person:boris groys

  • Kandinsky | The Charnel-House

    https://thecharnelhouse.org/2018/08/17/kandinsky

    Avec cet opus, les amoureuses et amoureux de #Kandinsky (ici quelques peintures « inhabituelles » de ses premières périodes) vont s’évanouir de plaisir !

    Art as rhetoric, by Boris Groys: Particular Cases

    In light of recent discussions about art as knowledge production and the ways art should or could be taught, it seems fitting to look back at the early days of modernism. Avant-garde art was not yet taken for granted then, having instead to be legitimized, interpreted, and taught. One influential example of such a strategy of legitimization is Wassily Kandinsky’s Concerning the Spiritual in Art (1911). The book posits an equivalence between art production, art theory, and art teaching, in order to render art rational and scientific, with the aim of establishing it as an academic discipline. Over the course of his artistic career, Kandinsky made various attempts to give an institutional form to his ideas. Der Blaue Reiter (The Blue Rider) both the group and the almanac of the same name — can be seen as the first such attempt. Following his return to Russia from Munich at the outbreak of World War I, and especially throughout the postrevolution years, Kandinsky engaged in extensive institutional activity, teaching as a professor at Vkhutemas (Higher Art and Technical Studios, from 1918), as well as founding and directing the Moscow Institute of Artistic Culture (InKhuK, 1920-1921) and GAKhN (State Academy for the Scientific Study of Art, 1921). During his time at the Bauhaus, from his appointment in 1922 until its closure in 1933, he pursued his analysis of art as a science and academic discipline, as reflected in Point and Line to Plane, a theoretical treatise published by the Bauhaus in 1926.

    https://i0.wp.com/thecharnelhouse.org/wp-content/uploads/2018/08/Wassily-Kandinsky-Entru%CC%88ckt-July-1931.jpg?fit=440%2C847&ssl=1

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    https://i0.wp.com/thecharnelhouse.org/wp-content/uploads/2018/08/Wassily-Kandinsky-Kallmu%CC%88nz-Vilsgasse-II-1903.jpg?fit=864%2C513
    #art #peinture #bauhaus

  • Le #conceptualisme_moscovite : art progressiste ou dissidence idéologique ?

    http://ilcea.revues.org/1351

    Le terme de « conceptualisme moscovite » a été introduit en 1979 par Boris Groys, dans une revue de l’émigration (à Paris), qui le définit comme une variante du conceptualisme occidental des années 1960-1970. Il qualifie cette variante de « romantique ». N’y a-t-il pas là une contradiction avec le fait évident que le conceptualisme est inséparable du postmodernisme ? Après avoir étudié le contexte dans lequel se développe le conceptualisme moscovite, nous en évoquons quelques figures-clés : d’abord les peintres Ilya Kabakov et Eric Boulatov, puis Andreï Monastyrski et son groupe Actions collectives, et enfin trois personnages ayant marqué la littérature russe post-soviétique, les poètes Dimitri Prigov et Lev Rubinstein, et l’écrivain Vladimir Sorokine. Nous explicitons l’apport de chacun et concluons sur les caractéristiques qui différencient fondamentalement le conceptualisme moscovite, justifiant le qualificatif de romantique.

    #soviétisme #art #image #propagande

  • Horizon inverse, de Bernard Aspe, éditions nous
    http://www.editions-nous.com/main.html

    Premières pages :

    L’économie culturelle dans laquelle nous baignons, si nous avons la « chance » d’y accéder, a de quoi nous rendre mélancoliques. Comme le notait Agamben il y a déjà longtemps, elle ressemble à une tentative d’exorcisme qui aurait été indéfiniment reconduite. Il fut un temps où la culture n’avait d’autres promesses que de nous délivrer de la culture — comme « réalité séparée ». Les avant-gardes du début du xx e siècle avaient encore ce projet. Mais par la suite, c’est-à-dire depuis leur échec, qui est aussi celui du mouvement révolutionnaire que la plupart du temps elles avaient voulu accompagner, un tel projet de libération s’est absenté. La culture n’est plus ce dont il s’agit de se délivrer comme sphère séparée, en tant que cette délivrance est la promesse d’une trans- figuration du quotidien ; elle est le seul espace vers lequel nous sommes encore capables de ranger nos éventuels désirs d’immortalité.

