person:eric olsen

  • Financement du terrorisme : le jeu de dupes des dirigeants de Lafarge

    http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/04/financement-du-terrorisme-le-jeu-de-dupe-des-dirigeants-de-lafarge_5237348_3

    Les responsables se rejettent la faute des agissements du groupe en Syrie. L’enquête se concentre sur le contenu des réunions qui se sont tenues au siège du cimentier à Paris.

    Qui sont les responsables du naufrage moral du groupe Lafarge en Syrie ? L’information judiciaire pour « financement du terrorisme », ouverte contre le cimentier en juin 2017, a établi deux faits : sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS) a monnayé auprès de groupes terroristes la sécurité de son usine de Jalabiya, dans le nord du pays, et elle s’est approvisionnée en matières premières sur des zones contrôlées par l’organisation Etat islamique (EI) et le Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaida.

    Ces deux infractions étant documentées, les juges d’instruction cherchent désormais à en établir les responsabilités individuelles et collectives. Six personnes ont d’ores et déjà été mises en examen début décembre 2017 : les deux anciens directeurs de LCS (Bruno Pescheux et Frédéric Jolibois), ainsi que quatre responsables du groupe à Paris (Bruno Lafont, ex-PDG de Lafarge, Christian Herrault, ancien directeur général adjoint opérationnel, Eric Olsen, ex-DRH, et Jean-Claude Veillard, l’ancien directeur sûreté).

    Au fil de leurs interrogatoires, les magistrats s’évertuent à remonter la chaîne décisionnelle pour comprendre si la société Lafarge SA – qui appartient au groupe LafargeHolcim depuis la fusion avec le groupe suisse en 2015 – peut être mise en examen en tant que personne morale. Selon les auditions dont Le Monde a pris connaissance, leur tâche s’apparente à un immense jeu de poupées russes, chaque dirigeant se défaussant sur l’étage hiérarchique inférieur ou supérieur. Une dilution des responsabilités vertigineuse de la part d’une multinationale opérant dans un pays en guerre.

    Le jeu de dupes commence au sommet de la pyramide, en Suisse, où le siège de LafargeHolcim dénonce à longueur de communiqués les « erreurs » commises par la « direction locale » de la filiale syrienne. L’ancien directeur de ladite filiale, Bruno Pescheux, affirme pourtant à la justice avoir agi avec l’aval de son responsable à Paris, Christian Herrault. Ce dernier, chargé de faire le lien entre la Syrie et la direction de Lafarge, est catégorique : il a constamment tenu informé le PDG du groupe, Bruno Lafont. Ce dernier assure pour sa part qu’il n’en est rien et qu’on ne lui « a pas tout dit ».

    Les procès-verbaux du comité de sûreté

    Qui savait, qui a validé et qui a laissé faire ? Afin de tenter d’y voir plus clair, la justice s’intéresse de près au contenu des réunions qui se sont tenues au siège du cimentier à Paris entre 2012 et 2014. Selon les documents consultés par Le Monde, la situation de l’usine était régulièrement évoquée lors des réunions mensuelles du comité de sûreté, auxquelles participaient plusieurs cadres de Lafarge : Christian Herrault, Jean-Claude Veillard, Eric Olsen et Biyong Chungunco, la directrice juridique du groupe. Si le PDG Bruno Lafont n’y participait pas physiquement, les procès-verbaux lui étaient généralement remis en mains propres.

    Or, dès la fin de l’année 2013, les difficultés rencontrées par l’usine pour continuer à opérer en Syrie alors que des groupes armés contrôlaient les axes routiers autour du site ont été clairement examinées. Le procès-verbal de la réunion du comité de sûreté de septembre 2013 en a gardé la trace : « Il devient de plus en plus difficile d’opérer sans être amené à négocier directement ou indirectement avec ces réseaux classés terroristes par les organisations internationales et les Etats-Unis », à savoir l’EI et Al-Nosra. Le risque est identifié, mais décision est prise de rester.

    Le mois suivant, la situation a évolué. Le procès-verbal de la réunion d’octobre 2013 précise que « grâce à des négociations menées avec les différents intervenants », les routes logistiques ont été rouvertes et les employés ont pu reprendre le chemin de l’usine. Ni l’EI ni Al-Nosra ne sont explicitement mentionnés dans ce document. L’enquête interne confiée par LafargeHolcim au cabinet américain Baker McKenzie après l’éclatement du scandale, à l’été 2016, reconnaît qu’il est impossible, sur la foi de ce seul procès-verbal, d’affirmer que ces deux groupes figuraient parmi les « intervenants » rétribués, à côté de l’Armée syrienne libre (ASL) et des Kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD).

    « Intervenants » rétribués

    Trois éléments du dossier semblent pourtant aller dans ce sens. Tout d’abord, c’est précisément en octobre 2013 que des « négociations ont apparemment été menées » par un intermédiaire syrien de LCS, Firas Tlass, « avec au moins certains groupes précisés dans les procès-verbaux » du comité de sûreté, parmi lesquels figuraient « l’El et Al-Nosra », souligne l’enquête interne. Ensuite, M. Pescheux, l’ancien directeur de LCS, a lui-même reconnu devant les juges que l’EI était apparu dans la liste des groupes payés par Firas Tlass à cette période, en novembre 2013.

    Enfin, un document semble indiquer que les échanges verbaux du comité de sûreté étaient bien plus explicites que leurs comptes rendus officiels ne le laissent paraître. Dans un courriel adressé en septembre 2014 à Frédéric Jolibois, successeur de M. Pescheux à la tête de LCS, Jean-Claude Veillard se dit ainsi surpris que la directrice juridique, Biyong Chungunco, prétende ne pas être au courant des relations « indirectes » entre LCS et l’El. Il écrit : « Je lui ai gentiment fait remarquer qu’elle fait partie du comité de sûreté et que je parle de ces sujets depuis presque trois ans… Depuis trois ans, nous gérons tout cela en comité très restreint. »

    Que savait le PDG, Bruno Lafont ?

