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  • Bayer, dans l’enfer du mariage avec Monsanto

    Depuis la fusion effective des deux groupes, en juin, la valeur du nouvel ensemble ne cesse de fondre. Les investisseurs s’inquiètent du risque environnemental que constitue le glyphosate
    Cécile Boutelet
    page scq2

    Berlin correspondance - Ce jour-là, l’action Bayer a décroché, pour ne plus jamais se relever. Le 9 août 2018, Dewayne ­Johnson, un ancien jardinier en phase terminale de lymphome non hodgkinien, obtient gain de cause dans son procès contre Monsanto, qui ne l’a pas informé des risques qu’il courait en utilisant son produit phare, le Roundup. Le célèbre produit à base de glyphosate, l’herbicide le plus utilisé dans le monde, est pour la première fois rendu responsable d’un cancer par un tribunal, qui condamne Monsanto à verser au plaignant 289 millions de dollars (253 millions d’euros) : 39 au titre du préjudice moral et financier et 250 millions au titre des dommages. L’allemand Bayer, qui a racheté le semencier Monsanto au mois de juin 2018, accuse le coup : 10 milliards d’euros de valeur boursière s’évaporent en quelques heures. Le « risque Monsanto » correspond désormais à un chiffre, monstrueux. Et la descente aux enfers commence.

    Bayer, ébranlé par la sanction, se défend. Il assure aux investisseurs que le procès sera cassé en appel, que la peine sera allégée et que le juge se rendra aux conclusions des « 800 études scientifiques » prouvant l’innocuité de la molécule. L’action reprend des couleurs. Mais lundi 22 octobre, le couperet tombe : la juge Suzanne Bolanos ne rouvrira pas le procès. Elle maintient le jugement mais allège la sanction financière, la ramenant au total à 78,5 millions de dollars. L’action s’effondre à nouveau, pour atteindre son plus bas niveau depuis cinq ans. Le 1er novembre, Dewayne Johnson a accepté dans le but d’éviter le poids d’un nouveau procès les dommages et intérêts réduits.

    Depuis le rachat de Monsanto, Bayer a perdu la somme gigantesque de 30 milliards d’euros de valeur boursière, alors que le groupe a opéré une augmentation de capital de 9 milliards d’euros pour boucler la fusion. Le « mariage du siècle » au sommet de l’agrochimie mondiale était-il une erreur ? Déjà condamné par les écologistes, voilà qu’il est aussi remis en cause par les marchés. Tout, dans cette alliance, est démesuré : le prix de la transaction (63 milliards de dollars) ; la taille du nouveau groupe, devenu le premier producteur de glyphosate du monde et le champion mondial de l’agrochimie ; la réputation de Monsanto, un nom si chargé négativement que Bayer a prévu de le faire disparaître. Mais c’est surtout l’ampleur du nouveau risque judiciaire qui affole les investisseurs : 7 800 procès sont actuellement intentés contre Monsanto aux Etats-Unis, soit plusieurs milliards de dollars de dommages et intérêts potentiels.

    « Ambiance désastreuse »

    « Les activités de Monsanto apportent des risques élevés en matière environnementale, sociale et de gouvernance », estime Ingo Speich, gestionnaire de fonds chez Union Investment. Bayer a-t-il suffisamment mesuré les risques ? Les actionnaires sont d’autant plus inquiets que les autres activités du groupe affichent des signes de faiblesse : le département des médicaments sans ordonnance a vu ses résultats reculer au dernier semestre. En pharmacie conventionnelle, plusieurs brevets Bayer arrivent bientôt à échéance, et les nouvelles molécules en cours d’homologation ne pourront pas compenser la perte de chiffre d’affaires.

    En interne, depuis le mois d’août, c’est le branle-bas de combat. « L’ambiance est désastreuse. Beaucoup avaient déjà eu du mal à avaler la décision de racheter Monsanto, vu l’image qu’ils en ont. Mais là, la situation n’est pas tenable à long terme. Si un hedge fund veut nous racheter, il peut le faire à bon compte », s’inquiète une source interne. Pour sauver la fusion, même les bijoux de famille sont examinés. Fin septembre, la presse allemande rapporte que Bayer étudie de près une cession de ses activités en santé animale, qui pourrait rapporter 6 à 7 milliards d’euros. Une information non confirmée par le groupe.

    Fin septembre, lors d’une réunion du personnel à Leverkusen, au siège de Bayer, Werner Baumann, patron du groupe, a évoqué la possibilité de se séparer de certaines parties de son département recherche en médicaments, l’un des coeurs traditionnels de Bayer. Les représentants des salariés sont alarmés.

    Surtout, Bayer veut sauver le soldat glyphosate. L’herbicide controversé est d’une importance cruciale pour le groupe. Il représentait un quart des ventes de Monsanto. Dans le groupe Bayer consolidé, il pèse 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Alors Werner Baumann monte lui-même au créneau dans la presse. Dans le numéro du 23 septembre de Bild am Sonntag, version dominicale de Bild, le quotidien le plus lu d’Allemagne, il pose, souriant, dans un laboratoire du groupe. « Grâce au glyphosate, les gens mangent à leur faim », affirme-t-il, au risque de s’attirer les foudres des milieux écologistes.

    Volonté de dialogue

    La sortie pro-glyphosate du patron de Bayer surprend. Car, depuis début 2018, c’est un tout autre discours qui était mis en avant. Liam Condon, directeur du département Crop Science, a multiplié les interventions dans la presse et auprès d’associations environnementales pour expliquer la démarche du nouveau groupe. Il joue la carte du dialogue et de l’apaisement.

