person:günther anders

  • Günther Anders, « L’#Obsolescence de l’homme », 1956

    Picoré sur FB

    « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.

    L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.

    Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.

    En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.

    L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. »

    Günther Anders, "L’Obsolescence de l’homme", 1956

    #aliénation

  • Autrement la Molussie
    http://www.nova-cinema.org/prog/2017/163-decembre/kino-climates-melting-pots/article/autrement-la-molussie

    Nicolas Rey, 2012, FR, 16mm, VO FR DE ST FR, 81’

    Film en neuf bobines-chapitres projetées dans un ordre aléatoire (soit 362 880 possibilités !), basé sur des fragments de La catacombe de Molussie, roman allemand écrit par Günther Anders entre 1932 et 1936. Des prisonniers d’une geôle d’un état fasciste imaginaire, la Molussie, se transmettent des histoires à propos du dehors, comme autant de fables à portée politique et philosophique. « Simplement filmer ce pays imaginaire. (...) Fabriquer quelques machines pour rendre l’entreprise plus complexe et le résultat moins prévisible. Ne pas omettre de filmer quelques humains dans leur activité la plus courante : le travail. Un pays n’est jamais complètement désert. » Tourné avec de la pellicule périmée, développé et auto-produit à (...)

  • Pourquoi n’avons-nous plus vraiment peur de la bombe ?
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/10/05/pourquoi-n-avons-nous-plus-vraiment-peur-de-la-bombe_5196654_3232.ht

    Soixante-douze ans après les premiers – et uniques – bombardements atomiques, menés en août 1945 sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki, voilà que ressurgit le spectre de la guerre atomique, et derrière lui son cortège d’images apocalyptiques. Une perspective inouïe, terrifiante, que l’on a un peu vite reléguée à l’arrière-plan avec la fin de la guerre froide.
    Banalisation

    Les spécialistes, pourtant, ne cessent de le répéter : le risque d’une attaque nucléaire est aussi grand aujourd’hui qu’à la fin des années 1980 – si ce n’est plus. Pourquoi alors un tel déni de réalité ? Les peuples et les chefs d’Etat auraient-ils estompé dans leur imaginaire le pouvoir mortifère de cette arme de destruction massive ? Et le vrai danger ne réside-t-il pas précisément là, dans cette banalisation de la bombe atomique ?

    A tort, estiment les experts, pour qui la menace du nucléaire militaire n’a jamais disparu. « Aujourd’hui, le danger d’une catastrophe nucléaire est plus important que pendant la guerre froide, et la plupart des gens l’ignorent avec joie », affirme même William J. Perry. Secrétaire américain à la défense de 1994 à 1997, ce démocrate a publié My Journey at the Nuclear Brink (Stanford University Press, 2015, non traduit en français), ouvrage dans lequel il détaille les menaces actuelles. Parmi elles : une guerre nucléaire régionale entre l’Inde et le Pakistan – avec des impacts mondiaux dévastateurs. Et les dangers se sont encore intensifiés depuis la publication de ce livre.

    Moscou et Washington modernisent et renforcent leur domination nucléaire, la Corée du Nord est devenue le neuvième pays dans le monde à posséder l’arme atomique, l’Iran est technologiquement en mesure d’être le dixième… A quoi s’ajoute l’éventualité d’un conflit « non conventionnel », au cours duquel des armes nucléaires échapperaient aux contrôles étatiques et internationaux.

    Dès lors, comment expliquer que ce risque soit si peu débattu ? Que la peur de l’atome militaire ne soit pas plus palpable ? « Cet aveuglement est dû avant tout à l’énormité des conséquences qu’aurait une guerre nucléaire », répond Jean-Pierre Dupuy. Cet ingénieur général des Mines devenu philosophe rappelle la pensée fondatrice de l’Allemand Günther Anders (1902-1992) au sortir de la seconde guerre mondiale : lorsque le mal devient énorme, nous ne pouvons plus nous le représenter.
    « On sait qu’une destruction nucléaire intégrale est possible d’un point de vue abstrait, mais le néant est la chose la plus difficile à se figurer », abonde le philosophe Michaël Fœssel.

    #Nucléaire #Bombe_atomique #Guerre

  • Puisque la métaphore est plus rapide pour accuser l’innocence face à l’utilisation de la bombe atomique, je découvre le film
    Little Boy (2015)
    http://www.imdb.com/title/tt1810683/?ref_=nv_sr_2

    Et bizarrement, une découverte n’arrive jamais seule, je viens de voir la pièce « L’apocalypse selon Günther » (par la cie Protéo) à #Lille, tirée du livre L’obsolescence de l’homme de Günther Anders. Qui narre dans une ambiance atompunk (cf https://seenthis.net/messages/594572 ) le regard du peuple américain sur ce qui vient d’advenir : l’utilisation de la bombe atomique sur Hiroshima… le regret hypothétique du pilote, miroir d’une conscience enfouie, amnésie traumatique.

    Le 6 août 1945, la famille Anderson partage un repas devant la télévision, comme chaque jour. Installée dans son quotidien, elle assiste à l’horreur des images d’Hiroshima. Ô tristesse, le repas n’a plus la même saveur ! Les images perturbent le déroulement habituel du fameux dimanche après-midi en famille.
    « L’apocalypse selon Günther » est le procès d’un monde fonctionnel et confortable en proie à l’apocalypse.
    C’est une recherche collective inspirée des textes du philosophe Günther Anders pour un théâtre de corps, cruel, étrange et drôle.

    Un spectacle mis en scène par Louise Wailly et mis en jeu par Camille Dupond, Emilie Guil, Jacob Vouters,
    Michaël Wiame et Edmond Lameutte.

    http://www.theatre-verriere-decouverte.org/spectacle/index.php/component/content/article/13-spectacles/spectacles/345-en-attendant-le-grand-soir-12

  • Lisez Ellul ! Lisez Charbonneau !
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=904

    Voici une introduction de Jean Bernard-Maugiron aux deux fondateurs de la critique radicale des technologies, Jacques Ellul et Bernard Charbonneau. Ce texte est également lisible sur le site de la Grande mue, consacré à Bernard Charbonneau (ici) et en version papier (voir conditions ci-dessous). C’était dans les années Trente, bien avant Jaime Semprun et René Riesel, avant André Gorz , Ivan Illich, Herbert Marcuse, avant même Günther Anders et Hannah Arendt, Bernanos et Orwell, Simone Weil et Saint Exupéry ; c’était en même temps ou à peu près que Giono et Lewis Mumford ; c’était deux jeunes gens de province qui, depuis leur bourgeoise ville de Bordeaux, s’étaient mis en tête de comprendre leur monde. C’est-à-dire l’Etat et la technique dont la fusion constituait à leurs yeux le fait majeur de (...)

    « http://lagrandemue.wordpress.com » #Documents
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/bcje_toile.pdf

  • Lumières versus #transhumanisme

    « Le transhumanisme, c’est le post-modernisme en action »
    PMO (Groupe Pièce et Main d’Œuvre – Grenoble)

    Dans un précédent numéro d’@Anarchosyndicalisme ! (n°150) nous avions tenté de présenter le transhumanisme et ses chimères (http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article824). Nous avions rappelé comment, sous couvert d’améliorations thérapeutiques, sa propagande parvient à rallier un nombre important de scientifiques et d’universitaires dont les recherches dans les domaines des NBIC (nano, biotechnologie, informatique et sciences cognitives) bénéficient de financements colossaux de la part de sociétés comme Google et consort. Nous nous étions attachés à montrer comment cet « humain amélioré », dit post-humain, ce cyborg dont rêvent les transhumanistes, côtoierait, dans une société cauchemardesque, ceux qui n’auraient pas pu ou voulu s’améliorer, les « chimpanzés du futur », restés tout simplement au stade naturel de leur humanité. Ils se verraient donc dominés par une caste de surhumains à l’intelligence décuplée (par des implants cérébraux directement reliés à des ordinateurs) à la longévité et à la force prodigieuse.

    Nous souhaitons approfondir cette première réflexion en nous attelant à la tâche ardue de rendre compte de l’ouvrage remarquable de Nicolas Le Dévédec, « La Société de l’amélioration : la perfectibilité humaine des Lumières au transhumanisme » (2015, éditions Liber), dont l’ambition est de comprendre comment s’est opéré un renversement complet de l’idéal humaniste des #Lumières, comment l’amélioration de l’être humain dans et par la société a fait place à une conception adaptative et modificatrice de l’identité humaine. Ce lent basculement de l’idée de progrès de la sphère politique à la seule sphère technoscientifique (basculement qui culmine avec le transhumanisme) ne s’est pas fait en un jour. Il est intéressant de suivre l’histoire des idées, d’interroger l’évolution de l’idée de progrès, de suivre sa dépolitisation, sa désocialisation, au profit de l’amélioration modificative des individus. Il tente d’établir une généalogie du transhumanisme.

    Pour des raisons aisément compréhensibles, nous ne ferons qu’une modeste « visite guidée » , forcément abrégée, donc réductrice. Nous renvoyons les lecteurs qui souhaitent une approche plus détaillée, à l’ouvrage de Le Dévédec.

    En ces temps de confusion et d’ « inversions malignes » , il n’est pas inintéressant de suivre ce processus de basculement de l’idée-phare de progrès : ce phénomène d’altération ou de renversement de sens des concepts, des idées est finalement si répandu qu’il caractérise assez bien notre temps.

    Il faut remonter à l’antiquité grecque pour trouver la première tentative de caractérisation de l’humain comme être autonome, s’inventant et donc s’améliorant lui même : c’est le fameux mythe de Prométhée, rappelé par Platon dans le Protagoras. Epiméthée, chargé par les dieux de dispenser à toutes les espèces leurs qualités propres, a oublié dans sa distribution les humains qui se trouvent dépourvus de tout. Afin de réparer cette bévue, son frère, Prométhée, décide de dérober le feu aux dieux, symbole de la technique et de la culture…

    A peine ébauchée, cette « autonomie humaine » sera bientôt balayée par le monde médiéval et l’institution du christianisme. Pour le christianisme et ses théologiens (saint Augustin entre autres) l’amélioration ne peut venir que de l’obéissance aux commandements divins ; le véritable salut n’intervenant que dans l’au-delà. L’homme, marqué par le sceau infamant du pêché originel ne peut que tenter de s’améliorer sans jamais y parvenir, dieu seul incarnant la perfection. Chacun chemine donc ainsi vers son salut individuel dans une société ultra-hiérarchisée, immuable, conforme en tous points à la « volonté divine » .

    La Renaissance marque la fin de cette époque de soumission et l’humanisme, en faisant de l’homme la « mesure de toute chose » renoue avec l’antiquité grecque tout en annonçant l’arrivée des Lumières.

    C’est Jean-Jacques Rousseau , qui emploie le premier, en 1755, le terme de perfectibilité dans son « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes » . Cette spécificité qui permet à l’homme, contrairement aux animaux, d’améliorer sa condition, Rousseau en perçoit toute l’ambivalence.

    « Il serait triste pour nous d’être forcés de convenir que cette faculté [la perfectibilité] distinctive et presque illimitée est la source de tous les malheurs de l’homme, que c’est elle qui le tire à force de temps de cette condition originelle dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents ; que c’est elle qui faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même et de la nature ».

    La perception de cette ambivalence de la perfectibilité et l’anticipation du mésusage qui pouvait être fait du progrès, ont valu à Rousseau d’être poussé par ses détracteurs dans le camps des « primitivistes » et des nostalgiques d’un âge d’or, ce qui n’est absolument pas son propos.

    Rousseau n’envisage l’amélioration que dans et par la société et défend avec force le principe « d’auto-institution » explicite de la société (pour reprendre les termes de Castoriadis).

    On peut considérer que c’est avec Condorcet, autre penseur majeur des Lumières, que s’amorce un premier glissement du progrès vers la sphère technoscientifique. Théoricien de la « mathématique sociale » , il considère que la raison et la science doivent apporter l’amélioration rationnelle dont la société a besoin. Il affirme avec force sa foi en un progrès indéfini :

    « La perfectibilité de l’homme est réellement indéfinie ; les progrès de cette perfectibilité désormais indépendante de toute puissance qui voudrait les arrêter, n’ont d’autre terme que la durée du globe où la nature nous a jetés ».

    Dans son « Esquisse d’un tableau historique du progrès de l’esprit humain » , il en vient même, emporté par son enthousiasme, à envisager la fin de la mort :

    « Serait-il absurde, maintenant, de supposer que ce perfectionnement de l’espèce humaine doit être regardé comme susceptible d’un progrès indéfini, qu’il doit arriver un temps où la mort ne serait plus que l’effet ou d’accidents extraordinaires ou de la destruction de plus en plus lente des forces vitales, et qu’enfin la durée de l’intervalle moyen entre la naissance et cette destruction n’a elle-même aucun terme assignable » .