    Deleuze en a donné la philosophie ad hoc : s’il s’agit de dégager l’événement des états de choses, ce dégagement ne peut avoir lieu que sur le « plan de consistance » qui est celui des œuvres — et celles-ci sont irrémédiablement singulières. Toute l’« ontologie » deleuzienne peut être lue comme une spéculation, ou plutôt une exaltation spécu- lative de ce qu’est l’état de la culture après la fin du mouvement révolutionnaire. Boris Groys l’a complétée en en dévoilant la facette non- spéculative : il n’y a de singularité que culturelle, c’est-à-dire répertoriable sur le marché de la culture, et identifiée au nom propre qui est censé la résumer. Nous ne demandons plus aux œuvres de nous promettre quoi que ce soit, si ce n’est de subsister par elles-mêmes, en tant qu’œuvres, en leur irréductible disparité, au sein de cet espace qui leur permet de s’exposer, et qui s’accommode si bien avec le capital qu’il en est devenu l’un de ses secteurs les plus proprement productifs.

    Les deleuziens, eux, ne sont donc pas mélancoliques. Et s’il en est ainsi, c’est qu’ils ont réussi à faire un deuil. De quoi ont-ils fait le deuil ? Pas seulement de l’ancien mouvement révolutionnaire et de ses visées proprement politiques. Mais aussi, plus profondément, des espérances qui les accompagnaient, qui concernaient justement ce qu’on pourrait appeler : la vie ordinaire. On n’a cessé d’opposer, tout au long du siècle passé, deux formes de politique révolutionnaire : l’une attachée à la mise au jour des rapports de classes, avec pour visée une abolition de l’exploitation ; l’autre avant tout centrée sur l’analyse critique de la vie quotidienne et des formes d’aliénation ou de mutilation qui s’y révèlent. En réalité, ces deux politiques ont toujours cheminé de concert — ou auraient dû. Elles ne se sont opposées qu’en raison de rigidités éthiques contingentes ; elles ne s’opposent encore aujourd’hui que dans les dogmes figés des leaders soucieux de marquer leur singularité, à l’image de n’importe quel artiste-penseur contemporain — comme si la logique de l’économie culturelle, aujourd’hui plus que jamais, contaminait les micro-espaces de la politique radicale. Mais qui ne voit que l’éradication de l’exploitation ne peut que signifier également une transformation des relations entre les êtres, une transformation qui ne saurait avoir d’autre lieu que la vie ordinaire.

    En quoi pourrait ou aurait pu consister une telle transformation ? Peut-être en ceci que la mélancolie n’aurait pas été vouée à avoir sempi- ternellement le dernier mot dans les affaires humaines, même pour les êtres lucides. Le mélancolique sait que la lumière qui se dégage des relations humaines est une fausse lumière. Disons alors que guérir de la mélancolie ne peut que signifier : trouver une confiance nouvelle en ce que peut être cette lumière. Il sera question d’éclipse dans l’un des textes de ce recueil. On appelle « quatrième contact » le moment où le disque solaire se détache du disque lunaire, à la fin d’une éclipse solaire. Ce serait peut-être l’image adéquate de cette guérison.

    Mais précisons un peu ce que pointe l’idée d’un savoir mélanco- lique. J’entends par là, et c’est au moins un point sur lequel s’accordent les plus désabusés des psychanalystes et les plus exaltés des « spino- zistes » : le savoir qu’il y aurait d’une distance infranchissable entre les êtres. Comme on le voit, on peut en tirer des conclusions diverses : d’un côté la nécessité d’admettre la castration pour échapper à la névrose ; de l’autre une matière à jubilation monadologique — même si cette jubilation, réservée aux seuls espaces de « création », peut s’accorder sans trop de mal et en dépit d’un apparent paradoxe avec une vision fonda- mentalement célinienne de la vie. Dans les deux cas, et contrairement à ce que veulent nous faire croire les lectures les plus superficielles de Deleuze, l’accord essentiel porte sur ce point : il n’y a pas de relations réelles.

