person:evgeny morozov

  • La surveillance, stade suprême du capitalisme ?
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/06/14/la-surveillance-stade-supreme-du-capitalisme_5476001_3232.html

    Bientôt un autre regard critique sur le concept de capitalisme de surveillance : parution à l’automne du livre de Christophe Masutti qui fait l’archéologie du concept et replonge dans l’évolution sur cinquante ans du traçage informatisé. Chez C&F éditions, évidemment ;-)

    Depuis vingt ans, un capitalisme mutant mené par les géants du Web s’immisce dans nos relations sociales et tente de modifier nos comportements, analyse l’universitaire américaine Shoshana Zuboff dans son dernier ouvrage. Mais son concept de « capitalisme de surveillance » ne fait pas l’unanimité.

    Shoshana Zuboff a été l’une des premières à analyser la manière dont l’informatique transformait le monde du travail. Cette pionnière dans l’étude détaillée des bouleversements du management s’est félicitée, au départ, de l’arrivée de « travailleurs du savoir ». Elle a perçu très tôt que l’extension d’Internet et la généralisation des ordinateurs personnels permettraient de fonder une « économie nouvelle » capable de répondre aux besoins des individus et de renforcer le pouvoir des consommateurs.

    Puis elle a été terriblement déçue. En janvier, Shoshana Zuboff a résumé ses craintes dans The Age of Capitalism Surveillance (Public Affairs, non traduit).

    La presse anglo-saxonne, du libéral Wall Street Journal au très à gauche The Nation, du Guardian à la New York Review of Books, mais aussi l’anticapitaliste Naomi Klein et le professeur de communication Joseph Turow, ont salué ce livre comme un essai majeur.
    « Chef-d’œuvre d’horreur »

    Le titre, « L’Age du capitalisme de surveillance », en annonce le concept : en vingt ans, « sans notre consentement significatif », un capitalisme mutant mené par les géants du Web – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (Gafam) – s’est immiscé dans nos relations sociales et introduit dans nos maisons – « de la bouteille de vodka intelligente au thermomètre rectal », résume Shoshana Zuboff.

    Un de ses concepts centraux est, assure l’universitaire dans son essai, la notion de « surplus de comportement » : les Gafam, mais aussi les opérateurs de téléphonie comme AT&T ou les sociétés de l’Internet des objets et de la « smart city », ne se contentent pas de collecter les données d’usage et de service : ils intègrent dans les pages en réseaux et dans les machines intelligentes des dispositifs d’espionnage invisible. Ils repèrent ainsi, grâce aux algorithmes, nos habitudes les plus intimes. Ils reconnaissent nos voix et nos visages, décryptent nos émotions et étudient leur diffusion grâce à l’« affective computing » afin de capter « la totalité de l’expérience humaine en tant que matière première gratuite ».

    Ces masses de données comportementales sont revendues comme des « produits de prévision » extrêmement lucratifs. « Vous n’êtes pas le produit, résume Shoshana Zuboff, vous êtes la carcasse abandonnée de l’éléphant traqué par des braconniers ! »
    « Un contrat faustien »

    La logique de cette traque mène à ce qu’elle appelle l’« instrumentarianism » (« l’instrumentalisation ») : la capacité de modeler les comportements en vue d’obtenir « des résultats rentables », voire d’« automatiser » les conduites.

    « Il est devenu difficile d’échapper à ce projet de marché dont les tentacules s’étendent des innocents joueurs de Pokémon Go dirigés vers les bars et les magasins qui paient pour les attirer à l’impitoyable exploitation des profils Facebook à des fins d’orientation de comportement individuel » – et ce « en cliquant oui à l’achat de nouvelles chaussures de sport proposé après votre jogging du dimanche matin », ou en ciblant « votre vote de fin de semaine », comme on l’a vu pendant l’affaire Cambridge Analytica, la société de conseil dont le slogan proclame « Data drives all we do » (« Les données déterminent tout ce que nous faisons »). « Ils veulent notre âme, conclut Shoshana Zuboff. Nous avons signé avec eux un contrat faustien. »

    Depuis sa sortie, « L’Age du capitalisme de surveillance » reçoit une volée de critiques. Dans The Nation, Katie Fitzpatrick, professeure de pédagogie à l’Université d’Auckland, estime que le « sombre constat » de Shoshana Zuboff est justifié mais qu’elle « échoue dans son analyse politique » car elle est aveuglée par la confiance qu’elle accorde aux capacités démocratiques du libéralisme. « Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle théorie politique alarmiste pour comprendre ce qui se passe », conclut-elle.

    Pour le spécialiste du numérique Evgeny Morozov, auteur du Mirage numérique (Les Prairies ordinaires, 2015), l’analyse de Shoshana Zuboff, qui est d’autant plus dérangeante qu’elle a travaillé pour « deux bastions du techno-optimisme », Fast Company et BusinessWeek, insiste trop sur la surveillance et pas assez sur le capitalisme : « En considérant le capitalisme de surveillance comme notre nouveau Léviathan invisible, elle rate la manière dont le pouvoir fonctionne depuis plusieurs siècles : le Léviathan invisible est avec nous depuis longtemps. »

    #Capitalisme_surveillance #Shoshana_Zuboff

  • SOCIALIZE THE DATA CENTRES!, Evgeny Morozov, New Left Review 91, January-February 2015
    https://newleftreview.org/II/91/evgeny-morozov-socialize-the-data-centres

    If current economic, social and political trends continue, we could conceivably end up with data-driven automation for the poor—so that all their time can be spent working—while the rich enjoy cultivating their senses, learning languages, getting to know art, studying. That’s what I fear.

  • Le spectre du techno-populisme
    https://blog.mondediplo.net/le-spectre-du-techno-populisme

    par Evgeny Morozov

    Longue et trouble est l’histoire du techno-populisme, cet art de multiplier les promesses creuses au nom du pouvoir tellurique de la disruption numérique. Nous connaissons cependant la date précise de sa consécration : 2006, l’année où le magazine Time « Vous » a élu comme personnalité de l’année, en hommage aux millions d’anonymes qui alimentent l’Internet des années 2000. Un choix qui a profondément inscrit ces thèmes dans l’inconscient collectif.

    En réalité, les sites comme Wikipedia ou Flickr comptaient relativement peu de contributeurs. Mais leur célébration universelle a retardé ou désamorcé les questions concernant le pouvoir des entreprises ou la longévité de l’utopie numérique naissante. Sans surprise, quelques années plus tard, cette utopie n’était plus : hyper-centralisé et dominé par une poignée de plateformes, le Web n’était plus que l’ombre de l’entité excentrique qu’il représentait auparavant.

