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  • Bruxelles contre l’Europe Christian Rioux - 8 Février 2019 - Le Devoir
    https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/547418/bruxelles-contre-l-europe

    Faut-il y voir un nouvel exemple du déclin de l’Europe ? Mercredi, la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, a annoncé qu’elle imposerait son veto à la fusion des entreprises Alstom et Siemens. Selon Bruxelles, la fusion des géants français et allemand du chemin de fer, pourtant souhaitée par les deux pays, enfreint les règles de la concurrence européenne. C’est ainsi que Bruxelles vient d’immoler sur l’autel du sacro-saint marché libre la possibilité de créer un géant européen du chemin de fer, et cela, alors même que le mastodonte chinois CRRC est déjà numéro un mondial.

    Pourtant, faites le test. Demandez à n’importe qui de nommer la plus grande réalisation de l’Europe depuis 50 ans et il y a fort à parier que surgira le nom d’Airbus. Mais ce qui était possible dans l’Europe de de Gaulle et de Willy Brandt pour contrer l’Américain Boeing ne l’est plus aujourd’hui. Avec pour résultat que l’Europe ne compte pratiquement aucun géant dans des domaines aussi importants que le nucléaire, la téléphonie, l’Internet et le numérique.

    De là à conclure qu’en passant du Marché commun à la monnaie unique, le continent a fabriqué son propre déclin, il n’y a qu’un pas. C’est la thèse que défend brillamment le livre de l’économiste Ashoka Mody intitulé Eurotragedy (Oxford University Press). Ancien du FMI et de la Banque mondiale, Mody ne flirte ni avec le Rassemblement national, en France, ni avec Syriza, en Grèce. Son livre a d’ailleurs remporté le prestigieux prix du Livre économique de l’année décerné par l’Association des éditeurs américains.

    Dans ces 600 pages, l’économiste de Princeton raconte une tragédie qui, depuis vingt ans, mène l’Europe de déboires en déboires. Selon lui, non seulement la monnaie unique fut une erreur magistrale, mais depuis, l’Europe s’est enfermée dans une véritable « bulle cognitive » qui ne fait qu’aggraver son erreur et la rend sourde à ce que disent les peuples et la réalité économique.

    Les esprits les plus éclairés avaient pourtant tiré la sonnette d’alarme. Trente ans avant la crise grecque, Nicholas Kaldor, de l’Université de Cambridge, avait mis en garde les Européens contre un projet qui, en obligeant les pays les plus riches à soutenir les plus pauvres, diviserait profondément les vieilles nations européennes. Car il a toujours été clair que jamais l’Allemagne n’accepterait la moindre forme de péréquation, une condition pourtant indissociable de toute union monétaire.

    Bien avant la monnaie unique, le « serpent monétaire européen » et le Mécanisme européen des taux de change avaient montré l’impossibilité d’imposer une discipline monétaire commune à des pays aussi différents, explique Mody. Mais l’idéologie ne s’embarrasse ni du réel ni des peuples et de leur histoire. Les résultats ne se feront pas attendre. Sitôt les taux de change devenus fixes, la France verra ses excédents commerciaux fondre au soleil. Avec le recul, on voit que Paris a été pris à son propre jeu, dit Mody, lui qui croyait harnacher ainsi l’étalon allemand. Non seulement l’économie allemande a-t-elle continué à dominer l’Europe, mais l’euro permet aujourd’hui à Berlin de dicter ses réformes économiques à la France.

    Parodiant Aristote, l’économiste se demande comment « des hommes et des femmes éminemment bons et justes » ont pu déclencher une telle tragédie « non par vice et dépravation », mais par « erreur et faiblesse ». Selon lui, l’euro fut d’abord et avant tout un choix idéologique défiant toutes les lois de l’économie et de la géopolitique. Dans un monde de taux flottants, les pays européens se privaient de cette souveraineté monétaire qui agit comme un « pare-chocs ». Les dévaluations permettent aux plus faibles de reprendre leur souffle, contrairement à ce que croyaient Pompidou et Giscard d’Estaing, qui y voyaient un objet de honte.