    Fin mars, dans le magazine Capital, une discussion est organisée avec le coprésident du parti écologiste allemand, Robert Habeck, sur la question de savoir comment nourrir la planète avec 10 milliards d’habitants en 2050. C’est la première fois qu’un tel débat est organisé dans le pays, symptomatique d’un double mouvement : la volonté de Bayer de trancher avec le passé de Monsanto, qui refusait systématiquement le débat avec ses contradicteurs, et la nouvelle orientation des Verts allemands, traditionnellement parti d’urbains très diplômés, qui ne veulent plus passer pour des ennemis de l’innovation. Les positions restent antagoniques, notamment sur la question des brevets sur les plantes, mais certains points d’entente sont identifiés. « Je ne veux pas revenir à une agriculture de carte postale avec trois cochons et deux poules », dit M. Habeck, aujourd’hui une des personnalités politiques les plus en vue d’Allemagne. « Le glyphosate n’est pas notre avenir », assure de son côté M. Condon.

    La question est brûlante : dans le contexte d’une augmentation de la population, d’un réchauffement du climat et d’une extinction des espèces, comment accroître la production agricole sans étendre les terres arables au détriment des espaces sauvages ? Comment adapter l’agriculture à la montée du niveau des mers ? Comment faire avec moins d’eau, moins d’engrais et moins de pesticides de synthèse ?

    Liam Condon est l’arme de Bayer dans ce débat sensible. Mi-juin, dans l’hebdomadaire FAS, il laisse entrevoir ce à quoi pourrait ressembler l’agriculture du futur selon Bayer : davantage de technique et moins de chimie. Même s’il continue de défendre le glyphosate comme un herbicide « sûr . « La grande solution qui va sauver le monde n’existe pas, explique-t-il. L’agriculture est trop variée. Mais il y aura une série de petits apports. »

    Il en nomme trois. Le premier est la technologie Crispr-Cas, ou « ciseau génétique » une technologie codécouverte en 2012 par la Française Emmanuelle Charpentier, qui permet de modifier l’ADN d’une plante plus rapidement qu’auparavant, sans avoir recours au matériel génétique d’une autre plante. Elle pourrait permettre de créer des organismes plus résistants à la sécheresse, capables de grandir dans l’eau salée, ou plus productifs, promettent les scientifiques, qui parlent de « révolution dans l’agriculture . La méthode divise actuellement les écologistes allemands et le thème est très controversé en Europe. Un arrêt de la Cour de justice européenne, rendu fin juillet, a ainsi mis un coup de frein au développement de la technologie sur les sols européens. Les plantes traitées avec la méthode Crispr-Cas sont considérées comme des OGM et devront être dûment étiquetées.

    La deuxième technologie sur laquelle mise Bayer est l’agriculture numérique ou « digital farming », qui suppose par exemple l’utilisation de robots autonomes dans les champs qui repèrent les plantes nuisibles et les détruisent au laser. Ou celle de capteurs, capables de mesurer au plus près l’hygrométrie et la quantité d’intrants à utiliser. La troisième innovation repose sur une meilleure connaissance des micro-organismes ou microbes présents dans le sol et leur relation avec la croissance de la plante. Elle propose des solutions biologiques pour la fertilisation des sols ou la protection contre les maladies. Certaines préparations déjà sur le marché sont d’ailleurs utilisables en agriculture bio.

    Interrogées par le Monde, plusieurs sources des milieux écologistes conviennent, en off, que ces innovations sont « intéressantes » et qu’elles consacrent l’émergence d’une agriculture « post-chimie . Mais elles maintiennent leur condamnation de la concentration du secteur de l’agrotechnologie. Pour les actionnaires, ces nouvelles méthodes ne promettent cependant pas de profits à court terme. Or la Bourse est cruelle : elle mesure le risque environnemental, mais ne veut pas renoncer aux profits sûrs. Pour Bayer, le défi est double : il doit convaincre que son modèle d’agriculture du futur est aussi « durable » qu’il le prétend, et qu’il peut générer autant de profits que le glyphosate.

    Dans Le Monde Éco & Entreprise, samedi 3 novembre 2018 1478 mots, p. SCQ2

    #agriculture #monsanto #glyphosate

  • Bayer, dans l’enfer du mariage avec Monsanto
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/11/02/bayer-dans-l-enfer-du-mariage-avec-monsanto_5377800_3234.html

    Depuis la fusion effective des deux groupes, en juin, la valeur du nouvel ensemble ne cesse de fondre. Les investisseurs s’inquiètent du risque environnemental que constitue le glyphosate.

    Ce jour-là, l’action Bayer a décroché, pour ne plus jamais se relever. Le 9 août 2018, Dewayne Johnson, un ancien jardinier en phase terminale de lymphome non hodgkinien, obtient gain de cause dans son procès contre Monsanto, qui ne l’a pas informé des risques qu’il courait en utilisant son produit phare, le Roundup. Le célèbre herbicide à base de glyphosate, le plus utilisé dans le monde, est pour la première fois rendu responsable d’un cancer par un tribunal, qui condamne Monsanto à verser au plaignant 289 millions de dollars (253 millions d’euros) : 39 au titre du préjudice moral et financier et 250 millions au titre des dommages.

    L’allemand Bayer, qui a racheté le semencier Monsanto au mois de juin, accuse le coup : 10 milliards d’euros de valeur boursière s’évaporent en quelques heures. Le « risque Monsanto » correspond désormais à un chiffre, monstrueux. Et la descente aux enfers commence.