    En 2018, l’utilisateur créatif tout-puissant de 2006 a fait place à un junkie zombifié accro à la mollette de défilement et au bouton « J’aime », emprisonné pour toujours dans les cages invisibles des courtiers en données. Ironiquement, ce noble effort pour élever tout le monde au rang d’intellectuels et de créatifs nous a assuré une présence éternelle dans les listes de Cambridge Analytica.

    Si le mythe de l’utilisateur-artiste a disparu, l’esprit du techno-populisme subsiste, désormais étayé par les mythes tout aussi puissants de l’utilisateur-entrepreneur et de l’utilisateur-consommateur. Ces deux mythes font miroiter plus de décentralisation, plus d’efficacité, plus de simplicité, tout en détournant notre attention des dynamiques mondiales qui façonnent l’économie numérique. D’où la difficulté de percevoir l’avenir numérique qui nous attend, un avenir dominé par la centralisation, l’inefficacité, l’opacité et la surveillance.

    #techno-populisme #économie_numérique #GAFA #Internet #production_immatérielle

  • Au-delà de l’affaire Facebook. Pour un service public des données, par Evgeny Morozov (Les blogs du Diplo, 10 avril 2018)
    https://blog.mondediplo.net/2018-04-10-Pour-un-service-public-des-donnees

    Bonne nouvelle pour ceux d’entre nous qui mettent en garde contre les dangers de « l’extractivisme des données » depuis des années : la méfiance envers Facebook est de plus en plus vive.

    Enfin une preuve incontestable que sous la rhétorique grandiloquente de #Facebook, qui prétend « construire une communauté mondiale qui œuvre pour tous », se cache un projet agressif et cynique qui nous vampirise, dans le but de construire un aspirateur de données mondial. Comme d’autres dans ce secteur, Facebook se fait de l’argent en puisant nos #données_personnelles — qu’il fait émerger grâce à nos pokes et nos likes, à l’image des grands groupes du secteur énergétique qui forent des puits de pétrole : les profits avant tout, les conséquences sociales et individuelles attendront.

    En outre, plus grand monde ne croit en l’avenir numérique idéal où des publicités sur-mesure financeraient ce que Mark Zuckerberg appelle « l’infrastructure sociale ». Si cette dernière ne coûte rien financièrement, aux contribuables du moins, elle aurait un prix social et politique peut-être plus lourd encore que le pétrole bon marché des années 1970.

    Cette prise de conscience, aussi soudaine et brutale soit-elle, ne suffit pas. Facebook n’est que l’un des symptômes, non la cause de nos problèmes. À long terme, fustiger sa culture d’entreprise pourrait s’avérer aussi vain que de s’en prendre à soi-même.

    #Cambridge_Analytica

  • Fake news : Facebook doit-il être le garant de la vérité ? - UP le mag
    http://www.up-inspirer.fr/40796-facebook-doit-il-etre-le-garant-de-la-verite

    EXTRAIT DU MAG – Le réseau social est accusé aléatoirement, par les uns et les autres, de laisser apparaître des contenus jugés néfastes et/ou de supprimer des éléments jugés pertinents. Derrière cette problématique, c’est la question de l’influence de l’entreprise qui est posée.

    UP 17Cet article est extrait du UP mag n°17 sorti le 18 septembre 2017 avec un dossier consacré aux « Fake news » et à retrouver sur notre boutique.

    « Nous ne voulons pas être les arbitres de la vérité », répètent à l’envi les dirigeants de Facebook. Le réseau social aime à rappeler qu’il n’est pas producteur de contenus et n’est pas responsable de ce qui est posté par ses utilisateurs. Pourtant, des modérateurs suppriment bien, au quotidien, des profils d’utilisateurs ou leurs posts, selon des règles qui, en fait, semblent plutôt arbitraires. Au printemps dernier, l’hebdomadaire britannique Guardian s’est procuré des extraits des « manuels de modération » fournis aux modérateurs du réseau social, jusqu’ici restés secrets. Dans cette série d’articles intitulée « Facebook files », on apprenait par exemple qu’une remarque telle que « quelqu’un devrait tuer Trump » serait supprimée car, en tant que chef de l’État, Trump fait partie des « catégories protégées » établies par le réseau social. En revanche, il est possible d’écrire « pour briser le cou d’une conne, faites bien attention à appuyer au milieu de sa gorge » ou encore « va chier et meurs », car ces propos ne sont pas considérés comme de véritables menaces.

    Il faut d’emblée reconnaître qu’établir des règles de modération appliquées à des milliards d’utilisateurs aux profils politiques et culturels immensément variés n’est pas chose aisée. Mais ces exemples sont pour le moins déroutants. Déroutante l’est encore plus, la manière dont Facebook définit ses « catégories protégées ». Le site d’investigation américain ProPublica a révélé en juillet dernier qu’il supprime les contenus qui s’attaquent à des catégories de race, genre, appartenance religieuse, origines nationales et ethniques, orientation sexuelle et handicap, ou maladie, mais qu’en revanche, les sous-catégories que sont les classes sociales, l’âge, l’avis politique ou bien les sous-groupes religieux sont « non-protégées ». Résultat, quand un membre de la Chambre des représentants des États-Unis écrit « Massacre des musulmans radicalisés […], chassez-les, identifiez-les et tuez-les », sa publication n’est pas supprimée, car elle vise le sous-groupe spécifique des musulmans radicalisés. En revanche, quand Didi Delgado, poète et militante du mouvement Black Lives Matter, traite tous les Blancs de racistes, son message est supprimé et son compte suspendu pendant une semaine.
    Intérêt économique

    « Ces documents révèlent les décisions politiques de Facebook. Alors que l’entreprise affirme sans cesse que son rôle n’est pas éditorial, ceux-ci attestent du contraire. (…) Lorsque Facebook estime que des images participent à une opération de sensibilisation de l’opinion, il laisse en ligne des contenus qui contreviennent aux règles qu’il a lui-même édictées. Dans ce cas, on peut aussi s’interroger sur ce qui est retiré ! », observe Sarah Roberts, chercheuse en sciences de l’information à l’université de Californie de Los Angeles (UCLA), dans une interview accordée au Monde.

    « Alors qu’on attribue à Facebook d’avoir facilité le “Printemps Arabe“ de 2010-2011, contre les régimes autoritaires, les documents suggèrent que, au moins dans certains cas, les règles de modération de l’entreprise tendent à favoriser les élites et les gouvernements par rapport aux militants de base ou les minorités raciales », écrit le site ProPublica. Le site rapporte également qu’au moment de l’annexion de la Crimée par la Russie, en 2014, de nombreux Ukrainiens se sont plaints de voir leurs posts censurés et profils bloqués à la demande d’utilisateurs pro-Kremlin. En Israël, les comptes de Palestiniens seraient bloqués si souvent que l’expression #FbCensorsPalestine est devenue populaire.