    En entrevue sur le site Atlantico, https://www.atlantico.fr/decryptage/3565100/-la-tragedie-de-l-euro-ou-l-incroyable-bulle-cognitive-dans-laquelle-l-eur l’économiste note que les électeurs qui avaient voté en France contre le traité de Maastricht (1992) ressemblent étrangement à ces gilets jaunes qui ont récemment occupé les ronds-points. C’est de cette époque que date, dit-il, le début de la rébellion d’une partie de la population contre l’Europe. « Au lieu d’entendre la voix du peuple et de colmater la fracture, les responsables européens ont décidé de l’ignorer. »

    Ashoka Mody n’est pas antieuropéen. Au contraire, il rêve même d’une « nouvelle république des lettres » fondée sur la diversité des peuples européens. Selon lui, l’idéologie du « toujours plus d’Europe » est en train de déconstruire l’extraordinaire réussite économique qui avait caractérisé le Marché commun. Le refus de fusionner Alstom et Siemens en fournit aujourd’hui la preuve par l’absurde. Même le « couple franco-allemand » s’en trouve ébranlé.

    Soit Bruxelles accepte de redonner leur souveraineté aux États membres, dit l’économiste, soit l’euro continuera à agir comme « une force de décélération économique ». Dans ce cas, l’optimisme n’est guère de mise. Chaque nouvelle crise « surviendra dans un contexte de vulnérabilité financière et économique encore plus grand ». Or, la prochaine pourrait bien « déchirer durablement le délicat tissu européen ».

    #Ashoka_Mody #économie #monaie #euro #monaie_unique #UE #union_européenne #marché_commun #déclin #Alstom #Siemens

    • #Ashoka_Mody est professeur de politique économique internationale à l’Ecole Woodrow Wilson de l’Université de Princeton. Il fut Directeur Adjoint du Fonds Monétaire International, et a également travaillé à la Banque Mondiale, et aux Laboratoires AT&T Bell. Ashoka Mody a conseillé des gouvernements pour des projets financiers et de politique de développement. Il est le lauréat du prix du livre économique de l’année 2018, de l’association des éditeurs américains pour son livre EuroTragedy A Drama in 9 acts (éditions OUP USA).

  • Les Filles du Roy (2) - Ni saintes ni guidounes Christian Rioux - 6 août 2013 - Le Devoir
    https://www.ledevoir.com/societe/384514/ni-saintes-ni-guidounes

    Il y a 350 ans, le premier contingent des Filles du Roy débarquait à Québec. Ces 800 filles qui arriveront en une décennie, à peine, marqueront de leur empreinte indélébile le destin du Québec. Voici le deuxième d’une série de trois articles retraçant leur périple.


     
    Paris — Le cinglant écrivain montréalais Mordecai Richler aimait raconter que la majorité des Québécois francophones étaient des descendants de filles de joie. Dans Oh Canada ! Requiem pour un pays divisé, il expliquait que les Filles du Roy étaient des prostituées envoyées de France pour combler l’insatiable appétit de soldats analphabètes. Le polémiste n’en était pas à sa première excentricité sur les Québécois (ainsi que sur les Juifs et quelques autres), mais il aura probablement été l’un des derniers à colporter avec autant de mauvaise foi un ragot qui remontait au XVIIe siècle.
     
    Il y a en effet trois siècles que le célèbre baron de Lahontan a donné une certaine crédibilité à cette rumeur. Dans ses Nouveaux voyages dans l’Amérique septentrionale, Lahontan raconte l’arrivée de « plusieurs vaisseaux chargez de filles de moyenne vertu, sous la direction de quelques vieilles Beguines […]. Ces Vestales étoient pour ainsi dire entassées les unes sur les autres en trois différentes sales, où les époux choisissoient leurs épouses de la manière que le boucher va choisir les moutons au milieu d’un troupeau. » Deux ans plus tard, dans une nouvelle édition des Voyages, le moine défroqué Nicolas Gueudeville réécrira une partie du texte en y mettant encore plus d’emphase et en qualifiant ces vaisseaux de « flote chargée d’Amasones de lit » et de « troupes femelles d’embarquement amoureux ».
     
