe, la pénurie peut paradoxalement pousser au développement. Le pétrole manque ? Il faut multiplier les forages. La terre s’épuise ? Colonisons les mers. L’auto n’a plus d’avenir ? Misons sur l’électronique qui fera faire au peuple des voyages imaginaires. Mais on ne peut reculer indéfiniment pour mieux sauter. Un beau jour, le pouvoir sera bien contraint d’adopter une façon de faire plus radicale. Une prospective sans illusion peut mener à penser que le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra plus faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance géreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie : ils ne croient qu’au pouvoir. »

    Ecofascisme qui ne résoudrait bien évidemment rien du tout, puisqu’il n’implique aucun changement fondamental.

    Aucune critique du capitalisme et de ses implications économiques mondialisées (il reconnait, certes, que le capitalisme pose quelques problèmes mais trouve qu’il a aussi des vertus), de l’idéologie qui l’anime, aucune critique du pouvoir, aucune critique des mécanismes de coercition sur lesquels il repose (il ne blâme pas plus les dirigeants que tout le peuple, nous sommes responsables, nous avons les dirigeants que nous méritons, etc., il ne comprend manifestement pas comment le pouvoir s’est organisé et se maintient), aucune critique de l’imposture démocratique, espoir placé en des actions potentielles que nos dirigeants pourraient prendre, croyance en une civilisation industrielle rendue verte grâce aux EnR, le cocktail habituel des vendeurs d’illusions de l’écocapitalisme.

    Mais pourquoi ? Pourquoi demander leur avis à des astrophysiciens ? Pourquoi demander leur avis à des gens — à des gens de la haute — qui passent leur existence à travailler sur des sujets aussi éloignés du quotidien de toutes les espèces vivantes et des réalités du monde, du monde à la mesure de l’être humain ? Bref, on a trouvé celui qui succèdera à Hubert Reeves dans le rôle de caution d’autorité astrale de l’écocapitalisme.

    (C’est une question rhétorique, bien évidemment. Le fait de demander son avis à un astrophysicien n’est qu’une incarnation de la domination de l’autorité Science, de l’expertocratie, et de l’idéologie progressiste, fascinée par l’univers et sa conquête. L’astrophysicien, qui connait (?) les trous noirs, ces choses incroyablement complexes qui nous dépassent, nous, simples mortels, doit forcément connaître la situation socioécologique terrestre. C’est une illustration parfaite de ce que c’est qu’un argument d’autorité. C’est un grand scientifique, il doit savoir. Malheureusement pas, (ultra-)spécialisation oblige. L’appel d’Aurélien Barrau et son plaidoyer pour plus encore d’embrigadement étatique sont également très bien anticipés, parfaitement même, dans le livre "Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable" de René Riesel et Jaime Semprun.)

  • David Graeber : « De plus en plus de personnes estiment que leur boulot ne devrait pas exister » - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2018/09/15/david-graeber-de-plus-en-plus-de-personnes-estiment-que-leur-boulot-ne-de

    L’anthropologue et économiste américain constate la prolifération de « bullshit jobs », des emplois très bien payés mais parfaitement inutiles. Pour changer le système, il invite à revoir le sens que nous donnons collectivement au travail.

    Être payé à ne rien faire, est-ce bien sérieux dans un monde capitaliste en quête infinie de profits  ? Oui, répond contre toute attente l’économiste et anthropologue américain David Græber. Anarchiste, prof à la London School of Economics, il fut une grande figure d’Occupy Wall Street après la crise économique de 2008, autour du slogan « Nous sommes les 99 % ».

    Dix ans plus tard, il poursuit le combat intellectuel contre le capitalisme. On le savait inégalitaire, aliénant, anti-écologie. Græber ajoute qu’il est aussi inefficace. La preuve, ce sont les « bullshit jobs », des emplois parfaitement inutiles et très coûteux qui prolifèrent dans tous les secteurs de notre économie. « Un job à la con est une forme d’emploi rémunéré qui est tellement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer les termes de son contrat de faire croire qu’il n’en est rien », explique David Græber dans l’essai Bullshit Jobs, dont la traduction française vient de sortir (Les liens qui libèrent, 25 euros).

    Plus que la rigueur de l’argumentation, fondée sur des témoignages de personnes déjà sensibles à ses thèses, c’est la puissance de l’intuition qui frappe, jusqu’à cette conclusion : le capitalisme n’a plus grand-chose qui permette de le justifier, il est temps d’inventer un autre modèle et une autre conception du travail.

    Vous avez été un leader d’Occupy Wall Street, qui fut pour vous une révolte de la « caring class », c’est-à-dire des travailleurs du « care » (1), après la crise financière de 2008. Quel lien faites-vous entre les bullshit jobs  et cette lutte ? A-t-elle porté ses fruits ?

    Il y a en ce moment une #grève des infirmières en Nouvelle-Zélande, l’an dernier c’était au Royaume-Uni ; les profs aussi ont fait grève aux Etats-Unis et dans les facs anglaises ; les auxiliaires de vie pour personnes âgées en France… Ces métiers très divers ont en commun d’être de plus en plus pollués par tout un tas de tâches administratives imposées par leurs hiérarchies et qui les détournent de leur fonction première de soigner, d’éduquer… Ma conviction est que ces mouvements vont bien au-delà de revendications sur les salaires.

    Est-ce tellement nouveau ?

    La #financiarisation du monde, devenue le principal moteur du capitalisme, s’étend désormais à tout. Avec ses objectifs chiffrés, ses tableaux de bord, cette vision comptable a déteint partout. La société numérique a encore accéléré le mouvement avec son obsession de la notation permanente et instantanée. Là où les naïfs croyaient qu’elle simplifierait les choses, réduirait les circuits de décision et les hiérarchies, c’est l’inverse qui se passe. Je le constate dans mon métier d’enseignant  : il faut en permanence remplir des formulaires pour débloquer la moindre décision, cocher des cases. C’est pour gérer toute cette masse d’informations que le personnel administratif a énormément augmenté. Le modèle du privé, avec son obsession du management, s’est imposé jusque dans le secteur public  : un président d’université veut ses conseillers, ses assistants, comme un patron du CAC 40. On embauche donc des gens inutiles payés pour organiser et contrôler des tâches qui ne servent à rien et emmerdent tout le monde.

    Pourquoi faites-vous un parallèle entre la prolétarisation de ces travailleurs du care et la sphère financière. En quoi sont-ils connectés ?

    Tout ou presque désormais est traduit en chiffres et aboutit à cette « bullshitisation » de pans entiers d’activités et de métiers dont les gens se sentent dépossédés. Là où l’on devrait se recentrer sur l’humain, on « procédurise », on comptabilise, on formate en permanence afin de nous faire rentrer dans des cases.

    Peut-on en dire autant des métiers industriels  ?

    Plus vous êtes dans la production, la matière, plus le recours aux technologies d’automatisation comme la robotique boostent la productivité et moins vous avez besoin de main-d’œuvre, surtout pour les tâches les moins qualifiées. A l’inverse, dans la santé, l’éducation, cette productivité décroît en dépit de cette profusion de bureautique et de logiciels. La technologie était censée réduire la bureaucratie et l’on voit au contraire qu’elle se nourrit de ce passage au numérique pour toujours s’étendre. Si tout doit être documenté, monitoré, tracé, vous avez besoin de toujours plus de petites mains pour traduire des expériences qualitatives en tableaux quantitatifs. L’intelligence artificielle est la nouvelle avant-garde de cette bureaucratie digitale. Comme la productivité ne progresse plus, les salaires stagnent ou baissent, les métiers sont de moins en moins valorisés. C’est un cercle vicieux, d’où ces grèves qui disent l’effondrement de l’estime de soi, comme une cicatrice balafrant notre âme collective.

    Puisque des métiers utiles ­connaissent une « bullshitisation », ne faudrait-il pas parler de « tâches à la con » plutôt que de « jobs à la con »  ?

    Évidemment, on peut encore aimer son boulot en cherchant à éviter des tâches inutiles qui le polluent. Mais j’ai choisi ce terme générique de « jobs à la con » parce que de plus en plus de gens disent que leur vie professionnelle est intégralement dédiée à ces tâches inutiles et que, si l’on supprimait leur emploi, cela ne changerait rien. Ce n’est donc pas seulement la manière d’exercer son travail qui est inutile, c’est souvent le boulot lui-même qui l’est, quand il n’est pas en plus nuisible, comme me l’ont dit nombre d’avocats d’affaires et de cadres intermédiaires qui passent leur vie à gratter du papier et bureaucratiser leurs équipes comme on l’exige d’eux. Le fait que de plus en plus de gens reconnaissent que leur boulot ne devrait tout simplement pas exister, ça, c’est nouveau  ! Quand j’ai écrit mon premier article sur ce sujet en 2013, un institut de sondage britannique a testé mon hypothèse. A la question « Votre travail apporte-t-il quoi que ce soit d’important au monde  ? », plus du tiers des personnes interrogées (37 %) ont dit être convaincues que ce n’était pas le cas, le double de ce à quoi je m’attendais. Le fait de poser la question a ouvert la boîte de Pandore.

    Politiquement, quel lien faites-vous entre les 40 % de personnes ayant un bullshit job, et le slogan d’Occupy, « Nous sommes les 99% »  ?

    La « bullshitisation » tient beaucoup à la mentalité de la classe dirigeante – les 1 % – qui a besoin de cette base de « larbins » pour se sentir importante, comme dans la féodalité médiévale. Leur motivation n’est pas économique. Cette classe a compris que pour préserver sa fortune et son pouvoir, une population heureuse, productive et jouissant de son temps libre constitue un danger mortel. Ces 1 % qui contrôlent le système sont ceux qui financent les campagnes politiques aux Etats-Unis  : 98 % des dons viennent de ces 1 %, la corruption du système politique est le moteur de leur accumulation de capital. C’est un résultat inévitable de l’économie du ruissellement. Comme il y a une pression du politique pour créer plus d’emplois, leur réponse est  : on va s’en occuper en multipliant les bullshit jobs. Plutôt que de redistribuer les richesses en stimulant la demande comme le défend la gauche depuis Keynes, on fait vivoter tous ces larbins en les maintenant dans la dépendance à ces jobs à la con.

