person:françois dubet

  • Les inégalités, c’était mieux avant
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/290519/les-inegalites-c-etait-mieux-avant

    Dans son dernier ouvrage, le chercheur François Dubet décortique la « transformation du régime des inégalités » et ce que ce dernier abîme et empêche dans nos sociétés. Une analyse sociologique fine, moins convaincante dans les conséquences politiques qu’elle en déduit.

    #ESSAIS #François_Dubet,_inégalités,_populisme,_Sociologie

  • La transformation des colères en politiques est-elle possible ? | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/analyse/2018/12/10/transformation-coleres-politiques-possible

    par François Dubet

    Le mouvement des Gilets Jaunes semble être tout à la fois, et ceci d’autant plus que, par la grâce d’Internet et des chaînes d’information continue, chacun témoigne pour lui-même, porte ses propres revendications. Tout se passe comme si chaque individu était un mouvement social à lui seul. La question qui se pose est de savoir quelle est la nature des sentiments d’injustice mobilisés par la mobilisation, et pourquoi le mouvement semble échapper à tous les mécanismes de représentation qui, dans les sociétés démocratiques, « refroidissent » et ordonnent les colères et les indignations, les transforment en revendications et en programmes politiques.

    Le régime des classes sociales commandait l’expérience des inégalités. Il proposait des récits collectifs et fondait la dignité des travailleurs. Dans une large mesure, il désignait des adversaires sociaux, il protégeait du sentiment de mépris, il offrait des perspectives et des consolations. Il inscrivait les individus dans une histoire collective.

    Le régime des classes sociales ne définissait pas toutes les inégalités sociales, mais il les organisait et les hiérarchisait au sein d’une représentation de la société et d’une représentation politique, de mouvements sociaux qui inscrivaient les revendications particulières dans un horizon de justice sociale, au risque parfois de passer sous silence ou au second plan les inégalités entre les sexes ou entre les majorités et les minorités culturelles.

    Les mutations du capitalisme ont fait exploser cette représentation de la structure sociale et des mouvements sociaux tout en creusant les inégalités. La classe ouvrière s’est profondément diversifiée avec la coexistence de plusieurs systèmes productifs. Le capitalisme financier a séparé le propriétaire et le patron. Le chômage de masse s’est installé créant des « inutiles » et des « désaffiliés ». Aussi les sciences sociales et les médias mettent en scènes de nouveaux groupes et de nouveaux clivages : les créatifs mobiles et les immobiles, les stables et les précaires, les urbaines et les péri-urbains, les inclus et les exclus, les majorités et les minorités, les hypers riches et les « underclass »…

    En même temps, la consommation de masse a creusé les distinctions subtiles en affaiblissant les barrières entres groupes sociaux. Les inégalités se sont déployées à l’intérieur même du système de consommation ou du système scolaire. On distingue moins ceux qui ont une voiture et ceux qui n’en ont pas que les types de véhicule et leurs usages. De même que nous distinguons moins ceux qui étudient et ceux qui n’étudient pas que les niveaux des études, des filières, des établissements.

    Alors que les inégalités sociales paraissaient s’agréger autour des classes sociales, elle se dispersent et se multiplient. A l’exception des très riches et des très pauvres, chaque individu se trouve confronté à plusieurs registres d’inégalités tenant aux revenus bien sûr, mais aussi aux diplômes, au lieu de résidence, au sexe et à la sexualité, aux origines réelles ou supposées, à la solidité des ménages quand la séparation peut faire plonger dans la pauvreté, à l’âge et aux niveaux de protection sociale, aux patrimoines petits et grands… Non seulement les collectifs victimes d’inégalités se sont multipliés, mais les dimensions sur lesquelles se mesurent les inégalités se sont, elles aussi, multipliées. Aussi, chacun peut-il se sentir traversé par plusieurs inégalités singulières en fonction de plusieurs dimensions.

    La représentation même de l’origine des inégalités s’est transformée. Alors que dans le régime des classes sociales le travail semblait être la cause essentielle des inégalités, les inégalités paraissent aujourd’hui résulter des l’agrégation de « petites » inégalités. Nous sommes capables de mesurer les mécanismes qui finissent par produire de grandes inégalités à l’image des inégalités scolaires qui résultent de l’addition de plusieurs facteurs : l’origine sociale, le sexe, mais aussi le nature des établissements fréquentés, l’ambition des familles, les choix d’orientation… Chaque inégalité s’ajoute ou se retranche à d’autres et nous savons désormais que les dispersions individuelles et les singularités des parcours comptent autant que les moyennes.

    Alors que le régime des classes sociales semblait combiner une structure sociale rigide, des destins sociaux et des identités de classes solides, les acteurs ne semblent plus assurés d’occuper les positions qui leurs sont destinés, tout en ne croyant pas, à juste titre, à une forte mobilité sociale. Ainsi s’installe l’obsession du déclassement, obsession qui traverse toute la société, les enfants d’ouvriers qui ne sont plus assurés d’être ouvriers, comme les enfants de cadres qui ne sont plus certains d’être cadres à leur tour.

    A côté de la dénonciation des grandes inégalités et des super riches, se déploie la dénonciation continue des « petites inégalités », celles qui font souvent le plus souffrir. Chacun peut apparaître comme injustement « privilégié », y compris les plus pauvres soupçonnés de bénéficier d’aides sociales qu’ils ne méritent pas.

    Cette individualisation de l’expérience des inégalités est associée à l’emprise du modèle de l’égalité des chances méritocratique. Dès lors que nous sommes égaux que nous avons le droit d’accéder à toutes les positions sociales, aussi inégales soient elles, le sentiment d’être discriminé étend son emprise et chacun pense qu’il est potentiellement discriminé, victime d’un traitement inéquitable en tant que.

    C’est pour cette raison que le thème du mépris est si essentiel.

    Avec Internet, les mécanismes de la mobilisation changent de nature. Comme dans le cas de Metoo, les colères et les émotions n’ont plus besoin de passer par les fourches caudines des organisations et des mouvements constitués. Par ailleurs, l’expression des opinions n’est plus médiatisée par les interactions face à face qui obligent à tenir compte des réactions d’autrui. Alors, la colère, les témoignages, les dénonciations et les ressentiments se déploient sans contrainte et sans processus de transformation des expériences individuelles en parole collective ; celle-ci n’est que la somme désordonnée des expériences individuelles.

    Alors que le régime des classes sociales était organisé autour de la représentation, puis de l’institutionnalisation d’un conflit social, le régime des inégalités multiples a, par sa nature même, une grande difficulté à s’inscrire dans un conflit social. Et, sans conflit, le sentiment de domination et de mépris se transforme en rage. De ce point de vue, il y a une continuité entre les émeutes de banlieue et le mouvement des Gilets Jaunes. On se bat contre un « système » incarné dans les affrontements avec la police.

    Dans un régime d’inégalités individualisées et dominé par l’idéal de l’égalité des chances, chacun est tenu d’être responsable de son sort et peut finir par se suspecter lui-même d’être la cause de son malheur. Dans ce cas, le ressentiment devient essentiel pour échapper au mépris de soi et à la culpabilité. Il s’agit de montrer que d’autres victimes que soi sont des fausses victimes : les assistés, les faux chômeurs, les immigrés, les habitants des quartiers sensibles. On mobilise parfois la seule identité digne qui reste, celle de la nation et des enracinés… C’est un appel à l’égalité pour soi, pas forcément pour les autres.

    #Gilets_jaunes #Inégalités #Classes_sociales #Sociologie

  • François Dubet : « Une réforme du bac s’imposait »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/02/15/francois-dubet-une-reforme-du-bac-s-imposait_5257135_3232.html

    La réforme proposée change totalement la donne en proposant de juxtaposer des épreuves et des disciplines obligatoires et nationales à des épreuves de contrôle continu portant sur des matières choisies par les élèves. Ainsi, chacun pourrait obtenir un bac national et un diplôme singularisé, ce qui conduirait les lycéens à anticiper leur orientation vers l’enseignement supérieur par le choix des options. Un « oral de maturité » couronnant le tout, le bac change de nature par l’individualisation du diplôme.

    L’objectivité des notations anonymes est plus une croyance qu’un fait établi, mais il reste que le contrôle continu risque de créer des normes locales fortement inégales. On peut être plus généreux dans les établissements populaires que dans les établissements élitistes, ce qui conduirait paradoxalement à faire encore plus confiance aux seconds.

    Il faudra bien s’interroger sur l’équité des options offertes par les divers établissements et sur la capacité d’adaptation d’un système tenu de répondre aux demandes a priori fluctuantes des enseignements optionnels. Quant au grand oral, si les élèves n’y sont pas préparés de longue date, il risque de ne sanctionner que leur origine sociale.

    L’opposition à cette réforme a de bonnes raisons d’en souligner les risques. Mais plutôt que de parer le système actuel de toutes les vertus, mieux vaudrait s’intéresser au chantier et aux détails mêmes de cette réforme. En donnant plus de liberté aux élèves, celle-ci exige le renforcement de la régulation du système. La recherche obstinée de l’égalité des conditions d’apprentissage des élèves et le souci des conditions de travail et de formation des enseignants ne sont pas devenus de vieilles lubies.

    Enfin, pour ce qui est de l’orientation vers l’enseignement supérieur, il est indispensable de créer des filières et des formations utiles aux étudiants qui n’ont ni la chance ni le mérite d’être des « premiers de cordée ». La justice d’une politique se juge toujours à la façon dont elle traite les plus fragiles.

    #Education

  • Les six mois qui ont bouleversé l’accès à l’université
    http://www.lemonde.fr/campus/article/2017/12/12/les-six-mois-qui-ont-bouleverse-l-acces-a-l-universite_5228239_4401467.html

    Le gouvernement a su s’appuyer sur les polémiques du tirage au sort et d’Admission post bac pour faire avancer sa réforme, qui arrive mardi devant l’Assemblée nationale.

    Bel aveux de complicité de la part du e-monde.fr. Pendant que l’e-monde faisaient du clic sur le dépeçage des universités, les depeçeur·e·s avaient les mains libre pour racler soigneusement jusqu’à l’os.

