person:daniel colson

    • « Appelez cela Dieu, l’Absolu, si cela vous amuse, que m’importe, pourvu que vous ne donniez à ce mot Dieu d’autres sens que celui que je viens de préciser ; celui de la combinaison universelle, naturelle, nécessaire et réelle, mais nullement déterminée, ni préconçue , ni prévue (souligné par B.), de cette infinité d’actions et de réactions particulières que toutes les choses réellement existantes exercent incessamment les unes sur les autres. »

      [...]

      Et c’est ici qu’il faudrait souligner une distinction importante à l’intérieur des positions marxisantes ; une distinction qui tient également aux faits religieux, à deux manières certes différentes de leur dénier toute importance mais l’une et l’autre tout aussi étrangères à l’anarchisme parce que placées sous le double signe de la « culpabilité » et du « ressentiment » [3].

      -- Avec d’un côté des militants d’origine chrétienne, les plus nombreux, pour qui on peut effectivement parler de « culpabilisation », en raison de la rencontre singulière et hasardeuse entre, d’une part, leur appartenance accidentelle et par héritage aux impérialismes européens du XIXe et XXe siècle ; et, d’autre part, un sens du « péché » et de la « culpabilité » hérité de la tradition chrétienne (le « péché originel »), qui contribue à les lier intimement à tout affect ou procès de responsabilité collective.

      -- Avec, d’un autre côté, des militants d’origine musulmane qui, à l’intérieur des représentations marxisantes, risquent sans cesse de s’identifier subjectivement à l’ « Islam » de l’« islamo-phobie », en substituant aux clivages marxistes traditionnels de « classes » et de « condition sociales et économiques » des clivages analogues mais catastrophiques dans leurs effets : les clivages essentialistes de races, de couleurs de peau et d’origines ethniques et religieuses.

      [...]

      Approche « marxiste » et approche « laïque » s’opposent, mais partagent pourtant une position commune : la sous-estimation des faits religieux ; par mépris et indifférence du côté marxiste, par énervement rationaliste du côté laïc (« comment peut-on - au XXIe siècle ! - croire encore à des choses pareilles ? ») ; avec dans les deux cas une même conception, (« providentielle » diraient les chrétiens) du temps et de l’histoire : le « Progrès » et la science contre l’obscurantisme et les superstitions d’un côté ; le matérialisme dialectique et la lutte des classes contre les brumes de l’idéologie religieuse de l’autre.

      [...]

      En raison de sa logique totalitaire et de la réduction du multiple à l’Un, à la souveraineté et à la bonté d’un Dieu tout puissant et créateur de toute chose, le monothéisme se trouve confronté à un problème difficile et que l’on peut résumer de la façon suivante : ou Dieu est tout puissant mais il n’est pas bon, puisqu’il tolère le mal, ou il est bon, mais impuissant, et pour la même raison. Comment rendre compte du bruit et de la fureur du monde réel ? Comment rendre compte du mal et du désordre ? Comment rendre compte de cette anarchie du monde et de la vie que les vieux agencements animistes et polythéistes exprimaient si facilement par la multiplication des « forces » religieuses à la fois bonnes et mauvaises, à l’image de la réalité dont elles étaient l’expression ? Confrontée au mal et au désordre, à la complexité anarchique de ce qui est l’unification divine du mono-théisme n’implique-t-elle pas nécessairement et de façon contradictoire, le dualisme du manichéisme, la double existence d’un Dieu du Mal et d’un Dieu du Bien, les deux divinités de Marcion par exemple [18] ? D’une autre manière et comme Ève sortant (par raccroc) d’une des côtes d’Adam, le « mal » doit-il lui-même sortir du bien, du monde voulu et ordonné par Dieu ?

  • Une critique de la cosmologie du big bang - La Revue des Ressources
    http://www.larevuedesressources.org/une-critique-de-la-cosmologie-du-big-bang,2912.html

    La question de la genèse de l’univers revient à se demander quelle est la procédure d’apparition de la matière, de quel néant est extrait le monde.

    Avec la théorie du big-bang et de l’expansion corrélative de l’univers, il n’y a pas de création mais un point de départ aux constructions mathématiques à partir duquel se déploient tout à la fois l’espace-temps et la matière universelle. Le modèle exclut la description de ce qui s’est passé avant et se refuse à décrire une quelconque genèse. Il s’attache essentiellement à élaborer un système formel cohérent avec pour ambition de faire basculer tout le savoir sur l’origine du côté de la démonstration rigoureuse et vérifiable.