    La littérature et les chansons de l’époque ne manquent pas non plus de scènes où l’on décrit le départ des « garces » et l’empressement des colons cupides à choisir qui la plus grasse, qui la plus belle, qui celle qui possédait les plus fortes hanches. D’où vient cette confusion ? Un siècle avant les Filles du Roy, Roberval était bien venu en Nouvelle-France avec d’anciens prisonniers. Mais l’expédition était repartie. Les Antilles fourniront aussi quelques exemples à ceux qui imaginent les colonies comme un repaire de forçats et de prostituées. L’hôpital de la Salpêtrière, d’où sont venues plus de 250 Filles du Roy, deviendra d’ailleurs une prison (la Maison de la Force) où l’on enfermera les prostituées. Mais seulement à partir de 1685.
     
    Des modèles de vertu ?
    Jusqu’à Mordecai Richler, de nombreux plumitifs entretiendront la légende. Il n’en fallait pas plus pour que, trois siècles durant, d’autres prennent l’exact contrepied et vantent l’exceptionnelle vertu de ces filles pratiquement élevées au rang de saintes.
     
    Pour Réal Ouellet qui a dirigé la publication des oeuvres de Lahontan, ces quelques phrases pleines d’ironie qui ont fait les choux gras des gardiens de la vertu doivent être replacées dans leur contexte. « Toute l’oeuvre de Lahontan est une critique de la colonisation française et de son autoritarisme. Lahontan critique la colonisation du début du XVIIIe siècle beaucoup plus que celle de l’époque des Filles du Roy. » L’époque de Lahontan est celle de la révocation de l’édit de Nantes et de la fin de la paix religieuse. C’est aussi celle du code noir appliqué aux esclaves des Antilles et d’un certain libertinage.
     
    Lahontan est un libre-penseur, un libertaire dit Ouellet. « Il critique sévèrement le mariage, fustige la continence sexuelle des religieux, mais prêche une sexualité tranquille. Il ne manifeste pas de sensibilité particulière à l’égard de la population de la Nouvelle-France. Ce qui l’intéresse, c’est la critique de la stratégie coloniale de la France vers 1690. »
     
    Au contraire de celle de Lahontan, l’époque des Filles du Roy fut celle de la réforme catholique et des sociétés de dévots comme la Compagnie du Saint-Sacrement, liée à la fondation de Montréal. Elles avaient pour mission de « bâtir Jérusalem au milieu de Babylone », disait Bossuet. D’ailleurs, l’ursuline Marie de l’Incarnation ne s’était-elle pas plainte qu’« il vient [en Nouvelle-France] beaucoup de canaille de l’un et de l’autre sexe, qui cause beaucoup de scandale » ?
     
    Le clergé va s’acharner sur Lahontan, dit Ouellet. « On en fait un épouvantail, un souffre-douleur. » Cette vision est d’ailleurs toujours présente dans l’acharnement de certains mettent encore à démontrer coûte que coûte l’irréductible vertu des Filles du Roy. L’historien Jean Blain a montré comment cet éloge de la vertu des Filles du Roy correspondait à « l’idéalisation progressive de la société coloniale » qui se développait à la fin du XIXe siècle. Dans son histoire de La vie libertine en Nouvelle-France, Robert-Lionel Séguin a aussi montré que la diversité des moeurs a toujours régné dans la colonie.
     
    Plus fertiles qu’en France
    Au fait, que sait-on de la « moralité » de ces aventurières ? Pas grand-chose, reconnaît le généalogiste Marcel Fournier. « Plusieurs étaient orphelines, mais les filles placées à la Salpêtrière avaient peut-être aussi “déshonoré” la famille. Ça ne serait pas impossible. » L’une d’elles, Catherine Guichelin venue de Laon, en Île-de-France, aura cinq enfants illégitimes de cinq pères différents.
     
    L’historien et démographe Yves Landry a cependant démontré que les quelque 800 Filles du Roy pouvaient difficilement être des prostituées. Parmi elles, on dénombre moins de 1 % de naissances hors mariage et seulement 5 % d’enfants conçus avant le mariage. « À l’époque, les prostituées étaient souvent stériles, dit-il. Or, les Filles du Roy sont plus fertiles et le sont plus longtemps que la moyenne des femmes de la métropole. » Comme les Filles du Roy jouissaient de meilleures conditions de vie et d’une meilleure alimentation une fois en Nouvelle-France, Landry soupçonne qu’elles avaient probablement une fréquence plus élevée de rapports sexuels.
     