    Tous vos livres sont basés sur des raisonnements contre-intuitifs, que ce soit pour expliquer le gonflement des dettes, la bureaucratisation du capitalisme ou ce « brejnevisme » des jobs de merde comme vous l’appelez dans un clin d’œil au socialisme soviétique finissant. N’est-ce pas là tout ce qu’abhorre le capitalisme, qui a toujours mis en avant son efficacité  ?

    Les défenseurs du #capitalisme disent que, certes, il crée des inégalités, de la misère et de l’aliénation mais qu’au moins, il est efficace. Les bullshit jobs montent que ce n’est pas le cas  ! Le problème pour ces 1 %, c’est qu’il faut bien occuper toutes ces masses et les bullshit jobs maintiennent la cohésion « brejnevienne », permettent de le faire perdurer sans remettre en cause leur pouvoir et leur accaparement des richesses. La financiarisation leur permet toujours de trouver de quoi s’enrichir comme lorsqu’il s’agit d’endetter des pauvres pour qu’ils se payent un logement dont on sait dès le départ qu’ils ne pourront jamais le rembourser. Cela n’a pas empêché les grandes banques d’affaires d’être renflouées après la crise financière alors que ces citoyens ordinaires ont été expropriés. Le capitalisme n’est pas ce que la plupart des gens croient, c’est un outil de domination qui vise avant tout à préserver le pouvoir de ces 1 %.

    Paradoxalement, vous semblez plus critique envers les démocrates, que vous accusez de collusion avec l’establishment financier, qu’envers les républicains…

    Je suis anarchiste, contre la classe politique en général. Mais je me dois d’essayer de comprendre ce qui se passe. Quand Trump a été élu, j’ai été tenté d’écrire une lettre ouverte aux leaders libéraux pour leur dire  : « Nous avons tenté de vous avertir avec Occupy  ! Nous savions que tout le monde pensait que vous étiez corrompus. Vous avez voulu croire que ce que vous faisiez était légal, que c’était bon, mais personne d’autre que vous ne pense cela  ! » Nous avons essayé d’orienter la rébellion dans un sens positif et ils ont envoyé la police. Je vois Occupy comme la première vague de négociation sur le démantèlement de l’empire américain. Et clairement, Trump est la deuxième, il le fait ! #Occupy était un moment initial lancé par le mouvement socialiste libertarien toujours présent. Mais regardez les sondages outre-Atlantique  : une majorité des 18-30 ans se considère anticapitalistes. Quand cela est-il arrivé auparavant  ? Jamais  ! Les gens ont dit qu’Occupy avait échoué… ­Allons…

    Ces bullshit jobs vont-ils disparaître grâce aux algorithmes et nous permettre de ne travailler que trois à quatre heures par jour comme vous dites que le progrès permettrait de le faire depuis longtemps ?

    Non, car les algorithmes créent des bullshit jobs ! Au XXe siècle, les gens se sont inquiétés d’un chômage de masse lié au progrès technique, y compris Keynes, qui parlait de chômage technologique. Je pense que c’est vrai, mais qu’on y a répondu par la création de jobs imaginaires pour garder les gens occupés. Dans la mesure où la technologie peut progresser et supprimer des emplois utiles, de deux choses, l’une : soit on crée des jobs à la con pour les occuper, soit on redistribue le travail nécessaire, celui du care, que nous ne voulons pas voir effectué par les machines, pour que les gens travaillent moins et profitent plus de la vie. C’est l’autre limite à la thèse de l’efficacité capitaliste : pendant des centaines d’années, les gens ont travaillé dur parce qu’ils imaginaient un monde où leurs descendants n’auraient pas besoin de faire comme eux. Et maintenant que nous arrivons au point où c’est possible, on entend : oh non, les robots vont nous prendre notre travail ! Ça n’a pas de sens.

    Pourquoi le care est-il si important pour changer le système  ?

    Dans le livre, je raconte la grève des employés du métro londonien, quand on se demandait si ce n’était pas un bullshit job qui pourrait être remplacé par des machines. Ils ont répondu avec un texte qui disait en substance  : « Remplacez-nous par des machines, mais nous espérons que votre enfant ne se perdra pas, qu’aucun passager saoul ne vous importunera, que vous n’aurez pas besoin d’information, etc. » Qui veut d’un robot pour prendre soin de son enfant égaré  ? Personne  !

    Comment faire  ?

    L’analyse du travail à l’ère industrielle s’est trop concentrée sur l’usine, alors que beaucoup de travailleurs exerçaient un travail en lien avec le care. Je pense qu’il faut d’abord prendre le care comme paradigme, lire l’ensemble du travail à travers cette question. Car même lorsque vous fabriquez une voiture, c’est parce que vous voulez aider les gens, leur permettre de se déplacer. Plutôt que de se concentrer sur la production de biens et leur ­consommation, qui suggèrent que le vrai travail est productif, il faut partir du principe que l’essentiel de ce à quoi nous nous consacrons est l’entretien des choses  : on fabrique une seule fois une tasse, mais nous la lavons des milliers de fois.

    Qu’en est-il des enjeux écologiques  ?

    Ils sont plus faciles à intégrer dans cette logique du care. On prend soin les uns des autres, mais aussi de la nature, des animaux. Je n’aime pas la notion de décroissance, qui est négative, mais en un sens, cela y correspond, car il faut sortir de cette conception d’une valeur qui devrait toujours croître. C’est drôle, car l’idée de la croissance est inspirée de la nature, mais en réalité ce qui grandit finit par mourir. C’est une métaphore bizarre pour défendre l’idée d’une croissance infinie.

    La mobilisation pour le climat est-elle pour vous le commencement d’une lutte anticapitaliste  ?

    Ce qui me dérange, c’est qu’au moment où le capitalisme semble vraiment vulnérable pour la première fois depuis une éternité, des intellectuels de gauche essaient de le sauver. Quelqu’un comme Thomas Piketty dit aujourd’hui en substance  : « Je ne veux pas abolir le capitalisme, je veux l’améliorer. » Pourtant, s’il avait été là dans les années 60, à l’époque où le système n’était aucunement menacé et où il n’y avait rien à faire, il se serait forcément dit anticapitaliste.

    Contre les bullshit jobs, vous expliquez votre intérêt pour le revenu universel. L’Etat-providence a-t-il donc un nouveau rôle à jouer  ?

    Je suis anarchiste et contre l’Etat, mais sans rejeter l’ensemble de ses services comme la sécurité sociale. Mais on pourrait imaginer que ces fonctions utiles soient assurées par d’autres entités. Je suis en revanche contre la bureaucratie en tant que forme de violence coercitive. Le revenu universel est un moyen pour créer un revenu inconditionnel, qui réduira l’Etat et notamment ces services détestables qui décident si vous élevez vos enfants correctement, si vous cherchez assez activement du travail… Tout ce qui crée de la souffrance et n’apporte pas grand-chose à ceux qui se comportent comme on leur ­demande.

    D’où provient notre conception du travail comme un élément central de l’existence, une souffrance nécessaire  ?

    Dans l’Antiquité, il y a l’idée que le travail est mauvais, que c’est pour les femmes et les esclaves. Mais les « anciens » n’aimaient pas l’oisiveté non plus, au sens où l’homme doit être occupé. Je suis un élève de Marshall Sahlins, qui a produit une critique de l’économie en mettant en évidence ses racines théologiques. Si vous regardez le mythe de Prométhée, la Bible et le récit de la chute du paradis, il apparaît que le travail est l’imitation de Dieu, à la fois en tant que créateur, et en tant que l’on subit la punition pour lui avoir désobéi. Il y a donc la double idée que le travail est productif, créatif et en même temps misérable. Je pense que cette conception du travail s’est imposée à l’époque médiévale, lorsque le travail rémunéré était un passage obligé vers l’âge adulte. Tout le monde, y compris les nobles, devait jusqu’à son mariage travailler pour quelqu’un d’autre. Les gens attendaient pour prendre leur place dans la société. Cette idée de travailler sous l’autorité d’un autre pour devenir un adulte se jouait à l’échelle de la vie, de serviteur à maître. Aujourd’hui, cela se joue entre le lieu de travail et le lieu privé. Vous faites la même transition chaque jour, vous vous placez sous l’autorité de quelqu’un toute votre vie, pour pouvoir être libre chaque soir et chaque week-end.
    (1) L’éthique du care consiste à donner de l’importance à la relation à l’autre, au soin apporté à autrui.

    Cinq nuances de « bullshit jobs »

    David Græber a forgé le concept de bullshit jobs dans un article écrit en 2013 pour la revue britannique Strike  ! Le texte a suscité des milliers de réactions, que Græber analyse dans son livre  : il a sélectionné 124 discussions trouvées sur des sites qui avaient diffusé son article et 250 témoignages reçus par mail. Il en a tiré cinq catégories de jobs à la con.

