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  • Daniela Festa : « En Italie, un mouvement social a émergé autour des communs urbains »
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/06/21/daniela-festa-en-italie-un-mouvement-social-a-emerge-autour-des-comm

    Quel a été le rôle de la commission Rodota dans l’émergence de cette question ?

    Elle a été centrale. Stefano Rodota [1933-2017] était un grand personnage de la culture juridique et politique italienne. En 2007, le gouvernement Prodi décida de lui confier la présidence d’une commission ministérielle chargée de rédiger un projet de loi pour la réforme des régimes des biens. Pour les juristes de cette commission, la question était la suivante : comment faire en sorte que les biens voués à satisfaire les besoins de la collectivité ne soient pas captés par le patrimoine privé, sans aucun retour pour la communauté ?

    La commission a décidé d’introduire, pour la première fois, la notion juridique de communs : des « biens qui comportent une utilité fonctionnelle pour l’exercice des droits fondamentaux et le libre développement de la personne ». Parmi eux figurent plusieurs ressources naturelles, des zones naturelles protégées, mais également des biens culturels. Ce projet n’a finalement pas eu de suite législative, mais il a fortement alimenté les débats et les actions citoyennes dans le pays.

    Autre rendez-vous politique important : le référendum de 2011 contre la privatisation de l’eau. Quelles forces ce succès a-t-il libérées ?

    Après cette victoire éclatante (57 % d’Italiens ont voté, et 95 % des votants se sont exprimés pour que l’eau reste publique), la question des communs a explosé en Italie. Tout le monde s’est mis à en débattre, dans les grandes villes comme dans les petites. Depuis, le pays est passé à autre chose, avec d’autres problèmes à régler.

    Mais ce moment n’en a pas moins donné naissance à plusieurs expériences importantes. A commencer par la charte de Bologne, un pacte élaboré en 2014 par un laboratoire de juristes et la municipalité, portant sur « la collaboration entre les citoyens et l’administration pour l’entretien et la régénération des biens communs urbains ».

    Quels sont les biens concernés par ce pacte ?

    Il s’agit en priorité de biens publics, matériels ou culturels, mais aussi éventuellement de biens privés s’il y a une volonté du propriétaire de les mettre à la disposition de la ville. Les citoyens peuvent se proposer eux-mêmes pour les prendre en charge, l’administration gardant un rôle de sélection et de régie. Ce pacte de collaboration entre la municipalité et les citoyens a progressivement été adopté par de nombreuses villes italiennes (environ 120 à ce jour), mais peu d’entre elles ont témoigné d’une volonté politique suffisante pour le rendre aussi effectif qu’à Bologne.

    Certaines villes n’en ont pas moins fait preuve d’originalité et ont réadapté cette charte à leur propre territoire. A Orvieto, par exemple, ville d’art et de culture, l’attention a été portée sur le patrimoine culturel. A Chieri (métropole de Turin), la charte a été rediscutée de manière à rendre plus égalitaire le rapport entre les institutions et les citoyens.

    A quelle critique ces chartes peuvent-elles donner lieu ?

    En promouvant l’engagement direct des citoyens autour des communs, ces initiatives peuvent être le symptôme d’une déresponsabilisation des institutions publiques. Celles-ci ne parvenant pas à assurer le maintien de patrimoines collectifs, elles s’appuieraient alors sur les citoyens, non pour promouvoir l’espace démocratique, mais pour s’en dégager.

    C’est un risque réel, dont il faut tenir compte. Car, dès lors qu’on parle de communs ayant une importance culturelle et sociale forte, il est illusoire de penser que les citoyens peuvent les préserver sans ressources économiques. Si les biens communs se transformaient en outil de démantèlement de l’Etat social, cela deviendrait très dangereux.

    #Communs #Daniela_Festa

  • Biens communs : jouir sans posséder
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/06/21/biens-communs-jouir-sans-posseder_5318960_3232.html

    Débats citoyens

    « Dans les interactions entre habitants “historiques”, paysans, squatteurs, voisins (…) s’est construit un territoire commun, au-delà de la propriété, des habitudes et des appartenances », constate ainsi un collectif d’intellectuels, parmi lesquels la philosophe Isabelle Stengers et l’anthropologue au Collège de France Philippe Descola (Mediapart, 6 avril). Une démarche « collective, construite comme un “commun”, au sein de laquelle les individualités trouvent leur propre énergie », appuient l’ingénieur des Ponts et Chaussées Olivier Frérot et le géographe Luc Gwiazdzinski (Libération, 20 avril).

    « Pourquoi ne pas reconnaître aux ­zadistes un droit à l’expérimentation ? Ils pourraient ainsi promouvoir une autre approche de la propriété qui est celle des “commons”, c’est-à-dire un dispositif fondé sur un collectif identifié et porteur d’un territoire », insiste l’économiste Bernard Paranque (Le Monde, 18 mai).

    Lire aussi : Daniela Festa : « En Italie, un mouvement social a émergé autour des communs urbains »

    La question des communs ne s’invite pas seulement dans le bocage nantais. Une Université du bien commun a été lancée à Paris en octobre 2017, dont le premier cycle de conférences et de débats citoyens a rencontré un franc succès. « Nous pensons que ce succès est lié, non seulement à la qualité des intervenants, mais également au fait que nous essayons d’articuler l’analyse et la recherche avec des pratiques de terrain et des initiatives en cours sur les biens communs (semences, eau, agriculture urbaine, logiciels libres, logement, etc.) », précise Cristina Bertelli, cofondatrice de l’université.

    Pour son film Nul homme n’est une île, sorti en avril, le documentariste Dominique Marchais a parcouru l’Italie, l’Autriche et la Suisse, en quête d’initiatives d’entraide et de sauvegarde des territoires allant à contre-courant des modèles économiques dominants. Et il ne se passe pas un mois sans que sorte un nouvel ouvrage consacré à l’économie ou à la gouvernance des biens communs. Ces derniers font donc un retour en force dans le monde des idées. Mais de quoi parle-t-on précisément ?

    #Communs