La Fédération Wallonie-Bruxelles met en question « l’intérêt culturel » du Cinéma Nova !
Communiqué de presse du Cinéma Nova, 12/1/2018
Dans un avis suivi par la Ministre de la Culture Alda Greoli, la Commission d’aide aux Opérateurs Audiovisuels (COA) émet des doutes sur « l’intérêt culturel [du Cinéma Nova] pour la Fédération Wallonie-Bruxelles ».
Résultat : une baisse annuelle de 20.000 € de subsides (70.000 € au lieu de 90.000 €) ! L’équipe du Nova demande à la Ministre de reconsidérer cette décision, basée sur une vision comptable de la culture et sur un décalage avec la reconnaissance, bien réelle pour sa part, du public.
Connaissez-vous une salle de cinéma qui consacre l’entièreté de sa programmation à des films de qualité, contemporains, rares et pour la plupart non distribués en Belgique ‑ et qui a développé ses moyens de communication, son propre journal, pour les faire connaître ? Une salle qui défend une idée du cinéma et de la culture, qui a une ligne éditoriale ‑ celle d’un cinéma de recherche ? Qui effectue un travail de fourmi pour faire découvrir des œuvres indépendantes venues des quatre coins du monde, sans les cloisonner entre genres (fiction, documentaire, animation, expérimental, films cultes…) ? Qui les diffuse tant que possible dans leur format original (pellicule, vidéo, numérique) et toujours dans leur langue originale ‑ quitte à les sous-titrer elle-même ? Qui les propose le plus souvent dans un contexte thématique, et en présence des réalisateurs ?
Connaissez-vous une salle de cinéma qui ne diffuse pas de publicités avant les films et dont les tarifs sont les plus accessibles de la capitale ? Une salle qui est aussi un lieu de convivialité, de formation (de projectionnistes notamment) et de transmission de savoirs faire, de création, de rencontre et de débat, liant systématiquement sa programmation cinématographique à d’autres disciplines (musique, arts plastiques, photo, dessin, performance, création sonore, micro-édition, etc.) ? Qui ouvre son écran, une soirée par mois aux courts métrages de tous les cinéastes en herbe ou confirmés qui le souhaitent ? Qui permet de trouver leur public à des premiers films, des films d’étudiants, d’amateurs ou d’ateliers de production ?
Une salle qui a pour partenaires de nombreuses associations et forces vives de Bruxelles ou d’ailleurs ? Qui a permis l’éclosion de plusieurs festivals désormais bien ancrés dans le paysage cinématographique, et qui les co-produits, tels que Pink Screens, Filem’on ou Offscreen ? Qui propose régulièrement des activités gratuites, tel le PleinOPENair, festival de cinéma, urbain, qui déambule l’été à travers des lieux inédits de Bruxelles ?…
Cette salle de cinéma, c’est le Nova. Ouvert en 1997 par des bénévoles qui sauvaient ainsi des griffes de la spéculation immobilière un cinéma mythique du centre-ville, porté depuis lors à bout de bras par une équipe passionnée, large et sans cesse renouvelée, le Nova a célébré son vingtième anniversaire il y a tout juste un an… contredisant ainsi les pronostics de ceux qui lui donnaient une espérance de vie d’à peine quelques mois.
Aujourd’hui, son public est fidèle (mieux : il se renouvelle), sa fréquentation est dans la moyenne haute des salles d’art et essai, sa santé financière est bonne. Connu du public belge et bruxellois pour les spécificités énoncées ci-dessus (et bien d’autres encore), le Nova est de par le monde une référence pour des cinéastes, professionnels et médias (comme « Les Cahiers du Cinéma », pour ne citer qu’un exemple, qui lui ont consacré pour la deuxième fois un long article l’an dernier), un modèle pour des cinémas et des programmateurs, envié des cinéphiles…
Logique comptable Vs Logique culturelle
Pourtant, la Ministre de la Culture Alda Greoli vient d’annoncer une baisse substantielle de la subvention du Nova dans le secteur de l’Audiovisuel : 20.000 € lui sont retirés par an… avec effet immédiat au 1er janvier 2018.
