person:fredric jameson

  • Mark Fisher, pop philosophe mélancolique
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/18/mark-fisher-pop-philosophe-melancolique_1698587

    C’est un petit livre, à peine plus épais qu’un opuscule, qui cache une forêt. Publié par Entremonde, éditeur genevois spécialisé dans les essais critiques et politiques, on aurait vite fait de laisser sa couverture noire et argent s’évanouir dans la pléthore éditoriale de l’automne. Certains, pourtant, attendent le Réalisme capitaliste, première traduction française du philosophe et critique Mark Fisher, depuis très longtemps. Ceux qui connaissaient la réputation de cette dissection habile du capitalisme tardif éditée en anglais en 2009, et louée par Slavoj Zizek et les philosophes accélérationnistes. Egalement ceux qui suivaient à la trace ses critiques musicales dans les magazines NME ou The Wire. Encore ceux qui étaient abonnés, dans les années 2000, au forum de discussion Dissensus, qu’il avait créé avec le blogueur journaliste Matt Ingram, et lisaient régulièrement son blog K-Punk pour découvrir au jour le jour les inventions théoriques qu’il y développait.

    #livres #édition #culture #musique #cinéma

    • Résultat de six ou sept années de recherches entamées à l’université et affinées sur Internet, Réalisme capitaliste n’est pas un livre sur l’art, ni sur la musique. Quelques musiciens comme Kurt Cobain y apparaissent, tout comme certains films et cinéastes (Wall-E, Blue Collar de Paul Schrader) mais c’est de loin son texte le moins référencé - il est ainsi moins ardu que le suivant, Ghosts of My Life (2014), qui développe nombre de ses idées par le prisme de la musique électronique, dont Fisher était un défenseur et un « pratiquant » fervent depuis l’ère des raves, au début des années 90. Vincent Chanson, qui travaille pour la maison d’édition Entremonde, précise : « Pour introduire Fisher aux lecteurs français, on a choisi de commencer par Réalisme capitaliste. L’entrée dans son œuvre par la musique est un peu rédhibitoire - les œuvres dont il parle sont peu connues hors des amateurs de jungle et de techno. »

      Comme son sous-titre l’indique (N’y a-t-il aucune alternative ?), le premier livre de Mark Fisher est plutôt un guide de survie dans un #capitalisme si englobant qu’il en circonscrit tous les possibles politiques. On connaît l’adage attribué à Zizek comme quoi « la fin du monde est plus facile à imaginer que la fin du capitalisme ». Le Slovène avait imaginé sa formule (ou l’avait emprunté au philosophe américain Fredric Jameson, personne n’en est bien sûr) pour expliquer la recrudescence des scènes de destruction massive dans l’#imaginaire hollywoodien. Lui-même lecteur attentif de Zizek et de Jameson et critique féru de cinéma de genre, Fisher débute son livre par un chapitre titré d’après la fameuse phrase du philosophe slovène et une analyse des Fils de l’homme d’Alfonso Cuarón (2006). Le philosophe l’estimait plus qu’aucun autre film d’anticipation pour sa manière de présenter « une dystopie qui soit spécifique au capitalisme tardif […], dans lequel l’ultra-autoritarisme et le capital ne sont nullement incompatibles : les camps d’internement y coexistent avec des coffee bars franchisés. » A travers ce film, qui se déroule au beau milieu d’une catastrophe dont les causes sont aussi impossibles à déterminer qu’une action qui viendrait l’arrêter, Fisher décrypte un temps où les sociétés auraient intégré que plus aucune rupture ne viendra mettre fin à un cycle infini de « réitération et repermutation ». Ce monde presque stérile, animé d’un « espoir messianique faible » et charriant la #dépression comme une épidémie, c’est bien sûr le nôtre, condamné depuis l’effondrement de l’URSS à survivre au sein d’un capitalisme sans alternative.