    Facebook pratiquerait-il un filtrage idéologique ? La position de l’entreprise vis-à-vis des discours négationnistes, révélée par le Guardian, est à ce titre intéressant. Elle encouragerait à supprimer les contenus niant l’Holocauste uniquement dans quatre pays (France, Allemagne, Israël et Autriche) sur les 14 où cela est interdit. Un document indique que la société « n’accepte pas la législation locale qui fait obstacle à un monde ouvert et connecté » et ne considère la suppression des contenus négationnistes que dans les pays où elle risque d’être poursuivie ou bloquée. En fait, selon Hervé Le Crosnier, enseignant-chercheur à l’Université de Caen en culture numérique, l’entreprise mondiale est surtout guidée par un critère économique : retenir l’attention des utilisateurs, qu’ils restent le plus longtemps sur le réseau, peu importe la véracité du contenu. « Ils n’ont aucun intérêt économique à nettoyer, sauf si ça devient tellement pourri que ça va faire décliner l’attention des gens. Leur unique crainte est que trop de violence ou d’affrontements provoque de la désaffection pour le réseau », nous explique-t-il.
    Pouvoir incontestable

    Seulement, à chaque censure, Facebook s’arroge le droit de définir ce qui est montrable, ou pas, et cela lui donne un pouvoir forcément contestable. L’automne dernier, le réseau social s’est attiré les foudres de la Norvège pour avoir censuré la photo de la « fille au napalm », la fameuse image de la guerre du Vietnam où l’on voit une fillette, nue, qui vient d’être brûlée après un bombardement au napalm. La Première ministre Erna Solberg avait alors bien exprimé la problématique : « Ce que fait Facebook, en supprimant ces images, et quelles que soient ses intentions, c’est une révision de notre histoire commune. » « Le manque de transparence de Facebook est une question importante, car son pouvoir est immense : plus d’un milliard de personnes utilisent le site, souvent comme source d’information ou comme moyen de communiquer », rappelle Sarah Roberts. « On a laissé se développer des plateformes sans régulation sociale (notamment en ne payant pas d’impôts), pour qui les corps intermédiaires (familles, communauté religieuses, syndicats) sont les choses à éviter, et qui sont devenus des outils indispensables. La question est : maintenant que c’est développé, comment fait-on ? », résume Hervé Le Crosnier.

    Certains États tentent d’infléchir le réseau social, mais pas forcément de la façon la plus souhaitable. L’Allemagne a ainsi adopté en juin une loi qui expose les réseaux importants comme Facebook à une amende pouvant s’élever à 50 millions d’euros s’ils ne suppriment pas sous 24 heures les contenus « manifestement délictueux ». Avant même que la loi ne passe, Reporters Sans Frontières s’est inquiété que ce genre de projet mène « à la multiplication de cas de censure dans la mesure où les réseaux sociaux pourraient être tentés de supprimer plus de contenus pour payer moins d’amendes ». « RSF rejette ce projet, qui ne ferait que contribuer au mouvement général de privatisation de la censure, en déléguant à des plateformes privées le rôle de juges, les laissant décider de ce qui doit être supprimé ou non, comme si les géants du web allaient remplacer les cours indépendantes et impartiales », a dénoncé Elodie Vialle, responsable du bureau Journalisme et Technologie à Reporters sans frontières. L’ONG a de plus regretté l’utilisation de termes vagues dans la législation allemande et dit craindre que cela encourage d’autres pays européens à suivre la même voie.
    Signalement par les internautes

    « Un conseil aux gouvernements autoritaires : si vous voulez censurer Internet sans faire d’histoire, il vous suffit de qualifier les articles qui vous déplaisent de “désinformation“, et personne en Occident ne viendra protester », écrivait dans un post de blog Evgeny Morozov, chercheur et écrivain américain d’origine biélorusse, qualifiant de « fausses solutions » les idées des États européens pour empêcher la propagation de fausses nouvelles. Mais vaut-il mieux tout laisser dire, même les pires fake news, pour éviter de tomber dans une censure arbitraire ? « Le sujet est très complexe et d’ailleurs la vérité n’est pas le bon critère, car ça ne veut rien dire la vérité, ça dépend de qui parle, de ce qu’on fait. En revanche, il faut protéger le citoyen de ce qui a un caractère antisocial et qui est défini par la loi », affirme Hervé Le Crosnier. Mais ce qui est antisocial dans un pays ne l’est pas forcément dans un autre et Facebook veut éviter au maximum d’avoir des règles différentes en fonction de la géolocalisation de ses utilisateurs.

    En attendant, le projet développé par Facebook en partenariat avec des médias français, (dont l’AFP, France Info, Le Monde, 20 minutes et Libération), apparaît comme une alternative intéressante à la censure. Il s’agit de permettre aux internautes de signaler les contenus douteux, pour les faire vérifier par les rédactions partenaires. En fonction, le contenu ne sera, non pas supprimé, mais signalé comme une information non-validée par le groupe de rédaction. Il n’y a pas encore eu de bilan de ce projet annoncé en mars. Ceux qui ne croient plus dans les gros médias n’y verront probablement qu’une manière de plus de s’imposer. D’autres signaleront que cette solution n’empêchera pas toutes les bêtises d’être écrites sur le réseau, et que les algorithmes encouragent de toute façon ceux qui pensent d’une certaine manière à se conforter dans leur opinion. Mais là au moins, c’est à chacun, et non pas à Facebook, d’arbitrer.

    #Fake_news

  • Derrière l’application de Google qui trouve votre sosie artistique, du digital labor (gratuit) pour entraîner son IA de reconnaissance faciale http://www.rtl.fr/actu/futur/l-application-de-google-qui-trouve-votre-sosie-artistique-souleve-des-inquietude
    http://media.rtl.fr/online/image/2018/0117/7791879937_l-application-google-arts-culture-est-en-tete-des-telechargemen

    (Le seul article un peu critique que j’ai trouvé provient donc de rtl.fr)

    La dernière version de l’application Google Arts & Culture est l’une des plus populaires du moment aux États-Unis. La raison ? L’ajout d’une fonctionnalité permettant aux utilisateurs de découvrir quel est leur sosie artistique. Intitulée "Is your portrait in a museum ?" ("Votre portrait se trouve-t-il dans un musée ?"), elle propose de comparer un selfie à des portraits célèbres réalisés par des peintres de renom.

    L’expérience repose sur la technologie de reconnaissance faciale Face Net. Développée par #Google, elle scanne la photo envoyée par l’utilisateur pour créer une empreinte numérique de son #visage et la comparer aux 70.000 œuvres de sa base de données. Une fois les correspondances trouvées, les résultats les plus pertinents sont affichés avec leur pourcentage de ressemblance.