    Bayer, ébranlé par la sanction, se défend. Il assure aux investisseurs que le procès sera cassé en appel, que la peine sera allégée et que le juge se rendra aux conclusions des « 800 études scientifiques » prouvant l’innocuité de la molécule. L’action reprend des couleurs. Mais lundi 22 octobre, le couperet tombe : la juge Suzanne Bolanos ne rouvrira pas le procès. Elle maintient le jugement mais allège la sanction financière, la ramenant au total à 78,5 millions de dollars. L’action s’effondre à nouveau, pour atteindre son plus bas niveau depuis cinq ans. Le 1er novembre, Dewayne Johnson a accepté – dans le but d’éviter le poids d’un nouveau procès – les dommages et intérêts réduits.

    Branle-bas de combat

    Depuis le rachat de Monsanto, Bayer a perdu la somme gigantesque de 30 milliards d’euros de valeur boursière, alors que le groupe a opéré une augmentation de capital de 9 milliards d’euros pour boucler la fusion. Le « mariage du siècle » au sommet de l’agrochimie mondiale était-il une erreur ? Déjà condamné par les écologistes, voilà qu’il est aussi remis en cause par les marchés.

    Tout, dans cette alliance, est démesuré : le prix de la transaction (63 milliards de dollars) ; la taille du nouveau groupe, devenu le premier producteur de glyphosate du monde et le champion mondial de l’agrochimie ; la réputation de Monsanto, un nom si chargé négativement que Bayer a prévu de le faire disparaître. Mais c’est surtout l’ampleur du nouveau risque judiciaire qui affole les investisseurs : 7 800 procès sont actuellement intentés contre Monsanto aux Etats-Unis, soit plusieurs milliards de dollars de dommages et intérêts potentiels.

    Dans le groupe Bayer consolidé, l’herbicide Roundup pèse 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

    « Les activités de Monsanto apportent des risques élevés en matière environnementale, sociale et de gouvernance, » juge Ingo Speich, gestionnaire de fonds chez Union Investment. Bayer a-t-il suffisamment mesuré les risques ? Les actionnaires sont d’autant plus inquiets que les autres activités du groupe affichent des signes de faiblesse : le département des médicaments sans ordonnance a vu ses résultats reculer au dernier semestre. En pharmacie conventionnelle, plusieurs brevets Bayer arrivent bientôt à échéance, et les nouvelles molécules en cours d’homologation ne pourront pas compenser la perte de chiffre d’affaires.

    En interne, depuis le mois d’août, c’est le branle-bas de combat. « L’ambiance est désastreuse. Beaucoup avaient déjà eu du mal à avaler la décision de racheter Monsanto, vu l’image qu’ils en ont. Mais là, la situation n’est pas tenable à long terme. Si un hedge fund veut nous racheter, il peut le faire à bon compte », s’inquiète une source interne. Pour sauver la fusion, même les bijoux de famille sont examinés. Fin septembre, la presse allemande rapporte que Bayer étudie de près une cession de ses activités en santé animale, qui pourrait rapporter 6 à 7 milliards d’euros. Une information non confirmée par le groupe.

    Fin septembre, lors d’une réunion du personnel à Leverkusen, au siège de Bayer, Werner Baumann, patron du groupe, a évoqué la possibilité de se séparer de certaines parties de son département recherche en médicaments, un des cœurs traditionnels de Bayer. Les représentants des salariés sont alarmés.

    Sauver le soldat glyphosate

    Surtout, Bayer veut sauver le soldat glyphosate. L’herbicide controversé est d’une importance cruciale pour le groupe. Il représentait un quart des ventes de Monsanto. Dans le groupe Bayer consolidé, il pèse 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Alors Werner Baumann monte lui-même au créneau dans la presse. Dans le numéro du 23 septembre de Bild am Sonntag, version dominicale de Bild, le quotidien le plus lu d’Allemagne, il pose souriant dans un laboratoire du groupe. « Grâce au glyphosate, les gens mangent à leur faim », affirme-t-il, au risque de s’attirer les foudres des milieux écologistes.

    La sortie pro-glyphosate du patron de Bayer surprend. Car depuis début 2018, c’est un tout autre discours qui était mis en avant. Liam Condon, directeur du département Crop Science, a multiplié les interventions dans la presse et auprès d’associations environnementales pour expliquer la démarche du nouveau groupe. Il joue la carte du dialogue et de l’apaisement.

    Fin mars, dans le magazine Capital, une discussion est organisée avec le coprésident du parti écologiste allemand, Robert Habeck, sur la question de savoir comment nourrir la planète avec 10 milliards d’habitants en 2050. C’est la première fois qu’un tel débat est organisé dans le pays, symptomatique d’un double mouvement : la volonté de Bayer de trancher avec le passé de Monsanto, qui refusait systématiquement le débat avec ses contradicteurs, et la nouvelle orientation des Verts allemands, traditionnellement parti d’urbains très diplômés, qui ne veulent plus passer pour des ennemis de l’innovation.

    Les positions restent antagoniques, notamment sur la question des brevets sur les plantes, mais certains points d’entente sont identifiés. « Je ne veux pas revenir à une agriculture de carte postale avec trois cochons et deux poules, » dit M. Habeck, aujourd’hui une des personnalités politiques les plus en vue d’Allemagne. « Le glyphosate n’est pas notre avenir », assure de son côté M. Condon.