    Certains romans à l’eau de rose, même récents, ont décrit des filles enchaînées qu’on envoyait au bagne. « Ce n’était pas le bagne, corrige Maud Sirois-Belle, auteure de plusieurs articles sur le sujet. On peut certes imaginer que certaines familles avaient mis des filles sur le bateau pour s’en débarrasser. Mais elles avaient le droit de revenir. » En 1667, une douzaine d’entre elles signent une réclamation et refusent carrément de partir parce que les promesses qu’on leur avait faites n’avaient pas été honorées. Des conscrites n’auraient pas agi ainsi.
     
    Et l’amour ?
    Les Filles du Roy se marient vite. Il leur faut quelques mois tout au plus pour trouver un bon parti. À l’époque, le mariage est plus affaire de dot que d’amour, dit le généalogiste Marcel Fournier. « La grande majorité sont parties de leur propre gré. Une fois en Nouvelle-France, elles avaient le gros bout du bâton et pouvaient signer un, deux ou trois contrats de mariage. » Le nombre de prétendants était tel que plusieurs Filles du Roy n’hésitèrent pas à changer de parti à la dernière minute. Les fréquentations étaient brèves. À Montréal, elles se déroulaient à la maison Saint-Gabriel, sous l’oeil de Marguerite Bourgeoys.
     
    Maud Sirois-Belle a retracé le parcours des deux Filles du Roy dont elle est la descendante : Marie Major et Anne Perreault. Lorsqu’elle eut entre les mains l’inventaire après décès de cette dernière, elle fut bouleversée. « J’étais fière, dit-elle, de descendre d’une femme de cette trempe qui avait donné naissance à dix enfants et refait sa vie dans une cabane de bois de l’île d’Orléans. C’était bouleversant. Ces femmes n’étaient ni saintes ni pouliches. Je crois qu’on peut dire qu’elles furent les mères de la nation. »

    #quebec #colonisation #deportation #femmes #histoire ?

  • D’abord un peu de contexte, #Christian_Rioux est "le" chroniqueur polémiste #réactionnaire du quotidien plutôt progressiste qu’est #Le_Devoir (#Montréal) au #Québec. Il est le correspondant de ce journal à Paris et publie régulièrement des textes qui font hérisser les poils et finissent par être ignorés.

    Quelques exemples :
    https://seenthis.net/messages/541493

    Il récidive cette semaine :

    La « diversité » ou la tarte à la crème
    Christian Rioux, Le Devoir, le 13 janvier 2017
    http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/489133/la-diversite-ou-la-tarte-a-la-creme

    Et suscite une salve de réponses :

    Christian Rioux critiqué pour une chronique glissante sur la diversité dans Le Devoir
    Le Huffington Post Québec, le 13 janvier 2017
    http://quebec.huffingtonpost.ca/2017/01/13/christian-rioux-diversite-critiques-_n_14148670.html

    Christian Rioux préfère le poisson blanc
    Félix L. Deslauriers, Ricochet, le 13 janvier 2017
    https://ricochet.media/fr/1616/christian-rioux-prefere-le-poisson-blanc

    L’odeur du poisson
    Aurélie Lanctôt, Le Devoir, le 14 janvier 2017
    http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/489172/l-odeur-du-poisson

    « Nous ne sommes pas des poissons » : 50 personnes répliquent à Christian Rioux
    Lettre ouverte, Ricochet, le 17 janvier 2017
    https://ricochet.media/fr/1618/nous-ne-sommes-pas-des-poissons-50-personnes-repliquent-a-christian-riou

    Christian Rioux : Portrait du chroniqueur en idéologue
    Marcos Ancelovici, Ricochet, le 18 janvier 2017
    https://ricochet.media/fr/1622/christian-rioux-portrait-du-chroniqueur-en-ideologue

    #racisme #stéréotypes #discrimination #amalgame #diversité #Canada

    En revanche, ceci n’a rien à voir :

