person:benjamin constant

  • Pour le philosophe Serge Audier, la gauche n’est pas très écolo - Idées - Télérama.fr
    https://www.telerama.fr/idees/pour-le-philosophe-serge-audier,-la-gauche-nest-pas-tres-ecolo,n6141758.php

    Dans “L’âge productiviste”, le philosophe Serge Audier montre que la gauche, pourtant porteuse d’un projet alternatif au capitalisme, ne s’est pas souciée d’écologie. Parce qu’elle est depuis toujours fascinée par le productivisme.

    L’écologie, ses occasions perdues, ses virages manqués… En dépit de quelques éclairs de lucidité de penseurs politiques pour la plupart oubliés, le culte de la production et de la croissance industrielle a toujours pris le dessus sur le souci écologique, y compris dans le camp progressiste. La gauche, notamment, en intériorisant l’apologie de l’industrialisme capitaliste, a montré son incapacité à inventer un imaginaire politique propre, opposé à ce productivisme. Dans L’Age productiviste, une nouvelle somme historique érudite qui prolonge La Société écologique et ses ennemis, le philosophe Serge Audier explore de fond en comble les logiciels anti-écologiques de la gauche et de la droite modernes, du début du xixe siècle à nos jours. Et dessine la généalogie d’une impuissance générale aujourd’hui dénoncée, mais favorisée par la résistance tenace d’un productivisme atavique.

    En tant qu’historien des idées politiques, quelle approche spécifique défendez-vous sur le péril écologique ?
    On parle généralement du péril écologique d’un point de vue scientifique, climatologique ou éthique ; on envisage des pratiques alternatives. La tendance dominante me semble manquer d’un questionnement politique et idéologique. J’ai voulu le réhabiliter pour comprendre les sources, toujours actives, de la crise écologique — à droite, bien sûr, mais aussi à gauche. Mon précédent livre, La Société écologique et ses ennemis, montrait que, dès le début du xixe siècle, bien des penseurs avaient vu la gravité des problèmes écologiques. Cette approche articulait déjà une critique à la fois sociale, écologique et même esthétique. Mais une hégémonie industrialiste et productiviste s’est imposée jusque dans le camp progressiste. Elle a pris le dessus sur le souci écologique. C’est au fond l’histoire d’une défaite politique et idéologique que je raconte : des voies alternatives ont existé, mais elles ont été piétinées et oubliées par le récit dominant.

    La critique écologiste est longtemps restée indexée à une critique radicale de la modernité. Etait-ce le cas chez les précurseurs de l’écologie politique ?
    La critique de l’industrialisme va effectivement souvent de pair avec un procès généralisé de la modernité, y compris du rationalisme et des droits de l’Homme. Mais toutes les figures conscientes de la crise écologique n’appartenaient pas à une nébuleuse anti-moderne, anti-Lumières ou anti-libérale. On trouve ainsi une grande sensibilité à la question chez le philosophe utilitariste et libéral John Stuart Mill, qui anticipe la problématique de la décroissance. La critique anti-industrielle a certes été portée par des courants conservateurs, mais aussi par des courants rationalistes héritiers des Lumières. Pensons à Franz Schrader, géographe qui opposait aux folies destructrices de l’âge industriel la préservation rationnelle des forêts vierges, ou encore à Edmond Perrier, pilier du Muséum d’histoire naturelle, qui prévoyait l’épuisement des ressources, lui aussi dès le début du xxe siècle. Les anarchistes, comme Elisée Reclus, développèrent également une critique écologique de l’industrialisme au nom de la liberté, mais aussi de la rationalité scientifique.

    Comment comprendre l’incapacité de la gauche à prendre au sérieux le péril écologique, alors même qu’elle prétend favoriser le progrès ?
    Etant porteuse d’une critique du capitalisme et d’un projet alternatif, la gauche aurait dû en effet prendre davantage en charge le péril écologique. Or elle l’a fait mal, peu ou pas du tout. Le culte des forces productives fut un facteur décisif. Si le communisme s’est montré si attrayant, c’est aussi parce qu’une large partie de la gauche avait intériorisé cet impératif de développement scientifique et industriel. Ce qui confirme d’ailleurs que le productivisme n’est pas intrinsèquement lié au « libéralisme ».

