Depuis quelques mois, les débats se multiplient sur deux idées en apparence proches mais en réalité assez éloignées l’une de l’autre : le revenu garanti et le salaire universel. Le premier est défendu aussi bien par des militants de gauche ou écologistes que par des réactionnaires assumés. Le second, en apparence plus proche du marxisme, est issu des travaux du sociologue, membre du PCF, Bernard Friot.
Si les thèses de Friot peuvent sembler plus séduisantes au premier abord – elles rencontrent d’ailleurs un certain succès dans la jeunesse et les milieux réunis dans les collectifs Nuit debout – elles ne sont, on va le voir, pas plus révolutionnaires que les autres, et sont même empreintes d’une idéologie politique aux antipodes de la nôtre.
Commençons par nous intéresser à l’idée du « revenu universel », sous ses diverses moutures.
Le référendum qui a eu lieu en Suisse, le 5 juin dernier, a mis sur le devant de la scène la notion de « revenu garanti ». Il s’agissait de décider si l’État helvète allait verser à l’ensemble de la population du pays une somme forfaitaire de 2 260 euros par mois pour les adultes et 565 pour les enfants, de la naissance à la mort, que l’on ait un emploi ou pas. Le projet, dénommé en Suisse « revenu de base inconditionnel », a été rejeté par une majorité des électeurs suisses, mais il a fait parler de cette idée qui est défendue depuis des années par un certain nombre de courants extrêmement divers. En France, tout récemment aussi, le Sénat vient de créer une mission d’information sur l’intérêt et les formes possibles de mise en place d’un revenu de base en France. Celle-ci a commencé pendant la semaine du 13 juin à auditionner les défenseurs de ce projet : les membres de nombreuses associations comme le Mouvement français pour un revenu de base ou l’Association pour l’instauration d’un revenu d’existence.
Il suffirait presque de dire que le Sénat s’intéresse à la question pour comprendre que cette mesure, quel que soit le nom qu’elle porte, n’a rien de révolutionnaire ni même de radical. La mesure est d’ailleurs défendue avec ferveur par la très catholique et très réactionnaire Christine Boutin (qui l’appelle « dividende universel »), par l’ancien ministre sarkozyste Frédéric Lefebvre, par le libéral Alain Madelin, ainsi que par bon nombre de curés de toutes obédiences et quelques loges maçonniques.
À gauche, l’idée est également défendue par le Parti de gauche, une partie du PCF, les écologistes, Attac et le Monde diplomatique. Elle est tellement œcuménique que, le 5 juin dernier, le porte-parole d’Europe écologie-Les Verts, Julien Bayou, et Frédéric Lefebvre ont même pu donner une interview commune dans Le Figaro pour défendre le « revenu universel » ou « revenu de base ».
L’idée est simple : supprimer tout ou partie des allocations et aides sociales et les remplacer par une allocation unique versée à tout le monde. Le montant diffère entre les différents courants qui défendent cette idée, certains tablant sur 450 euros par mois, d’autres sur 800 euros. Certains préconisent de supprimer toutes les allocations, jusqu’aux allocations familiales et à l’aide au logement, d’autres, seulement le RSA. Mais, dans tous les cas, on parle bien de verser un « revenu » à tous, riches et pauvres, travailleurs en activité et chômeurs, actionnaires et smicards, adultes et enfants.
L’idée n’est pas neuve : elle date du 18e siècle, sous la plume de Thomas Paine, qui aurait été le premier à théoriser cette notion en 1795, sous le nom « d’indemnité de droit naturel ». Elle a connu une nouvelle jeunesse à partir des années 1970 dans les milieux écologistes, et plus récemment avec la remontée en puissance des courants décroissants.
En même temps, les économistes les plus libéraux, comme Milton Friedmann ou Friedrich Hayek, ont défendu la même idée dans les années 1960 et 1970, tout comme des économistes keynésiens, apôtres de la relance par la consommation, persuadés que le revenu de base, en donnant du pouvoir d’achat aux couches les plus pauvres de la société, ne pourrait être que bénéfique au marché [...].