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  • Surveillance des frères Kouachi : autopsie d’un échec

    http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/article/2016/02/27/surveillance-des-freres-kouachi-autopsie-d-un-echec_4872725_4809495.html

    Chaque nouvel attentat souligne les défaillances des services de renseignement et fournit l’occasion d’octroyer plus de moyens à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI, ex-DCRI). La réflexion sur l’organisation du renseignement français, elle, est sans cesse repoussée.

    A la mi-novembre 2015, quarante et une notes de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) – devenue la DGSI en mai 2014 – sur les frères Kouachi et Amedy Coulibaly ont été déclassifiées à la demande de la justice, comme l’a révélé Le Monde le 4 janvier. Leur examen retrace de manière très précise le travail effectué entre 2010 et 2013 sur les futurs auteurs des attentats de janvier 2015. Il permet surtout de mieux cerner la nature des failles dans ce dossier.

    Premier enseignement : la DCRI n’a pas manqué de moyens. Ecoutes téléphoniques, consultations Internet, analyse de fadettes, surveillance physique, renseignement humain… L’abondance des données collectées sur les frères Kouachi entre 2010 et 2013 confirme que ces deux « objectifs » ont fait l’objet d’un travail sérieux en raison de leur connexion établie avec « la mouvance terroriste ».

    La défaillance se situe ailleurs, dans l’analyse qui a été faite de ces informations. Après deux ans d’écoutes, la DCRI met un terme au suivi des frères Kouachi au motif qu’il n’a pas permis de « détecter d’éléments relatifs à la préparation d’une action violente » ni « de matérialiser des éléments permettant l’ouverture d’une enquête judiciaire ». (...)

    Début 2010 : la maison du Cantal

    Déjà condamné à trente-six mois d’emprisonnement en 2008 pour sa participation à la filière irakienne dite des « Buttes-Chaumont », Chérif Kouachi réapparaît incidemment dans le viseur des services début 2010. Les policiers sont alors occupés à surveiller Djamel Beghal, condamné pour un projet d’attentat à Paris en 2005 et assigné à résidence à Murat, dans le Cantal, depuis sa sortie de prison. Ils constatent que deux hommes lui rendent de fréquentes visites : Amedy Coulibaly et Chérif Kouachi.

    Cette surveillance va contribuer à mettre au jour un projet élaboré à Murat visant à faire évader Smaïn Aït Ali Belkacem, condamné à perpétuité pour l’attentat à la station RER Musée-d’Orsay en 1995. Le 18 mai 2010, la Sous-direction antiterroriste (SDAT) interpelle onze personnes, dont Amedy Coulibaly, sa compagne Hayat Boumeddiene et Chérif Kouachi. Amedy Coulibaly écopera en 2013 de cinq ans de prison dans ce dossier, Chérif Kouachi bénéficiant d’un non-lieu.
    Au lendemain des attentats de janvier 2015, la DGSI avait fait savoir qu’Amedy Coulibaly n’était pas connu des services pour ses liens avec la mouvance terroriste. Sur le plan judiciaire, c’est exact : la qualification « terroriste » n’avait pas été retenue lors de son procès.

    Du point de vue du renseignement, cette affirmation est fausse. Le 15 mars 2010, Amedy Coulibaly a fait l’objet d’une demande d’information de la SDAT à la DCRI « concernant des individus liés à la mouvance islamiste radicale ». Le 29 mars, la ligne téléphonique de son épouse, Hayat Boumeddiene, a été placée sur écoutes, les enquêteurs soupçonnant Amedy Coulibaly et Chérif Kouachi de l’utiliser. La DCRI écrivait alors à propos de la jeune femme : « Elle évolue incontestablement dans la mouvance islamiste radicale et mérite de retenir l’attention de nos services. » Les principaux acteurs des attentats de janvier 2015 étaient tous dans le viseur de la DCRI depuis 2010.

    Eté 2011 : le voyage au Yémen

    C’est pourtant un renseignement étranger qui va conduire la DCRI à s’intéresser de nouveau aux frères Kouachi. Fin 2011, les Etats-Unis informent la France que Saïd Kouachi s’est rendu durant l’été 2011 à Oman, près de la frontière yéménite, en compagnie de Salim Bengale , qui combattra par la suite dans les rangs de l’organisation Etat islamique. Les deux hommes auraient profité de ce séjour pour rejoindre Peter Chérif , un ancien des « Buttes-Chaumont » qui a combattu en Irak avant de rallier Al- Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) au Yémen.