    • Petite sélection d’article du monde de ces derniers mois :

      – L’algorithme APB a-t-il tué le bac ? ["Campus", 08/06]
      – Résultats APB 2017 : le tirage au sort à l’université touche la médecine pour la première fois ["Campus", 09/06]
      – Université : injuste tirage au sort [Editorial, 10/06]
      – Ce que propose l’Institut Montaigne pour que l’université ne rate pas la révolution numérique ["Campus", 28/06]
      – Edouard Philippe s’insurge contre le tirage au sort à l’université ["Campus", 04/07]
      – Admission postbac : mettre fin à l’hypocrisie [Editorial, 19/07]
      – Sélection à l’université : la fin d’un tabou ["Campus", 19/07]
      – « Le système APB a introduit une double sélection par l’aléa et par l’échec » [Tribune de Jimmy Losfeld, 20/07]
      – Une décennie d’ambiguïté sur la sélection à l’université ["Campus", 20/07]
      – François Dubet : « Le mot d’ordre “à bas la sélection” s’apparente à un réflexe » [Tribune de François Dubet, 20/07]
      – « Il est urgent qu’une réforme globale du post-bac soit engagée » [Tribune de Khaled Bouabdallah, 20/07]
      – Les bacheliers professionnels et technologiques, naufragés d’APB ["Campus", 11/09]
      – Les Britanniques ont développé un système d’accès à l’université plus juste [Tribune de Jules Donzelot, 11/09]
      – Tirage au sort à l’université : « J’ai été déshumanisée par un ordinateur » ["Campus", 15/09]
      – Sélection à l’université : l’Allemagne la pratique dans certaines disciplines ["Campus", 16/09]
      –—
      – APB 2017 a-t-il été si catastrophique ? ["Campus", 30/11]

  • Le « cancer » de l’assistanat : origine d’un préjugé

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/26/les-procureurs-de-l-assistanat_5206354_3232.html

    Quelque 71 % des Français estiment que la lutte contre l’« assistanat » est une priorité. Comment cette peur du « profiteur » a-t-elle envahi l’esprit des politiques et des citoyens ?

    Deux petites lettres ont suffi pour ­jeter l’opprobre sur le monde fragile des déshérités. En préférant le néologisme « assistanat » au mot traditionnel d’« assistance », Laurent Wauquiez, qui brigue la présidence des Républicains (LR), ­remet en cause la légitimité des politiques ­sociales qui viennent en aide depuis plus d’un siècle aux démunis. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes instruit jour après jour le procès de la solidarité nationale : il dénonce inlassablement les « dérives », voire le « cancer » de l’assistanat.

    Au fil des ans, le mot s’est imposé dans le discours d’autres élus de droite – Nicolas Sarkozy juge la République « incompatible avec l’assistanat » et l’ancien député LR Hervé Mariton regrette que la France plébiscite « la culture de l’assistanat ». Avec un indéniable succès : selon une enquête Ipsos Sopra-Steria réalisée en mars, 71 % des Français estiment que la lutte contre l’« assistanat » est une priorité. Inusité il y a une vingtaine d’années, le terme semble désormais banal, évident, presque incontournable.

    Parasites sociaux

    Né au début des années 2000, le mot assistanat appartient pourtant au registre du vocabulaire politique de combat. « Au XIXe siècle et jusqu’en 1953, l’assistance était un terme juridique neutre, utilisé pour désigner l’aide sociale, rappelle Axelle Brodiez-Dolino, chargée de recherche CNRS en histoire au Centre Norbert-Elias, à Marseille. S’il a pu être valorisé au XXe siècle, il est devenu un peu vieillot après les années 1950 mais n’avait pas de connotation péjorative. Ce n’est pas le cas du mot assistanat, un terme un peu nauséabond et répréhensible. »

    Nul besoin de faire parler longtemps les pourfendeurs de l’assistanat pour comprendre en effet que ce mot n’est pas le synonyme, mais le dévoiement de l’assistance. Leurs discours évoquent plus ou moins explicitement une cohorte de parasites sociaux qui vivent indûment de la solidarité nationale alors que d’autres s’échinent à travailler. Ces propos ne visent pas uniquement les fraudeurs : bien qu’ils vivent dans le dénuement – pour une personne seule, le RSA s’élève à 545 euros par mois –, tous les allocataires des minima ­sociaux sont, à leurs yeux, des privilégiés qui profitent du système.

    Selon le philosophe Frédéric Worms, cette « idéologie » repose sur un double soupçon : celui de la passivité et celui de la ruse. « L’assisté est conçu soit comme un être entièrement passif, soit comme un être instrumentalisant l’assistance, expliquait-il en 2012. C’est une ­ambivalence aussi ancienne que la philosophie du soin, du secours ou même de l’éducation. Si vous ouvrez l’Emile, de Jean-Jacques Rousseau [1762], vous comprenez que le nourrisson est à la fois un être passif qui ne peut rien faire et un être qui peut, dès la naissance, devenir un tyran en abusant du pouvoir paradoxal que lui ­donnent sa faiblesse et le dévouement de ceux qui le secourent. »

    Accents moraux

    Dans la France de 2017, le discours politique sur l’assistanat se caractérise avant tout par ses accents moraux : au lieu d’analyser les ­mécanismes économiques et sociaux qui précipitent certains dans la pauvreté, il emprunte le vocabulaire de l’opprobre et de l’infamie pour montrer du doigt les paresseux. S’il les condamne, c’est au nom de l’amour du labeur, du sens de l’effort, du devoir de la volonté. « Le discours sur l’assistanat néglige les questions qui touchent au droit, à la citoyenneté et à l’égalité », résume le sociologue Nicolas Duvoux, professeur de sociologie à l’université Paris-VIII-Saint-Denis.

    Parce qu’ils s’inscrivent dans ce registre moral, les procureurs de l’assistanat distinguent volontiers les « bons pauvres » des « mauvais pauvres ». Les premiers sont les personnes âgées ou handicapées victimes de l’âge ou de la maladie ; les seconds, les chômeurs qui pourraient travailler s’ils s’en donnaient la peine. Les premiers ne sont pas responsables de leur mauvaise fortune ; les seconds doivent leur malheur à eux-mêmes. Les premiers reçoivent légitimement le minimum vieillesse ou l’allocation handicapé ; les seconds profitent indûment du RSA. Les premiers méritent notre compassion, les seconds, nos reproches.

    Ces discours puisent dans une imagerie très ancienne. Depuis plus de sept cents ans, la ­figure du mauvais pauvre traverse en effet l’histoire de France – et c’est sans doute pour cette raison qu’elle est parvenue, dans les ­années 2000, à s’imposer aussi rapidement dans le débat public. « L’idée du “mauvais ­pauvre” est ancrée au plus profond de notre histoire politique, religieuse et économique, analyse l’historienne Axelle Brodiez-Dolino. Elle repose sur des préjugés concernant la ­sédentarité et le labeur qui se sont installés dans nos mentalités au Moyen Age. »

    Les bons et les mauvais pauvres

    La première pierre de cet édifice est posée dès la fin du XIIIe siècle, à une époque où la croissance démographique, les disettes, les guerres et les épidémies jettent sur les routes des ruraux à la recherche de travail. « Redoutant ces errances, les autorités prennent peur et instaurent une dichotomie entre les bons et les mauvais pauvres », raconte Axelle Brodiez-Dolino. Les bons pauvres sont les « gens contre­faits, aveugles, impotents et autres misérables personnes » qui méritent l’aumône, estime le roi de France, Jean II le Bon, dans une ordonnance de 1351. Les mauvais sont les « gens sains de corps et de membres qui puissent besogne faire dont ils puissent gagner leur vie », proclame-t-il.

    Face à la pauvreté, le monde médiéval ­oscille entre la potence et la pitié, analyse l’historien Bronislaw Geremek : les vieillards, les veuves, les malades et les femmes en ­couches bénéficient de la charité chrétienne alors que les vagabonds sont durement persécutés. « On les marque au fer rouge, on les cloue au pilori, on les envoie aux galères et, surtout, on les enferme, comme l’ont notamment montré les travaux de Michel Foucault, raconte Axelle Brodiez-Dolino. Nous sommes les héritiers de cette violence qui imprègne ­depuis des siècles les mentalités et le droit : il a fallu attendre 1994 pour que la France abroge le délit de vagabondage ! »

    A la faveur de la Révolution française, la ­figure du mauvais pauvre, cependant, se transforme. Pour lutter contre le dénuement, les hommes de 1789 préfèrent l’arme du droit au geste de la charité chrétienne : en 1790, le Comité de mendicité proclame que tout homme a droit aux secours de la société et, en 1793, la Constitution affirme que l’aide publique constitue une « dette sacrée ». L’émergence du droit ne fait pas pour autant disparaître la figure du « mauvais pauvre » : si la société doit porter secours aux miséreux, l’oisiveté reste sévèrement condamnée. « Le droit individuel de protection trouve son symétrique dans le devoir de travailler », résume, en 2012, Colette Bec, professeure à l’université Paris-Descartes.

    « Pauvrophobie »

    Cette figure du mauvais pauvre change de ­visage un siècle plus tard, au début de la IIIe République, au moment où apparaît une politique d’assistance envers les déshérités. Sous l’influence de la doctrine solidariste du député radical Léon Bourgeois, qui plaide en faveur de la mutualisation des risques dans son ouvrage Solidarité (1896), les républicains de la fin du XIXe et du début du XXe siècle ­instaurent l’assistance médicale gratuite, le placement des orphelins, l’aide aux vieillards, aux infirmes et aux incurables, les secours aux femmes en couches sans ressources et l’aide aux familles nombreuses nécessiteuses.