    Si les négociations engagées avec des groupes terroristes ont été explicitement évoquées lors de ces deux réunions de l’automne 2013, est-il envisageable que le PDG n’en ait pas été informé ? Bruno Lafont assure que oui : « Je ne faisais pas le boulot de mes collaborateurs, et je ne lisais pas forcément les procès-verbaux », a-t-il assuré aux enquêteurs fin janvier.

    Sur ce point, le PDG est démenti par les faits : il a en effet commenté dans un courriel certains éléments du procès-verbal du comité de sûreté de septembre 2013, ce qui tend à indiquer qu’il l’avait bien lu.

    Christian Herrault est par ailleurs catégorique : il affirme avoir informé son PDG dès septembre-octobre 2013 que Lafarge finançait des groupes terroristes comme Al-Nosra et l’EI. Entendu de nouveau début décembre 2017 par les juges en vue de sa mise en examen, Bruno Lafont n’en démord pourtant pas : « Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas sues, qui m’ont peut-être été cachées, et cela me conduit à penser que l’on ne m’a pas tout dit. »

    Un « accord » évoqué devant le comité exécutif

    Huit mois après la réunion du comité de sûreté d’octobre 2013, la situation s’est encore dégradée autour de l’usine. Le 10 juillet 2014, Christian Herrault informe Bruno Lafont par courriel de l’arrêt du site, le temps de trouver un accord « clair » avec l’El et le PYD. A cette même date, Firas Tlass envoie un autre courriel à Bruno Pescheux, Christian Herrault et Jean-Claude Veillard, les informant qu’il a engagé des négociations avec les représentants de l’El à Dubaï pour parvenir à un « accord durable ».

    L’enquête interne a établi, à partir d’échanges de courriels, que ce sont Frédéric Jolibois, Christian Herrault et Jean-Claude Veillard qui ont donné des instructions à Firas Tlass sur la manière de conduire ces négociations. Ces échanges se sont prolongés après le 15 août 2014, date d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) condamnant l’EI et toute entité finançant cette organisation « directement ou indirectement ».

    Ces négociations ont pourtant été de nouveau évoquées lors d’une réunion du comité exécutif, le 27 août 2014, soit deux semaines après la résolution de l’ONU. Selon des notes non officielles prises lors de cette réunion, Christian Herrault aurait même anticipé une amélioration des ventes grâce à l’« accord avec les Kurdes et Daech » (l’acronyme arabe de l’EI). Toujours selon ces notes, Bruno Lafont aurait alors souligné l’importance de s’assurer que « ce que nous faisons soit sans risque (également au regard de la loi américaine) ». Aucune trace de ces discussions n’apparaît dans les procès-verbaux officiels du comité exécutif.

    Là encore, aucun responsable de Lafarge ne se souvenait de la teneur de cette réunion lorsqu’ils ont été entendus dans le cadre de l’enquête interne il y a un an. Devant les juges, début décembre 2017, ils ont nuancé leurs dénégations, tout en continuant de minimiser leur rôle. Si Bruno Lafont reconnaît que « Christian Herrault a fait l’annonce d’un accord avec Daech » ce 27 août 2014, il affirme avoir dit que « cet accord n’était pas une bonne idée ». Quant à Eric Olsen, il assure qu’« aucun des participants de cette réunion n’a compris la teneur de cet échange » entre M. Lafont et M. Herrault.

    Le rôle du Quai d’Orsay en question

    Le syndrome des poupées russes qui contamine ce dossier dépasse le cadre de l’organigramme de Lafarge. Lors de sa première audition par les douanes judiciaires, début 2017, Christian Herrault avait ainsi assuré que la décision du groupe de se maintenir en Syrie fin 2012 malgré le départ de toutes les entreprises françaises, dont Total ou Air liquide, avait reçu le soutien de la diplomatie française. « Tous les six mois, on allait voir le Quai d’Orsay, qui nous poussait à rester (…). C’est quand même le plus gros investissement français en Syrie, et c’est le drapeau français », avait-il déclaré.

    Entendu récemment par les juges d’instruction, Eric Chevallier, ambassadeur de France à Damas entre 2009 et mars 2012, date de la fermeture de la représentation diplomatique, a vigoureusement démenti ces allégations : « Je l’affirme catégoriquement, je n’ai jamais demandé à Lafarge de rester en Syrie. Je l’affirme solennellement, je n’ai jamais laissé entendre ceci (…). Leur demander ou les inciter à rester était contraire aux consignes, je ne leur aurais jamais dit ça. Vous savez, je sais ce que c’est que cette boucherie (…). C’est une vraie boucherie, une vraie guerre, d’une violence inouïe. Dès 2011, j’avais pressenti cette violence, une des pires du XXIe siècle (…). Je l’avais signalé dès le début. »

    Confronté par les magistrats à cette vive réaction du diplomate, Christian Herrault, l’ancien directeur général adjoint opérationnel du cimentier, a simplement répondu : « Il y en a manifestement un de nous deux qui ment. »

  • Enquête pour « financement du terrorisme » : le double jeu de LafargeHolcim
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/12/13/enquete-pour-financement-du-terrorisme-le-double-jeu-de-lafargeholcim_522878

    Des fichiers introuvables en perquisition, des licenciements opportuns… La direction de LafargeHolcim mène-t-elle un double jeu ? Depuis l’ouverture d’une enquête judiciaire visant des faits de « financement du terrorisme » commis par Lafarge en Syrie, le cimentier – devenu LafargeHolcim en 2015 – a reconnu à maintes reprises que des « erreurs inacceptables » avaient été commises par sa filiale syrienne, et a promis de collaborer avec la justice. Mais les derniers développements de l’instruction laissent planer le doute sur sa bonne volonté.

    Afin de comprendre si les versements de Lafarge Syrie à des groupes terroristes, dont l’organisation Etat islamique (EI), ont été validés par la maison mère, les trois juges chargés du dossier ont diligenté, le 14 novembre, deux perquisitions simultanées. L’une dans les bureaux parisiens du cimentier, l’autre au siège d’un de ses principaux actionnaires à Bruxelles, le Groupe Bruxelles Lambert (GBL).
    Fichiers « javellisés » avant perquisition

    La déception a été à la hauteur de leurs attentes. Des éléments de comptabilité et des procès-verbaux concernant la Syrie étaient manquants. « Des fichiers ont été passés à l’eau de Javel », résume une source proche du dossier.