      Dans les années 2000 et 2010, d’où écrit Fisher, l’#art ne « peut plus qu’imiter des styles morts, parler avec des masques », et le capitalisme n’a plus besoin de « contenir et absorber les énergies venues du #dehors. A présent, c’est le problème contraire qui se pose à lui : n’étant que trop bien parvenu à assimiler l’extérieur, comment peut-il fonctionner sans un ailleurs qu’il peut coloniser et s’approprier ? » Le réalisme capitaliste est ainsi une tentative de description de ce qui reste quand « les croyances se sont effondrées, ramenées au niveau de l’élaboration rituelle ou symbolique ». C’est un capitalisme qu’on ne critique plus en soi mais dont on #critique les dérives de ceux qui profitent du système ; un réalisme qu’on ne peut plus contester sans se voir opposer un principe de réalité puisque l’idéologie qu’il incarne se présente comme un fait et non plus comme un argument (le fameux « il n’y a pas d’alternative » thatchérien).

      Incarnation d’un monde hanté
      Comment lutter ? Où planter les graines pour refonder un autre monde quand la gauche se partage entre les « immobilistes » et les « communistes libéraux, qui affirment que les excès immoraux du capitalisme doivent être contrebalancés par la charité », et que la croyance même à cet autre monde est présentée comme un fanatisme ? Avant de se lancer dans un sommaire préambule de réponse, Fisher, dans Réalisme capitaliste, décrit, analyse, fouille où il peut, dans les objets culturels notamment, qui sont ses biais critiques de choix. Et une grande part de son inquiétude provient des symptômes qu’il décèle dans les œuvres d’art elles-mêmes. D’une part, elles sont l’incarnation d’un monde hanté par son incapacité à se renouveler réellement, qu’il désignera plus tard par le mot-valise, emprunté à Derrida dans Spectres de Marx, d’« #hantologie ». De l’autre, elles se retrouvent emblématiques d’une incapacité à subvertir la culture capitaliste puisque cette dernière est désormais capable de les « précorporer », c’est-à-dire « formater et façonner de manière préventive les désirs, les aspirations et les espoirs » qu’ils expriment.

      #désir

  • Le #post-modernisme – Projet BaSES

    http://wp.unil.ch/bases/2013/08/post-modernisme

    Le post-modernisme

    Le postmodernisme est un mouvement qui apparaît dans les années ’70 dans les arts et s’étend à d’autres disciplines dont les sciences sociales. Il remet en cause le positivisme, la recherche de lois universelles et de « la » vérité, au profit d’une approche prennant en compte la diversité de points de vue, le fait qu’il n’y a pas qu’une vérité, et la prise en compte de la parole des minorités.
    Théorie

    Le postmodernisme est un mouvement qui apparait à la fin des années ’70 en architecture et qui s’étend à d’autres champs tels que la littérature, la philosophie et les sciences sociales. Il s’agit essentiellement de marquer une rupture avec la modernité : comme son nom l’indique, ce courant se veut une critique du modernisme, dominant dans la culture occidentale jusque dans les années ’60 et qui se réfère « à la science positiviste et à l’idéologie du progrès » (Darnell et Staszak, 2006, p.875).

    –—

    Comprendre le postmodernisme
    http://www.lemonde.fr/culture/article/2011/10/17/comprendre-le-postmodernisme_1589039_3246.html

    Postmodernisme : le mot est en usage depuis vingt ans au moins. Ce qui ne signifie pas que l’on s’accorde sur son sens. Des points de vue, convergents ou divergents, lui sont consacrés. Et une définition, du théoricien américain Fredric Jameson : le postmodernisme serait « la logique culturelle du capitalisme tardif ».

    Les auteurs de l’exposition « Postmodernism », au Victoria & Albert Museum de Londres, connaissent ces débats. Mais s’en tiennent à une seule question : dans les faits, ça a commencé quand et sous quelles formes ? Le sous-titre de la manifestation, « Style et subversion, 1970-1990 », est en lui-même une réponse. Ce serait un style, probablement subversif, actif jusqu’à la fin des années 1980 et qui aurait affecté toutes les formes de la création.