    Il est tracé une frontière entre science et métaphysique qui autorise le développement autonome de chaque discipline : au savant la mathématique du cosmos, aux philosophes le discours sur les causes premières. A la limite, la cosmogenèse standard se présente comme non critiquable puisque ses concepts échappent à la sphère métaphysique.

    Or le refus des vérités ’plurielles et invérifiables’ de la métaphysique repose sur une option métaphysique dissimulée. Ainsi, la cosmologie actuelle s’initie à partir d’un point reculé où l’espace-temps et la matière étaient infiniment concentrés, ce que les équations permettent effectivement de poser. Mais ces conjectures reviennent à admettre que l’univers est né d’un rien, qu’il est issu du nihil absolu : sont absentes la cause physique et la procédure qui permettent le passage du néant au réel, du temps zéro à la première seconde. De même, s’il y a eu première seconde c’est qu’on choisit une philosophie de l’histoire, un point d’origine du temps qui autorise le calcul de l’âge de l’univers. Nous pourrions opposer une conception d’un monde incréé, anhistorique, qui n’a ni commencement ni fin.

    Cependant, bien qu’optionnel, ce modèle d’univers a fini par s’imposer, les critiques de ses adversaires ont été désarmées par des justifications aussi bien théoriques qu’observationnelles. Or cette conception comporte de graves incohérences et nous propose une vision assez extravagante de la genèse en dérogeant à certaines lois physiques et logiques élémentaires.

    #cosmologie #big_bang vs #univers_incréé

    • Daniel Colson discute souvent, dans ses écrits ou ses conférences, de cette conception anarchiste du monde : sans début ni fin, mais en perpétuelle transformation.

      Il note à juste titre que au delà de l’acception courante de l’étymologie du terme anarchie, sans hiérarchie ou sans hiérarque, il faut aussi prendre en compte un autre sens de « arch » qui est début ou commencement. Ainsi l’anarchie peut s’entendre sans principe premier, sans début, sans commencement.

      On peut écouter ses conférences à ce sujet sur ce site :

      http://raforum.info/article.php3?id_article=4257&lang=en

      Même le wikitionnaire est d’accord avec cette étymologie :

      https://fr.wiktionary.org/wiki/%E1%BC%84%CF%81%CF%87%CF%89#Verbe

      ἄρχω, árkhô \ˈaːr.kʰɔː\ (conjugaison)

      Être le premier.
      Aller en tête.
      Commander, être le chef.

      Faire le premier, ou la première fois.
      Commencer, prendre l’initiative de, faire le premier.
      Se mettre à, commencer.

  • Organisation libertaire à la lyonnaise
    http://rebellyon.info/?L-organisation-des-libertaires-a-Lyon-au
    Rebellyon republie ce texte intéressant de Daniel Colson paru au milieu des années 1980 dans la revue IRL consacrée aux « Libertaires entre Saône et Rhône ». Colson écrira près de vingt ans plus tard « Le petit lexique philosophique de l’anarchisme, de Proudhon à Deleuze », directement inspiré de cette expérience pratique.
    http://lagryffe.net/Chronique-parue-dans-A-Contretemps.html

    Le texte fait le point sur une structuration assez originale de ce mouvement à ce moment-là, à l’origine d’une forte implantation locale, encore visible aujourd’hui, ou qui inspire encore des structures comme la librairie La Gryffe, Rebellyon (ou Radio Canut mais dans une moindre mesure).

    A l’heure où les groupes anti-autoritaires sont à la fois aussi divisés qu’impuissants, c’est une piste toujours actuelle de réflexion pour repenser un mouvement, au moins à une échelle locale.

    Réellement divers, non par le nombre de ses com­po­san­tes, mais par leurs dif­fé­ren­ces de nature, par leur carac­tère éclectique, non ordon­na­ble, non clas­sa­ble, le mou­ve­ment liber­taire lyon­nais a peu à peu appris à chacun de ses mili­tants à renon­cer à pro­je­ter sur lui, sur sa sur­face d’enre­gis­tre­ment, l’unité de ses concep­tions du moment. Au prix de nom­breux conflits, non seu­le­ment il a appris à chacun de nous à accep­ter que d’autres agis­sent et pen­sent autre­ment que soi, à ne pas vivre comme limite, manque ou frus­tra­tion les pra­ti­ques échappant à son propre ima­gi­naire, à sa propre inser­tion sociale, mais il nous a aussi appris à tirer satis­fac­tion et richesse de l’extrême diver­sité dans laquelle nous nous insé­rons, à faire confiance dans l’ajus­te­ment contra­dic­toire d’un espace qui, pour échapper au carac­tère for­cé­ment tota­li­taire du rêve propre à chacun de nous, fait écho, dans la réa­lité, au désir liber­taire que ce rêve pré­tend expri­mer.