    Les services découvrent rapidement que Chérif Kouachi a correspondu par mail avec Peter Chérif depuis un café Internet de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) dans les mois précédant ce voyage. Ils ne comprendront que bien plus tard que c’est vraisemblablement Chérif Kouachi, et non Saïd, qui s’est rendu au Yémen cet été-là avec le passeport de son frère – qui s’y trouvait sans doute déjà –, afin de contourner son contrôle judiciaire.
    C’est là le premier ratage des services : comment un djihadiste déjà condamné pour terrorisme et mis en examen dans un autre dossier est-il parvenu à rejoindre les rangs d’AQPA sans que personne, en dehors des Américains, ne s’en aperçoive ?

    21 décembre 2011 : les frères Kouachi sur écoutes

    Chérif Kouachi – qui apparaît pour la troisième fois dans le viseur des services – sera placé sur écoutes par la DCRI pendant deux ans, de décembre 2011 à décembre 2013. Il fera durant cette période l’objet de surveillances physiques « ponctuelles mais régulières ». Saïd Kouachi sera, lui, « branché » par la DCRI à deux reprises, durant huit mois en 2012 et deux mois en 2013. Il fera également l’objet d’une dernière écoute mise en place par la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) entre février et juin 2014.
    Les services constatent que la surveillance technique des frères est rendue « très difficile » par le fait qu’ils cherchent à « cacher » leurs échanges, ont « en leur possession une très grande quantité de puces téléphoniques », dont ils changent « généralement au bout d’un jour ou deux ». Un luxe de précautions susceptible d’éveiller quelques soupçons.

    8 février 2012 : la surveillance physique

    Le 8 février, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Chérif Kouachi est aperçu à bord d’une voiture en compagnie de Slimane Khalfaoui et de Nicolas Belloni, tous deux condamnés pour un projet d’attentat à l’explosif visant la cathédrale de Strasbourg et le marché de Noël en décembre 2000. La DCRI commence à découvrir que l’aîné de la fratrie fréquente presque exclusivement des individus connus de sa documentation spécialisée.

    Mars 2012 : les consultations Internet de Chérif Kouachi

    Le 13 mars, Chérif Kouachi est licencié pour avoir refusé de saluer sa directrice. Il consulte régulièrement des sites Internet ayant trait au djihad. « Son intérêt porté à la recherche d’un aéroport et d’une zone désertique au Yémen confirme son profil de candidat potentiel au djihad, ou pourrait donner une indication sur la région dans laquelle pourrait se trouver actuellement Peter Chérif », note la DCRI.

    11 avril 2012 : un objectif « prioritaire »

    Alors qu’il est toujours mis en examen dans le dossier du projet d’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, Chérif Kouachi est en relation avec deux anciens des « Buttes-Chaumont » : Mohamed El Ayouni et Thamer Bouchnak. Il continue surtout d’être un des principaux contacts téléphoniques de Peter Chérif, soupçonné « d’organiser, depuis le Yémen, une filière d’acheminement de djihadistes ».
    Les services soupçonnent alors les frères Kouachi d’animer cette filière et de préparer un deuxième voyage au Yémen, après celui de l’été 2011. « Kouachi Chérif est incontestablement un islamiste radical qui évolue toujours actuellement dans la mouvance terroriste, conclut une note de la DCRI. Il demeure l’un des objectifs prioritaires du service. »

    1er juin 2012 : Fritz-Joly Joachin, l’« associé »

    Les services s’intéressent à un certain Fritz-Joly Joachin, qu’ils soupçonnent d’être l’« associé » de Chérif Kouachi dans « un possible commerce (dont la nature reste à déterminer) avec la Chine ». Fritz-Joly Joachin est apparu en 2010 dans une enquête sur une filière djihadiste afghane. Il sera interpellé en Bulgarie quelques jours avant l’attaque visant Charlie Hebdo, tandis qu’il tentait de gagner la Turquie. Il a depuis été mis en examen dans l’enquête sur les attentats de janvier 2015.

    6 juin 2013 : trafic de contrefaçons

    Les enquêteurs y voient plus clair sur le commerce dans lequel sont associés les deux hommes : il s’agit d’un trafic de vêtements de contrefaçon, dont « le service soupçonne » qu’il « constitue un soutien financier à la mouvance terroriste ». Le 6 juin, les policiers photographient Chérif Kouachi, coiffé d’un casque de scooter, revendant des vestes Ralph Lauren à un client.

    Au lendemain des attentats de janvier 2015, la DGSI avait justifié l’interruption de la surveillance de Chérif Kouachi par le fait qu’il était entièrement absorbé par ce commerce et semblait s’être
    « éloigné de tout engagement radical ». Un argument mis à mal par les soupçons évoqués dans plusieurs notes sur la vocation réelle de ce trafic de contrefaçons, connu des spécialistes pour être un mode de financement historique du terrorisme.

