Et quelques jours après... voici encore un message de D. Grcic via la newsletter Migreurop
Depuis quelques jours la presse serbe fait état de discussions sur le
thème de la mise en état d’urgence de certaines villes en raison d’un
afflux important de migrants, qui transitent par la Serbie pour se
rendre dans un pays de l’UE.
Des journalistes croates se sont rendus dans une de ces villes,
Zaječar, et ils en ramènent un reportage tout différent de ce qui est
affirmé par les autorités.
La question des migrants est en effet devenue un sujet qui est utilisé
de façon politique et de très nombreuses rumeurs circulent depuis des
mois déjà, dont celles de risques d’épidémies et d’infiltration des
réfugiés par des militants de l’État islamique ou d’Al Qaeda.
Des articles de presse, il y a quelques jours, faisaient état de
40.000 migrants bloqués à la frontière bulgare et qui souhaiteraient
passer en Serbie.
Plusieurs articles ont annoncé le souhait d’autorités locales de
mettre en place un état d’urgence, mais à ce jour le gouvernement
serbe n’a pas repris cette idée, au contraire on trouve trace de
certains officiels qui disent qu’il ne doit pas être instauré.
Voici la traduction d’un article publié sur le site serbe de B92. Qui
nous rappelle qu’un regard par la presse étrangère est parfois
bienvenu – quand il s’agit de journalistes qui se rendent sur place,
ici dans « l’enfer de Zaječar ».
Dragan Grcic
ARTICLE TRADUIT DU SERBOCROATE
Ils ont inventé les migrants car ils n’avaient pas d’argent pour la
Guitariade (Jutarnji list)
Les journalistes du quotidien de Zagreb « Jutarnji List » se sont rendus
à Zaječar, après les informations sur la situation dramatique de cette
ville en raison de la vague de réfugiés.
Les autorités de la ville ont appelé à l’instauration de l’état d’urgence.
Cependant, comme on peut le lire dans « Jutarnji », les journalistes ont
trouvé sur place une image tout à fait différente…
À Zaječar, vile de l’est de la Serbie, à la frontière de la Bulgarie,
en raison de l’afflux des réfugiés, la volonté d’instaurer l’état
d’urgence.
La manifestation traditionnelle des Jeunes sportifs de cette ville a
été annulée pour des raisons de sécurité, sur recommandation de la
Cellule de sécurité. Les habitants ont peur, la ville est inondée de
réfugiés qui proviennent de Syrie, Irak, Afghanistan, Somalie…
Menace d’épidémie : parmi les habitants, la rumeur veut qu’ils
pourraient propager le virus d’Ebola.
Une panique supplémentaire a été ajoutée par l’adjoint au maire de
Zaječar, Milko Todorović, qui a déclaré qu’il existe une crainte
fondée que figurent parmi les réfugiés des terroristes de l’État
islamique.
Todorović a semé la panique en affirmant qu’à la frontière bulgare
attendent 40.000 nouveaux réfugiés.
Zaječar se trouve à seulement 15 kilomètres de la frontière avec la
Bulgarie, le point frontalier est Vrška Euka.
Les médias écrivent que les réfugiés ont littéralement dévalisé tous
les vergers sur leur passage, et que la pénurie de pêches et
d’abricots a fait doubler prix de ces fruits sur les places du marché.
On parle d’une catastrophe humanitaire qui menace la Serbie,
confrontée à un tsunami de réfugiés.
À Bogovađa, près de Lajkovac, les réfugiés d’Afrique du nord et
d’Asie, selon les médias, pillent les monastères et détruisent tout
sur leur passage, souvent ils entrent dans des appartements, et la
population locale, pour se protéger, doit souvent se faire justice
elle-même.
Le ministre du Travail Aleksandar Vulin, qui est compétent pour les
questions sociales, est vite venu dans une des villes plus
vulnérables, Zaječar, pour répondre personnellement à une situation
dramatique.
Ce n’est pas croyable. En Hongrie, où il y a déjà beaucoup de
réfugiés, des centaines chaque jour, le gouvernement a remis de
l’ordre.