    Deux siècles plus tard, les transhumanistes utiliseront cette proposition pour établir une filiation que Condorcet aurait très certainement rejetée, la société harmonieuse dont il rêvait n’ayant aucun point commun avec la cité cauchemardesque des transhumanistes.

    Autant les penseurs des Lumières conçoivent le progrès comme l’instrument de la volonté émancipatrice des hommes, autant leurs successeurs du XIXe siècle vont envisager le progrès comme une force extérieure à laquelle il est nécessaire de se soumettre.

    Auguste Comte, le fondateur du positivisme, va s’ingénier à dénoncer la conception humaniste des Lumières : pour lui, les hommes ne sont pas maîtres de leur destin social et historique, le progrès s’impose comme une loi naturelle à laquelle ils sont contraints d’obéir :

    « En général, quand l’homme paraît exercer une grande action, ce n’est point par ses propres forces qui sont extrêmement petites. Ce sont toujours des forces extérieures qui agissent pour lui, d’après des lois sur lesquelles il ne peut rien. »

    La société que propose Auguste Comte se révèle autoritaire et dogmatique ; la direction en serait confiée à des savants et à des industriels auxquels tous devraient obéissance, et, grâce à la science et à la technique, l’humanité accèderait véritablement au bonheur, état final de perfection vers lequel l’humanité tend inéluctablement.

    La conception marxiste de « la nécessité de fer du progrès » (1) s’inscrit en droite ligne dans la succession du positivisme de Comte et du déterminisme qui le sous-tend. Si l’on peut considérer que le jeune Marx se trouve encore en partie dans la continuation de la conception volontariste de l’amélioration sociale promue par les Lumières, le Marx de la maturité, tout à son obsession d’établir des lois incontestables de l’évolution des sociétés grâce à son « matérialisme scientifique » , rejoint le camp des déterministes scientistes qui font peu de cas de la liberté humaine :

    « Qu’est-ce que la société quelle que soit sa forme ? Le produit de l’action réciproque des hommes ? Les hommes sont-ils libres de choisir telle ou telle forme sociale ? Pas du tout. » (2)

    Le progrès version marxiste ne résulte donc pas d’un choix délibéré des humains mais se révèle être une force supérieure qui contraint l’histoire et ses acteurs. Le projet scientifico-technique prend le pas sur le projet politique, et, pour Marx, l’émancipation finale ne pourra intervenir qu’à condition de se conformer à la « loi naturelle » qu’il s’agit de découvrir et qui régirait toute l’histoire humaine :

    « Jamais une société n’expire avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir et jamais un système de production nouveau et supérieur ne s’y substitue avant que les conditions matérielles d’existence aient été couvéees dans le sein même de la vieille société. » (3)

    Le « communisme » stade ultime de la société humaine s’accompagnera nécessairement, pour les marxistes, de la maîtrise totale de la nature :

    « Ce sera la domination pleinement développée de l’homme sur les forces naturelles, sur la nature proprement dite ainsi que sur sa propre nature. »

    Cette idée de maîtrise totale de la nature et donc de la nature humaine n’est pas l’apanage du seul marxisme. A la suite de la démonstration faite par Darwin de l’évolution des espèces, un certain nombre de penseurs du XIXe siècle vont détourner cette découverte, la sortant du champ scientifique où elle est parfaitement valide (celui de la biologie) pour tenter de l’appliquer dans un autre champ (celui de la sociologie), à l’encontre, il faut le souligner, de la volonté de Darwin. Sur la base de ce détournement de concept, un auteur comme Herbert Spencer créait le « darwinisme social » (ou « évolutionnisme philosophique » ) et légitimait ainsi les sociétés inégalitaires dans lesquelles la notion de « sélection naturelle » justifierait que les forts dominent les faibles. Certains de ces « penseurs » pousseront plus loin et s’orienteront carrément vers l’eugénisme, n’hésitant pas à envisager la mise en place d’une sélection visant à éliminer physiquement les individus les plus faibles. On sait à quelles abominations ont conduit ces théories.

    Si tout au long du XIXe siècle l’idée de progrès, de perfectibilité est restée liée à celle d’une amélioration de la société échappant en grande partie à la volonté humaine, à partir de la seconde moitié du XXe siècle, après le traumatisme des deux guerres et des totalitarismes nazi et stalinien, l’espoir de l’avènement quasi inéluctable d’un monde meilleur semble sérieusement compromis.
    C’est sur cette absence de perspectives que va proliférer toute une lignée de penseurs qui va faire du remodelage et de la reconstruction de l’humain la seule possibilité d’amélioration. Discréditée, la transformation du monde cède la place à la transformation de l’humain, d’autant plus facilement que les stupéfiantes possibilités des ordinateurs (pourtant de première génération au début de cette période) prouveraient, du moins pour ce courant de pensée, l’inadaptation et l’imperfection totale de l’homme. Norbert Wiener, père de la cybernétique, déclarait :

    « Nous avons si radicalement changé notre milieu, que nous devons nous modifier nous-mêmes pour être à la hauteur de notre environnement. »

    A l’inverse, Günther Anders définira très bien ce nouveau sentiment d’infériorité et d’imperfection humaine comme « la honte d’être né plutôt que d’avoir été fabriqué » (4). On assiste ainsi à un retour en grande pompe de l’imperfection de l’homme, cette fois-ci non plus face à Dieu mais face à la machine.

    Ce n’est sans doute pas un hasard si c’est un jésuite, Teilhard de Chardin, qui se fait le premier l’apôtre de cette nouvelle religion de l’amélioration et qui appelle de ses vœux la venue de « l’ultra-humain » . Dès le milieu du XXe siècle, les bases théoriques d’une reconstruction de l’humain sont posées. Dans les années 80, les courants constructivistes et post-modernes (5) vont apporter leur contribution à l’entreprise de démolition de l’humanisme et ouvrir une voie royale au dangereux transhumanisme.

    (1) - On connaît la passion des marxistes pour le fer : la discipline de fer du parti, le rideau de fer, le balai de fer de Trokski… Fort heureusement, tous ce fer a fini par rouiller.

    (2) - Lettre à Annenkov, Misère de la philosophie.

    (3) - Avant-propos à la « Critique de l’économie politique » .

    (4) - Pour un aperçu partiel de la pensée de cet auteur, voir @Anarchosyndicalisme ! n°138, « Günther Anders : la morale avec le pilote d’Hiroshima » http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article656

    (5) - Derrida, Deleuze, Lyotard…

    Article d’@Anarchosyndicalisme ! n°152 déc 2016 - Janv 2017
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article844

  • Günther Anders, L’obsolescence de l’homme. Tome 2. Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle

    https://questionsdecommunication.revues.org/2213

    Peu de livres dont l’ambition est de saisir le sens de leur époque accèdent à la postérité. Le temps contredit aisément leurs hypothèses. Le ridicule peut même les tuer si, comme les ouvrages de Günther Anders (1902-1992), ils ne connaissent qu’une traduction plus que posthume. Pourtant, voilà le second tome de son ouvrage magistral (le premier, Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, 1956, avait été publié aux éditions de l’Encyclopédie des nuisances en 2002, 361 p.) qui recèle véritablement à chaque page une idée nous concernant. Lui qui n’a connu ni la révolution de l’internet et des réseaux ni celle du téléphone portable… aide à reprendre l’approche critique des ruptures techniques qui ont scandé l’époque contemporaine. Paru en 1980, ce livre resurgit non pas pour nous inquiéter à nouveau – les actualités de la catastrophe de Fukushima ou de la guerre interminable en Afghanistan le font assez – mais pour saisir ce qui a été radicalement modifié dans la condition humaine. À savoir que celle-ci est désormais affectée d’un important coefficient d’obsolescence et se voit livrée dans une large mesure à ses moyens et produits techniques.

    #Günther_Anders #Philosophie #biblio

  • Picked up from Face book, un commentaire du très excellent Philippe Perchoc :

    https://www.facebook.com/philippe.perchoc/posts/10154373672168378

    Philippe Perchoc écrit :

    « Günther Anders est décidément un grand philosophe, trop méprisé. En lisant son livre "La menace nucléaire", il me semble donner une des raisons pour lesquelles nos contemporains n’en ont rien à f*** des migrants ou de la guerre en Syrie ou en Ukraine. C’est parce que pour eux, c’est "supra-liminaire".

    "descendre des milliers d’hommes en appuyant sur un bouton est incomparablement plus facile que de tuer un seul homme. A l’infraliminaire, c’est-à-dire l’excitation qui est trop petite pour déclencher une réaction, que nous connaissons grâce à la psychologie, correspond le "supraliminaire" qui est trop grand pour déclencher une réaction comme, par exemple, l’activation d’un mécanisme de freinage". Anders, la menace nucléaire, p. 150

    En gros, on s’émeut plus pour un fait divers au coin de la rue, imaginable, que pour une catastrophe inimaginable (on sait aussi fermer les yeux très fort) qui ne nous fait plus rien. Bienvenue dans le monde moderne. »

    #meurtres_de_masse

  • Limite, revue écolo-catho
    http://paris-luttes.info/limite-revue-ecolo-catho-4001

    Quand on lit Limite, il faut avoir l’estomac bien accroché : mêlant écologie et pensée réactionnaire, la revue se réfère tout à la fois à Marx et au Pape. Article publié à l’origine sur confusionnisme.info — confusionnisme.info, portrait de Gaultier Bès, 1, Günther Anders, Simone Weil, G. K. Chesterton, Georges Bernanos, 2, La Décroissance, 3, confusionnisme.info, http://revuelimite.fr/sommaire

  • #PMO
    #Alexis_Escudero
    #La_Reproduction_Artificielle_De_L_humain
    #Féminisme_Radical
    #Critique_Anti_Industrielle
    #Procréation
    #Genre
    #Honte_Prométhéenne
    #PMA
    #Pièces_Et_main_D_Oeuvre
    #Mythe_de_la_Nature
    #Cahiers_du_Genre
    #Agustin_Garcia_Calvo
    #Gunther_Anders
    #Theodor_Kaczinski
    #Edn
    #Ilana_Löwy
    #La_nef_des_fous

    Les balourdises masculinistes d’Alexis Escudero
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=495
    et le mépris suffisant affiché par Pièces et Main d’Oeuvre ("PMO") envers ce qui relève de la critique féministe des rapports de domination de genre ont pu en étonner et en troubler plus d’un-e ces derniers mois.
    La reproduction était naturelle, les couples homosexuels sont stériles, et la critique du genre s’inscrit pleinement et seulement dans une stratégie d’artificialisation et de conquète du vivant - et j’en passe et des héneaurmes.
    Le fait est que la critique anti-industrielle s’appuie certes sur un corpus théorique et une histoire jusqu’à ce jour plus qu’indifférente, sinon pire, aux questions des inégalités sociales de genre ou de sexe. Et, pour ne citer que ceux-là, je lis certes moi aussi avec intérêt des auteurs comme Jacques Ellul ou Georges Bernanos, ("La France contre les Robots", contrairement à ce que son titre laisse croire, n’a pas été conçu par Marcel Gotlib et Edward P. Jacob en recourant aux Nouvelles Technologies de la Reproduction : c’est un recueil de textes de Bernanos des plus stimulant) : mais quand je les lis, je n’oublie pas d’où ils parlent, et quel banal hétérosexisme masculin impensé mais pleinement assumé traverse jusqu’au meilleur de leur écrits. Quant aux auteurs pro ou post-situs plus proches de nous, dans la veine de l’EdN, ils sont à même enseigne : la plupart du temps ils ne font pas mention des questions féministes (et peu d’autres inégalités, comme les inégalités de race) ; et quand ils daignent le faire, dans le meilleur des cas, à ma connaissance, c’est toujours pour les subordonner à l’universalité supposée de leur propre grille de lecture.
    Mais quelques aspects théoriques de la critique anti-industrielle me semblent plus particulièrement de nature à conforter cet aveuglement masculiniste.
    Il me semble que l’incapacité des anti-industriels à connaître la critique féministe du genre (puisque c’est de cela qu’il s’agit, in fine) trouve, à l’appui de ce banal aveuglement congénital, un appui théorique certes bien bancal, mais très ,opportun dans une idée développée il y a plus d’un demi siècle par Gunther Anders ( reprise dans « L’obsolescence de l’homme, réédité par l’EdN il y a une dizaine d’années) : celle de « honte prométhéenne » - le fait que, confronté à la perfection des machines, les humains auraient honte d’être nés, plutôt que d’être fabriqués. Une honte, pour faire très court, de la « nature » et de la biologie. Mon propos ici n’est pas de disputer cette idée, qui me paraît fondée, mais la façon dont elle me semble ressurgir hors de propos lorsque PMO écrit :
    « L’auteur, Alexis Escudero, participe depuis plusieurs années au mouvement de critique des technologies. Peut-être est-il de la dernière génération d’enfants nés, et non pas produits. »
    Le fait est que le questionnement du caractère de production sociale du genre et donc du sexe comme du caractère socialisé, socialement organisé de la reproduction, devient assurément incompréhensible lorsqu’on ne sait l’envisager que sous la forme du confusionnisme libéral-réactionnaire dont on nous rebat les oreille. Et cette incompréhension se voit redoublée lorsque ce questionnement est vu au travers du prisme de la « honte prométhéenne » : du point de vue de PMO, la seule attitude égalitariste concevable vis-à-vis d’une différence sexuelle forcément naturelle se réduit à un seul inepte égalitarisme technolâtre, et mène nécessairement plus ou moins vite au cauchemar transhumaniste.
    Ce prisme déformant et réducteur me semble pouvoir expliquer en partie l’aplomb déroutant avec lequel PMO et Escudero se disent libertaires tout en brandissent fièrement des contresens sur le genre qui ne dépareraient pas entre deux pancartes de la Manif pour tous. Leur confusion est des plus grossières, mais je les soupçonne de ne jamais être trop allé se plonger dans les riches disputes entre féministes radicales pour y prendre la mesure de l’histoire de la prise de conscience d’un système de rapports de domination de genre où eux se trouvent privilégiés, de sa critique, et des implications de la position où chacun-e s’y trouve situé, quant à sa propre conscience « spontanée » de ces rapports. Ce d’autant plus que le monde politico-médiatique nous sert à profusion, sous le label « féminisme », l’ornière intellectuelle de considérations naturalistes/essentialistes, et les tentatives, de fait nécessairement technolâtres, qui en découlent d’en finir avec la malédiction d’une féminité infériorisante, une fois celle ci pensée comme fondée en nature.
    Je pense que le propos des Escudero et PMO sont cohérents avec les présupposés plus ou moins profondément essentialistes qui sous tendent les propos des Agacinski ou Badinter, comme avec une grande partie au moins du très spectacliste mouvement queer, lesquelles ont plus facilement les faveurs des média que les féministes radicales qui argumentent contre le naturalisme. Mais il me semble avéré que, du point de vue d’une partie de la critique féministe radicale, matérialiste, ces propos sont au mieux purement et simplement ineptes. Il serait donc pour le moins appréciable que, sur les questions du genre, des sexes, et de la reproduction, les anti-industriels s’avèrent capables de cibler leur critique : c’est à dire qu’ils aient pris la peine de connaître un peu plus ce dont ils prétendent juger.