    Pourquoi l’écologie politique est-elle toujours restée minoritaire dans le logiciel de la gauche socialiste ?
    Le pôle écologique est presque partout resté dominé, même après la prise de conscience des années 1970. On ne peut l’expliquer seulement par certains travers du mouvement écologique. Il y a certes une tendance écologique dans la « deuxième gauche » des années 1970, mais dès que celle-ci se « normalise », au début des années 1980, cette orientation s’étiole. Même après l’effondrement du communisme, si fortement anti-écologique, persiste l’hégémonie des figures diverses du productivisme, depuis le productivisme souverainiste jusqu’à celui du centre-gauche « social-libéral » qui, épousant les mutations du capitalisme et de la mondialisation, a encore pour horizon la relance de la croissance. Tout cela me semble remonter à une fascination compréhensible pour la société industrielle, facteur de progrès, d’abondance et d’emploi. On peut la repérer même dans le socialisme originaire, divisé par des tendances contradictoires. Les milieux fouriéristes et anarchistes avaient certes esquissé une sorte de ­socialisme jardinier qui entendait se ­réconcilier avec la nature. Mais, à côté de ce socialisme naturaliste, s’imposait un autre pré-socialisme, venu du comte de Saint-Simon, fasciné par l’industrie, les ingénieurs et la science, qui a inventé le néologisme « industrialisme ». Le saint-simonisme a exercé une influence colossale dans l’histoire de la gauche, en posant que l’avenir du monde appartient aux industriels. On trouve là également une des sources aussi bien du marxisme dogmatique que du discours technocratique. L’imaginaire dominant de gauche a été « phagocité » par cette vision saint-simonienne, elle-même dominée par une apologie diffuse de l’industrialisme capitaliste. L’histoire de la gauche, même anticapitaliste — et même marxiste ! — a été marquée par une intériorisation de la nécessité historique du capitalisme industriel, et de l’apport grandiose de ce dernier, tout en le condamnant plus ou moins. A cet égard, cette histoire est aussi celle d’une impuissance à développer un imaginaire propre.

    Quid de la tradition libérale et de l’histoire de la droite sur cette question ?
    Le libéralisme en soi n’est pas de droite ou de gauche. Et, à partir du XIXe siècle, il ne célèbre pas toujours l’industrialisme — Tocqueville s’en méfiait. Reste que la tendance à cette célébration est majoritaire à droite depuis Benjamin Constant, qui construit un discours apologétique du progrès industriel, foyer de liberté et de prospérité. Et puis se constitue l’école d’économie politique, autour de figures comme Vilfredo Pareto, qui détestait les critiques écologiques et esthétiques du capitalisme. On retrouve cette tendance dans le néo-libéralisme contemporain.

    Des « brèches » écologiques ont pourtant aussi existé à droite…
    Une certaine critique, de droite et antilibérale, du capitalisme industriel, a pu revêtir une portée écologique jusqu’à nos jours. Cette tendance « verte » est présente dans la mouvance conservatrice réactionnaire, dans la « Révolution conservatrice » sous l’Allemagne de Weimar, voire dans le fascisme et le nazisme. Avant d’être avancée par le pape François, la formule de « l’écologie intégrale », qui relie la question écologique et la question sociale, fut lancée par Alain de Benoist, le père de la « Nouvelle Droite ». Le pôle conservateur a également développé dès les années 1930 une dénonciation du productivisme, du taylorisme et du fordisme, comblant le vide de la gauche. Le fait même que cette critique passe alors à droite contribue d’ailleurs à la décrédibiliser auprès des progressistes. Même le néolibéralisme fut clivé à l’origine, dans les années 1930 : une sensibilité à la destruction industrielle de la nature y existe, mais ce pôle, minoritaire, sera, toujours plus, dominé par un pôle anti-écologique et climato-sceptique.

