person:georges corm

  • Georges Corm décroche le Prix de l’essai de l’Académie française
    https://www.lorientlejour.com/article/1123436/georges-corm-decroche-le-prix-de-lessai-de-lacademie-francaise.html

    L’Académie française a dévoilé, vendredi, son palmarès de Grands Prix, un total de 66 récompenses, pour l’année 2018. Parmi les lauréats, l’historien, économiste et écrivain libanais Georges Corm, qui obtient le prix de l’essai pour « La nouvelle question d’Orient ».

    Ancien ministre des Finances (1998-2000), Georges Corm est l’auteur de plusieurs ouvrages de références sur le Liban et la géopolitique du Moyen-Orient.

    Dans « La nouvelle question d’Orient », publié aux éditions de La Découverte en 2017, M. Corm revient sur le destin tragique des sociétés de l’Est de la Méditerranée et du monde arabe, carrefour stratégique et géopolitique convoité par les grandes puissances coloniales depuis le XIXe siècle. « Une vaste littérature avait été produite à cette époque sur la +question d’Orient+, alors qu’il s’agissait en fait des rivalités implacables entre puissances européennes avides de se partager les vastes territoires de l’Empire ottoman. Cet ouvrage rétablit les continuités et les ruptures entre cette ancienne question d’Orient et la +nouvelle question d’Orient+, débutant après la Seconde Guerre mondiale et donnant naissance à son tour à des violences ininterrompues, aujourd’hui à leur paroxysme », explique la maison d’édition dans sa présentation de l’ouvrage.

  • Gilbert Achcar sur France 24 qui dit une chose (malgré sa victoire le Hezbollah est obligé de négocier avec Hariri) et son contraire (le Hezbollah va dicter ses conditions) avant de se ressaisir partiellement (même si comme je l’ai dit...)

    Les Georges Corm sont une espèce rarissime.

  • Expertos: Siria será reconstruida sin recurrir a sistemas de pago basados en el dólar o el euro – Sitio de Al Manar en Español
    http://spanish.almanar.com.lb/158446

    El antiguo ministro de Finanzas del Líbano y profesor de la Universidad Jesuítica del Líbano, George Qurum, cree que Siria superará con éxito la fase de reconstrucción gracias al apoyo de sus amigos -Rusia, Irán, China e Iraq-. De este modo, señaló, la reconstrucción de Siria no estará a meced de los sistemas de pago basados en el dólar o el euro.

    Él habló de la posibilidad de utilizar la moneda rusa, el rublo, o la china, el yuan, para financiar las operaciones y dijo que Siria puede beneficiarse también de la experiencia de Cuba, Rusia o Irán en la fase de la reconstrucción.

    “El Estado sirio ha demostrado una extraordinaria resistencia con la ayuda de Rusia, Irán y Hezbolá y tiene ahora un desafío por delante”, dijo en los márgenes de la primera conferencia sobre la reconstrucción en la Universidad de Damasco, organizada por la Asociación Madre Siria.

    Georges Corm suppôt du régime syrien : à qui se fier, mon dieu ! [attention, ironie !]

    #syrie

  • #Corm : « Seuls les naïfs pensent qu’il s’agit d’un conflit entre sunnites et chiites » | Investig’Action
    https://www.investigaction.net/fr/corm-seuls-les-naifs-pensent-quil-sagit-dun-conflit-entre-sunnites-e

    On pourrait pour être plus proche des réalités du terrain, résumer la situation en disant que nous sommes dans l’affrontement de deux blocs géopolitiques : celui de l’#OTAN d’un côté et l’axe contestataire de la suprématie américaine du monde, soit celui de la #Chine, de la #Russie et de l’#Iran, de l’autre. La Syrie et aujourd’hui le Yémen ont été victimes de cet affrontement ; le Liban avec son premier ministre kidnappé pour son manque d’activisme anti-iranien en souffre lui aussi.

    Seuls les naïfs, victimes des grands médias occidentaux et arabes sous influence occidentale, peuvent penser qu’il s’agit d’une lutte entre « sunnites » et » chiites ».

    • et juste avant :

      Aujourd’hui, l’Arabie saoudite sous prétexte de lutter contre l’influence chiite et l’Iran détruit le Yémen avec des bombardements continus depuis 2015, un siège de ses ports, une épidémie redoutable de choléra qui en a résulté, dans un silence assourdissant de la communauté internationale. La justification de cette guerre intolérable par la nécessité de combattre l’influence d’un « triangle chiite » subversif au Moyen-Orient est une feuille de vigne idéologique pour justifier la politique saoudo-américaine dans la région. J’aime à rappeler ici que c’est l’Irak sous influence des pétromonarchies et des États-Unis qui a tenté en 1980 d’envahir l’Iran et lui a déclaré la guerre et non l’inverse.

      Georges Corm

  • Georges #Corm : « Les pays du #Golfe comme les #Etats-Unis ont armé et entretenu des groupes djihadistes » | L’Humanité
    http://www.humanite.fr/georges-corm-les-pays-du-golfe-comme-les-etats-unis-ont-arme-et-entretenu-d

    Comment analysez-vous la crise diplomatique actuelle et la mise en quarantaine du #Qatar, accusé de soutenir le « terrorisme » ?

    Georges Corm : Heureusement que le ridicule ne tue pas : depuis la première guerre d’Afghanistan, les pays du Golfe comme les Etats-Unis ont armé et entretenu des groupes de prétendus « djihadistes » qui ont été déployés d’un pays à l’autre, en fonction des intérêts géopolitiques de Washington et de ses alliés. Ceci dit, ce n’est pas la première crise entre l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui ont en commun comme doctrine d’Etat le wahhabisme. Et qui ont été ces dernières années en compétition très forte, en particulier depuis les soulèvements arabes de 2011, pour recueillir le fruit du détournement de ces révoltes en soutenant différentes mouvances de l’islam politique. L’influence du Qatar, via notamment ses centres d’études, ses think tanks et sa chaîne de télévision al-Jazeera, a visiblement pris trop d’importance pour une #Arabie_Saoudite qui cherche aujourd’hui, sans aucun complexe, à affirmer son emprise absolue et totale sur les pays arabes et aussi tous les Etats se définissant comme musulmans. Une emprise qui a débuté avec l’envolée des prix du pétrole en 1973, et qui a permis à Riyad de créer toutes les institutions nécessaires à cet effet – Ligue islamique mondiale, Banque islamique de développement, Conférence des Etats islamiques, etc. – qui ont été créé dès l’origine pour être des outils majeurs de lutte contre l’influence de l’URSS et du marxisme dans les rangs des jeunesses musulmanes, arabes ou non arabes de ce que l’on appelait alors le tiers-monde.

    • Quelles peuvent être les conséquences de cette brusque montée en tension pour le Liban ?

      Georges Corm : Pour le moment, heureusement, la scène libanaise demeure relativement gelée. Les services de sécurité, qui travaillent avec le Hezbollah, ont réussi à mettre fin à la vague terroriste qui a touché le pays en 2013, 2014 et 2015. Même les partis politiques financés par l’Arabie Saoudite ne contestent pas le fait que le Hezbollah est une composante importante de la vie politique et sociale libanaise, et nul ne songerait à qualifier ce parti de « terroriste ». D’ailleurs, nous assistons heureusement depuis quelques mois à la disparition de la forte polarisation transcommunautaire de la vie politique libanaise depuis 2005. Il s’agissait des deux grands blocs parlementaires, l’un pro-occidental et pro-saoudien (dit bloc du « 14 mars »), dirigé par la famille Hariri d’un côté, et de l’autre le bloc dit du « 14 mars » anti-impérialiste et pro-résistance libanaise et palestinienne contre l’Etat d’Israël, dit bloc « du 8 mars ». C’est l’approche des élections parlementaires ainsi que l’arrivée du Général Michel Aoun à la présidence de la République à la fin de l’année dernière et celle de Saad Hariri comme premier ministre et allié du président qui a permis la recomposition du paysage politique libanais. Ce qui ne veut pas dire que les problèmes politiques ont disparu, comme l’a prouvé la pénible et très longue période de gestation d’une nouvelle loi électorale en vue d’élections prochaines.

    • Et le coup de pied l’âne (ça ne choque personne ?) :

      Oui, il se trouve que les élites nationalistes étaient, au moment des indépendances, plus directement influencées par la culture laïque du colonisateur. Elles n’ont pas hésité à contrarier le sentiment religieux populaire, notamment pour affirmer le primat du développement économique sur les exigences de la culture religieuse. Bourguiba boit un jus en plein ramadan, Boumédiène met le Coran au défi de nourrir la population.

      Alors de manière pas du tout étonnante, toute cette interview est mot pour mot l’inverse de ce que raconte Georges Corm :
      https://www.youtube.com/watch?v=OCcCyKUSrjw

    • « l’islamisme représente une dynamique au travers de laquelle les acteurs de l’ex-périphérie coloniale ont entrepris de parfaire, sur le terrain symbolique cette fois, la rupture indépendantiste [c.-à-d. moderniste] » - me fait penser au mouvement Nation of Islam aux Etats-Unis où l’Islam a été utilisé dans un contexte non-arabe original mais également pour s’émanciper de la domination coloniale. #Nation_Of_Islam

    • (1) D’abord, il y a ce flottement sur ce que serait l’« islamisme » : une affirmation identitaire post-coloniale, mais comment il passe de cet aspect à l’islam politique, c’est-à-dire l’affirmation du rôle premier de l’islam dans la vie politique, ce n’est pas explicité. Et c’est le premier piège : on part d’une affirmation identitaire, d’une réaction au colonialisme, à l’autoritarisme, etc., et on se retrouve avec l’organisation du politique selon des règles religieuses. Or il y a une grande différence entre une affirmation identitaire personnelle par un retour à un certain mode de vie qui serait « islamique », et le rôle politique de la religion.