    Mais ça n’est pas le cas : le fait est que c’est très vraisemblablement du seul fait de la position masculine hétérosexiste qui est la leur, dont la critique leur paraît superflue, qu’ils peuvent se permettre de prendre à leur convenance cette partie tout de même très particulière du féminisme pour le tout. Le fait est aussi que cette curieuse facilité intellectuelle ne les empêche pas de dormir, et que quiconque ose le leur faire remarquer se heurte de leur part à un déni massif, accompagné des accusations de libéralisme et de progressisme technolâtres de rigueur.
    Et, par exemple, sur les nouvelles techniques reproductives, ils se fichent comme d’une guigne des réflexions critiques publiées dans des revues comme Les cahiers du genre, pour n’en citer qu’une… (par exemple : http://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2003-1.htm ) Il me semble que l’on gagnerait pourtant beaucoup en intelligence de la situation dans laquelle nous nous trouvons si nous parvenions à articuler entre elles les critiques féministes du genre et les critiques anti-industrielles ! (et quelques autres…)
    Hélas, chez PMO, on sait déjà que le féminisme est irrémédiablement un progressisme technolâtre, et on s’exprime donc en conséquence.

    Mais, d’une manière plus large (qui excède ses rapports avec la critique féministe), il y a dans la forme de la critique anti-industrielle une forme d’arrogance méprisante qui me paraît liée à sa trop grande proximité avec un prophétisme catastrophique : il y a quinze ans déjà, il me semblait par exemple que la lutte contre les OGM gagnait à être formulée en fonction de ce qu’ils constituaient et disaient déjà du présent où ils étaient envisagés, conçus, produits, et non en fonction de l’avenir plus sombre qui résulterait de leur développement. Il me semblait qu’il ne fallait pas tomber dans l’erreur d’en parler en recourant à la peur d’un inconnu à venir, mais au contraire en insistant sur le fait qu’une critique et une lutte trouvaient amplement à se fonder dans le refus de ce que nous connaissions déjà trop bien : et, par exemple, de ce que nous connaissions déjà à propos du recours à des solutions scientistes ou technolâtres aux problèmes politiques, ou de ce qu’impliquait, et d’où provenait, le choix politique de poser en termes scientifiques et techniques les questions sociales.
    Comme le disait il y a 20 ans je crois Agustin Garcia Calvo (dans « Contre la paix, contre la démocratie » : http://www.theyliewedie.org/ressources/biblio/fr/Agustin_Garcia_Calvo_-_Contre_la_paix,_contre_la_democratie.html ), « le futur est une idée réactionnaire, » au nom de laquelle nous sommes toujours invités à renoncer au présent : et cela, y compris chez les amateurs de « critique radicale » .

    Un texte comme « La nef des fous » de Théodore Kaczinski paru en 2001 (https://infokiosques.net/imprimersans2.php?id_article=435 ) m’avait de ce point de vue semblé de très mauvais augure (même si j’étais loin alors de comprendre ce que recouvrait la notion de genre et de m’être intéressé avec conséquence à la critique féministe… il me faudra pour cela plusieurs années de lecture, de discussions et de réflexions) : l’auteur y met benoîtement en scène d’un point de vue des plus surplombant et universaliste, la nécessité selon lui de faire passer toutes les luttes particulières contre des inégalités qu’il se trouve ne pas avoir connu, au sein desquelles il se trouve privilégié, après la question qui selon lui les dépasse toutes : la catastrophe à venir (le bateau continue d’aller vers le nord au milieu des iceberg toujours plus nombreux, et il est voué à continuer ainsi jusqu’à l’inévitable collision). Il y a d’un côté « ce qui ne va vraiment pas » : ce que lui a identifié, en dehors de toute considération sur les inégalités sociales – et de l’autre les « petits problèmes mesquins » qu’il n’a pas à subir, pour lesquels il ne profère donc pas de « réclamations dérisoires Le mensonge résidant ici dans le fait que la lutte contre les inégalité de genre, race, classe etc. qui règnent à bord serait, d’après Kaczinski, irrémédiablement incompatible avec un infléchissement de sa trajectoire, ou un arrêt des machines, qu’il y ferait obstacle : stupidement, les infériorisé-e-s qu’il met en scène se fichent sur la margoulette, chacun-e égoïstement, très libéralement focalisé-e sur ses seuls griefs individuels, chacun-e très libéralement identifié-e aussi au caractère particulier qu’ellil se trouve incarner – tandis que, par la voix du mousse, l’universel, c’est à dire l’homme blanc hétérosexiste, lui, sait déjà ce qu’il convient de faire pour les sauver tous - mais du seul naufrage, qui arrivera plus tard. Après seulement – une fois tous rendus à sa raison, une fois que toutes et tous auront admis que leurs luttes étaient mesquines et dérisoires, gageons que le temps sera venu d’en perdre pour le mesquin et le dérisoire. Ou pas.
    Pour un milieu qui se prétend volontiers libertaire, le milieu anti-industriel qui a diffusé alors largement et sans critiquer le cœur de ce texte a eu un peu vite fait de se torcher avec la pensée de Bakounine, sur le fait que la liberté - et donc la fin de l’infériorisation - était une exigence, un besoin immédiat, qui ne saurait se différer : et donc que l’existence de systèmes de rapports de domination étaient pour celleux qui y étaient infériorisé-e-s une cause suffisante de révolte. A lire kaczinski, au nom de la collision à venir du navire de la fable contre l’iceberg, de la catastrophe industrielle qui résoudra définitivement tous les différents, il convient au mieux de renoncer à lutter contre les inégalités présentes, de les mettre de côté en attendant, plus tard, une fois la révo – pardon, une fois la catastrophe évitée, de voir ce qu’on pourrait y faire. En attendant, les dominé-e-s seraient bienvenus de cesser de jouer les égoïstes, vu que ça ne fait que les mener à contribuer au progrès, et de se mettre à penser un peu à l’intérêt supérieur de tout le monde, _c’est-à-dire, de fait, au seul intérêt que les dominants connaissent. Je me rappelle avoir entendu, en d’autre temps, des staliniens seriner un air semblable aux libertaires sur l’Etat, sans parler de tous les révolutionnaires, qui expliquent encore aux féministes que pour l’égalité entre hommes et femmes, il faut d’abord faire la révolution.
    Je tiens pour ma part pour l’exact contraire : et qu’il y aurait beaucoup à creuser, sur le rôle que les inégalités sociales comme le genre, lorsqu’on se refuse à chercher à les connaître et les penser avec conséquences, ou dans la mesure ou les dominants y sont prêts à tout ou presque pour empêcher qu’il y soit mis fin, sont amenées à jouer, comme moteur toujours renouvelé pour une quête permanente de solutions techniciennes et scientistes aux maux qu’elles génèrent.
    Mais pour cela, il faut que ceux, majoritairement hommes, blancs, hétérosexistes, et j’en passe et d’autres privilèges, qui produisent, promeuvent et diffusent la critique anti-industrielle admettent qu’ils sont quand même pleinement partie prenante au sein de rapports de domination qui structurent de part en part cette même société, que leur critique n’est pas indemne des positions relativement privilégiée qu’ils y occupent : et que les critiques des rapports de domination existant, formulées par celleux qui les subissent, font partie de la critique de cette société au même titre que la critique anti-industrielle.
    Qu’en conséquence de quoi, avant de prétendre disputer très virilement de « la reproduction artificielle de l’humain », ou de la « nature de la filiation » (http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=427 ) , la première des choses à faire pour le mouvement anti-industriel est de cesser d’envisager la critique du genre avec une honnêteté intellectuelle jusqu’ici proche de celle de la manif pour tous.

    • @Aude V

      merci de ton encouragement.

      J’ai relu ce matin à tête reposée le début du 4ème chapitre, si joliment intitulé Les crimes de l’égalité (il fallait oser), de ce qui m’apparaît désormais beaucoup plus clairement de la part d’Alexis Escudero et de PMO comme une entreprise délibérée et très intéressée de falsification d’une partie au moins de la critique féministe radicale, de la critique féministe matérialiste.

      (A vrai dire, le début de travail de remise sur pied du propos de l’auteur occasionné par la rencontre et la confrontation avec votre approche critique de son oeuvre me la rendue du coup beaucoup plus lisible, et a conforté ce premier ressenti à son endroit qui me l’avait rendu inabordable : lorsqu’on cesse de chercher à réagir à des « maladresses d’alliés » face à ce qui est en fait une agression commise par quelqu’un qui traite une pensée que vous partagez et respectez avec hostilité et malhonnêteté, qui vous traite en ennemi, lorsque l’on se décide de nommer l’hostilité, lorsqu’on attend plus de son auteur autre chose que de l’hostilité, ses désarmantes « maladresses » deviennent de très éloquentes agressions, des attaques auxquelles il devient enfin possible de répondre...)

      Je n’y avais pas prêté attention à la première lecture, mais au début de ce chapitre, lorsqu’il se hasarde à préciser ce qu’il entend par égalité, Escudero cite bien Christine Delphy, et à propos du genre qui précède le sexe. On ne peut donc lui reprocher d’ignorer l’existence de cette critique. Seulement, il la cite en la falsifiant, en prétendant y lire le contraire de ce qu’elle dit, et se fait ensuite un devoir de la corriger à sa façon, et à son avantage. Une telle pratique n’est pas maladroite, mais malhonnête, et un tel texte constitue bien une forme d’agression anti-féministe caractérisée.

      Je prépare un billet plus complet à ce propos, parce que la prose d’Escudero est véritablement déroutante et demande d’être décortiquée, et parce que cette falsification me semble particulièrement significative, non seulement parce qu’elle porte sur un désaccord fondamental sur les questions de nature et d’égalité, mais encore pour ce qu’elle manifeste des « intersections » entre les oppressions - tant que des hommes ne reconnaissent pas la validité de la critique féministe du système de domination de genre, ils continuent de défendre leurs privilèges comme ce système le leur a appris. il me semble qu’il faudrait défendre face au discours arrogant et si masculin de PMO/Escudero qu’aucune « critique radicale » à prétention universelle ne peut être formulée à partir d’une seule et unique position infériorisée, aliénée ou dominée particulière (à croire que l’histoire du discours ouvriériste sur la mission historique du prolétariat et de la catastrophe stalinienne ne leur sont d’aucune utilité !). Et qu’au contraire, toute critique qui se veut radicale se doit de prendre la peine d’examiner en quoi la position depuis laquelle elle est formulée la conditionne, et la rend elle-même critiquable ; que les auteur-e-s de n’importe quelle critique qui se veulent radical-e-s n’ont d’autre choix que de questionner les quelques privilèges qui peuvent être les leurs, que de prendre au sérieux les critiques formulées à l’encontre de cette position, et des privilèges qui la caractérisent.