Les immigrants en provenance d’Afrique et d’Asie sont fatigués et
hagards, à moitié affamés et effrayés, mais décents et loquaces, et en
dépit de la présence d’un verger de pêches, ils sont tous rassemblés
de l’autre côté de la rue, à l’ombre, car il fait plus de 35 degrés,
ils attendent que la police permette leur transfert à Szeged et
Debrecen, et aucun d’entre eux n’a pris le moindre fruit.
Sous l’impression de ce que nous avons pu voir en Hongrie, écrit
Jutarnji list, où des milliers de réfugiés ont submergé les villes
frontières et et où tout se produit de façon pacifique et organisée,
sans le moindre conflit, le président du conseil municipal de Zaječar,
Saša Mirković est le plus ardent défenseur de l’instauration de l’état
d’urgence. Il m’adresse au maire Velimir Ognjenović.
Sa secrétaire, pourtant, dit que le maire n’a pas une seule minute de
temps libre.
C’est qu’il est très occupé par la visite du ministre Vulin et par la
situation en ville.
Le chef de la police de Zaječar Goran Tomić refuse de communiquer sans
l’accord du ministère de l’intérieur (MUP) et quand nous l’avons
contacté, il nous a répondu par message électronique qu’il ne pouvait
lui donner l’autorisation de nous parler !
En dépit des descriptions apocalyptiques de la situation, nous avons
décidé de nous rendre dans l’enfer de Zaječar, dans l’est de la
Serbie, à proximité de la frontière bulgare, pour voir de nos propres
yeux le drame que connaît cette ville.
Nous sommes arrivés dans la ville vers midi, justement lorsque le
ministre Vulin y était, accompagné par le maire de Zaječar Ognjenović,
le chef de la police Tomić et le chef du district régional Vladan
Paunović, achevant une visite de la ville.
« À Zaječar, il n’y a pas d’invasion des demandeurs d’asile.
Aujourd’hui, après un long temps, j’en ai vu dans la rue, mais comme
vous vous en convaincrez par vous-même, ce n’est qu’une poignée,
peut-être une trentaine de personnes », explique la journaliste Sonja
Kamenković.
Décontenancés, nous nous rendons dans le centre de Zaječar ou, dans le
parking situé près du monument dédié à Nikola Pašić, à l’ombre d’un
tilleul, sont assis une vingtaine, tout au plus une trentaine de
réfugiés.
Quelques autres se reposent dans une café voisin. Les jeunes hommes
avec qui nous parlons proviennent d’Afghanistan, et leurs familles
viennent d’Irak.
Le plus âgé, chef de famille, dit qu’ils viennent de Mossoul. Il est
assis avec un groupe de femmes syriennes. Ils attendent que la police
de Zaječar leur remette un « ausweis ». Ils disent qu’ils sont entrés en
Serbie via la Macédoine. Ils souhaitent se rendre à l’ouest, ils
veulent s’établir en Allemagne ou dans un autre pays riche de l’Union
européenne.
Le chauffeur de taxi Bratislav Nikolić négocie avec un petit groupe
leur transport jusque Belgrade pour 100 euros.
« Croyez-moi, je les conduirai sans rien », dit Nikolić, qui se vante
auprès des réfugiés présents qu’il n’a jamais eu un seul incident.
Il est surprenant que les autorités parlent de la proclamation de
l’état d’urgence à Zaječar, dit-il, car de temps en temps il y a 10 ou
20 réfugiés qui arrivent. Aucun d’entre eux n’a pour destination
finale la Serbie.
À Zaječar, tout est normal. Les citoyens passent tous sans faire
attention à la poignée de gens présents et qui sont assis paisiblement
et personne ne fait rien.
« Ils ne me dérangent pas. Je ne connais personne à qui ils auraient
fait du mal. Nous comprenons ces personnes misérables et nous savons
qu’elles ne font que passer ici, et que Zaječar n’est pas la ville où
elles souhaitent rester. Et moi aussi, si je le pouvais, croyez-le, je
partirais d’ici avec eux », nous raconte une jeune femme.
En compagnie de quelques journalistes locaux, nous nous rendons à la
conférence de presse du ministre Vulin.
