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  • Les scientifiques américains entrent en résistance contre l’administration Trump

    http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/01/28/aux-etats-unis-la-science-en-resistance-contre-l-administration-trump_507048

    Les agences fédérales liées à la recherche sont réduites au silence ou soumises à un contrôle politique tatillon. Une Marche pour la science est prévue bientôt à Washington pour protester.

    Si l’initiative s’avère couronnée de succès, l’histoire retiendra qu’elle a commencé comme une simple conversation sur le site Internet Reddit. Le 21 janvier, quelques internautes discutent, sur ce réseau social, de l’organisation d’une Marche pour la science – à l’image de la Marche des femmes, qui a rassemblé plusieurs centaines de milliers de manifestants à Washington, au lendemain de l’investiture de Donald Trump.

    Six jours plus tard, vendredi 27 janvier, le mouvement avait son logo et son site, comptait près de 230 000 abonnés à ses comptes Facebook et Twitter, et annonçait que la date de la manifestation serait arrêtée dans les prochains jours.

    En une semaine, l’administration qui s’est installée à Washington a largement contribué à cette mobilisation des scientifiques. Plusieurs événements ont mis le feu aux poudres.
    Dès le 23 janvier, des informations de presse ont fait état du gel des financements accordés par l’Agence de protection de l’environnement (EPA) – contributions aux travaux de recherche soutenus par l’agence, bourses de thèse, participation à des projets de dépollution, etc.

    Gel des subventions

    L’institution – à la fois agence d’expertise et ministère de l’environnement – doit être confiée à Scott Pruitt. Lorsqu’il était procureur général de l’Oklahoma, ce dernier, climatosceptique déclaré, a poursuivi à quatorze reprises l’agence dont il doit prendre la tête, selon le décompte du New York Times. A chaque fois, il contestait les décisions de l’EPA lors de ses contentieux avec des industriels.
    En attendant le vote du Sénat confirmant l’arrivée de M. Pruitt à la tête de l’EPA, un mémo interne obtenu par le Huffington Post indique que la direction de la communication de l’agence a promulgué des restrictions drastiques à son personnel. Et ce, « jusqu’à ce que des directives soient reçues de la nouvelle administration » : « Aucun communiqué de presse ne sera publié vers l’extérieur », « aucune publication sur les réseaux sociaux ne sera publiée », ni « aucun billet de blog », « aucun nouveau contenu ne sera déposé sur aucun site Web » maintenu par l’agence, etc.

    Le mémo ajoute qu’un « conseiller en stratégie numérique rejoindra [l’agence] pour superviser les médias sociaux », précisant que « le contrôle des comptes » des personnels de l’agence « devrait être plus centralisé » à l’avenir. Les comptes Twitter officiels de l’EPA sont muets depuis le 19 janvier.


    Myron Ebell, chargé par Donald Trump de superviser la transition à la tête de l’EPA, prévoit des coupes dans les effectifs et le budget de cett agence.

    Selon Myron Ebell, haut responsable du Competitive Enterprise Institute (un think tank financé par des intérêts industriels) et chargé par Donald Trump de superviser la transition à la tête de l’EPA, un tel gel des subventions accordées par l’agence n’est pas sans précédent. « Ils essaient de geler les choses pour être sûrs qu’il ne se produit rien qu’ils ne veulent pas voir se produire, a-t-il déclaré à ProPublica. Ils veulent être sûrs de pouvoir viser les réglementations en cours, les contrats, les subventions, les embauches avant qu’ils ne soient effectifs. »

    Contrôle étroit

    Pour peu que ce gel soit temporaire, il serait « une pratique similaire à ce que des administrations précédentes ont fait pendant la période de transition », confirme le physicien Rush Holt, patron de l’American Association for the Advancement of Science (AAAS), la société savante éditrice de la revue Science. « Cependant, ajoute-t-il, le niveau d’anxiété est tel qu’il faut faire éclater les ballons d’essai, avant qu’ils ne deviennent une politique permanente. »

    Tout au long de la semaine écoulée, d’autres institutions fédérales étroitement connectées au monde de la recherche se sont révélées soumises à un contrôle étroit. Un mémo interne des National Institutes of Health (NIH), révélé le 24 janvier par une société savante (l’American Society for Biochemistry and Molecular Biology), précise que les employés de l’institution de recherche biomédicale ne sont en outre pas autorisés, jusqu’à nouvel ordre, à répondre aux sollicitations de parlementaires.