    Par relations réelles, et en supposant que celles-ci existent, il faut entendre deux choses : d’une part que les êtres, même s’ils se font parlants, ne sont pas condamnés à vérifier qu’il ne peuvent communi- quer — c’est-à-dire littéralement, mettre en commun ce qu’ils ont à dire, à faire, à sentir. D’autre part, que ces relations ne sont pas imaginaires, comme pourraient l’être les projections que chaque entité monadique fait sur chaque autre. Les relations sont tout aussi réelles, exactement aussi réelles, que les termes qu’elles relient : elles sont, disait Simondon, « au même niveau de réalité » que ces derniers. Et la réalité ne renvoie pas au tissu imaginaire des représentations censées nous permettre l’éli- sion de la coupure du réel ; elle ne renvoie pas non plus au tissu des opinions censé nous protéger du « chaos » ; elle renvoie au lieu où se tiennent l’existence et les actes qu’elle appelle.

    Cette dramatisation de l’existence a une histoire, ou plutôt, pour tout lecteur un peu informé, elle fait partie de l’histoire des idées : c’est le nom propre Kierkegaard qui y est le plus spontanément associé. Mais Kierkegaard, et tout l’existentialisme qui en est issu avec plus ou moins de bonheur, représente aussi la pensée qui reste prise dans la tournure dialectique, obnubilée par ce avec quoi elle polémique — à savoir la dialectique spéculative de Hegel, qui est exactement ce avec quoi la philosophie du siècle dernier est censée en avoir fini. Pour Deleuze, le mouvement de la différence pensée « en elle-même » n’a pas vocation à se laisser enfermer dans la logique du négatif, qu’expose avec tant de puissance l’œuvre hégélienne : il est au contraire ce qui permet le dégagement d’une pensée résolument anti-dialectique, et par là même avant tout « affirmative ». Mais cette opposition entre la positivité de la différence non-dialectisable et la négativité dans quoi resterait enfermée la pensée dialectique procède d’un mauvais diagnostic. Elle ne fait que généraliser à toute pensée de la dialectique l’erreur qui aura été celle de la pensée critique, à savoir : avoir fait usage de la dialectique pour conce- voir l’antagonisme politique, et avoir en revanche évacué toute mise au jour d’un travail dialectique dans l’approche du subjectif.

    Au lieu de corriger Hegel en généralisant la négativité, c’est-à- dire en reprenant le schème de la négativité dialectique-spéculative et en défaisant partout la possibilité jugée lénifiante de la réconciliation, il aurait fallu faire deux opérations allant en sens inverse. Premièrement, radicaliser la négativité révolutionnaire en posant la séparation au-delà de toute synthèse, réconciliation ou composition des contraires, comme l’a fait notamment l’école opéraïste italienne. Car la négativité n’est pas dialectique, elle est antagonique et échappe à tout « travail ». Elle n’est pensable que depuis les actes révolutionnaires, l’affrontement des deux camps et les stratégies mises en œuvre pour prendre l’avantage dans cet affrontement. Deuxièmement, reprendre ce que la « synthèse » hégé- lienne pouvait indiquer — une certaine puissance de la réconciliation, ou du maintien coûte que coûte de la co-existence, de l’être-ensemble des « termes » supposés incompatibles. Ce que Hegel cherchait dans l’expli- citation de la méthode dialectique, c’était la possibilité de concevoir la réalité de la relation, sous la forme d’une inhérence réciproque des êtres.

    On dira peut-être que ce que Hegel a permis de concevoir, c’est bien plutôt une inhérence réciproque des consciences (exemplairement dans la dialectique du maître et du serviteur) ; et qu’aujourd’hui il n’y a pas de meilleure illustration d’une telle dialectique que celle que les sociologues s’amusent à formaliser sous le motif de la « récursivité ». Ce formalisme suppose que toute relation est réductible à une « inte- raction » qui place le locuteur X devant la nécessité non seulement de deviner ce que pense son interlocuteur Y, non seulement de prendre en compte que Y cherche à deviner ce que pense X, mais plus encore de se comporter lui-même en sachant que Y cherche à deviner ce que X a lui-même deviné des intentions de son alter ego. On parle ici de récursivité dans la mesure où X intègre dans son comportement le fait même que le comportement d’un être parlant est susceptible de cacher quelque chose, qu’il appelle ainsi l’autre à deviner ce qui est éventuelle- ment caché « derrière », et qu’il doit tenir compte de cette tentative pour construire sa propre stratégie relationnelle. On a ici le modèle minimal de ce qui pourrait apparaître comme une réflexivité exacerbée, une sorte d’auto-surveillance généralisée, qui correspond en son fond à la percep- tion mélancolique du : tout est déjà jugé. Lorsqu’on n’est pas intégrale- ment livré à cette perception (à sa vérité, pourrait-on dire), il s’agit alors seulement de s’en tirer sans montrer ses faiblesses, et d’essayer quelques coups qui pourront apporter un minimum de bénéfices.