      (1b) Dans ce passage de l’identitaire au politique, il y a ainsi le glissement du personnel, de l’intime (beaucoup de gens sont religieux et veulent avoir un mode de vie en accord avec les préceptes de leur religion) au politique qui s’impose à tous (une identité musulmane imposerait des formes d’organisation politique islamiques). Ainsi le choix personnel devrait s’imposer à toute la société.

      Par ailleurs ça introduit des difficultés à discuter, car la critique du mouvement politique reviendrait, grâce à ce discours, à une critique d’un mode de vie, et donc à de l’islamophobie (difficulté accentuée, évidemment, par le fait que l’islamophobie a été et est centrale dans l’occident colonial et post-colonial ou néo-colonial). Et Burgat joue ce petit jeu de prétendre que la critique des groupes soutenus par l’Arabie séoudite serait de l’islamophobie. Voir ma remarque sur ce passage où il prétend qu’on réclamerait à l’Arabie et à l’Iran de « changer de culture » :
      https://seenthis.net/messages/313869#message313960

      (2) Burgat reprend ici l’idée assez banale chez les islamistes selon laquelle certaines idées de la modernité, dont la séparation du politique et du religieux (mais aussi, partant, le droit de discuter les interprétations des textes religieux, le rôle fondamental de l’éducation, l’émancipation des femmes…) seraient des éléments inauthentiques, exogènes, importés, voire hérités de la colonisation, et fondamentalement hostiles à l’islam. C’est ici l’intérêt de l’extrait de la conférence de Corm, qui fait remonter ces idées « modernes » à l’histoire médiévale de l’islam puis à la Nahda. Encore une fois, « Pensée et politique dans le monde arabe », de Georges Corm, est une épatante vulgarisation sur ce sujet.

      Et même si on n’accepte pas ces principes ont des racines profondes dans l’histoire de l’Islam, présenter des revendications politiques d’émancipation individuelle comme inauthentiques ou importées ou impérialistes, c’est tout de même une vieille lubie à manier avec précaution.

      Pour quelqu’un qui prétend dénoncer l’orientalisme, je trouve la position de Burgat fondamentalement contradictoire. D’ailleurs, repris par ses copains moins subtiles que lui, tels que Leverrier ou Caillet, ça donne des choses que j’ai régulièrement qualifiées d’orientalisme crasseux.

      Par exemple de chef-d’œuvre de Leverrier en 2014 :
      https://seenthis.net/messages/325084#message325089

      (3) De manière centrale, je trouve indéfendable sa façon de présenter l’islamisme comme quelque chose de simplement issu des peuples, de grassroot, quasiment spontané. Ici, on le retrouve dans sa mention des « élites nationalistes » qui « contrarient » le sentiment religieux des peuples.

      Alors évidemment il a des arguments tout à fait valables sur l’aspect populaire de nombreux islamismes : la destruction du politique et de toute forme de société civile par les colonisateurs et par les dictateurs, l’instrumentalisation du religieux par les colonisateurs et par les régimes autoritaires eux-mêmes, les invasions et les occupations…

      Mais dans le même temps, en se focalisant sur le « personnel » plutôt que sur les organisations politiques (retour au glissement du premier point), il occulte systématiquement les aspect politiques et géopolitiques de ces mouvements. Et notamment les très fortes subventions de la part des pays du Golfe, Arabie en tête.

      a. Par exemple, si l’on parle de revendication identitaire ou culturelles post-coloniale, alors pourquoi toute une partie des mouvements islamistes adoptent-ils des formes identitaires qui ne sont pas tirées de leurs traditions locales, mais considérées par beaucoup de leurs contemporains comme des produits d’importation. Georges Corm intègre d’ailleurs dans ses critiques l’influence de la révolution iranienne, qui serait parfois « visible » dans certains coins du Liban. Les copains de Burgat ont d’ailleurs eu beau jeu de dénoncer l’« iranisation » de quartiers de Damas en Syrie avec l’affichage de formes de religiosité et de processions « importées ». Curieusement, ils sont beaucoup moins choqués par le fait que leurs copains « adoptent » des versions de l’islam historiquement ultra-minoritaires dans les pays du Machrek ; ce qui évidemment interrogerait sur l’« authenticité » spontanée de ces mouvements.

      Évidemment, l’influence wahhabite est tout de même largement documentée et critiquée, et sa grande contribution à la #catastrophe_arabe.

      b. Mais l’aspect fondamental que Burgat évite dans son idée de revendication populaire grassroot, c’est qu’on ne parle jamais d’argent ni d’intrumentalisation politique par leurs gentils créanciers.

      Un document très intéressant à mon avis, c’est cette prestation de Burgat dans une commission parlementaire en France, exhortant nos élus à « par pitié, cessez de croire que les Séoudiens se lèvent le matin en rêvant d’exporter le wahhabisme », parce qu’en fait, ce qu’ils veulent c’est conserver le pouvoir à tout prix. C’est très vrai, et important à rappeler. Mais ce qui m’intéresse surtout au delà de ce truisme, c’est ce qu’il occulte : dans ce cas, pourquoi exportent-ils le wahhabisme et pourquoi financent-ils autant des mouvements islamistes et l’exportation de leur version de l’islam ? Si ce n’est pas pour des raisons religieuses, pourquoi y consacrent-ils des milliards de dollars ?

      Si, comme Burgat, on accepte l’idée que la conviction religieux n’est pas le moteur du régime séoudien, c’est donc que les mouvements soutenus, financés (voire pour certains armés) par les Séoudiens sont considérés par eux comme des agents de leur propre influence.

      c. Et si on suit la logique de cette volonté d’influence, et son alignement systématique avec les intérêts états-uniens, on ne peut plus prétendre à des mouvements ni authentiques ni grassroots. (Élément qui invalide, au passage, l’analogie avec les Black Panthers.)

      Le cas d’école en la matière, c’est le programme américain de distribution de livres scolaires totalement tarés en Afghanistan, prônant ce que serait un vrai musulman :
      https://seenthis.net/messages/299999

      (4) Assez habituellement, privilégier la revendication identitaire et réduire les enjeux économique et développementaux. Ce n’est pas formalisé d’une façon forcément évidente, mais ça ressort par endroits.

      (5) Un élément plus récent du discours de Burgat, c’est de vouloir une explication globale au sujet des jeunes jihadistes, en allant de la Syrie au Maghreb et en Europe. Ce qui se résume, dans une de ses tribunes, à dénoncer le déficit d’islam politique en France. Or on peut considérer que la position d’Olivier Roy est totalement pertinente quand il parle des jeunes français, mais pas du tout adaptée à la Syrie ; mais c’est ce que Burgat refuse, et je trouve cette volonté d’une explication globale à la fois inefficace et dangereuse.

    • Votre conclusion résonne comme une alerte : « Le partage ou la terreur »…

      Rien de très nouveau. Cette formule a fait l’objet d’une tribune dans Libération il y a dix ans déjà. Il ne s’agit pas de partager seulement des ressources économiques. Il faut également partager les ressources symboliques : le droit à la parole publique, la représentation politique - l’avis de l’autre en général. Il faut donc partager aussi les efforts de réforme et ne pas en attendre, sempiternellement, que de l’autre ! La redistribution sérieuse et sincère, qui reconnaît la place de l’autre, c’est effectivement la véritable « arme de destruction massive du terrorisme ». Mais personne ne veut l’employer : elle coûte trop cher.

      Dans le genre #partage : à part Gilles Kepel, Olivier Roy et François Burgat, il n’y aurait pas un.e politiste français.e d’origine arabe avec qui ils pourraient partager la tribune ?

      #Gilles_Kepel :
      https://seenthis.net/messages/539856

      #François_Burgat :
      https://seenthis.net/messages/539816

      #Olivier_Roy :
      https://seenthis.net/messages/535344

    • Oh, une défense de Huntington sur Rezo…

      Je ne comprends pas bien ce texte. Il dit très clairement que la thèse de Huntington est :

      Telle est, n’en déplaise aux têtes plates, la seule interrogation du livre de Huntington, interrogation qui lui permet d’avancer la thèse selon laquelle, désormais, les nations ne s’entrechoqueront plus à cause de rivalités économiques ou territoriales mais à cause de différences culturelles — ou, inversement, les nations ne se regrouperont et ne s’allieront plus contre d’autres selon des convergences stratégiques mais par affinités de mœurs et de cultes.

      avant de donner une liste de contre-exemples à cette thèse « fantasque » :

      Quand on voit les rivalités intracontinentales des pays européens, africains, latino-américains, asiatiques, rien ne semble plus fantasque que la thèse de Huntington.

      Dans l’article initial de Huntington de 1993, dès l’introduction il explique très clairement sa thèse :

      It is my hypothesis that the fundamental source of conflict in this new world will not be primarily ideological or primarily economic. The great divisions among humankind and the dominating source of conflict will be cultural. Nation states will remain the most powerful actors in world affairs, but the principal conflicts of global politics will occur between nations and groups of different civilizations. The clash of civilizations will dominate global politics. The fault lines between civilizations will be the battle lines of the future.

      Je ne comprends pas bien ce que tente de démontrer Schiffter. Que le Clash n’est pas fondamentalement hostile à l’islam, qu’il n’apporte pas « la preuve scientifique du péril que l’islam représente pour la civilisation occidentale » ?

      L’auteur l’écrit lui-même, citant quasiment mot pour mot Huntington : « les nations […] s’entrechoqueront […] à cause de différences culturelles » (dans l’introduction de 1993 : “The great divisions among humankind and the dominating source of conflict will be cultural.”). Qu’est-ce qu’il y a là-dedans qui ne correspond pas exactement à l’idée raciste du rapport entre l’islam et l’« occident » que s’en font les « têtes plates » ?

      Dans le livre, par exemple, Huntington ne se contente pas d’évoquer les « grands blocs », mais aussi le « micro-level » et les « fault lines between civilizations » :

      The clash of civilizations thus occurs at two levels. At the micro-level, adjacent groups along the fault lines between civilizations struggle, often violently, over the control of territory and each other. At the macro-level, states from different civilizations compete for relative military and economic power, struggle over the control of international institutions and third parties, and competitively promote their particular political and religious values.

