person:hans morgenthau

  • "Syrie : le "réalisme" est le poison de notre temps"

    "L’hypothèse de l’Américain Samuel Huntington est devenue réalité. Il nous promettait la "guerre des civilisations" ; nous avons "l’état de guerre" tout court. Le problème est que, lorsqu’une guerre est déclarée, malheur aux tièdes ! La morale civique, qui se confond avec la Realpolitik, conduit à tout faire pour la gagner. Tout, même l’indéfendable... Or, en matière d’identité, de culture ou de civilisation, les guerres ne se gagnent pas.

    En pratique, la course à la tension, le jeu de la riposte et de la contre-riposte conduisent à l’abîme. Pour justifier la fermeté de "l’Occident" et de sa "civilisation", on évoque l’"ensauvagement" et le "retour de la barbarie" qu’alimentent sans fin nos images télévisuelles. Mais la barbarie ne fait-elle pas partie de notre monde depuis les conquêtes coloniales et les deux guerres mondiales ? N’avons-nous pas nous-mêmes pratiqué l’extermination massive de civils, le camp de concentration, le travail forcé, l’anéantissement des villes et l’assimilation brutale au nom de nos "valeurs", voire au nom de la République ? S’il y a un problème majeur, il tient en fait à ce que, jusqu’à ce jour, les puissances ont décidé du bien et du mal, de la guerre et de la paix, de la cruauté tenue pour nécessaire et du mal absolu qu’il faut éradiquer. Non pas les peuples, mais les puissances, c’est-à-dire des États.

    La guerre des identités est une guerre sans raison
    Au temps de la guerre froide, les deux camps ont pu penser, à un moment donné, que l’usage de la méfiance et de la violence était une nécessité. Le maccarthysme et le jdanovisme se faisaient écho, le général américain MacArthur demandait l’utilisation de la bombe atomique en Corée, et Mao Zedong expliquait qu’une guerre nucléaire pouvait provoquer un milliard de morts, mais que la population restante vivrait heureuse sous le communisme. Heureusement, aucune de ces logiques n’est allée jusqu’au bout, parce que, à chaque moment, dans chacun des deux camps, la raison a pu l’emporter. Mais, à l’époque, le conflit avait une rationalité fortement ancrée dans l’économique et le social, et la raison, au bout du compte, trouvait une base matérielle pour le réguler.

    Or, quand le conflit porte sur des identités, quand l’autre est supposé mettre en question un mode de vie, une manière d’être chez soi, quand le soubassement de l’affrontement oppose la richesse d’un côté et le ressentiment de l’autre, si des centaines de millions de déshérités se mettent à penser qu’ils n’ont plus rien à perdre, est-on sûr que la raison, in extremis, sera en état de jouer ?

    À ce jour domine le "paradigme réaliste", dont le politologue américain Hans Morgenthau, l’un des promoteurs de la doctrine américaine de l’"endiguement", a fourni la théorie la plus forte au début de la guerre froide. « La société en général, écrivait-il, est gouvernée par des lois objectives qui ont leur racine dans la nature humaine [autour] d’instincts biopsychologiques élémentaires tels que l’instinct de vie, de reproduction et de domination. [...] La politique internationale, comme toute politique, est une lutte pour la puissance. » Or rien n’est pire aujourd’hui que le "réalisme" de la puissance et de la guerre. Nul ne peut penser que la guerre disparaîtra de notre horizon d’un coup de baguette magique, que les stocks d’armement fondront comme la banquise et qu’il n’y a plus place nulle part pour des activités de défense des territoires. Mais la question qui nous est posée est toute simple : allons-nous longtemps laisser aller le monde tel qu’il va ?

    La logique de la guerre ne fait que préparer la victoire des puissants
    Comme au temps de la guerre froide, le monde semble relever d’une logique binaire : Islam et Occident, démocratie et terrorisme, mondialisation et souverainisme, impérialisme et anti-impérialisme. Qui n’est pas avec moi est contre moi ; les ennemis de mes ennemis sont mes amis… Il n’y a jamais eu autant d’esprit de guerre froide que depuis que le mur de Berlin et tombé. Beaucoup trop, à gauche comme à droite, nous expliquent qu’il faut en finir avec "l’angélisme". Être réaliste, ce serait désigner l’ennemi principal et tout faire pour le mettre à terre. Or se résigner à ce constat serait une folie.

    Combattre le pseudo-réalisme n’est pas s’enliser dans le verbiage des demi-mesures, ce n’est pas verser dans l’apologie dérisoire du consensus. C’est prendre la mesure de ce que, s’il y a lutte entre des conceptions antagoniques du monde, la logique de la guerre ne fait que préparer la victoire des puissants. Staline, en 1947, pensait qu’il n’avait pas d’autre choix réaliste que d’accepter le bras-de-fer avec les États-Unis. Il ne savait pas que, en mettant le doigt dans l’engrenage, il créait les conditions de l’échec global du système qu’il voulait officiellement préserver. La lutte démocratique de masse rend possible la perspective de l’émancipation ; la logique de la guerre crée les conditions de son impossibilité.