    La question est brûlante : dans le contexte d’une augmentation de la population, d’un réchauffement du climat et d’une extinction des espèces, comment augmenter la production agricole sans étendre les terres arables au détriment des espaces sauvages ? Comment adapter l’agriculture à la montée du niveau des mers ? Comment faire avec moins d’eau, moins d’engrais et moins de pesticides de synthèse ?

    Plus de technique, moins de chimie

    Liam Condon est l’arme de Bayer dans ce débat sensible. Mi-juin, dans l’hebdomadaire FAS, il laisse entrevoir à quoi pourrait ressembler l’agriculture du futur selon Bayer : davantage de technique et moins de chimie. Même s’il continue à défendre le glyphosate comme un herbicide « sûr ». « La grande solution qui va sauver le monde n’existe pas, explique-t-il. L’agriculture est trop variée. Mais il y aura une série de petits apports. »

    Il en nomme trois. Le premier est la technologie Crispr/Cas, ou « ciseau génétique » une technologie co-découverte en 2012 par la Française Emmanuelle Charpentier, qui permet de modifier l’ADN d’une plante de façon plus rapide qu’avant, sans avoir recours au matériel génétique d’une autre plante. Elle pourrait permettre de créer des organismes plus résistants à la sécheresse, capables de grandir dans l’eau salée, ou plus productifs, promettent les scientifiques, qui parlent de « révolution dans l’agriculture ». La méthode divise actuellement les écologistes allemands et le thème est très controversé en Europe. Un arrêt de la Cour de justice européenne, rendu fin juillet, a ainsi mis un coup de frein au développement de la technologie sur les sols européens. Les plantes traitées avec la méthode Crispr/Cas sont considérées comme des OGM et devront être dûment étiquetées.

    La deuxième technologie sur laquelle mise Bayer est l’agriculture numérique ou « digital farming », qui suppose par exemple l’utilisation de robots autonomes dans les champs qui repèrent les plantes nuisibles et les détruisent au laser. Ou celle de capteurs, capables de mesurer au plus près l’hygrométrie et la quantité d’intrants à utiliser. La troisième innovation repose sur une meilleure connaissance des micro-organismes ou microbes présents dans le sol et leur relation avec la croissance de la plante. Elle propose des solutions biologiques pour la fertilisation des sols ou la protection contre les maladies. Certaines préparations déjà sur le marché sont d’ailleurs utilisables en agriculture bio.

    Interrogées par le Monde, plusieurs sources des milieux écologistes conviennent, en off, que ces innovations sont « intéressantes » et qu’elles consacrent l’émergence d’une agriculture post-chimie. Mais elles maintiennent leur condamnation de la concentration du secteur de l’agrotechnologie. Pour les actionnaires, ces nouvelles méthodes ne promettent cependant pas de profits à court terme. Or la Bourse est cruelle : elle mesure le risque environnemental, mais ne veut pas renoncer aux profits sûrs. Pour Bayer, le défi est double : il doit convaincre que son modèle d’agriculture du futur est aussi « durable » qu’il le prétend, et qu’il peut générer autant de profits que le glyphosate.

  • Broad Institute prevails in heated dispute over CRISPR patents
    https://www.statnews.com/2017/02/15/crispr-patent-ruling

    The US patent office ruled on Wednesday that hotly disputed patents on the revolutionary genome-editing technology CRISPR-Cas9 belong to the Broad Institute of Harvard and MIT, dealing a blow to the University of California in its efforts to overturn those patents.

    In a one-sentence judgment by the Patent Trial and Appeal Board, the three judges decided that there is “no interference in fact.” In other words, key CRISPR patents awarded to the Broad beginning in 2014 are sufficiently different from patents applied for by UC that they can stand. (…)

    The ruling means that, in the eyes of the patent office, breakthrough work by UC biochemist Jennifer Doudna and her colleagues on CRISPR — an ancient bacterial immune system that they repurposed to easily and precisely edit DNA — was not so all-encompassing as to make later advances “obvious.” That is at odds with how much of the science world has viewed their work. Doudna and her chief collaborator, Emmanuelle Charpentier, won the $3 million Breakthrough Prize in the life sciences in 2015, the $500,000 Gruber Genetics Prize in 2015, and the $450,000 Japan Prize in 2017.

    #crispr-cas9 #brevets #recherche #génétique

  • Five big mysteries about CRISPR’s origins : Nature News & Comment
    http://www.nature.com/news/five-big-mysteries-about-crispr-s-origins-1.21294

    For Mojica, exploring that diversity and answering basic questions about CRISPR systems hold more allure than the revolution they sparked. This puzzles many of his colleagues, he says. He has immersed himself in CRISPR–Cas biology for a quarter of a century, and although there’s a lot of funding available for those who wish to edit genomes, there is considerably less for the kind of work he does.

    The quiet revolutionary: How the co-discovery of CRISPR explosively changed Emmanuelle Charpentier’s life : Nature News & Comment
    http://www.nature.com/news/the-quiet-revolutionary-how-the-co-discovery-of-crispr-explosively-changed-e

    The microbiologist spent years moving labs and relishing solitude. Then her work on gene-editing thrust her into the scientific spotlight.

    The unsung heroes of CRISPR : Nature News & Comment
    http://www.nature.com/news/the-unsung-heroes-of-crispr-1.20272

    The soaring popularity of gene editing has made celebrities of the principal investigators who pioneered the field — but their graduate students and postdocs are often overlooked.