    Mieux, en inter­di­sant l’affron­te­ment meur­trier et idéo­ma­nia­que des por­teurs de rêve et d’utopie que nous sommes tous, les formes actuel­les du mou­ve­ment liber­taire à Lyon ten­dent peu à peu à nous libé­rer de notre propre et pseudo-« unité », de « femme », d’« homme », de « syn­di­ca­liste », de « manuel », d ’« intel­lec­tuel », etc. Aux contra­dic­tions néces­sai­res d’un espace mili­tant com­plexe et diver­si­fié peu­vent répon­dre les contra­dic­tions et les diver­si­tés qui nous cons­ti­tuent indi­vi­duel­le­ment. Cela non pas seu­le­ment en lais­sant à chacun le soin de reconnaî­tre une partie de lui-même dans la prise de posi­tion, la manière de voir et de sentir de telle ou telle struc­ture ou groupe, mais aussi en nous auto­ri­sant à par­ti­ci­per à la vie de plu­sieurs struc­tu­res ou grou­pes de telle façon que chacun puisse être enfin plu­sieurs, sui­vant le lieu et le moment.

    Un espace formel qui fédère ces libertaires « non-organisés spécifiquement », la Coordination libertaire, montre la tentative de dépasser les différentes contradictions entre militants. Mais c’est surtout la pensée du même et du différent qui permet d’élaborer un espace à la fois de discussion, d’entraide et d’offensive.

    Espace mili­tant ouver­te­ment divers et contra­dic­toire, la Coordination liber­taire cesse d’être une cita­delle assié­gée (ou conqué­rante) ne comp­tant que sur la force de ses struc­tu­res, sur son dra­peau, sur le nombre, la dis­ci­pline et la foi des bataillons qu’elle peut ali­gner dans les mani­fes­ta­tions.

    Parce qu’elles tirent leur exis­tence de pro­blè­mes pro­pres, d’une ins­crip­tion sociale par­ti­cu­lière, les com­po­san­tes de la Coordination réper­cu­tent for­cé­ment ces pro­blè­mes dans les dis­cus­sions et les prises de posi­tion du mou­ve­ment, s’en font les repré­sen­tants et, un pied dedans, un pied dehors, peu­vent per­met­tre :
    – de tisser des liens avec l’exté­rieur ;
    – de contri­buer à l’élaboration d’une ana­lyse géné­rale qui tienne compte de la com­plexité et de la tota­lité de la réa­lité ;
    – de former des mili­tants habi­tués à confron­ter non plus seu­le­ment des idées, mais des maniè­res d’être et d’agir ;
    – de pré­fi­gu­rer en partie, bien mal mais mieux que ne le per­met­trait un simple regrou­pe­ment idéo­lo­gi­que, ce que pour­rait être un mou­ve­ment liber­taire de masse, uni­fiant toute la diver­sité du réel, des dif­fé­ren­tes luttes, des dif­fé­rents inté­rêts et aspi­ra­tions néces­sai­res à une trans­for­ma­tion radi­cale de la société.

    Peut-être pour @rezo ? cc @fil @moderne ?

    #anarchisme #libertaire #organisation #local

  • Les actes du colloque Philosophie de l’anarchie vont partir à l’imprimerie début janvier. 464 pages de textes divers et il est toujours possible d’envoyer 20 euros pour la souscription (http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Colloque-Philosophie-de-l-anarchie,705.html).
    En avant-première la présentation par Jean-Christophe Angaut, Daniel Colson et Mimmo Pucciarelli

    Les textes qui composent ce volume sont issus du colloque « Philosophie de l’anarchie : théories libertaires, pratiques quotidiennes et ontologie », qui s’est tenu à Lyon du 12 au 15 mai 2011. Pour nous qui l’avons organisé, il s’agissait de proposer un espace de rencontre, d’expression et de problématisation à même de rendre compte de la réaffirmation, au niveau international, de la pensée anarchiste et des pratiques qui s’en réclament ou peuvent y être rattachées.