    Cette fonction a largement emballé les internautes américains. Depuis sa mise à jour mi-décembre, #Google_Arts_&_Culture truste les premières places des applications les plus téléchargées aux États-Unis sur l’App Store d’Apple et le Play Store de Google. Disponible uniquement outre-Atlantique, elle fait l’objet d’une expérimentation par Google.

    (…) Devant la popularité de l’application, certaines voix se sont élevées aux États-Unis pour mettre en garde le public contre le véritable objectif poursuivi par Google. "Le stagiaire de Google qui a inventé cette application pour tromper les utilisateurs en les incitant à envoyer des images pour remplir sa base de données de reconnaissance faciale a certainement eu une promotion", a observé sur Twitter l’analyste politique, Yousef Munayyer. "Personne ne s’inquiète d’abandonner les données de son visage à Google ou vous estimez tous que c’est déjà le cas ?", s’est aussi émue l’actrice et activiste américaine, Alyssa Milano.

    Google propose régulièrement des outils ludiques et gratuits aux internautes pour faire la démonstration de ses progrès dans l’intelligence artificielle. Ces programmes permettent aussi à l’entreprise américaine de mettre ses réseaux de neurones artificiels à l’épreuve de neurones humains afin de les perfectionner à peu de frais. Les programmes Quick Draw ! et AutoDraw visaient notamment à améliorer la #reconnaissance_visuelle de ses algorithmes. La société utilise aussi la reconnaissance des caractères des #Captcha pour aider ses robots à déchiffrer les pages de livres mal conservés sur Google Book et les indexer par la suite à son moteur de recherche.

    (…)

    Interrogé par plusieurs médias américains sur la portée réelle de son application « Arts & Culture », Google se veut rassurant. Selon la firme américaine, les photos téléchargées par les utilisateurs ne sont pas utilisées à d’autres fins et sont effacées une fois trouvées les correspondances avec des œuvres d’art. La dernière expérience du géant américain illustre à nouveau les craintes suscitées par les progrès rapides de l’#intelligence_artificielle et plus particulièrement de la #reconnaissance_faciale, dont les applications ont pris une place grandissante dans nos vies ces derniers mois.

    Apple a fait entrer cette technologie dans la vie de millions d’utilisateurs cet automne en intégrant le dispositif #Face_ID à l’iPhone X pour déverrouiller l’appareil d’un simple regard. Dans le sillage de la pomme, un grand nombre de constructeurs travaille à généraliser ce système sur des smartphones à moindre prix. Facebook a recours à la reconnaissance faciale depuis décembre pour traquer les usurpations d’identité sur sa plateforme. Google l’utilise déjà dans son service Photos, utilisé par 500 millions d’utilisateurs, capable depuis peu de reconnaître les animaux de compagnies.

    Les défenseurs des libertés craignent que la généralisation de la reconnaissance faciale dans des outils utilisés à si grande échelle ne glisse vers une utilisation plus large par les publicitaires ou les autorités. En Chine, cette technologie est déjà utilisée pour surveiller les citoyens dans les endroits publics. 170 millions de caméras de surveillance sont installées à travers le pays. Un nombre qui doit atteindre 400 millions à horizon 2020. La plupart sont dotées de programmes d’intelligence artificielle pour analyser les données en temps réel et inciter les individus à ne pas déroger à la norme édictée par le pouvoir.

    #digital_labor #IA

    Et puis cf. le thread d’@antoniocasilli sur son fil Twitter :

    Avez-vous déjà vu, partagé, commenté les « art selfies » de l’appli @googlearts ? Savez-vous qu’ils utilisent votre visage pour constituer un fichier biométrique ? J’en veux pour preuve qu’ils ne sont pas disponibles en Illinois—état où les lois sur la biométrie sont plus strictes.

    https://twitter.com/AntonioCasilli/status/953662993480474624

    • Version optimiste, ft. John Berger :

      In one way, the art selfie app might be seen as a fulfillment of Berger’s effort to demystify the art of the past. As an alternative to museums and other institutions that reinforce old hierarchies, Berger offered the pinboard hanging on the wall of an office or living room, where people stick images that appeal to them: paintings, postcards, newspaper clippings, and other visual detritus. “On each board all the images belong to the same language and all are more or less equal within it, because they have been chosen in a highly personal way to match and express the experience of the room’s inhabitant,” Berger writes. “Logically, these boards should replace museums.” (As the critic Ben Davis has noted, today’s equivalent of the pinboard collage might be Tumblr or Instagram.)

      Yet in Berger’s story this flattening represents the people prying away power from “a cultural hierarchy of relic specialists.” Google Arts & Culture is overseen by a new cadre of specialists: the programmers and technology executives responsible for the coded gaze. Today the Google Cultural Institute, which released the Arts & Culture app, boasts more than forty-five thousand art works scanned in partnership with over sixty museums. What does it mean that our cultural history, like everything else, is increasingly under the watchful eye of a giant corporation whose business model rests on data mining? One dystopian possibility offered by critics in the wake of the Google selfie app was that Google was using all of the millions of unflattering photos to train its algorithms. Google has denied this. But the training goes both ways. As Google scans and processes more of the world’s cultural artifacts, it will be easier than ever to find ourselves in history, so long as we offer ourselves up to the computer’s gaze.

      https://www.newyorker.com/tech/elements/the-google-arts-and-culture-app-and-the-rise-of-the-coded-gaze-doppelgang

      Version réaliste, par Evgeny Morozov :

      Google vient de lancer une plateforme d’IA destinée aux entreprises qui veulent mettre en œuvre une infrastructure d’apprentissage automatique (machine learning) de afin de construire leurs propres modèles (contre rétribution, bien entendu). Il sait pertinemment qu’il est toujours rentable de s’attirer la sympathie des utilisateurs, par exemple en leur donnant des outils d’IA pour trouver des œuvres d’art qui ressemblent à leur visage (1). Ces instruments gagnent ainsi en précision et peuvent ensuite être vendus aux entreprises. Mais pour combien de temps encore Google aura-t-il besoin de cobayes ?

      https://blog.mondediplo.net/2018-01-27-Mark-Zuckerberg-vous-veut-du-bien

  • Is #Facebook bad for you? Facebook says it is, and the company has a solution : more Facebook
    https://qz.com/1158984/is-facebook-fb-bad-for-you-facebook-says-it-is-and-the-company-has-a-solution

    Yesterday (Dec. 15), a strange post went up on Facebook’s corporate blog. It was strange because it suggested that Facebook might, in fact, be bad for you.

    What solution can the social network provide? The same answer it gives to every question: namely, more Facebook.

    https://newsroom.fb.com/news/2017/12/hard-questions-is-spending-time-on-social-media-bad-for-us

    The post was the latest in Facebook’s somewhat new series, “Hard Questions.” This set of blog posts aims to address concerns that social media broadly, and Facebook specifically, might be having a negative impact on society. Topics include “Hate Speech,” “How We Counter Terrorism,” and the latest one, “Is Spending Time on Social Media Bad for Us?”