    #crispr-cas #recherche #financements #inégalités #star-system

  • Génétique : le mirage du bébé parfait

    http://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2016/08/22/le-mirage-du-bebe-parfait_4986291_3451060.html

    J’étais terrorisée, mais je suis rentrée dans cette pièce où Hitler se trouvait. Il avait un visage de cochon. (…) Il a dit : “Je veux comprendre les utilisations et les implications de cette formidable technologie.” Je me suis réveillée, couverte d’une sueur froide. » Jennifer Doudna a raconté, en novembre 2015, ce cauchemar au New Yorker, qui enquêtait sur Crispr-Cas9, un puissant outil d’édition du génome que la chercheuse à l’université Berkeley a contribué à mettre au point. Un dictateur pourrait-il aujourd’hui ressusciter les délires eugénistes des nazis, produire des lignées de « bébés parfaits » grâce à ces nouveaux outils ? Le « meilleur des mondes » est-il à notre porte ?

    Cette perspective est suffisamment inquiétante pour que Jennifer Doudna et ses pairs, mais aussi de nombreuses sociétés savantes – et même la CIA –, se soient emparés du brûlant sujet Crispr-Cas9, sur son versant éthique. Jamais l’humanité n’a semblé aussi proche de modifier sa propre lignée, son génome et celui des générations à venir.
    Il ne s’agirait plus de science-fiction, d’un scénario dystopique, mais d’une possibilité qui a émergé avec force en avril 2015 : une équipe chinoise publie alors les résultats d’une expérience sur des embryons humains visant à modifier le gène responsable de la bêta-thalassémie, une forme d’anémie d’origine génétique. L’étude fait grand bruit. Certains jugent qu’une barrière éthique a été transgressée. Les chercheurs chinois pensent avoir pris les précautions idoines : ils n’ont utilisé que des cellules dites triploïdes, incapables de se développer pour donner un être viable – ils ont stoppé leurs observations lorsque les embryons ne comptaient que huit cellules.

    De plus, leur étude suggère que Crispr-Cas9 n’est pas l’outil à la précision chirurgicale tant vantée : seul un faible nombre d’embryons ­modifiés porte les mutations souhaitées, et des modifications « hors cibles » ont été mises en évidence. Même constat un an plus tard, lors de la parution d’une nouvelle étude chinoise où Crispr-Cas9 est cette fois utilisé pour offrir une protection contre le VIH : le succès n’a été que partiel, avec de nombreuses mutations non voulues et des ratés dans l’édition des ­embryons, détruits après quelques divisions cellulaires. Les chercheurs chinois voulaient voir si l’on pourrait créer des humains naturellement immunisés contre le sida. Ils ont prouvé qu’on était loin du compte. Le bébé « sur mesure » n’est finalement pas pour demain.

    « Evaluer les aspects éthiques »

    Dans l’intervalle, une équipe de l’Institut Francis-Crick, à Londres, a reçu l’autorisation de procéder, elle aussi, à des manipulations sur des embryons humains. Il s’agit de désactiver de façon sélective certains gènes considérés comme cruciaux dans la différenciation des premières cellules en divers tissus. A Stockholm aussi, une équipe pourra procéder à de tels essais. Comme en Chine, pas question d’implanter ces embryons dans un utérus. Le but est de mieux comprendre certaines formes d’infertilité.

    Ces expérimentations sur l’embryon sont conformes au consensus qui a émergé au fil des réunions internationales et des réflexions conduites par les sociétés savantes nationales, de l’usage sur l’homme des nouvelles techniques d’édition du génome. « Crispr fonctionne si bien et rencontre un tel succès qu’il serait important d’évaluer les aspects éthiques de son utilisation », avait prévenu, dès juin 2014, la Française Emmanuelle Charpentier, co-inventrice de l’outil.

    Au printemps 2015, Nature et Science publient des mises en garde contre la modification des cellules germinales (sexuelles) qui passerait d’une génération à l’autre. Une de ces tribunes est cosignée par le Nobel de chimie, en 1980, Paul Berg. Ce dernier avait organisé, en 1975, la conférence d’Asilomar (Californie), qui avait abouti à la mise en place de protections contre les fuites dans l’environnement des premières bactéries génétiquement modifiées.

    Mais, cette fois, il s’agit de changer le patrimoine héréditaire de la lignée humaine elle-même. Jusqu’où peut-on aller ? Une réunion internationale est organisée, début décembre 2015, à Washington. Après des débats ­enflammés, la déclaration finale juge que la ­recherche fondamentale et préclinique sur l’édition des gènes est nécessaire et doit être poursuivie, ainsi que sur les bénéfices et risques potentiels de leur usage clinique. Mais, « si, dans ce processus de recherche, des ­embryons humains et des cellules germinales subissent des éditions de gènes, les cellules ­modifiées ne devront pas être utilisées pour lancer une grossesse », préviennent les organisateurs. L’usage clinique de ces techniques sur les cellules somatiques (non transmises d’une génération à l’autre) doit s’inscrire dans les dispositifs « existants et évolutifs » qui encadrent les thérapies géniques.

    Convention d’Oviedo

    Cette position est rejointe peu ou prou par diverses sociétés savantes et organismes de recherche, avec des nuances selon les législations nationales. La France, comme la plupart des pays d’Europe, est signataire de la convention d’Oviedo (1997), dont l’article 13 stipule qu’« une intervention ayant pour objet de ­modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques, et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance ». Une interprétation maximaliste du texte pourrait interdire toute utilisation de Crispr sur les cellules germinales.

    Si les tycoons de la Silicon Valley et l’empire du Milieu s’en mêlent, qui sait jusqu’où ira Crispr ?