    • Attention toutefois que le fait de questionner nos propres privilèges (être précaire mais homme, être femme mais blanche, être racisé⋅e mais de classe moyenne, etc) ne fasse pas oublier nos propres points de vue et donc nos propres critiques de départ.

      Que par exemple, je dois prendre en compte le point de vue féministe (que je ne peux pas avoir moi), mais je n’oublie pas ma critique anti-industrielle de départ, et j’essaye de transiger le moins possible dessus (quand bien même on doit accepter de « céder du terrain » comme m’a dit @aude_v l’autre jour, afin d’aboutir à une voie qui convienne à plus de monde que tel ou tel groupe radical). Cela vaut aussi pour les autres groupes bien sûr. :)

    • @Aude V

      je n’ai pas eu l’occasion de lire les explications d’Escudero dans La Décroissance, mais je veux bien admettre qu’il ait pu y revenir sur ses propos, ou entendre quelques critiques : ça n’est pas la matière qui manque. Il aura eu l’embarras du choix !
      Mais il me semble que pour l’essentiel, le mal est fait : son livre est publié, et PMO continue de lui faire la même promotion résolument orientée, reprise telle quelle par plusieurs sites anti-indus ou de critique « radicale ». Aucun des référencements que j’ai pu en lire sur le net ne fait mention du moindre trouble vis-à-vis de son contenu comme de sa présentation - si ce n’est ceux de rares blogueuses féministes comme toi.

      Il me semble qu’une vraie remise en question de sa part appellerait pour le moins un désaveu cinglant (que je n’ai lu nulle part à ce jour) des présentations de PMO (Pour ma part, à chaque fois qu’il m’est arrivé de publier quelque chose - j’ai eu quelques brochures et revues photocopiées à mon actif, sans parler de textes mis en circulation sur le net - je me suis efforcé autant que je le pouvais de ne laisser personne dire n’importe quoi dessus, et se permettre d’en faire sur mon dos une présentation fallacieuse, même dithyrambique. Il me semble que c’est là la moindre des choses lorsqu’on prend le risque de dire quelque chose publiquement, et de le faire par écrit.).
      Et surtout, et plus encore, de conséquents amendements à son texte - à même de le rendre méconnaissable.

      Je ne dis pas que ce serait facile, je m’efforce seulement de tirer le minimum de conséquences qu’un tel mea culpa impliquerait. (Et si les critiques qu’il reçoit de vive voix devaient l’y inciter, tant mieux : mais je ne suis pas optimiste).

      A la lecture, Escudero ne me paraît hélas guère trahi ou falsifié par les viriles rodomontades des chapeaux de PMO.
      Il ne manquait pas d’occasions d’écrire tout autre chose que ce qu’il a écrit, de donner par exemple de la place aux rapports de domination de genre, et à la manière dont ils se manifestent et s’inscrivent dans la technolâtrie dominante, à la manière dont le libéralisme, la technolâtrie, le patriarcat et le racisme se renforcent, s’appuient les uns sur les autres pour se perpétrer : il est tellement plus facile pour un homme anti-industriel de tomber, en accord avec le reste du patriarcat, sur le râble des inconséquentes féministes et des inconscient-e-s LGBT que de s’interroger sur sa propre position dans les rapports de domination de genre... - mais cette attitude de par sa facilité me paraît garantir à la critique anti-indus’ de piétiner au mieux dans une impasse, ou de se retrouver très vite égarée en très mauvaise compagnie ; qui plus est, nécessiter un très handicapant renoncement à critiquer l’idée religieuse de Nature.

      Je trouve que sa critique de la reproduction, sous une étourdissante profusion de références et de citations de ce que la technolâtrie produit de pire, manque de fait singulièrement de fond conceptuel. Cette abondance de documentation peine à dissimuler ce qui me paraît être une confusion certaine : il n’était pas nécessaire d’aller chercher autant de références pour produire un résultat aussi calamiteux.

      Pour ce que je suis arrivé à m’infliger (ce fameux chapitre 4, pour l’essentiel), à chaque fois qu’Escudero y a le choix entre citer une auteure peu crédible, un homme encore moins sur pareil sujet, ou plutôt, de se plonger dans les critiques élaborées par quelques auteures féministes radicales, il commet la même malencontreuse bourde - et présente les propos de l’une ou l’autre des deux premiers comme la substance des thèses des troisièmes. Une fois ou deux, à la rigueur... Effectivement, les maladresses existent, mais dans pareil texte au ton pamphlétaire, ça ne fait pas sérieux, au mieux cela décrédibilise la charge de l’auteur.
      Et chez lui, c’est quasi systématique !

      Mon projet de billet avance bien.

    • Le problème c’est que parfois c’est le cas… et parfois pas. :(
      Donc pas forcément aussi simple que ça de dire « tous les oppresseurs dans le même camps ».

      On sait très bien qu’il y a aussi de nombreux cas où le libéralisme se sert de l’anti-patriarcat pour avancer sur la marchandisation du monde, ou ceux où le patriarcat se sert de l’anti-libéralisme (parfois très justifié) de certaines catégories sociales pour revenir sur des avancées des droits des femmes, etc.

      Pas toujours facile de formuler des opinions complexes quand on veut reste concis et de pas développer toutes les exceptions et cas possibles.

    • @Rastapopoulos
      @Aude

      Ok, il est risqué de vouloir synthétiser quelque chose d’aussi complexe que la façon dont les rapports de domination et les aliénations diverses et avariées, et les critiques et luttes se croisent, se mêlent et tutti quanti.

      Plus précisément, @Rastapopoulos, mon propos n’était pas de prétendre que "tous les oppresseurs sont dans le même camp" (je crois que vous l’aviez très bien saisi - et en même temps que vous avez probablement raison, cela va sans doute mieux en le disant), mais plutôt de faire remarquer que face aux critiques et aux luttes les plus vigoureuses, radicales et estimables, l’oppression a une fichue tendance à réussir à retomber sur ses pattes [astérisque] (quitte à devoir en sacrifier une), et à prendre de court pas mal de gen-te-s, voire à faire d’elleux ses agent-e-s en trouvant à se rééquilibrer autrement à son avantage - du point de vue des êtres humains et de la vie en général, peu importe que l’oppression doive s’appuyer plus sur le patriarcat, le racisme, le nationalisme, le marché, la démocratie ou la fuite en avant technicienne ou autre chose.

      [astérisque] [Oups. Me voilà à nouveau pris en flagrant délit de synthèse à l’emporte-pièce et de personnalisation métaphorique pas forcément des plus parlantes pour tout le monde... (à me relire, je me demande si l’oppression n’aurait pas des pattes velues) ]

      Je pense par exemple à la manière dont, à la faveur d’une "libération sexuelle" obtenue dans un contexte patriarcal et marchand, il me semble que l’on peut dire que l’hédonisme pornographique et la communication ont très bien su prendre le relais de l’église et de la famille, pour ce qui est de continuer, en dépit du recul de celles-ci, à maintenir intact - quoique sur des bases en apparence radicalement opposées -, l’essentiel de la hiérarchie de genre.
      Ah oui, les images ont changé et défrisent certes désormais les plus vieux ou archaïques des patriarches, mais l’ordre reste le même : et les hommes en bénéficient toujours.

      Je pense aussi à la façon dont les techniques de PMA et les prétentions à artificialiser le vivant me semblent constituer pleinement une réponse de la part de l’ordre social patriarcal/libéral/technicien/colonial... (liste non exhaustive !) à une part au moins de la critique du genre : à la critique de la conception genrée de la procréation
      Cette conception qui prétend relier naturellement (et donc définitivement) sexe, couple, procréation et filiation, fonder en nature sur cette base la place plus ou moins étroite socialement réservée aux uns et aux unes, cette conception qui de fait ne patauge jamais aussi sûrement dans le social et la production humaine que quand elle brandit la Nature
      Pour rentrer un peu dans le sujet, je renvoie à la lecture d’articles sur l’histoire de la PMA et de la fabrication du naturel, comme ceux d’Ilana Löwy par exemple, qui me semblent exposer combien les hiérarchies de genre se perpétuent avec le progrès technique :
      « Nouvelles techniques reproductives, nouvelle production du genre » http://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2014-1-page-5.htm

      « La fabrication du naturel : l’assistance médicale à la procréation dans une perspective comparée »
      http://www.cairn.info/revue-tumultes-2006-1-page-35.htm
      Il faut que l’aveuglement masculiniste de PMO/Escudero soit considérable pour que pareils titres et pareils sujets ne les aient jamais intéressés - « L’invention du naturel » est d’ailleurs le titre d’un livre paru en 2000, sous la direction de Delphine Gardey et Ilana Löwy, qui propose de très stimulantes réflexions sur « les sciences et la fabrication du féminin et du masculin » : mais il est vrai que pour les hommes de Pièces et Main d’Oeuvre qui produisent une critique exclusivement anti-industrielle, le féminin et le masculin ne sauraient être fabriqués ni produits, puisqu’ils sont évidemment, c’est le bon sens même, naturels… A consulter leurs notes de bas de page, à une critique féministe radicale de la procréation et de la manière dont se fabrique le sexe à partir du genre, ou la notion de Nature... ils préfèrent de loin accorder toute leur attention à ce qu’écrivent de plus ou moins virils technolâtres, et de plus ou moins technolâtres auteurs masculins - comme Testard ou Habermas, - ou à des femmes au propos, sinon essentialiste et confusionniste au point de celui d’une Peggy Sastre, pour le moins très éloigné de la critique féministe radicale. ).

      Il me paraît pourtant assez peu crédible de prétendre chercher à formuler une pensée critique radicale sur les enjeux que recouvre aujourd’hui la question de la procréation sans donner aux considérations féministes sur le genre (ainsi qu’à quelques autres) une place conséquente : en aucun cas on ne saurait les tenir pour négligeables devant, par exemple, les seuls et uniques méfaits stérilisants de l’artificialisation technicienne.
      C’est bien pour cela qu’il me semble important de mener une critique des positions rigides et étroites telles que celles des PMO/Escudero : tout en se prétendant radicalement émancipatrices avec de grands effets de manches, elles sont déjà, de par leur caractère lourdement monolithique et résolument hostile à tout point de vue qui ne se puisse inféoder au leur, pleinement au service du maintien d’oppressions dont leurs auteurs, en tant qu’hommes, se trouvent justement être les bénéficiaires.

      A quel moment passe-ton d’allié gentil mais vachement maladroit et ignorant mais allié quand même, même si c’est rudement pénible de devoir supporter autant de maladresse et d’ignorance crasse - à ennemi déclaré, même s’il s’entête à prétendre le contraire, ou à prétendre qu’en fait c’est pas lui : lui veut être notre allié, et nous explique comment nous devons faire, à quelle critique radicale nous devons renoncer pour qu’il puisse l’être, parce que pour l’instant, au contraire, c’est nous, l’ennemi ?
      C’est pour moi une question qui ne se pose plus à leur sujet.

      En ce début de XXIème siècle, la promotion d’une PMA des plus technolâtre, libérale et toujours genrée, (bien que tôt ou tard vraisemblablement ouverte aux couples de même sexe), me semble tout de même déjà constituer, pour le système de rapports de domination de genre et sa hiérarchie, une réponse rudement plus efficace et prometteuse aux menaces que représente pour lui la critique et la lutte féministe une réponse qui doit être pensée comme telle si l’on entend s’en prendre avec un minimum de conséquence au genre comme à la technolâtrie. (cela demande aussi de se montrer capable de comprendre pourquoi se contenter d’être vachement et virilement "plus-radical-que-moi-Le-Meur" sur un seul sujet et donc se faire un devoir de traiter en chienne enragée toute critique qui ne soit pas au moins aussi étroitement focalisée sur ce même sujet revient alors, du point de vue des dominé-e-s, à faire pire que n’avoir rien critiqué - et a mettre au service de l’ordre existant les armes critiques que l’on a forgé, à son bénéfice, contre les autres critiques et luttes qui pourraient l’affaiblir ou menacer sa perpétuation)
      Une réponse assurément plus efficace et prometteuse que celle, par exemple, très spectaculaire, du ridicule barnum folklorique de la manif pour tous, qui a le gros défaut, face à la critique des rapports de genre, de s’exprimer sur le sujet non pas comme on l’aurait fait effectivement il y a un ou deux ou huit ou dix siècles, mais de façon caricaturale, comme ses animateurs s’imaginent niaisement aujourd’hui, depuis leur conception actuelle de ce passé, qu’on devait nécessairement le faire toujours et partout avant le recul de l’église. (et sur ce tout dernier point, je renvoie par exemple les curieux qui ne l’auraient jamais lue aux écrits d’une historienne féministe comme Michèle Perrot – mais c’est loin d’être la seule)

    • Je pense par exemple à la manière dont, à la faveur d’une « libération sexuelle » obtenue dans un contexte patriarcal et marchand, il me semble que l’on peut dire que l’hédonisme pornographique et la communication ont très bien su prendre le relais de l’église et de la famille, pour ce qui est de continuer, en dépit du recul de celles-ci, à maintenir intact - quoique sur des bases en apparence radicalement opposées -, l’essentiel de la hiérarchie de genre.