    Pourquoi la plupart des grands intellectuels du xxe siècle en France ont-ils négligé la question écologique ?
    L’existentialisme et le structuralisme y furent indifférents. Sartre et Beauvoir sont des philosophes de la liberté du sujet. Ils refusent toute idée d’« essence » humaine et la nature n’est pas un principe explicatif ni un objet autonome dans leur pensée de la liberté. La seconde dira même que la nature est « de droite ». Si la vague structuraliste, et « post-structuraliste », déboulonna ensuite cette approche « humaniste », elle n’en resta pas moins largement aveugle, elle aussi, à la question de la nature. Michel Foucault n’y prêta aucune attention sérieuse, tant il se méfiait des discours « naturalisant » les institutions et les individus. Plus tard, son adversaire de toujours, Marcel Gauchet, couvrira de sarcasmes les écologistes. Il y eut bien sûr des exceptions, en particulier Claude Lévi-Strauss. Mais ce sont surtout des voix ultra minoritaires qui transmirent la flamme écologique. Ainsi de Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, amoureux de la nature et critiques de la « méga-­machine » technologique. Après une longue traversée du désert, ils ont influencé l’écologie politique naissante. André Gorz ou Serge Moscovici furent d’autres exceptions, soucieux de la manière dont le capitalisme appuyé par l’Etat privait les individus du contrôle de leur propre vie et de leur milieu vital.

    Peut-on enfin envisager la possibilité d’une sortie de cet âge productiviste ?
    Le capitalisme a muté. Mais la droite, comme l’extrême droite, entretient le credo de la croissance à tout prix et le déni de la crise écologique. Et, à gauche, on est dans un entre-deux indécis. Le populisme de gauche, incarné par Jean-Luc Mélenchon, se réclame d’un « éco-socialisme », mais l’ambiguïté demeure, car en privilégiant le thème du clivage entre le peuple et les élites, il tend à gommer l’urgence écologique. Une autre gauche, portée notamment par Benoît Hamon, a compris que le ­logiciel productiviste était une impasse ; elle cherche du côté de l’allocation universelle ou d’un modèle éco­logiquement soutenable, mais peine à construire un discours cohérent et à trouver une base sociale.

    Le modèle « éco-républicaniste » que vous défendez peut-il nous sauver du péril écologique ?
    Je parle moins de modèles que de rapprochements politiques possibles, entre le libéralisme, le conservatisme, l’anarchisme, le féminisme, le socialisme ou le républicanisme. La tradition républicaine telle que je la conçois est une philosophie de la vie civique, fondée sur une conception de l’homme comme citoyen plus que comme producteur et consommateur. Or la crise écologique est aussi liée à une crise civique, à une vision étriquée de la liberté, celle des entreprises et des consommateurs. Corrélativement, la tradition républicaine est hantée par l’impératif du bien commun et de l’intérêt général — d’où aussi sa philosophie du service public. Et l’intérêt général a une dimension intergénérationnelle, il se déploie dans l’horizon du temps. Cette exigence de solidarité entre les générations est au cœur de la philosophie ­républicaine comme de l’écologie politique. Elle ne se fera pas sans d’âpres luttes.

    #Ecologie_politique #Gauche #Serge_Audier #Communs

  • Dans la tête de Macron : références et pensée-patchwork https://www.mediapart.fr/journal/france/130517/dans-la-tete-d-emmanuel-macron?onglet=full

    La passe-d’armes Macron / Balibar (« un cas presque psychiatrique ») est assez drôle. Pour le reste, c’est le portrait de Macron en intellectuel : il ne pourra que décevoir sur cette base !

    Enfin, je note que Magnaudeix, qui suivait En Marche ! pour @mediapart, s’est bien fait pigeonner tout au long de la campagne, jusqu’à l’émission d’entre-deux-tours (le 5 mai 2017) où il ne relance pas Macron sur son entourage, le laissant déverser son couplet sur l’homme « libre » qu’il serait — libre de devenir banquier d’affaires, libre de devenir conseiller du prince, puis calife à la place du calife : clair que le type a su éprouver sa liberté.