    Mais le neurobiologiste Hervé Chneiweiss, président du comité d’éthique de l’Inserm, n’en fait pas la même lecture : « Il faut établir une distinction entre la recherche fondamentale autorisée et le transfert vers les applications humaines. » Au-delà, quand la technologie sera éprouvée, s’interroge-t-il, « en quoi cela serait-il une atteinte à l’humanité d’éradiquer des maladies d’une particulière gravité, comme celle de Huntington, en modifiant les embryons ? »
    George Church (Harvard) ne se satisfait pas du consensus actuel. Pour lui, la focalisation sur l’embryon a fait passer au second plan l’édition des cellules sexuelles masculines : « En partant de cellules souches, vous pouvez les modifier ex vivo, en faire des clones, et vérifier celles qui ont les bonnes modifications. On peut s’assurer qu’elles sont parfaites. » Et les utiliser pour éviter d’éliminer des embryons.

    Pour Alain Fischer (Imagine-Necker), « père » des bébés-bulles soignés par thérapie génique, cette vision relève de la « science-fiction délirante ». Crispr constitue un outil de recherche « incontournable » et prometteur pour les cellules somatiques (adultes), mais modifier les cellules germinales revient in fine « à toucher au patrimoine de l’humanité, ce qui n’est pas raisonnable et doit rester interdit ». Le biologiste de la reproduction Pierre Jouannet, qui a corédigé plusieurs rapports de sociétés savantes françaises sur Crispr, estime que George Church a raison d’insister sur le ­potentiel des cellules germinales, même s’« il ne faut pas être naïf » et que les défis à relever sont immenses.

    Obstacles parfois sous-estimés

    Ils le sont aussi pour les thérapies géniques imaginées sur les cellules adultes, moins problématiques d’un point de vue éthique. Là ­encore, la « magie Crispr » se heurte à des obstacles parfois sous-estimés, comme les mutations hors cibles. Keith Joung, du Massachusetts General Hospital, a mis les pieds dans le plat, début juillet, devant la Société américaine d’hématologie, en projetant une diapositive montrant un individu la tête dans le sable. Comme le raconte la revue en ligne Stat, il a souligné les carences des logiciels utilisés pour déterminer les zones du génome susceptibles d’être modifiées par inadvertance par Crispr – ce qui a douché l’enthousiasme général.
    L’autre grand défi, c’est la faculté de faire s’exprimer les cellules mutées par Crispr dans les bons tissus.

    La société Editas cible par exemple des maladies de l’œil, un organe qui se prête à l’injection de virus vecteurs de Crispr. Crispr Therapeutics mise sur une stratégie assez ­similaire. Intellia Therapeutics parie sur des nanoparticules lipidiques pour transporter Crispr jusqu’au foie, où il permettrait de lutter contre diverses maladies comme l’hémophilie. D’autres, comme David Bikard à l’Institut Pasteur, espèrent retourner Crispr contre les bactéries qui l’ont inventé, pour lutter contre les souches résistantes aux antibiotiques – là encore la question du vecteur sera essentielle.
    La pédiatre Marina Cavazzana (Imagine - Necker), qui a vécu les hauts et les bas de la thérapie génique des bébés-bulles, est très enthousiaste sur le potentiel de Crispr. « Je suis amenée à relire les résultats précliniques d’autres groupes dans le monde, encore non ­publiés, qui sont très impressionnants », dit-elle. Mais, de l’animal à l’homme, les embûches peuvent être nombreuses, prévient-elle : « Les chercheurs ne perçoivent pas toujours que l’application clinique est un très long chemin. »

    Conflit d’intérêts

    Les start-up pionnières, basées à Boston, ­espéraient être les premières à passer à ces ­essais cliniques. Elles viennent de se faire ­dépasser par une équipe de l’université de Pennsylvanie, qui a reçu, fin juin, un feu vert des Instituts nationaux de la santé (NIH) américains pour tester une thérapie ex vivo qui ­viserait simultanément trois gènes. L’idée ­reprend avec Crispr la stratégie dite des cellules CAR-T déjà mise en œuvre avec succès avec des outils plus anciens d’édition des gènes. L’un d’eux, développé par la société française Cellectis, a permis de sauver une petite Londonienne d’une leucémie, fin 2015. Cette thérapie consistera à prélever des lymphocytes T, des cellules immunitaires, et de les modifier pour qu’elles s’attaquent à des cellules tumorales une fois réinjectées à des patients souffrant de mélanome, sarcome ou myélome résistants aux traitements classiques.

    Certains se sont émus que la Penn State se ­retrouve aux avant-postes. En 1999, Jesse Gelsinger, un jeune homme de 18 ans, était mort lors d’un essai clinique de thérapie génique conduit dans cette université. On avait ensuite découvert que le directeur de l’étude, James Wilson, possédait des parts dans Genovo, une compagnie qui avait un intérêt direct à hâter sa réussite. Et que le patient, qui n’avait pas été correctement informé des risques, avait reçu des doses plus fortes que prévu. Carl June, le conseiller scientifique de la nouvelle étude, possède des brevets sur la technologie testée, mais il assure que des mesures seront prises pour surmonter ce conflit d’intérêts.

    « Hacker le cancer »

    L’essai sera financé par un institut créé, en avril, par le milliardaire Sean Parker, cofondateur de Napster et associé de Facebook, qui a injecté 250 millions de dollars (223 millions d’euros) dans un vaste programme d’immunothérapie. Cet ancien petit génie de l’informatique, âgé de 36 ans, s’est mis en tête de « hacker le cancer ».
    Mais, encore une fois, la Chine double tout le monde : le 6 juillet, une équipe de l’université du Sichuan a reçu l’autorisation de procéder à un essai clinique du même type, ciblant le cancer du poumon. Il pourrait débuter dès ce mois d’août.