    Ce comportement a ulcéré l’ONG de défense des victimes de crimes économiques Sherpa, qui avait porté plainte avec constitution de partie civile contre LafargeHolcim, le 15 novembre 2016. Mardi 12 décembre, lors d’une conférence de presse, son président, William Bourdon, et son avocate, Marie Dosé, ont accusé le cimentier de faire « obstacle » à la justice. Outre les fichiers « javellisés » avant perquisition, ils dénoncent le peu d’entrain du groupe à transmettre aux enquêteurs les pièces qui lui sont demandées.

    #terrorisme #javel (comme quoi un #grand_homme #grand_patron comme Eric Olsen sait s’en servir)

  • Ce que révèle l’enquête judiciaire sur les agissements du cimentier Lafarge en Syrie

    http://www.lemonde.fr/international/article/2017/09/20/ce-que-revele-l-enquete-judiciaire-sur-les-agissements-du-cimentier-lafarge-

    « Le Monde » a eu accès à l’enquête sur les activités de Lafarge qui tentait de préserver sa cimenterie en Syrie pendant la guerre civile. Des responsables ont reconnu le versement de sommes à l’EI.

    Une date suffit à condenser le parfum de soufre qui émane de ce dossier. Le 29 juin 2014, l’organisation Etat islamique (EI) proclame l’instauration du « califat » : un immense territoire à cheval entre l’Irak et la Syrie bascule « officiellement » sous le joug de l’organisation terroriste. Le même jour, à Rakka (Syrie), un cadre d’une usine du cimentier français Lafarge, située dans le nord du pays, informe par mail ses supérieurs qu’il a pris rendez-vous avec un « responsable de l’Etat islamique » pour négocier la sécurité des employés du site.

    Ce rendez-vous surréaliste marque le point culminant d’un engrenage commencé trois ans plus tôt. Depuis son implantation en Syrie, fin 2010, Lafarge n’a qu’une obsession : maintenir coûte que coûte l’activité de son usine de Jalabiya, à 87 kilomètres de Rakka, quitte à financer indirectement des organisations terroristes. Une aventure industrielle hasardeuse qui se conclura de façon dramatique, le 19 septembre 2014, par la prise de la cimenterie par les troupes de l’EI.

    Après la révélation de ce scandale par Le Monde, en juin 2016, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire, en octobre 2016, faisant suite à une plainte du ministère des finances pour « relations financières illicites entre la France et la Syrie ». Dans cette enquête confiée aux douanes judiciaires, que Le Monde et Le Canard enchaîné ont pu consulter, les neuf principaux responsables de Lafarge – fusionné en 2015 avec le suisse Holcim – et de sa filiale Lafarge Cement Syria (LCS) ont été entendus.

    Leurs auditions décrivent de l’intérieur les mécanismes qui ont entraîné l’entreprise dans ce naufrage judiciaire et moral. Elles racontent, mois par mois, l’entêtement d’un groupe aveuglé par une obsession : ne pas abandonner la cimenterie LCS, promise à l’appétit destructeur des belligérants, afin de conserver un avantage stratégique dans la perspective de la reconstruction du pays.

    Cette enquête révèle deux faits majeurs. Tout d’abord, la décision du leader mondial des matériaux de construction de rester en Syrie a reçu l’aval des autorités françaises, avec lesquelles le groupe était en relation régulière entre 2011 et 2014. Ensuite, les responsables de l’usine ont omis de préciser aux diplomates le prix de leur acharnement : plusieurs centaines de milliers d’euros versés à divers groupes armés, dont 5 millions de livres syriennes (20 000 euros) par mois à l’EI.

    La conclusion des douanes est sans appel : Lafarge a « indirectement » financé des groupes « terroristes », par le truchement d’un intermédiaire, produisant au besoin « de fausses pièces comptables ». Et si seuls trois responsables ont avoué avoir eu connaissance de ces pratiques, « il est tout à fait vraisemblable que d’autres protagonistes aient couvert ces agissements », dont l’ex-PDG du groupe, Bruno Lafont, le « directeur sûreté », Jean-Claude Veillard, et « certains actionnaires ».

    Aucun de ces responsables n’a été amené à s’expliquer devant un tribunal à l’issue de cette enquête. Mais les investigations suivent leur cours. Une information judiciaire, ouverte le 9 juin 2017 pour « financement du terrorisme » et « mise en danger d’autrui » après une plainte déposée par l’ONG Sherpa, a été élargie, le 23 juin, aux faits visés par le travail des douanes.

    2008-2010 : le pari de Lafarge en Syrie

    L’engrenage qui a conduit Lafarge à se compromettre dans le conflit syrien débute à la fin des années 2000. En 2008, le cimentier, qui vient de racheter la société égyptienne Orascom afin de renforcer son implantation dans la région, valide la construction d’une usine dans le nord de la Syrie, près de la frontière turque. Deux ans plus tard, la cimenterie LCS sort de terre. L’investissement s’élève à 680 millions de dollars, l’amortissement est prévu sur vingt ans. Mais l’histoire va quelque peu bousculer ces prévisions comptables.

    Mars 2011 : le début des troubles

    L’usine vient à peine de commencer sa production de ciment quand d’importantes manifestations embrasent le sud du pays et se propagent rapidement aux principales agglomérations. En relation avec les autorités françaises, les responsables du groupe décident de rester.

    « On est informés, forcément. On avait vu ce qui s’était passé pour les “printemps arabes”, mais on était dans l’incapacité totale d’anticiper et de prévoir », explique l’ancien PDG de Lafarge Bruno Lafont, devant les enquêteurs des douanes judiciaires. « L’usine est au nord, près de la frontière turque, très isolée. Au début, et pendant toute l’année 2011, il ne se passe absolument rien », tempère Bruno Pescheux, PDG de LCS jusqu’en juin 2014.