    Le larbin a pour rôle de donner à quelqu’un l’impression d’être important, comme un poste de secrétaire dans une entreprise qui ne reçoit que deux coups de fil par jour mais qui ne serait pas sérieuse si elle n’avait pas de secrétaire. Si vous êtes porte-flingue, vous poussez les gens à acheter des choses dont ils n’ont pas besoin  : vous êtes donc publicitaire ou télévendeur. Tout aussi inutile, le rafistoleur règle des problèmes (toujours les mêmes), qui ne se poseraient pas si l’on se contentait de changer un peu l’organisation de l’entreprise. A ne pas confondre avec le cocheur de cases, qui mesure, évalue, enquête pour aboutir à des analyses que personne n’utilisera jamais, comme lorsque vous remplissez des formulaires pour dire à votre boss que vous avez rempli vos objectifs. Enfin, les petits chefs donnent des ordres et font des plannings, mais n’en foutent pas une.
    Christophe Alix , Thibaut Sardier

    #graeber #care #travail #économie #Etat #bullshit_jobs

  • Le système Pierre #Rabhi, par Jean-Baptiste Malet (Le Monde diplomatique, août 2018)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2018/08/MALET/58981

    Frugalité et marketing
    Le système Pierre Rabhi


    La panne des grandes espérances politiques remet au goût du jour une vieille idée : pour changer le monde, il suffirait de se changer soi-même et de renouer avec la #nature des liens détruits par la modernité. Portée par des personnalités charismatiques, comme le paysan ardéchois Pierre Rabhi, cette « insurrection des consciences » qui appelle chacun à « faire sa part » connaît un succès grandissant.
    En se répétant presque mot pour mot d’une apparition à une autre, Rabhi cisèle depuis plus d’un demi-siècle le récit autobiographique qui tient lieu à la fois de produit de consommation de masse et de manifeste articulé autour d’un choix personnel effectué en 1960, celui d’un « retour à la #terre » dans le respect des valeurs de simplicité, d’humilité, de sincérité et de vertu. Ses ouvrages centrés sur sa personne, ses centaines de discours et d’entretiens qui, tous, racontent sa vie ont abouti à ce résultat singulier : cet homme qui parle continuellement de lui-même incarne aux yeux de ses admirateurs et des journalistes la modestie et le sens des limites. Rues, parcs, centres sociaux, hameaux portent le nom de ce saint laïque, promu en 2017 chevalier de la Légion d’honneur. Dans les médias, l’auteur de Vers la sobriété heureuse (Actes Sud, 2010) jouit d’une popularité telle que France Inter peut transformer sa matinale en édition spéciale en direct de son domicile (13 mars 2014) et France 2 consacrer trente-cinq minutes, à l’heure du déjeuner, le 7 octobre 2017, à louanger ce « paysan, penseur, écrivain, philosophe et poète » qui « propose une révolution ».

    par Jean-Baptiste Malet

  • L’idéologie sociale de la bagnole – 1973 – carfree.fr
    http://carfree.fr/index.php/2008/02/02/lideologie-sociale-de-la-bagnole-1973

    L’idéologie sociale de la bagnole

    Le vice profond des bagnoles, c’est qu’elles sont comme les châteaux ou les villa sur la Côte : des biens de luxe inventés pour le plaisir exclusif d’une minorité de très riches et que rien, dans leur conception et leur nature, ne destinait au peuple. A la différence de l’aspirateur, de l’appareil de T.S.F. ou de la bicyclette, qui gardent toute leur valeur d’usage quand tout le monde en dispose, la bagnole, comme la villa sur la côte, n’a d’intérêt et d’avantages que dans la mesure où la masse n’en dispose pas. C’est que, par sa conception comme par sa destination originelle, la bagnole est un bien de luxe. Et le luxe, par essence, cela ne se démocratise pas : si tout le monde accède au luxe, plus personne n’en tire d’avantages ; au contraire : tout le monde roule, frustre et dépossède les autres et est roulé, frustré et dépossédé par eux.

    La chose est assez communément admise, s’agissant des villas sur la côte. Aucun démagogue n’a encore osé prétendre que démocratiser le droit aux vacances, c’était appliquer le principe : Une villa avec plage privée pour chaque famille française. Chacun comprend que si chacune des treize ou quatorze millions de familles devait disposer ne serait-ce que 10 m de côte, il faudrait 140 000 km de plages pour que tout le monde soit servi ! En attribuer à chacun sa portion, c’est découper les plages en bandes si petites — ou serrer les villas si près les unes contre les autres — que leur valeur d’usage en devient nulle et que disparaît leur avantage par rapport à un complexe hôtelier. Bref, la démocratisation de l’accès aux plages n’admet qu’une seule solution : la solution collectiviste. Et cette solution passe obligatoirement par la guerre au luxe que constituent les plages privées, privilèges qu’une petite minorité s’arroge aux dépens de tous.

    Or, ce qui est parfaitement évident pour les plages, pourquoi n’est-ce pas communément admis pour les transports ? Une bagnole, de même qu’une villa avec plage, n’occupe-t-elle un espace rare ? Ne spolie-t-elle pas les autres usagers de la chaussée (piétons, cycliste, usagers des trams ou bus) ? Ne perd-elle pas toute valeur d’usage quand tout le monde utilise la sienne ? Et pourtant les démagogues abondent, qui affirment que chaque famille a droit à au moins une bagnole et que c’est à l’ « Etat » qu’il appartient de faire en sorte que chacun puisse stationner à son aise, rouler à 150 km/h, sur les routes du week-end ou des vacances.

    • Si on utilise le même mot pour 12000 trucs différents, on ne s’en sort pas. Le travail, dans le langage courant c’est depuis déjà fort longtemps le travail capitaliste précisément : du temps de dépense d’énergie humaine contre un salaire (Marx dit "une dépense de cervelle, de muscle, de chair").

      Dans tous les cas l’humain s’active, seul et à plusieurs, transforme son environnement, etc. Mais ne "travaille" pas obligatoirement. Le travail c’est une activité sociale propre au capitalisme, et appliquer cette vue à des sociétés du passé est un biais anthropologique. L’utilisation de ce mot avant le capitalisme n’avait aucunement le même sens et ne recouvrait pas du tout les mêmes activités sociales (et donc le fait d’utiliser le même mot ne veut pas dire qu’on parle de la même chose).

      Par ailleurs les robots ne créent pas de "richesses", mais le mot est un peu vague encore une fois. Les robots créent des marchandises (objets ou services), mais ne créent aucune valeur. Seul la dépense de travail humain génère de la valeur. D’où l’obligation de créer de l’argent totalement virtuel par le crédit, puisque normalement c’est la création de valeur qui aboutit à de l’argent.

      La fin du travail n’est pas une expression criminelle, c’est la description factuelle du capitalisme qui s’auto-dissout puisqu’il réduit chaque année un peu plus ce qui fait sa propre substance : l’automatisation réduit le travail humain, et donc réduit la création de valeur : ça va dans le mur. Il faut arrêter de défendre ça, déjà passer par une étape intellectuelle de prise de conscience de ça, et s’activer à construire des relations sociales débarrassées du travail, de la marchandise, de la valeur. Un monde libéré du travail a donc tout à fait un sens, et c’est un monde débarrassé du capitalisme.

      Voir : Le groupe Krisis/Exit et son fameux "Manifeste contre le travail", #Robert_Kurz, #Roswitha_Scholz, #Anselm_Jappe, Lohoff&Trenkle, André Gorz… (suivre les tags, pas mal de sources référencées ici)

      Sur le fait que le travail n’est pas transhistorique, entretien récent d’Anselm Jappe pour La société autophage
      http://www.hors-serie.net/Dans-le-Texte/2017-12-16/La-societe-autophage-id278

      Et l’entretien avec Harribey
      https://seenthis.net/messages/655411
      http://www.palim-psao.fr/2017/12/fetichisme-et-dynamique-autodestructrice-du-capitalisme-entretien-d-ansel

      Bien sûr, une précision « sémantique » s’impose : le travail dont nous mettons en doute le caractère universellement humain ne peut pas être identique à ce que Marx appelle « le métabolisme avec la nature » ou aux activités productives en général. Ici, nous ne discutons que de la forme sociale qu’ont prise historiquement ces activités. Dire que la forme sociale capitaliste du métabolisme avec la nature n’est qu’une forme spécifique de la nécessité éternelle d’assurer ce métabolisme est un truisme vide de sens : c’est comme dire que l’agriculture capitaliste est un développement de la nécessité humaine d’avoir un apport journalier en calories. C’est indubitablement vrai, mais ne signifie rien. Cette base commune à toute existence humaine n’a aucun pouvoir spécifique d’explication.

      La question n’est donc pas de savoir si, dans toute société humaine, les êtres s’affairent pour tirer de la nature ce dont ils ont besoin, mais s’ils ont toujours opéré à l’intérieur de leurs activités une coupure entre le « travail » d’un côté et le reste (jeu, aventure, reproduction domestique, rituel, guerre, etc.). Et je pense qu’on peut dire « non ».

      Extrait de l’entretien publié en guise de présentation du livre de Kurz, « Vies et mort du capitalisme. Chroniques de la crise »
      http://www.palim-psao.fr/article-theorie-de-marx-crise-et-depassement-du-capitalisme-a-propos-de-l

      Traditionnellement, la critique du capitalisme se faisait au nom du travail. Or vous, Robert Kurz, vous n’opposez pas le capital au travail. Vous considérez au contraire le capitalisme comme société de travail. Pourquoi rejetez-vous le travail ?

      R. Kurz : Le concept marxien manifestement critique et négatif de travail abstrait peut être défini comme synonyme de la catégorie moderne de « travail ». Dans des conditions prémodernes, cette abstraction universelle soit n’existait pas, soit était déterminée négativement d’une autre façon : en tant qu’activité d’individus dépendants et soumis (esclaves). Le « travail » n’est pas identique avec la production tout court ou avec « le métabolisme entre l’homme et la nature » (Marx), même si, à ce propos, la terminologie de Marx reste imprécise. Le capitalisme a généralisé pour la première fois la catégorie négative de « travail ». Il l’a idéologisée positivement, entraînant ainsi une inflation du concept de travail. Au centre de cette généralisation et de cette fausse ontologisation du travail, il y a la réduction historiquement nouvelle du processus de production à une dépense complètement indifférente par rapport à son contenu d’énergie humaine abstraite ou de « cerveau, de nerf, de muscle » (Marx). Socialement, les produits ne « valent » pas en tant que biens d’Usage, mais en ce qu’ils représentent du travail abstrait passé. Leur expression générale est l’argent. C’est en ce sens que, chez Marx, le travail abstrait (ou l’énergie humaine abstraite) est la « substance » du capital. La fin en soi fétichiste de la valorisation, qui consiste à faire d’un euro deux euros, est fondée sur cette autre fin en soi qui est d’accroître à l’infini la dépense de travail abstrait sans tenir compte des besoins. Mais cet impératif absurde est en contradiction avec l’augmentation permanente de la productivité, imposée par la concurrence. Critiquer le capitalisme du point de vue du travail est une impossibilité logique, car on ne peut critiquer le capital du point de vue de sa propre substance. Une critique du capitalisme doit remettre en cause cette substance même et donc libérer l’humanité de sa soumission à la contrainte du travail abstrait. C’est seulement alors que l’on pourra supprimer l’indifférence par rapport au contenu de la reproduction et prendre au sérieux ce contenu lui-même. Lorsqu’on comprend le capital au sens étroit comme capital-argent et capital physique (« capital constant » chez Marx), il y a certes une contradiction fonctionnelle entre le capital et le travail. Ce sont des intérêts capitalistes différents au sein d’un même système de référence. Mais lorsqu’on comprend le capital au sens plus large de Marx, alors le travail n’est que l’autre composante du capital.