    • La géographie culturelle dans les pays anglophones

      Les perspectives anglo-saxonnes sur la #géographie_culturelle changent rapidement. Une révolte contre la géographie de Sauer se produit aux alentours de 1980. Elle s’inspire de la critique littéraire et des Cultural Studies britanniques comme de l’anthropologie américaine. Ces remises en cause donnent une dimension plus critique à l’approche culturelle en géographie. L’attention accordée aux femmes, aux jeunes, aux minorités s’accroît. Les échelles se modifient : la place du local et du domestique s’affirme. La dimension historique est réintroduite par le courant postcolonial, en même temps que le postmodernisme insiste sur les faiblesses et contradictions inhérentes à l’idée même de science. La géographie se rapproche des humanités, puisqu’elle traite comme elles d’une matière première faite de mots, de discours et d’images. On en vient à parler du tournant culturel de la discipline.

      https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2008-2-page-8.htm
      #géographie #épistémologie_de_la_géographie

    • J’ai pas encore lu tes liens sur le post-modernisme @reka je répond en attendant à curieux.

      Je ne pense pas que lae créateurice ait la seule vérité, c’est une vision de la vérité très biblique. L’idée d’un créateur omniscient et pure. Tu confond vérité et perception, vérité et point de vue. Les createurices ont une perception particulière, mais une partie de leurs créations échappe aux artistes, ne serai-ce que par l’aspect inconscient d’une partie du processus, à laquelle s’ajoute l’appartenance à une culture, à un genre, une époque, une caste...

      Il y a des informations dont seule les createurices ont la connaissance, mais ca veut pas dire qu’illes disposent de toutes les informations ni que les informations dont illes disposent soient suffisante pour évoqué une vérité complète et totale comme tu le fait. Lae createurice est lae seul·e à disposer de la vérité dula créateurice à un certain moment mais c’est pas La Vérité totale, ca reste un point de vue.

    • @mad_meg considère que c’est *très* exceptionnel et lié à un sujet qui est au cœur de mes recherches. Si javais le temps, mais en ce moment c’est très chaud, j’aurai bien sur chercher d’autres sources. Mais à défaut de temps je me suis résigné :) J’effacerai quand j’aurai trouvé de quoi remplacer...

  • Le marxisme face à la postmodernité : entretien avec Fredric Jameson
    http://revueperiode.net/le-marxisme-face-a-la-postmodernite-entretien-avec-fredric-jameson

    Aujourd’hui, au sein de la gauche radicale, il est impossible d’échapper aux complaintes mélancoliques sur le « postmodernisme » et ses prétendus effets néfastes sur la pensée émancipatrice. Fredric Jameson a été l’un des marxistes les plus disposés à refuser cette attitude de rejet. Ni rire ni pleurer : comprendre. Le postmodernisme n’est pas une élucubration d’intellectuels sans attache, mais l’environnement idéologique incontournable du capitalisme tardif. Dans cet entretien réalisé en 1993, Stathis Kouvélakis et Michel Vakaloulis interrogent Jameson sur les liens qui unissent son travail sur l’idéologie et l’utopie d’un côté, et sa tentative de périodiser le capitalisme postmoderne de l’autre. On y lit la tentative singulière de Jameson, au croisement de Sartre et Althusser, pour penser une nouvelle (...)