    6 juin 2013 : le garage de Rabah

    La thématique des « petits commerces » du djihad prend corps. La surveillance physique du 6 juin permet de constater que Chérif Kouachi se rend dans un garage d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Ce commerce « ne figurant pas parmi les professionnels de l’automobile les plus proches du domicile de Kouachi, il était décidé de procéder à des investigations complémentaires ». Les policiers découvrent que son gérant, Rabah Boukaouma, a été interpellé puis relâché faute de preuves lors du démantèlement en 2005 du réseau Chérifi, dont onze membres ont été condamnés en 2011 pour un projet d’attentat contre la DST, ancêtre de la DGSI.

    « Le service s’interroge sur une implication éventuelle du commerce de Boukaouma Rabah dans un soutien à la cause terroriste. (...) Il est peu probable que la nature des relations mises à jour entre Kouachi et ce professionnel de l’automobile soit exclusivement d’ordre professionnel », note fort justement la DCRI. Rabat Boukaouma a depuis été mis en examen dans un tout autre dossier : le projet d’attentat visant une église de Villejuif en avril 2015.

    11 juin 2013 : contacts avec Amedy Coulibaly

    Les services constatent que Chérif Kouachi ne respecte pas les obligations de son contrôle judiciaire, à savoir le pointage une fois par semaine au commissariat de Gennevilliers. Plus inquiétant, alors qu’il a interdiction d’entrer en contact avec Amedy Coulibaly, mis en examen dans le même dossier, il échange régulièrement avec la ligne de sa compagne, Hayat Boumeddiene, qui sert de relais téléphonique entre les deux hommes. La répétition de ce subterfuge, déjà constaté en 2010, aurait pu alerter les services.

    Juin 2014 : fin de la surveillance de Saïd Kouachi

    Malgré ces contacts interdits, la surveillance technique de Chérif Kouachi prend fin en décembre 2013, celle de son frère en juin 2014. Amédy Coulibaly, lui, ne sera jamais « branché ». Un suivi prolongé et élargi à leur entourage aurait sans doute permis à la DGSI de s’alarmer des quelque 500 appels passés entre les téléphones de Hayat Boumeddiene et de l’épouse de Chérif Kouachi au cours de l’année 2014, dans les mois qui ont précédé les attentats de janvier 2015.

    Janvier 2015 : la revendication des attentats

    Le 7 janvier, les frères Kouachi tuent douze personnes dans les locaux de Charlie Hebdo. Ils se réclament durant leur cavale d’AQPA, la cellule d’Al-Qaida au Yémen où ils avaient rejoint, à l’été 2011, Peter Chérif. Le 9 janvier, Amedy Coulibaly tue quatre personnes dans l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Il revendique son geste dans une vidéo au nom de l’organisation Etat islamique, un groupe qu’a rejoint en 2013 le compagnon de route des Kouachi au Yémen, Salim Bengale.

    Hayat Boumeddiene s’est enfuie en Syrie quelques jours avant les attaques, tout comme a tenté de le faire Fritz-Joly Joachin, l’« associé » de Chérif Kouachi. Aucune surveillance des frères Kouachi n’avait « permis de détecter d’activités relatives à la préparation d’une action violente », insiste la DGSI. Les relations entre les futurs acteurs des attentats de janvier 2015, et leur engagement dans la mouvance djihadiste, elles, étaient parfaitement documentées.

  • L’ART DE LA GUERRE, Lundi matin
    http://lundi.am/spip.php?article25

    Alors qu’il est retranché dans une imprimerie avec son frère, Cherif Kouachi s’entretient avec des journalistes de BFMTV. Toute l’élite de la police française les assiège et on imagine qu’ils ne se font pas beaucoup d’illusions quant à l’issue de la bataille. D’une voix calme, il paraît cependant soucieux de donner un sens à leur massacre de la veille ainsi qu’un cadre éthique et historique à ce que chacun souhaiterait interpréter comme du nihilisme. À la fin du passage diffusé plus tard par BFMTV, Cherif Kouachi précise qu’il a été financé et envoyé par un certain Anwar Al-Awlaki. Ce nom est bien connu de ceux qui se sont intéressés à la lutte contre le terrorisme de ces dernières années. Le livre « Dirty Wars : Le nouvel art de la guerre » écrit par le journaliste américain Jeremy Scahill lui consacre tout un chapitre. Cet article s’appuie essentiellement sur ces recherches publiées aux Etats-Unis en 2013