    Cette réaffirmation s’est traduite par deux phénomènes. En premier lieu, une multiplication de travaux universitaires traitant aussi bien de l’histoire du mouvement libertaire que des contributions théoriques d’auteur.e.s anarchistes, et manifestant une prise en compte tardive de l’importance historique et théorique de l’anarchisme, après des décennies d’ignorance et de mépris. Mais surtout, dans un contexte marqué par un regain de la contestation anticapitaliste et par la faillite du prétendu socialisme réel, nombre de mouvements et de pratiques sociales et quotidiennes se réclament de l’anarchie ou ont un air de famille très prononcé avec elle. Si d’une part l’anarchie a longtemps été associée à des images d’Épinal (celle des poseurs.euses de bombes et des bandits de la Belle-Époque) ou réduite unilatéralement à telle ou telle de ses dimensions (l’athéisme, le syndicalisme), si d’autre part son premier moment d’affirmation a partie liée avec le mouvement ouvrier, il n’est plus possible aujourd’hui de ne pas tenir compte des transformations de l’idée anarchiste depuis 1968, les luttes écologistes et féministes des années soixante-dix, le renouveau récent du féminisme radical, le mouvement altermondialiste ou encore les pratiques d’auto-organisation que mettent en œuvre, dans le monde entier, les mouvements qui mettent en cause telle ou telle forme de la domination. Or ces deux dimensions, que l’on pourra dire théorique et pratique, d’une réaffirmation de l’anarchisme aujourd’hui, sont évidemment liées entre elles. C’est un même contexte historique et social qui a ouvert à l’anarchisme un espace dans le monde académique et lui a redonné une place dans l’imaginaire politique et social. Et les pratiques se réclamant de l’anarchie ou pouvant s’y rapporter ne cessent de produire leurs propres théorisations, alors que dans le même temps les théories anarchistes font signe vers des pratiques politiques et sociales. Par rapport à tout autre courant politique ou idéologique, l’anarchisme a en effet pour particularité de ne pas se réduire à un corps de doctrine auquel des militant.e.s seraient censés adhérer sans se soucier plus avant de sa réalisation ici et maintenant, et qui proposerait une conception d’un monde futur (celui des lendemains de la révolution) débarrassé de la domination, conception qui serait hétérogène avec les moyens de sa mise en œuvre.

    C’est cette ambition de prise en compte du caractère pratique des théories anarchistes et de la manière dont les théories libertaires continuent aujourd’hui d’accompagner des pratiques concrètes nous a poussés à nous concentrer sur l’anarchie plus que sur l’anarchisme, et sur la philosophie comme savoir pratique engagé dans la vie des personnes qui le mettent en œuvre plus que comme système doctrinal. La capacité qu’a l’anarchisme de resurgir tient à l’ampleur et à la radicalité du projet libertaire, mais cette radicalité et cette ampleur conduisent aussi l’anarchisme à affronter des questions philosophiques fondamentales, et cela non dans la tour d’ivoire des professionnel.le.s du concept, mais bel et bien dans les réflexions et les débats que fait surgir toute pratique anti-autoritaire. Les textes rassemblés dans ce volume ne présentent pas un point de vue unique sur ce que serait la philosophie de l’anarchie, ni sur l’existence même d’une telle philosophie. Certains d’entre eux se contredisent, et on ne trouvera pas deux textes qui concordent sur ces deux questions. Cette diversité nous semble correspondre à cette autre particularité du mouvement libertaire, qui ne s’est jamais référé à quelque dogme officiel ou à quelque maître penseur que ce soit, et a toujours préféré la contradiction à l’uniformité.

    Mais en voulant fournir un espace d’expression aux théories et aux pratiques les plus contemporaines, nous ne pouvions prétendre connaître a priori ce que chercheurs-euses et militant.e.s avaient pu produire sur les questions qui nous intéressaient. C’est pourquoi nous avons organisé, dans les mois qui ont précédé le colloque, un séminaire préparatoire au cours duquel plusieurs intervenant.e.s ont pu apporter leurs contributions à notre réflexion, contributions qu’il nous a paru important de faire figurer dans ce volume. C’est aussi pour cette raison que, lorsque la question de l’élaboration du programme s’est posée à nous, nous avons décidé de ne pas nous cantonner à ce que nous connaissions mais d’appeler, aussi largement que possible, à des propositions de contributions, et nous n’avons pas été déçus, puisque nous avons vu surgir tout un continent de recherches précises et actuelles qui nous étaient inconnues.

    Enfin, ce colloque a été l’occasion de créer des liens entre des générations différentes, entre militant.e.s et chercheurs.euses, entre institutions et lieux alternatifs (l’ENS de Lyon, le CEDRATS et le Salon des éditions libertaires). Ce fut, avec la fraîcheur des propos et des échanges dont il a été l’occasion, l’une des sources du plaisir que nous avons eu à l’organiser. La publication de ce volume ne poursuit pas d’autre but que de continuer à créer de tels liens au sein du mouvement libertaire et plus largement avec toutes les personnes qui continuent à chercher des formes d’actions et des idées pouvant nous rapprocher toujours plus d’une société émancipée…