Le boxeur ainsi surgi, #Christophe_Dettinger, allait payer très cher son fait d’armes sans la moindre arme. L’appareil d’État, épaulé par des médias malléables et une justice aux ordres, allait fondre sur cette proie transformée en chasseur, en tourmenteur, en martyriseur des braves forces de l’ordre.
La vérité, c’est le mensonge et tous les coups sont donc permis, de la part d’une classe possédante retrouvant ses réflexes versaillais face à la Commune : ô panique de ne pas avoir le dessus, inédite depuis 1871 ! Le boxeur salutaire serait transformé en barbare ; du reste n’était-il pas « gitan » ?…
Face à un tel enfumage des biens-pensants, le journaliste Antoine Peillon prend la plume et publie, quatre mois plus tard, Cœur de boxeur. Le vrai combat de Christophe Dettinger, aux éditions – si bien nommées – Les Liens qui libèrent.
Grand reporter à La Croix, Antoine Peillon ne se livre pas à une angélophanie : le boxeur n’est pas ailé. Ni à une béatification immédiate (« Santo subito ! ») : le boxeur ne porte pas d’auréole. Dans son avant-propos, l’auteur se situe néanmoins du côté de l’apologie : « Mais il faut entendre “apologie” au sens de justification, de défense, en aucun cas d’idolâtrie. »
Pour ce faire, Cœur de boxeur propose trois stations : un arrêt sur images (revenir sur ce que dévoyèrent les commentateurs macroniens) ; un arrêt sur ripostes politiques (revenir sur les cataractes de déclarations malsaines, à commencer par celles du président de la République sur le supposé parler « gitan » du boxeur ainsi cloué au pilori) ; un arrêt sur dénis de justice (la vendetta orchestrée à l’encontre d’un homme à briser).
Malgré quelques défauts fiévreux – Antoine Peillon s’abrite trop souvent derrière des citations de grands auteurs décrochées comme des étoiles et son essai hésite entre deux focales : la lettre ouverte à « cher Christophe Dettinger » et des philippiques récapitulatives à l’encontre d’un pouvoir qui ose tout –, le livre fait terriblement mouche. Le boxeur apparaît telle la métaphore de l’injustice acharnée qui nous pend au nez en cette macronie galopante.
Laissons de côté le rôle et les réactions du triste sieur Castaner – l’un des ministres de l’intérieur les plus nuls que la France ait eu à subir : il « n’a rien eu que de vulgaire et de subalterne » (pour paraphraser de Gaulle à propos de l’affaire Ben Barka). Remontons au chef de l’État, Emmanuel Macron, qui s’est montré sans frein, sans éthique, sans surmoi ; quasiment du même ordre (nouveau) que l’horreur lepéniste qu’il était censé conjurer.
Voici en effet ce qu’écrit Antoine Peillon : « Le 31 janvier, devant un cénacle de “journalistes de cour” (expression du clairvoyant Claude Askolovitch) conviés à participer à une “conversation libre” (en off) dans son bureau à l’Élysée, le Prince se lâchait : “Le boxeur, la vidéo qu’il fait avant de se rendre, il a été briefé par un avocat d’extrême gauche. Ça se voit ! Le type, il n’a pas les mots d’un Gitan. Il n’a pas les mots d’un boxeur gitan…” »
Le livre rapporte ensuite les propos, sur France Info le 2 février, de Laurence Léger, avocate de ce boxeur ainsi lynché par un président autocrate faisant fi de la séparation du pouvoir politique et du pouvoir judiciaire : « Je suis abasourdie et stupéfaite. Qu’est-ce que c’est les mots d’un Gitan ? Qu’est-ce que ça suppose comme sous-entendus ? Ça voudrait dire quoi, que les Gitans ne parlent pas français, peut-être ? Ou qu’ils le parlent moins bien que les autres ? Ou que les Gitans sont moins français que les autres, ou des citoyens de seconde zone ? Je dis que ce sont des propos extrêmement graves, extrêmement choquants, ça a un nom, ça s’appelle du racisme, de la discrimination, et venant d’un chef de l’État, je pense que ce n’est pas digne d’un président. »
Les classes possédantes ont tout fait pour « lepéniser » les gilets jaunes, mais c’est bien le président de la République, dans sa sainte trouille, qui parlait et pensait comme Marine Le Pen.