    #Uncategorized #modernité #postmodernité

  • Etat et Silicon Valley, une servitude volontaire - Monde Diplo
    http://alireailleurs.tumblr.com/post/142009791678

    Le Monde Diplo traduit et publie une nouvelle tribune d’Evgeny Morozov qui revient sur la faillite démocratique actuelle : “Tout indique que le capitalisme démocratique — cette créature étrange qui prétend concilier économie capitaliste (la loi d’une minorité minuscule) et #démocratie parlementaire (la loi de la majorité) — traverse une nouvelle « crise de légitimité ».” (…)“Ce qui rend la politique si désespérante aujourd’hui, ce n’est pas tant notre impuissance à imaginer comment le capitalisme s’effondrera — pour paraphraser une célèbre formule du penseur marxiste Fredric Jameson —, mais notre difficulté tout aussi grande à concevoir comment le capitalisme pourrait se perpétuer et maintenir un lien, si ténu soit-il, avec la démocratie. Pour l’instant, il n’y a guère qu’un seul scénario qui paraisse (...)

    • Les passages retenus par @hubertguillaud ici : http://seenthis.net/messages/475187

      Tout indique que le #capitalisme démocratique — cette créature étrange qui prétend concilier économie capitaliste (la loi d’une minorité minuscule) et démocratie parlementaire (la loi de la majorité) — traverse une nouvelle « crise de légitimité ». (…)

      Ce qui rend la politique si désespérante aujourd’hui, ce n’est pas tant notre impuissance à imaginer comment le capitalisme s’effondrera — pour paraphraser une célèbre formule du penseur marxiste Fredric Jameson —, mais notre difficulté tout aussi grande à concevoir comment le capitalisme pourrait se perpétuer et maintenir un lien, si ténu soit-il, avec la démocratie. Pour l’instant, il n’y a guère qu’un seul scénario qui paraisse plausible : un transfert accru des pouvoirs de décision politique — y compris dans des domaines aussi essentiels que les aides sociales ou la défense — dans les mains de la Silicon Valley. Certes, cela doperait la productivité et approfondirait le « déficit démocratique » qui ronge nos institutions. Mais la crise a atteint un tel degré d’intensité que le capitalisme semble avoir déjà renoncé à toute prétention de se parer d’un habillage démocratique, d’où la prolifération d’euphémismes pour désigner la nouvelle norme en vigueur (la « démocratie conforme aux marchés » d’Angela Merkel en donne un exemple illustre). De toute façon, les douces appellations des années 1970 qui célébraient le compromis entre capital et travail — démocratie d’entreprise, cogestion, dialogue social, etc — résonnent comme les vestiges d’une langue morte à une époque où l’économie des petits boulots ôte aux travailleurs jusqu’à leur droit de se syndiquer.

      (…) les compagnies technologiques ne sont pas seulement « trop grosses pour faire faillite », à l’instar des banques abreuvées d’argent public en 2008, elles sont aussi impossibles à défaire, ou même à reproduire, par quelque gouvernement élu que ce soit. Certaines d’entre elles exercent déjà des responsabilités qui incombaient jusque-là aux pouvoirs publics. Que l’on songe aux « smart cities », ces « villes intelligentes » érigées en modèle d’avenir, où les pontes de la Silicon Valley disposent d’un contrôle absolu sur nombre de services essentiels.

      Les industries des nouvelles technologies s’installent de plus en plus rapidement comme l’arrière-plan par défaut de l’action politique. Une fois que Google et Facebook exerceront les pleins pouvoirs sur des services dont nous ne saurions nous passer, le célèbre « il n’y a pas d’alternative » de Margaret Thatcher ne sera plus un cri de guerre idéologique, mais une description fidèle de la réalité.

  • Evgeny Morozov : The state has lost control : tech firms now run western politics | The Guardian
    http://www.theguardian.com/commentisfree/2016/mar/27/tech-firms-run-western-politics-evgeny-morozov


    Aargh ! La dystopie arrive à une vitesse jamais connue.

    It seems that democratic capitalism – this odd institutional creature that has tried to marry a capitalist economic system (the implicit rule by the few) to a democratic political one (the explicit rule by the many) – has run into yet another legitimation crisis.
    ...
    Today, global elites face two options for dealing with its latest manifestation. One is to accept the anti-establishment populism of Bernie Sanders or Donald Trump. Even though the two disagree on many social and political issues, both oppose the neoliberal consensus on globalisation, challenging the mainstream views on the virtues of free trade (as codified in treaties like Nafta or TTIP) and the need for America to play a robust role abroad (both would prefer a more isolationist stance).