    Il s’est fait pigeonner mais il en a conscience.
    Cf. https://blogs.mediapart.fr/mathieu-magnaudeix/blog/030317/cher-ami

    La première est le legs du philosophe Paul Ricœur, rencontré par l’intermédiaire de son professeur François Dosse, et qu’il assista pour l’édition de l’ouvrage La Mémoire, l’histoire, l’oubli (Le Seuil, 2000). « Je donnais un cours d’historiographie à Sciences Po, se rappelle Dosse, auteur d’une biographie du philosophe parue en 1997. Ricœur, qui n’était pas historien, cherchait un étudiant pour aller en bibliothèque, monter l’index, chercher des références. Je lui ai dit que j’avais sous la main un étudiant fort brillant. »

    Emmanuel Macron s’est sans doute un peu poussé du col en suggérant qu’il avait « participé à l’accouchement de La Mémoire, l’histoire, l’oubli, livre qu’il venait de commencer lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois » et avait été l’assistant du philosophe, un terme qui n’existait déjà plus dans l’université à l’époque. Dosse, sollicité par Mediapart, assure pourtant avoir été témoin d’une « vraie relation, de plain-pied, quasi filiale », entre le vieil homme et le jeune étudiant, qui fut même invité aux 90 ans du philosophe en 2003. « Il avait 23 ans, mais avec Ricœur, il n’était pas un gamin : c’était un partenaire », confirme la philosophe Catherine Goldenstein, qui accompagna Ricœur jusqu’à son décès en 2005.

    Emmanuel Macron ne rate pas une occasion de rendre hommage au philosophe. Il juge que Paul Ricœur lui a amené une « culture politique » et « l’a poussé à faire de la politique », notamment grâce à sa réflexion « sur la possibilité de construire une action qui ne soit pas verticale (c’est-à-dire qui ne soit pas prise dans une relation de pouvoir), mais une action qui échappe dans le même temps aux allers-retours permanents de la délibération ». À travers Ricœur, Emmanuel Macron s’inscrit dans l’histoire de la revue Esprit, dont il a été longtemps membre du comité de rédaction, une revue créée par le philosophe Emmanuel Mounier, dont le courant d’idées, le personnalisme, recherchait, pour le dire vite, une troisième voie entre capitalisme et marxisme.

    Le philosophe Olivier Abel, spécialiste de Ricœur, se dit « embarrassé » lorsqu’on le questionne sur la proximité « philosophique » entre le nouveau président, qu’il n’a fait que croiser à l’époque où Ricœur rédigeait son ouvrage, et les usages qu’il fait d’une pensée « ample », dont « diverses lignes d’interprétations valables peuvent être tirées ».

    Il précise toutefois que « le point de plus grande proximité me semble résumé dans la fameuse formule “et en même temps” : vouloir par exemple en même temps la libération du travail et la protection des plus précaires, cette manière d’introduire une tension soutenable entre deux énoncés apparemment incompatibles, est vraiment très ricœurienne. Je dirai la même chose de l’antimachiavélisme de Macron, son refus de jouer sur les peurs et les ressentiments, ce désir d’orienter de l’intérieur la gouvernance vers le bien commun. Un troisième point que je relève, c’est une conception de la laïcité non pas identitaire mais strictement juridique, libérale, et faisant droit à la condition pluraliste de nos sociétés, des traditions inachevées qui les constituent. Un dernier point serait la priorité accordée à une éthique de la responsabilité, le refus des promesses fallacieuses, une sorte de “sagesse pratique” cherchant sans cesse à intégrer la pensée des conséquences au sens de l’initiative ».

    Abel précise toutefois, et aussitôt, que certains autres aspects, moins économicistes et pragmatiques, de la pensée de Ricœur, ont peut-être échappé au nouveau président : « La lecture de Ricœur pourrait apporter un contrepoint critique par son refus d’une apothéose du travail : les humains ont aussi besoin de parole, de libre conversation, de refaire cercle autour de toute question, de faire chœur pour s’émerveiller, d’habiter ensemble le monde. Du même mouvement, Ricœur résisterait à l’apothéose des questions économiques qui semblent aujourd’hui, comme dans le marxisme de jadis, la sphère des sphères, la sphère “totale” : il faut penser l’institution de la pluralité des sphères. Enfin, et surtout, il y a chez Ricœur une pensée de l’imagination instituante, ou de l’institution imaginante, qui prend la forme d’un éloge modéré mais résolu de l’utopie, à la fois comme critique de la réalité dominante et exploration du possible, qui fait que le monde n’est pas fini et que la radicale pluralité des formes de vie est désirable. »

    Chez Emmanuel Macron, l’utopie n’existe pas. En tout cas, elle passe inaperçue, car elle n’a pas de portée pratique. Pour lui, l’action politique se déploie au contraire dans le réel, le présent, le « faisable ». Macron refuse les « promesses qu’on ne peut pas tenir ». Il dit souvent « on ne va pas se mentir ». Il lui arrive de citer cet aphorisme qui douche les audaces : « Y en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes. » La formule, qu’il a faussement attribuée au génial parolier de cinéma Michel Audiard, est en réalité un gimmick… des humoristes Chevallier et Laspalès.