    Dans ce paysage politique radicalement nouveau, le visage du mauvais pauvre évolue : il n’est plus un citoyen oisif qui refuse de travailler, mais un profiteur qui abuse ­indûment de la solidarité nationale. « Avec l’instauration du droit arrive la terreur de la corruption et du détournement, explique ­Nicolas Duvoux. C’est une forme de pessimisme anthropologique : on craint que les ­parasites ne jouent pas le jeu de la solidarité qui est au fondement de l’assistance, et qu’ils bénéficient sans contribuer. »

    Aujourd’hui, cette peur du profiteur semble plus vivante que jamais. Multiplication des arrêtés anti-mendicité, mobilier urbain anti-sans-abris, discours politiques stigmatisant le « piège » de l’assistanat, selon la formule de François Fillon lors de la campagne prési­dentielle : certaines associations caritatives dénoncent, dans la France de 2017, une « pauvrophobie » qui s’exprime sans détours dans les sondages d’opinion – en juin 2016, 36 % des personnes interrogées considéraient que les personnes pauvres « ne faisaient pas ­d’effort pour s’en sortir ».

    « Lassitude compassionnelle »

    Si la hantise du mauvais pauvre semble si forte, c’est parce que la France est atteinte, ­depuis le début des années 2000, d’une forme de « lassitude compassionnelle », analyse Julien Damon, professeur associé à Sciences Po. « A la fin des années 1980, au ­moment de la création du revenu minimum d’insertion (RMI), les deux tiers des Français estimaient que la pauvreté n’était pas liée au comportement individuel des gens mais aux défaillances du marché du travail. Dans les ­années 1990 et surtout 2000, ils se sont cependant montrés de plus en plus critiques envers les allocataires du RMI, puis du revenu de solidarité active, le RSA. »

    Nulle surprise, dans ce climat, à ce que les discours sur l’assistanat s’imposent avec tant de facilité dans le débat public. Quand ­Laurent Wauquiez somme les allocataires du RSA de faire « des efforts », il convoque l’antique ­figure du mauvais pauvre qui se complaît dans l’oisiveté au lieu de retrousser ses manches. Ce plaidoyer, qui semble convaincre nombre de Français, colle pourtant mal aux réalités : tous ceux qui côtoient le monde des déshérités savent qu’il ne suffit pas de faire des efforts pour s’extraire de la misère.

    Dans une société qui compte 3,7 millions de chômeurs, la pauvreté n’a en effet pas grand-chose à voir avec l’absence de courage ou la faiblesse de la volonté. « Quand on a commencé à réfléchir au RSA, dans les années 2005-2007, le marché du travail était beaucoup moins dégradé qu’aujourd’hui, raconte Julien Damon, qui était à l’époque chef du ­département Questions sociales au Centre d’analyse stratégique. Notre ambition d’aider les allocataires à retrouver le chemin de l’emploi paraissait donc réaliste. Mais la crise de 2008 a fait brutalement remonter le chômage. Cet effet de conjoncture a rendu la politique de retour à l’emploi extrêmement difficile. »

    Si la détermination ne permet pas, à elle seule, de quitter le monde de la pauvreté, c’est aussi parce qu’elle est le fruit d’une longue liste de handicaps – absence de formation et de qualification, problèmes de logement, ­difficultés de transport, conséquences d’un divorce, rareté des modes de garde, fréquence des maladies… « Même l’entrée sur le marché du travail n’est plus une garantie de sortir de la précarité, pourraient témoigner un million de travailleurs pauvres », constatait, en mars, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE).

    Si les allocataires du RSA étaient vraiment les profiteurs que décrivent les discours sur l’assistanat, ils vivraient en outre leur oisiveté avec légèreté – ce qui n’est pas le cas. « Les études montrent qu’il y a une immense souffrance et un énorme déni de dignité à vivre des minima sociaux, souligne Axelle Brodiez-Dolino. La pauvreté est une source de stigmatisation et d’isolement extraordinaire : on survit plus qu’on ne vit. » Depuis des siècles, la pauvreté est – parfois volontairement – associée à l’indignité : pour l’économiste britannique Thomas Malthus (1766-1834), l’assistance doit toujours s’accompagner d’« un peu de honte ».

    Contrairement à ce que disent les procureurs de l’assistanat, l’aide sociale, encore aujour­­d’hui, est une épreuve, dont l’importance du taux de non-recours est devenu le symbole. Ce terme quelque peu abscons désigne la part des citoyens qui ne touchent pas le RSA alors qu’ils y ont droit. Et il est incroyablement élevé : selon une enquête quantitative de la Dares, le service des études du ministère du travail, menée en 2011, il atteint 35 % pour le RSA-socle et 68 % pour le RSA-activité. Nombreux sont donc les citoyens qui, loin de leur image de profiteurs, renoncent à toucher les prestations d’assistance qui leur sont pourtant destinées.

    « Etiquette infamante »

    Certains sont mal informés, d’autres se découragent à l’idée de remplir d’épais dossiers aux guichets de l’aide sociale, mais plus d’un quart d’entre eux disent ne pas avoir envie « de dépendre de l’aide sociale, de devoir ­quelque chose à l’Etat ». Deux grandes idées ressortent de l’examen de ce non-recours, ­estimait en 2010 Pierre Mazet, ingénieur d’études au laboratoire Pacte-CNRS-Sciences Po Grenoble, dans un article du magazine La Vie des idées : les individus précaires sont capables de choix et d’autonomie ; la non-demande montre ce qu’il en coûte de requérir des protections et d’être protégé.

    De la même manière, certains allocataires du RSA choisissent de reprendre le travail alors qu’ils y perdent financièrement. « Le RSA équivaut, grosso modo, à un demi-smic, souligne Julien Damon. Sur le papier, beaucoup d’allocataires du RSA n’ont aucun intérêt à travailler à mi-temps – d’autant que le travail engendre parfois des coûts de garde d’enfants ou de transports. Pourtant, beaucoup le font parce que le travail leur est essentiel. Cela concerne une proportion substantielle des allocataires du RSA. Ils veulent se défaire de cette étiquette infamante et subvenir à leurs besoins. »

    Dans un article publié en 2002 dans la Revue française de sociologie, François Dubet et ­Antoine Vérétout décryptaient cette perte – apparente – de la « rationalité » en écoutant la voix de RMIstes qui avaient repris le travail. « Même s’ils se sentent exploités et fatigués le soir, c’est une autre fatigue que celle de l’inactivité qui les clouait dans l’apathie et la solitude. (…) Ils parlent beaucoup moins de l’activité proprement dite que de la sociabilité du travail, des collègues, de la fierté retrouvée, de ce que l’on appelait l’éthique du travail, celle qui ­permet de “se regarder en face” parce que les autres vous regardent “en face”, enfants, ­famille, voisins, collègues. »

    Avec ces regards, on est loin, très loin, des ­discours de tous ceux qui, en dénonçant l’assistanat, renvoient les déshérités à une forme d’inutilité sociale – une notion qui déplaît profondément au philosophe Patrick Savidan. « On accuse les pauvres d’être des parasites mais, au fond, comment mesurer la contribution de chacun à la coopération ? Un pauvre qui s’investit dans une association ou qui s’occupe d’une personne âgée a une utilité sociale, même si elle n’est pas mesurée en termes ­économiques. Les perspectives utilitaristes mal comprises nous rendent aveugles à la contri­bution de ceux qui ne sont pas inscrits dans le marché du travail. »

    Patrick Savidan va plus loin. « Les vrais assistés ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Si l’on mesurait la part des budgets publics qui va aux pauvres et celle qui va aux privilégiés, on aurait sans doute des surprises. Les citoyens les plus riches mobilisent une part importante des subsides de l’Etat : ils vivent dans des quartiers bien entretenus, ils profitent presque exclusivement de certains investissements publics et leurs enfants suivent des études longues, en grande partie financées par l’Etat, ce qui n’est pas le cas des pauvres. » Laurent Wauquiez n’apprécierait sans doute pas ce renversement de perspective, qui fait du pourfendeur de l’assistanat… un assisté qui s’ignore.

  • Venezuela : « Défendre le gouvernement relève d’un aveuglement idéologique néfaste »
    https://www.bastamag.net/Venezuela-Defendre-le-gouvernement-releve-d-un-aveuglement-ideologique-nef

    Plusieurs centaines de militants de la société civile, d’universitaires et d’intellectuels latino-américains et européens viennent de publier un appel international « pour stopper la montée de la violence au Venezuela », alors qu’un mouvement social y est durement réprimé, avec plus de 50 manifestants tués par la police depuis avril. Cet appel est notamment signé par Sergio Coronado, député des Français de l’étranger et candidat de la France insoumise, par le sociologue François Dubet ou le Brésilien Chico (...)

    #Débattre

    / Démocratie !, #Amériques, #Droits_fondamentaux

    #Démocratie_ !

  • Note au Premier ministre : que se passera-t-il si Marine Le Pen remporte l’élection présidentielle ?
    http://www.bastamag.net/Note-au-Premier-ministre-que-ce-passera-t-il-si-Marine-Le-Pen-remporte-l

    7 mai 2017, 20h. Marine Le Pen est élue présidente de la République. Quelles seraient les conséquences pour les institutions ? Pourra-t-elle disposer d’une majorité parlementaire ? Quelle résistance opposeraient fonctionnaires, médias et société civile ? Dans une note fictive au chef du gouvernement, un haut fonctionnaire envisage froidement un scénario : « L’arrivée au pouvoir, dans un cadre démocratique, d’un parti légalement reconnu, est somme toute banale. Mais le Front national a été fondé par Ordre (...)

    #Débattre

    / A la une, #Politique, #Droites_extrêmes

    • @philippe_de_jonckheere
      Trump est-il ou non fasciste ?… et fasciste ou non le régime qu’il compte créer ?