    Des départements du ministère de l’agriculture (USDA) dévolus à la recherche agronomique ont également été sujets à de semblables contraintes, mais l’USDA a déclaré que le mémo interne dévoilé par la presse avait été envoyé par erreur.

    En une semaine, une dizaine de comptes Twitter ont ainsi été créés pour remplacer les comptes des agences fédérales réduites au silence ou à un contrôle politique tatillon. Le compte « alternatif » de l’EPA (@altUSEPA), créé le 25 janvier, comptait 185 000 abonnés deux jours plus tard ; le compte « renégat » de la NASA (@RogueNASA), créé le même jour, avait de son côté 625 000 abonnés. Impossible, toutefois, de savoir si ces fils Twitter sont bel et bien, comme ils prétendent l’être, alimentés par des employés de ces agences fédérales entrés « en résistance ».

    Des sociétés savantes sortent de leur réserve

    Le 24 janvier, la découverte que des Tweet anodins sur le changement climatique, émis par le compte du parc national des Badlands (Dakota du Sud), avaient été effacés a suscité un émoi considérable sur les réseaux sociaux. Mais, selon des sources internes au parc, citées par le Washington Post, la suppression de ces messages aurait été décidée en interne, sans pressions extérieures.

    D’autres révélations ont jeté plus de trouble encore. La veille, le Washington Post révélait que, deux semaines plus tôt, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) annulaient discrètement et sans explications une conférence internationale prévue pour se tenir en février à Atlanta, sur le thème du changement climatique et de la santé…

    Mais une société savante, l’American Public Health Association, a déclaré, le 27 janvier, qu’elle prendrait le relais des CDC et organiserait l’événement sans recourir à des fonds fédéraux. Les CDC n’ont pas répondu aux sollicitations du Monde.

    Plusieurs grandes sociétés savantes sortent ainsi de leur réserve. Le 26 janvier, Christine McEntee, directrice exécutive de l’American Geophysical Union (AGU) qui rassemble 60 000 chercheurs internationaux en sciences de la terre, écrivait à la direction intérimaire de l’EPA (nommée en attendant la validation de M. Pruitt par le Sénat) son « inquiétude à propos des directives de l’agence pour faire cesser les communications avec le public ». « Nous sommes préoccupés par le fait que ces directives bafouent les principes d’intégrité et de transparence de la recherche, poursuivait Mme McEntee. Cela pourrait même violer les règles d’intégrité scientifique de votre propre agence. »
    « La communauté scientifique hautement préoccupée »

    Outre la liberté de communiquer leurs résultats, des scientifiques employés par des agences ou des laboratoires fédéraux craignent surtout pour la sauvegarde de données scientifiques cruciales à la poursuite de leur activité de recherche.

    « Peu après l’élection de novembre 2016, des scientifiques ont commencé à télécharger et à archiver une variété de données sur le changement climatique, et à les stocker sur des sites d’archivage comme WayBackMachine », raconte Rush Holt. Selon lui, l’inquiétude est telle que des entreprises de fourniture de gaz ou d’électricité archivent elles aussi, « par prudence extrême », de telles données de crainte qu’elles ne soient bientôt plus accessibles.