Antoine Peillon revient, de surcroît, sur le procès en antisémitisme, vicieux et vicié, fait à l’ensemble des gilets jaunes : « Je me suis battu pendant de nombreuses années, contre l’antisémitisme et tous les racismes, quels qu’ils soient. À mes risques et périls et à ceux de ma famille, de mes enfants. Je n’entrerai pas dans le détail. Et je ne tolérerai jamais la moindre parole ni le moindre acte antisémite. Mais je n’accepte pas plus et n’accepterai jamais une quelconque instrumentalisation, surtout politicienne, de la lutte contre cette “peste”. »
Calomnié, souillé, déshonoré, Christophe Dettinger se révèle donc comme le symbole d’un mouvement sciemment caricaturé par le gouvernement et ses relais.
Alors Antoine Peillon décrasse la crasse ainsi jetée sur un homme caractéristique. Un passage clef revient sur les coups donnés par le boxeur à un représentant des forces de l’ordre à terre, toujours sur la passerelle Léopold-Sédar-Senghor, le 5 janvier dernier. Que s’est-il passé ? Comme il le précisera lors de sa garde à vue deux jours plus tard, le futur inculpé pour « atteinte à l’autorité et à l’image de l’État » a vu, entre autres violences, les gendarmes mobiles « donner des coups de matraque à une femme au sol, avec un manteau rouge ». Alors il a volé à son secours, obtenant le dessus pour arracher cette femme à la géhenne des pandores.
Le boxeur et le gendarme à terre © Mediapart
En guise d’offre de preuve, Antoine Peillon retranscrit le témoignage de la dame au manteau rouge, diffusé par RTL le 8 janvier : « J’étais déjà au sol, en boule, et Christophe Dettinger est venu, a pris le CRS qui était en train de me frapper et l’a enlevé. Il m’a sauvé la vie […] Je marchais en famille, je me suis retrouvée par terre, au sol. Un policier m’a donné des coups de matraque et des coups de pied. Un autre a essayé de l’arrêter en disant : “Arrête de taper, arrête de taper”, puisque je n’avais rien fait, je ne faisais que marcher. Le policier n’arrivait pas à arrêter son collègue qui était déchaîné, et Monsieur Dettinger est arrivé, a pris le policier et l’a enlevé de moi. J’ai reçu des coups de matraque dans la bouche, dans les dents, des coups de pied dans les côtes. Et comme j’ai un problème pulmonaire, si j’avais reçu trop de coups trop longtemps, j’y passais. Donc, il m’a sauvé. Il m’a sauvé la vie. »
Lors de sa garde à vue, le boxeur a dit, à propos du garde mobile contre lequel il avait un instant retourné la violence : « J’ai vu dans son regard la peur, j’ai donc arrêté. » N’ont pas de tels scrupules les forces de l’ordre lâchées par le ministre Castaner contre les gilets jaunes, au risque de terribles « paponnades », avec les éborgnements et autres plaies irrémédiables au visage que nous savons…
Une fois nettoyés par le livre de tous les bobards déversés à son encontre (notamment à propos de ses gants qui n’étaient pas renforcés de plomb contrairement à ce qu’affirma France 2), Christophe Dettinger apparaît tels que le décrit Me Henri Leclerc, lors de son procès : « J’ai vu un homme simple, un homme du peuple, qui s’est cultivé, pour progresser. J’ai vu un homme qui était bouleversé par ce qu’il avait fait. Cet homme, je peux dire tranquillement qu’il est adoré de partout. »
Tous les témoignages produits « en justice » insistent sur l’altruisme du boxeur. Et la présidente du tribunal est obligée de convenir que des lettres de soutien affluent par caisses – toutes affirment que le prévenu est « quelqu’un de gentil ». Qu’à cela ne tienne ! En prétendant dire le droit, le tribunal correctionnel de Paris acquiesce au désir du pouvoir : Christophe Dettinger a été condamné à 30 mois de prison. Douze ferme – ensuite aménagés en semi-liberté : travail le jour, cellule la nuit –, suivis de dix-huit avec sursis et mise à l’épreuve. C’était le 13 février 2019.
Le jour même, rappelle Antoine Peillon, Jérôme Cahuzac voyait sa demande d’aménagement de peine acceptée par un juge d’Ajaccio – il échappait donc ainsi à la prison remplacée par un simple bracelet électronique.
« Selon que vous serez puissant ou misérable/ Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » Avec un supplément d’ignominie depuis La Fontaine. La plateforme Leetchi bloque la cagnotte en ligne destinée au boxeur (double peine). La mairie d’Arpajon le met à pied le 21 mars (triple peine). Tout cela contre un homme qui avait déclaré en janvier : « Je manifeste pour tous les retraités, le futur de mes enfants, les femmes célibataires. Je suis un gilet j’aune, j’ai la colère du peuple qui est en moi. » Et qui récidivait en mars : « Je suis gilet jaune et je resterai gilet jaune. Vivent les gilets jaunes ! »