    Mondialisation du poisson : du maquereau norvégien expédié de la Chine
    Ouest France, le 16 janvier 2017
    https://seenthis.net/messages/560921

  • Le Brexit bis Le Devoir - 11 novembre 2016 - Christian Rioux
    http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/484500/le-brexit-bis

    C’est Marx qui disait que, lorsque l’Histoire bégaie, elle produit d’abord une « tragédie » et ensuite une « farce » . Est-ce parce que j’avais vécu de près le Brexit que je n’ai pas été surpris outre mesure par l’élection de Donald Trump ? À moins de six mois d’intervalle, l’élection américaine nous aura donné l’impression étrange de revivre la même séquence historique. Dans la nuit du 23 juin et celle du 8 novembre, on retrouve en effet les mêmes ingrédients de base.
     
    Cinq mois plus tard, des quais de la Tamise aux rives de l’Hudson, ce sont la même colère et la même révolte populaires qui se sont exprimées dans les urnes. Ce sont pratiquement les mêmes couches paupérisées et déclassées qui ont fait irruption avec presque les mêmes mots, les mêmes débordements et les mêmes exubérances. Mais, le plus sidérant, c’est surtout de retrouver, à gauche et dans les médias, exactement le même aveuglement et la même cécité face à ce lent déplacement de plaques tectoniques, qui vient pourtant de provoquer une seconde éruption volcanique en moins de six mois.
     
    Quarante-huit heures avant le vote, il régnait à Washington la même assurance tranquille qu’à Londres en juin dernier. Bien sûr, on avait eu quelques sueurs froides durant cette campagne. Mais tout allait finalement rentrer dans l’ordre. Le peuple allait revenir à la raison, rentrer au bercail. Une fois les poursuites du FBI mises de côté, presque tous les sondages prévoyaient l’élection d’Hillary Clinton. Exactement comme ceux de Londres prévoyaient la reconduction du statu quo européen. À Wall Street, on sentait la même assurance béate que dans la City. Le chantage au cataclysme économique avait porté ses fruits. Trump et le Brexit n’étaient plus que de mauvais souvenirs. Le long fleuve tranquille reprendrait enfin son cours.
     
    Ceux qui tentent de faire de l’élection de mardi dernier une simple affaire de racisme et de misogynie se trompent royalement. Donald Trump a tout de même été élu avec le vote de 40 % des femmes et de plus du tiers des Latinos. S’il fallait en croire certains de nos analystes les moins subtils, l’Amérique serait même aujourd’hui dirigée par un « fasciste ». De grâce, revenons sur terre.
     
    Bien sûr qu’il y a eu des déclarations misogynes et xénophobes. Bien sûr que les outrances de Donald Trump dépassent celles de Nigel Farage. Mais, au-delà d’une véritable révolte contre la rectitude politique (qui accable les États-Unis plus que n’importe quel autre pays), ces excès n’expriment que la surface des choses et non pas le fond. Quel est-il, ce fond ? C’est la vérité toute simple que, après des années de mondialisation prétendument heureuse, nous découvrons soudainement que celle-ci fut beaucoup plus sauvage qu’on ne le croyait et qu’elle a fait des perdants. Et pas qu’un peu. Des perdants que personne ne voulait voir, tant nous obnubilaient le miracle technologique, les « bienfaits de l’immigration » , la société du spectacle et autres ubérisations du monde.

    Aujourd’hui, le réel reprend ses droits. Or quel est-il, ce réel ? Pendant que les bourgeois bohèmes des grandes villes, avec leurs écoles privées ou internationales, leurs nounous africaines et leurs gardiens d’immeuble marocains, se félicitaient de la « diversité » du monde, des restaurants ethniques, de leur dernier voyage à Marrakech et de leur nouveau gadget électronique fabriqué à Taïwan, la vieille classe moyenne, celle des anciens quartiers industriels dévastés et des banlieues décrépites où les écoles sont peuplées à 70 % d’immigrants, a crié son ras-le-bol. Ces « ploucs » ont décidé de mettre le poing sur la table, fatigués qu’ils étaient de se faire faire la morale par une gauche hors sol qui « considère le droit à des toilettes transgenres comme la grande cause morale de notre époque » , disait, en mai dernier, le politologue américain Walter Russel Mead. C’est le « consensus boomer » des 30 dernières années qui est remis en cause, écrit-il. Et, comme chaque fois que l’Histoire fait irruption sans prévenir, ce n’est pas beau, propre et poli. C’est même affreux, sale et méchant.
     