    Tout au long de son aventure syrienne, Lafarge est resté en contact permanent avec l’ambassade de France à Damas – qui sera fermée par Nicolas Sarkozy en mars 2012 –, puis avec l’ambassade de France en Jordanie. Jean-Claude Veillard, un ancien fusilier marin dans les forces spéciales et les commandos, est également en relation avec la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

    « Jean-Claude avait de bons contacts avec les services, notamment la DGSE », explique Eric Olsen, ancien DRH, puis directeur général de Lafarge. Il « me tenait informé des mouvements des Kurdes et de l’Armée syrienne libre, poursuit-il. Je comptais sur l’expertise et la protection de l’Etat français pour nous tenir au courant ».

    Chaque mois, au siège de Lafarge à Paris, un comité de sûreté réunissant les opérationnels, le département juridique, l’assurance, le directeur du siège et les ressources humaines fait le point sur les pays où le groupe est implanté, dont la Syrie.

    Mai 2011 : les premières sanctions

    Le 9 mai 2011, le Conseil de l’Union européenne (UE) adopte un embargo sur les armes et le pétrole syriens. Celui-ci sera étendu le 18 janvier 2012 pour un ensemble élargi de matériaux, notamment certains ciments. A cette époque, Lafarge, dont le marché est local, ne s’estime pas concerné par les sanctions. « D’après ce que j’avais compris, explique Bruno Pescheux, il s’agissait essentiellement de prohibition d’exportations depuis la Syrie vers l’UE. Or, nous étions dans l’autre sens, on importait. »

    Décembre 2011 : Total quitte la Syrie

    Le 1er décembre, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme déclare la Syrie en état de guerre civile. Quatre jours plus tard, le pétrolier Total annonce son départ du pays. Dans les mois qui suivent, Air liquide et les fromageries Bel plient bagages à leur tour. Fin 2012, Lafarge est le dernier groupe français présent en Syrie.

    « Pourquoi Lafarge reste en Syrie ?, demandent les enquêteurs aux responsables du cimentier.

    – On pouvait toujours fonctionner en sécurité et en conformité. Donc on a continué, répond laconiquement Bruno Lafont.

    – Mais en janvier 2012, la situation dégénérait…, intervient l’enquêteur.

    – Ce n’est pas ce que disait le Quai d’Orsay, insiste Christian Herrault, ancien directeur général adjoint opérationnel du groupe. Le Quai d’Orsay dit qu’il faut tenir, que ça va se régler. Et il faut voir qu’on ne peut pas faire des allers-retours, on est ancrés et, si on quitte, d’autres viendront à notre place… »

    Juillet 2012 : l’évacuation des expatriés
    A l’été 2012, l’armée du régime perd le contrôle de la frontière turque. A l’ouest, la zone passe sous l’emprise des Kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD), à l’est, sous celle de l’Armée syrienne libre et de divers groupes islamistes. La ville de Kobané, à 55 kilomètres de l’usine, est tenue par les Kurdes, tandis que Manbij, à 66 kilomètres, est sous le contrôle des rebelles.

    « Cette nouvelle redistribution des cartes ne vous fait-elle pas craindre pour vos salariés et votre usine ?, s’enquiert l’agent des douanes.

    – Un peu, oui, répond M. Lafont. Mais, là encore, je me fie à ce que mes collaborateurs me disent. »

    Les « collaborateurs » de M. Lafont semblaient pourtant bien au fait des risques encourus par le personnel du site. « On a même interrompu l’usine à l’été 2012, faute de sûreté suffisante », relate M. Pescheux. Le directeur de la cimenterie demande alors aux employés chrétiens et alaouites de ne plus venir travailler, pour raison de sécurité. Les expatriés – une centaine de salariés sur plus de 300 – sont quant à eux exfiltrés du pays en juillet 2012.

    A partir de la fin de l’été, seuls les employés sunnites et kurdes sont autorisés à continuer à travailler sur le site. Afin de limiter les trajets, de plus en plus périlleux, leur patron leur demande de se domicilier à Manbij, ou d’emménager directement dans la cimenterie. M. Pescheux, lui, déménage ses bureaux de Damas au Caire, en Egypte, d’où il dirige l’usine à distance, en toute sécurité.

    Malgré la dégradation de la situation, le directeur de LCS justifie devant les enquêteurs la décision de maintenir l’activité du site avec le personnel local : « L’idée était de préserver l’intégrité de l’usine en la faisant fonctionner, même de manière discontinue. On voulait éviter la cannibalisation de l’usine, qui serait arrivée si elle avait été perçue comme à l’abandon. »

    Davantage que le profit immédiat – la production de ciment a rapidement chuté, passant de 2,3 millions de tonnes en 2011 à 800 000 tonnes en 2013 –, c’est la volonté acharnée d’occuper le site dans la perspective de la reconstruction du pays qui motivera les décisions du groupe. A cette date, personne, au sein de l’entreprise, pas plus qu’au Quai d’Orsay, ne semble anticiper la tragédie dans laquelle la Syrie est en train de sombrer.

    Septembre 2012 : une « économie de racket »

    A la fin de l’été 2012, la situation dégénère. « L’économie de racket a commencé en septembre ou octobre 2012 », se souvient M. Herrault. En septembre, deux responsables du groupe, Jean-Claude Veillard, le directeur de la sûreté, et Jacob Waerness, gestionnaire de risque sur le site de l’usine LCS, se rendent à Gaziantep, en Turquie, pour y rencontrer des milices de l’opposition syrienne.

    « Il était très clair qu’elles étaient indépendantes et ne voulaient pas se coordonner. Et il était très clair qu’elles voulaient taxer ce qui passait par les routes, poursuit M. Herrault. C’était clairement du racket, même si c’était les “bons” qui rackettaient. Tous les six mois, on allait voir le Quai d’Orsay, qui nous poussait à rester.

    – Vous vous souvenez du nom de ces milices ?, demande l’enquêteur.

    – Ah non, elles changent d’allégeance… Ce qui était un peu fou, c’est que toutes ces milices étaient alimentées en armes et argent par le Qatar et l’Arabie saoudite, sous le regard américain, sans aucun discernement. On aime bien mettre des noms sur les choses, mais là-bas rien n’est si simple… »

    A l’issue de la réunion de Gaziantep, LCS missionne un ancien actionnaire minoritaire de l’usine, Firas Tlass, pour monnayer la sécurité de ses employés sur les routes. Entre septembre 2012 et mai 2014, cet homme d’affaires – fils de l’ex-ministre de la défense du président Bachar Al-Assad, ayant fait défection au régime – se voit remettre entre 80 000 et 100 000 dollars par mois pour négocier avec les groupes armés qui tiennent les checkpoints autour de l’usine.