      Oui je pensais, entre autre, à ce genre de choses.

      A quel moment passe-ton d’allié gentil mais vachement maladroit et ignorant mais allié quand même, même si c’est rudement pénible de devoir supporter autant de maladresse et d’ignorance crasse - à ennemi déclaré, même s’il s’entête à prétendre le contraire, ou à prétendre qu’en fait c’est pas lui : lui veut être notre allié, et nous explique comment nous devons faire, à quelle critique radicale nous devons renoncer pour qu’il puisse l’être, parce que pour l’instant, au contraire, c’est nous, l’ennemi ?
      C’est pour moi une question qui ne se pose plus à leur sujet.

      Tout dépend de qui on parle… et si on connaît personnellement les gens en face à face, IRL comme on dit sur le net… et depuis combien de temps on les connaît, etc.

      Ce n’est pas toujours qu’une question purement théorique. L’amitié ne se joue pas que sur les idées politiques, même si c’est un des points qui entre en ligne de compte.

      Et sinon une citation de la première revue :

      Les nouvelles techniques reproductives, utilisées au niveau local et international, auraient donc à leur tour des impacts de genre, mais aussi en fonction de la classe ou de l’origine, particulièrement complexes : elles protègent les femmes et les couples des stigmates de l’infertilité, créent de nouvelles parentalités indépendantes de l’hétéroparentalité normative tout en reconduisant des inégalités préexistantes et comportant d’importants risques d’exploitation.

    • @Aude

      Tant mieux si l’auteur entreprend sous la pression de la critique de revoir quelques unes de ses positions.

      Mais son livre n’en demeure pas moins non seulement une critique ratée, parce qu’outrageusement partielle et aveugle sur ses propres manques, de la reproduction médicalement assistée (ce qui en soit, serait dommage, mais sans conséquences trop néfastes), et surtout une attaque confusionniste réussie contre la critique radicale, et pas seulement féministe (ce qui est nettement plus gênant).

      Entre le naturalisme confus des arguments et l’étroite masculinité du point de vue, mon écoeurement balance.

      Pour ce qui est de la pensée de Delphy, et du répugnant procédé auquel il a eu recours pour la dénigrer, l’auteur a une importante remise en question à faire.
      Faire le choix de falsifier une pensée (dont le propos est assurément incompatible avec celui de « La reproduction artificielle de l’humain » : mais pour des raisons dont Escudero, dans le cadre de son pamphlet, ne peut que nier l’existence - ne serait ce que ce que sa critique du genre implique quant au naturalisme), ponctuer la calomnie par l’insulte en l’associant à un vieux machin aussi répulsif que Mao c’est là une démonstration d’hostilité qu’il lui faut assumer.
      Le pamphlet et son style casseur d’assiette (La démolition jubilatoire, qui peut se teinter de mauvaise foi, dans ce registre, est le traitement habituellement réservé aux ennemis) n’excusent pas tout.
      Pour le coup, cela dépasse la seule question du rapport à la critique féministe.

      Si une dénonciation de la manière dont la politique politicienne a posé le débat en termes de pour ou contre les droits des homosexuels était parfaitement justifiée, je pense qu’il est plus urgent de défendre la critique féministe radicale et la critique du naturalisme comme possible fondement d’une critique radicale de la société technicienne et de sa technolâtrie, que de se précipiter dans une spectacliste critique de la PMA.

    • @Aude V

      Je te prie de m’en excuser, j’avais manqué ta réponse, ainsi que ton edit. Je ne les découvre qu’à l’instant.

      Il y a quelque chose que je peine à saisir dans ta position vis à vis d’Escudero et de son bouquin. Je ne parviens pas à savoir de quoi il retourne.

      Je crois que pour Escudero, j’en suis encore à prendre conscience de la position dans laquelle il se trouve. Pour que j’aille à sa rencontre en sachant vers quoi j’irais, il faudrait que j’ai d’abord fini d’estimer la distance qui nous sépare.

      Je crois que je juge de loin plus important de défendre les critiques qu’il a falsifié ou ignoré que le contenu d’une enquête dont la complaisante prétention à la radicale originalité tient tout de même beaucoup trop, à mon avis, à tout ce que son auteur falsifie, ignore ou passe sous silence : plus encore qu’à ce qu’il prétend révéler.

      Peut-être que quelque chose m’échappe ?
      Et peut-être bien que je jargonne, en effet ?

      Je n’en sais rien.

      Je n’ai pas écouté l’émission en question.

      Mais c’est de t’avoir lue que je dois d’être parvenu à enfin recommencer à écrire à propos de la critique anti-industrielle.

  • André Dréan, révolutionnaire intransigeant professionnel

    A propos de la brochure :
    A la conquête de l’est, De l’influence de l’idéologie conservatrice nord-américaine dans les milieux anti-industriels français , printemps 2014.

    Ce qui est remarquable chez Dréan, c’est qu’il avoue d’emblée qu’il ne sait pas de quoi il parle (« Je ne connais pas particulièrement l’ensemble des œuvres de Christopher Lasch ») et que cela ne l’empêche nullement d’émettre des jugements aussi tranchants que définitifs.

    Il suffit, justement, d’avoir un peu lu les livres de C. Lasch parus en français pour comprendre qu’en effet, grande découverte, c’est un auteur « conservateur », mais pas nécessairement au sens de « réactionnaire » :

    « Il y a la célèbre formule de Marx : “Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières, ce qui importe, c’est de le transformer.” Mais maintenant, elle est dépassée. Aujourd’hui, il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout, il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous devons être conservateurs au sens authentique, conservateurs dans un sens qu’aucun homme qui s’affiche comme conservateur n’accepterait. »
    Günther Anders, Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ?, interview réalisée en 1977 (éd. Allia, 2001).

    Être conservateur, au sens révolutionnaire que suggère ici Anders, consiste d’abord à lutter pour la préservation des conditions qui permettent une vie humaine sur Terre. C’est ce que se propose Lasch à travers ses différents ouvrages. On peut ne pas être d’accord avec nombre de ses propositions, on peut même estimer qu’il se fourvoie ou s’aveugle sur un certain nombre de points. Mais il faudrait au moins avoir l’honnêteté de reconnaître que ses analyses se placent, tout de même, du côté de l’émancipation sociale dans sa tentative de montrer en quoi la modernisation détruit les conditions de la liberté et de l’autonomie.

    C’est cette honnêteté qui manque décidément à Dréan, qui se contente de souligner que Lasch est cité par Marine Le Pen et encensé par Le Figaro, et qu’il s’inscrit dans la mouvance du « retour aux “valeurs traditionnelles de l’Amérique” dès la présidence Reagan ». Si des réactionnaires disent que 2+2=4, alors Dréan est prêt à qualifier de fascistes quiconque penserait de même ! Quant aux « valeurs traditionnelles », n’importe quel progressiste vous dira qu’elles sont nécessairement, en tout et pour tout, de manière absolue et définitive, profondément réactionnaires, puisque appartenant au passé, c’est-à-dire à des époques et des sociétés qui n’étaient pas aussi excellentes et parfaites que la nôtre :

    « Valeurs qui, de la création de la première colonie anglaise stable en Virginie jusqu’à la guerre de Sécession, posèrent les fondations de l’Union telle qu’elle existe depuis les lendemains de la première boucherie mondiale. »

    Chez Dréan, les choses, les êtres et les idées sont figées à jamais et manifestent leur essence de toute éternité. En conséquence, jamais rien de neuf sous le soleil ne peut apparaître ni se manifester :

    « La critique qu’il [Lasch] effectue de l’histoire moderne des Etats-Unis, tels qu’ils sont issus des lendemains de la Première Guerre mondiale, avec leur montée en puissance à titre d’Etat industrialisé et militarisé, jusqu’à nos jours est donc conservatrice. Elle idéalise la période antérieure à la guerre de Sécession comme si celle-ci n’avait pas préparé ce qui est advenu par la suite . » (souligné par moi)

    Pour Dréan, l’histoire était déjà écrite (par qui et où ça ? on aimerai bien le savoir), ce qui est advenu devait nécessairement advenir, et personne n’y pouvait rien – et surtout pas les conservateurs. Etrange conception de l’histoire où, peut-être, seuls les « révolutionnaires », aussi intransigeants que Dréan probablement, peuvent faire l’histoire…

    Mais passons sur tout cela, sur cette indignation qui rappelle la politically correctness américaine, ou bien, traduit en bon français : la police de la pensée.

    Venons-en à Notes et Morceaux choisis, bulletin critique des sciences, des technologies et de la société industrielle n°7, qui a pour titre “Les chemins de fer ou la liberté” (éd. La Lenteur, 2006). A lire Dréan, on serait bien en peine de savoir pourquoi et comment cette revue parle de Lasch. De fait, dans ce numéro, il n’est pas question du seul ouvrage de Lasch que Dréan prétend avoir lu, Les femmes et la vie ordinaire (éd. Climat, 2006). Mais vu le tableau qu’il dresse de ce dernier, Dréan n’a pas besoin de s’encombrer à détailler le contenu d’une revue dont il n’a de toute façon lu que l’éditorial. Et il peut donc tranquillement conclure :

    « En France, dans les milieux hostiles à ce qu’ils nomment de façon réductrice la société industrielle, il est de bon ton de peindre sous des couleurs plus ou moins attrayantes des modes d’exploitation et de domination plus traditionnels et antérieurs à l’industrialisation. »

    Cette phrase relève de la calomnie pure et simple.

    Que Dréan, en indécrottable progressiste, ne comprenne rien à l’usage que l’on peut faire du passé est une chose. Qu’il prétende, sur cette base, que nous nous faisons les promoteurs de modes d’exploitation et de domination, qu’en somme nous ne défendons pas la cause de l’émancipation sociale, est mensonger et diffamatoire .

    Si l’on s’inspire du passé, ce n’est pas pour l’idéaliser et ce n’est bien évidement pas pour reproduire les mêmes erreurs et tares sociales. J’ai déjà expliqué cela ailleurs, dans mon Introduction à la réappropriation (1999). Mais Dréan ne nous accorde même pas cela, ce minimum d’intelligence, trop occupé qu’il est à étaler son ressentiment .

    En effet, qu’a-t’il produit d’autre, ce monsieur ?

    Ce n’est pas lui qui s’aventurerait à publier quoique ce soit qui permettrait de préciser et d’actualiser le projet révolutionnaire qu’il prétend défendre si vaillamment et si généreusement. Il lui suffit de cracher sur tout ce qui bouge en endossant l’habit du révolutionnaire intransigeant.

    Et c’est déjà bien assez lourd à porter.

    N’est-ce pas, mon pauvre Dréan ?

    Bertrand Louart, 1er août 2014.

    (#André-Dréan, mythe ou réalité ?)

  • #Anarchosyndicalisme ! n°138
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article660

    Au sommaire de ce numéro :

    Impôts :
    –Sauce Bercy

    Luttes :
    –Moniteurs et Éducateurs en Formation
    –Nataïs : les Prud’hommes du Gers étaient Compétents mais ils ne le Savaient pas

    Société :
    –Ni Fascisme, Ni République Bourgeoise
    –Le Monde de la Coupe
    –Les Jeux Olympiques de la Honte

    International :
    –Egypte Socialiste Libertaire
    –Ukraine
    –Australie

    Réflexions et Débats :
    –Günther Anders : la Morale avec « Le Pilote d’Hiroshima »
    –Une Pensée Primitive

    Economie :
    –L’illusion coopérativiste

    Divers :
    –Appel à Mobilisation pour Sauver la Zone Humide du Testet
    –G.I. Abdallah/Courrier des Lecteurs/Cénétistement Votre
    –Crapulerie Administrative : Au RSA, Marche au Pas !