      Sur la théorie de la crise, le crédit, la dévalorisation du capital qui s’auto-détruit (en détruisant le monde du coup) : La Grande Dévalorisation, de Lohoff et Trenkle
      https://www.post-editions.fr/LA-GRANDE-DEVALORISATION.html

      Qu’est-ce que la valeur ?
      http://www.palim-psao.fr/article-35929096.html

      Contrairement à un produit, la marchandise se définit par le fait qu’elle peut s’échanger contre une autre marchandise. La marchandise, un marteau par exemple, n’a donc pas seulement la qualité d’être faite de bois et d’acier et de permettre d’enfoncer des clous dans le mur. En tant que marchandise, le marteau possède la « qualité » d’être échangeable. Qu’est ce que ça signifie ?

      Pour garder cet exemple, comment échanger un marteau contre une bouteille de bière ? Bière et marteau sont deux objets totalement différents qui ne servent pas à satisfaire le même besoin. Leur différence peut être d’importance pour celui qui veut boire une bière ou celui qui veut planter un clou dans un mur. Mais pour l’échange, en tant qu’opération logique, leur utilité concrète n’est pas pertinente. Dans l’acte d’échange, il s’agit d’échanger des choses égales ou des équivalents. Si ce n’était pas le cas, on échangerait sans hésiter un morceau de beurre contre une voiture. Mais tout enfant sait qu’une voiture a plus de valeur. Manifestement ce n’est donc pas l’attribut qualitatif d’une marchandise (sa nature concrète ou sensible) qui rend l’échange possible. Bière, marteau et voiture doivent donc posséder quelque chose qui les rend semblables et ainsi comparables.

      @ktche :)

    • En effet, nous assistons à une crise du « travail capitaliste ». Le capitalisme va être remplacé par autre chose. Le mot « travail » ne va pour autant disparaître. Son sens est simplement appelé à changer. L’expression « fin du travail » est donc impropre. Il faut parler de la « fin du travail capitaliste ».

      La liste des mots que le capitalisme s’est approprié est infinie. Par exemple le mot « élite » (voir l’article de wikipédia qui retrace bien son histoire). De même, ce n’est pas parce que la capitalisme s’effondre que ce mot va disparaître.

      Un objet n’a en effet aucune valeur intrinsèque. Il n’a qu’une valeur relative négociée au cours des échanges. Cependant, les catégories habituelles de « valeur d’usage » et « valeur d’échange » devraient être complétées de la notion de « valeur d’otage » qui traduit mieux à mon avis le rapport dominant à l’économie. Par exemple, Facebook a de la valeur parce qu’il a pris 2 milliards d’individus en otages, l’énergie nucléaire nous a pris en otages, etc. Le sens du mot « otage » qui est rejeté par la société capitaliste sur les vilains terroristes est donc amené à changer. Il va s’appliquer à ses propres pratiques !

    • Et si le nouveau fil d’actualité de #Facebook marquait le début d’une nouvelle période de choix mûris pour l’entreprise de Mark Zuckerberg ?

      https://www.numerama.com/business/321313-le-jour-ou-facebook-a-enfin-choisi-ses-utilisateurs-face-a-la-bours

      Pour le dire brièvement, Facebook va préférer notre famille, nos proches, et leurs émotions, à l’information, la pub, et bien sûr, la désinformation. Bien que cela puisse apparaître comme une évidence pour ce type de réseau social, l’entreprise prend là probablement plus de risques qu’elle n’en a jamais pris avec ses changements passés. Au fil des versions, et surtout des enjeux économiques, Facebook avait fini par mélanger la chèvre et le chou, quitte à devenir le fourre-tout qu’est aujourd’hui le réseau, de moins en moins, social.

    • c’est peut-être le moment de lui faire connaître le prix de nos « strong ties » dont il admet qu’ils ont beaucoup de « value » ?
      Pour ma part, disons que je passais environ une heure par jour sur Facebook à développer ces liens et ma propre documentation professionnelle (En dehors de cela, j’y passais aussi du temps à titre « récréatif ». Ce point est évoqué plus bas*). Comme mes liens et ma documentation sont irrécupérables par la système backup de Facebook, je suis obligé de constater que Facebook se les est appropriés contre mon gré. Voyons combien cela coûte...

      365 heures par an. Arrondissons à 50 jours par an.
      Si je compte mon prix de journée à 1 K$/jour (c’est très raisonnable, les avocats de FB sont payé 1 K$ de l’heure), ça fait 50 K$ par an. Comme j’ai été sur Facebook pendant 7 ans, ça fait une facture de 350 K$.

      Imaginons que je suis dans la moyenne des utilisateurs de Facebook en terme de durée d’utilisation et d’ancienneté. On pourrait donc multiplier ce coût par le nombre d’utilisateurs (non pas les 2 milliards actuels mais disons 1 milliard pour faire bonne mesure). On obtient donc le chiffre de 350 000 000 000 000 $ (Trois cent cinquante mille milliards de Dollar).

      Mark, tu fournis une véritable interopérabilité des données personnelles, ou bien tu rembourses. Salut !

      (*) Le temps récréatif n’est pas décompté. En effet, le divertissement fourni par Facebook est financé par la publicité. Chacun paie pour ce divertissement à travers sa consommation quotidienne de produits surfacturés à cause de la pub.

    • @olivier8 je n’ai jamais eu de compte facebook et vu tes avertissements, c’est pas demain la veille que je vais m’inscrire.
      Déjà link-guedin (linkedin) ça m’a bien gonflé et je suis smicard, les sommes que tu annonces disent bien ce qu’il y a de pourri dans ce bizzness.

    • Avant de quitter Facebook, voici la facture.
      USD 350.000.000.000.000
      Trois Cent Cinquante Mille Milliards de Dollar

      Lettre ouverte à Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook.

      Objet : Quitter Facebook

      Salut Mark !

      meilleurs voeux et toutes mes félicitations pour tes bonnes résolutions 2018 !

      1) tu nous dis que tu as pris conscience « qu’avec l’émergence d’un petit nombre de grandes entreprises technologiques - et les gouvernements utilisant la technologie pour surveiller leurs citoyens - beaucoup de gens croient maintenant que la technologie centralise le pouvoir plutôt qu’elle ne le décentralise. »

      Ce n’est pas qu’une croyance, c’est un peu vrai non ? Et tu y es un peu pour quelque chose n’est-ce pas ?

      Là dessus, tu nous dis être « intéressé à approfondir et étudier les aspects positifs et négatifs des technologies de décentralisation. »

      C’est cool ! Tu dois savoir que d’autres travaillent depuis longtemps ces questions - déjà bien avant la création de Facebook - en vue de créer les conditions d’une société plus équitable. Si ta prise de conscience est réelle, tu pourras sans doute nous aider. On manque de développeurs !

      2) tu sembles aussi avoir compris que tes algorithmes rendaient les gens fous en les inondant de posts sponsorisés et de fake news. Tu dis : « le renforcement de nos relations améliore notre bien-être et notre bonheur ». Tu vas donc modifier quelques lignes de code pour renforcer ce que tu appelles nos « liens forts » (strong ties) qui selon toi ont beaucoup de « valeur » (high value). Au final tu veux que le temps que les gens « dépensent » sur Facebook soit « plus précieux ».

      C’est cool ! Cependant, mon cher Mark, il faut que tu comprennes que ce temps est bien plus précieux encore que ce que tu imagines.

      Pour ma part, disons que je passe(ais) environ une heure par jour sur Facebook à développer ces liens et ma propre documentation professionnelle. En dehors de cela, j’y passe(ais) aussi du temps à titre « récréatif ». Ce point est évoqué plus bas*.

      Or comme mes liens et ma documentation sont irrécupérables par le système backup de Facebook comme je l’ai expliqué à ton collège Yann LeCun ? , je suis obligé de constater que Facebook me les a volés.

      Voyons combien cela coûte...

      365 heures par an. Arrondissons à 50 jours par an. Si je compte mon prix de journée à USD 1.000 /jour (c’est très raisonnable, les avocats de FB sont payés USD 1.000 de l’heure), ça fait USD 50.000 par an. Comme je suis sur Facebook depuis 7 ans, je t’adresserai une facture de USD 350.000.

      Les statistiques montrent que je suis dans la moyenne des utilisateurs de Facebook en terme de durée d’utilisation et d’ancienneté. On peut donc multiplier ce coût par le nombre d’utilisateurs (non pas les 2 milliards actuels mais disons 1 milliard pour faire bonne mesure sur les 7 dernières années). On obtient donc une facture globale de :

      USD 350.000.000.000.000
      (Trois Cent Cinquante Mille Milliards de Dollar).

      En conclusion, mon cher Mark, tu fournis une véritable interopérabilité des données personnelles qui permettrait aux gens de ne pas être otages de Facebook et de sa centrallisation, ou bien tu rembourses !

      Bien à toi

      Olivier Auber

      () Le temps récréatif n’est pas décompté. En effet, le divertissement fourni par Facebook est financé par la publicité. C’est-à-dire que chacun paie pour ce divertissement à travers sa consommation quotidienne de produits surfacturés à cause des budgets publicitaires des marques captés pour une bonne part par Facebook..