    Si les tycoons de la Silicon Valley et l’empire du Milieu s’en mêlent, qui sait jusqu’où ira Crispr ? Inventé par les bactéries il y a des milliards d’années pour se défendre contre des ­virus, transformé en outil révolutionnaire d’édition des gènes par des chercheurs venus d’horizons aussi divers que l’étude du yaourt, de la peste ou des structures cellulaires, souvent mus par la pure curiosité, mais prêts à en découdre sur les brevets et le Nobel, il est aussi un formidable révélateur : son histoire est celle de la science d’aujourd’hui.

  • Copyrighting DNA Is a Bad Idea - Facts So Romantic
    http://nautil.us/blog/copyrighting-dna-is-a-bad-idea

    A few years ago, molecular biologists Jennifer Doudna and Emmanuelle Charpentier, along with a team of researchers at the University of California, Berkeley, were the first to file a patent for CRISPR-Cas9. It’s a DNA-editing technology adapted from the prokaryote immune system. Cas9 is a protein that can seek out and “cut” targeted gene strands with unprecedented ease and precision, allowing for customizable DNA. “It could allow us to cure genetic disease,” Doudna recently told an audience at a TED conference, in London. But half a year after her and Charpenteir’s patent claim, another group, with ties to the Massachusetts Institute of Technology and Harvard, filed an expedited claim and ended up winning the patent the next year. Feeling cheated, the Doudna and Charpentier team requested (...)

  • The quiet revolutionary: How the co-discovery of CRISPR explosively changed Emmanuelle Charpentier’s life : Nature News & Comment
    http://www.nature.com/news/the-quiet-revolutionary-how-the-co-discovery-of-crispr-explosively-changed-e

    Reflecting back, she feels that her life has been tougher than it need have been. She notes that now there are more sources of major grants to help young investigators to start their own independent labs.

    #carrière #femme #recherche #biologie via @neoviral

  • La génétique pour s’adapter au monde radioactif
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=760

    Nous avons reçu en même temps, par coïncidence, deux documents qui se font mutuellement écho, portant, l’un sur la mesure de la pollution radioactive en France (Les luddites et l’usure du « vieux monde ») et l’autre, sur les perspectives d’eugénisme et de manipulations génétiques ouvertes par la mise au point de ciseaux moléculaires ultra-performants (Lettre ouverte à Emmanuelle Charpentier). L’emballement constant du progrès technologique entraînant celui, non moins constant, du regrès social et humain. L’un de ces documents émane de l’Association Contre le Nucléaire et son Monde ; l’autre de Bertrand Louart, biologiste, menuisier et critique contondant des technosciences. Ces textes auraient sans doute moins de raison d’exister si les opposants au techno-totalitarisme pouvaient faucher les champs (...)

    #Nécrotechnologies
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/vieuxmonde-luddites.pdf
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/LOEC_A4.pdf

  • « Nous ne connaissons pas les effets à long terme des modifications génétiques »

    http://www.lemonde.fr/biologie/article/2015/08/12/nous-ne-connaissons-pas-les-effets-a-long-terme-des-modifications-genetiques

    Emmanuelle Charpentier, microbiologiste, est co-inventrice d’une récente technique d’édition du gène CRISPR-Cas9. Ces ciseaux moléculaires, capables de cibler spécifiquement une séquence d’ADN, permettent un bricolage extrêmement précis du génome, avec de nombreuses applications en recherche et en médecine.

    Professeure à l’école de médecine de Hanovre, en Allemagne, Emmanuelle Charpentier dirige un département du Centre Helmholtz. Elle est aussi professeure associée au Molecular Infection Medicine Sweden à l’université d’Umea, en Suède.

    Elle répond à nos questions dans le cadre des commémorations de la première bombe nucléaire ayant explosé sur la ville d’Hiroshima, le 6 août 1945.

    Le 16 juillet 1945, à l’issue du premier tir nucléaire grandeur nature, dit « Trinity », au Nouveau-Mexique, le physicien américain Kenneth Bainbridge, responsable de l’essai, a déclaré à Robert Oppenheimer, patron du projet Manhattan : « Maintenant nous sommes tous des fils de putes » (« Now we are all sons of bitches »). Trois semaines plus tard, le bombardier américain Enola-Gay larguait la bombe Little Boy sur Hiroshima.

    Dans votre discipline, avez-vous le sentiment que ce moment où des chercheurs pourraient avoir la même révélation que Kenneth Bainbridge a été atteint, ou est en passe de l’être ?

    En tant que scientifiques qui travaillons dans le but de faire une découverte importante, nous avons tendance à penser aux avantages que notre recherche peut apporter et à tout le bien qu’elle pourrait procurer. Penser à la façon dont la découverte pourrait être abusée est tout aussi important mais n’est généralement pas ce qu’un chercheur perçoit à première vue. Dans toute discipline, nous devons être conscients que de nouvelles découvertes sont toujours accompagnées d’une responsabilité.

    Dans mes domaines, la microbiologie et la génétique, j’ai récemment découvert une nouvelle technologie de l’édition du gène, CRISPR-Cas9. Je suis convaincue que ses avantages pour la recherche scientifique et la santé humaine sont extrêmement importants, par exemple pour développer de nouveaux traitements efficaces pour les maladies graves. Avec la communauté, nous travaillons sur des initiatives visant à établir une compréhension partagée de la technologie et l’établissement de directives collectives. Je suis encouragée par le travail préparatoire qui est mis en place pour assurer que la technologie sera utilisée avec responsabilité.