      Trump est-il ou non #fasciste ? Question pertinente qui – à juste titre – est en train de préoccuper par les temps – toujours plus barbares – qui courent. Sans vouloir sous-estimer l’importance de traits personnels de D. Trump, il nous serait pourtant plus utile qu’elle soit formulée ainsi : Fasciste ou non le régime que #Trump et ses amis comptent établir aux États Unis ?

      https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2017/01/09/trump-est-il-ou-non-fasciste-et-fasciste-ou-no

      FN et Ecole : Les 100 propositions du « Collectif Racine »

      Le 22 septembre dernier le collectif enseignant du #Rassemblement_Bleu_Marine, lié au #Front_National, aidé du collectif étudiant Marianne membre du même rassemblement, a organisé sa « convention présidentielle de Marine Le Pen ». Cette dernière y était présente et a pu assister à ses travaux qui visaient à présenter une centaine de propositions du #collectif_Racine au titre de contribution au futur programme présidentiel de la leader frontiste dans le domaine de l’Ecole. L’objet de cet article est de présenter de manière critique le travail du collectif Racine et de poursuivre l’examen de l’évolution de la principale formation politique de l’extrême-droite européenne sur la question scolaire quelques mois avant l’échéance décisive des Présidentielles de 2017, ceci alors que depuis 2011 le vote pour le FN de Marine Le Pen est en constante progression au sein du monde enseignant même s’il reste très minoritaire. Pour mener cette critique, nous nous appuierons sur le texte des 100 propositions mais aussi sur les discours prononcés lors de la Convention par Marine Le Pen, Floriant Philippot, Alain Avello (président du collectif Racine) et les autres animateurs du Collectif que l’on peut retrouver dans la lettre n°11 du Collectif publié fin septembre 2016. Cependant, nous pouvons d’ores et déjà présenter le cœur de cette critique : ayant rompu dans le discours avec une opposition systématique à l’école de la République défendue par le FN de Jean-Marie Le Pen, celui de sa fille reprend à son compte le discours « réac-publicain » (voir l’ouvrage de
      #Grégory_Chambat « L’école des réac-publicains », #Libertalia, 2016), développant une « nostalgie républicaine » (François Dubet) appuyé sur une lecture imaginaire et fantasmé de l’histoire de l’Ecole en France depuis 1945. Mais cette nostalgie fantasmatique lui permet d’avoir enfin prise sur une profession en crise du fait des contradictions non résolues du processus de démocratisation de l’école de la République.

      Les 100 propositions sont ordonnées selon quatre thématiques : les savoirs, la « sérénité », l’administration, la sélection.

      https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2017/01/11/fn-et-ecole-les-100-propositions-du-collectif-
      https://entreleslignesentrelesmots.files.wordpress.com/2017/01/fn_et_ecole.pdf
      #éducation #scolarité #école #vigilance

    • @aude_v | Je ne partage pas vos critiques. Cette vrai-fausse note administrative pose comme hypothèse que l’Assemblée nationale serait élue à la proportionnelle intégrale après référendum (pilier & principale faiblesse de l’analyse puisqu’il conditionne la suite) et dissolution de l’AN «  cohabitationnaire  » élue selon le régime actuel.

      Dans ce cas, la seule solution pour les autres partis serait de ne présenter qu’une liste de candidats communs pour espérer avoir la majorité…

    • Eh bien, sauf à avoir un poids majeur à l’AN le rendant indispensable sur bon nombre de sujets, lui donnant ainsi une partie du pouvoir, cela n’est pas possible à Constitution constante. Quoique... Sans avoir la totalité du pouvoir, un parti minoritaire peut user — avec difficulté — du 3e alinéa de l’article 11 sur certaines questions.

  • L’école de la République est-elle islamophobe ?

    https://theconversation.com/lecole-de-la-republique-est-elle-islamophobe-52729

    Un an après les attentats contre Charlie Hebdo, on se doit de poser la question sans détour : l’école de la République est-elle islamophobe ?

    Bien sûr, les mots sont plombés et la terminologie contestée, mais il nous faut penser la fonction sociale et politique de l’école de la République. Les événements dramatiques de janvier 2015 ont mis en agenda l’école dans sa capacité à créer du lien social. Les réactions de certains élèves lors de la minute de silence en hommage aux victimes des attentats contre Charlie Hebdo ont questionné sur le degré d’adhésion à notre République. Les attaques du 13 novembre 2015 nous interrogent aussi sur le ressentiment de jeunes radicalisés qui ont fait leur scolarité au sein du système éducatif français.

    Depuis janvier 2015, les discours proposant des solutions à l’emporte-pièce monopolisent les médias : blouses, uniformes, drapeau, « Marseillaise », sanctions et « cours » de morale laïque.

    Cette nostalgie collective d’une société proprement réactionnaire autour d’une école qui n’a jamais existé en dit long sur le processus d’amnésie, d’oublis sélectifs et de fantasmes qui produit les sociétés et le lien social. Il est donc plus que temps que les débats soient nourris par les sciences sociales.
    Une terminologie constatée et pourtant ….

    Charb écrit dans sa « Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes » :

    Si on l’aborde d’un point de vue purement étymologique, l’islamophobie devrait désigner “la peur de l’islam”. Or les inventeurs, promoteurs et utilisateurs de ce terme l’emploient pour dénoncer la haine à l’égard des musulmans. Il est curieux que ce ne soit pas “musulmanophobie” et, plus largement, “racisme” qui l’aient emporté sur “islamophobie”, non ? (…) Alors, pour quelles raisons le terme “islamophobie” s’est-il imposé ? Par ignorance, par fainéantise, par erreur, pour certains, mais aussi parce que beaucoup de ceux qui militent contre l’islamophobie ne le font pas en réalité pour défendre les musulmans en tant qu’individus, mais pour défendre la religion du prophète Muhammad.

    Cette grille de lecture, très largement répandue, met de côté les travaux scientifiques contemporains qui montrent précisément que l’hostilité à l’encontre de l’islam et le rejet des musulmans sont intrinsèquement corrélés.

    Les discours négatifs visent à la fois l’islam et les musulmans réels ou supposés, qui sont souvent liés de manière indissociable dans les perceptions générales. Même si les mots peuvent être instrumentalisés, essentialisés, détournés : sous couvert de la question musulmane se cache la question ethnique autant que la question sociale.

    Comme l’écrivait Charb avec justesse, si les musulmans de France se convertissaient tous au catholicisme ou bien renonçaient à toute religion, cela n’en serait pas fini du racisme ou de la recherche de boucs émissaires. Des Français arabes, non musulmans, en font déjà l’expérience, lorsqu’ils sont à la recherche d’un logement ou d’un emploi….
    Rapports conflictuels à l’Islam

    Derrière le rejet et la peur de l’islam, se cache la peur de l’autre, de l’autre qui nous ressemble, de l’autre proche, mais pensé comme différent. Il y a une certaine manière de penser la République qui en fait un monolithe, où l’indivisibilité du collectif doit nécessairement passer par l’invisibilité des individus. Cette conception a été largement portée par l’école de la IIIe République.

    La loi de 2004, acceptée par une grande partie des musulmans de France, aurait pu clore la question, mais l’actualité continue à mettre en agenda la laïcité dans ses rapports conflictuels à l’islam : faut-il supprimer les menus de substitution dans les cantines ? Faut-il autoriser l’accompagnement des élèves dans les sorties scolaires par les mamans voilées ? Faut-il interdire le port du voile à l’université ? Les parents d’élèves signeront-ils la charte de laïcité ?

    Une laïcité conquérante, se cherche et se trouve de nouvelles frontières, à moins que l’enjeu ne soit, derrière les objectifs affichés (émancipation de la femme, avancée de la rationalité, lutte contre ledit « communautarisme »…) de réduire le plus possible la visibilité des minorités au sein de l’espace public, tout en donnant des gages aux mouvements d’extrême droite en progression électorale.

    Ces questions émergent dans une société multiconfessionnelle dans laquelle la présence des minorités ne peut plus être pensée comme conjoncturelle. Elles imposent une interrogation sur l’école, qui est l’institution privilégiée pour construire du commun au sein de la République, via précisément cette notion de « laïcité » ?

    Sous couvert d’universalisme et de laïcité, une logique d’assimilation met au pas les différences culturelles, sociales et politiques portées par les jeunes issus de l’immigration et c’est sous l’angle d’un problème posé par l’islam en France que l’on s’interroge, et non sous l’angle d’une incapacité de la République française à penser les mutations du vivre ensemble. Et l’école participe de cette construction collective

    Inverser les termes de la réflexion introduirait pourtant de nouvelles solutions. L’école est au cœur de la fabrique du Commun en ce qu’elle produit les valeurs centrales de cohésion sociétale, mais il nous faut penser ce Commun grâce à une « laïcité d’inclusion ».
    Quand l’école véhicule des stéréotypes

    Chez Jules Ferry, qui fut l’un des pères fondateurs à la fois de l’école publique et de l’empire colonial, tous les peuples allaient petit à petit, grâce à la raison universelle transmise par l’école, accéder à la civilisation universelle incarnée par la patrie des droits de l’homme… Il en était des enfants comme des colonisés…

    Notre passé a beau être partiellement amnésique, il n’en laisse pas moins de traces. Notre idéal républicain est aujourd’hui écorné. Il n’a pas rempli ses promesses et montre ses limites à la lumière des mutations sociales, économiques et culturelles du pays, et ce notamment dans l’école, lieu de ségrégation sociale et ethnique.

    Dans cette tradition politique, la pluralité culturelle est suspecte, en ce qu’elle introduit de la résistance à cette civilisation rationnelle pensée comme uniforme.

    Fatima moins bien notée que Marianne pour un devoir équivalent, Issam et Kader plus punis que Mathieu pour un même comportement, des écoles publiques qui concentrent 90 % d’enfants musulmans quand d’autres n’en comptent aucun, des manuels scolaires qui réduisent l’islam à l’islamisme : une véritable éducation séparée se met en place.

    Il s’agit là, de ce que l’on peut nommer un racisme institutionnel, qui n’est pas à repérer dans l’attitude ou les pensées de quelques individus, mais dans la logique même d’un système qui conduit à désavantager systématiquement certaines catégories socioculturelles et se définit comme l’échec collectif d’une organisation à fournir un service approprié et professionnel à des personnes à cause de leur couleur, culture ou origine ethnique.

    « Quand un maire refuse de servir des repas sans porc, quand on ferme les sorties scolaires aux mamans voilées, quand on ne veut pas de voiles à l’université, la laïcité à la française n’est qu’une manière de dire : les Arabes dehors ! »

    Ainsi s’exprime en 2016 le sociologue François Dubet dans un entretien relayant plus d’une décennie après les propos de Pierre Bourdieu en 2002 : « La question patente- faut-il ou non accepter le port du voile dit islamique – occulte la question latente – faut-il ou non accepter en France les immigrés nord-africains ? ».

