person:dominique berthet

  • L’art de vivre comme ça nous boume
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    Deux bouquins récents de l’Harmattan s’attaquent à l’utopie. Approchons-nous d’eux à petits pas méfiants car ils sont fristouillés par des grosses têtes universitaires. Le livre Anarchie éclairée du professeur de philosophie du droit Matthias Kaufmann décrit fort lourdinguement « la communauté des hommes libres et égaux » proposée par Aristote dans laquelle quelques privilégiés d’apparence débonnaire gouvernent et se laissent gouverner à tour de rôle en glosant sur l’utile et le juste. Il rappelle quelques pages plus loin que les anarchistes à la Bakounine ont cherché à « démocratiser » cette conception aristocratique du refus des hiérarchies durables en l’appliquant au peuple entier dans le cadre d’une « possession commune du sol et des moyens de production » et d’une généralisation de « l’égalité, de la solidarité, de la coopération libre et volontaire ». Puis voilà le professeur Kaufmann qui prend soudain son bœuf : il chipote sur toute la ligne le radicalisme révolutionnaire du « démon de la révolte » Bakounine (tout en ménageant le bien plus pondéré leader libertaire Kropotkine) et se démasque poisseusement : « Un mouvement anarchiste ne saurait aujourd’hui se passer du bouclier de l’État libéral… »

    Je craignais après cette douche de glu que l’étude collective L’Utopie. Art, littérature et société soit de la même farine. Surprise ! Il n’en est rien. Le docteur en philosophie martiniquais qui l’orchestre, Dominique Berthet, balance dans les gencives des amateurs d’art mortifère que pour lui, le vrai art, c’est « la création d’autres mondes, d’autres possibles ». Que c’est « un espace de résistance, d’insoumission, de transgression » nous conviant comme Oscar Wilde à faire de « notre vie une œuvre d’art ». Et de se référer aux rebelles dadaïstes, au turbulent futuriste Marinetti, au musicien John Cage qui voulait « abolir la frontière entre l’art et la vie », au mouvement Fluxus appelant, dans les années 1960, les artistes à la révolte armée, aux actionnistes viennois foutant le souk partout puis, naturellement, aux mauvais garnements situs [1].

    Mais il n’est pas question pour Dominique Berthet de s’en tenir à une visite guidée du musée des tentatives de fusion entre l’art et la vie. Dans son avant-propos au livre, comme dans le chapitre « L’art, une utopie incarnée ? », il nous ramène aux combats farouches du jour pour une vie différente. « Il convient de revendiquer l’utopie non pour ce qu’elle fut mais pour ce qu’elle peut offrir de nouveau, d’inédit, de plus juste, de plus épanouissant. » Pas mal du tout, Dr Berthet, tu mérites qu’on te roule des saucisses !