    A cette période, l’Etat islamique en Irak, ancêtre de l’EI, n’a pas encore fait irruption dans la guerre civile syrienne. L’usine est en revanche encerclée par les milices kurdes et des groupes islamistes, dont le Front Al-Nosra. Selon le directeur de l’usine, M. Pescheux, il n’existait pas de liste précise des destinataires des fonds versés par Firas Tlass : « Ceux qui gardaient un checkpoint pouvaient changer d’allégeance », assure-t-il.

    Octobre 2012 : neuf employés kidnappés

    En octobre 2012, neuf employés de l’usine sont pris en otage. Le directeur sûreté de Lafarge, M. Veillard, raconte : « Ces employés alaouites avaient été écartés de l’usine pour leur sécurité confessionnelle. Ils étaient au chômage technique, à Tartous [dans l’ouest de la Syrie]. Ils étaient payés jusqu’au jour où le DRH de l’usine leur a demandé de venir percevoir leur salaire à l’usine. Les neuf employés sont venus en bus, via Rakka, et se sont fait enlever par des Kurdes, puis [ont été] revendus à des milices locales. Lafarge a payé 200 000 euros, en livres syriennes. »

    Avril 2013 : Lafarge, « c’est le drapeau français »

    Début 2013, le pays bascule dans une nouvelle ère. Le 6 mars, Rakka est prise par différents groupes islamistes, dont le Front Al-Nosra, qui prête allégeance à Al-Qaida et tombe donc sous le coup des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU. Un mois plus tard, le 9 avril, l’Etat islamique en Irak, qui s’est implanté en Syrie, se rebaptise « Etat islamique en Irak et Levant » (EIIL). Le groupe prend le contrôle de Rakka le 13 juin.

    « Comment Lafarge peut-elle conserver une usine dans cette guerre qui devient de plus en plus sale, qui dégénère ? demande un enquêteur aux dirigeants du groupe.

    – C’est là où on se pose la question si on reste ou pas, répond le PDG, Bruno Lafont. On commence à penser qu’on va se replier. On a eu des feedbacks de nos gars. On pouvait visiblement continuer.

    – Ce qu’il faut comprendre, c’est que lorsque cette guerre a commencé, l’usine venait de démarrer, insiste le patron de l’usine, Bruno Pescheux. On pensait que quand tout serait fini, il y aurait au moins une cimenterie qui pourrait fournir du ciment pour reconstruire la Syrie…

    – On allait voir, tous les six mois, l’ambassadeur de France pour la Syrie [à Paris], et personne ne nous a dit : “Maintenant, il faut que vous partiez”, précise Christian Herrault. Le gouvernement français nous incite fortement à rester, c’est quand même le plus gros investissement français en Syrie et c’est le drapeau français. Donc oui, Bruno Lafont dit : “On reste.” »

    Octobre 2013 : « Daech s’inscrit dans le paysage »
    Le 11 octobre 2013, le Conseil européen confirme les sanctions à l’encontre de certaines entités terroristes, dont le Front Al-Nosra, Al-Qaida et l’EIIL. « Pourquoi Lafarge a pris le risque de rester en Syrie, où ces trois organisations sont présentes ? », demande l’enquêteur. La réponse du directeur général adjoint opérationnel est un pur modèle de rationalisation économique :

    « On gérait les risques par cette économie de racket, et il n’y a pas eu de phénomène marquant jusqu’à fin 2013 », explique Christian Herrault, oubliant au passage l’enlèvement de neuf employés alaouites de l’usine un an plus tôt.

    « Quel est ce phénomène marquant ?

    – Daech s’inscrit dans le paysage. Ils affichent la volonté de taxer les routes. Un des chefs se réclamant de Daech convoque Bruno [Pescheux] et Jacob [Waerness] à Rakka (…). C’est Firas [Tlass], ou un de ses hommes, qui y va et voit la situation. Daech vient dans la liste des racketteurs, ça fait 10 % des sommes, dont la moitié était pour les Kurdes.

    – A ce moment-là, que vous dit le Quai d’Orsay ?

    – Pas de changement de leur position. Encore une fois, pas de solution intermédiaire, soit on partait, soit on restait. Le rackettage de Daech, c’était l’équivalent de 500 tonnes… Sachant qu’on a trois silos de 20 000 tonnes… Est-ce qu’on va tout plier pour 500 tonnes ? »

    C’est l’ancien actionnaire minoritaire M. Tlass qui sera chargé de payer les groupes armés en utilisant le cash de l’usine. Pour entrer ces dépenses dans la comptabilité, « on utilisait des notes de frais que je signais “frais de représentation”, explique M. Herrault. Donc là, c’était les notes de Bruno [Pescheux], mais il n’y avait rien dessus, il n’y avait aucun nom de milice. »

    Bruno Pescheux, lui, se souvient avoir vu les noms de Daech et du Front Al-Nosra mentionnés sur des documents :

    « Avez-vous vu le nom de Daech ? demande l’enquêteur.

    – Oui, répond le directeur de l’usine.

    – Avez-vous une idée du montant prévu pour Daech ?

    – De l’ordre de 20 000 dollars par mois. »

    Juin 2014 : un rendez-vous avec l’organisation Etat islamique
    A l’été 2014, l’EIIL contrôle le nord-est de la Syrie et fait une percée vers l’ouest. Le 29 juin, l’organisation proclame le « califat » et se baptise « Etat islamique ». Au sud de l’usine, les combats font rage entre le Front Al-Nosra et l’EI, qui est aux prises avec les Kurdes au nord du site. L’étau se resserre : à 500 mètres de l’usine, un checkpoint marque la sortie de la zone kurde ; à 20 kilomètres, un barrage signale l’entrée de la zone contrôlée par l’EI.