    Plutôt que le simplisme du choix binaire, il faut assumer des contradictions. Refuser le contournement ou l’humiliation de la Russie – dont les Occidentaux se rendent responsables depuis plus de trente ans – est juste ; ne pas accepter la brutalité cynique de l’État russe n’en est pas moins une nécessité. Vouloir éradiquer l’inhumanité de Daesh est un devoir ; penser que l’extension de la guerre et, pire encore, le bombardement de populations civiles en sont les conditions premières est une faute. Laisser faire l’inacceptable est impensable ; répondre à la barbarie par la violence aveugle est un gouffre." [Extrait]

    http://www.regards.fr/qui-veut-la-peau-de-roger-martelli/article/syrie-le-realisme-est-le-poison-de-notre-temps

  • Lenin Meets Corleone
    http://www.nationalreview.com/article/415027/lenin-meets-corleone-george-weigel


    Sean Gallup/Getty

    Attempts to understand Vladimir Putin and the Russian revanchism that now threatens to dismantle the basic security architecture of post–Cold War Europe ought to begin not with reference to Lenin and Stalin, or by digging into one’s dog-eared copies of books by Hans Morgenthau, Samuel Huntington, or George Kennan. To be sure, there is a Leninist component in Putin’s methods, but save that for a moment. At the outset, consider the possibility that the best literary guide to Putin, Putinism, and early-21st-century Russia is Mario Puzo.

    Russia is, in many respects, dying. Alcoholism is rampant. Life expectancy is sinking: Today, a 15-year-old Haitian boy has a longer life expectancy than his 15-year-old Russian counterpart. The economy is stagnant, and the ruble is cratering. Russia imports potatoes from Romania. Churches are largely empty. Yet atop this rotting body politic is an oligarchic elite that functions very much like the Mafia families depicted in Puzo’s novel The Godfather and the films spun off from it.

  • De la puissance militaire : Aron revisité | ceriscope
    http://ceriscope.sciences-po.fr/puissance/content/part1/de-la-puissance-militaire-aron-revisite?page=show

    En 1962, Raymond Aron publiait la première version de ce qui deviendra l’une des références francophones dans le domaine des Relations internationales : Paix et guerre entre les nations. L’année 2012 fut l’occasion de revisiter cette œuvre tant du point de vue de sa qualification théorique (Aron est-il un théoricien réaliste ?) que de sa postérité scientifique (que reste-t-il aujourd’hui de cette approche ?).

    Dans le prolongement de ces réflexions, cet article propose une analyse du concept de puissance tel qu’élaboré par Aron. Ce concept est en effet au cœur de son projet sociologique appliqué aux relations internationales. L’un des objectifs qui anime Aron est de corriger les errements dont font preuve les réalistes américains de l’époque. Si plusieurs arguments avancés demeurent pertinents de nos jours, les choix et les occultations sous-jacentes à la démarche aronienne sont sujets à discussion.
    Affinité n’est pas identité : le débat entre Aron et Morgenthau sur le concept de puissance

    Dans la plupart des manuels de Relations internationales, Aron est considéré de manière systématique comme un théoricien réaliste. D’autres références, comme l’article « Political Realism in International Relations » de la Stanford Encylopedia of Philosophy qualifient Aron de réaliste classique aux côtés de John H. Herz (1951), Hans Morgenthau (1948) et George Kennan (1951). Une tendance contemporaine défend également l’idée selon laquelle Aron serait un réaliste, qu’il soit constitutionnaliste (Michael Doyle 1997) ou bien néoclassique (Dario Battistella 2012). De telles tentatives n’emportent pas la conviction. Non seulement la pensée d’Aron échappe à toutes les familles de pensée, lui-même étant particulièrement vigilant et trop soucieux d’hygiène intellectuelle pour résumer sa démarche à une chapelle (ce qui entraîne la dénonciation de tous les « –ismes », que ce soit des idéologies politiques ou bien des taxinomies scientifiques). Mais plus fondamentalement, Aron est bien trop attaché à rendre compte de la réalité internationale pour vouloir réduire celle-ci à une seule propriété. Pour reprendre l’expression de Pierre Hassner (2007), il semble bien « trop réaliste » pour être un réaliste ! Il est en effet fort sceptique à l’égard des volontés académiques de définir a priori le champ des relations internationales. Or, le débat qu’il engage avec Morgenthau sur le concept de puissance est une clef de voûte dans son argumentation. Elle lui permet de clarifier sa propre posture par contraste, pour ne pas dire opposition à l’auteur de Politics among Nations.