    Avez-vous ce sentiment concernant d’autres disciplines ? Lesquelles et pourquoi ?

    Beaucoup de nouvelles découvertes importantes s’accompagnent de risques potentiels et de responsabilités significatives pour leur développement et leur utilisation. L’ère nucléaire a également permis l’utilisation industrielle de composés et de produits radiopharmaceutiques pour traiter de nombreuses maladies. Malheureusement, c’est une question qui n’est pas spécifique à une discipline mais peut devenir une problématique dans presque tous les domaines.

    Quel pourrait être l’impact d’un Hiroshima issu de votre discipline ?

    Ma discipline est l’étude des bactéries, micro-organismes simples qui vivent autour de nous, peuvent provoquer des maladies et ont été largement étudiés comme organismes modèles pour comprendre la biologie. Ma recherche au niveau fondamental a conduit à la découverte de la technologie CRISPR-Cas9, qui permet une intervention chirurgicale précise du gène dans une cellule ou dans un organisme. Il existe d’autres technologies d’édition de gènes.

    Cependant, la technologie CRISPR-Cas9 a un énorme potentiel. Parce qu’elle est si efficace, simple et rentable, elle peut être utilisée dans un très large éventail d’applications, allant d’outil dans la recherche fondamentale à des applications potentielles dans des domaines comme l’agriculture et le développement de nouvelles options thérapeutiques pour les maladies génétiques.

    Récemment, il y a eu des rapports publiés sur l’utilisation de la technologie pour modifier l’ADN humain dans des cellules germinales, ce qui signifie que l’effet serait héréditaire, affectant ainsi potentiellement la prochaine génération et toutes les suivantes. Beaucoup ont fait valoir que l’utilisation clinique des modifications de la lignée germinale, chez les personnes, pourrait être très problématique, et cette question est actuellement au centre d’un débat éthique.

    Nous ne connaissons tout simplement pas les effets à long terme de modifications de la lignée germinale. Comme différents pays à travers le monde ont établi des règles éthiques différentes, il est très important de veiller à ce que tous appliquent une base standard, qui prévienne toute utilisation contraire à l’éthique de CRISPR-Cas9 ou autre technologie d’édition de gène. Ces initiatives ont déjà commencé et sont en cours au niveau mondial.

    Après 1945, des physiciens, comme Einstein, ont engagé une réflexion éthique sur leurs propres travaux. Votre discipline a-t-elle fait ou fait-elle de même ?

    Malgré les progrès et développements très rapides dans le domaine, le génie génétique par CRISPR-Cas9 est une très jeune technologie. Les découvertes centrales faites dans mon laboratoire avec mes collaborateurs ont été publiées récemment, en 2011 et 2012. La technologie CRISPR-Cas9 est très puissante, et mes collègues et moi sommes bien conscients de l’importance des considérations éthiques autour de la technologie et de ses applications dans le contexte de maladies humaines. Ces considérations ne sont pas spécifiques à CRISPR-Cas9, elles concernent d’autres technologies ayant aussi le potentiel de manipuler le génome humain.

    Je pense que la communauté scientifique mondiale a été influencée par les expériences passées de découvertes comme le clonage de gènes ou l’énergie atomique, et les discussions éthiques émergent de nos jours beaucoup plus tôt – à la découverte initiale de la technologie et en parallèle de son avancement. Des discussions et débats au niveau mondial autour des règles d’utilisation de CRISPR-Cas9 et d’autres technologies d’édition de gène dans un but bénéfique et éthique sont déjà en cours.

    Pensez-vous qu’il soit nécessaire que le public prenne conscience des enjeux liés à vos travaux ?

    Absolument. Nous avons besoin d’un débat large et global impliquant tous les acteurs, allant des scientifiques, dans des disciplines aussi diverses que l’agriculture et la biomédecine, aux législateurs, médecins, développeurs, patients et au grand public sur le plan mondial. Ceci est fondamental pour assurer que nous sommes en mesure de prévenir les abus de la technologie sans limiter et entraver la recherche et le développement dans des applications sûres et bénéfiques.

    Quelle est selon vous la marge de manœuvre des scientifiques face aux puissances politiques et industrielles qui commanditent et exploitent les résultats de ces travaux ?

    Le parrainage et le soutien de la recherche scientifique par les gouvernements et l’industrie sont d’une importance vitale pour faire des découvertes fondamentales et permettre leur traduction dans des nouveaux traitements, des services et des technologies dont nous pouvons tous profiter. Sans ce soutien, la plupart des découvertes qui changent notre vie et font maintenant partie de notre vie quotidienne n’auraient pas été faites. Le plus grand bien commun ne peut provenir que de collaborations et d’un dialogue ouvert et continu qui implique les parties prenantes à tous les niveaux.

    Pensez-vous à des mesures précises pour prévenir de nouveaux Hiroshima ?

    Les nouvelles découvertes dans toute discipline viennent toujours avec une responsabilité. Il est crucial d’initier et de maintenir des conversations ouvertes et transparentes à travers le monde sur l’utilisation éthique des technologies et de veiller à ce qu’il n’y ait aucun abus. Il faut des initiatives et des lignes directrices mondiales communes pour assurer que les utilisations sûres et éthiques des technologies soient promues et que les applications contraires à l’éthique ou nuisibles soient évitées.