    Ce 29 juin, le nouveau responsable sûreté de l’usine, un ancien des forces spéciales jordaniennes qui a remplacé M. Waerness, envoie un mail au DRH local, avec le directeur de LCS, M. Pescheux, en copie : « Je viens d’arriver de Rakka. Le responsable de l’Etat islamique est toujours là, il est à Mossoul en ce moment. Notre client de Rakka m’a arrangé un rendez-vous avec lui, concernant nos expatriés au Pakistan et en Egypte. Une fois que j’aurai l’autorisation, je vous informerai. »

    « Pourquoi aller voir cette personne de l’El ?, demande l’enquêteur au directeur de l’usine.

    – L’idée était de dire : pour faire fonctionner cette usine, les locaux ont beaucoup de mal. L’idée était de faire revenir des expats pour les épauler, mais il fallait garantir leur sûreté : pas de kidnapping ou de choses comme ça », répond M. Pescheux.

    Juillet 2014 : « La situation autour de l’usine a empiré »
    Début juillet, l’El attaque les Kurdes à Kobané, à 50 kilomètres de la cimenterie. Les combats font plusieurs centaines de morts. Le 8 juillet, le responsable jordanien de la sûreté de l’usine envoie un mail alarmiste à M. Pescheux, qui a été versé au dossier par la plainte de Sherpa :

    « La situation autour de l’usine a empiré après que le camion-suicide a explosé au checkpoint du PYD [parti kurde] hier, à minuit. C’était à 10 kilomètres à l’est de l’usine, les quatre passagers ont été tués. L’Etat islamique a commencé une campagne discrète contre le PYD dans notre région (…). Le PYD a établi de sérieuses mesures de sécurité autour de l’usine, et a demandé la fermeture et l’évacuation de l’usine. »

    « A ce moment-là, on me dit que la situation est de plus en plus difficile. Je sais, à ce moment-là, qu’on va partir », assure Bruno Lafont. Le directeur sûreté du groupe, M. Veillard, est moins alarmiste : « Pour moi, l’attentat à 10 kilomètres n’existe pas. Il n’y a rien autour de l’usine. Le premier village doit être à 30 kilomètres. Maintenant, c’est peut-être un type qui s’est fait sauter. En aucun cas, il n’y avait un risque pour les employés et l’usine. »

    Le 17 juillet, un responsable de l’usine envoie pourtant un nouveau mail sans équivoque au PDG de LCS : « Notre personnel à l’usine est très perturbé et inquiet. Ils se sentent comme des prisonniers au sein de l’usine (…). L’EI est en train de s’emparer du contrôle de l’entrée de l’usine et n’autorise personne à entrer ou sortir (…). Nous ne sommes pas capables de rassurer nos employés (…). Nous avons besoin de votre aide pour régler cette question avec nos voisins. »

    27 juillet 2014 : l’usine interrompt sa production

    A la fin du mois de juillet 2014, la dégradation de la situation militaire contraint la cimenterie à interrompre son activité. Malgré les injonctions du chef militaire kurde d’évacuer les lieux, LCS reprendra pourtant la production cinq semaines plus tard.

    15 août 2014 : « J’ai fait la recommandation de fermer l’usine »

    Le 15 août 2014, une résolution de l’ONU interdit toute relation financière avec les groupes terroristes présents en Syrie, pouvant être « considérée comme un appui financier à des organisations terroristes ». « Que s’est-il passé chez Lafarge à ce moment-là ? », s’enquiert un enquêteur des douanes.

    « Frédéric [Jolibois, qui a remplacé Bruno Pescheux à la tête de LCS] envoie un mail au service juridique pour la conduite à tenir. Il faut voir que Daech n’avait alors rien fait en dehors de la Syrie, il n’y avait pas eu Charlie, le Bataclan… C’était alors une affaire syrienne, relativise M. Herrault. Je précise au service juridique que Daech, vers le 16 août, est bel et bien une organisation terroriste. Ce que je sais, c’est que rien n’a été payé après le 15 août. »

    La directrice juridique de Lafarge est consultée. Elle explique aux douaniers : « J’ai été informée sur deux points (…). Le deuxième était : l’Etat islamique demande des taxes aux transporteurs. Peut-on traiter avec ces transporteurs ? C’était en août 2014. L’avis juridique a été rendu début septembre 2014 et était très clair : oui, il y a un risque juridique. J’ai fait la recommandation de fermer l’usine. »

    1er septembre 2014 : le laissez-passer de l’EI

    Malgré l’avis de la direction juridique, l’usine se prépare à reprendre ses activités. Un laissez-passer pour ses clients et transporteurs, daté du 1er septembre 2014 et tamponné par le gouverneur de l’El à Alep, a été versé au dossier. Son contenu laisse entendre que l’usine a passé un « accord » avec l’EI : « Au nom d’Allah le miséricordieux, les moudjahidine sont priés de laisser passer aux barrages ce véhicule transportant du ciment de l’usine Lafarge, après accord avec l’entreprise pour le commerce de cette matière. »

    9 septembre 2014 : reprise de l’activité

    Passant outre les injonctions du commandant kurde, l’usine reprend sa production le 9 septembre. Le lendemain, son nouveau directeur, M. Jolibois, se rend à l’ambassade de France en Jordanie. Selon le compte rendu qu’a fait l’ambassade de cet entretien, il réaffirme la volonté du groupe de se maintenir en Syrie pour « préserver ses actifs et ses activités futures ».

    Le directeur de LCS assure aux autorités françaises que Lafarge « ne verse rien au PYD ou à l’Etat islamique ». Il reconnaît seulement que les « transporteurs locaux » doivent obtenir des laissez-passer « sans impliquer l’usine ou Lafarge », ce qui semble contredit par l’exemplaire daté du 1er septembre qui a été retrouvé. Le compte rendu de l’ambassade conclut : « Jolibois ne semblait pas particulièrement inquiet des conséquences, pour la sécurité de l’usine et de son personnel, de la présence de l’Etat islamique à quelques kilomètres d’Aïn-Al-Arab [nom arabe de Kobané]. »

    « Nous sommes à cinq jours d’une attaque décisive de l’El dans la région. Comment pourrait-on caractériser ces déclarations : un manque de lucidité, la cupidité ou business as usual ?, s’enquiert l’agent des douanes.