      ( *) Lettre ouverte à YannLeCun, ancien Professeur au Collège de France, responsable de la recherche en Intelligence Artificielle de Facebook.
      http://perspective-numerique.net/wakka.php?wiki=YannLeCun

      1) Résolution 1 : https://www.facebook.com/zuck/posts/10104380170714571
      2) Résolution 2 : https://www.facebook.com/zuck/posts/10104413015393571

  • @raspa Un (encore) joli billet de Mona Chollet, pour te motiver à lire Beauté Fatale un jour : http://www.la-meridienne.info/Comme-si-ta-vocation-etait-de-me-conforter-dans-la-mienne
    C’est à propos d’un livre d’André Gorz où il parle de son épouse, livre « hommage » sorti un an avant leur décès :

    Un hommage, donc ; mais un hommage au goût amer, dès lors qu’on fait abstraction de la sympathie qu’inspirent la figure de Gorz et cette longue fidélité mutuelle. Leur histoire reprend un schéma trop familier : lui, l’intellectuel en devenir qui écrit fiévreusement ; elle, la compagne dévouée qui croit en lui dès le début, qui lui sert d’assistante, de documentaliste, de conseillère, d’interlocutrice, de relectrice. Elle prend des boulots alimentaires pour contribuer à la subsistance du couple, tandis que lui n’accepte que des emplois en lien avec la vie intellectuelle (il a été journaliste à L’Express et au Nouvel Observateur). Elle fait « monter sa cote » grâce à son charme et à son talent pour « recevoir », tempérant l’austérité de son compagnon solitaire et aidant ainsi sa carrière. Son intelligence et sa culture à elle, décrites par tous les proches du couple, ne serviront qu’à mettre en valeur celles de son mari ; elles n’auront eu qu’une valeur ornementale.

    Ça fait écho à des conversations de ces vacances, des couples au bord de l’explosion justement parce que certaines femmes commencent à ne plus accepter ça, d’être des ornements, des supportrices éternellement bienveillantes, qui suivent leur champion dans sa carrière, gèrent la maison, les enfants et la vie sociale, mais mettent leur propre vie entre parenthèse. (et puis Jackie Kennedy, aperçue dans ma série du moment, femme intelligente et cultivée, avec plein de choses à creuser derrière l’icône glamour de femme de président jeune, sexy et martyr de l’Histoire, qui clairement n’a pas eu la vie facile avec son infernal JFK de mari...).

    L’un des invités de Laure Adler laisse entendre qu’elle ne se reconnaissait pas vraiment dans le portrait qu’il avait dressé d’elle dans ce livre : elle insistait sur le fait que c’était sa vision à lui. Nous ne connaîtrons jamais sa version à elle. En dehors de rares enregistrements de sa voix, tout ce qui reste d’elle sera passé par sa médiation, par son regard à lui.

    C’est un tel gâchis... Mais il y a de telles montagnes de censure et d’autocensure à déplacer pour résoudre ce gâchis... Pour avoir vu une collecteuse de témoignages pour les archives municipales d’une ville de l’agglo s’escrimer (avec bienveillance et patience) à faire parler une vieille femme qui n’avait rien à raconter, sous prétexte que c’était pas intéressant, qu’elle s’était « juste » occupée des 3 enfants du couple (pendant que son mari construisait leur maison avec les Castors, participait à moultes associations, engagements syndicaux etc), je sais à quel point c’est dur, mais ça me désespère. On ne saura pas ce que veut dire élever trois enfants dans cette ville dans l’immédiat après-guerre, dans des maisons autoconstruites par les hommes du quartier... mais pour lesquelles les femmes, qui y passaient ensuite leur journée, n’avait pas été consultées. Il manque au moins la moitié de l’histoire :-( Alors que

    Il nous reste à lire des histoires où les femmes puissent aussi envisager de croire en elles-mêmes.

  • « Comme si ta vocation était de me conforter dans la mienne » - La méridienne
    http://www.la-meridienne.info/Comme-si-ta-vocation-etait-de-me-conforter-dans-la-mienne

    « Lui, il écrit jour et nuit ; elle, elle l’aime et l’aide par sa présence », disait Laure Adler en introduction à la dernière de ses trois émissions consacrées à André Gorz (1923-2007) et à sa relation avec sa femme Dorine Keir (France Inter, 25-27 décembre 2017). Figure centrale de la pensée écologiste et de la critique du travail, théoricien du revenu garanti, Gorz est un intellectuel important pour moi. Et pourtant ces émissions m’ont exaspérée — et pas seulement par le choix d’inviter Daniel Cohn-Bendit dans la dernière.

    #féminisme #Gorz #écologie #amour

  • Bruno #Latour : « Défendre la #nature : on bâille. Défendre les #territoires : on se bouge » #zad
    https://reporterre.net/Bruno-Latour-Defendre-la-nature-on-baille-Defendre-les-territoires-on-se

    Il ne faut pas utiliser le mot parce que « nature » oriente aussitôt vers une vision apolitique. Elle a été inventée pour dépolitiser les rapports entre les humains et les objets à utiliser comme ressources. Mais, si je dis « Gaïa », on rencontre une autre difficulté. Tous ces sujets sont difficiles et nous restons dans un énorme retard intellectuel sur ces questions. C’est pour cela que le terme de « zones critiques » me va très bien, « zones critiques » comme zones à défendre. Cela signifie qu’on reterritorialise les questions politiques. La notion de territoire, que la gauche française a toujours associée à des positions réactionnaires, redevient le centre de l’attention. Évidemment avec les dangers que cela pose : « se reterritorialiser », « se réenraciner » sont des termes toxiques. Mais en même temps, c’est bien de cela dont il s’agit dans l’écologie.
    [...]
    Ce travail n’a jamais eu lieu avec les écologistes. On s’est simplifié la vie avec deux ou trois références, Arne Naess, et un peu politiquement avec évidemment André Gorz et tous ces précurseurs. Mais le travail métaphysique de compréhension anthropologique, on a pensé qu’on pouvait s’en dispenser. La question de la « régression ou de la progression », celle de l’« intégration », sont des questions qui posent des problèmes anthropologiques énormes. Il faut se donner des outils qui ne commencent pas par dépolitiser. L’écologie, c’est parler de tous les sujets ! Et pour cela, il faut reprendre toutes les questions classiques. Qu’est-ce que l’économie ? Qu’est-ce que l’histoire ? Qu’est-ce que les sciences ? Il faut aussi reprendre la question écoféministe. Et puis, l’histoire matérielle, l’histoire environnementale. Ce travail ne peut pas être négligé sous prétexte que les causes sont urgentes.
    [...]
    L’encyclique Laudato Si, écrite par le pape François, « est capitale. C’est LE grand texte qui fait une liaison entre la question de la pauvreté et la question écologique ».

  • HERLIN-LE-SEC - Le nouveau Leclerc met 47 de ses 80 employés à la porte LFDN - Aline Chartrel - 03/11/2017
    http://www.lavoixdunord.fr/258035/article/2017-11-03/le-nouveau-leclerc-met-47-de-ses-80-employes-la-porte

    On savait de longue date que quatre-vingts emplois devaient être créés pour assurer l’activité du supermarché Leclerc à Herlin-le-Sec, dont l’essentiel devait être pourvu par des habitants du territoire. Près de deux mois après son ouverture, quarante-sept des premiers embauchés auraient pris la porte.

    « Ça s’arrête pour vous. » Deux jours avant l’ouverture tant attendue du nouveau Leclerc sur la zone d’Herlin-le-Sec, près de Saint-Pol/Ternoise, sa responsable de rayon congédie Laure (#) qui garde de cette journée de travail un souvenir aussi pénible qu’impérissable. « On m’a raccompagnée à mon vestiaire, j’ai dû rendre les habits de l’enseigne et une fois dehors, on m’a claqué la porte au nez. Je me suis sentie humiliée. » Elle en pleurera deux jours durant.

    « On a servi de bouche-trous. »

    Pas un cas isolé puisqu’en l’espace de quasiment deux mois, quarante-sept des quatre-vingts salariés qu’emploie le supermarché auraient été remerciés. Des agents d’entretien, des caissières, des employés de rayons, des responsables aussi. Motif officiel invoqué : les recrues, en période d’essai pour deux mois, ne correspondraient pas aux exigences présentes et futures de l’enseigne. « Aberrant » pour Pauline (#) qui évoque huit années passées dans le commerce et qui a été chef de magasin, ou pour Laëtitia* qui a exercé toute sa carrière en poissonnerie, y compris à Intermarché Saint-Pol. Elle, a pris la porte ce jeudi, « quatre jours avant la fin de ma période d’essai ». Une offre pour son poste aurait été publiée chez Pôle emploi avant qu’elle ne le perde.

    D’autres départs à venir ?
    Harcèlement moral pour les employés du rayon frais, normes de sécurité par respectées – un salarié serait tombé d’un quai –, heures supplémentaires impayées… les griefs sont nombreux, d’autant que la plupart auraient à la demande de Leclerc quitté leur précédent travail, obtenant le statut de demandeur d’emploi nécessaire à leur embauche (lire par ailleurs). « On a servi de bouche-trous », déplorent-ils.

    Leclerc, une grande famille ? « Preuve en est, on a été viré pour qu’ils puissent intégrer leur famille, leurs amis et des anciens de Seclin » où le directeur officiait auparavant. De nouvelles têtes ont remplacé les anciennes.

    L’écrémage se poursuivrait par ailleurs, avant la fin de la période d’essai des CDI fixée au 6 novembre. « Il y en a de prévus ce samedi. »

    Contacté, le directeur du supermarché n’a pas souhaité s’exprimer.

    (#) Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des témoins.

    #violence #leclerc #grand_distribution #super_marché #travail #En_Marche #harcellement

  • De la fin d’un monde à la renaissance en 2050

    http://www.liberation.fr/debats/2017/08/23/de-la-fin-d-un-monde-a-la-renaissance-en-2050_1591503

    Alors que s’ouvrent les Journées d’été d’EE-LV à Dunkerque, l’ancien ministre de l’Environnement Yves Cochet examine l’effondrement mondial imminent et la nécessité d’un projet décroissant.