    The other option, and a much more palatable one to the Davos crowd, is to hope for a miracle that would help convince the public that the structural crisis we are in is not structural and that something else – big data, automation, the “fourth industrial revolution” – will step in to save us or, at least, delay the ultimate rupture, a process that Streeck, brilliantly, has characterised as “buying time”.
    ...
    The grim reality of contemporary politics is not that it’s impossible to imagine how capitalism will end – as the Marxist critic Fredric Jameson once famously put it – but that it’s becoming equally impossible to imagine how it could possibly continue, at least, not in its ideal form, tied, however weakly, to the democratic “polis”. The only solution that seems plausible is by having our political leaders transfer even more responsibility for problem-solving, from matters of welfare to matters of warfare, to Silicon Valley.
    ...
    Many of them have already taken on the de facto responsibilities of the state; any close analysis of what’s happening with “smart cities” – whereby technology firms become key gateways to essential services of our cities – easily confirms that.
    ...
    The worst is that today’s legitimation crisis could be our last. Any discussion of legitimacy presupposes not just the ability to sense injustice but also to imagine and implement a political alternative. Imagination would never be in short supply but the ability to implement things on a large scale is increasingly limited to technology giants. Once this transfer of power is complete, there won’t be a need to buy time any more – the democratic alternative will simply no longer be a feasible option.

    #it_has_begun #capitalisme #technologie #démocratie #technocratie #dictature

  • Genèse d’un repas, ou l’économie mondiale dans une boîte de thon | Période

    http://revueperiode.net/genese-dun-repas-ou-leconomie-mondiale-dans-une-boite-de-thon

    Ce film que m’a fait connaître @cdb_77 est un pur chef-d’oeuvre.

    En 1978, Luc Moullet réalisait un film qui tend à représenter les rapports de production à l’échelle mondialisée. Aujourd’hui, à l’heure où la théorie sociale est animée par l’enjeu de la totalité et sa représentation, l’article d’Audrey Evrard décrypte ce film, Genèse d’un repas, pour en détailler l’apport essentiel : sa mise en scène novatrice des rapports néocoloniaux dans les chaînes globales de marchandises, la stratification raciale entre travailleurs du Nord et du Sud. Entre critique du consumérisme occidental et du racisme en milieu ouvrier, Genèse d’un repas est au plus proche d’une pratique de « cartographie cognitive » appelée de ses vœux par Fredric Jameson.
    Print Friendly

    Critique et cinéaste, contributeur régulier aux Cahiers du Cinéma depuis 1956, Luc Moullet reste largement inconnu du grand public aussi bien en France qu’à l’étranger. Auteur d’un cinéma développé en marge des conventions politiques et artistiques, Moullet a néanmoins produit un corpus de films assez riche et contribué activement à la culture cinéphilique française. Cela lui valut d’être honoré par le Centre Pompidou à Paris en 2009, où le public a pu avoir une rétrospective de son œuvre.

    #cinéma #documentaires #mondialisation #alimentation #pêche #agriculture

  • L’imaginaire monumental des milliardaires, par Johan Popelard (Le Monde diplomatique, avril 2015)
    http://www.monde-diplomatique.fr/2015/04/POPELARD/52869