    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/IMG/pdf/A_138_fev_2014.pdf

    Recevoir gratuitement et sans engagement le prochain numéro imprimé :
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?page=form_journal

  • Günther Anders - Agir pour repousser la fin du monde

    Revue Tumultes n° 28-29, 2007/1-2, 422 pages
    http://www.cairn.info/revue-tumultes-2007-1.htm

    Le projet de ce numéro de Tumultes est donner une vision d’ensemble du parcours de Günther Anders (1902-1992). Après un examen des origines phénoménologiques de la pensée de cet ancien étudiant de Husserl et de Heidegger, on plonge dans le vif du sujet avec sa philosophie pratique. Anders déclare l’éthique infondable et se présente comme un moraliste, c’est-à-dire comme quelqu’un qui étudie les mœurs de son époque. N’hésitant pas à « déserter la théorie », ce moraliste qui est aussi indissociablement un militant finit, après la catastrophe de Tchernobyl, par pousser la question de l’action aux limites de la morale en légitimant le recours à la violence... On examine ensuite ce qu’Anders a dit du « monde des hommes » (n’est-il pas, à sa façon, un humaniste ?) et du « monde des appareils » (à travers des questions comme celle de l’influence de la technique sur la psychologie des hommes ou celle du rapport d’Anders à la cybernétique). Le numéro s’achève sur une série d’articles mettant la pensée d’Anders à l’épreuve de notre monde (et réciproquement) sur diverses questions (féminisme, mondialisation, nucléaire, etc.). Au fil des articles sont également précisés les rapports qu’entretient la pensée d’Anders à celles d’Arendt, Adorno, Bloch ou Jungk.

  • La fin du pacifisme, la seule issue est la violence : Günther Anders
    http://raumgegenzement.blogsport.de/2013/06/21/la-fin-du-pacifisme

    "Il n’est pas possible d’exercer une résistance efficace avec des méthodes gentilles, en offrant des myosotis aux policiers qui ne peuvent les accepter parce qu’ils ont les mains prises par leurs matraques. Il est tout aussi insuffisant, non : absurde, de jeûner pour obtenir la paix nucléaire. On n’obtient qu’un seul effet en jeûnant : on a faim. Peu importe à Reagan et au lobby nucléaire que nous ne mangions qu’un sandwich au jambon. Ce ne sont que des “happenings”. Aujourd’hui, nos prétendues actions politiques ressemblent d’une façon vraiment effrayante à ces apparences d’actions qui ont fait leur apparition dans les années 1960 […]. Avec ces actions, nous croyions avoir franchi la frontière de la simple théorie, mais nous n’étions en fait que des “acteurs” au sens théâtral. Nous faisions du théâtre par peur d’agir vraiment […]. Le théâtre et la non-violence sont des parents très proches."

    • #Günther-Anders #pacifisme #non-violence #violence #écologie #nucléaire #Gandhi

      « Ce que Gandhi a fait se résume-t-il à des happenings ? »

      « Du point de vue de l’histoire du monde, je crains bien que oui. Considérez-vous que Gandhi nu en train de tisser avec un métier manuel — une scène qui a été photographiée des millions de fois — soit autre chose qu’un happening comparable à ceux des briseurs de machines ? Il n’a réussi ni à empêcher le développement de l’industrie textile en Inde ni à toucher au terrible système des castes. Sérieusement, si Gandhi a appelé à résister sans violence, c’est “faute de mieux” […]. Voilà ce qu’il voulait dire : “Nous pouvons peut-être opposer quelque résistance même si ce faisant nous n’obtenons pas le pouvoir et, avec ce dernier, la puissance d’agir.” C’est dire que l’important pour lui, ce n’était pas la non-violence en tant que telle (comme seule méthode, seul principe ou seule fin moralement autorisés), mais l’éventualité très faible de pouvoir aussi opposer une résistance même si l’on n’a pas d’armes. Ce qui est fondamental chez lui, ce n’est pas le “sans” (“sans armes”) mais le “même si” (“même si l’on n’a pas d’armes”) »

    • En allemand, un même mot dit le pouvoir et la violence : #Gewalt.

      Anders se présente lui-même comme un « philosophe de la barbarie » (GJN, 17), de la barbarie du monde actuel : Auschwitz, Hiroshima et Tchernobyl

      Avec les mass media a vu le jour la figure de l’“ermite de masse” (OH, 121). Il est assis, isolé face à sa radio ou à son téléviseur et reçoit la même nourriture auditive ou visuelle que les autres. Il ne se rend pas compte que ce qu’il mange solitairement est l’aliment de millions d’autres personnes en même temps » (GJN, 31).

      #technocratie #déprimant #voiture #pollution #après_le_mur

    • Le réalisateur Hark Bohm, qui habitait à l’époque à trente cinq kilomètres de la centrale nucléaire de Stade, la première centrale nucléaire de la République Fédérale, a réagi ainsi aux propos d’Anders : « La légitime défense est nécessaire. Mais dois-je tuer le président du Land de Basse-Saxe ? Le plus haut magistrat de la ville de Stade ? Après Kennedy, il y a eu Johnson ; après Johnson, il y a eu Nixon. Je tiens le conseil de Monsieur Anders pour extrêmement dangereux […]. Avec sa recommandation, il fait le jeu de ce qu’il combat. Il légitime la terreur d’État » (GJN, 38).

      Je crains que ce soit Bohm qui ait raison. La question de la violence ne peut pas se poser comme ça, de manière artificielle, ce qui détermine sa possibilité c’est un véritable rapport de force. Sinon ce ne sont au mieux que gesticulations ridicules ou pires, comme le dit Bohm, parfaitement dangereuses.

    • Ouais enfin Anders n’a pas dit ça au hasard dans le vide, genre « jeune chien fou idéaliste ». Il a dit ça après avoir vu et étudié justement les rapports de forces écolo et socio des 50 années précédentes. Et il n’a pas dit ça pour le plaisir, lui-même ayant toujours été plutôt non-violent. Je soupçonne que ça lui ait même fait du mal de devoir faire ce constat... Faire de l’agit-prop, des « happenings », sittings, festif-machin-chose, ça ne change juste rien.

      Dans les années 70, un gros chantier de centrale nucléaire a démarré au Pays Basque. ETA s’est prononcé contre le nucléaire est a lancé des menaces. On ne cède pas au chantage. Début des années 80, ils ont enlevé l’ingénieur en chef du projet, et demandé le démontage de ce qui avait commencé. On ne cède pas au chantage. Ils ont exécuté leur otage et quelques autres. Le chantier a été annulé, est toujours en ruine aujourd’hui, et il n’a plus jamais été question de nucléaire dans cette région (pour l’instant). C’est triste, mais c’est un rapport de force.

      On trouvera certains articles rappelant l’histoire de la critique nucléaire en Europe dans les années 70 sur le site de PMO, par exemple celui là (le premier du site ! :D) : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=1

    • Le pays basque était alors en guerre contre l’Etat franquiste, le peuple soutenait, c’était un vrai rapport de force. Une « perspective militante anticapitaliste », pour remployer ce terme en bois, ce n’est pas la même situation, ce n’est qu’une idée pour mobiliser, il me semble...

  • Un exemple d’autoréification : le make-up.

    Un exemple d’acceptation de la réification nous est fourni par cette auto-réification qu’est le « make-up ». Il n’est pas question pour les girls de voir du monde si elles ne sont pas maquillées. Cela ne signifie pas simplement qu’elles ont honte, comme leurs mères et leurs grands-mères, de se montrer négligées et sans atours : l’important, c’est de savoir quand - ayant entrepris de s’apprêter - elles se sentent assez soignées, quand on considère qu’elles le sont, et quand elles croient ne plus pouvoir avoir honte. Réponse : quand elles se sont transformées (pour autant que la matière première de leurs membres et de leur visage le permet) en choses, en objets décoratifs, en produits finis. Il est « impossible » de paraître en public en ayant les ongles des mains « nus » : leurs ongles ne sont prêts pour le salon, le bureau et même la cuisine que s’ils sont élevés à un « rang égal » à celui des instruments que leurs mains doivent manipuler ; s’ils présentent la même « finition » froide et lisse que les choses, s’ils peuvent renier leur passé organique. Ils donnent alors l’impression d’avoir, eux aussi, été fabriqués. Les mêmes standards valent pour les cheveux, les jambes, l’expression du visage, en fait pour le corps entier (la nature est finalement assez peu récalcitrante) : car aujourd’hui un corps « nu » n’est pas un corps dénudé, mais un corps qui n’a pas été travaillé, un corps dénué des attributs d’une chose, privé de toute référence à la réification. Et l’on a bien plus honte du corps « nu », pris en ce nouveau sens, même s’il est couvert, qu’on avait honte du corps « nu » au sens traditionnel - jusqu’à ce qu’on le réifie d’une manière satisfaisante. Toutes les plages le prouvent, et pas seulement celles qui sont fashionable. Pour paraphraser une phrase de Nietzsche, le corps est quelques chose « qui doit être dépassé ». Mieux : il est déjà « dépassé ».

    Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme, Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle (1956), Éditions Ivréa, Paris, 2002, pp 46-47

    #transhumanisme #femmes #beauté cc @beautefatale

  • " Le monde comme fantôme et comme matrice. " par Günther Anders ( 1956 )

    http://enuncombatdouteux.blogspot.fr/2013/05/le-monde-comme-fantome-et-comme-matrice.html

    Alors que nous vivons de façon aliénée, « dans un monde distancié », on nous présente ce monde comme si nous étions intimes avec lui : c’est la « familiarisation » du monde (ainsi : la bombe à hydrogène nommée « Pépé »). Ainsi, les stars, nous sont présentées de façon intime, quand nous ne connaissons pas notre voisin de palier ; le Président vient discuter auprès de la cheminée. « En fait, toute retransmission comporte cette dimension de tutoiement, tout ce qui est livré à domicile invite au tutoiement ». C’est une modalité exacerbée de l’anthropocentrisme : « nous nous représentons n’importe quel être à notre image » : ainsi les martiens viennent nous voir en soucoupe volante. Le rapport au passé est aussi concerné : Socrate appelé « un sacré type », les grands hommes considérés comme des provinciaux, puisqu’ils n’avaient pas l’électricité… « L’effet de cette méthode prétendument destinée à rapprocher l’objet consiste précisément à le dissimuler (…) voire à l’abolir (…). Car le passé considéré sous le seul angle de la possibilité d’y trouver des copains est aboli en tant qu’histoire » .

  • Parution de En Amazonie. Infiltré dans le "meilleur des mondes” (Fayard), enquête journalistique d’un intérimaire dans un immense entrepôt logistique d’Amazon.

    extrait
    http://www.humanite.fr/culture/extrait-en-amazonie-infiltre-dans-le-meilleur-des-532847

    Dans l’alvéole, je cherche des yeux le dos de Babar, le petit éléphant. Voici le livre. Je vérifie qu’il n’est pas damage – endommagé –, puis je scanne son code-barres. Deuxième bip d’approbation de mon scan : il s’agit bien du bon livre. Je place le livre dans mon panier roulant. Je viens de débuter mon “batch”, la liste d’articles à prélever. L’écran affiche aussitôt le prochain article qu’il me faut picker. (…) L’ordinateur calcule en temps réel quel est l’article à prélever en fonction de ma position géographique dans l’entrepôt, qu’il connaît précisément. Des logiciels optimisent mes déplacements afin que mon temps de marche entre deux prélèvements d’articles n’excède pas plusieurs dizaines de secondes. (…) Cette opération de prélèvement de la marchandise dans les rayonnages ainsi résumée, il vous faut la multiplier par des centaines d’heures et des dizaines de milliers d’articles pour avoir une idée du travail d’un pickeur. (…) Les pickeurs sont des femmes et des hommes meilleur marché et plus efficaces que des robots. Avec eux, aucun entretien technique n’est requis puisqu’ils sont pour beaucoup intérimaires. La direction d’Amazon peut aisément les remplacer quand ils sont épuisés ou ne font plus l’affaire en allant simplement puiser dans l’immense armée de réserve que constituent les chômeurs. 

    entretien
    http://www.20minutes.fr/high-tech/1149643-20130503-ce-plus-impressionne-chez-amazon-conditionnement-psycholo

    Quand j’ai interviewé les employés à la sortie tous me disaient qu’ils n’avaient pas le droit de parler. C’était très verrouillé. C’était évident qu’il fallait aller plus loin et le seul moyen c’était de m’infiltrer.

    Vous êtes parvenu à vous faire recruter en tant que « pickeur » dans l’équipe de nuit. Qu’avez-vous fait précisément ?

    L’entrepôt logistique fait plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés et possède encore plus de marchandises que les plus grands hypermarchés. En tant que « pickeur » j’allais chercher avec un chariot roulant les livres, les CD dans les rayonnages grâce à une petite machine, un scan, qui indique la référence exacte de l’endroit où se trouve l’objet. On lui obéit en permanence. Une fois qu’on a prélevé l’objet on l’empile. On a une cadence à respecter. L’ordinateur calcule en temps réel tout ce qu’on fait et sait exactement où on est. Quand on a 300 produits, on va les emmener à un « packeur », qui est debout toute la journée ou toute la nuit et les emballe dans des cartons de manière répétitive.