    – Je ne suis pas au courant, élude le PDG, M. Lafont. Je pense qu’il faut poser la question à M. Jolibois. Je ne sais pas de quoi il était au courant. »

    Dans leur rapport de synthèse, les douanes s’étonnent des réponses systématiquement évasives du PDG de Lafarge : « Bruno Lafont disait tout ignorer des pratiques de son personnel en Syrie (…). Il serait tout à fait étonnant que M. Lafont n’ait pas demandé à son équipe de direction d’avoir un point précis de la situation d’une cimenterie dans un pays en guerre depuis plusieurs années. »

    Le jour de l’entretien de M. Jolibois à l’ambassade de France en Jordanie, ce dernier a en effet envoyé un mail à plusieurs responsables du groupe, à Paris, évoquant un plan d’évacuation de l’usine : « La semaine prochaine, Ahmad [le directeur sûreté de l’usine] partagera notre plan d’évacuation avec le département de sécurité de Lafarge, et il devrait être en mesure de nous envoyer la version à jour d’ici deux semaines. » L’usine sera attaquée dix jours plus tard…

    19 septembre 2014 : l’attaque de l’usine

    Le 18 septembre, un employé de l’usine est informé d’une attaque imminente de l’EI et en fait part à son patron. Le directeur de l’usine envoie par mail ses dernières consignes de sécurité. Il suggère de « préparer des matelas, de la nourriture, de l’eau, du sucre, dans les tunnels techniques de l’usine ». « Si les affrontements arrivent à l’usine, déplacer les équipes dans les tunnels et attendre », précise-t-il.

    Quelques heures plus tard, les troupes de l’EI sont aux portes de l’usine. La plupart des employés sont évacués en catastrophe par bus vers Manbij. Mais le plan d’évacuation est défaillant. Les bus ne reviennent pas à l’usine. Une trentaine d’employés bloqués sur place doivent s’enfuir par leurs propres moyens, entassés dans deux véhicules abandonnés sur le site. L’usine sera prise d’assaut dans la nuit.

    Quatre employés de Lafarge sont arrêtés par l’EI pendant l’évacuation, et retenus en otage une dizaine de jours. Parmi eux, deux chrétiens arrêtés dans un des bus affrétés par Lafarge sont contraints de se convertir à l’islam avant d’être relâchés.

    Le 21 septembre, un employé en colère écrit un mail au directeur de la cimenterie : « Nous vous demandons fermement de commencer une enquête afin de vérifier les faits suivants (…). Après plus de deux ans de réunions quotidiennes portant sur la sécurité, qui est responsable de l’absence de plan d’évacuation de l’usine de notre équipe, et qui a abandonné plus de trente de nos braves employés une heure avant l’attaque de l’El et l’explosion du réservoir de pétrole ? »

    Quelques jours plus tard, M. Jolibois se félicitera pourtant, dans un mail envoyé au groupe, du succès de l’évacuation : « Malgré la complexité de la situation et l’extrême urgence à laquelle nous avons été confrontés, nous avons réussi à sortir nos employés de l’usine sains et saufs. Les choses ne se sont probablement pas déroulées telles que nous les avions planifiées ; néanmoins, nous avons atteint le but principal. Lafarge Cement Syria n’est pas morte. Je suis convaincu que nous gagnerons la dernière bataille. »

  • CEO to go after LafargeHolcim admits paying Syrian groups | Reuters
    http://www.reuters.com/article/us-lafargeholcim-syria-olsen-idUSKBN17Q0E4
    http://s1.reutersmedia.net/resources/r/?m=02&d=20170424&t=2&i=1181774975&w=&fh=545px&fw=&ll=&pl=&sq=&r=LYN

    LafargeHolcim (LHN.S) Chief Executive Eric Olsen will leave the company in July after the world’s largest cement maker admitted on Monday it had paid armed groups to keep a factory operating in war-ravaged Syria.

  • Lafarge et les groupes armés en Syrie : le PDG annonce sa démission
    https://www.crashdebug.fr/international/13541-lafarge-et-les-groupes-armes-en-syrie-le-pdg-annonce-sa-demission

    (c) Eric Piermont, AFP | Eric Olsen, le PDG de LafargeHolcim, a annoncé son départ

    Eric Olsen, le PDG de LafargeHolcim, a annoncé, lundi, qu’il quittera ses fonctions le 15 juillet. Il paie ainsi le prix du scandale impliquant le groupe dans une affaire de financement indirect des groupes armés en Syrie.

    "Ma décision est guidée par la conviction qu’elle contribuera à apaiser les fortes tensions qui sont récemment apparues autour de la question de la Syrie". C’est ainsi qu’Eric Olsen a annoncé, lundi 24 avril, sa démission du poste de PDG du groupe LafargeHolcim.

    Ce départ, prévu pour le 15 juillet 2017, constitue le point d’orgue d’un scandale impliquant le cimentier français dans une affaire de financement indirect de groupes armés en Syrie, entre 2013 et 2014. (...)

    #En_vedette #Actualités_internationales #Actualités_Internationales

  • Le ciment n’a pas d’odeur

    Pour #LafargeHolcim, le commerce du ciment ne s’embarrasse pas de considérations éthiques, ni légales. La journée de jeudi en aura fait la démonstration. Dans le même temps où l’entreprise reconnaissait avoir payé des sanguinaires groupes armés en Syrie – dont Daech selon toute vraisemblance – pour continuer à faire fonctionner son usine de Jalabiya entre 2013 et 20141, le président du directoire, Eric Olsen, se félicitait des bons résultats financiers du groupe et se réjouissait de « l’énorme opportunité » que représentent les investissements en « infrastructures » prévues par le nouveau gouvernement des Etats-Unis.

    Un plan qui fait miroiter de fabuleux contrats au groupe suisse. Et notamment le chantier du fameux mur à la frontière avec le Mexique que Donald Trump a promis d’ériger pour « stopper l’immigration clandestine ». Une construction à laquelle LafargeHolcim va participer sous « quelque forme que ce soit », s’enthousiasmait le PDG Jan Jenisch dans le Tages-Anzeiger du 2 mars.