    C’est effectivement le noyau dur de toute interaction sociale, censée être effective partout, à tout moment. La question est alors de savoir si toute relation se réduit à une interaction. S’il existe bien un au-delà de l’interaction — ce qui semble être un postulat théorique, mais que conforte la plus ordinaire des expériences — alors celui-ci peut être approché, dans la figure de la consistance d’une relation trans- individuelle (il est essentiellement question de cette dernière dans les pages qui vont suivre), comme un travail dialectique.

    La dialectique est attachée à la possibilité de penser l’inhérence mutuelle réelle des êtres parlants, qui semblaient voués, du fait même de leur capacité ambiguë à la parole, à ne jamais pouvoir réellement savoir ce que pouvait signifier : être ensemble. Elle renvoie donc à la relation réelle qui s’inscrit entre des individus, si ceux-ci ne désignent pas des entités closes sur elles-mêmes (ou sur leur propre multiplicité, comme les « monades ouvertes » du deleuzisme), mais des êtres qui sont chaque fois plus qu’un. Qu’il y ait une relation réelle entre des individus, une relation proprement transindividuelle, signifie avant tout ceci : il y a de l’inséparé 1.

    Mais qu’il y ait de l’inséparé ne signifie pas que la séparation soit un mirage, ou une contingence, ou l’effet d’une aliénation spéculaire ou spectaculaire. La séparation renvoie à l’irréductible de la division. Le travail dialectique est proprement le travail de la division, qui mobilise par définition une forme du deux. Il ne conduit pas au dépassement du deux dans un trois : il maintient le deux, en y révélant ce qui, du fait de ce deux, s’inscrit en chaque un. Mais même s’il est vrai que le deux de la division n’a pas vocation à se dépasser dans un trois, il est vrai également que pour le dialecticien il ne peut y avoir deux sans qu’il y ait immédia- tement trois (même si les bons commentateurs de Hegel ont noté que le schème dialectique n’était pas ternaire, mais binaire-quaternaire). On entend généralement ce point de façon triviale : aux termes, s’ajoute la relation. Ce n’est pas faux, mais pas non plus tout à fait exact. Il faudrait plutôt dire : aux deux termes s’ajoute le commun des deux. C’est ce commun que nomme l’inséparé. Le travail dialectique n’est donc pas l’abolition de la séparation en vue d’un avènement de l’inséparé, mais la mise en œuvre des conditions par lesquelles le séparé et l’inséparé — en tant qu’ils se disent du même « objet » — peuvent être tenus ensemble. Autrement dit, le travail dialectique est ce qui permet l’inséparation du séparé et de l’inséparé.

    C’est du moins à une telle approche que se tiennent, sous des angles différents, les trois textes du présent recueil. La dialectique, disait Hegel, est à la fois une méthode de pensée et l’objet de cette méthode, ou plutôt elle est la méthode qui ne peut laisser son objet à l’extérieur d’elle-même. Il y a sans doute plusieurs manières d’entendre cette exigence. Hegel a résolument choisi la voie spéculative, qui a pour défaut d’attribuer à la pensée des puissances de résolution qu’elle n’a pas. Mais il existe un espace entre le spéculatif, qui est la tenta- tion philosophique à laquelle il est nécessaire de résister, et ce qui, entre Wittgenstein et Foucault ou Rancière, me semble constituer « l’objet » propre de la philosophie : l’analyse des discours de vérité. C’est un tel espace intermédiaire qui situe selon moi le lieu de la dialectique.