    Il nous faut donc penser une « laïcité d’inclusion ».

    Béatrice Mabilon-Bonfils est auteure avec François Durpaire de « Fatima moins bien notée que Marianne ».

  • Peut-on changer l’école ? - Le Monde
    http://alireailleurs.tumblr.com/post/129269047228

    Dans l’école, “la vague novatrice, toujours donnée comme imminente, n’a jamais déferlé”, et c’est à l’abri des regards que des écoles “différentes” tracent leur voie, comme des îlots au coeur d’un système immobile, estime un très intéressant dossier du Monde sur l’innovation pédagogique. La réponse passe par l’autonomie pédagogique, estiment les journalistes du Monde. “L’innovation exige des équipes homogènes et mobilisées, estime le sociologue François Dubet. Or, le mode d’affectation des enseignants ne tient guère compte des projets des établissements, et la ­formation d’une équipe relativement soudée tient souvent du hasard.” Plusieurs articles reviennent sur quelques expériences éducatives innovantes, et une interview à quatre voix souligne à nouveau le besoin d’autonomie des établissements et celui d’améliorer (...)

    #éducation #FuturEduc

    • INTERVIEW Depuis les années 80, l’Amérique a délaissé l’action publique pour lutter contre la pauvreté au profit de programmes philanthropiques privés basés sur la volonté individuelle. Dans un essai paru mercredi, le sociologue Nicolas Duvoux montre que l’#Etat_social a été pratiquement éradiqué. Et remplacé par les fondations des Bill Gates ou Warren Buffet.
      Alors que la crise fragilise les plus faibles et que les #inégalités de #richesse ne cessent de s’accroître, la lutte contre la pauvreté est devenue un défi majeur des Etats développés [sic]. Aux Etats-Unis, l’aide aux plus démunis, principalement issus de la population noire, a radicalement changé de visage. Dans les Oubliés du rêve américain (PUF), paru mercredi, le sociologue Nicolas Duvoux constate ainsi qu’à l’intervention de l’Etat s’est substituée celle de Warren Buffet et Bill Gates. Désormais, c’est la #philanthropie qui fait office de politiques publiques aux Etats-Unis. Une évolution qui gagnera un jour la France ? Même si elle a un parfum très XIXe siècle, l’approche philanthrope a aussi pour effet de relancer le rêve américain ! Essentiellement basés sur la volonté individuelle, les programmes d’aide permettent de regagner estime de #soi et sentiment d’autonomie, bref, de ne plus se sentir pauvre, honte absolue en Amérique. (...)
      Warren Buffet soulignait ainsi qu’il payait moins d’impôts que sa secrétaire. La redistribution à laquelle ils se livrent, à travers le secteur associatif, est si considérable qu’elle se substitue, en partie, aux prestations sociales publiques, qui, elles, ont été drastiquement réduites. (...)
      Personne ne veut être assimilé à un pauvre. C’est de plus en plus valable en France également. Le ressort fondamental de ce rejet me semble être une demande de dignité et de #respectabilité. C’est aussi l’effet de plus de trois décennies de néolibéralisme. (...) inculquer des formes de « savoir être » qui permettent aux participants de se projeter dans l’avenir, à se présenter comme quelqu’un qui a des ressources plutôt que comme quelqu’un de démuni. (...) transformer la société en transformant les gens de l’intérieur, notamment en les aidant à acquérir des techniques - pour gérer leurs émotions ou pour gérer les interactions difficiles avec des voisins violents et armés. Cela a un côté très américain : le #salut passe d’abord par une réforme personnelle. (...)
      incarcération massive des jeunes Noirs : la probabilité d’aller en prison pour les hommes noirs sans diplômes, nés entre 1975 et 1979, est de l’ordre de 70 %. La prison est devenue quelque chose de tout à fait « normal » qui contribue à reproduire les inégalités. On peut penser que c’est tard, à la fin de son second mandat, mais c’est une orientation politique qui est courageuse dans un pays où tout homme politique se doit d’être dur face au crime (« tough on crime »)

      #lutte_contre_la_pauvreté #workfare #état_pénal #gouverner_les_pauvres #néolibéralisme (faire fond sur la liberté des sujets, cf. Michel Foucault) #autonomie_comme_sentiment #diviser_les_pauvres #racaille (les jeunes hommes noirs, destinés à la prison)

    • [L’empowerment] répond aux limites de l’intervention publique qui, elle, ne donne pas de place à l’initiative des gens. C’est d’ailleurs pour cela que ces programmes suscitent une vraie #adhésion. Les personnes pauvres ne veulent plus recevoir, de manière passive et méprisante, des prestations venues de l’extérieur. Mais la limite de ces programmes, c’est qu’on transfère la responsabilité de trouver une solution aux problèmes à des gens qui ont peu de ressources. Et ils contribuent à légitimer la richesse des riches ! La philanthropie a tout de même pour effet de transformer en générosité ce qui est avant tout de l’accumulation privée de richesse, exonérée de fiscalité. C’est l’une des différences majeures entre les philanthropes d’aujourd’hui et ceux du temps de Rockfeller, qu’on surnommait les « barons voleurs » et qu’on accusait de corrompre les politiques et d’exploiter les ouvriers : Bill Gates ou Warren Buffet sont, eux, extrêmement populaires.

      Vous avez aussi noté que le quasi-unanimisme, autour de ces programmes, se fait, en réalité, contre les jeunes hommes noirs. Pourquoi ?
      La #solidarité des participants se construit #contre_la_minorité la plus démunie : ceux qu’on perçoit comme des délinquants - sauf s’ils passent à leur tour par le récit de la rédemption. Tout se passe comme s’il fallait absolument rejeter une minorité qui pose des problèmes pour être intégré à son tour moralement dans la société.

      #intégration_morale #respectabilité #guerre_entre_pauvres

      Une petite note. En matière d’empowerment, il semble qu’il en soit tout autrement dans des collectifs contestataires. La nécessité pour des collectifs de pauvres (chômeurs, précaires, par ex.) de disposer en leur sein d’acteurs non démunis de ressources (syndicalistes, ex étudiants, intermittents) pour forcer l’espace public (en faire exister un) sans risquer d’emblée marginalisation, invisibilité maintenue ou criminalisation ne va pas sans contradictions internes et elle se couple, spécialement en période de reflux dune survalorisation des moins intégrés socialement (les plus dominés étant alors présentés, au nom du concret, comme les seuls porteurs de la vérité).

      Bon, il semble qu’il faille essayer de cueillir ce livre, c’est l’un des rares académiques à enquêter sur le terrain et à donner, avec toute la politesse bourgeoise et scientifique requise, des éléments critiques qui peuvent être utilisés dans une autre perpective que la sienne.

    • Les personnes pauvres ne veulent plus recevoir, de manière passive et méprisante, des prestations venues de l’extérieur

      Encore la confusion entre sociale et aide aux pauvres, « les #assistés ». Non la #sécurité_sociale ne signifie pas que l’on aide les plus démunis mais que l’on socialise, au contraire de privatiser, des ressources pour sécuriser la vie des individus. Parfois cette sécurité est réservée à un moment de la vie particulièrement instable.

    • L’autonomie, fiction nécessaire de l’insertion ? Nicolas Duvoux
      http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=4026

      Les politiques d’insertion sont exemplaires de la #normativité de l’autonomie dans la société française contemporaine. La contractualisation des relations entre les usagers et les institutions invite les premiers à prouver expressément qu’ils veulent adhérer à la société pour bénéficier de la solidarité de celle-ci. Ces politiques sont de part en part traversées par une logique de la reconnaissance des formes de relation à soi. Chacun y est considéré comme responsable de sa vie, et chacun va devoir trouver en soi les motifs de sa participation à la société.

      Cependant, la valorisation de l’autonomie individuelle a pour pendant une condamnation accrue des comportements considérés comme déviants. Ce renversement est structurel. Pour en rendre compte, on peut suivre ici François Dubet lorsqu’il affirme que « de manière plus ou moins latente, le principe d’autonomie est sous-tendu par une conception héroïque d’un sujet capable de se construire lui-même et donc porté à “blâmer la victime” ». La référence à l’autonomie dans l’insertion apparaît dès lors comme une façon d’adapter cet idéal aux possibilités effectives des individus.

    • Mouais, il y a plusieurs compréhensions du terme. Je dirais plutôt à l’aune de ce qu’enseigne la vie dans le capitalisme - et non pas la philosophie classique - prendre collectivement la liberté de se donner une loi contre celles de ce monde.

      Mais ce qui parait dominer ici actuellement c’est plutôt l’individualisation et l’évitement du conflit collectif, donc pour qui a pour rôle de prévenir les conflits, le majoritaire, ce que dit Duvoux, une norme de l’intégration sociale ; et minoritairement, une vague et impossible aspiration quasi-autarcique. Dans les deux cas, la possibilité d’une estime de soi dans un monde de violence et d’inégalités. Être respectable, suffisamment « normal », ou ne pas se mépriser d’avoir à jouer une participation obligée en parant ses quelques « arts de faire », les écarts aux normes que l’on arrive à développer ou tenir, d’une légitimité idéologique, d’une couche de généralité. (ainsi le dernier édito de Jeff Klak qui se termine par « se tenir chaud » résume-t-il bien le motif dont sont tissés les bandes, groupes et familles élargies où, sous des oripeaux de plus ou moins bon goût, chacun se devrait de trouver refuge).