    Vous décrivez des conditions de travail très difficiles…

    Au départ, je travaillais cinq nuits par semaine puis six. Je faisais 42 heures. C’était éreintant. Je n’avais plus de vie sociale. J’étais abruti par le fait de me réveiller à 16h, et je ne faisais rien à part rester sur un canapé à manger des pâtes quand je me disais que j’allais encore marcher 20 kilomètres toute la nuit. Et après il y a tout ce que fait Amazon pour essayer de resquiller quelques minutes aux employés. Un exemple : la pointeuse est placée au bout de l’entrepôt. Quand on y entre, on marche deux minutes pour l’atteindre. C’est du travail non payé. Vous perdez ces minutes à chaque fois que vous allez en pause. Au final, ça fait des milliers d’heures qu’Amazon spolie aux travailleurs.

    Vous racontez que les salariés sont tracés en permanence grâce à leur « scan ». Ca paraît dingue. Sans oublier la suspicion et les contrôles trois fois par jours…

    J’ai vu quelqu’un dénoncer une autre personne. On est dans un système d’ultra compétition. Il y a des classements en permanence. Amazon fonctionne ainsi. Et quand on finit le travail on est systématiquement fouillé. On passe par un portique qui ressemble à un portique d’aéroport. Il n’y a pas de menace terroriste, chaque employé est considéré comme un voleur potentiel.

    • Donc, le bouquin sur Amazon est vendu sur Amazon, il en reste pas beaucoup, dépêchez-vous !

      En Amazonie : infiltré dans le « meilleur des mondes » :

      Amazon.fr : Jean-Baptiste Malet : Livres

      http://www.amazon.fr/En-Amazonie-infiltr%C3%A9-meilleur-mondes/dp/2213677654

      En Amazonie : infiltré dans le « meilleur des mondes »

      Jean-Baptiste Malet (Auteur)

      2.8 étoiles sur 5

      Prix conseillé : EUR 15,00

      Prix : EUR 14,25 LIVRAISON GRATUITE En savoir plus.
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    • Les pickeurs sont des femmes et des hommes meilleur marché et plus efficaces que des robots. Avec eux, aucun entretien technique n’est requis puisqu’ils sont pour beaucoup intérimaires. La direction d’Amazon peut aisément les remplacer quand ils sont épuisés ou ne font plus l’affaire en allant simplement puiser dans l’immense armée de réserve que constituent les chômeurs.

      Voilà qui illustre utilement la seule utilité que l’europe attend de ses citoyens : lui éviter de devoir financer de trop coûteux robots pour la servir.

    • A relier avec ce genre de considérations...

      http://seenthis.net/messages/136071#message136092

      Visiblement, nous sommes toujours trop chers, et déjà trop nombreux. Le consommateur est une externalité positive. Le chômeur une externalité négative. Dans le même genre, on a l’eau, externalité positive, à condition d’en trouver un filon (privatisation, si possible)... et la pollution, une externalité négative, dont on tâche de faire porter le poids au plus grand nombre (socialisation).

    • Sur, on a raté un chaînon dans l’évolution réel du monde, les humains ont été mis au point bien après les robots. Grâce à leur diverses incapacités, comme tenir plus de 3 jours sans boire, voir plus loin que le bout de ce qu’ils appellent leur nez ou entrer en relation avec un de leur semblable sans arme, couplées à une obsolescence rapide et une mémoire collective de même temporalité, tout ça basé sur un algorithme basique d’ADN de reptile, franchement, je voudrais pas en faire partie.

    • Qualifier cela de #robotisation, c’est prendre un point de vue humaniste : cela _nous_robotise.
      Mais il s’agit avant d’un processus d’#informatisation du travail, dont l’une des conséquences est la robotisation.
      Une question intéressante serait : quelle différence entre la robotisation liée aux machines classiques et celle liée aux machines digitales ?

    • non mais la on reste au niveau de l’individu. Il y a des différences entre la numérisation est les machines classiques, au niveau notamment de la centralisation des signaux et informations, et à leur commande a distance. A l’époque d’Anders, on en était pas encore la.

    • J’ai lu Anders, il y a longtemps, et sa méthode je ne te l’apprend pas était d’anticiper par exagération. Malheureusement même cette pratique avait ses limites, plus probablement du aux contingences historiques par ailleurs, qu’aux capacités même d’Anders.

  • L’homme superflu de Patrick Vassort - Le passager clandestin
    http://www.lepassagerclandestin.fr/fr/catalogue/essais/lhomme-superflu.html

    Loin de la fin de l’histoire annoncée par certains, la modernité assaillit désormais de toute part l’humanité de l’homme. Le règne de la compétition généralisée soumet l’expérience vécue des individus et des groupes humains de la planète à des bouleversements perpétuels.

    L’idéologie capitaliste façonne les consciences et prédispose les masses – salariés et consommateurs – à subvenir aux besoins de la machine productiviste. Le capital est plus puissamment armé que jamais pour exercer une domination diffuse, mais totale (économique, culturelle, politique, sociale, psychologique…), sur les institutions, la nature et l’homme.

    Une telle domination ne peut tenir qu’à condition de passer pour naturelle. Partant d’une critique des travaux de Louis Althusser, l’auteur décrit l’émergence et le rôle de ces « appareils stratégiques capitalistes » mondialisés que sont le sport, l’éducation, les médias, l’industrie culturelle ou encore l’armée, dans la subordination des populations. Ce faisant, il met en lumière les catégories centrales du « projet » qui requiert désormais notre adhésion : l’élimination de la complexité et de l’altérité par l’accélération de la marchandisation et du divertissement, la production d’une masse atomisée d’individus privés de toute puissance d’agir, l’organisation des rapports de production autour de la notion de superfluité. Derrière ce projet capitaliste resurgit ainsi, sous un nouveau jour, l’un des traits majeurs des expériences totalitaires du XXe siècle, selon Hannah Arendt : la superfluité de l’homme lui-même comme principe ordonnateur du monde.

    http://www.lepassagerclandestin.fr/fr/typo3temp/pics/a0809f7603.jpg

    • est-ce qu’il évoque dans son livre le fait que le statut d’homme superflu (exclu du travail et de la société productiviste) a un corollaire qui est le temps libéré. Lequel permet aujourd’hui via internet et les médias zalternatifs à cet homme superflu de s’informer ? Ce qui le transforme en homme averti. Et un humain averti en valant 2, les maitres qui pensaient dominer ne dominent finalement plus grand chose. Sauf si ils éradiquent le net ou le transforment en outil de façonnage des consciences exclusivement à leur service. Ce qui est désormais impossible. Conclusion ???

    • De ce que la présentation indique, il y a au moins la question de l’accelleration et de la vitesse qui est rajouté. Mais on la retrouve déjà chez Virilio et chez Helmut Rosa.
      Après je pense qu’on peu très bien se passer de terme comme « superfluité »... Après vu l’angle d’attaque et la formation du monsieur (essentiellement socio sportive), j’ai peur que tout ou partie de la question écologique notamment des vivants non-humain passe a la trappe.

    • Un résumé ? Perso j’ai l’impression que ça mastique beaucoup d’existant, que ça sort un concept par ci par la, mais que ça n’apporte pas spécialement grand chose. Après, je ne demande qu’a me tromper :) Extrait de « Les Appareils Stratégiques Capitalistes (ASC) contre les Appareils Idéologiques d’État (AIE) » http://www.revue-interrogations.org/article.php?article=221

      Les appareils stratégiques capitalistes sont aujourd’hui en construction et chacun d’entre eux mériterait une étude exhaustive. La télévision, par exemple, est devenue un appareil stratégique transnational de structuration de l’idéologie capitaliste et de répression intellectuelle : choix des émissions, des images, des commentaires et des analyses politiques, économiques et sociales, normalisation internationale des programmes et copies de ces derniers, normalisation des retransmissions sportives en direct, création d’un vedettariat international a-culturel, journalistes, chanteurs, humoristes, philosophes et intellectuels cathodiques, servent la polymérisation de pensées de faible densité(29). Il serait également possible de désigner l’armée qui n’est pas qu’un appareil de répression. Ainsi l’armée américaine en Irak a été une force idéologique pour le gouvernement américain sur le plan intérieur mais également au niveau international. Elle n’agit pas que pour réprimer mais pour porter et construire des formes politiques mises en scènes idéologiquement(30) ce qui dépassent et débordent le conventionnellement attendu. Que cet appareil fonctionne à la violence, à l’extérieur des frontières, comme le note Althusser, cela ne fait aucun doute mais, dans le même temps, cette armée agit comme n’importe quel appareil idéologique. Georges W. Bush a profité de l’idéologie répressive et des actions militaires à l’extérieur du pays en déstabilisant la politique européenne, en prenant position politiquement et idéologiquement dans une région productrice de pétrole, en développant la notion de terrorisme, en acceptant l’idéologie techno-militaro-scientifique avec ses guerres de renseignement, de contre-renseignement, d’anti-renseignement. Les appareils idéologiques et de répression se rejoignent ainsi car, comme le notait Horkheimer et Adorno, s’est installée une forme apparemment plus souple d’autocontrôle individualisé(31), résultat, peut-être, de l’action combinée de ces appareils. De ce point de vue et plus que jamais, l’État est devenu inconscient, hors frontières, hors organisation politique démocratique et identifiable. Nous sommes face à une forme renouvelée de gouvernement mondial sans bâtisses, donc sans lieu physique, sans organisations politiques citoyennes identifiées comme centre institutionnel, sans élus. Les superstructures comme la Banque mondiale, l’OCDE ou la commission européenne, sont les appareils qui unissent ces doubles compétences de l’appareil idéologique et répressif et impulsent l’idéologie par toutes les structures institutionnelles nationales et internationales en interrelations de dépendance avec celles-ci. Or le centre névralgique de l’idéologie dominante, son principal vecteur, celui qui permet production et reproduction de biens et services, de l’appareil de production (capitaux et main d’œuvre), de l’idéologie, c’est la mise en compétition de l’ensemble des agents et acteurs sociaux, de l’ensemble des institutions, l’universalisation de la mise en concurrence, l’accélération constante de toutes les productions.

      De nombreux ASC sont, aujourd’hui, en cours d’élaboration. Ils possèdent des fonctions différentes mais tous visent à l’intégration des valeurs capitalistes au sein de toutes les communautés mondiales. Je pourrais citer l’appareil stratégique capitaliste informatif qui comprend les systèmes télévisuels, radiodiffusés, la presse écrite, les revues et les magazines, les supports informatiques. Les technologies soutiennent les techniques de l’information, ainsi la forme et le fond sont totalement liés. Herbert Marcuse avait déjà remarqué que « l’originalité de notre société réside dans l’utilisation de la technologie, plutôt que de la terreur, pour obtenir la cohésion des forces sociales dans un mouvement double, un fonctionnalisme écrasant et une amélioration croissante du standard de vie »(32). Mais cette utilisation qui permet l’engourdissement de la critique et fait disparaître l’opposition, comme le remarque encore Marcuse, construit de nouvelles formes de contrôle puisque le changement qualitatif de la société n’est plus à l’ordre du jour et que la compétition généralisée s’impose partout, la banalité du quotidien, qui comprend la banalité de la technicisation, la banalité du mal, la banalité scientifique, celle de la consommation de masse, chloroformise toute tentative radicale. L’appareil stratégique informatique détruit le temps et l’espace en divulguant une information transnationale ou supranationale en temps réel dont la mise en scène participe de la banalisation du quotidien, de la vie et de la mort, donc de la banalisation ontologique et systémique de l’homme.

      D’autres appareils stratégiques capitalistes peuvent être cités : il en va ainsi de l’appareil sportif ou de l’appareil éducatif. Chacun possède ses singularités, mais tous répondent à ces spécificités et les propositions suivantes sont les hypothèses indispensables à la construction théorique des ASC, à la compréhension du nouveau maillage idéologique mondialisé.

      1) Les ASC, comme toute institution, relèvent du mouvement général de la dialectique, et s’y trouvent en son sein l’unité des contraires. Ainsi les ASC sont toujours davantage que ce qu’ils paraissent. Au sein de la pensée dominante, l’autonomisation des fonctions « nobles » des ASC s’effectue aux dépens de fonctions inavouées, cachées ou scotomisées. De la sorte, les ASC semblent toujours être le résultat de la « raison », du « pragmatisme » ou de la « rationalité » en tant que valeur indépassable de la modernité afin d’assurer les meilleures conditions de vie ou le bonheur général.