      Explicitement :

      On both sides the interaction between Islam and the West is seen as a clash of civilization. The West’s “next confrontation,” observes M. J. Akbar, an Indian Muslim author, “is definitely going to come from the Muslim world. It is in the sweep of the Islamic nations from the Maghreb to Pakistan that the struggle for a new world order will begin.” Bernard Lewis comes to a similar conclusion:

      We are facing a mood and a movement far transcending the level of issues and policies and the governments that pursue them. This is no less than a clash of civilizations—the perhaps irrational but surely historic reaction of an ancient rival against our Judeo-Christian heritage, our secular present, and the worldwide expansion of both.

      Je ne vois pas en quoi tout ceci contredirait (au contraire) l’idée raciste selon laquelle la France se trouverait sur l’une de ces « lignes de fracture » (désormais redéfinies comme essentiellement cultuelles et civilisationnelles) et que cela « menacerait » la civilisation occidentale. Ou alors, annoncer une « next confrontation » qui « viendra du monde musulman » est une notion que j’ai mal comprise…

      Et de manière particulièrement explicite, voici comment Huntington introduit le passage « Islam and The West » :

      Some Westerners, including President Bill Clinton, have argued that the West does not have problems with Islam but only with violent Islamist extremists. Fourteen hundred years of history demonstrate otherwise.

      et :

      The causes of this ongoing pattern of conflict lie not in transitory phenomena such as twelfth-century Christian passion or twentieth-century Muslim fundamentalism. They flow from the nature of the two religions and the civilizations based on them.

      et :

      So long as Islam remains Islam (which it will) and the West remains the West (which is more dubious), this fundamental conflict between two great civilizations and ways of life will continue to define their relations in the future even as it has defined them for the past fourteen centuries.

      Et Schiffter de suggérer que ceci devrait être titré : « Vers la paix entre les civilisations »…

      Il est certes facile de considérer qu’au bout de 20 ans, l’analyse de Huntington est devenue « réaliste » et bien plus « modérée » que nombre de discours d’aujourd’hui, notamment parce que la « résurgence du religieux » serait un fait explicatif central aujourd’hui. Mais il me semble bien plus crédible de considérer que, vues les évolutions géo-politiques et idéologiques depuis la fin du XXe siècle, il a bel et bien servi de boîte à outil idéologique et de propagande pour les politiques de l’Empire (et notamment le néoconservatisme), et qu’il est un des meilleurs exemples de prophétie auto-réalisatrice qui a contribué à façonner le monde dans lequel nous vivons, ainsi que (surtout ?) la perception que nous en avons.

    • Pour une analyse profane des conflits, par Georges Corm (Le Monde diplomatique, février 2013)
      http://www.monde-diplomatique.fr/2013/02/CORM/48760

      Cette nouvelle grille de lecture a acquis un crédit exceptionnel depuis que le politologue américain Samuel Huntington a popularisé, il y a plus de vingt ans, la notion de « choc des civilisations », expliquant que les différences de valeurs culturelles, religieuses et morales étaient à la source de nombreuses crises. Huntington ne faisait que redonner vie à la vieille dichotomie raciste, popularisée par Ernest Renan au XIXe siècle, entre le monde aryen, supposé civilisé et raffiné, et le monde sémite, considéré comme anarchique et violent.

    • Samuel Huntington dans l’univers stratégique américain
      https://www.cairn.info/revue-mouvements-2003-5-page-21.htm

      Il met en garde ses lecteurs contre la tentation, qu’il qualifie lui-même d’ethnocentrique, consistant à définir les valeurs occidentales comme « universelles » et à vouloir à tout prix les diffuser parmi tous les peuples de la planète. C’est précisément ce genre d’arrogance occidentale qui présente, selon Huntington, le risque le plus grave de clash intercivilisationnelle. Voilà pourquoi ses défenseurs veulent voir en lui un homme de tolérance, partisan éclairé d’un pluralisme culturel au service de la bonne entente dans un monde multipolaire. Loin de viser à dresser les peuples les uns contre les autres, n’aspire-t-il pas, au contraire, à prévenir le monde contre un danger de polarisation violente, qu’il affirme regretter ?

      Il faut bien voir, cependant, que les regrets exprimés par Huntington sont largement contrebalancés par le statut d’objectivité qu’il confère au danger que courrait actuellement, selon lui, l’« Occident » en tant qu’unité civilisationnelle. S’il donne souvent l’impression de prendre des distances critiques avec l’« Occident », son livre se lit néanmoins comme une incitation de ce même Occident à préparer d’urgence son autodéfense collective. Dans un monde de plus en plus multipolaire, l’Occident serait aujourd’hui en grave danger de perdre sa capacité à se défendre, par négligence de sa propre cohérence culturelle, par excès de timidité dans l’affirmation de son « identité » culturelle… et stratégique.

      Dès lors, la « critique » huntingtonienne de l’ethnocentrisme occidental apparaît comme une forme perverse d’ethnocentrisme, déguisée en pluralisme culturel. L’avertissement contre l’arrogance occidentale signifie surtout, en termes pratiques, qu’il faut atténuer les aspirations à promouvoir, hors de l’aire occidentale, la démocratisation politique. Certaines civilisations, proclame Huntington, sont culturellement mieux préparées à la démocratie que d’autres. Entendons par là – c’est l’un des principaux buts de la démonstration – que le monde islamique en particulier est bloqué dans sa quête démocratique d’abord et avant tout par ses propres traditions, par la confusion qu’il entretiendrait depuis toujours entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. Nul ne s’étonnera d’apprendre que Huntington se réfère respectueusement aux travaux de Bernard Lewis, l’érudit islamologue anglophone connu depuis longtemps pour le regard dédaigneux qu’il porte sur son objet d’étude. Une commune lecture culturaliste de l’Islam permet à Lewis et à Huntington, en dépit de leurs abondantes références à l’Histoire, de décontextualiser le problème de l’autoritarisme dans le monde arabo-musulman. Ramener le problème des despotismes d’État contemporains à une sorte de complexe culturel, c’est faire abstraction des effets du système politique et économique mondial et dédouaner les puissances extérieures, les États-Unis notamment, de toute responsabilité dans le soutien aux régimes despotiques. Par le biais de ce culturalisme très politique, Huntington alimente, qu’il le veuille ou non, les courants d’intolérance qui démonisent l’Islam.

      [...] Le « pluralisme culturel » que Huntington revendique dans l’arène internationale n’est pas contradictoire, dans sa vision, avec un rejet quasi viscéral de toute affirmation de la diversité culturelle au sein des nations occidentales et tout particulièrement aux États-Unis. Les Musulmans d’Europe et les Mexicains-Américains aux États-Unis apparaissent dans son analyse comme étant enclins, presque par définition, en fonction de leurs origines, à bifurquer vers la construction d’identités séparées et donc à dévoyer les pays occidentaux de leur identité de base pour en faire des pays « déchirés » (cleft countries) – sort, selon Huntington, à éviter à tout prix. La meilleure façon de prévenir le « choc des cultures » consiste donc à laisser à chaque civilisation le soin d’affirmer son « identité » pour mieux se défendre. Ici, qu’il le veuille ou non, Huntington occupe le même terrain culturaliste que bon nombre d’idéologues d’extrême-droite.

  • LE POINT DE VUE DE GEORGES CORM – LES GRANDES PROBLÉMATIQUES DU MOYEN-ORIENT AUJOURD’HUI. PREMIÈRE PARTIE
    http://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-point-de-vue-de-Georges-Corm-Les-grandes-problematiques-du-

    LE POINT DE VUE DE GEORGES CORM – LES GRANDES PROBLÉMATIQUES DU MOYEN-ORIENT AUJOURD’HUI. SECONDE PARTIE
    http://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-point-de-vue-de-Georges-Corm-Les-grandes-problematiques-du-

    ... cette histoire de #sunnites et de #chiites est aussi montée de toutes pièces. Là encore on a des documents américains qui montrent très bien que quand le gouvernement américain a réalisé qu’il s’embourbait en Irak sans atteindre ses objectifs de changements de régime en Syrie et en Iran, il a dit qu’il allait faire feu de tout bois pour attiser la rivalité sunnites-chiites à l’échelle régionale. Vous avez un article de Seymour Hersh formidablement documenté sur ce sujet. Du côté des #Arabes eux-mêmes, je parlais avant d’une dynamique d’échec qui s’est instaurée à partir des années 60, maintenant c’est une dynamique d’autodestruction.

    L’#Arabie_saoudite porte une responsabilité très lourde. Dans le story-telling (ou récit canonique consacré) qu’on a dans les médias et même dans beaucoup de productions académiques, on nous dit que tout cet islamisme radical a été produit par les Républiques laïques totalitaires. C’est une thèse absurde quand on connaît la généalogie de ces mouvements qui sont à rattacher à la politique de l’Occident et à la montée en puissance de l’Arabie saoudite, qui n’est pas séparable du #wahhabisme, lequel wahhabisme a prêché lui-même la violence depuis la fin du XVIII° siècle. Ce n’est même pas une école reconnue parmi les quatre écoles juridiques musulmanes. Le hanbalisme, l’école la plus rigoureuse parmi celles-ci, à laquelle les Saoudiens disent être rattachés, ne va pas aussi loin que le wahhabisme.

    Toute cette destruction du patrimoine, y compris islamique, le wahhabisme l’a pratiquée dès son apparition. A La Mecque, les vieux quartiers où le Prophète a vécu ont été détruits pour construire à la place des hôtels de luxe. Les Bouddhas de Bamiyan détruits par les Talibans, les dégâts archéologique faits à Mossoul et à Palmyre par le prétendu Etat islamique, de même que la destruction du buste d’al-Moutanabbi en Syrie, le grand poète de l’Islam classique, aujourd’hui les ravages sur le sublime patrimoine architectural du Yémen faits par l’Arabie saoudite : tout cela ressort de la même dynamique wahhabite, couverte et légitimée par les interventions des membres de l’#OTAN, sous la direction des #Etats-Unis.

