person:françoise zonabend

  • De la fabrique médiatique des héros

    "Lundi 18 juillet. « Libération » affiche sa une. À côté d’une photo imprécise de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le terroriste islamiste de Nice, ces mots : « 31 ans, 84 victimes, adoubé par l’EI ». Les réactions pleuvent sur les réseaux sociaux : beaucoup sont choqués de cet affichage du visage de l’auteur de l’attentat du 14 juillet.

    Cette une en rappelle une autre, celle du 19 novembre 2015, qui offrait à nos regards le visage souriant d’Abaaoud. « Le visage de la terreur », était-il écrit aux côtés de la photo. Pourtant, cette une là, si elle pouvait émouvoir (à toute époque, le visage souriant de l’ennemi est inéluctablement choquant) pouvait aussi être comprise comme l’illustration de l’effrayante banalité du mal ; François Jost, dans ces colonnes, s’était fait l’écho de cette interprétation.

    Cette fois-ci, c’est différent. Les mots qui accompagnent la photo, si floue et si peu déterminante en elle-même, sont d’une autre nature. « 31 ans, 84 victimes » : nous sommes là dans le domaine de la performance ; on dirait presque un palmarès sportif. « Adoubé par l’EI » : le vocabulaire est chevaleresque. Dans notre imaginaire, celui qui est adoubé le mérite par sa valeur et son courage.

    Ce registre est celui de la fabrique du héros

    La figure d’un héros, ça se fabrique (selon le titre du passionnant livre, déjà ancien mais toujours à lire, de Pierre Centlivres, Daniel Fabre, Françoise Zonabend). Un héros naît d’une alchimie complexe, d’une conjonction entre un destin hors-norme ou spectaculaire au regard d’un certain nombre de critères sociaux du lieu et du moment et de la mise en branle d’instances de récits (médias, autorités, artistes, voies d’expression populaire, etc.) qui vont ériger ce destin en une histoire structurée et largement connue.

    Les mots de la une de « Libération » sont bien du registre de la fabrique du héros. Chez l’immense majorité des Français, ils ne vont évidemment déclencher aucun réflexe d’admiration, mais ils ne sont pas anodins alors qu’existe bien « en face » des mécanismes parfaitement huilées de mise en scène de figures héroïques.

    Cette une a cependant un mérite, malgré elle : nous renvoyer à nos propres représentations du héros. Qui sont nos héros, dans le contexte que traverse la France ? Où les trouvons-nous ?

    Le lendemain, le 19 juillet, « Libération » affichait un titre : « Soyons à la hauteur », au-dessus d’une nouvelle photo, celle de la foule assemblée en hommage sur la Promenade des Anglais. Le sens y est : la réponse est dans le collectif, raconte cette image, dans une société unie et forte. Mais aucun visage ne se détache.

    Aux visages très identifiables des ennemis qui frappent sur notre territoire, ne répondent que rarement des visages de héros. Aux histoires décortiquées de ces destins mortifères (nécessaires, car il est utile que nous connaissions l’ennemi) ne répondent que les portraits des victimes et des proches survivants."

    http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1540766-le-tueur-de-nice-en-une-des-medias-nous-manquons-de-figure

    #heroisation

  • Le terrain de soi
    http://www.laviedesidees.fr/Le-terrain-de-soi.html

    Rouvrant les #archives de ses « terrains » à Minot et à La Hague, l’ethnologue Françoise Zonabend s’interroge sur l’expérience intime du chercheur et sa liberté épistémologique. Les liens personnels qu’elle a tissés avec ses papiers savants la poussent à effectuer un « complément d’enquête », trente ans plus tard.

    Essais & débats

    / #sociologie, archives, #ethnographie

    #Essais_&_débats