      2) Là où l’appareil idéologique d’État s’inscrivait dans un processus historique, idéologique, national différencié et différenciant, les appareils stratégiques capitalistes visent à l’uniformité des institutions et des idéologies sans considération de frontières, de cultures et d’histoire, sans considération morale ou éthique. En ce sens les ASC sont plus que la transformation des AIE. Plus précisément, les AIE sont des appareils de transitions qui mènent, selon la logique capitaliste, à l’élaboration d’appareils susceptibles (les ASC) de soutenir un capitalisme mondialisé, n’ayant pas d’autres objectifs ni finalités que l’accroissement du capital et la reproduction du processus de production mondialisé au travers du développement des sciences et des techniques.

      3) Les ASC sont des appareils d’information et d’éducation de la masse informe. Cela concerne tant les modes d’information que peuvent être les différentes formes de presse (télévisuelle, radiophonique, écrite, internet), que les institutions d’éducation ou pédagogiques (écoles, universités, institutions éditoriales…), les institutions économiques ou politiques (OCDE, Parlement européen, Banque mondiale...).

      4) Les ASC sont les lieux de la compétition massifiée, dans le sens où la masse est cette partie de la population « déclassée » de toutes les couches sociales. Dialectiquement, les ASC visent à développer la « masse » au mépris de l’existence de populations et d’individus conscients. La masse est la « matière » indispensable au développement du capital, finalité visée des ASC. C’est pour cette raison que la masse ne se forme pas au niveau régional ou national mais se développe et prend sens, dans le capitalisme mondialisé, dans un espace supranational ou mondial.

      5) Les ASC visent à mette en compétition tous les acteurs, institutions, masses et individus afin de « naturaliser », dans un mouvement dialectique, la lutte de tous contre tous, de tous contre chacun et de chacun contre tous. Les outils principaux de cette compétition sont la vitesse (l’accélération) et la productivité (le rendement) qui permettent de hiérarchiser les différents niveaux de production, les différents producteurs, selon l’ensemble des critères et indicateurs capitalistes mondialisés. L’idée de progrès est liée à l’amélioration de ces indicateurs qui imposent la notion de développementalisme.

      6) Les ASC ont pour mission d’imposer les formes les plus aigues de la flexibilité et de la mobilité. C’est ainsi que l’on forme le nouveau prolétariat du tertiaire ou technologique, fait d’individus « technicisés » ou « technologisés ». C’est par les « techniques » que les individus deviennent les prothèses mêmes de leurs propres « sciences » et « techniques » dont les ASC défendent les logiques internes et externes de progrès.

      7) Les ASC transforment les lieux de l’intellectualité en lieux de production et modifient ainsi la valeur et la destination de l’activité intellectuelle. C’est ainsi que les laboratoires publics de recherche sont lentement instrumentalisés aux désirs du marché mondial et placé dans une situation de compétition généralisée. La « compétition des savoirs » qui se mesure à l’aune de résultats économiques, fait disparaître toute possibilité de négativité et de dialectique. La finalité visée est l’instrumentalisation de la connaissance par le capitalisme mondialisé.

      8) Les ASC forment les travailleurs sur des objets et des secteurs portés par l’industrie et l’économie. L’instrumentalisation des masses est quasi-totale dans l’émergence des projets politico-économiques de la classe dominante capitaliste. Les ASC rendent le travail et les travailleurs quantité négligeable car totalement interchangeables au sein de l’espace européen, dans un premier temps, mondial ensuite. Ils banalisent les formations et les diplômes de tout niveau, les savoirs et les compétences de toute nature en leur faisant perdre toute forme de complexité.

      9) Les ASC vont organiser les formes modernes de production capitalistes de tous les secteurs d’activité en augmentant la précarisation des individus, étudiants et travailleurs, leur flexibilité, leur mobilité spatiale et sociale sur le marché du travail, en les fragilisant et en créant de la chair à travail technologique.

      10) Les ASC organisent l’ordre par l’auto-répression et l’autocontrôle des individus dans les masses elles-mêmes organisées autour de la rareté. De la sorte, c’est au sein d’une société « kafkaïenne » que la démocratie, en tant que système politique du peuple conscient pour le peuple conscient et organisé par le conscient, tend à disparaître pour faire émerger une technocratie mondiale, représentant le centre dominant d’un pouvoir mondial déterritorialisé face à une périphérie dominée.

      11) Les ASC participent de la transformation des valeurs par la création d’ornements, de spectacles et de divertissements. L’ornement du travail étant la technique, la vie devenant spectacle (télévisé ou « webisé »), le détournement l’essence (la société dite des loisirs), l’existence elle-même devient une abstraction de par la valeur abstraite que le travail possède dans sa dimension technique, que la vie possède dans sa dimension spectacularisée qui ne dévoile rien du réel ni au spectateur ni à l’acteur lui-même, que l’essence possède dans sa dimension détournée. L’abstraction même de l’humanité est, pour partie, la disparition de l’humanité de l’homme.

      12) Les ASC détruisent subséquemment les notions d’art et d’œuvre (donc de chef d’œuvre). L’art en tant que réalisation transcendante de l’imagination de l’homme et l’œuvre en tant que réalisation d’une connaissance artisanale subjective devaient être les supports de vie des sujets en tant que la subjectivité reste l’essence de la vie et des valeurs de celle-ci. Les disparitions de l’art et de l’œuvre, de par la marchandisation, l’instrumentalisation, la décomplexification liée à l’accélération de la consommation industrielle sont la symptomatique d’une période de déshumanisation et de la mise en spectacle de celle-ci et de ses ornements.

      13) Les ASC participent de la structuration rationnelle spatiale dominante, de la politique urbaine dominante par la monumentalisation spectaculaire de l’espace vécu et son rendu médiatique. De la sorte, le spectacle du travail devient spectacle de l’architecture (Pékin, la Défense, Dubaï…), l’expression architecturale bétonnée s’imposant à « l’univers de chair » de l’intersubjectivité.

      14) Les ASC, participent de la rationalisation technique du temps (travail-loisir-travail) et de sa structuration. L’accélération de la production, l’accroissement de la productivité structurent le temps puisque la compétition est toujours une lutte contre ce dernier. La rationalisation du temps n’a plus de limites ni de fins, et participe de la production sans fin des « sciences » et des « techniques » et de l’accélération du rythme des innovations, des découvertes ou des « inventions ».

      15) Les ASC reposent sur un mythe. Ils se proposent d’être une forme non idéologique de formation, d’information, d’encadrement massif des individus qui reposerait sur une forme quasi idéalisée et démocratique de compétition des savoirs, des connaissances, des productions qui se pratiquera mondialement selon les mêmes formes, les mêmes règles. Le culte de la performance s’insère dans l’ensemble des rets de la vie humaine, tant intime que publique.

      16) Les ASC vont organiser de la sorte les logiques de qualification et d’exclusion car il n’y a pas de compétition sans vainqueur mais, également et dialectiquement, sans perdants. La recherche névrotique de croissance organisera obligatoirement et systématiquement la prospérité d’un petit nombre au détriment de la grande majorité dans un processus capitaliste dont la logique veut que les moins nombreux usent de leur richesse lorsque la majorité use son corps (physique, politique et social).

      17) Les ASC participent de la mobilisation générale et totale de l’appareil de production capitaliste et, de ce fait, les individus seront incapables de discerner derrière la « machinerie » ceux qui l’utilisent, ceux qui en tirent profit et ceux qui la subissent ou payent pour elle(33).

      Ces premières analyses générales des ASC peuvent, bien sûr, être complétées puisque relevant d’une forme « universelle », et les figures dialectiques des ASC peuvent s’exprimer dans la particularité ou la singularité. Mais ce qui reste signifiant est la structuration supranationale de ces appareils qui in fine nous intime l’obligation de construire une masse sans logique politique d’opposition au capital, de rébellion ou d’insurrection. Comme le souligne René Lourau, les appareils idéologiques, en tant qu’institution, ne sont jamais totalement ce qu’ils semblent être et derrière l’illusion de libération par choix individuel, s’inscrit le conformisme le plus dangereux et le moins pensé. Comprendre les ASC pour lutter contre, les déconstruire, les détruire est sans doute l’une de nos premières missions.

      Conclusion
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      Les appareils stratégiques capitalistes ne sont donc pas le résultat d’une désinstitutionnalisation mais d’une transmutation de ces institutions. Ils sont également le résultat d’une accélération sociale, politique et économique de la vie tout en participant dialectiquement de cette accélération. Cette dernière est l’indispensable outil de la mise en compétition globalisée des populations mondiales. C’est également l’appareillage technique de la constitution des masses et c’est pour cette raison que l’accélération continue de la vitesse qui détruit toute complexité est devenue l’un des principaux dangers en faisant de l’homme la prothèse ou l’appendice de la vitesse technique, économique et politique. La masse, constituée d’individus interchangeables à volonté, formés par les appareils stratégiques capitalistes, est le résultat du déclassement culturel et politique de tous au profit d’une domination supranationale capitaliste et technoscientifique peu identifiable. C’est peut-être ainsi que s’élabore les prémisses des nouvelles formes de totalitarisme, lorsque, comme le fait remarquer Hannah Arendt, « le totalitarisme ne tend pas vers un règne despotique sur les hommes, mais vers un système dans lequel les hommes sont superflus. Le pouvoir total ne peut être achevé et préservé que dans un monde de réflexes conditionnés, de marionnettes ne présentant pas la moindre trace de spontanéité. »(34) Les ASC, réduisant les formes de spontanéité permises par la complexité culturelle et politique, ne sont-ils pas ces dangereux outils d’un possible totalitarisme à venir ?

  • Briseur de machine ?

    1. Croire, comme nos pères l’ont encore fait, que des machines peuvent et doivent nous remplacer et que leur travail peut et doit remplacer le nôtre est totalement obsolète. Là où nous travaillons, nous ne travaillons la plupart du temps pas « encore » mais « à nouveau » : nous remplaçons en fait les machines. Ou bien parce qu’aucune machine ne peut s’en charger, ou bien — et ici l’adverbe « encore » est encore légitime — parce que les machines, qui devraient « en fait » s’en charger, n’ont scandaleusement pas encore été inventées. Du coup, nous remplaçons des machines qui n’existent pas encore. Bien sûr le remplacement que nous assurons est toujours lamentable. Si les instruments que nous remplaçons pouvaient observer les efforts que nous faisons pour les remplacer, ils s’amuseraient de notre tentative maladroite. Je dis « si » et j’emploie le conditionnel car, bien sûr, en tant qu’instruments, ils sont fiers d’être incapables de s’amuser et même d’être incapables d’être fiers de quoi que ce soit.

    2. Aujourd’hui, il me faut une fois de plus lire que je serais un « briseur de machines réactionnaire ». C’est le plus absurde des reproches qu’on peut me faire. Car mon combat ne vise pas les modes de production, comme au dix-neuvième siècle, mais les produits eux-mêmes. Je n’ai encore jamais proposé que nous produisions des missiles manuellement et dans le cadre d’un travail à domicile au lieu de les produire en usine. Ce que j’ai toujours proposé, c’est qu’on ne produise pas de missiles du tout.

    3. Ceux qui nous traitent de « briseurs de machines », nous devons les traiter en retour de « briseurs d’hommes ».

    Günther Anders.

  • à propos d’ « anders, Molussien »
    http://nicorey.perso.neuf.fr/anders/apropos.html

    J’ai voulu faire un film à partir d’un roman que je n’avais pas lu. Plus précisément, que je ne pouvais pas lire, puisqu’écrit dans une langue qui m’est étrangère — et jamais traduit.(1) Etrange idée, me direz-vous. C’est une question de confiance. D’intuition, un peu, mais surtout de confiance. Aujourd’hui je peux dire que ne me suis pas trompé, qu’il y a dans La catacombe de Molussie de Günther Anders une profonde actualité.

    Sans pouvoir lire « le script », comment procéder ? Simplement. Toujours procéder simplement… J’en connaissais tout de même la trame fictionnelle : des prisonniers, plongés dans l’obscurité d’une geôle d’un état fasciste imaginaire, la Molussie, se transmettent des histoires à propos du dehors, comme autant de fables à portée philosophique. Comment faire ?

    Simplement filmer ce pays imaginaire. Pas besoin d’aller bien loin pour cela. Errer avec l’amie Nathalie à travers les paysages plus ou moins urbanisés, plus ou moins industrialisés. S’arrêter ici et là. Il est remarquable qu’en procédant de la sorte, vient un moment où ce qu’il est nécessaire de filmer apparaît nettement sans que qu’un quelconque « projet » n’en ai décidé la nature. Fabriquer quelques machines avec l’ami Christophe pour rendre l’entreprise plus complexe et le résultat moins prévisible. Ne pas omettre de filmer quelques humains dans leur activité la plus courante : le travail. Un pays n’est jamais complètement désert.