    Inaugurée à Paris en octobre 2014, en bordure du Jardin d’acclimatation, la Fondation Louis Vuitton a pu tourner la page du long feuilleton juridico-politique qu’avait suscité, de 2007 à 2012, le permis de construire accordé par M. Bertrand Delanoë, alors maire de la capitale — dont le chargé de la culture, M. Christophe Girard, était également employé par le groupe Moët Hennessy-Louis Vuitton (LVMH)—,et qui ne dut d’être validé que par la grâce d’une astuce législative. Tout est oublié, place à un déluge d’éloges médiatiques. Rien de très surprenant étant donné la puissance financière du maître d’œuvre Bernard Arnault, le rayonnement de la marque et la renommée de l’architecte. Consacrée à l’art contemporain et créée par un groupe présent dans l’industrie du luxe et les médias (1), la fondation se joue des frontières : elle a pu, dans les journaux, accaparer les pages de mode comme les rubriques culturelles et people, faire l’objet d’analyses politiques aussi bien qu’économiques. Mais c’est d’abord et surtout le bâtiment signé par Frank Gehry — un « faiseur de rêves », selon le site de la fondation — qui s’est trouvé immédiatement enveloppé de métaphores : immense voilier, grand oiseau sur le point de s’envoler, nuage étincelant... Le président de la République n’a pas été en reste. Il a rendu, lors de l’inauguration, un hommage vibrant au « mécène » qui offre « l’art contemporain au regard de tous » —même si le premier mécène, en l’occurrence, est le contribuable, puisque 66 % des sommes investies dans une fondation sont déduites des impôts. Et il s’émerveilla « C’est un palais, un palais de cristal pour la culture. »

    Tout le monde n’a pas cet enthousiasme, et il n’est plus tout à fait singulier de souligner que, derrière l’emballage philanthropique, cette fondation, comme bien d’autres, vise à enrichir l’image des marques LVMH, même s’il s’agit moins de gains économiques que de « retombées émotionnelles », pour citer M. Jean-Paul Claverie, conseiller de M.Arnault (The New York Times, 10 mai 2014). Mais en quoi peut bien consister cet enrichissement-là ?

    A visiter le bâtiment, on constate qu’il y a en réalité deux Fondations Louis Vuitton, qui ne coïncident qu’imparfaitement. On peine en effet à reconnaître dans l’édifice le corps glorieux fabriqué par la photographie et les métaphores. Tel est sans doute le destin de l’architecture entrée dans la logique du star-système : elle ne se réalise et ne se consomme pleinement que dans la photographie. Comme l’écrivait le théoricien marxiste Fredric Jameson, l’intérêt pour l’architecture postmoderne exprime un « appétit de photographie » ; « c’est la valeur du matériel photographique que vous consommez d’abord et avant tout, et non celle de l’objet (2) ».

    Cette déception est renouvelée quand on compare le produit final aux dizaines de maquettes préalables produites par l’agence d’architecture. Lumineuses et cristallines, elles manifestent une vitalité fragile que n’atteint jamais le bâtiment : agrandie, l’architecture est saisie par ce que Friedrich Nietzsche appelait « l’éloquence de la puissance (3) ». L’examen de cette « éloquence » permet d’observer que la Fondation Louis Vuitton n’est pas seulement l’alibi culturel de logiques économiques, mais aussi la mise en signes du capitalisme financiarisé, la démonstration publique de sa force.

    La Fondation Guggenheim, à Bilbao, se veut à l’image des vagues du fleuve ; la Fondation Louis Vuitton évoque un nuage ou un voilier ; la future Fondation Luma, créée à Arles par Mme Maja Hoffmann, héritière d’un groupe pharmaceutique, prétend s’inspirer de la touche de Vincent Van Gogh : les architectures de Gehry déploient un imaginaire de la fluidité. Ses structures élastiques et ses armatures aériennes, qui se revendiquent du souvenir des serres et des pavillons, sont aux antipodes de certaines architectures impérieuses du capitalisme du XXe siècle ; loin, par exemple, de la massivité du Rockefeller Center. « A l’image d’un monde qui change en permanence, nous voulions un bâtiment qui évolue en fonction de l’heure et de la lumière, afin de créer une impression d’éphémère et de changement », affirme Gehry sur le site de la Fondation Louis Vuitton. Ou encore : « Cette architecture doit être comme un rêve (4). » Fluidité, élan aérien... en correspondance avec l’actuel maître-mot du capitalisme, la mobilité, et son appel pressant à la réinvention permanente contre la « rigidité » des structures.