  • La pensée dans le monde arabe
    http://www.franceculture.fr/emissions/cultures-d-islam/cultures-d-islam-dimanche-12-juin-2016

    Intellectuel engagé, humaniste, Georges Corm est l’auteur de plusieurs ouvrages. C’est son expérience et sa connaissance des arcanes de la pensée arabe qui seront mises en exergue lors de l’entretien. Spécialiste du Moyen-Orient et de la Méditerranée, Georges Corm est actuellement professeur à l’Institut des Sciences politiques de l’Université Saint Joseph de Beyrouth.

    Des fois que @nidal serait resté dormir...

  • Solidarité. Un forum pour bâtir la paix
    http://www.humanite.fr/solidarite-un-forum-pour-batir-la-paix-607357

    À la veille de son congrès, le 1er juin, le Parti communiste français invite des dizaines de personnalités et représentants de forces progressistes, qu’elles soient politiques, intellectuelles ou associatives, à une conférence mondiale pour la paix et le progrès, à Paris.

    […]

    La lutte pour la démocratie au Moyen-Orient sera à l’honneur, avec la participation de Leïla Shahid, ancienne ambassadrice de Palestine auprès de l’Union européenne (UE), d’Haytham Manna, président du mouvement Qamh (Valeurs, citoyenneté, droits) en Syrie, de Georges Corm, ex-ministre des Finances du Liban, et de Selahattin Demirtas, coprésident du Parti démocratique des peuples (HDP), qui a créé la surprise lors des élections législatives turques l’an dernier, et dont le parti est réprimé par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan

  • Le pétrole, la face cachée d’une prétendue fracture sunnites/chi’ites

    http://analysedz.blogspot.com/2016/03/le-petrole-la-face-cachee-dune.html

    Présentée par la monarchie saoudienne comme la cause unique des violences au Moyen-Orient, la fracture sunnites/chi’ites sert à masquer la compétition autour de la souveraineté sur les champs de pétrole ou de gaz, situés pour l’essentiel dans des zones peuplées de chiites.
    Il suffit de superposer deux cartes – celle des champs pétrolifères au Moyen-Orient et celle des peuplements chi’ites – pour s’apercevoir que, là où des majorités chi’ites habitent en surface, du pétrole se trouve en sous-sol – et, pratiquement, rien que là.
    Observons la carte des peuplements chi’ites :


    Observons maintenant la carte des champs pétrolifères (en vert : pétrole ; en rouge : gaz) :

    La monarchie wahhabite saoudienne se trouve donc confrontée à plusieurs problèmes.
    – Ses puits et réserves de pétrole sont « sous les pieds » des minorités chi’ites qui peuplent la côte est de la Péninsule (25% de la population). Or, au lieu de se sentir dans leur pays comme d’authentiques citoyens, les minorités chi’ites y font l’objet d’une suspicion qui réduit leurs droits, rejoignant ainsi le sort réservé aux sunnites démocrates, réprimés par la monarchie. Mieux : partageant souvent les mêmes rites que la majorité des Iraniens, ils sont soupçonnés de faire allégeance à l’Iran comme puissance étrangère, distante de quelques dizaines de kilomètres, de l’autre côté du Golfe, et qui a déjà, par le passé, occupé militairement sans coup férir et annexé trois îlots dans ce Golfe.
    Il convient ici de distinguer les intérêts de grande puissance de l’Iran avec ceux des chi’ites arabes. L’Iran tente certainement d’intégrer les chi’ites arabes dans son jeu (et des minorités chi’ites arabes cherchent sûrement son soutien) : il n’est pas angélique et doit être tout aussi condamné pour l’absence de démocratie de son régime.
    En effet, la question, dans tout le Moyen-Orient, n’est pas essentiellement celle d’un prétendu affrontement sunnisme/chi’isme, qui ne sert qu’à légitimer la poursuite d’intérêts de grande puissance (la souveraineté sur le pétrole), comme la reproduction d’ordres autoritaires : le problème central est d’ordre démocratique, celui de l’absence d’Etats de droit garantissant l’égalité citoyenne à tous leurs habitants.
    – La disparition, en Irak, du régime de Saddam Hussein et l’occupation américaine qui s’en est suivie ont provoqué un transfert de pouvoir des élites sunnites baathistes (les sunnites représentent 30% de la population irakienne) aux élites chi’ites, jusque-là maintenus dans un statut secondaire. Et, de ce fait, elles ont accru la sphère d’influence iranienne à l’ouest, bien que les élites chi’ites irakiennes se considèrent comme arabes et ne partagent pas la conception politique sur laquelle est fondée la République islamique (leur grand ayatollah, Ali Sistani, récuse la vision platonicienne khomeyniste de la wilayet el faqih – la « tutelle du savant »). Cela n’empêche pas que le pétrole irakien soit passé d’une souveraineté baathiste sunnite à une souveraineté chi’ite sous contrôle américain.

    Les Saoudiens soutiennent Daech comme ils ont soutenu Saddam

    La monarchie saoudienne semble très préoccupée de cela. Plusieurs sources ont prétendu qu’elle serait à l’origine du renforcement de l’Organisation de l’État islamique (OEI), dit « Daech », qui se proclame sunnite et dont le but avoué est de renverser le pouvoir chi’ite irakien. La volonté saoudienne de pérenniser un contrôle des élites sunnites sur le pétrole s’était déjà manifestée par son soutien – avec l’appui des puissances occidentales – à Saddam Hussein dans sa guerre au nouveau pouvoir à dominante cléricale chi’ite apparu à Téhéran en 1979. Cette guerre a contribué, à n’en pas douter, à la radicalisation théocratique du pouvoir iranien et à sa monopolisation par le clergé chi’ite. Le soutien aujourd’hui de la monarchie à Daech s’inscrit dans la continuité de celui accordé hier aux élites sunnites baathistes irakiennes dans leur conflit avec l’Iran.
    Ces quelques éléments laissent penser, sans analyse approfondie, que la fracture idéologique sunnites/chi’ites – que la monarchie saoudienne s’efforce de médiatiser comme cause unique de la violence qui secoue la région – ne fait, en réalité, que masquer la compétition autour de la souveraineté sur les champs de pétrole ou de gaz tout en légitimant des régimes oppressifs. Il est clair que la monarchie saoudienne considère comme une menace mortelle pour elle l’arrivée ou le maintien d’élites chi’ites au pouvoir, tant sur le plan extérieur qu’intérieur car ses propres populations chi’ites pourraient réclamer davantage de droits, et, pour une minorité d’entre eux, une sécession de la côte est du Golfe.
    En mars 2011, la monarchie n’a pas hésité à investir militairement l’île de Bahreïn pour réprimer dans le sang les manifestants issus de la majorité chi’ite qui revendiquaient des droits de citoyens et qui sont opposés au pouvoir dictatorial du prince sunnite de l’île. Sur un autre front, elle a armé l’opposition sunnite syrienne au pouvoir alaouite (et dictatorial) de Bachar el Assad, considéré comme allié du chi’isme iranien. En mars 2015, cette stratégie l’a conduite à mener une opération militaire au Yémen contre les zaydistes yéménites, qui avaient investi la capitale et qui sont opportunément présentés comme des chi’ites, alors qu’ils sont adeptes d’un rite différent de l’iranien et les alliés du président déchu Abdallah Saleh, réfugié aux États-Unis.
    La monarchie tente de convaincre les sunnites du monde entier, et les néo-conservateurs de tout bord, de se ranger à ses côtés dans ce combat contre les chi’ites. Elle y parvient et des régimes aussi différents que la dictature militaire du maréchal Sissi en Égypte et la monarchie marocaine l’ont suivie dans l’opération Tempête de la fermeté au Yémen.
    Pour les populations sunnites, l’affaire est facile et difficile. Les populations lointaines, qui ne connaissent pas la férocité de la dictature saoudienne, peuvent entendre favorablement le message anti-chi’ite. Des pogroms anti-chi’ites ont récemment eu lieu en Egypte (où ils ne sont que 2%). Par contre, une partie des sunnites du Moyen-Orient savent que ce message est purement idéologique et factice, sinon falsificateur. Nombre de sunnites libanais, par exemple, et ailleurs sont davantage enclins à soutenir la résistance du Hezbollah chi’ite libanais face à Israël qu’à voter pour les leaders sunnites financés par la monarchie saoudienne.
    La question, en effet, ne porte pas sur un clivage idéologique mais sur le caractère anti-démocratique de régimes soutenus par l’étranger et dont le seul but est de pérenniser par la force leur souveraineté vassalisée sur les puits de pétrole. Au lieu de donner des droits à leurs ressortissants chi’ites et d’en faire des égaux, les monarques saoudiens ou émiratis en font des ennemis idéologiques en s’autoproclamant défenseurs de l’orthodoxie sunnite.