    L’échec d’Hillary Clinton n’est pas celui d’une femme, mais d’une gauche qui a troqué le peuple contre le clientélisme multiculturel. Un peuple qu’elle regarde de haut et qu’elle range dans « le panier des pitoyables » , pour reprendre les mots exacts de la candidate. Or on ne troque pas l’AFL-CIO contre les LGBT sans conséquences. L’addition des immigrants, des homosexuels, des musulmans, des noirs, des femmes et des queers ne fait pas un peuple. Cela fabrique plutôt des ghettos !
     
    Cette élection nous aura permis de découvrir une Amérique plus que jamais communautarisée et fractionnée en blocs ethniques, une Amérique cadenassée par la rectitude politique et aujourd’hui gouvernée par un démagogue. Et dire que c’est ce pays que l’on impose comme idéal au monde entier !
     
    En France, aujourd’hui, tous les regards se tournent évidemment vers la présidente du Front national, Marine Le Pen. Et cela, même si elle demeure un modèle d’élégance à côté de son vis-à-vis américain. Et chacun de se demander ce qu’il peut bien y avoir après le « drame » et la « farce ». Cela, Marx ne pouvait même pas l’imaginer…

    #Analyse #Brexit #Trump #Clinton #France #politique #Histoire

  • Plusieurs articles abordent la question du vocabulaire. Faut-il les appeler migrants, réfugiés, sans-papiers, demandeurs d’asile, exilés...? Les avis sont partagés

    « Migrant » ou « réfugié » : quelles différences ?
    Alexandre Pouchard, Le Monde, le 25 août 2015
    http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/08/25/migrant-ou-refugie-quelles-differences_4736541_4355770.html

    Le « migrant », nouveau visage de l’imaginaire français
    Sylvia Zappi, Le Monde, le 26 août 2015
    http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2015/08/26/le-migrant-nouveau-visage-de-l-imaginaire-francais_4737104_1654200.html

    « Migrants », « réfugiés » : sur le sujet sensible des migrations, le choix des mots n’est pas neutre
    AFP, le 27 août 2015
    https://www.45enord.ca/2015/08/migrants-refugies-sur-le-sujet-sensible-des-migrations-le-choix-des-mots-nes

    Ne dites plus « migrant »
    Jean Quatremer, Libération, le 4 septembre 2015
    http://www.liberation.fr/monde/2015/09/04/ne-dites-plus-migrant_1375999

    La distinction entre réfugiés et migrants économiques ne va pas de soi
    Céline Mouzon, Alter Eco, le 11 septembre 2015
    http://www.alterecoplus.fr/refugies/la-distinction-entre-refugies-et-migrants-economiques-ne-va-pas-de-soi-

    Le discours sur les réfugiés syriens : un analyseur
    Saïd Bouamama, le 11 septembre 2015
    https://bouamamas.wordpress.com/2015/09/14/le-discours-sur-les-refugies-syriens-un-analyseur

    "La distinction entre ’bons’ réfugiés et ’mauvais’ migrants n’est pas tenable"
    Laura Thouny, L’Obs, le 12 septembre 2015
    http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20150910.OBS5614/la-distinction-entre-bons-refugies-et-mauvais-migrants-n-est-pa

    Demandeurs d’asile ou sans-papiers ?
    Paris-Luttes Info, le 13 septembre 2015
    https://paris-luttes.info/demandeurs-d-asile-ou-sans-papiers-3761

    Pourquoi je n’userai pas du terme "réfugié"
    Paris-Luttes Info, le 15 septembre 2015
    https://paris-luttes.info/pourquoi-je-n-userai-pas-du-terme-3770

    Contre la logique du tri : pour un droit d’asile et au séjour, pour tous et toutes, maintenant !
    Solidaires, le 17 septembre 2015
    http://solidaires.org/article51763.html