    Initialement munis d’une immense générosité intellectuelle et porteurs de la seule alternative nouvelle à la vieille gauche et à la vieille droite, les écologistes politiques ont aujourd’hui presque tout perdu, même leurs sièges. Ils apparaissent périmés, faute d’être présents au réel.

    Celui-ci a beaucoup changé depuis trente-trois ans, particulièrement par le passage du point de bascule vers un effondrement global, systémique, inévitable. Jadis, inspirés par le rapport Meadows ou les écrits de Bernard Charbonneau, René Dumont et André Gorz, nous connaissions déjà les principales causes de la dégradation de la vie sur Terre et aurions pu, dès cette époque et à l’échelle internationale, réorienter les politiques publiques vers la soutenabilité. Aujourd’hui, il est trop tard, l’effondrement est imminent.

    L’effondrement de la première étape est possible dès 2020, probable en 2025, certain vers 2030. Une telle affirmation s’appuie sur de nombreuses publications scientifiques que l’on peut réunir sous la bannière de l’Anthropocène, compris au sens d’une rupture au sein du système-Terre, caractérisée par le dépassement irrépressible et irréversible de certains seuils géo-bio-physiques globaux. Ces ruptures sont désormais imparables, le système-Terre se comportant comme un automate qu’aucune force humaine ne peut contrôler.

    La seconde étape, dans les prochaines années 30, sera la plus pénible au vu de l’abaissement brusque de la population mondiale (épidémies, famines, guerres), de la déplétion des ressources énergétiques et alimentaires, de la perte des infrastructures (y aura-t-il de l’électricité en Ile-de-France en 2035 ?) et de la faillite des gouvernements.

    Sans surprise, hélas, notre perspective générale ne semble pas encore partagée par la majorité des écologistes qui tiennent leurs Journées d’été européennes à Dunkerque. Ainsi, la plénière finale du samedi 26 août est-elle en partie consacrée au « développement industriel » en Europe. Un élan vers le pire.

  • La fin du travail, le nerf de la guerre, Philippe Escande
    « Retours sur le futur (5/5). Des auteurs ont anticipé la société à venir dans des livres vendus à des milliers d’exemplaires. En 1997, Jeremy Rifkin théorisait ce qui allait inspirer la gauche française lors de nombreux débats politiques : la destruction des emplois par la technologie. »

    http://www.lemonde.fr/festival/article/2017/08/18/la-fin-du-travail-le-nerf-de-la-guerre_5174023_4415198.html

    Michel Rocard ne s’y était pas trompé : ce livre est « effrayant ». Dans la préface de l’édition française, il écrit qu’il est sidéré par l’ampleur du défi lancé par l’auteur de La Fin du travail (Jeremy Rifkin, La Découverte, 1997. Publication originale : The End of Work, 1995). Depuis plus de cinq mille ans, l’homme courbe l’échine sous le poids de ses obligations, et voilà que Jeremy Rifkin, spécialiste de prospective, annonce sa libération.

    Dans cet essai « torrentiel, déconcertant et parfois agaçant » – toujours selon Rocard –, l’auteur prédit que la technologie va progressivement faire disparaître la force de travail humaine et qu’il convient de s’y préparer en investissant massivement dans l’économie sociale. Il faut anticiper le chômage et l’extension de la misère, et aviver l’espoir de l’avènement d’une société moins marchande et plus solidaire.

    Il est déconcertant de constater qu’un débat lancé il y a plus de vingt ans ait refait surface, en France, lors de la campagne présidentielle de 2017. Bien des idées du candidat du Parti socialiste, Benoît Hamon, résonnent étrangement avec celles proposées par Rifkin : les robots vont tuer l’emploi, un revenu universel est nécessaire et il faut renforcer un tiers secteur non marchand. L’Américain a multiplié ses disciples.

    Vendu à 125 000 exemplaires aux Etats-Unis – ce qui est loin d’en faire un best-seller –, le livre a connu une belle carrière internationale. Traduit en dix-sept langues, il a lancé la carrière de son auteur et l’a installé dans le fauteuil confortable de prophète d’un monde nouveau, marqué par la triple révolution numérique, biologique et écologique. (

    Papy débonnaire
    Son ouvrage précédent, Au-delà du bœuf (Beyond Beef, Dutton Adult, 1992), plaidoyer d’un végétarien convaincu qui dénonce la consommation de viande et l’élevage bovin, ne laissait pas prévoir qu’il allait s’attaquer aussi abruptement à l’un des fondements de l’activité humaine. Douceur du regard, calvitie de notaire et moustache de sergent-major, on lui donnerait le Bon Dieu sans confession.

    Un révolutionnaire se cache pourtant derrière Jeremy Rifkin, ce papy débonnaire aux costumes soignés et aux pochettes de soie assorties. Son premier engagement, celui qui déterminera tout le reste, a lieu en 1967 quand, jeune diplômé en droit, il organise la première manifestation nationale contre la guerre au Vietnam. Plus tard, il épouse la cause de la lutte contre les manipulations génétiques. Il trouble, avec ses camarades, les cénacles de l’Académie des sciences, en déployant ses banderoles et en chantant « Nous ne voulons pas être clonés », sur l’air de l’hymne aux droits civiques (We Shall not Be Moved).

    En 1977, dans le Library Journal, le critique Ken Nash presse le destin de ce jeune homme qui n’avait pourtant produit qu’un seul livre (Own Your Own Job, Bantam Books, 1977) : « Le socialisme de Rifkin est aussi américain que la tarte aux pommes, écrit Nash. Il est peut-être notre plus talentueux vulgarisateur d’idées radicales. » La France va adorer.

    Multiples retirages

    Quelques mois après la publication de The End of Work, le sociologue français Alain Caillé dévore le livre et rêve d’une édition française. Théoricien du don et militant de l’anti-utilitarisme, alternative humaniste au libéralisme et au marxisme, il retrouve ses thèmes dans l’ouvrage de Rifkin : l’impasse de l’économie marchande qui exclut de l’emploi et la nécessité d’encourager l’économie solidaire.

    Il fait le siège de son éditeur, La Découverte, pour le convaincre de le publier. « Ça ne se vendra pas », le prévient François Gèze, le patron de la maison. A tort : il a vendu plus de 30 000 exemplaires la première année de sa sortie, sans compter les multiples retirages, qui élèvent le nombre à 57 000. « Et il s’en vend toujours aujourd’hui », pointe l’éditeur. Il faut dire qu’il avait réussi à convaincre son ami Michel Rocard de préfacer l’ouvrage.

    Philippe Séguin, à l’époque président de l’Assemblée nationale (1993-1997) et autre amoureux du débat sur le travail, avait décliné car Jeremy Rifkin exerce déjà sur le personnel politique, français comme européen, un attrait indéniable. Comme si ses idées originales ouvraient de nouveaux horizons à des décideurs en panne de solutions nouvelles. Avant la sortie de l’édition française, il était l’invité d’honneur d’une conférence de deux jours organisée par Philippe Séguin à Epinal, son fief des Vosges, rassemblant leaders syndicaux et chefs d’entreprise.

    « Nouvel esprit de paresse »

    Le succès de l’ouvrage est aussi dû à un concours de circonstances exceptionnel : rincés par une crise qui n’en finit pas en ce milieu des années 1990, les Français sont en proie au doute. « Contre le chômage, on a tout essayé », reconnaît, en 1993, le président François Mitterrand. On imagine alors la disparition de l’emploi. Un an avant la traduction de Rifkin, la sociologue et philosophe Dominique Méda publie Le Travail, une valeur en voie de disparition (Alto, 1995). Un tabou saute. La droite hurle à l’Assemblée face à ce « nouvel esprit de paresse ».

    Dans le même temps, la romancière Viviane Forrester fait un tabac avec son Horreur économique (Fayard, 350 000 exemplaires). L’entreprise n’est plus tendance, le débat s’installe à gauche. Mais nous sommes en France, et l’argumentaire économique promu par Rifkin vire à la controverse philosophique.

    Pour Méda, comme pour André Gorz et d’autres penseurs de gauche, la question du progrès technologique n’est pas centrale. Il s’agit d’affirmer que le travail, valeur réhabilitée au XVIIIe siècle avec les Lumières, ne constitue pas l’essence de l’homme et que l’entreprise ne doit pas être son seul horizon. Il convient d’en réduire la durée pour se consacrer à d’autres activités plus épanouissantes : la famille, la communauté, l’enrichissement intellectuel… La conclusion est identique à celle de l’Américain mais prend d’autres chemins.
    « Je ne dis pas que le travail va disparaître, assure la sociologue, mais je souhaite qu’il prenne moins de place. » Une idée que partage également l’économiste Gilbert Cette, professeur à l’université d’Aix-Marseille, et qu’il traduit en des termes plus économiques :
    « Augmenter le temps de loisirs est une forme de redistribution des gains de productivité. »

    Déprime des salariés

    A ces données s’ajoutent une déprime des salariés (le plus grand succès des éditions La Découverte à cette époque sera d’ailleurs Le Harcèlement moral, de Marie-France Hirigoyen, en 1998, vendu à 600 000 exemplaires…) et une réflexion à gauche qui s’oriente de plus en plus vers la réduction du temps de travail.

    A la faveur de la dissolution du Parlement par Jacques Chirac en 1997, la gauche, exsangue cinq ans plus tôt, revient au pouvoir. A court d’idées neuves, elle saute sur la réduction du temps de travail, soufflée à Martine Aubry par Dominique Strauss-Kahn. Gilbert Cette intègre le cabinet de la ministre et donne une réalité à ce vieux rêve.
    Jeremy Rifkin ne pouvait imaginer pareille consécration : la plus importante réforme sociale de l’après-guerre en France, mise en route deux ans après la parution de son livre qui en faisait l’apologie ! Pourtant, la destruction des emplois par la technologie, thèse principale du livre, n’a pas abouti à une disparition du travail mais à sa transformation. Le drame que décrivait si bien l’auteur n’était pas celui de la fin du salariat mais de la désindustrialisation.