    The structure of these posts is usually the same. Step one: identify some ill in society. Step two: admit that people think technology, and Facebook, might be contributing to that ill. Step three: assert that more Facebook, not less, is the cure for said ill.

    In the new post on the potential downside of social media, the authors, who are researchers at Facebook, begin by correctly saying that people are worried about the effect social media has on relationships and mental health. They then point to research that suggests scrolling through Facebook, and blindly hitting the “like” button, makes people feel like crap. “In general, when people spend a lot of time passively consuming information—reading but not interacting with people—they report feeling worse afterward,” they write.

    The key phrase is “passively consuming.” The authors’ solution to this problem is not, as you might think, using Facebook less. It is using it more, and more actively. Instead of just liking things, and scrolling through our feeds, they suggest that we should be all-in. Send more messages, post more updates, leave more comments, click more reaction buttons. “A study we conducted with Robert Kraut at Carnegie Mellon University found that people who sent or received more messages, comments and Timeline posts reported improvements in social support, depression and loneliness,” they cheerily note.

    They then adds a caveat that “simply broadcasting status updates wasn’t enough; people had to interact one-on-one with others in their network.” But wait. Isn’t Facebook a social network, connecting me to hundreds or thousands of other people? I don’t need Facebook to interact one-on-one, over text, email, or coffee.

    Facebook might admit it has some negative effects, but it is unwilling to face up to the fact that the solution might be using it less. This latest post mentions Facebook’s “take a break” feature. This will hide your ex-partner’s profile updates for you after a break-up, to help in “emotional recovery.” Because, sure, that seems healthier than just not using Facebook at all for a little while.

    Pretty much every Facebook post about the ill effects of the platform follows this formula. Hate speech on Facebook is a problem. The solution? Use Facebook more to tag hate speech, so we can get rid of it. Kids are on Facebook, and it might not be good for them. The solution? Give them Facebook Messenger Kids, a new app made just for them. Facebook is causing political divisiveness in America. The solution? Use Facebook to build digital “communities.”

    Turns out Facebook’s “hard questions” are actually pretty easy. The answer, after all, is always the same.

    #tmi #fomo #déconnexion

    Nombre de Dunbar
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_Dunbar

    Le nombre de Dunbar est le nombre maximum d’individus avec lesquels une personne peut entretenir simultanément une relation humaine stable. Cette limite est inhérente à la taille de notre cerveau impliqué dans les fonctions cognitives dites supérieures, le néocortex.

    Ce nombre est estimé par l’anthropologue britannique Robin Dunbar entre 100 et 230 personnes et a une valeur admise en pratique de 150 personnes.

    Ce nombre provient d’une étude publiée en 1992 par le chercheur Robin Dunbar. Dans cette étude, il analyse la taille du néocortex de différents primates et la compare au nombre d’individus de leurs groupes respectifs. Il a ainsi extrapolé ses résultats afin de déterminer un nombre maximum pour la taille d’un groupe d’humains. Ce nombre ne devrait donc théoriquement pas dépasser 150 individus. Au-dessus de ce nombre, la confiance mutuelle et la communication ne suffisent plus à assurer le fonctionnement du groupe. Il faut ensuite passer à une hiérarchie plus importante, avec une structure et des règles importantes (on le voit par exemple à l’échelle d’un pays et de son gouvernement).

    Dunbar indique par ailleurs que le langage que nous avons collectivement développé joue un rôle important dans notre capacité à entretenir des relations sociales avec environ 150 personnes. En effet, le fait de pouvoir parler à plusieurs individus simultanément permet d’établir des rapports efficaces et durables entre nous tous. En l’absence d’un tel outil de communication collective, chacun d’entre nous passerait la moitié de son temps à entretenir individuellement chacun de ses liens sociaux.

    Différentes études ont retrouvé des résultats proches du nombre de Dunbar dans le comportement des utilisateurs de réseaux sociaux sur Internet, en particulier sur Twitter ou Facebook.

    Dans le @mdiplo, voir :

    · Le prix de la déconnexion, par Evgeny Morozov (23 février 2017) https://blog.mondediplo.net/2017-02-23-Le-prix-de-la-deconnexion

    · Le malade virtuel, par Virginie Bueno (juin 2015) https://www.monde-diplomatique.fr/2015/06/BUENO/53095

    · Twitter jusqu’au vertige, par @Mona Chollet (octobre 2011) https://www.monde-diplomatique.fr/2011/10/CHOLLET/21103

  • Le taylorisme à la mode hippie, par Evgeny Morozov (Les blogs du Diplo, 13 décembre 2017) https://blog.mondediplo.net/2017-12-13-Le-taylorisme-a-la-mode-hippie

    Le capitalisme numérique moderne, avec sa promesse de communication instantanée et permanente, n’a pas fait grand-chose pour nous débarrasser de l’aliénation. Nos interlocuteurs sont nombreux, notre divertissement illimité, la pornographie se télécharge vite et en haute définition. Pourtant, notre quête d’authenticité et de sentiment d’appartenance, aussi dévoyée soit elle, persiste bel et bien.

    Au-delà des remèdes accessibles et évidents à notre crise d’aliénation : plus de bouddhisme, plus de méditation, plus de camps de désintoxication Internet, l’avant-garde numérique du capitalisme contemporain a envisagé deux solutions, respectivement inspirées de John Ruskin et d’Alexis de Tocqueville.

    • Après avoir lu l’article de James Bridle sur un exemple de logique capitaliste et publicitaire poussée à l’extrême, et regardé cette excellente présentation d’Evgeny Morozov, la décentralisation semble de plus en plus attractive comme possible réponse aux géants de la tech.

      C’est pas une panacée mais déjà enlevé l’effet d’échelle aux GAFAM leur retirerait pas mal de force. Et si les politiques s’y mettaient aussi, ça aiderait. Mais vu le récent exemple en France avec l’armée et Microsoft, c’est pas gagné.

      #bleak

  • Google à la conquête des villes, par Evgeny Morozov (Les blogs du Diplo, 3 novembre 2017)
    https://blog.mondediplo.net/2017-11-03-Google-a-la-conquete-des-villes

    par Evgeny Morozov

    Les municipalités n’y verraient guère d’inconvénient, mais qu’en est-il d’Alphabet ? Depuis quelque temps, la multinationale les prend très au sérieux. Ses dirigeants ont même évoqué l’idée de réinventer une ville en difficulté — Detroit ? — en s’appuyant sur leurs services, sans qu’aucune réglementation ne leur mette des bâtons dans les roues.