    D’un côté, le groupe finance donc les parties prenantes d’une effroyable guerre civile afin d’ouvrir la voie à ses camions. De l’autre, il se frotte les mains, espérant pouvoir se remplir les poches en bâtissant des obstacles sur la route d’êtres humains à la recherche d’un avenir meilleur. Et l’action du cimentier de faire un bond à la Bourse suisse dans la foulée.

    « Avec du recul, les conditions exigées pour assurer la continuation du fonctionnement de l’usine [de Jalabiya, dans le nord de la Syrie] étaient inacceptables », affirme sans ironie la commission d’enquête interne du premier groupe mondial de ciment, issu de la fusion en 2015 du Français Lafarge et du Zurichois Holcim. Et pourtant... aucune sanction interne ne devrait être prise à l’encontre des responsables de ces opérations de la filiale syrienne de Lafarge, selon Eric Olsen. D’autant qu’il « n’y a pas d’indication que ces allégations seraient susceptibles d’avoir un impact financier négatif significatif pour le groupe », assure LafargeHolcim. Bref : circulez, il n’y a rien à voir !

    Il ne reste plus qu’à espérer que la justice française n’exprime pas le même dédain. Plusieurs plaintes ont été déposées contre Lafarge. Par des ONG, d’abord, pour « financement du terrorisme » et « complicité de crimes de guerre ». Puis par le ministère de l’économie, qui a saisi le Parquet pour de possibles infractions commises par Lafarge, qui aurait acheté du pétrole syrien en dépit des interdictions édictées par l’Union européenne.

    https://www.lecourrier.ch/147310/le_ciment_n_a_pas_d_odeur
    #Suisse #murs #barrières_frontalières #USA #Etats-Unis
    cc @daphne @albertocampiphoto @marty

    • #Lafarge lorgne sur le marché du mur anti-migrants de Trump

      D’un scandale éthique à l’autre ? La direction de #LafargeHolcim a officiellement reconnu avoir contribué au financement de groupes armés en Syrie, alors que l’entreprise s’efforçait de maintenir en opération sa cimenterie dans le pays. Le même jour, la presse suisse annonçait que l’entreprise s’était déjà positionnée pour obtenir le juteux marché de la construction du mur anti-migrants voulu par Trump, à la frontière entre États-Unis et Mexique.

      http://multinationales.org/Lafarge-lorgne-sur-le-marche-du-mur-anti-migrants-de-Trump

    • Hollande appelle à la prudence Lafarge, qui se dit prêt à participer à la construction du mur de Trump

      Le géant franco-suisse du ciment est sur les rangs pour remporter le gigantesque appel d’offres pour la construction du mur anti-clandestin voulu par Donald Trump pour renforcer la frontière entre les États-Unis et le Mexique. François Hollande a appellé le groupe à la prudence.

      http://www.lefigaro.fr/societes/2017/03/09/20005-20170309ARTFIG00118-le-cimentier-lafarge-pret-a-participer-a-la-const

    • Lafarge ’Islamic State payments’ probe centres on 15m-dollar fund

      A French investigation into alleged payments to jihadist groups, including Islamic State, by French cement-making giant Lafarge in order to ensure the functioning of one of its plants in Syria is focussing on a fund of more than 15 million dollars set aside by the company for its operations in the war-torn country, according to documents obtained by Mediapart. Fabrice Arfi reports.

      https://www.mediapart.fr/en/journal/international/121217/lafarge-islamic-state-payments-probe-centres-15m-dollar-fund
      #EI #Etat_islamique

    • « Lafarge est complice de crimes contre l’humanité »

      Des ONG demandent la mise en examen du cimentier. Elles accusent l’entreprise d’avoir financé l’EI pour pouvoir poursuivre son activité en Syrie.

      Deux ONG ayant porté plainte contre Lafarge ont demandé aux juges de mettre en examen la multinationale pour « complicité de crimes contre l’humanité » en Syrie, a appris mardi l’AFP. Le cimentier est accusé de financement de groupes armés, dont l’organisation Etat islamique (EI).

      Dans une note transmise récemment aux magistrats, l’association Sherpa et le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’Homme (ECCHR) considèrent que Lafarge se serait rendu coupable de « complicité de crimes contre l’humanité ».

      L’entreprise aurait financé l’EI pour pouvoir maintenir l’activité de son usine syrienne de Jalabiya (nord), malgré les menaces sur la sécurité des employés locaux. « A ce stade » de l’enquête, la mise en examen du cimentier comme personne morale sur ce fondement apparaît comme « inéluctable », affirment les associations dans un communiqué commun. Selon elles, la question de telles poursuites se pose aussi pour les ex-cadres ou dirigeants déjà mis en cause. Huit d’entre eux ont été mis en examen dont sept pour « financement d’une entreprise terroriste », à l’instar de l’ex-patron Bruno Lafont.

      Responsabiliser les entreprises

      « Les entreprises ont les moyens d’alimenter des conflits armés (...) », la lutte contre l’impunité des multinationales devra passer par la mise en cause de leur responsabilité« , a déclaré Sandra Cossart, directrice de Sherpa, dans le communiqué.

      Exécutions, enlèvements, violences sexuelles contre les minorités yézidies, kurdes ou chrétiennes : les associations expliquent que les exactions de l’EI sont constitutives de crimes contre l’humanité. Lafarge et ses dirigeants ne pouvaient ignorer qu’ils »contribuaient« financièrement à ces crimes imputés à l’EI « dans la région de l’usine (entre 2012 et 2015) mais aussi dans le reste du monde ».

      Elles n’écartent ainsi pas l’hypothèse que les attentats du 13 novembre 2015 aient pu être financés grâce aux fonds versés par Lafarge. Les deux ONG, avec 11 anciens salariés, avaient été les premières à lancer une plainte pour »financement du terrorisme" contre Lafarge, qui a fusionné avec le st-gallois Holcim en 2015.


      https://www.tdg.ch/suisse/Lafarge-est-complice-de-crimes-contre-l-humanite/story/14474805
      #complicité