    Jusqu’à présent, rien n’a semble-t-il été effacé des serveurs tenus par des agences fédérales. « Le Canada a récemment montré que des bases de données scientifiques pouvaient être détruites, dit le patron de l’AAAS. En 2014, le gouvernement [de Stephen Harper] a fermé un grand nombre de bibliothèques scientifiques et a détruit les archives qu’elles contenaient. C’est à cause de ces précédents que la communauté scientifique est hautement préoccupée des premières mesures de l’administration Trump et de ce qu’elles signifient pour l’intégrité future de l’information scientifique. »

  • Les experts du climat dans le collimateur de Trump

    http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/12/14/les-experts-du-climat-dans-le-collimateur-de-trump_5048729_3244.html

    Les scientifiques redoutent une chasse aux sorcières et dénoncent des tentatives d’intimidation de la part de l’équipe de transition du président élu.

    C’est un symposium au sujet surprenant qui devait se tenir mercredi 14 décembre à San Francisco, à l’occasion du congrès d’automne de l’American Geophysical Union (AGU), la société savante des chercheurs en géosciences. La thématique – « Le détournement de la loi américaine à des fins de harcèlement, d’intimidation et de discrédit des chercheurs » – illustre l’inquiétude de la communauté des sciences du climat devant les récentes déclarations du président élu Donald Trump.
    Une inquiétude avivée par la révélation, par la presse américaine, d’un questionnaire transmis par l’équipe de transition de M. Trump à l’ensemble des services du ministère de l’énergie américain, leur demandant notamment de dresser la liste des personnels ayant travaillé, de près ou de loin, sur la question climatique ou sur les énergies renouvelables.

    L’équipe de Donald Trump a demandé la liste des employés du ministère de l’énergie ayant travaillé sur le climat

    La crainte d’une chasse aux sorcières gagne du terrain. « En temps normal, je réserverais mon jugement en supposant a priori qu’il s’agit simplement d’une collecte d’information légitime, observe Michael Mann, le directeur du Earth System Science Center de l’université de Pennsylvanie. Cependant, cette dernière révélation ne vient pas hors de tout contexte. Cela soulève une réelle préoccupation, celle que l’équipe de transition [de M. Trump] puisse prendre des gens pour cible, en particulier des scientifiques. »

    « C’est fréquent de voir les équipes de transition interroger les structures gouvernementales sur leurs politiques, ajoute Michael Halpern, de l’Union of Concerned Scientists (UCS), une organisation de promotion de la science. Ce qui ne l’est pas, c’est de demander des listes d’employés de ces structures et de cibler des fonctionnaires qui font simplement leur travail. »

    « Inquiétude »

    Le ministère de l’énergie se refuse pour le moment à transmettre les noms de ses collaborateurs, mais cette tentative d’intimidation ne laisse pas indifférents les ONG et les think tanks investis dans la thématique climat, qui craignent eux aussi d’être la cible de l’administration entrante. « Il n’y a pas un membre du cabinet de Donald Trump qui ne soit climatosceptique », note Jesse Bragg, de Corporate Accountability International, une organisation de défense de l’environnement et des droits de l’homme.

    Mardi 13 décembre, le 45e président américain a en effet désigné Rex Tillerson, le patron du groupe pétrolier ExxonMobil, au poste de secrétaire d’Etat. « C’est cet homme lié au secteur des énergies fossiles, sans aucune expérience diplomatique, qui va représenter les Etats-Unis dans les négociations internationales sur le changement climatique », se désole Jesse Bragg.

    M. Trump a confié le ministère de l’énergie à Rick Perry, ancien gouverneur du Texas et partisan de la suppression de cette administration… Il a promis la direction de l’Agence de protection de l’environnement à Scott Pruitt, le ministre de la justice de l’Oklahoma, très hostile aux mesures prises par l’équipe Obama pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. « Il y a à l’évidence dans la communauté des chercheurs en sciences du climat une inquiétude d’être harcelé, intimidé, d’être empêché de parler de ce que nous savons, c’est-à-dire de l’accumulation de faits sur le changement climatique et la manière dont les activités humaines y contribuent », explique Christine McEntee, la directrice exécutive de l’AGU.