    Tout cela aurait pu sembler contre-intuitif il y a quelques dizaines d’années, mais ce scénario semble plus plausible maintenant que des institutions comme la Banque mondiale vantent les vertus des villes privatisées, et que les grands pontes de la Silicon Valley aspirent à fonder des micro-nations basées en mer pour se libérer de la bureaucratie traditionnelle.

    Pour Alphabet, les villes ont toujours été des plates-formes. Aujourd’hui, elles deviennent numériques, voilà tout. « Les grandes villes du monde entier sont des centres de croissance et d’innovation parce qu’elles tirent parti des plates-formes mises en place par des dirigeants visionnaires, indique la proposition. Rome a eu ses aqueducs, Londres son métro et Manhattan son plan quadrillé. »

    Toronto, avec ses visionnaires bien à elle, aura Alphabet. Cet enthousiasme plateformaphore ferait presque oublier que le quadrillage des rues n’appartient pas à une entité privée, capable d’exclure certaines personnes et d’en favoriser d’autres. Voudrions-nous que Trump Inc. en soit le propriétaire ? Probablement pas. Alors pourquoi s’empresser de donner son équivalent numérique à Alphabet ?

    Qui fixe les règles qui encadrent l’accès à ces plates-formes ? Les villes économiseraient-elles de l’énergie en utilisant le système d’intelligence artificielle d’Alphabet ou est-ce que la plate-forme serait ouverte à d’autres fournisseurs ? Les véhicules autonomes seraient-ils ceux de Waymo, la filiale d’Alphabet dédiée, ceux d’Uber ou d’un autre fabricant automobile ? Alphabet soutiendra-t-il « la neutralité urbaine de l’Internet » aussi activement qu’il soutient la neutralité de l’Internet classique ?

    Le but d’Alphabet à long terme consiste à lever les barrières à l’accumulation et la circulation de capitaux dans les milieux urbains, notamment en remplaçant les anciennes règles et restrictions par des objectifs flottants crowdsourcés. La multinationale prétend ainsi que dans le passé, « des mesures prescriptives étaient nécessaires pour protéger la santé des êtres humains, assurer la sécurité des bâtiments et gérer les facteurs extérieurs négatifs. » Cependant, les choses ont changé et « les villes peuvent atteindre ces mêmes objectifs sans l’inefficacité propre aux réglementations qui imposent des zonages inflexibles et des règles de constructions figées ».

    Après tout, Alphabet prétend construire une ville « où les bâtiments n’ont pas d’usage statique ». Par exemple, la pièce maîtresse du quartier concerné à Toronto, surnommée le Loft, reposera sur une ossature qui « restera flexible tout au long de son cycle de vie et abritera un grand mélange d’usages (résidentiel, commercial, création, bureaux, hospitalité et parking) afin de répondre rapidement à la demande du marché. »

    Telle est la promesse populiste de GoogleUrbanism : Alphabet peut démocratiser l’espace en l’adaptant grâce au flux de données et à des matériaux préfabriqués bon marché. Sauf que la démocratisation des fonctions ne s’accompagnera pas d’une démocratisation de la gestion et de la propriété des ressources urbaines. C’est pourquoi la principale donnée entrante (input) dans la démocratie algorithmique d’Alphabet est la demande du marché plutôt que la gouvernance communale.

    Or, dans nombre de villes, c’est précisément la « demande » qui conduit à la privatisation de l’espace public.

    #Smart_cities #Google #Alphabet #Infrastructure_urbaine #Villes

  • Sur la propriété des données personnelles (et leur valeur marchande)

    https://linc.cnil.fr/vivrons-nous-demain-au-moyen-age

    Alors, nouveau système féodal ? En tout cas, il est intéressant de passer ces analyses au prisme de l’esprit du cadre européen de protection des données : le droit français (en particulier par la modification de l’article 1er de la Loi dite "Informatique et Libertés" suite à la Loi pour une République Numérique, ) et le droit européen (Règlement général à la protection des données) évitent soigneusement cette notion de propriété des #données_personnelles, qui peut paraitre séduisante de prime abord, mais est en réalité probablement une impasse : si l’expression « mes données » est une belle manière d’affirmer la souveraineté de l’individu sur ce qui le concerne au premier chef, tout ce qui vient en droit (et dans une moindre mesure en économie) avec la notion de propriété est extrêmement difficile à mettre en musique quand on parle de données, a fortiori de données personnelles. Par exemple les données génétiques d’un individu peuvent être considérées comme des données « pluripersonnelles » comme le rappelle la nouvelle publication de la CNIL sur le sujet (Le point CNIL : Les données génétiques, à la Documentation française, p. 41) : elles sont héritées et transmissibles, donc partagées avec les ascendants et descendants et peuvent porter atteintes à leurs droits. Comment dès lors "jouir et disposer de la manière la plus absolue" d’elles seul, pour reprendre la définition du droit de propriété du Code civil (article 544) ? 

    Le droit européen et français met plutôt en avant le pouvoir de contrôle des individus et leurs droits fondamentaux, par exemple par l’entremise du principe d’"auto-détermination informationnelle" et par l’existence, réaffirmée par le RGPD, des droits des individus sur les données les concernant (accès, suppression, portabilité, …). Peut-être disposons-nous déjà de la base juridique nécessaires aux Lumières du numérique ?

    Ces données ne seraient donc pas si « personnelles » ? Quid, du coup, de leur valeur ? Peut-on se contenter de dire qu’elle est extorquée par les plate-formes numériques ? Cf. Dominique Cardon dans son bouquin co-écrit avec @antoniocasilli, Qu’est-ce que le #digital_labor ? :

    Les plateformes d’intermédiation ne produisent pas un service substantiel (comme de fabriquer les contenus de programmes), mais procédural : agréger de la méta-information ou opérer de la mise en relation. J’ai parfois l’impression que dans le reproche fait à Google ou Facebook de « ne rien faire » pendant que les internautes « font le travail » peuvent s’entendre encore les présupposés de l’économie industrielle opposant le « vrai travail » au « faux service ». À ne pas prendre au sérieux l’importance cruciale prise aujourd’hui par les procédures d’intermédiation (hébergement, agrégation, classements, algorithmes, etc.), on risque toujours de penser qu’il suffirait d’agir du côté des plateformes, ou d’en créer de nouvelles d’un claquement de doigts, pour se libérer de la captation indue de plus-value par les GAFA (Google-Apple-Facebook-Amazon).