    Le second legs explicitement revendiqué est celui du libéralisme, toute la question restant de savoir comment Macron investit ce terme dont le signifiant flotte selon les époques où il se déploie, les préfixes qu’on lui accole et l’objet, d’abord économique ou en priorité politique, sur lequel il se porte.

    Sur France Culture, le nouveau président expliquait à propos de Saint-Simon et des saint-simoniens : « C’est une des filiations que je peux accepter […], comme j’accepte la filiation avec un libéralisme politique français […], cette exigence dans le rapport à la liberté politique, aux libertés individuelles, et dans le rapport entre le politique et l’individu, dans laquelle je me retrouve. Et Benjamin Constant. » Ce libéralisme lui fait préférer Danton à Robespierre, « parce que je pense qu’il y a chez Robespierre un rapport de brutalité de l’État et de la chose publique dans le rapport à l’individu, dans lequel je ne me reconnais pas ».

    Reste à savoir si l’éloge constant de la « liberté », aussi bien en matière sociétale qu’économique, est, dans le cerveau d’Emmanuel Macron, autre chose que la liberté du renard dans le poulailler.

    À cet égard, la polémique qui a opposé, par voie de presse interposée, le nouveau président et son ancien professeur de philosophie, le penseur d’origine marxiste Étienne Balibar, est riche d’enseignements. Ce dernier affirme ne pas se souvenir de cet ancien élève et du travail de Macron, effectué à l’université Paris X-Nanterre sous sa direction, sur Hegel et Machiavel – contactée par Mediapart, l’université confirme que Macron a bien obtenu un DEA, mais ne peut communiquer le mémoire qu’avec l’autorisation de Macron, qui n’a pas fait suite à nos demandes.

    Questionné par Le Monde, Balibar juge « absolument obscène cette mise en scène de sa “formation philosophique” », apparentée à « de la “com” ». À plusieurs reprises, Macron a évoqué sa dette à l’égard de Balibar, aujourd’hui professeur à Columbia, dont les cours, dit-il, « étaient des exercices philosophiques assez uniques ». Macron, dont un ressort psychologique consiste à tirer une grande satisfaction de l’effet qu’il produit sur ses interlocuteurs, n’en revient pas que le maître l’ait oublié, ou en tout cas feigne de l’effacer de sa mémoire. « C’est un cas presque psychiatrique, dit-il dans L’Obs. Je m’étonne qu’il ait oublié le nombre de fois où j’allais chez lui, rue Gazan à Paris, travailler mes textes avec lui. Je trouve aujourd’hui son attitude offensante. »

    Derrière cette controverse personnelle se situe le véritable enjeu, celui de l’articulation entre liberté et égalité. Étienne Balibar est en effet le théoricien d’une « égaliberté » en forme de tension entre liberté et égalité, ou, si la liberté conserve une priorité, elle trouve à la fois sa limite et son effectivité dans l’égalité. Cette « égaliberté » serait seule à même de garantir la prise en compte de l’individu, contre tous les totalitarismes, les despotismes de la majorité, mais aussi les tyrannies des minorités dominantes du type oligarchique ou ploutocratique.

    Un papier du @mdiplo sur l’entregent très « antisystème » de Macron : www.monde-diplomatique.fr/2017/03/DENORD/57249

    cc @onecop

    • L’imaginaire intellectuel d’Emmanuel Macron
      https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/limaginaire-intellectuel-demmanuel-macron

      http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/12360-15.05.2017-ITEMA_21324420-1.mp3 Aux sources d’Emmanuel Macron... Un président philosophe ? Qui sont ses penseurs-référents ? Quelles sont les idées qui structurent sa pensée ? Comment les traduire ? Avec une spécialiste du libéralisme et un biographe de Paul Ricoeur, la philosophe Catherine Audard et l’historien François Dosse