    Les chiites libanais : de la marge au centre de la vie politique

    Le Liban est, à cet égard, un cas d’école. Une première éviction des chi’ites est intervenue au XIVe siècle avec l’invasion des mamelouks « sunnites » du Liban, qui les considéraient comme des « infidèles ». Sous l’Empire ottoman, les autorités religieuses ont ensuite jeté un interdit sur le chi’isme sous prétexte de guerres contre l’Iran safavide. L’éviction ensuite des derniers fermiers d’impôts chi’ites lamine un grand nombre de féodaux chi’ites. Le mandat français (1920) permet à la communauté chi’ite d’être reconnue officiellement en tant que telle (1926). Selon Georges Corm, « l’autre laminage a été celui de la pesanteur des féodaux ruraux chi’ites qui ne voulaient pas laisser leurs paysans s’émanciper et profiter de la modernisation du pays » (pour une analyse complète, consulter son ouvrage Le Liban contemporain : histoire et société, 2012).
    A l’indépendance, les élites chrétiennes et sunnites se partagent le pouvoir et en excluent les chi’ites. Déjà marginalisés sur le plan social et économique, les chi’ites sont, de ce fait, politiquement exclus. On leur attribue la présidence du Parlement, poste purement honorifique. « Certes, le président Fouad Chéhab (1958-1964), chrétien maronite, œuvrera plus tard pour faire rentrer de jeunes chi’ites diplômés à des postes de responsabilité dans l’administration publique. » Mais il faudra une guerre civile (1975-1989), faussement présentée comme un conflit entre « chrétiens réactionnaires » et « palestino-progressistes », pour que les chi’ites aient une place aux négociations qui se concluent par une modification de la Constitution libanaise (accords de Taëf). Ils obtiennent une représentation à égalité avec les sunnites et un poids plus important dans le Parlement national.
    Le Parlement était constitué, selon le Pacte national de 1943, de 99 députés, 54 étant chrétiens, et 45 musulmans : 20 sunnites, 19 chi’ites (42% des musulmans, 19% du total national) et 6 druzes.
    Les accords de Taëf (1989) stipulent que « les sièges parlementaires sont répartis selon les règles suivantes :
    a) à égalité entre chrétiens et musulmans [sunnites et chi’ites, et non plus seulement sunnites] ;
    b) proportionnellement entre les communautés des deux parties ;
    c) proportionnellement entre les régions […]. »
    Ces accords modifient donc la répartition en faveur des chi’ites. Le nombre de sièges est de 128, répartis à égalité entre chrétiens et musulmans (64-64), mais les chi’ites augmentent leurs sièges au niveau national : 27 sunnites, 27chi’ites (42% des musulmans, 21% du total national), 8 druzes et 2 alaouites. Ils obtiennent un nombre de sièges égal aux sunnites et pèsent davantage au niveau national. Georges Corm y ajoute deux éléments qui ont donné plus d’importance aux chi’ites : l’éviction des grandes familles de propriétaires fonciers au profit de la classe moyenne chi’ite, incarnée par la milice Amal, et les succès de l’action de résistance du Hezbollah contre Israël en 2000 puis en 2006.
    Comme on le voit, les conflits ne sont pas religieux mais tournent toujours autour de la question des droits citoyens. Certes, durant la guerre civile libanaise, un événement d’importance s’était produit en Iran, en 1979, et une République islamique chi’ite s’y était proclamée, renforçant les capacités revendicatives des chi’ites libanais. Une crainte fondée ou non qui, aujourd’hui, met les chi’ites des monarchies du Golfe sous surveillance et pousse le pouvoir saoudien à considérer l’Iran comme ennemi principal.
    Le cas libanais montre, cependant, que l’opposition chi’ite aux pouvoirs sunnites vient avant tout de leur statut de second ordre. Si la monarchie saoudienne veut que le pétrole de sa côte est ne lui échappe pas, il vaudrait mieux pour elle considérer ses populations chi’ites comme des citoyens de pleins droits au lieu de les pousser à chercher des soutiens étrangers. Elle ferait mieux également d’éviter de créer le chaos à l’extérieur en nourrissant des organisations se réclamant d’un sunnisme falsificateur et violent.

    #pétrole #sunnites #chiites #Arabie #Liban #Iran

  • C’est pas tous les jours que tu liras du bien d’Émile Lahoud dans l’Orient Le Jour (ou même généralement dans un canard en français) : Présidentielle libanaise : l’éternel retour - Stéphane Malsagne
    http://www.lorientlejour.com/article/969130/presidentielle-libanaise-leternel-retour.html

    Les présidents Élias Hraoui (1989-1998) et Émile Lahoud (1998-2007) sont en outre régulièrement accusés d’entorses successives à la Constitution ayant permis une prolongation de leurs mandats successifs. Le second pourtant peut se targuer d’une réelle probité et de n’avoir pas cherché délibérément à étendre son mandat. Il a de plus à l’actif de sa présidence deux succès éclatants : le retrait des troupes israéliennes du Sud-Liban (mai 2000) après plus de vingt ans d’occupation et dont le Hezbollah revendique la paternité, mais aussi le retrait des troupes syriennes en avril 2005. Il se montre impuissant toutefois à mettre fin aux attaques israéliennes au Liban pendant la guerre des 33 jours de l’été 2006 qui détruit une bonne partie des infrastructures du pays.

    […]

    Emile Lahoud, précédemment commandant en chef de l’armée libanaise, a pourtant joué un rôle central dans la reconstruction de l’institution militaire aujourd’hui perçue comme un rempart essentiel face aux incursions jihadistes.

    • Stéphane Malsagne (que je connais bien) rebondit ici sur les propos que Georges Corm a développé dans sa préface au livre monumental de Malsagne sur le général Chéhab. Que Lahoud ait réorganisé l’armée, certes. Mais son rôle effectif dans le retrait israélien est discutable, comme Malsagne le mentionne lui-même. De même, ce n’est pas parce que le retrait syrien s’est produit sous sa présidence qu’il faudrait particulièrement l’en créditer. C’est une décision qui lui a été imposée, me semble-t-il.
      Quant à son intégrité personnelle, c’est possible. Mais je me souviens très bien que c’est sous son mandat que le Bain militaire a été réaménagé et étendu, appropriant au bénéfice d’une institution militaire rénovée une fraction de l’espace public. A l’époque, les Libanais se moquaient de ce président qui passait ses matinées à nager...

    • @rumor : très franchement je n’ai pas d’opinion tranchée sur le bonhomme, ce que je fais remarquer ici essentiellement, c’est l’apparition d’un propos totalement à rebours de ce qu’on s’autorise à raconter dans les médias français (et cela dans l’OLJ). (D’ailleurs c’est un détail de cet article.)

      Je ne sais par ailleurs pas exactement ce que Malsagne veut dire par « de n’avoir pas cherché délibérément à étendre son mandat », alors que la prolongation de son mandat a été un nœud central de la crise qui a conduit à l’assassinat de Hariri.

      Pour son rôle dans la libération du Sud et le retrait syrien de 2005, je partage ta remarque, mais je suppose (parce que ce n’est pas explicite ici) qu’il s’agit plus de lui attribuer pour partie le « bon déroulement » de ces événements, qui n’ont ni sombré dans le chaos, ni dans la revanche sanglante ni dans l’affrontement entre l’armée et la résistance, mais au contraire la mise en place, malgré des pressions énormes, de ce qui était théorisé sous le triptyque « armée-peuple-résistance ». C’est plutôt ce genre de chose que j’entends quand le sujet Lahoud est abordé.

  • Fin du « monde d’après » sur Politis - Chroniques du Yéti
    http://yetiblog.org/index.php?post/1503

    Pour info, fin de mon « monde d’après » sur Politis. Denis Sieffert, directeur de la rédaction, a décidé de mettre un terme à ma collaboration en raison de trop grandes divergences d’opinion avec la ligne éditoriale de la rédaction sur la question du Moyen-orient, « surtout en cette période sensible” » (je cite).

    Je dois avouer que ça m’a bien consterné quand je ne l’ai pas fait, mais je n’ai pas eu le courage de me réabonner, tellement je trouvais le contenu de ce journal insipide et peu engagé (il y a de cela déjà un an ou deux...). Journal de gauche ok, mais quelle gauche molle ! ... qui continue à considérer le PS comme un parti de gauche !...

    • Pour rappel : Sieffert en 2013 insultait Georges Corm, « favorable au régime syrien », histoire de « donner la parole à un autre point de vue que celui que nous défendons dans ce journal, notamment au travers des analyses de Jean-Pierre Filiu » :
      http://www.politis.fr/Georges-Corm-%E2%80%89Je-ne-vois-pas-de,22428.html
      http://www.politis.fr/A-propos-d-une-lettre-de-Georges,22535.html

      Puis en juillet 2015 tentait de dire du bien de son dernier livre – mais pas trop, parce qu’il ne faudrait pas peiner Filiu :

      Au total, un livre passionnant pour qui veut connaître et comprendre les courants de pensée qui traversent le monde arabe depuis deux siècles. On regrettera tout juste une vision un peu trop « française ». L’analyse du phénomène islamiste, qui aurait mérité plus de complexité, s’en trouve parfois affaiblie.

      (Dans son livre, Corm explique clairement que tenir à tout prix à consacrer la plus grosse partie des études sur les « Pensée et politique dans le monde arabe » à l’islamisme est justement un fantasme typiquement français.)

      Alors est-ce que cette fois Filiu a obtenu la peau du blog du Yéti ?

    • #pauvre_politis c’est dommage, ces titres prestigieux ou prometteur, finalement confisqués par des une clique autoritaire et infréquentable. Je suis heureux que notre présent et notre futur sur Internet entre autre nous offre des perspectives alternatives alléchantes, plurielles et collectives. bye bye Politis.

    • Le gouvernement va stopper l’aide postale aux magazines de loisirs et de divertissement.
      Le 02/06/15
      http://www.lesechos.fr/02/06/2015/lesechos.fr/021107560391_vaste-refonte-du-systeme-d-aides-a-la-presse.htm

      C’est la fin d’un vieux serpent de mer. Critiquées depuis des années pour leurs excentricités, les aides à la presse vont enfin être revues. Fleur Pellerin a dévoilé, mardi, les contours d’une vaste réforme, lors de la remise rue de Valois du rapport du sociologue Jean-Marie Charon sur l’état de la presse tricolore. Le soutien au secteur, c’est 820 millions d’euros inscrits au budget de l’Etat : 260 millions d’aides directes et indirectes, plus le manque à gagner lié à la TVA réduite. « Mais jusqu’ici, des titres comme “Charlie Hebdo” ou “Le Monde diplomatique” n’étaient pas éligibles » au dispositif en place, s’étonnait mardi la ministre de la Culture et de la Communication.

      ≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈
      Des aides à la presse étendues à 50 titres, Valeurs Actuelles exclu
      Par AFP , publié le 09/11/2015
      http://lentreprise.lexpress.fr/actualites/1/actualites/des-aides-a-la-presse-etendues-a-50-titres-valeurs-actuelles-ex

      (...)Deux conditions : ne pas dépasser les 300.000 exemplaires et ne pas avoir été condamné pour racisme, antisémitisme ou incitation à la haine ou à la violence au cours des cinq dernières années.

      Cette dernière condition exclura notamment Valeurs Actuelles, un des dix grands magazines généralistes français, condamné pour provocation à la haine contre les Roms en mars. Ou encore des publications moins importantes comme Minute, condamné en 2014 pour incitation à la haine homophobe, ou Rivarol, condamné pour provocation à la haine antisémite, deux publications marquées à l’extrême-droite. (...)

    • Pour financer cet élargissement de l’assiette (qui concerne quelques dizaines de titres, comme « Le 1 », « Politis », « Society », « Le Point » ou encore « Rivarol »), l’Elysée et Matignon ont validé une enveloppe de cinq millions d’euros, qui s’ajoutera aux 130 millions d’aides directes actuels.

    • Suite à ce brillant edito de DS, en mars 2013 je crois, où il explique que dans certains cas il peut y avoir des « guerres nécessaires », puis cet espèce d’assurance insupportable, en privilégiant ceux qui abondent, sans débats ou presque, ce qui s’est confirmé pour la Syrie, m’ont amenè a me désabonner aussi. Quand au qualificatif de « gauche », je crois que cela ne veut plus rien dire !

  • Hengameh Golestan’s best photograph : Iranian women rebel against the 1979 hijab law : “I offered my photos to newspapers and no one wanted them”
    http://www.theguardian.com/artanddesign/2015/sep/03/hengameh-golestans-best-photograph-iranian-women-rebel-against-the-1979

    This was taken on 8 March 1979, the day after the hijab law was brought in, decreeing that women in Iran would have to wear scarves to leave the house. Many people in Tehran went on strike and took to the streets. It was a huge demonstration with women – and men – from all professions there, students, doctors, lawyers. We were fighting for freedom: political and religious, but also individual.

    This was taken at the beginning of the demonstration. I was walking beside this group of women, who were talking and joking. Everyone was happy for me to take their picture. You can see in their faces they felt joyful and powerful. The Iranian revolution had taught us that if we wanted something, we should go out into the street and demand it. People were so happy – I remember a group of nurses stopping some men in a car and telling them: “We want equality, so put on some scarves, too!” Everyone laughed.

    […]

    I offered my photos to newspapers and no one wanted them.

    Photo du 8 mars 1979, dont aucun journal n’a voulu selon Hengameh Golestan. Noter que le 13 février 1979, à l’inverse, le Corriere della sera publiait le texte de Foucault sur la révolution iranienne, dans lequel il s’enthousiasmait pour « le dynamisme d’un mouvement islamique » :
    http://michel-foucault-archives.org/?Un-reportage-d-idees-en-Iran-1978

    Cet épisode (les manifestations – notamment des femmes – qui ne veulent pas que les religieux confisquent la révolution en Iran, ainsi que l’enthousiasme inverse de Foucault) est régulièrement évoqué par Georges Corm.

    • Critique des (nouveaux) prédicateurs de la chiitophobie communautaire

      Une question de méthode : pour une lecture profane des conflits

      Le récent conflit en Syrie, sans en être le catalyseur, a certainement exacerbé cette chiitophobie séculaire, et celle-ci a, par un effet feed back, biaisé l’analyse sereine, objective et multifactorielle des tensions dans cette région. C’est ainsi que Nabil Ennasri occulte de façon outrancière les fondamentaux scientifiques qu’aucun analyste sérieux des conflits régionaux ou internationaux ne peut ignorer. En effet, le conflit syrien se résume chez lui aux méchants chiites-alaouites, « ne priant pas dans des mosquées », opposés aux bons sunnites. Selon l’auteur, il s’agit d’une « guerre au fait religieux sunnite » et Bachar El-Assad veut « réduire au maximum l’expression du fait sunnite majoritaire » en se livrant au « pilonnage des mosquées » sunnites. Et le récit anecdotique propre à la littérature mythologique est relativement invoqué. Ainsi, le déclencheur de la rébellion syrienne est réduit aux propos du « patron de la politique locale » qui aurait dit aux habitants sunnites venus chercher leurs enfants détenus et à qui « on arrache les ongles » : « Oubliez vos enfants et retournez chez vos épouses. Elles vous en donneront d’autres. Et puis, si vous n’êtes pas capables de leur faire des enfants, amenez-nous vos femmes, on s’occupera d’elles ». C’est l’étincelle qui met le feu aux poudres « d’un baril qui était prêt à exploser », nous dit l’auteur propagandiste qui fait taire la mauvaise conscience du spectateur impuissant d’un conflit dont la complexité est inextricable.

      La théorie du complot anti-chiite

      Cette théorie du complot ethnico-religieux est déconstruite par Georges Corm, l’un des plus grands spécialistes des conflits au Moyen-Orient, notamment dans son livre Pour une lecture profane des conflits, où il dit « les adeptes des théories du complot pensent que quelques individus malfaisants ou une communauté religieuse limitée en nombre peuvent à eux seuls ébranler l’ordre du monde et ses hiérarchies. Il s’agit là d’une pensée magique et aberrante, qu’il convient de dénoncer sans compromis » (p.40).

  • Georges Corm, L’Europe et l’Orient, extraire de la « Préface à l’édition de 2002 »

    […]

    En particulier, ce livre décrit et explique l’usage et la promotion de l’intégrisme islamique à des fins purement profanes de puissance, ce qui a été si longtemps ignoré par la plupart des analystes. Aujourd’hui, de nombreux auteurs ou éditorialistes de grands quotidiens occidentaux découvrent enfin « avec horreur » cet intégrisme qui a été un allié précieux États-Unis dans la Guerre froide, alorts qu’il était pourtant largement étalé sous leurs yeux durant des années. Il était simplement de bon ton, tant que la guerre froide battait son plein, de croire que l’intégrisme islamique était la seule spécialité de la révolution iranienne à couleur « chiite » et anti-occidentale ; comme il était de bon ton de taire les liens de la CIA avec les principaux mouvements d’intégrisme islamique d’inspiration wahhabite, financés par l’Arabie Saoudite et soutenus et développés par le Pakistan.

    Il fallait au contraire dans cette conjoncture délicate ignorer cette coalition hétéroclite menant la « guerre sainte » contre le régime prosoviétique régnant en Afghanistan envahi par l’armée russe en 1979, année de la révolution « religieuse » en Iran qui faisait craindre à Moscou une déstabilisation de ses républiques musulmanes. Ou au mieux donner à penser que l’intégrisme islamique, travaillant alors contre les régimes du tiers monde hostiles à l’Occident, était un mal nécessaire, un passage obligé vers la modernité et la démocratie. C’est ainsi d’ailleurs que les principales capitales occidentales ont longtemps reçu, voire honoré les chefs de ces mouvements, qui obtenaient sans problème des visas d’entrée ou des statuts de réfugiés politiques. Par la suite, et jusqu’au premier attentat de l’organisation Al Quaida contre des objectifs américains en Afrique et dans la péninsule Arabique, il a fallu continuer de faire silence sur le régime des Talibans en Afghanistan, alliés pro-américains de l’Arabie Saoudite et du Pakistan, jugé utile pour empêcher une extension de l’influence « chiite » iranienne en Asie centrale, hostile aux intérêts occidentaux.

    Dans ce contexte mouvant, il a donc d’abord été impératif en Occident de présenter les mouvements militants islamiques comme des expressions authentiques de l’identité musulmane que les dictatures laïques et nationales postcoloniales du tiers monde, plus proches de Moscou que de Washington, auraient opprimés de façon scandaleuse. Il s’est agi pour les États-Unis et ses alliés européens, saoudiens et pakistanais, de liquider tout à la fois l’URSS et ses alliés du tiers monde qui avaient fait considérablement reculer l’influence impériale de l’Occident libéral et capitaliste dans le monde au profit de celle de l’URSS et des régimes autoritaires et socialistes qu’elle soutenait. La Guerre froide a été, en fait, une véritable troisième guerre mondiale qui s’est principale déroulée dans le tiers monde et où une mobilisation maximale de l’Islam a été une arme redoutable. Tout comme Paris valait bien une messe, Moscou valait bien le soutien à des États et des milices armées se réclamant d’une application rigoriste et brutale de l’Islam.

    On ne s’étonnera donc pas que chercheurs et journalistes, naïvement ou consciemment, aient produit toute une littérature savante ou de vulgarisation sur les mouvements islamiques, présentés comme un phénomène authentique d’expression identitaire, nécessaires pour le passage à la modernité. Ces auteurs ont, en effet, estimé que les politiques dictatoriales des pays musulmans du tiers monde devenus indépendants n’avaient pas réussi à accomplir le passage à la modernité, pour avoir voulu être laïcs et socialisants et d’avoir persécuté les différents mouvements islamiques radicaux, censés exprimer la psychologie collective réelle des peuples musulmans.

    […]

    Beyrouth-Paris, mai-juin 2002

  • Georges Corm : « Des conflits géopolitiques sous couvert de religion » (22 juillet 2015)
    http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/des-conflits-geopolitiques-sous-couvert-de-religion-22-07-2015-4

    Par une lecture profane des conflits, entendez-vous vous opposer à la théorie de « choc des civilisations » ?