Pour ce faire, elle s’appuie sur l’avis de la Commission d’aide aux Opérateurs Audiovisuels (COA) du Centre du Cinéma, récemment appelée à se prononcer sur les dossiers de tous les opérateurs audiovisuels de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Dans cet avis, la COA reconnaît la spécificité du Nova et sa complémentarité avec les autres salles, mais elle n’en tire pas les conséquences et ne considère pas les spécificités liées à ce travail, notamment en termes de volume d’activité et de rythme d’ouverture :
"En ce qui concerne l’intérêt culturel du projet pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, le projet du Nova a suscité des avis partagés au sein de la Commission. Si la plupart des membres adhèrent aux objectifs énoncés en termes de promotion du cinéma d’art et essai, certains d’entre eux émettent des réserves sur la possibilité limitée de valorisation et diffusion du cinéma belge francophone dans le cadre d’un projet aussi particulier. (...) Le Nova exploite une salle unique dont l’ouverture au public est limitée à 4 jours par semaine."
Depuis toujours, le Nova dispose d’une salle (200 places) et ouvre ses portes environ 35 semaines par an, du jeudi au dimanche. Ce rythme atypique est le corollaire d’un travail singulier, se situant quelque part entre celui d’un cinéma d’essai et de recherche, d’un distributeur, d’un festival, d’un centre culturel ou d’un « musée vivant du cinéma ». Un projet comme celui-là ne peut être considéré avec les mêmes critères que ceux d’un cinéma d’exploitation (dont le travail est de mettre à l’affiche, semaine après semaine, des films édités, sous-titrés et promotionnés par des sociétés de distribution). Son intérêt culturel ne pourrait se calculer uniquement en jours d’ouverture, en quantité de séances ou en nombre de salles.
De plus, le Nova est l’une des salles de cinéma diffusant probablement le plus de films belges, et correspondant le mieux aux critères culturels et participatifs du décret Audiovisuel, qui ne se borne pas à la promotion des films belges francophones largement subventionnés. Ironie du hasard : les doutes de la COA sur « l’intérêt culturel du projet pour la Fédération Wallonie-Bruxelles » s’expriment au moment où le Nova met à l’écran, dans une salle comble, un film belge francophone ("Laissez bronzer les cadavres" d’Hélène Cattet & Bruno Forzani) acclamé dans de nombreux festivals internationaux, mais qu’aucun distributeur belge ne voulait sortir.
Un procédé peu respectueux des acteurs culturels
Cette baisse de subside est problématique sur le fond mais aussi dans le procédé.
Depuis 2015, le Nova bénéficiait de son premier contrat-programme en Audiovisuel, censé lui garantir une aide (inférieure au montant demandé) de 90.000 € jusque fin 2019. Ce contrat-programme demandait au Nova d’augmenter ses jours d’ouverture. Cela fut fait, et évalué positivement par les services de la FWB, tout comme l’ensemble des activités du Nova ! Mais, contrairement à tout usage (et au principe même de ce genre de convention qui est de garantir une stabilité aux organisations subventionnées), il a été interrompu anticipativement en 2017, au motif de permettre à la FWB, peu de temps après un changement ministériel, de « remettre les compteurs à zéro » dans tout le secteur audiovisuel.
Le Nova a donc introduit une nouvelle demande en mai 2017, examinée par la COA en septembre dernier. Les avis de la COA n’ont pas été communiqués aux différents opérateurs audiovisuels avant que la Ministre ne prenne ses décisions, mais viennent seulement de l’être, avec plus d’un mois de retard, entre Noël et Nouvel-An, et sans qu’aucun autre recours que le Conseil d’État ne soit possible.
Une décision incompréhensible et inconsidérée
Perdre une telle somme aura de toute évidence des conséquences négatives sur l’activité du cinéma. Pour l’équipe du Nova, c’est une décision incompréhensible et inconsidérée.
Si l’avis divisé de la COA met en question l’intérêt d’un projet comme le Nova et éprouve du mal à percevoir la réalité de son travail de fond, il appartient à la Ministre de la Culture Alda Greoli de trancher. Elle suit certes souvent les avis de la COA, mais elle a toute liberté de s’en éloigner comme elle vient de le faire en accordant une subvention conséquente au projet du Palace en passant outre l’avis négatif de la COA.
L’équipe du Nova lui demande de reconsidérer sa décision pour ramener au premier plan la dimension culturelle et non faire preuve d’une vision étriquée de la culture audiovisuelle à Bruxelles et plus largement, en Belgique.