    #migrants #réfugiés #sans-papiers #demandeurs_d_asile #exilés #Syrie #Guerre #Tragédie #Vocabulaire #Mots
    #recension

  • La « civilisation occidentale » et le lourd héritage du colonialisme | Entre les lignes entre les mots

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2015/01/10/la-civilisation-occidentale-et-le-lourd-herita

    La tuerie du 7 janvier à Paris restera dans la mémoire comme un acte criminel contre la liberté d’expression. Charb, Cabu et les autres animateurs de Charlie-Hebdo nous avaient pendant des années fait réfléchir avec leur humour décapant. Aujourd’hui que la droite et l’extrême-droite les sanctifient comme des victimes des ennemis de la « civilisation », ils doivent rire jaune quelque part dans les nuages du firmament, eux qui avaient dénoncé le colonialisme tellement prisés par les nostalgiques du colonialisme.

    Ces mêmes victimes se retourneraient également dans leur tombe en lisant Christian Rioux (Le Devoir, 9 janvier) qui lance un appel, au nom de Molière, à la défense de la « civilisation » française, pour ne pas dire « occidentale », menacée selon lui par l’islam radical. Il faut être vraiment malhonnête pour présenter la France comme le « royaume des libertés ». La France « moderne » est la fille de plusieurs centaines d’années de prédations coloniales, qui ont commencé avec le « triangle de la mort » imposé à l’Afrique et aux Amériques, dès le 17e siècle. Les régimes français y compris ceux qui sont apparus après la révolution de 1789 ont mis en esclavage des millions d’Africains. Ils ont perpétré des génocides oubliés dans les Amériques. Le capitalisme « moderne » a pris forme dans ces horribles plantations qui ont fait la fortune des marchands français. Par la suite au 19e siècle, la France s’est lancée dans d’autres épouvantables aventures coloniales, en Afrique du Nord notamment et au Vietnam, où des centaines de milliers de personnes ont été tuées, dépouillées, transformées en semi-esclaves. Dans ces pays, on se souvient encore de l’armée française qui prenait en otage les populations dans les zones dites rebelles pour les enfumer à mort. Rappelons aussi que l’État français pratiquait ces prédations au nom de la « civilisation » et du « progrès », pour sauver les colonisés de la « barbarie. Jusque dans les années 1960, la France coloniale a fait la pluie et le beau temps en dépit de l’opposition en France même, de la part de résistants dont Charlie-Hebdo ont été les héritiers.

  • Un peu de perspective et de recul sur le conflit social au Québec... de France, par un Québécois ! Éditorial du Devoir - vendredi 1er.

    Accès payant.

    http://www.ledevoir.com/chroniqueur/christian-rioux

    Mai 68 ?