Au premier étage du bâtiment, le ministre Vulin, habillé avec
décontraction, en chemise noire et sans veston ni cravate, félicite le
gouvernement de Zaječar qui s’est bien chargé de la vague de migrants.
Il précise, cependant, qu’il n’y a pas lieu d’instaurer l’état
d’urgence.
Le chef de la police locale, Tomić, dont nous avons essayé d’obtenir
les données sur le nombre des réfugiés arrivés à Zaječar ces derniers
jours, se justifie en disant qu’il ne peut s’exprimer sans l’accord du
ministère de l’intérieur !
Nous nous demandons donc pourquoi, avec le maire de Zaječar,
Ognjenović, il se tient près du ministre Vulin et des journalistes,
qui d’ailleurs lui non plus n’a pas fourni le moindre chiffre.
Tout le mystère des réfugiés de Zaječar, que nous n’avons toujours pas
vus, mais qui ont presque conduit à l’état d’urgence, nous allons
bientôt le découvrir dans une pâtisserie à 200m de l’hôtel de ville,
grâce à l’ancien maire, aujourd’hui conseiller municipal de
l’opposition, Boško Ničić.
Avant d’entamer la discussion, il nous demande combien de réfugiés
nous avons vus dans Zaječar : dix, vingt ou trente ?
« Car c’est pour cela que l’on veut instaurer l’état d’urgence ? » - il
nous pose la question en riant.
« Tout cela, c’est une grosse farce, à l’image du gouvernement local »,
poursuit-il.
« Il y a quelques jours devait se tenir à Zaječar une manifestation
traditionnelle des sports pour les jeunes. Bien que les dépenses
n’étaient pas élevées, moins de 10.000 euros, les coffres de la
municipalité sont totalement vides et ils n’avaient pas cet argent.
C’est pour cela qu’ils ont annulé la manifestation, en se justifiant
par des problèmes de sécurité dus à une vague de réfugiés. Bientôt, le
29 juillet devrait débuter le 29e Festival traditionnel de la guitare,
la Guitariade de Zaječar. L’événement dure 4 jours et coûte dans les
100.000 euros. Mais bien sûr, ils n’ont pas cet argent. Je ne pense
pas qu’il y aura beaucoup d’interprètes, parmi lesquels on annonçait
Gibonni, qui viendraient sur leurs propres fonds et participeraient
sans honoraires. La seule sortie était la proclamation de l’état
d’urgence pour pouvoir annuler la manifestation. Au lieu de dire que
la ville a les caisses vides, on a inventé l’invasion des immigrés,
qui étaient sur le point d’envahir Zaječar. Ils avaient besoin d’un
état d’urgence. Depuis 700 jours qu’ils sont au pouvoir, les autorités
ont a ce jour bloqué 500 jours », déclare l’ancien maire de Zaječar,
Boško Ničić.
Et il ajoute : « Il y a 15 minutes en voiture pour arriver à la
frontière bulgare. Allez-y et vous verrez combien de réfugiés ont
l’intention de venir à Zaječar ».
La première ville en Bulgarie, après le poste frontière de Vrška Čuka, est Kula.
A une proche pompe à essence, nous demandons à la vendeuse si elle
voit passer des réfugiés. Elle dit qu’il n’y en a plus depuis
longtemps. Nous continuons jusque Vidin, une petite ville de 50.000
âmes, sur le Danube, où la rivière sépare la Bulgarie de la Roumanie.
Pas de trace de réfugiés.
Nous revenons à Zaječar. Là où nous avions rencontré une trentaine de
réfugiés quelques heures plus tôt, sous un vieux tilleul du
centre-ville, près du monument à Nikola Pašić, lui le natif de Zaječar
et qui fut naguère le Premier ministre du Royaume de Serbie, et
ensuite du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, sont seulement
assis quelques Afghans.
Manifestement, les réfugiés sont quelque part ailleurs. Pour eux – une
autre vie, quelque part ailleurs.
Source : « Nema para za Gitarijadu, izmislili migrante », B92, 20 juillet
2015. Traduction vers le français : Dragan Grcic.