    • L’autonomie obligatoire. Sociologie du gouvernement de soi à l’école, d’Héloïse Durler (une note de lecture)
      http://lectures.revues.org/17435

      « Sois autonome ! » ou comment dépasser les contradictions d’une « injonction paradoxale » d’une « valeur phare des normes éducatives » contemporaines qui prescrit à l’enseignant d’ « amener l’élève à vouloir librement ce qui lui est imposé dans le cadre scolaire » (p. 10). Tel est l’enjeu au cœur du livre d’Héloïse Durler issu de sa thèse de doctorat. (...)
      Selon elle, on peut raccrocher « l’entreprise d’engagement scolaire » à la « montée managériale par l’autonomie » au travers du « new public management » qui n’épargne ni le monde du travail, l’action sociale ni les politiques éducatives. Par ailleurs, cette entreprise n’est pas étrangère à l’idéologie du « projet » plusieurs fois évoquée et rapidement explorée (p. 34-35) mais, pour parachever la démonstration, il était possible de lui imposer un même traitement qu’aux autres mots-plastiques récurrents des discours concernant les dispositifs éducatifs que sont les notions de « compétence », « objectifs », « qualité » ou de « participation ». En suivant, on peut interroger comment cette « autonomie obligatoire » s’inscrit dans la « nouvelle école capitaliste » de Laval et al. dès lors que les logiques néolibérales du monde du travail pénètrent plus avant le monde l’éducation, davantage orienté depuis les années 1960 vers « l’insertion professionnelle et sociale des jeunes générations » (p. 148) voire pour envisager la construction de la « servitude volontaire aujourd’hui ».

      #autonomie_obligatoire

    • @aude_v pardon, mais quand j’écris plus haut « se tenir chaud » résume-t-il bien le motif dont sont tissés les bandes, groupes et familles élargies où, sous des oripeaux de plus ou moins bon goût, chacun se devrait de trouver refuge", il me semble que ce n’est pas une manière d’encenser cet aspect "affinitaire". C’est souvent un aspect nécessaire (car c’est là que certains partages peuvent avoir lieu, les exemples sont légion : apprendre à parler dans un collectif ça commence souvent par une zone d’entente moins étendue que celle où se prononce "la parole publique", lire et/ou écrire pour qui n’est pas déjà rodé à le faire "dans son coin" à partir du commun, ça nécessite svt une dimension d’"atelier"), mais il est parfaitement insuffisant si il n’est pas lié, ouvert, circulant, confronté à de de l’hétérogène plus déroutant encore que l’hétérogénéité qui déjà le constitue. Par exemple du fait d’une participation à des conflits dans lesquels sont impliqués de plein droit des inconnus, ce qui me parait une vérification indispensable. Et parfois il n’y a même pas besoin d’affinité pour se trouver lié par une cause et par là à ceux qui s’en sont emparé. Sans doute n’avons nous pas vécu le même genre de malheurs de la militance.

    • Phrases ardues, je sais pas si celle là l’était tant que ça, @aude_v, mais je vois bien qu’il m’arrive souvent de m’exprimer de façon confuse. Au point de me dire que je devrais me limiter à envoyer du matériel sans écrire.

      Sinon, pas très sûr de la polarité ascétisme/consumérisme. Pour ce que j’ai connu, il est systématique qu’à un moment ou un autre, des « militants » en viennent à se plaindre de fournir du travail pour des gens qui l’utilisent en free riders. Par exemple, lors de permanences destinées à des précaires et chômeurs. Mais on voit là même chez des syndicalistes. Et un « groupe révolutionnaire » qui déplore la « passivité générale » dit aussi quelque chose du même genre. Cette plainte est celle de celui qui « travaille » et se « sent exploité », ce ceux qui désirent et sont confrontés à une forme d’acédie vis à vis des objet et des rites (aussi incertains soient ils) qu’ils ont élus parmi ceux qui leur paraissent destinés à être aimés.

      Chez les chômistes et pocherons, quand il se passe quelque chose, quand par exemple un « cas », une action, un instant, se lie à une montée en généralité, à une perspective réellement vécue, quand quelqu’un qui ne fait « que passer » permet d’apprendre, de découvrir quelque chose, ce qui est déjà marquer des points, la question du « consumérisme » n’a pas lieu d’être (prenez ce que vous voulez, comme vous pouvez, barrez vous vite si vous voulez, vous nous privez de rien, on est là pour ça, on a tout à gagner). Et puis c’est aussi la manière de faire qui va déterminer une « relation de service » ou de l’entraide éventuelle. Le contre don est pas une norme.

      Je crois que cette façon de se poser et de se dire est un pendant masochiste de la joie qu’il y a à s’approprier, transformer quelque chose. Un régurgitement dû au reflux politique, la parole d’un défaut d’affinité à la matière en jeu. Faudrait passer à autre chose. Et souvent ça tourne en boucle.

      Bon, je met ton papier en liste de lecture...

    • Ceux dont tu causes, avec leurs réus si importantes, ressemblent à des apprentis politiciens (ils disent même pas comme on le voit dans des collectifs précaires chômeurs, « ah là je peux pas j’ai du taff », les taches utiles restant à effectuer par les disponibles). Et si ils ratent leur parcours et/ou renvoient pas l’ascenseur, on peu l’avoir mauvaise. M’enfin faire rire des carriéristes, c’est rarement un bon investissement.

  • La laïcité et son autre
    http://www.laviedesidees.fr/La-laicite-et-son-autre.html

    La rhétorique laïque dissimulerait-elle un discours de l’ordre social et de l’exclusion du peuple et des anciens colonisés ? François Dubet souligne l’intérêt de prendre au sérieux le raidissement et le retournement conservateur dont la laïcité fait l’objet. Il invite également à nuancer cette thèse pour trouver les voies d’une alternative laïque.

    Livres & études

    / laïcité, #domination, #colonisation, #violence

    #Livres_&_études #laïcité

  • François Dubet : « Recruter les profs à bac+5, c’est une erreur » (Le nouvel Observateur)
    http://rue89.nouvelobs.com/2014/06/18/francois-dubet-recruter-les-profs-a-bac5-cest-erreur-252636

    Avec un chômage de 25 %, une telle profession dans la fonction publique devrait attirer. Ce n’est plus le cas et c’est une énigme. […] Mon sentiment, c’est donc que le salaire n’est pas fondamental dans l’explication de la désaffection que nous constatons aujourd’hui.[…] Les profs n’ont jamais été bien payés, mais la profession avait un prestige indiscutable.
    Dans un monde du travail bien plus dur qu’il ne l’est aujourd’hui – avec un chômage qui vous plongeait dans la misère, des accidents de travail... –, cette profession, même mal rémunérée, vous donnait un prestige social et une forte stabilité de l’emploi. Mais les profs vivaient modestement, même si certains avaient un logement de fonction. […]

    Si le niveau de vie n’est pas une des explications importantes de cette crise du recrutement, quelles sont-elles  ?
    Il y en a deux. D’une part, un problème d’image. L’image, c’est celle d’un métier difficile. Celle d’un enseignant qui souffre, face à des élèves qui ne veulent pas apprendre, à des parents d’élèves qui l’enquiquinent, à une administration qui lui gâche la vie...
    Le discours que produisent les enseignants sur eux-mêmes est celui de la plainte. […]

    Dans l’Education nationale, les enjeux symboliques sont toujours plus importants que les enjeux matériels.

    Les deux peuvent se rejoindre  : si les profs étaient mieux payés, le regard de la société sur eux changerait...

    Possible, mais ce n’est pas un facteur décisif.

    Si le niveau de vie n’est pas une des explications importantes de cette crise du recrutement, quelles sont-elles  ?

    Il y en a deux. D’une part, un problème d’image. L’image, c’est celle d’un métier difficile. Celle d’un enseignant qui souffre, face à des élèves qui ne veulent pas apprendre, à des parents d’élèves qui l’enquiquinent, à une administration qui lui gâche la vie...

    Le discours que produisent les enseignants sur eux-mêmes est celui de la plainte. Autrefois, c’était un discours sur la grandeur de la profession, le plaisir d’enseigner, de faire la classe... Il y avait une mise en scène positive, une représentation du métier qui pouvait donner envie de l’exercer.

    Aujourd’hui, quand les enseignants parlent d’eux-mêmes collectivement, c’est pour dire  : « Nous souffrons, nous ne sommes pas reconnus, nous sommes méprisés, nous avons un métier de chien, c’est extrêmement difficile, nous sommes soumis à la violence »... L’image qui s’est répandue, c’est que tous exercent dans des collèges de ZEP violents, ce qui est rarement le cas.

    L’image de l’école elle-même s’est renversée  : l’école qui intégrait la société, qui fabriquait des citoyens, qui les préparait à vivre quelque chose de commun a laissé place à l’image de la machine à diviser, à trier, à créer des inégalités. Les sociologues ne sont pas pour rien dans cette image, mais elle a peu à peu été intériorisée par les Français. […]

    Prônez-vous le rétablissement de filières précoces, à la manière des écoles d’ingénieur ou des facs de médecine  ?

    Je pense que les filières que choisissent les bons étudiants, ce sont des filières à sélection précoce, celles qui garantissent leur avenir. […]
    Il faudrait donc recruter les futurs enseignants à bac+1 ou bac+2  ; ensuite,on les formerait jusqu’au master. Pourquoi se bagarre-t-on pour devenir infirmière, alors qu’on n’arrive pas à recruter des enseignants  ? Les infirmières ne sont pourtant pas mieux payées que les enseignants... et leur métier n’est pas plus facile. Mais elles ne sont pas recrutées à bac+5  !

    On a commis une erreur. On est passé de l’idée, juste, qu’il faut que les enseignants aient un niveau bac+5 à l’idée, fausse, qu’il faut donc les recruter à bac+5. Ce sont deux choses qu’on a eu le tort de confondre.

    J’ajoute que si l’on recrutait à bac+1 ou bac+2, on aurait des chances de recruter de bons élèves d’origine populaire. Parce que des bons élèves d’origine populaire, on en trouve à bac+1, mais ils ont presque disparu à bac+4. Ils n’ont pas survécu dans le système : il faut tenir  ; quatre ans d’études, c’est long.

    #éducation #enseignants #formation #recrutement #rapprochement_primaire_collège

  • Changer l’école (Politis)
    http://www.politis.fr/Changer-l-ecole,27680.html

    La généralisation des méthodes alternatives permettrait à tous les enfants d’accéder au savoir de ce socle commun qui aujourd’hui fait défaut à presque la moitié d’entre eux. Mais, entre soutien et méfiance, les expérimentations ont bien du mal à s’étendre.