    par Christian Rioux

    La nature a horreur du vide. C’est encore plus vrai lorsque l’actualité s’emballe et nous entraîne sur des terrains inconnus. Il est alors tentant de s’imaginer que l’Histoire repasse par des sentiers déjà balisés. Mais le parallèle est souvent trompeur.
    C’est ainsi qu’on a vu récemment des gauchistes se rejouer quelques scènes classiques de la lutte antifasciste. Les pauvres confondent la loi 78 et les lois de Nuremberg. J’exagère, évidemment. Dans ce registre, l’éditorialiste du journal Libération n’a pourtant pas hésité à comparer la loi 78 « à la panoplie d’une dictature style Biélorussie ou Azerbaïdjan ». Certes, les amendes sont salées et certains articles de la loi prêtent à l’arbitraire. Mais de là à comparer le Québec à ces pays où des journalistes de l’opposition se font assassiner, il y a une limite à ne pas franchir. Rappelons qu’à Paris, les organisateurs d’une manifestation sont tenus d’avertir la police par écrit, non pas huit heures, mais trois jours à l’avance !
    Il est tout aussi insidieux de comparer les mouvements étudiants actuels à ceux de Mai 68. Certes, la liesse qui se répand chaque soir dans les rues de Montréal ressemble à l’euphorie étudiante qui s’était emparée de Paris il y a 44 ans. Mais la comparaison s’arrête là. La pousser plus loin serait même une grave erreur. On peut penser ce que l’on veut de Mai 68, mais il s’agissait essentiellement d’un mouvement prêchant la liberté individuelle, la libéralisation des moeurs et une certaine anarchie douce. Le tout dans le contexte d’une société en pleine croissance issue de l’après-guerre. Il faut beaucoup d’ignorance pour s’imaginer que nous vivons encore dans une telle époque.
    Avez-vous entendu l’un ou l’autre des leaders étudiants affirmer qu’il était « interdit d’interdire », qu’il fallait « jouir sans entraves », que « le vieux monde était derrière nous », qu’il fallait « demander l’impossible » et que les élections étaient des « pièges à cons » ? Au contraire. Le mouvement étudiant québécois ne réclame pas plus de liberté individuelle, mais plus d’État. Il ne veut pas moins d’université, mais plus d’éducation. Il ne veut pas plus d’individualisme, mais plus de « nous ». Les plus radicaux – et ils sont rares – ne réclament que la gratuité, une utopie tellement extravagante qu’elle est jugée normale dans la majorité des pays d’Europe.
    La comparaison avec Mai 68 est dangereuse, car elle révèle une méprise complète sur le sens des événements récents qui n’ont rien d’un remake. Au contraire, les étudiants québécois sont en butte à une société où les idéaux de Mai 68 ont depuis longtemps triomphé. Et je ne connais pas de pays où ils règnent sans partage comme au Québec. Loin d’être les enfants gâtés que l’on décrit, les jeunes qui manifestent dans nos rues ont déjà subi toutes les affres de cette exaltation de la liberté individuelle que nous avons connue depuis 50 ans, et au nom de laquelle d’ailleurs on leur réclame aujourd’hui de payer leurs études.
    N’est-ce pas, en partie, la libéralisation des mœurs qui a offert à nombre de ces jeunes des familles éclatées ? Or, comme le dit la philosophe Hannah Arendt, la famille demeure la première protection des enfants contre la violence de nos sociétés. C’est aussi au nom de cette liberté individuelle qu’on a offert à cette génération des écoles plus soucieuses de convivialité que de savoir et d’excellence. Mais c’est surtout au nom de cette même liberté que nous avons livré notre jeunesse au consumérisme et à l’abêtissement audiovisuel. Depuis vingt ans, cette couche de la population est devenue la poule aux œufs d’or des marchands de babioles technologiques et de sous-produits culturels. Il n’y a qu’à ouvrir la télévision pour le savoir.
    Ce consumérisme, dont les pouvoirs publics se font les complices, explique probablement pourquoi le nombre d’élèves et d’étudiants qui travaillent est si élevé au Québec. Un autre de nos records mondiaux... avec le décrochage ! Dans nombre de pays, les employeurs qui font travailler des jeunes de 14 ou 15 ans presque 20 h par semaine auraient affaire à la police. Pas chez nous. Durant cette crise, a-t-on entendu quelqu’un au gouvernement s’inquiéter du fait que le taux d’emploi des étudiants à temps plein âgés de 20 à 24 ans (tous niveaux d’études confondus) était passé de 25 % à 55 % en un quart de siècle ? L’étudiant qui se consacre vraiment à ses études sera bientôt une bête rare au Québec. Une telle jeunesse peut-elle vraiment être considérée comme favorisée ?
    S’il fallait désigner le personnage le plus soixante-huitard de la tragédie qui se joue sous nos yeux, ce ne serait donc ni Gabriel Nadeau-Dubois, ni Léo Bureau-Blouin, ni Martine Desjardins. Ce serait plutôt Gilbert Rozon, qui s’inquiétait publiquement – quelle horreur ! – des nuisances que les étudiants pourraient causer à ses séances annuelles de fou rire. Le président du Festival Juste pour rire n’est-il pas le symbole par excellence de cette société hédoniste imaginée en 1968 ? Une société de la jouissance immédiate et du rire ininterrompu. D’ailleurs, Gilbert Rozon ne rêve-t-il pas de transformer Montréal en festival permanent ? « Juste pour rire », le slogan aurait très bien pu être inventé en Mai 68.
    Les soixante-huitards ne sont pas ceux que l’on pense.