    Même l’intérieur témoigne de cette aspiration : une fois passé le hall monumental vitré, le visiteur accède par une série de rampes, d’escaliers et de couloirs, à la logique indéchiffrable, aux vastes salles encore vides ou presque, aux angles souvent déroutants — le commanditaire a quand même exigé que les murs soient droits pour accueillir les œuvres de sa collection, quand elles arriveront. Des terrasses étagées permettent d’examiner, près d’un palmier en pot, l’extérieur des cubes tordus qui abritent les salles. Le bois de Boulogne ou la tour Eiffel apparaissent dans l’interstice des voiles, tandis que sous l’édifice s’épand le bassin féerique du Grotto... Plus que les collections, c’est l’édifice dans sa totalité, reflets, labyrinthe, qui est l’œuvre : le registre ancien de la stabilité, la solidité de l’ordre classique des XIXe et XXe siècles, quand Bourse, banques, musées copiaient à travers le monde le Parthénon, sont « dépassés ».

    Volutes, plis et torsions, la théâtralité baroque de Gehry correspond avec élégance au « nouvel esprit du capitalisme (5) » : il ne s’agit plus d’incarner la sécurité et la dignité, mais le mouvement perpétuel et l’audace. L’engouement des puissants pour ses créations tient précisément en partie à leur capacité à « performer » « les rituels d’une culture de la circulation », comme l’écrit par exemple l’historienne de l’architecture Joan Ockman (6), où « la vitesse, l’étendue et l’intensité des transformations économiques globales ont renversé les logiques antérieures de la représentation ».

    A travers cette esthétique, ce n’est donc pas seulement « la marque qui parle », mais, plus profondément, ce fantasme de la « liquidité (7) » propre au capitalisme tardif, chantre de la circulation ininterrompue des capitaux et du « désir qui s’engage en sachant pouvoir se désengager, selon l’économiste Frédéric Lordon, qui investit sous la garantie de pouvoir désinvestir, ou qui embauche avec l’idée de pouvoir débaucher (8) ».

    Rowan Moore, critique d’architecture à The Observer, l’un des rares à formuler des réserves, déplore que les grandes voiles vitrées qui enveloppent le bâtiment en brouillent la lecture et brisent l’accord entre structure et façade. Sans elles, selon lui, la fondation « aurait pu être la version adulte, magnifiée, du théâtre de Guignol d’un parc pour enfants (9) ». Le critique anglais aurait voulu voir le bâtiment s’en tenir à la logique rationnelle d’un projet utile. Or l’architecture de Gehry devait nécessairement excéder ces limites. Inutiles, coûteuses et peut-être nuisibles sur un plan architectonique, les voiles n’en remplissent pas moins un rôle indispensable sur le plan sémantique. Elles sont l’« emblème » voulu par le mécène. L’œuvre offre ainsi la figure d’un monde où l’ordre des choses pourrait sans cesse être recomposé. Comme l’écrit Jameson, les éléments « flottent à une certaine distance les uns des autres en une stase, une suspension miraculeuse, qui, comme les constellations, va immanquablement se désunir la minute suivante (10) ». La fondation se donne à voir par une série de profils successifs, de fragments, qui se dérobent les uns après les autres, sans jamais se rejoindre. « Je pense cela comme un chaos contrôlé que je relie à l’idée de démocratie pluraliste, envisagée comme lieu d’une collision des idées (11) », écrit l’architecte. Autrefois, Victor Gruen, l’inventeur du shopping mall, chez qui le jeune Gehry fit ses premières armes dans les années 1950, voulait faire du centre commercial une « agora moderne (12) »...