    C’est un retour à la politologie classique, une approche des situations de guerre par une analyse multifactorielle, et non pas par une causalité unique qui serait religieuse, ethnique ou prétendument morale. La thèse du choc des civilisations est, à mon avis, une mise à jour post-moderne de la division du monde entre Sémites et Aryens, qui a provoqué l’antisémitisme effarant ayant mené au génocide des communautés juives d’Europe. Cette thèse perverse empêche de réfléchir sur les causes des conflits. Aveuglée par cette théorie du choc des civilisations, l’opinion publique peut soutenir des entreprises guerrières comme l’invasion de l’Irak, de l’Afghanistan, ou encore les interventions en Libye, en Syrie et très récemment au Yémen.

  • Georges Corm : « Prétendre que le monde arabe est en guerre contre l’Occident est une déformation grossière de la réalité » (12 juin 2015)
    http://www.humanite.fr/georges-corm-pretendre-que-le-monde-arabe-est-en-guerre-contre-loccident-es

    Il faut rappeler que le monde arabe a une pensée et une culture qui se situent à la fois avec et en dehors de l’islam. En dehors, parce que la culture arabe existe préalablement à l’islam, avec des traditions poétiques majeures indépendantes de toute contingence religieuse. Dans le premier chapitre de mon livre, je rappelle d’ailleurs l’importance de cette culture poétique. Culture primordiale à tel point qu’aujourd’hui encore, les personnes les plus honorées dans toutes les sociétés arabes restent les grands poètes, mais aussi de grands compositeurs de musique, chanteurs et divas, de très nombreux romanciers de qualité, dont le travail artistique et littéraire constitue le fond de la conscience collective arabe. Il y a de fait une pensée arabe très diverse de type profane, ouverte sur tous les problèmes de la modernité et qui est un socle majeur de la conscience collective arabe. Cependant, la pensée arabe existe aussi avec l’islam – événement historique et culturel considérable –, puisque, après l’apparition de la prophétie coranique, certes de très nombreuses écoles théologiques ont fleuri, mais aussi la philosophie qui a repris et développé le patrimoine grec et a fertilisé la pensée chrétienne en Europe à travers l’Andalousie. Et aujourd’hui encore, dans les cercles intellectuels, il y a de grandes controverses et des débats souvent très riches. Une des questions qui travaille le plus la pensée arabe philosophique et politique tourne autour de la structure de l’esprit arabe : est-il un esprit théologique fermé ou un esprit philosophique ouvert ? Il y a aussi de très nombreux débats sur les bienfaits et les méfaits de la laïcité, et les différentes formes de séparation du temporel et du spirituel.

    Ce que décrit par ailleurs mon ouvrage, c’est le basculement médiatique et académique en Europe et aux États-Unis sur l’islam politique, qui a été instrumentalisé et radicalisé à la fin des années 1970, lors du dernier épisode de la guerre froide, lorsque les États-Unis ont théorisé la nécessaire réislamisation des sociétés arabes pour faire face à l’extension du communisme dans la jeunesse de ces sociétés et d’autres sociétés musulmanes en Asie. Cela s’est notamment traduit par l’enrôlement et l’entraînement de milliers de jeunes Arabes en Arabie saoudite et au Pakistan, sur la demande des États-Unis, pour aller se battre contré l’armée soviétique qui a envahi l’Afghanistan en 1979, en invoquant la nécessité d’un «  djihad  » contre les athées soviétiques. C’est de cette première guerre d’Afghanistan qu’est née l’organisation al-Qaida d’Oussama ben Laden, riche ressortissant saoudien, et qu’est né le mouvement des talibans, pratiquant lui aussi un islam radical à la mode saoudo-wahhabite. Ce que nous vivons aujourd’hui n’est que la suite logique de cette politique fatale.

  • Pensamiento y política en el mundo árabe | C L I O N A U T A : Blog de Historia
    http://clionauta.hypotheses.org/15576

    Como vino a decir el periodista Tomás Alcoverro en cierta ocasión, si uno desea una “interpretación profana de los conflictos del Oriente Medio” la mejor solución es acudir al historiador, ecomonista y exministro libanés Georges Corm (reciente premio ‘Valor’ a la Tolerancia ante la diversidad). Y no hay excusa, porque contamos con las traducciones de sus libros, con sus artículos y con un reciente volumen francés, que el autor ha estado presentando a lo largo del pasado mes de mayo: Pensée et politique dans le monde arabe. Contextes historiques et problématiques, XIXe-XXIe siècle (La Découverte).

    @nidal (!)

  • Une idée largement répandue aujourd’hui consiste à considérer que les pays créés par Sykes-Picot sont dépassés, et qu’une reconfiguration des frontières est nécessaire, ou au moins inévitable. Beaucoup, d’ailleurs, utilisent l’illégitimité du découpage Sykes-Picot, comme argument supplémentaire. Cela donne deux arguments complémentaires pour « redessiner » les frontières :
    – le découpage Sykes-Picot est inadapté aux réalités ethno-religieuses des populations, et cela provoque les instabilités parce que les populations d’un même pays ne veulent/peuvent plus vivre ensemble ;
    – et de toute façon ce découpage imposé par l’Occident est illégitime.

    Ce qui conduit immanquablement à proposer la partition de l’Irak et de la Syrie sur des bases ethno-religieuses.

    Or, comme le rappelle Georges Corm (et bien d’autres), l’histoire donne une lecture exactement contraire :

    1. ce n’est pas le fait que les pays issus de Sykes-Picot soient « trop grands » qui a provoqué l’instabilité, mais au contraire la balkanisation, qui a contribué à détruire l’identité nationale arabe, provoqué des affrontements entre royaumes/républiques/dictatures, ce qui a entraîné l’affaiblissement les possibilités de résistance de la région aux interventions extérieures (et notamment à l’implantation coloniale sioniste). Résumé ainsi :

    La balkanisation du Levant arabe, issue des arrangements coloniaux entre la France et l’Angleterre lors du premier conflit mondial, va entraîner une instabilité et des violences chroniques.

    2. l’illégitimité du découpage occidental n’est pas d’avoir imposé des pays « trop grands » à des populations qui désiraient une partition « plus fine », mais exactement le contraire :

    En dépit du fait que les populations arabes souhaitent être unies dans un seul État, du moins pour ce qui concerne le Levant, ce que confirmera le travail d’enquête méticuleux auprès des élites et notables réalisé par une commission d’enquête américaine, dite King-Crane Commission, les deux puissances européennes dominantes fragmentent en entités étatiques distinctes et plus ou moins viables les anciennes provinces arabes de l’Empire ottoman disparu.

    Ce sont d’ailleurs les Syriens eux-mêmes qui ont refusé le découpage du pays en petite entités ethno-religieuses que voulaient imposer les Français.

    Comme cela est régulièrement rappelé ici, les redécoupages actuellement proposés ne correspondent pas du tout à un refus historique de Sykes-Picot, mais bien plus à l’approfondissement de sa logique de balkanisation, et répondent certainement bien plus aux exigences israéliennes qu’aux besoins historiques des populations arabes.

    • Combien de fois dans des conversations ai-je tenté d’expliquer cela ?! Ca fait plaisir de le voir écrit par Corm.
      Ca nous ramène au pêché mortel du baassisme, - non pas l’échec prévisible de la RAU en 1961, maintes et maintes fois rappelé - mais le moins connu torpillage de l’union entre les Etats siamois de Syrie et d’Irak en 1978 pour des questions de prééminence entre Saddam Hussein et al-Bakr d’un côté et SH et Assad de l’autre. Le moment où l’autoritarisme et la personnalisation du pouvoir des deux Baath devient un reniement. A la suite de cette occasion ratée, chacun des deux régime sera poussé dans des aventures ruineuses pour la région, l’un au Liban, l’autre en Iran, alors qu’à leurs frontières opposées gisaient des trésors : une profondeur stratégique, un équilibre confessionnel stabilisateur et la possibilité de constituer une identité nationale cohérente (arabo-araméenne) et inclusive.
      Depuis c’est comme si Da3ech avait fait mine de reprendre ce projet - qu’il ne pourra évidemment pas accomplir - pour le rendre odieux...
      #vieille_lune_personnelle

  • Georges Corm interroge une autre évidence, qui « fai[t] remonter la prise de conscience des élites arabes du retard de leur société par rapport à l’Europe à l’expédition de Napoléon Bonaparte en Égypte en 1798 ». (Cette fois, contrairement à la question de l’influence prépondérante des chrétiens dans le développement de la Nahda, il ne dit pas qu’elle n’a « aucune consistance », mais qu’elle ne « satisfait pas totalement ».)

    Mais cet événement marqueur du début de la modernité européenne au Levant ne satisfait pas totalement. Tout d’abord parce que des Arabes, comme des Turcs, ont visité l’Europe avant la fin du XVIIIe siècle et ont pu constater combien celle-ci était avancée par rapport aux différentes sociétés qui composaient alors l’empire – il s’agit là d’un domaine de recherche encore peu exploit. Ensuite parce que les contacts avec des Européens ont été nombreux au Levant même : marchands, diplomates, voyageurs curieux et très nombreux missionnaires. Enfin, quelques trop rares travaux académiques ont montré aussi que la vie intellectuelle dans les sociétés arabes n’était pas complètement au point mort et que des œuvres de qualité ont été écrites au XVIIIe siècle.

    Par ailleurs, les élites turques connaissent bien l’Europe de la civilisation industrielle, puisque l’empire est bien implanté dans les Balkans et que ses armées sont arrivées par deux fois jusqu’à Vienne, qui n’a pu cependant être conquise. Du côté des Arabes, notamment au Liban et en Syrie, on connaît l’Europe à travers la présence de nombreux missionnaires catholiques, notamment italiens, mais aussi de nombreux marchands européens qui animent des comptoirs commerciaux importants ayant prospéré à l’ombre du régime des capitulations, déjà vieux de deux siècles.