    Sans effet réseau, sans artefact de mise en relation, sans algorithme de recommandation, sans métrique de visibilité, nos productions numériques ne seraient plus du travail extorqué, mais elles auraient aussi perdu leur visibilité, leur réputation, les gratifications de l’échange et les honneurs du commentaire, bref, elles seraient sans aucune valeur, ni monétaire ni symbolique. Ce raisonnement d’économie « industrielle » fait comme s’il existait une valeur « unitaire » des productions individuelles, ou des données, des internautes, alors que, à l’unité, ces productions, ou ces données, sont sans valeur aucune. C’est leur transformation par un mécanisme d’agrégation, de calcul, de comparaison, de filtre, de classement ou de recommandation qui leur confère un sens (pour les internautes) et une valeur (pour les plateformes). Le service rendu par la plateforme, qui consiste à agréger les interactions et à automatiser la révélation d’une « intelligence collective » des productions unitaires grâce à des algorithmes, est négligé ou minoré dans ces travaux, alors que c’est lui qui rend valorisable le travail gratuit des internautes.

    • Evgeny Morozov et le « domaine public » des données personnelles, par @calimaq
      https://scinfolex.com/2017/10/29/evgeny-morozov-et-le-domaine-public-des-donnees-personnelles

      Au début du mois, l’essayiste biélorusse-américain Evgeny Morozov a donné une interview pour l’émission Soft Power, dans laquelle il résume de manière intéressante les positions assez iconoclastes qu’il défend à propos des données personnelles. Là où les militants numériques mettent l’accent sur la défense de la vie privée, Evgeny Morozov explique que l’enjeu principal est d’ordre économique et que le bras de fer avec les géants du numérique (GAFAM et autres) passe par le fait de considérer les données personnelles comme un « bien public » et de les faire relever d’un « domaine public ». C’est une idée qu’il avait déjà avancée dans un article remarqué paru dans le Guardian en décembre 2016, traduit en français par le Monde Diplomatique sous le titre « Pour un populisme numérique (de gauche) ». (https://blog.mondediplo.net/2016-12-15-Pour-un-populisme-numerique-de-gauche)

      (…) l y a beaucoup de choses à dire sur ces différentes propositions, mais je voudrais commencer par souligner l’impression « épidermique » que doit ressentir toute personne qui entend pour la première fois l’expression « domaine public des données personnelles ». En droit de la propriété intellectuelle, le domaine public constitue ce statut auquel les œuvres accèdent à l’issue de la période d’exclusivité, pour devenir librement réutilisables (moyennant le respect du droit moral), y compris à des fins commerciales. Dès lors, dire que l’on veut faire entrer les données personnelles dans un « domaine public » est de nature à susciter un certain malaise, car on voit mal comment les données personnelles, qui touchent à la vie privée des individus et à leur intimité, pourraient relever d’un tel droit d’usage généralisé. Mais ce n’est pas vraiment à cette « métaphore » du domaine public de la propriété intellectuelle qu’Evgeny Morozov rattache ses propositions. Ce qu’il décrit ressemble davantage au régime dit de la domanialité publique, qui régit les biens possédés par les personnes publiques. C’est le système qui s’applique notamment à l’occupation des trottoirs et des places publiques par des commerces (occupation temporaire du domaine public), moyennant des conditions à respecter et le versement d’une redevance.

  • La Silicon Valley a dû en rabattre. Mais ses projets restent aussi dangereux, par Evgeny Morozov

    http://www.pauljorion.com/blog/2017/09/05/la-silicon-valley-a-du-en-rabattre-mais-ses-projets-restent-aussi-danger

    Harcèlement sexuel, querelles au sujet du terrorisme, craintes de leur impact sur les politiques sociales : le retour de manivelle contre les « Big Tech » a commencé. Où finira-t-il ?

    Les choses ont décidément bien changé. Une industrie auparavant vantée pour avoir alimenté le printemps arabe est aujourd’hui accusée avec insistance d’une sorte de soutien complice de l’Etat Islamique. Une industrie que se veut fière de promouvoir la diversité et la tolérance figure maintenant dans les quotidiens pour des affaires d’harcèlement sexuels ainsi que pour les vues discutables de ses employés sur des sujets tels que l’égalité des sexes. Une industrie qui a bâti sa réputation sur le fait de nous offrir des services et des tas de choses gratuites est maintenant régulièrement pointée du doigt pour avoir fini par faire que pas mal d’autres choses – et au premier chef le logement – deviennent plus chères.

    comment peut-on décemment attendre d’une clique d’entreprises extractrices de rente, et dont les modèles de business flirtent avec le féodalisme, qu’elles aillent donner une deuxième vie au capitalisme global, et qu’elles initient une nouvelle Nouvelle Donne [New Deal] qui briderait la cupidité des capitalistes, un grand nombre d’entre eux se trouvant être les investisseurs soutenant ces firmes ?

    Les données peuvent sembler infinies, mais il n’y a aucune raison de croire que les gigantesques profits qu’on en tire pourraient aplanir les nombreuses contradictions du système économique présent. Gardien auto-proclamé du capitalisme global, la Silicon Valley risque de finir par être son fossoyeur.

  • Pendant que la Commission européenne met #Google à l’amende…Alphabet prépare l’après-Google, par Evgeny Morozov
    https://blog.mondediplo.net/2017-07-07-Alphabet-prepare-l-apres-Google #st

    Le problème lorsqu’on veut légiférer en matière de nouvelles technologies, c’est que les entreprises concernées finissent en général par se débrouiller pour échapper aux nouvelles législations, à grands renforts d’innovations encore non réglementées. Parce qu’elle sont essentiellement motivées par des principes économiques classiques, ces lois alimentent finalement la perpétuelle soif de changement de ces entreprises : lesquelles préfèrent délaisser leurs vieux modèles d’affaires plutôt que de capituler face aux législateurs.

    http://zinc.mondediplo.net/messages/73949 via Le Monde diplomatique

  • Macron dit “Etat-plateforme”. Et pourquoi pas “wiki-Etat” ou “Etat libre” ?
    https://www.franceculture.fr/emissions/la-vie-numerique/macron-dit-etat-plateforme-et-pourquoi-pas-wiki-etat-ou-etat-libre

    La semaine dernière, invité à s’exprimer lors du salon VivaTech, Emmanuel Macron a répété l’idée qu’il se faisait de la France à venir - une start-up nation - et de la manière dont il concevait l’Etat - comme une plateforme. On en a beaucoup ri - d’un rire jaune souvent - dans les réseaux. Certains, comme le chercheur biélorusse Evgeny Morozov, ont même extrapolé, imaginant les citoyens en usagers-clients, le politique en investisseur et les lois en algorithmes (comme c’est le cas quand on utilise des plateformes numériques, type Facebook ou Uber). Le blogueur Olivier Ertzscheid - dans un post publié hier soir sous le joli titre “De la France comme start-up nation, et de mon cul comme du poulet” - rappelle les risques qu’il y a à faire de la nation un “fichier-client” et le désenchantement politique qu’il pourrait en sortir. Ces critiques sont valables et nécessaires, mais elles n’enlèvent pas aux idées du Président l’aura de modernité qu’il se donne en maniant ces références.