    Un vade-mecum circule dans la communauté des chercheurs sur le climat pour les préparer au harcèlement

    Aux Etats-Unis, depuis le début des années 2000 et en vertu des lois de transparence, des think tanks néoconservateurs ou libertariens, ainsi que des ministres de la justice de certains Etats requièrent de manière systématique l’accès aux courriels ou aux documents de recherche de climatologues. Une pratique considérée par les chercheurs comme un détournement de la loi et une forme de harcèlement. Au point que, en 2011, des universitaires et des juristes ont créé le Climate Science Legal Defense Fund, qui offre une assistance juridique aux scientifiques confrontés à ces situations.
    Depuis début décembre, un petit vade-mecum rédigé par l’organisation circule dans la communauté des chercheurs sur le climat pour préparer ceux-ci « au harcèlement politique et à l’intimidation juridique » : « En cas de doute, appeler un avocat », « séparer les e-mails professionnels et personnels », « ne pas répondre aux messages de harcèlement, mais ne pas les effacer », etc.

    Parades

    Les chercheurs redoutent également que l’activité scientifique elle-même soit entravée. L’équipe de transition de M. Trump a déclaré que la NASA devrait cesser ses activités d’observation de la Terre. Une telle décision aurait un impact considérable, au-delà de la recherche américaine. Car, rappelle Stefan Rahmstorf, directeur du Potsdam Institute for Climate Impact (Allemagne), « comprendre notre planète implique une coopération mondiale des systèmes d’observation ». « Nous pensons qu’il y a un risque que les financements de la recherche et des infrastructures scientifiques soient remis en cause, dit Mme McEntee. Mais ce sont des risques que le Congrès a déjà fait peser sur nous l’an passé et nous avons réussi à les éviter. »

    La situation est toutefois jugée suffisamment inquiétante par les chercheurs eux-mêmes pour que des listes de bases de données (températures, couverture des glaces, etc.) s’échangent sur les réseaux sociaux, afin que des sites miroirs soient créés hors des Etats-Unis ou sur des sites non administrés par des agences fédérales. « Sous l’administration Bush, des chercheurs avaient remarqué que des sites Web d’agences fédérales avaient été modifiés, voire supprimés, témoigne Michael Halpern. Il y a donc une volonté de se prémunir contre ce genre de menace. D’autant plus que dans le questionnaire [adressé par l’équipe de M. Trump au ministère de l’énergie], il y avait une question spécifique sur les sites Web relatifs au climat, créés ou modifiés par ces services au cours des trois dernières années. »

    Le vent de panique ne concerne pas seulement les sciences du climat. « Des scientifiques des universités commencent à regarder les bases de données relatives à d’autres disciplines et maintenues par des laboratoires fédéraux qui pourraient être menacées et qui doivent être sauvegardées », raconte M. Halpern. Début décembre, une centaine d’ONG américaines ont par ailleurs adressé une lettre ouverte à Donald Trump et au Congrès, leur demandant de prendre conscience de la crise climatique et d’y répondre sans tarder.

    Dans la sphère des négociations sur le climat, on réfléchit à des parades. « Il ne s’agit pas pour le moment de résistance, mais plutôt de réflexion autour du repli américain ou de l’idée d’intenter des procès contre les abus du pouvoir exécutif », confie l’ex-négociatrice de la France, Laurence Tubiana.

    Pour leur part, les climatologues gardent vif le souvenir de l’administration Bush. En février 2007, l’Union of Concerned Scientists avait mené une enquête auprès de 300 scientifiques issus de sept agences fédérales (NASA, NOAA, EPA, etc.). Quelque 46 % des répondants avaient déclaré avoir « été témoin ou fait personnellement l’expérience de pressions pour éliminer les expressions “changement climatique” ou “réchauffement global”, ou d’autres termes similaires, de toute une variété de communications ». Environ 40 % avaient constaté, sur les sites Internet de leur agence, « la publication anormalement retardée ou la disparition de rapports ou de documents scientifiques sur le climat ». Et près de la moitié avait remarqué « des exigences administratives nouvelles ou inhabituelles ayant entravé des travaux liés au climat ».