      En campagne, le fondateur d’En marche réfléchissait pour le 1 à son rapport à la philosophie : « elle aide à construire », disait-il. « Elle donne du sens à ce qui n’est sinon qu’un magma d’actes et de prises de parole. C’est une discipline qui ne vaut rien sans la confrontation au réel. Et le réel ne vaut rien sans la capacité qu’elle offre de remonter au concept. Il faut donc accepter de vivre dans une zone intermédiaire faite d’impuretés, où vous n’êtes jamais un assez bon penseur pour le philosophe, et toujours perçu comme trop abstrait pour affronter le réel. Il faut être dans cet entre-deux. Je crois que c’est là l’espace du politique . »

      « Macron est un représentant d’une vision raisonnable de la politique étrangère à la vie politique française : une philosophie du dialogue. »

      « Le libéralisme est indissociable de l’Etat de droit et ses régulations : de là naîtra l’efficacité économique. »

      Catherine Audard, La Grande Table

      « Il y a chez Ricoeur comme chez Macron la même notion d’éducateur politique, conjuguée à un pan inventif, créateur. C’est une pensée du paradoxe. »

      François Dosse, La Grande Table

      Une émission ridiculement macronolâtre, où s’ébroue la forme la plus désolante de macronolâtrie : la macronolâtrie cultivée (vous remarquerez qu’à plusieurs moments l’on ne sait plus très bien si l’on parle de Ricœur ou de Macron, peu importe de toutes façons vu qu’il paraît que c’est la même chose)

      #Macronolâtrie

    • Pour illustrer ce dossier consacré aux #Arabes, Le Point a choisi une #peinturlure de Jean-Joseph Constant qui signait ses oeuvres sous le pseudonyme de Benjamin-Constant, à ne pas confondre avec l’écrivain Benjamin Constant.
      Benjamin-Constant-avec-un-tiret fut un #peintre fort célèbre en son temps qui peignit, entre autres, les plafonds de l’Hôtel de ville de Paris, ceux de l’Opéra-Comique de Paris itou, sans oublier quelques fresques ornant les murs de la Sorbonne. Mais avant d’être un barbouilleur officiel de la Troisième République, Benjamin-Constant-avec-un-tiret fut, avec Henri Regnaut dont il était tout récemment question dans une précédente chronique, l’un des derniers grands peintres #orientalistes. Et c’est l’une de ses oeuvres intitulée Dans le palais du sultan qui s’affiche cette semaine au fronton du Point, sublime peinturlure faite de clichés et d’approximations. Voici l’oeuvre, dans son entier :

      Benjamin-Constant-avec-un-tiret, qui fit un séjour de quelques mois au Maroc, réalisa pendant des années des toiles illustrant un #Orient_de_bazar à la #géographie_embrouillée. Dans Le palais du sultan, par exemple, nous voyons deux Marocains protégés par… un janissaire turc ! Mélange improbable, confusion, collage réunissant deux hommes avachis, inactifs (l’Arabe est volontiers paresseux), et un impavide guerrier casqué (car ne l’oublions pas, l’Arabe a aussi la fibre belliqueuse et tant pis si les Turcs ne sont pas des arabes, tout ça c’est de la vermine pareille).

    • C’est un peu dur accuser un peintre orientaliste du XIXème d’approximations et de préjugés. Après tout ils ne faisaient pas oeuvre de journalisme, mais au contraire ils représentaient un orient imaginaire et fantasmé... Cette peinture est tout de même magnifique et rend hommage à l’architecture arabe, ne pensez-vous pas ?

  • L’intime, un concept politique - La Vie des idées
    http://www.laviedesidees.fr/L-intime-un-concept-politique.html via @bug_in

    L’enjeu du livre de Michaël Foessel est de dégager, délimiter et promouvoir, aux côtés des sphères publique et privée auxquelles se limitent les théories politiques modernes et contemporaines, la sphère de « l’intime ». S’il importe de prendre la mesure de cette sphère, c’est qu’elle met en jeu des expériences spécifiques quant au mode de #relation, de visibilité et de responsabilité entre les #individus. Dans le schéma dichotomique classique, ces expériences sont trop souvent confondues avec celles qui ont cours dans le champ du #privé, alors que ce dernier relève exclusivement du domaine économique et rend compte des relations individuelles sur le modèle de transactions entre des propriétaires (de soi, de son corps), y compris au sein du #couple et de la #famille. Au contraire, pris dans sa spécificité, l’intime nous permet de penser une autre approche du politique — selon une double dimension.