    La critique d’Aron est double. Morgenthau pêche par confusion et par prétention. Tout d’abord, il ne procède pas à une distinction pourtant majeure entre la puissance comme but et la puissance comme moyen de la politique étrangère. D’une part, ces deux perspectives renvoient à deux objets de recherche différents (finalités recherchées versus forces disponibles). D’autre part, l’étude de ces deux objets ne permet pas une comparaison systématique des résultats. Pour Aron, les moyens ne sont pas tous mesurables du seul fait qu’ils ne peuvent se restreindre à un décompte des capacités matérielles (militaires, économiques) puisqu’ils doivent également comprendre des facteurs tels que la cohésion nationale ou l’influence culturelle, à titre d’exemple. Quant aux buts, ils ne sont pas constants car les dirigeants ont la liberté de définir des objectifs politiques variables en fonction des circonstances historiques.

    Ensuite, Morgenthau est guidé par la prétention de hisser la recherche de l’équilibre des puissances au titre de mécanique universelle. Si Aron reconnaît que cette pratique correspond bien à une période européenne à partir de la modernité, il refuse de la transférer à d’autres aires culturelles ou de lui conférer un caractère immuable. Une modalité historique et singulière d’organisation des relations internationales ne saurait avoir les caractéristiques d’une donnée permanente.

    Confusion et prétention aboutissent à une illusion : celle de vouloir bâtir une théorie générale sur la base d’un concept aussi fragile que celui de puissance. Ne saisir la réalité internationale qu’à l’aune ce celle-ci relève plus de la chimère inquiétante que de la parcimonie bienvenue. Ce scepticisme repose sur l’épistémologie aronienne inspirée à la fois de Weber (contre les excès positivistes) et de Kant (pour une approche critique des concepts). Il s’appuie également sur le rejet du modèle économique dans l’étude des relations internationales. La maximisation de la puissance ne constitue pas l’équivalent de la maximisation du profit dans la théorie pure de Walras. L’acteur politique n’est pas l’analogue du sujet économique capable de mener des conduites logiques ayant l’utilité comme objet.

    En d’autres termes, une affinité ontologique se manifeste entre Morgenthau et Aron. Tous les deux considèrent que les acteurs centraux sont des entités politiques qui admettent la violence comme une des formes normales de leurs relations. Ce que résume Aron par la « légitimité ou la légalité du recours à la force » pour caractériser le champ international. Mais il n’y a pas identité dans le sens où Aron conteste l’idée d’une théorie générale, qu’elle soit d’obédience réaliste ou autre. Cette position résulte d’une sévère critique à l’encontre de l’idée selon laquelle le concept de puissance puisse offrir le pilier d’une théorie des relations internationales ayant le même statut que la théorie économique. Cette précision épistémologique effectuée, comment Aron appréhende-t-il les phénomènes de puissance ?

    Tout d’abord, Aron identifie une loi tendancielle à la diminution de la rentabilité des conquêtes. Si les guerres entre Etats n’ont pas totalement disparues, elles sont l’objet d’une régulation. Quand bien même les statistiques à disposition aujourd’hui reposent sur des méthodologies distinctes (du Stockholm International Peace Research Institute aux rapports sur la Sécurité humaine des Nations unies, à titre d’illustration), elles prouvent que les affrontements entre grandes puissances se sont atténués sur le temps long. Et ce, en dépit d’une évolution des modalités de projection des forces sous l’effet de la professionnalisation des armées ou de la logique du New Public Management incitant les Etats à recourir à des sociétés militaires privées. Cette loi tendancielle ne doit toutefois pas aveugler. Aron n’en déduit pas une disparition du phénomène guerrier. Ainsi, il exprime ses réticences à l’égard d’une « paix par la peur » issue du facteur nucléaire. L’école optimiste dont Gallois (1960) est l’un des éminents représentants considère que la guerre thermonucléaire est impossible. Beaucoup plus sceptique, Aron souligne que l’équilibre de la terreur n’est pas stable a priori. De plus, la dissuasion peut elle-même favoriser des guerres limitées. Ce pessimisme entraîne la défense d’options stratégiques comme la riposte graduée ou bien la détente, lesquelles s’inscrivent dans une volonté toute clausewitzienne à la fois de contrôle politique et d’enrayage de la montée aux extrêmes. Le lecteur pourra considérer que ces passages sur la puissance nucléaire ont vieilli. D’ailleurs, Aron reconnaissait lui-même que la partie « Histoire » de Paix et guerre entre les nations où la stratégie nucléaire est analysée avait subi l’influence des circonstances, à l’instar du grand débat qui se cristallise entre 1961 et 1963 avec Gallois. Ils sont assurément le produit d’une époque, mais ils s’articulent aussi de façon étroite à une philosophie de l’action qui guide l’ensemble du raisonnement, à savoir la retenue stratégique.

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