    Mais cette architecture subjugue plus qu’elle ne libère. Le spectateur n’est jamais maître de ce jeu de recomposition incessante. Comme dans un conte fantastique où les parois se meuvent en permanence, interdisant au personnage toute certitude spatiale, il est le jouet, plus ou moins admiratif, de la machine à effets construite par l’architecte, et se tient dans le rêve d’un autre. Comme le souligne l’historien de l’art américain Hal Foster, la liberté créatrice de l’architecte n’a certainement pas pour résultat la liberté parallèle du visiteur (13).

    Si le bâtiment de la Fondation Louis Vuitton est bien, comme l’indique l’accueil qui lui a été fait, un monument emblématique, il l’est de la puissance du commanditaire plutôt que de sa générosité, de la consommation spectaculaire plutôt que de l’idée démocratique, d’une fastueuse mise en forme des valeurs du libéralisme financier plutôt que d’un art pour tous... Arrivés à ce point de déploiement des utopies liquides et des architectures de rêve, on ne peut alors qu’aspirer à la récupération de l’autonomie des institutions publiques de la culture, à une organisation des artistes sur le mode des coopératives de production ou à la démocratisation de la commande contre le monopole des mécènes (14). Afin que s’ouvrent d’autres voies pour l’art que celle qui mène au jardin d’acclimatation du capitalisme.

  • Une nouvelle interprétation du Capital
    http://revueperiode.net/une-nouvelle-interpretation-du-capital

    Dans cette intervention, Fredric Jameson se propose de lire le Livre I du Capital de Marx comme un véritable récit. Face aux énigmes de la production capitaliste, une enquête minutieuse fait apparaître une série de solutions, qui débouchent toutes sur un nouveau problème. Comme souvent chez Jameson, dialectique et narration se rencontrent et se fécondent mutuellement. La conséquence de cet examen est de repenser la radicalité du Capital à partir de ses élans utopiques et de sa soustraction à la politique au sens étroit du terme. Contre toute réconciliation dans l’Utopie, le communisme du Capital est « l’inimaginable accomplissement d’une alternative radicale dont on ne saurait pas même rêver (...)

    #Uncategorized #critique_de_l'économie_politique #esthétique

  • From Deleuze to LOLCats, the Story of the BuzzFeed Guy | Critical-Theory.com
    http://www.critical-theory.com/from-deleuze-to-lolcats-the-story-of-the-buzzfeed-guy

    So you might be surprised to know that the genius behind it all once wrote an article about Gilles Deleuze, Fredric Jameson, queer theory and the commodification of the internet. New York’s Andrew Rice describes the surprise of the viral mastermind’s background

    #buzzfeed #journalisme #presse #deleuze

  • & si on mettait le nationalisme en question ?
    http://www.fabula.org/revue/document7472.php

    Des littératures combatives est un ouvrage collectif publié sous la direction de Pascale Casanova chez Raisons d’agir. S’il offre plusieurs articles permettant d’enrichir la réflexion théorique et épistémologique sur le national, il n’échappe pas complètement à l’écueil de la description qui se détourne de cette approche en évitant de questionner la nature et la réalité même de ce qui est observé.
    L’ouvrage réunit neuf contributions dont un article (inédit en français) de Fredric Jameson, déjà publié en 1986 dans New political science sous le titre « Thirld‑World Literature in the Era of Multinational Capitalism » et présenté comme un contre‑modèle pour les études postcoloniales. L’objet du collectif est « d’observer les phénomènes littéraires à échelle nationale, mais à partir du “promontoire” mondial » (Braudel) (p. 11), en une démarche posée comme inverse de celle entreprise par les travaux précédents de P. Casanova, qui consistait à mettre au jour les formes d’autonomie de la littérature, vers la création d’un espace mondial non national. Il s’agit « d’internationaliser la pensée sur le national », en mettant à disposition du public francophone (français…) des pensées et des outils formulés ailleurs, ce qui permettra sans doute de lutter « contre l’illusion nationaliste » (p. 24‑25).