    Quelques articles du dossier (#paywall) :
    – Face au mur de l’institution (http://www.politis.fr/Face-au-mur-de-l-institution,27681.html)
    – François Dubet : « L’argument de l’atteinte à l’égalité est loufoque » (http://www.politis.fr/L-argument-de-l-atteinte-a-l,27683.html)
    – Philippe Meirieu : « Sortir de la caricature » (http://www.politis.fr/Philippe-Meirieu-Sortir-de-la,27685.html)

    #éducation #école #pédagogie #méthodes_alternatives

  • « Si l’on ne fait rien, l’école fonctionnera comme un marché » (François Dubet, Le Nouvel Observateur)
    http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20130830.OBS5040/si-l-on-ne-fait-rien-l-ecole-fonctionnera-comme-un-marche.html

    On sait que des pays qui ont de meilleurs résultats scolaires que nous et autant d’inégalités sociales ne consacrent pas plus de ressources à l’éducation. En général, ils donnent plus au primaire et moins au lycée. Mais surtout ils ont engagé une véritable professionnalisation des enseignants. Ils ont appris à individualiser les pédagogies, ils ne sont pas obsédés par les notes et les classements, ils créent une école chaleureuse et accueillante, ils travaillent avec les parents, ils traitent les difficultés scolaires dans l’école elle-même sans les externaliser dans une multitude de dispositifs de soutien...
    […]
    Pour être plus efficace, plutôt que d’être bâti comme un petit lycée, le collège devrait être le prolongement de l’école élémentaire, afin que les élèves ne passent pas brutalement d’un maître d’école à une dizaine de professeurs.
    […]
    Depuis trente ans, nous sommes obsédés par l’efficacité et l’équité du système scolaire ; nous ne parlons que de performances et d’inégalités. C’est évidemment essentiel. Mais nous avons perdu de vue que l’école est aussi une institution d’éducation où des jeunes apprennent à grandir, à devenir des individus autonomes et des citoyens actifs, confiants dans les autres et en eux-mêmes.
    […]
    Peut-être devrions-nous cesser de tout attendre de l’école, et de penser qu’il n’y a pas de mérite véritable en dehors d’elle.
    […]
    Si l’on ne fait rien, je pense que le fonctionnement de l’école publique se rapprochera de celui d’un marché. Et, dans ce cas, les élèves faibles et défavorisés y croiront moins encore, pendant que les industries culturelles offriront des alternatives éducatives dont on peut tout craindre. Nous aurions donc intérêt à nous donner des objectifs modestes et des moyens pragmatiques de les atteindre. Nous ne pourrons pas éternellement faire des promesses que nous ne tenons pas.

    #éducation #réformes #inégalités

  • Deux remarques sur la morale laïque à l’école (François Dubet, Le Café Pédagogique)
    http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/04/23042013Article635022982319318314.aspx

    L’idée de promouvoir une morale laïque à l’école n’est pas contestable et l’on peut même se réjouir de voir l’école retrouver une vocation éducative afin de ne pas se réduire à une fonction d’instruction, de formation professionnelle plus ou moins directe et de sélection plus ou moins équitable. Ceci dit cette éducation à la laïcité pose deux problèmes qui méritent quelques remarques : le contenu de cette morale et les modalités de sa transmission.

    Il me semble que l’on ne peut pas revenir vers une conception de la laïcité construite sur le principe de la mise à l’écart des cultures spécifiques et des identités religieuses tenues pour hostiles ou étrangères à la laïcité comme c’était le cas en 1905. Ceci tient au fait que la société française n’est plus implicitement catholique et chrétienne ce qui permettait de construire la laïcité contre l’Eglise mais sur une fond de morale chrétienne et d’unité culturelle nationale indiscutable. La morale chrétienne se superposait alors au christianisme grâce à une version kantienne de cette morale conduisant à l’affirmation d’une culture nationale française perçue comme universelle. Aujourd’hui, la morale laïque doit tenir compte des différences culturelles et il n’est plus possible d’opposer le public universel et le privé singulier avec la même radicalité que naguère. Alors qu’il fallait réduire les différences de foi et de culture au privé, nous devons apprendre à vivre paisiblement avec ces différences. En ce sens, il ne nous suffit plus d’être républicain, il nous faut aussi devenir démocrate. La morale laïque ne peut plus surplomber les morales et les identités particulières, elle doit aussi nous apprendre à les reconnaître et à vivre ensemble.

    […]

    Mais le problème essentiel est moins dans le contenu de la morale que dans son mode de transmission. […] Autrement dit, l’apprentissage de la morale procède moins d’une leçon que d’une expérience. […] Comment apprendre la morale laïque dans un espace dépourvu de droits pour les élèves et dans lequel les élèves n’apprennent à vivre ensemble et à « disputer » que dans la sphère d’une vie juvénile étrangère à l’emprise des enseignants ou confiée au seul travail disciplinaire des conseillers d’éducation. On ne peut apprendre véritablement la morale laïque que dans une école construire comme un espace civique, ce qui ne suppose nullement que les maîtres et les élèves y soient égaux, mais ce qui exige qu’ils aient des obligations et des droits réciproques. Ne pourrions-nous imaginer des apprentissages actifs de la laïcité ? Ce qui n’a rien de révolutionnaire quand on pense à la longue expérience des mouvements de jeunesse et des mouvements d’éducation populaire qui ont donné aux élèves et aux jeunes des responsabilités que l’école leur refusait le plus souvent.

    […]

    Si nos habitudes et nos mœurs pédagogiques ne nous permettent pas de franchir ces pas ; si nous pensons que l’apprentissage de la laïcité doit être un retour au bon temps de Jules Ferry, si nous croyons que l’autorité des grands textes suffit, si nous pensons que les maîtres ne peuvent que transmettre des connaissances, on peut craindre que les leçons de morale n’aient guère de sens et que, pire encore, les élèves n’y mesurent, encore une fois, la distance entre nos principes et nos pratiques.

    #éducation #morale_laïque #laïcité

    • Aujourd’hui, la morale laïque doit tenir compte des différences culturelles et il n’est plus possible d’opposer le public universel et le privé singulier avec la même radicalité que naguère. Alors qu’il fallait réduire les différences de foi et de culture au privé, nous devons apprendre à vivre paisiblement avec ces différences.

      Pose un problème et introduit un débat.

      Il faut savoir que l’une des motivations explicites et l’un des arguments en faveur du religieux est précisément le maintien des valeurs morales en général. Revendiquer une possible morale hors du religieux sera toujours un peu problématique, et particulièrement dans les cultures ou toute morale est religieuse.

      Il y a bien une « culture laïque » qui effectue la distinction, et la morale laïque, telle qu’elle est présentée, vise à promovoir des valeurs communes par delà les différences culturelles et religieuses ; c’est là sa définition, qui n’est pas négociable.

  • François Dubet : « L’égalité des chances, le pire des systèmes, mais il n’y en a pas d’autres »
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2006/12/18/francois-dubet-l-egalite-des-chances-le-pire-des-systemes-mais-il-n-y-en-a-p

    Annotations :

    Troisièmement, le principe de l’égalité des chances – et toutes les violences scolaires en sont la manifestation quotidienne – est un principe d’une extrême cruauté pour les individus. Quand vous êtes dans un système d’égalité des chances, vous êtes tenus de vous vivre comme le responsable de votre échec. « Vous avez eu l’opportunité de gagner, vous n’avez pas gagné, tant pis pour vous. » (...)

    #:François_Dubet #.entretiens #école #égalité_des_chances #méritocratie #-France #inégalités

  • François Dubet : « L’école est en péril »
    http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20130513trib000764314/francois-dubet-l-ecole-est-en-peril-.html

    « En panne de projet moral et éducatif ». Voilà, selon le sociologue spécialiste de l’enseignement, la principale explication à la déliquescence du système français. Un système perclus d’incohérences, sclérosé par la machine administrative, les revendications corporatistes et la rhétorique doctrinaire, ébranlé par les bouleversements sociétaux, scellé dans son immobilisme, son rejet de l’innovation, et l’indifférence pour ses meilleurs éléments. Un système que particularisent un intellectualisme inapproprié, l’abandon des devoirs, la reproduction des élites, un ostracisme inepte pour le capitalisme et l’entreprise, in fine la relégation au second rang de l’objet même de ce qui fut une vocation : donner aux jeunes les armes de se construire, de trouver une place dans la société, d’être acteurs de la démocratie.

    Une longue et très intéressante tribune de François Dubet. Même si on peut ne pas partager son positionnement politique très "gauche réformiste", ce texte incisif a le mérite de pointer clairement les questions essentielles, celles que la #Refondation aurait dû traiter en priorité et sur le long terme, loin des polémiques stériles sur l’#école qui nous passionnent tant…