    Je voudrais, pour achever ce parcours introductif, préciser davan- tage de quelle manière il faut comprendre ici la convocation du deux de la division, et par là même le travail dialectique qui s’y rattache. Je prendrai l’exemple de la communauté amoureuse. L’inséparé, c’est ce qui, en elle, correspond à l’élément proprement indestructible. Son exis- tence n’enlève rien au fait de la séparation, qui marque l’irréductible du non-un. Il ne se réduit pas pour autant au fantasme de la « fusion ». L’inséparé, c’est le réel de la relation portée par chaque un. Il peut se révéler à l’occasion d’une rupture. Alors, ce qui se déchire, ce n’est pas l’inséparé, mais ce qui tenait ensemble le séparé et l’inséparé — l’insé- paration qu’il y avait entre eux. Autrement dit, si les conditions de la rupture ne permettent pas de maintenir d’une manière ou d’une autre cette inséparation, alors l’inséparé, qui ne peut être détruit, est logé quelque part dans un lieu inaccessible du sujet, et s’y trouve enfermé comme dans une crypte.

    J’ai parlé ici de la dualité amoureuse, qui comporte une mise en travail de la division — par exemple, celle qui disjoint les positions sexuées femme et homme. Mais c’est toute communauté qui existe en fonction d’un semblable travail, et en particulier toute communauté politique, quelle que soit l’extension donnée à cette dernière. Le deux ne renvoie pas nécessairement au nombre d’entités en présence, mais toujours en tout cas à une mise en travail du divisé. Chaque communauté se soucie de préserver la part d’inséparé qui transite par ses membres, mais s’expose en même temps à ce qui peut déchirer leur être ensemble. On peut dire de chacune, en ce sens, ce que Nicole Loraux dit de la cité athénienne 2. Le conflit qui est susceptible d’y être traité, c’est celui qui n’aboutit pas à l’antagonisme — même s’il ne peut que rouvrir en permanence la possibilité de l’antagonisme. Le conflit démocratique tel que l’analyse Loraux est à la fois la conjuration et la convocation de la stasis. La division hante la cité grecque, mais ce spectre, ce refoulé, n’est pas une simple persistance négative : il est bien plutôt le secret de la vraie richesse de l’invention politique grecque. S’il peut y avoir une collectivité démocratique, c’est dans la mesure où celle-ci est toujours exposée à la division, et sa cohésion est maintenue par ce risque même. La division est elle-même un lien, parmi les plus intenses de tous les liens 3. Il faut alors seulement prendre garde de bien distinguer le travail de la division au sein de la communauté politique et le travail de l’anta- gonisme qui se rapporte à l’existence de l’ennemi. Car l’antagonisme politique se reconnaît précisément à ceci que les termes mis en rapport n’ont entre eux rien de commun en tant qu’ennemis. Ce qui veut dire qu’il y a entre eux une séparation pure. L’impossibilité de les dialectiser procède du constat de cette séparation.

    Mais la question de la division ne se pose pas seulement au niveau de la communauté, amoureuse ou politique. Ce n’est certes pas par métaphore que nous pouvons parler de la division subjective. Reconduite à son principe élémentaire, elle renvoie au hiatus qui maintient irréductiblement séparées la pensée et l’existence. De l’une à l’autre, nous dit Kierkegaard, il y a un saut. Mais ce saut implique deux choses : qu’il y ait des actes, sans lesquels le rapport dans le non-rapport ne se fait pas ; et qu’il y ait une idée, issue d’un discours de vérité qui les éclaire. Ou plus exactement : qu’il y ait une idée, en tant qu’elle n’est rien d’autre, en tant que telle, que le passage à l’acte lui-même. Il n’y a d’idée politique, par exemple, que là où sont portés des actes qui s’imposent à ceux qui n’en voulaient pas. On pourrait dire alors que l’idée a, au niveau de la division subjective, la fonction de l’inséparé.

    Mais l’idée n’est pas donnée une fois pour toutes. Les existenti- alistes avaient du moins raison d’insister sur ce point : un acte isolé est sans valeur. Ce qui signifie : avec la possibilité de l’isolement, l’existence revient — et avec elle la séparation. Comment alors tenir inséparées l’idée et l’existence ? Restons dans le vocabulaire de Kierkegaard : l’idée n’existe que si sa reprise est possible, c’est-à-dire si l’acte qui l’accom- pagne est à nouveau reconduit. Mais qu’il y ait reprise de l’idée, ou reconduction de l’acte, signifie que le sujet ne reste pas seul. Un acte isolé n’existe pas plus qu’un sujet esseulé. Il n’y a de sujet que là où a lieu un partage de l’acte. C’est seulement là où existe un tel partage que l’idée peut être maintenue dans l’existence.

    #livre #antagonisme #transindividuel #communisme