    Légitimité du débat

    Et si le débat revient aujourd’hui avec la peur de l’avènement des robots, la plupart des spécialistes en rejettent l’idée, de surcroît contredite par les faits : vingt ans après sa prédiction funeste, le taux de chômage mondial est plus bas qu’à l’époque (1 % de moins) ! Vieille opposition du scientifique face au vulgarisateur qui noircit le trait pour mieux vendre son message au risque de le déformer…
    « Monsieur Rifkin est un charlatan ! C’est un consultant qui a eu le flair d’enfourcher, au bon moment, les grandes peurs collectives de notre fin de siècle : les risques liés au progrès technologique et le chômage », lançait Olivier Blanchard, ancien chef économiste au FMI et enseignant au MIT, l’un des rares de sa profession qui soit entré dans le débat. Les autres ont préféré l’ignorer.

    Jennifer Hunt est l’une des plus grands spécialistes du travail aux Etats-Unis. Elle fut chef économiste au ministère du travail américain pendant la mandature de Barack Obama. « J’étais professeure à l’université Yale à l’époque, dit-elle. Nous ne le connaissions même pas. En 1995, nous sortions de la récession, c’était le début de la nouvelle économie et la croissance de l’emploi était très rapide. » Tout juste reconnaît-elle qu’il est parfois utile « d’avoir des gens qui ne sont pas contraints par une discipline et par des faits scientifiques ». Pour l’économiste Daniel Cohen, « Ce livre est arrivé à un moment de grande fatigue. Il est faux de dire que le travail disparaît, mais le débat sur la finalité de celui-ci est légitime ».

    Conférences convoitées
    C’est finalement le destin des Rifkin, Attali ou Minc de saisir l’air du temps, de lire beaucoup et de former, à partir de cela, des idées bien plus audacieuses que celles de la communauté scientifique… Et d’en faire commerce. Les conférences de Jeremy Rifkin, réclamées par toutes les grandes entreprises et organisations mondiales, se monnayent entre 20 000 et 40 000 euros.

    Sa société de conseil enchaîne les contrats avec la Commission européenne, le gouvernement allemand, la ville de La Haye, le Luxembourg, la région des Hauts-de-France… Les missions sont facturées entre 350 000 et 450 000 euros – « Le prix d’un rond-point », tempère modestement le prospectiviste –. « Sa notoriété et son charisme nous ont permis de rassembler tous les acteurs de la région autour d’un projet mobilisateur », insiste l’ancien ministre Philippe Vasseur, qui a monté avec lui le projet de « Troisième révolution industrielle » pour les Hauts-de-France.

    La Fin du travail a permis à Rifkin de gagner ses galons de millénariste en chef. Après la fin du bœuf et celle du travail, sont intervenues celles de la propriété (L’Age de l’accès, La Découverte, 2005) et des énergies fossiles (La Troisième Révolution industrielle, Les Liens qui libèrent, 2012). Il prédit maintenant la fin du capitalisme par sa dissolution dans le collaboratif (La Nouvelle Société du coût marginal zéro, Babel, 2016), voire la fin de l’espèce humaine, si l’on ne prend pas de mesure contre le réchauffement climatique.

    Des idées fortes qui retentissent dans une Europe en proie aux doutes existentiels. « Si je devais renaître, j’aimerais que ce soit en France ou en Italie », a coutume de lancer Jeremy Rifkin. Il en est déjà le citoyen de cœur et, avec ses certitudes, il est au moins le prophète d’un monde incertain.

    https://seenthis.net/messages/262461

    #Rifkin #Travail #emploi

  • André, par delà l’espace grisâtre et le temps

    https://www.monde-diplomatique.fr/2017/08/KEUCHEYAN/57769

    Certains penseurs, parmi lesquels Jason W. Moore et Daniel Tanuro, suggèrent que le système n’a prospéré depuis trois siècles qu’en exploitant une nature gratuite ou bon marché. Cette ressource rare, le capitalisme l’a utilisée comme si elle était illimitée. Il s’en est servi non seulement comme d’une « entrée », captée sous forme de matières premières transformées en marchandises, mais aussi comme d’une « sortie », une « poubelle globale » où se déversent les déchets et les sous-produits de l’activité économique — les externalités négatives de l’accumulation du capital.

    [...]

    Dans un texte de 1974, le philosophe André Gorz affirmait déjà : « Le capitalisme, loin de succomber à la crise, la gérera comme il l’a toujours fait : des groupes financiers bien placés profiteront des difficultés de groupes rivaux pour les absorber à bas prix et étendre leur mainmise sur l’économie. Le pouvoir central renforcera son contrôle sur la société : des technocrates calculeront des normes “optimales” de dépollution et de production (9). »

    #écologie #économie #capitalisme

  • André Gorz à propos du revenu universel d’existence / revenu garanti, par Anselm Jappe
    http://www.palim-psao.fr/2017/06/andre-gorz-le-philosophe-qui-voulait-liberer-les-individus-du-travail-ent

    C’est peu connu, mais Gorz a opéré un second revirement sur le sujet pendant les dernières années de sa vie : il a émis des réserves envers le RSG et sa glorification.

    Pourquoi ces réserves vis-à-vis d’une idée qui semblait pourtant si cohérente avec le reste de sa pensée ?

    Ce n’est pas le radicalisme de l’idée qui l’effraie : Gorz ne faisait pas partie des penseurs qui « oublient » leur radicalisme de jeunesse au nom du pragmatisme. Ses dernières idées sont d’ailleurs bien plus radicales que ses idées antérieures. Et elles sont bien plus radicales que presque tout ce qui passe aujourd’hui pour de « l’anticapitalisme », mais qui n’est en général qu’une tiède critique du néolibéralisme.

    Dans les écrits de ses dernières années, Gorz prend simplement acte de l’impossibilité de réaliser l’« économie dualiste » qu’il préconisait dans le cadre d’une société capitaliste qui est en train de s’écrouler partout

    […]

    L’argent « fictif », n’est-ce pas très théorique ?

    Gorz a pris connaissance de la « critique de la valeur » allemande, notamment de celle de Robert Kurz, et du livre « Temps, travail et domination sociale » de Moishe Postone. Gorz partage avec cette école le constat que c’est le capitalisme lui-même qui abolit le travail ; ce capitalisme n’est pas du tout en expansion, mais rencontre depuis des décennies ses limites internes. Contester seulement la spéculation financière et les banques est trop court et peut conduire à des formes dangereuses de populisme.

    Par ailleurs, il constate que l’utilisation toujours croissante de technologies dans la production industrielle faisait diminuer nécessairement la quantité de travail utilisée, et que donc la valeur marchande de la production diminuait également. Autrement dit : puisque la quantité de travail requise dans la production diminue, on ne peut demander aux gens de « vendre » leur force de travail, de « gagner leur vie » par le travail. L’idée d’un secteur « qui travaille » et qui financerait un secteur « qui ne travaille pas » n’a pas de sens.

    Pour lui, la diminution du travail entraîne une diminution équivalente de l’argent représentant une quantité réelle de travail productif. La diminution globale du travail, de la valeur et de l’argent à partir des années 1970 – conséquence de la « troisième révolution industrielle » – a donc été faussement compensée par la création de montagnes d’« argent fictif » : crédits, bulles immobilières et boursières… C’est une illusion de croire que cet argent pourrait simplement être utilisé « différemment ».

    Il s’attendait à une grande crise financière, qui ferait s’évaporer une bonne partie de l’argent en circulation – et donc également de l’argent devant servir pour un revenu de base. A noter que la crise de 2008 est survenue un an après sa mort...

    Pour lui, s’agit-il désormais de sortir de l’argent ? Des échanges marchands ?

    Il arrive en tout cas à la conclusion que le salaire, et l’argent en général, ne peuvent jamais constituer un véritable instrument d’émancipation. Avec l’argent, on reste toujours dans une société capitaliste - une société indésirable même lorsqu’elle fonctionne, et qui maintenant ne marche même plus.

    La remise en question de son adhésion au RSG est donc directement liée à sa critique de l’argent…

    Oui. L’argent n’est que la représentation d’un processus transformant le travail en capital. Le marxisme visait à libérer le travail de l’emprise du capital. Mais pour Gorz, travail et capital, c’est la même chose : ce qui nourrit le capital, c’est le travail. Et comme le travail diminue, le système s’autodétruit. Il faut donc réfléchir à sortir du système, plutôt que de le « transformer » et créer des « niches » comme le revenu de base. Car cette méthode n’ouvre aucune perspective d’émancipation sociale véritable.

    Dans ses derniers écrits, tel l’article « Penser l’exode de la société du travail et de la marchandise » (2007), Gorz affirme même que le RSG ne doit pas constituer un « transfert », c’est-à-dire une simple redistribution d’argent en faveur des plus démunis, à l’intérieur d’une société toujours basée sur le travail salarié, car on risquerait ainsi de renforcer le capitalisme en crise.

    #André_Gorz #Anselm_Jappe #critique_de_la_valeur #wertkritik #interview #capitalisme #argent #RSG #revenu_garanti #revenu_universel #revenu_de_base (revenu de tout… revenu de rien)

  • Contre l’allocation universelle
    Daniel Zamora, Jean-Marie Harribey, Mateo Alaluf, Seth Ackerman


    https://www.luxediteur.com/catalogue/contre-lallocation-universelle

    Depuis la crise de 2008, l’idée d’une allocation universelle suscite un engouement renouvelé, tant en Europe qu’en Amérique. Le projet trouve des appuis à gauche comme à droite et, de l’avis de bien des spécialistes, il pourrait être le fondement des politiques sociales de l’avenir. Plus d’un penseur critique l’a prôné, Philippe Van Parijs, Toni Negri, José Bové ou André Gorz, mais que signifie vraiment cet étonnant consensus ?