    L’école semble appartenir aux professionnels de l’école, attachés en premier lieu à défendre leur double sort professionnel et personnel. C’est sur ce mur que les grands élans réformistes du monde enseignant se sont épuisés ces dernières décennies.
    […]
    Mais l’incapacité à réformer n’est pas seule coupable. Le système éducatif est prisonnier d’un dogme : la société française confie sans limite à l’école la responsabilité de définir le destin social des individus. Presque nulle part ailleurs on observe une telle emprise scolaire, une telle indexation du devenir personnel sur l’envergure du diplôme. Dans ce contexte, la problématique des inégalités et des injustices scolaires devient un enjeu essentiel, et d’autant plus considérable que la situation ou l’opinion des vaincus sont reléguées.
    […]
    Pourquoi les grandes confédérations syndicales interprofessionnelles défendant la classe ouvrière et a priori tout à fait légitimes sur le sujet de l’école, se taisent, considérant que ce dernier « appartient » aux enseignants et donc relève des compétences des organisations corporatistes ? C’est incompréhensible, surtout quand l’école ne traite pas très bien les enfants de la classe ouvrière.
    […]
    Les causes de cette mutation sont multiples : l’autorité de l’institution s’est épuisée, on ne croit plus avec la même innocence ni à la nation ni au progrès ni à la science, le mécanisme de promotion sociale des catégories des élites populaires vers l’enseignement a décliné au profit de classes moyennes qui se « recasent » dans l’appareil éducatif. Résultat, l’enseignant ne se sent plus empli du même devoir et des mêmes investissements à l’égard de la société.
    […]
    Chacun revendique une école équitable, juste, productrice de bons professionnels, mais personne n’est en mesure de dessiner l’essentiel : le « type d’individu » que l’on souhaite faire éclore. La communauté juvénile est confrontée au monde des savoirs et des évaluations. Le corps enseignant dénonce avec raison la décomposition des liens familiaux, la bêtise médiatique, une anomie généralisée ; mais, dépourvu de projet éducatif, concentré sur la performance et l’apprentissage des enfants, il contribue in fine à ce qu’il dénonce !
    […]
    L’école a vocation à résister, mais aussi à former des résistants. Il ne s’agit, bien sûr, pas d’isoler les jeunes des désordres et des passions du monde, mais simplement de les rendre plus intelligents pour comprendre le monde et y trouver, à partir de raisonnements autonomes, une place. Que voulons-nous que nos enfants sachent et maîtrisent ? Savoir être et savoir penser : voilà à quoi l’école doit former en premier lieu. Il est capital d’apprendre aux enfants à devenir de futurs acteurs de la démocratie. Or comment y parvenir dans un système éducatif à ce point non démocratique et qui n’accorde ni droit ni leçon de vie collective aux apprentis ?
    […]
    Les parents attendent énormément de l’école, et notamment qu’elle soit capable de dire ce qu’elle fait. Et on ne peut qu’y souscrire. Parce qu’il paie des impôts qui financent l’éducation, chaque citoyen est en droit de savoir ce que le système produit, si les enfants progressent et ce qu’ils apprennent, etc. Le monde éducatif doit rendre des comptes, non seulement à l’institution qui l’héberge mais aussi aux citoyens qui le rétribuent et lui confient leurs enfants.
    […]
    Cette dimension permettrait aussi de développer une solidarité entre professeurs, trop souvent anémique. Comment ne pas me remémorer ces collègues rentrant en larmes d’un cours et qui s’isolaient au fond de la salle des professeurs sans que personne ne vienne les secourir... Le monde de l’enseignement est d’une solitude absolue au nom de l’autonomie de chaque enseignant. L’enseignant perfectible ou fragile ne sera jamais aidé ; ses collègues feront en sorte de ne pas placer leurs enfants dans sa classe. A toutes ces conditions, la fonction éducative pourrait être activée, et chacun pourrait se sentir pleinement « responsable ».
    […]
    Le monde enseignant ne manque pas, loin s’en faut, de sujets qui entreprennent. Malheureusement, l’administration constitue un obstacle, souvent rédhibitoire. Toute tentative d’innover, de proposer des modes alternatifs d’enseignement davantage adaptés au profil des enfants, est une épreuve. Enfin, n’oublions pas le dogme, si spécifique au système français et source de ses blocages : le faux conflit syndicats - administration. Tous deux forment en réalité un couple et se contrôlent mutuellement, dissuadant tout - et notamment les initiatives nouvelles et audacieuses - ce qui peut remettre en question les habitudes et les convictions, aussi dépassées ou inopérantes soient-elles. Ils s’accordent à maintenir le système dans la pesanteur et l’immobilisme. Et ainsi, toute expérimentation réussie est étouffée au lieu d’être essaimée.
    […]
    La rhétorique antilibérale et anti-entreprise au sein du corps enseignant est une réalité, parfois incohérente quand on sait combien l’univers de l’école, obsédé par les classements, soumis aux diktats de l’hyper sélection et de l’hyper compétition, opposé aux choix de carrière des élèves et capable de délaisser les plus vulnérables, est lui-même d’une extraordinaire brutalité ! […] Cet univers de l’école a, pendant longtemps, revendiqué une sorte de havre de paix, même une leçon de sagesse et d’exemplarité en riposte à la « brutalité » de la société, notamment économique. Ce temps est révolu parce que l’école elle-même est devenue brutale et dénonce la brutalité réelle du capitalisme pour cacher sa propre violence.
    […]
    Seules solutions : d’une part que l’école soit davantage éducative, c’est-à-dire qu’elle s’intéresse aux individus, à leur personnalité, à leurs champs singuliers, de réalisation ; d’autre part que les diplômes occupent une place moins importante dans la vie sociale.
    […]
    Pour l’essentiel, les inégalités scolaires sont le produit des inégalités sociales, et donc diminuent ou progressent proportionnellement à la réduction ou à l’accroissement de ces dernières. Or en France […] l’envergure des inégalités scolaires est bien supérieure à celles que laissent supposer les inégalités sociales. En cause : une culture scolaire sélective, et la perception qu’il n’existe aucune autre opportunité de réussite que l’école. Ce qui par ailleurs enjoint de taire définitivement les chimères dorées et récurrentes qui confèrent à l’école un levier d’ascenseur social ou la responsabilité de résoudre tous les maux de la société et de l’individu.
    […]
    La fiction du mérite est utile, mais elle ne doit pas devenir fantasme. La compétition méritocratique est la seule manière d’allouer des individus à des positions sociales inégalitaires. Mais ce mécanisme juste a priori peut engendrer de très grandes inégalités. Il faut donc être méritocratique sans aller au bout de cette logique et ce soucier surtout du sort de ceux qui n’ont pas de mérite.

    #éducation #système_scolaire #inégalités

    • Bravo : la plus grosse contradiction de l’école républicaine, ce « double-bind » qui la bloque et qui la mine, est ici pointée du doigt.

      Comme me disait un prof d’anglais au lycée sans se rendre compte de l’absurdité de son propos :
      « pour réussir il faut être dans la première moitié. Et ça, en bossant un peu, tout le monde peut y arriver ».
      Oui, mais pas en même temps. Ou bien il faut se serrer et partager les place que tout le monde dans la première moitié. Bref, que fait-on de la deuxième moitié ?

      L’école est empêtrée dans ses aspirations d’égalitarisme et d’élitisme, et ne s’en sort pas. A l’image de la société (capitaliste).
      Pour moi le problème, c’est notre attachement à la vision hiérarchique qui assurent les schémas de domination. Acceptons de sortir de l’élitisme sans pour autant renoncer à nos ambitions de performance sociale, technique, humaine. On verra que chaque individu pourra trouver une place utile et performante pour les autres, et gratifiante pour lui même..

      La rhétorique antilibérale et anti-entreprise au sein du corps enseignant est une réalité, parfois incohérente quand on sait combien l’univers de l’école, obsédé par les classements, soumis aux diktats de l’hyper sélection et de l’hyper compétition, opposé aux choix de carrière des élèves et capable de délaisser les plus vulnérables, est lui-même d’une extraordinaire brutalité ! […] Cet univers de l’école a, pendant longtemps, revendiqué une sorte de havre de paix, même une leçon de sagesse et d’exemplarité en riposte à la « brutalité » de la société, notamment économique. Ce temps est révolu parce que l’école elle-même est devenue brutale et dénonce la brutalité réelle du capitalisme pour cacher sa propre violence.

      […]

      La fiction du mérite est utile, mais elle ne doit pas devenir fantasme. La compétition méritocratique est la seule manière d’allouer des individus à des positions sociales inégalitaires.

      Et sinon ici aussi j’applaudis :

      Cette dimension permettrait aussi de développer une solidarité entre professeurs, trop souvent anémique. Comment ne pas me remémorer ces collègues rentrant en larmes d’un cours et qui s’isolaient au fond de la salle des professeurs sans que personne ne vienne les secourir... Le monde de l’enseignement est d’une solitude absolue au nom de l’autonomie de chaque enseignant. L’enseignant perfectible ou fragile ne sera jamais aidé ; ses collègues feront en sorte de ne pas placer leurs enfants dans sa classe. A toutes ces conditions, la fonction éducative pourrait être activée, et chacun pourrait se sentir pleinement « responsable ».

      #management

  • École : et si les ‘‘parents-consommateur’’ avaient raison ?
    http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20130404.OBS6843/ecole-et-si-les-parents-consommateur-avaient-raison.html

    Ils considèrent l’école comme un ‘‘self-service’’ et pour cela, sont honnis par le corps enseignants. Dans un ouvrage, le sociologue François Dubet prend leur défense.

    #Éducation #familles

    • Mais il ne peut en être autrement ! Lorsqu’on essaye d’être autre chose que « parent-consommateur », de proposer, d’intervenir, le corps enseignant se fige dans son drap blanc, en menaçant de plomber l’avenir de votre enfant si vous critiquez, c’est du vécu. C’est donc la seule issue proposée : fermer sa gueule ou enseigner chez soi. On en a pas toujours les moyens. Il n’y a pas que pour les enfants que l’école est le lieu d’apprentissage de la soumission.

      Un exemple débile : 3 jours de présence obligatoire chez Airbus la semaine précédent le brevet blanc. Le rattrapage des heures perdues se fait 2 mercredis de suite. On est prié de s’asseoir sur toute activité extra-scolaire prévue ce jour là, et sur le repos. Le fleuron de l’industrie française impose sa loi, fermez là.

  • Famille et école : Des chiffres inquiétants (Le Café Pédagogique)
    http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/11/08112012Article634879558939191439.aspx

    La conclusion mettait en évidence que le « malentendu » entre les parents et les enseignants dénoncé par François Dubet en 1980 était toujours présent, que cette défiance réciproque nourrissait l’échec scolaire mais aussi la violence tant des adultes que des élèves et qu’elle entraînait un délitement des liens sociaux. En conclusion, l’importance bénéfique du partenariat famille / école était mise en évidence et cinq points d’ancrage partenariaux et bénéficiant d’une expérimentation étaient présentés.
    […]
    Pour ce faire, nous avons choisi 3 approches qui nous semblent significatives de l’état des lieux de ce partenariat : côté parents d’une part le thème source de conflits de l’orientation des élèves et d’autre part les griefs et plaintes déposés auprès du Médiateurs de l’Éducation Nationale ; côté enseignants et chefs d’établissement, les agressions des parents dont ils sont victimes et la fréquence des difficultés rencontrées avec les parents.

    #éducation #relation_familles_école