    Or, je pense que le problème est justement là, dans le fait que, sous couvert de modernité, il ne s’agit pas là d’idées neuves. Elles sont même très anciennes, si on prend la peine de les remettre en perspective dans une histoire plus longue. C’est la lecture de “La Gouvernance par les nombres” recueil des cours que le grand théoricien du droit Alain Supiot a données au Collège de France entre 2012 et 2014, qui permet de le comprendre.

    Alain Supiot montre que l’idée de gouverner par les nombres - donc par la raison, le calcul - remonte à Hobbes, donc au 17ème siècle. Dès les premières pages du “Léviathan”, c’est sur le modèle de la machine que Hobbes imagine le gouvernement des hommes. En guise de machine, c’est l’horloge et les automates qui s’inspirent de l’horlogerie qui prévalent chez Hobbes - on rêve toujours les machines selon les technologies de son époque. Mais c’est une rupture majeure dans l’imaginaire philosophique, juridique et politique. Non seulement Hobbes a, selon les mots de Supiot établi un “imaginaire normatif qui est encore largement le nôtre : celui qui se représente le gouvernement des hommes sur le modèle de la machine.” Mais il a aussi ouvert la voie à une tournure d’esprit considérant à adapter l’imaginaire normatif aux technologies de son époque. Ainsi, dès les années 1950, les textes de Norbert Winner sur la cybernétique et la société prirent modèles sur les ordinateurs et l’informatique pour imaginer une réforme en profondeur de l’art de gouverner (et je vous rappelle que ce modèle faillit être mis en place sous le gouvernement de Salvador Allende). En rêvant à un Etat-plateforme, Emmanuel Macron ne fait que s’inscrire dans cette tradition : il imagine le gouvernement des hommes selon la technologie à disposition à son époque, celle qui marche, celle qui a du succès : la plateforme numérique. Aucune révolution là-dedans, donc, mais la reformulation d’une lubie qui date du 17ème siècle, et d’ailleurs, ce n’est pas un hasard qu’il se qualifier lui-même de "maître des horloges", expression étrange qui trouve tout à coup sa pleine justification....

  • La rançon et la rente, Le Monde Diplomatique
    par Evgeny Morozov, 15 mai 2017

    Quand l’industrie du spam et du hacking utilise le dernier cri de l’intelligence artificielle, c’en est fini de l’espoir qu’un acteur plus petit puisse encore rivaliser avec les géants de la « tech » qui profitent de l’insécurité structurelle créée par les gouvernements pour bétonner un peu plus leur statut de quasi-monopole.

    http://blog.mondediplo.net/2017-05-15-La-rancon-et-la-rente

  • #Cybersécurité : la rançon et la rente, par Evgeny Morozov (Les blogs du Diplo, 15 mai 2017)
    https://blog.mondediplo.net/2017-05-15-La-rancon-et-la-rente #st

    La récente contamination des systèmes de certains hôpitaux, opérateurs télécoms et autres entreprises du monde entier par un ver informatique ne doit pas être balayée d’un revers de la main comme l’énième arnaque de quelques cybercriminels. Les assaillants ont utilisé des failles découvertes par les agences de sécurité américaines pour assurer leur propres missions de cyberguerre. Dès lors, il n’est plus possible d’ignorer cette réalité dérangeante : la nature de plus en plus féodale du monde de la cybersécurité — que l’on peut résumer par cette alternative : être rançonné ou disparaître —, est une conséquence de l’épuisement des idéaux du capitalisme démocratique sous l’effet de la surveillance permanente.

    #WannaCry

    http://zinc.mondediplo.net/messages/65373 via Le Monde diplomatique

    • Dans cet article, Evgeny Morozov démontre bien que ces virus sont encore l’un des signes de la décrépitude de nos institutions, l’échec d’une tentative de régulation démocratique de nos sociétés, et la lente et inexorable dérive vers le far-west de grand papa, voire la jungle d’arrière grand papa, où le meilleur gagnera, et tant pis pour les autres...

      Au delà de ce scenario dystopique, je vois un autre « intérêt » possible à ce virus : internet, bien qu’inventé par l’armée américaine, est devenu depuis une vingtaine d’années un outil indispensable pour un grand nombre de personnes. Il est utile même aux franges les plus contestataires du système, mais il est aussi utile à tout un chacun, par la quantité de services qu’il offre... gratuitement.

      On observe depuis plusieurs années plusieurs tentatives pour modifier cet état de fait : d’une part un contrôle de plus en plus strict de ce qu’on peut y faire ou non, et d’autre part de nombreux essais pour nous faire payer des services, ou de nous proposer des services payants censés être meilleurs que les gratuits, avec un succès plutôt modéré...

      Les virus aident ces initiatives à plusieurs titres : on s’habitue à payer pour avoir un service qui fonctionne bien, et on s’habitue même à l’idée que peut-être bientôt on sifflera la fin de la recréation, et qu’on coupera entièrement internet, devenu trop dangereux... Ce sera bien sûr pour le remplacer par un autre système qu’on appellera autrement et qui, lui, sera « sécurisé » et très cher...

      Réaliste ? Pessimiste ?

      https://seenthis.net/messages/597905
      https://seenthis.net/messages/597948
      https://seenthis.net/messages/597997
      https://seenthis.net/messages/598099

      #Ransomware #Wannacry #virus #informatique #internet

    • Relevé ceci au cours de mes lectures :

      http://www.inaglobal.fr/numerique/article/l-internet-libre-et-gratuit-c-est-bien-fini-9725

      Depuis une dizaine d’années nous observons la montée en puissance des technologies numériques en réseau qui peuplent notre quotidien : sociabilité ordinaire, travail, divertissement, éducation ; l’ensemble de nos activités impliquant une action communicationnelle – c’est à dire la quasi-totalité de notre vie sociale – est peu à peu colonisé par des dispositifs numériques. Appareils, réseaux, services en ligne deviennent les adjuvants utiles mais aussi envahissants de notre vie personnelle et professionnelle ainsi que de notre expression publique. Or, ce processus a lieu dans une économie globalisée et dérégulée qui favorise la concentration extrême de ressources[+]. On est donc loin de l’idéal tant encensé par le passé d’un média par essence démocratique, participatif et décentralisé, un idéal présent notamment dans les discours autour de l’émergence supposée d’un « Web 2.0 »[+]. Au contraire : au cours des dernières années, l’internet est devenu un champ de compétition acharnée entre groupes sociaux, institutions politiques et entreprises multinationales pour la distribution du pouvoir sur les canaux de communication numériques. Par conséquent, la forme actuelle de l’internet ne doit rien à ces caractéristiques techniques supposément intrinsèques mais résulte des relations complexes entre acteurs dont les intérêts économiques et politiques sont à la fois puissants et antagoniques.

      Ce qui confirme les craintes formulées par @sinehebdo