Mourir pour une barrette
Hier soir, mardi 3 avril, nouvelle fusillade à Saint-Ouen. Deal, règlement de compte… On n’en sait pas plus pour l’instant. Des jeunes se sont affrontés, un fut touché par balles, à l’abdomen. On ignore s’il a une chance de s’en sortir. La semaine dernière, c’était un tir de flashball venu des flics qui, à quelques mètres de là, blessait un habitant. Au même endroit, déjà, en juillet 2009, lors d’une altercation un jeune se prenait une balle, elle mortelle. Quelques mois plus tard, un règlement de compte entre gangs faisait deux morts, quartier Arago. Puis, cet hiver, dans le quartier des Puces et en pleine après-midi, un « guetteur » était abattu par un tireur en scooter.
Saint-Ouen, ce n’est pourtant pas Ok Corral. La plupart des habitants y mènent une vie paisible, bien que rendue ardue du fait de la précarité, du chômage, de l’extrême pauvreté où se débattent nombre d’entres eux. Ici comme ailleurs, l’émergence et le développement d’un trafic organisé de drogue est essentiellement due à cette absence de ressources dont souffre une partie de la population, et au manque total de perspectives à laquelle se heurtent la jeune génération. De fait, les conditions dans lesquelles s’exerce ce « commerce » ont connu, ces dernières années, un durcissement ayant comme conséquence principale l’apparition des armes, et cette suite d’homicides absurdes. Pourtant, m’dame le maire a fait venir Guéant et une armée de caméras, suite à la tuerie d’Arago. Pourtant, on a recruté des flicaillons, dans la police municipale comme dans la nationale. Et puis ? Rien. Et les meurtres et les fusillades de s’enchaîner, prenant de l’ampleur. C’est qu’ici comme ailleurs le déni de réalité sert de politique à courte vue. Il est devenu classique de feindre de s’attaquer à une économie parallèle dont on sait bien qu’elle tient lieu, par ailleurs, de ciment, de pis aller sans lequel les quartiers ne pourraient que s’enflammer, cette fois au sens propre comme au sens figuré. Sur cette hypocrisie repose l’essentiel de l’action municipale. Les habitants n’en sont pas dupes, qui, de meurtres en échange de tirs, ne peuvent que constater l’impuissance de l’autorité locale, ainsi que son refus de s’attaquer aux véritables causes de ce qui apparaît aujourd’hui non plus comme un commerce, mais plutôt comme une véritable industrie. Ne nous y trompons pas : les premières victimes de cette industrie-là sont les jeunes qui s’y livrent, car cet argent qu’on dit « facile » ils le gagnent en risquant chaque jour, et très concrètement, leurs peaux. Pendant ce temps, dans les ministères comme dans les bureaux de la mairie, on tergiverse et on repousse à plus tard toute action concrète, massive contre la déscolarisation, contre la paupérisation galopante des plus jeunes — véritables terreaux pour le trafic et les « parrains » —, on croise les doigts en espérant que les plus anciens parmi les habitants de la commune auront entretemps oublié la suppression des postes d’éducateurs, la lente dégradation des maisons de quartiers, l’oubli des acteurs de terrain et des associations qui, naguère, avant que ne soit entériné le choix du répressif et du sécuritaire, permettaient, de par leur présence et leur travail en profondeur, d’éviter les plus graves dérives. Tout ça, bien sûr, coûtait de l’argent, prenait du temps. Il semble qu’à Saint-Ouen on n’ait plus aujourd’hui ni l’un ni l’autre.
C’est que la priorité, à Saint-Ouen, est ailleurs. Elle est dans l’accueil des « nouvelles populations » (euphémisme désignant les bobos n’ayant plus les moyens d’habiter Paris : les mêmes qui, au passage, fournissent l’essentiel de la clientèle des gosses dealers du secteur), elle est dans l’édification d’un quartier (d’un ghetto ?) leur étant destiné, et qui représentera rien moins qu’un bon quart de la superficie de la ville. La gentrification devant suivre son cours contre vents et marées, les pauvres feront à coups sûrs les frais d’une politique de « pacification » des quartiers, à grand renfort de compagnies républicaines de sécurité et d’embrassades entre Rouillon, maire de la commune, « ex-Pcf », et Guéant, ministre Ump délégué au rapprochement avec le Fn.
D’autant plus interpellé par les derniers évènements que deux de ces membres étaient sur place, à quelques mètres, lors du tir de flashball ayant conduit la semaine dernière un homme à l’hôpital, le groupe Saint-Ouen 93 tient à réitérer ici son opposition radicale à une politique municipale basée sur le double langage, le déni de réalité, la négation des causes réelles ayant conduites à l’émergence d’un phénomène qui relève davantage de la survie quotidienne que de la délinquance. Qui rêve de mourir pour une barrette de shit ? Assurément, personne.