    Selon les auteurs de cet essai, l’allocation universelle, sous couvert d’une bienveillante redistribution de la richesse, consacre l’abandon de l’enjeu politique central des cent cinquante dernières années : le conflit entre le capital et le travail. Chacun des textes composant ce livre œuvre au rappel de l’importance décisive de cette question, pour justifier qu’il faille impérativement être contre l’allocation universelle.

    #toread #livres #revenu_garanti #revenu_universel #protection_sociale

  • Lisez Ellul ! Lisez Charbonneau !
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=904

    Voici une introduction de Jean Bernard-Maugiron aux deux fondateurs de la critique radicale des technologies, Jacques Ellul et Bernard Charbonneau. Ce texte est également lisible sur le site de la Grande mue, consacré à Bernard Charbonneau (ici) et en version papier (voir conditions ci-dessous). C’était dans les années Trente, bien avant Jaime Semprun et René Riesel, avant André Gorz , Ivan Illich, Herbert Marcuse, avant même Günther Anders et Hannah Arendt, Bernanos et Orwell, Simone Weil et Saint Exupéry ; c’était en même temps ou à peu près que Giono et Lewis Mumford ; c’était deux jeunes gens de province qui, depuis leur bourgeoise ville de Bordeaux, s’étaient mis en tête de comprendre leur monde. C’est-à-dire l’Etat et la technique dont la fusion constituait à leurs yeux le fait majeur de (...)

    « http://lagrandemue.wordpress.com » #Documents
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/bcje_toile.pdf

  • Procès d’un « faucheur de chaises » dénonçant l’évasion fiscale : le procureur demande la relaxe
    http://www.bastamag.net/Premier-proces-d-un-faucheur-de-chaises-le-procureur-demande-la-relaxe

    Plus de 2000 personnes se sont rendues le 9 janvier à Dax pour soutenir un « faucheur de chaises » qui comparaissait au tribunal de grande instance. Jon Palais, militant de l’organisation basque Bizi !, est poursuivi par BNP Paribas pour « vol en réunion » suite à une action de réquisition de chaises dans une des succursales parisiennes de la banque, en octobre 2015. Pour cette action militante, il risque cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Lors de l’audience, Jon Palais a rappelé que « le (...)

    En bref

    / Que faire face à la crise financière ?, #Paradis_fiscaux, #Finance

    #Que_faire_face_à_la_crise_financière_ ?

    • http://www.regards.fr/web/article/faucheurs-de-chaises-le-radicalo-pragmatisme-selon-txetx-et-jon-palais

      À l’occasion du procès d’un “faucheur de chaises” ce lundi à Dax, deux figures de l’organisation Bizi, Jon Palais, poursuivi par BNP Paribas, et Txetx Etcheverry, co-fondateur d’Alternatiba, expliquent leur stratégie de lutte "radicalo-pragmatique".

      Mener la "bataille des idées" pour soustraire les classes populaires à l’idéologie dominante… L’ analyse d’Antonio Gramsci, bien souvent galvaudée, connaît une remarquable résurgence dans la gauche française. Mais à Bizi d’autres penseurs se devinent comme bien plus influents : Albert Camus, Mark Twain, André Gorz. Et surtout Cornélius Castoriadis, qui considérait que « la meilleure éducation en politique, c’est la participation active ». En effet, aujourd’hui, face au danger que représente la droitisation générale du monde politique, la gauche peine à retrouver des leviers d’influence. Pourtant, la mobilisation des classes moyennes et populaires ne peut provenir que des premiers concernés, comme le rappelle Txetx :

      « La première des formations c’est la pratique, c’est elle qui crée la conscience et pas l’inverse ».

  • Comboire le calice jusqu’à la lie

    Pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour passer de bonnes vacances. Deux reporters du Postillon se sont complètement dépaysés en allant passer 24 heures dans le plus grand centre commercial de l’agglomération grenobloise, l’Espace Comboire. Saviez-vous que Jean-Jacques Rousseau s’était promené vers Comboire ? Que le premier centre Leclerc en dehors de la Bretagne s’est installé à Grenoble ? Que l’écologiste André Gorz a fait l’apologie de ces « centres de distribution » ? Que de nouveaux supermarchés s’installent toujours dans l’agglomération ? Que les commerçants des centres-villes ne sont pas près de voir revenir leur clientèle ? Allez, zou, en route pour vingt-quatre heures trépidantes.

    Lire l’article en entier sur : https://www.lepostillon.org/Comboire-le-calice-jusqu-a-la-lie.html

    Extrait : (...) Car le développement des centres commerciaux n’est pas un long fleuve tranquille. Quand Edouard Leclerc ouvre ses premiers magasins dans les années 1950, nombre de commerçants, relayés par des politiques, s’inquiètent de cette « concurrence déloyale » que suppose le concept de la « vente au prix de gros ». Le premier endroit où Leclerc va s’installer en dehors de la Bretagne est à ... Grenoble. En 1958, il ouvre sur le cours Jean Jaurès un « centre de distribution de produits alimentaires E. Leclerc », comme ça s’appelait à l’époque. Un article de l’Express (2 avril 1959) nous apprend qu’il a été invité en Isère par des ingénieurs grenoblois de Merlin-Gerin, qui étaient « révoltés par le coût élevé de la distribution », considéré comme un des « freins les plus puissants à l’expansion et à la modernisation de l’économie ». (...)
    Dans cet article, un petit détaillant prévoit le futur que promet ce genre de commerces : « si vous voulez éliminer tous les petits commerçants au profit d’une dizaine de centres Leclerc, il vous faut aussi accepter les conséquences : vous ferez des kilomètres pour remplir votre panier ».
    Une clairvoyance que n’avait pas le journaliste de l’Express : lui s’extasie devant la « frénésie de la concurrence » et affirme que Leclerc a lancé une « initiative désintéressée », « mû par des préoccupations autres que commerciales ». Alors que Leclerc est aujourd’hui une des plus grandes fortunes françaises, ce jugement est d’autant plus surprenant que l’auteur de l’article est un certain Michel Bosquet, pseudonyme du philosophe et journaliste André Gorz. Ce pionnier de l’ « écologie politique » est notamment connu pour avoir vivement critiqué le capitalisme et « l’idéologie sociale de la bagnole », un engin presque obligatoire pour se rendre dans les zones commerciales où se trouve aujourd’hui la majorité des Leclerc.

    #AndréGorz #centrescommerciaux #Gonzo #Vivelabagnole

  • « Leur écologie et la nôtre », quarante ans après
    http://www.contretemps.eu/keucheyan-gorz-ecologie

    « La prise en compte des exigences écologiques (…) a déjà assez de partisans capitalistes pour que son acceptation par les puissances d’argent devienne une probabilité sérieuse. [La lutte écologique] peut créer des difficultés pour le capitalisme et l’obliger à changer ; mais quand, après avoir longtemps résisté par la force et la ruse, le capitalisme cédera finalement parce que l’impasse écologique sera devenue inéluctable, il intégrera cette contrainte comme il a intégré toutes les autres ».
    L’argument de Gorz est simple : le capitalisme est un système résilient. Il peut rencontrer des difficultés du fait de la crise écologique, mais il s’adaptera finalement à cette crise, comme il s’est adapté à toutes celles qu’il a rencontrées sur son chemin.

    Pourquoi Gorz dit-il cela ? Si le capitalisme a pu exister depuis trois siècles, c’est parce qu’il a bénéficié d’une nature gratuite, une nature qu’il n’était pas nécessaire de « reproduire ». Cette nature gratuite, le capitalisme l’a utilisée à la fois comme input et comme output. La nature a constitué une source d’inputs gratuits pour le capitalisme, car ce système ne cesse depuis qu’il existe de capter des ressources naturelles « brutes » pour les transformer en marchandises. Mais la nature a aussi constitué un output pour le capitalisme, une « poubelle globale » où déverser les déchets de l’accumulation du capital, ce que les économistes néolibéraux appellent pudiquement les « externalités négatives ».

    #écologie #Diaporama #Théorie #capitalisme #consumérisme #démocratie #environnement #Gorz #nature #productivisme

    Ce texte a été prononcé par Razmig Keucheyan lors des 20 ans de l’association des Amis du Monde diplomatique, au « 104 », à Paris, le 8 octobre 2016.

    • Il y a quarante ans, en 1974, André Gorz publiait dans la revue Le sauvage un texte fameux, intitulé Leur écologie et la nôtre. Le Monde diplomatique a réédité en avril 2010 des extraits de ce texte. Et on comprend pourquoi : la prescience de Gorz, sa capacité à anticiper l’évolution des rapports entre le capitalisme et la nature, est tout simplement stupéfiante. Gorz décrit dès 1974 le monde qui est en passe de devenir le nôtre.

  • Comment l’#employabilité a-t-elle tué le temps libre ? | InternetActu.net
    http://www.internetactu.net/2016/11/02/comment-lemployabilite-a-t-elle-tue-le-temps-libre

    En plus de la tendance du #travail à coloniser notre #vie de tous les jours, les individus ont maintenant la responsabilité d’améliorer leurs perspectives professionnelles en acquérant de nouvelles #compétences, en se faisant de nouveaux réseaux, en apprenant de nouvelles #expériences de vie… L’incertitude du #marché du travail, l’absence de #sécurité de l’#emploi ou l’amoindrissement des filets de sécurité en cas de période d’inactivité (notamment pour les travailleurs de l’économie des plateformes ou dans certains pays moins dotés en protections sociales) font que l’individu doit sans cesse travailler à son employabilité : regarder des séries en VO permet de travailler son anglais, faire un tour du monde en vélo montre que l’on est débrouillard et curieux, contribuer à Wikipédia, faire du bénévolat ou participer à un Hackathon fait toujours bien sur un #CV. Cette expression (« ça fera bien sur mon CV ») a d’ailleurs été utilisée par un enfant de 12 ans à qui David Frayne avait demandé s’il avait apprécié assister à un programme contre le tabac. Ce qui lui fait dire que l’employabilité occupe même l’esprit des enfants… Dans un climat « d’insécurité généralisée » qu’évoquait le philosophe André Gorz, la culture de l’employabilité devient une réponse des individus à la #précarité instituée.