    Dimension normative d’abord : l’intime et le public partagent des structures et des normes communes qui les distinguent, ensemble, du privé : c’est notamment le cas, dans la « démocratisation de l’intime » (selon l’expression de Giddens), de la progressive imposition de l’idée selon laquelle la vie personnelle est un « projet ouvert » et non pas caché ou silencieux. Dans le couple pris comme « lieu d’élaboration éthique » (p. 39), les partenaires ne sont pas pensés comme des co-contractants aux liens d’abord sociaux et juridiques, mais comme les tenants de discours de soi qui ne font sens que dans la relation, en prenant le risque de la désappropriation de soi. De ce point de vue, s’attacher à penser la spécificité de l’intime permet de se délivrer de l’erreur qui consiste à replier le politique sur l’économique. Ainsi peut se dégager une autre manière de penser le politique et ses acteurs, les individus affectifs et non pas seulement les individus performants, pris dans un « vivre ensemble » dont les modalités, sentimentales et morales, sont elles aussi renouvelées.

    De là découle la seconde dimension, pratique et positive : l’intime nous donne accès à un pan trop ignoré de la démocratie, la démocratie « sensible » (p. 138) — au double sens d’une démocratie des sentiments et d’une démocratie vulnérable, qu’il s’agit précisément de protéger contre l’intrusion du privé ou contre l’interprétation exclusivement sociale des #identités et des interactions.

    nous sommes invités à nous méfier de la mise en scène des sentiments par les acteurs politiques professionnels, qui jouent des confusions conceptuelles et des dénis de reconnaissance qui affectent les individus dans leur vie quotidienne pour promouvoir leur propre carrière publique, pensée comme celle d’entrepreneurs d’eux-mêmes. Ils font étalage d’un amour « réussi », performant, légitimés dans cette pratique par la dissolution générale de l’intime dans la #rationalité stratégique. C’est au nom d’une recherche de l’authentique que l’attitude politique de la méfiance, à la fois philosophique et engagée, doit être adoptée.

    la « pipolisation » est cette pratique de mise en scène de soi contrôlée et contractuelle dans laquelle M. Foessel voit le paradigme de la tendance néolibérale à dissoudre le public et l’intime dans la sphère du privé.

    Le second intermède poursuit l’interrogation sur la nature du « moi » de l’homo œconomicus que thématise l’individualisme libéral, à partir d’une lecture d’Adolphe de Benjamin Constant, « roman de la disparition de l’intime dans le “privé” » (p. 100). Adophe, confondant l’idéal d’authenticité et l’impératif de réussite, rate ses amours et sa vie en demeurant étranger auprès des autres, incapable d’engagement — ce qui selon M. Fœssel, est le pendant inévitable de la liberté négative des Modernes. En effet, la #modernité libérale arrache l’intime à la contrainte normative de la tradition, mais commet dans le même mouvement l’erreur de le conceptualiser en termes de « droit à la vie privée » ; or « le privé nous appartient alors que l’intime nous concerne » (p. 111). Se joue ici la confusion essentielle qui nous conduit à oublier d’agir selon le souci authentique de soi. Nous sommes ainsi amenés à prendre pour « moi » ce qui s’expose comme moi et qui se trouve seulement pris dans une logique stratégique : la transparence donnée en spectacle remplace l’authenticité d’un échange intime de regards.

    #vie_intérieure #réciprocité #privatisation #marchandisation #narcissisme #néolibéralisme

    de quoi enrichir aussi les discussions sur la #prostitution

    et comme on parlait dernièrement (notamment @aude_v) de la perte de la réciprocité, je dirais que le commerce et l’idée de « ne rien devoir à personne » sont un mode d’échange correspondant à la sphère du privé, tandis que la #logique_du_don et la non-comptabilité correspondraient à l’authenticité et à l’intime, prenant en compte les liens non mesurables de tout un chacun avec le monde.