    Georges Corm, Pensée et politique dans le monde arabe

    Sur la question des penseurs chrétiens et la nahda :
    http://seenthis.net/messages/376305

  • L’économie de rente et la fabrique des mouvances islamiques :

    Cette économie de rente qui paralyse l’industrialisation aboutit à une concentration massive de fortune au sein de quelques groupes d’affaires proches du pouvoir, d’un côté, et à la fabrication du chômage des jeunes, de l’autre. On ne s’étonnera pas dans ces conditions de la facilité avec laquelle les mouvances islamiques peuvent recruter chômeurs et pauvres, tous exclus d’une modernité introuvable en l’absence d’industrialisation qui seule peut fournir suffisamment d’emplois décents, correctement rémunérés. Cela sera d’autant plus facile que les sociétés arabes seront quadrillées d’ONG humanitaires islamiques qui ont su pénétrer tous ces milieux d’exclus, urbains ou ruraux. 

    Le fait que toutes ces questions majeures ne soient pas assez prises en compte dans les analyses de la vie politique arabe et de la pensée arabe, laquelle tente de surmonter toutes les contradictions dans laquelle vivent ces sociétés, contribue largement à l’insipidité et la répétitivité de nombre d’écrits des dernières décennies, de source arabe ou non. Ces écrits, en effet, tentent souvent de décrypter l’« esprit arabe » dans des invariants de nature anthropologique. Ils ont ainsi contribué à répandre en priorité les thèses des mouvances islamiques, comme étant celles qui représenteraient le mieux la psychologie collective arabe. De la sorte, ils ont totalement marginalisé la riche pensée nationale arabe et critique, ouverte sur les universaux de la modernité, voire lui ont à tort attribué les désordres et dérives autoritaires des régimes arabes, pour installer comme sujet d’étude quasi exclusif l’islam dit politique et ses différentes mouvances.

    Georges Corm, Pensée et politique dans le monde arabe

  • Georges Corm, Pensée et politique dans le monde arabe : L’approche du monde arabe, coincée entre essentialisme islamophobe et essentialisme islamophile.

    Comme partout dans l’histoire moderne, c’est-à-dire celle dont le point de départ est la double révolution, industrielle et politique, de l’Europe, les contextes de l’histoire mondiale ont changé avec une grande rapidité, entraînant des changements socioéconomiques profonds, ainsi que des changements dans la façon de penser les changements eux-mêmes. L’histoire de la pensée dans le monde arabe ne fait pas exception ; elle n’est nullement figée dans un invariant anthropologique et culturel. Or, qu’il s’agisse de l’approche islamophile ou de l’approche islamophobe, on se trouve dans les deux cas face à un phénomène de « fascination/répulsion » de l’islam, essentialisé comme étant le seul dépositaire de l’identité individuelle et collective des Arabes.

    Les islamophiles veulent expliquer que la psychologie collective arabe contemporaine a été doublement violée, d’abord par le colonialisme européen, puis par les élites arabes « occidentalisées » qui lui ont succédé. C’est pourquoi, selon eux, les mouvements radicaux islamistes ne seraient que l’expression de la réaction quasi biologique des sociétés arabes, ainsi violées, à la recherche de leurs racines et de leur patrimoine, l’islam*. Les islamophobes, héritiers de la tradition d’Ernest Renan, se saisissant des actes terroristes commis au nom de l’islam ou dénonçant le rôle de soumission et de marginalisation auquel est soumise la femme musulmane, voient dans l’évolution violente récente du monde arabe la confirmation d’une dangereuse altérité islamique pour la civilisation et le progrès de l’humanité.

    Cette caricature de la pensée arabe et du contexte dans laquelle elle a évolué est évidemment démentie par la diversité et la richesse des œuvres produites par les intellectuels arabes depuis le milieu du XIXe siècle.

    *Pour les « islamophiles », les références en note :

    Voir Olivier CARRÉ et Michel SEURAT, Les Frères musulmans (1928-1982), Gallimard, Paris, 1983 ; Gilles KEPEL, Le Prophète et Pharaon. Les mouvements islamistes dans l’Égypte contemporaine, La Découverte, Paris, 1983 ; Olivier CARRÉ, Mystique et politique. Lecture révolutionnaire du Coran par Sayyed Qotb, Frère musulman radical, Le Cerf/Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1984 ; Olivier ROY, Afghanistan, islam et modernité politique, Seuil, Paris, 1985 ; Bruno ÉTIENNE, L’Islamisme radical, Hachette, Paris, 1987 ; Michel SEURAT, État de barbarie, Esprit/Seuil, Paris, 1989 ; François BURGAT, L’Islamisme au Maghreb : la voix du Sud, Karthala, Paris, 1988 (ainsi que L’Islamisme en face, La Découverte, Paris, 1995 ; et L’Islamisme à l’heure d’Al-Qaida. Réislamisation, modernisation, radicalisations, La Découverte, Paris, 2005).

     

    • La recherche académique française sur l’Orient arabe s’est donc considérablement appauvrie depuis les dernières décennies. Le vide créé par la disparition des grands orientalistes tels que Louis Massignon (1883-1962), Régis Blachère (1900-1973), Jean Sauvaget (1901-1950), Jacques Berque (1910-1995), Vincent Monteil (1913-2005) ou Maxime Rodinson (1915-2004) a été occupé par l’abondante et indigeste production sur l’islam politique, les Frères musulmans, les réseaux d’activistes islamiques radicaux. Littérature non seulement indigeste, mais surtout superficielle et répétitive, car elle occulte – comme nous venons de le voir – toutes les évolutions, en particulier les bouleversements socioéconomiques qui affectent le monde arabe et ignore les innombrables liens entre les sources géographiques et politiques du « radicalisme » islamique, notamment en Arabie saoudite et au Pakistan, et les principales puissances occidentales dont ces deux pays sont des alliés fidèles et respectés.

      En fait, qu’elle soit due à des chercheurs arabes, européens ou américains, la recherche académique concernant la pensée arabe est handicapée par deux problèmes majeurs. Le premier est le poids de l’approche anthropologique qui cherche à déterminer les structures et constantes de l’« esprit arabe » ou « musulman » afin de mieux mettre en valeur l’« altérité » de cette « mentalité », soit sa façon d’appréhender le monde par rapport à l’esprit européen. Le second est constitué des débats sans fin et souvent stériles sur l’authenticité de cette pensée ou sur l’impact que le postcolonialisme a pu avoir sur elle, qu’il s’agisse des mouvements féministes, des mouvances laïques et nationalistes ou bien sûr de celles de l’islam politique.

  • Le nouveau livre de Georges Corm, Pensée et politique dans le monde arabe est paru cette semaine.

    Lire dans l’Huma : Vaste panorama de la culture arabe et de ses intellectuels
    http://www.humanite.fr/vaste-panorama-de-la-culture-arabe-et-de-ses-intellectuels-570951

    Il redonne vie, à grand renfort d’exemples concrets et de portraits vivants, à nombre d’intellectuels arabes, comme Al Tahtawi (1801-1873). Mandaté par le gouverneur d’Égypte, Mohammed Ali, pour aller en mission à Paris, ce dernier a introduit la culture française en Égypte en initiant un grand mouvement de traduction vers l’arabe d’œuvres françaises. Corm montre que la pensée arabe n’est pas monolithique, mais polymorphe, et qu’elle a pu donner lieu à des débats et controverses, comme par exemple entre le grand réformateur religieux égyptien Mohammed Abdou (1849-1905) et l’essayiste libanais positiviste convaincu des bienfaits de la laïcité, Farah Antoun (1874-1922). Plus près de nous, Taha Hussein (1889-1973), intellectuel égyptien aveugle, a critiqué la façon d’enseigner la religion dans la célèbre université Al-Azhar du Caire, et a affirmé que, par son histoire, l’Égypte appartient au monde européen méditerranéen, soulignant les profondes influences réciproques entre l’Égypte pharaonique et la Grèce et Rome. Georges Corm n’oublie pas les femmes et en cite plusieurs comme May Ziadé (1886-1941), première femme de lettres arabe d’origine palestino-libanaise, qui a tenu un salon littéraire, ou Nawal El Saadawi, aux multiples talents d’écriture, emprisonnée en 1981 car opposante au régime d’Anouar El Sadate. Sur le plan religieux, il oppose au cliché sur l’islamisme de nombreux autres courants, comme la «  wassatiya  » ou «  juste milieu  », pensée religieuse ancrée dans le Coran et contrant la pensée islamiste radicale et fanatique. Ce vaste panorama est passionnant et démontre de manière stimulante la richesse exceptionnelle de la culture arabe.

    • Il faudrait que les intellectuels égyptiens reviennent sur leur attitude pendant la présidence de Morsi. Sur leur refus d’un Président Frère Musulman élu légalement, et dont la religion reflétait bien la population égyptienne (pratiquement pas d’athée dans cette population à part peut-être dans un minuscule microcosme intellectuel). Président qui avait fait preuve d’habileté pour écarter du pouvoir le général Tantaoui, Président qui n’était pas extrémiste, et qui n’avait absolument pas tous les pouvoirs (médias restés à la solde des classes aisées, hauts fonctionnaires de justice de même, et armée toujours puissante). Morsi avait fait peu d’erreurs dans une situation extrêmement difficile. Une partie des députés Frères Musulmans avaient été au dessous de tout, votant des lois totalement stupides (mais la vie dans la clandestinité sous une dictature rend sans doute difficile la formation d’hommes et femmes politiques et l’émergence d’une pensée politique très élaborée et moderne).

      Ces intellectuels qui ont appelé l’armée contre le premier Président légalement élu d’Egypte, faisant replonger le pays dans une dictature atroce qui a massacré en bien plus grand nombre que la révolution elle-même ne l’avait fait, est-ce qu’ils ont fait leur autocritique ?

    • Stephane, je ne vois pas le rapport du tout avec le bouquin de Corm (qui est par ailleurs un intellectuel libanais). Tu introduis par ailleurs le confusion entre le fait que les Egyptiens n’étant pas athées (selon je ne sais quelle source), ils seraient automatiquement islamistes, ce qui n’a évidemment pas de sens.