Le milieu de la danse forme une étrange pyramide des sexes. À sa base, dans les cours de quartier comme dans les écoles supérieures : une éclatante majorité de justaucorps pastel et de chignon hauts. Au milieu : un corps professoral et des compagnies de danse à peu près paritaires. Et au sommet : des hommes. Les chiffres sont éloquents. Sur les dix-neuf centres chorégraphiques nationaux créés à l’initiative de Jack Lang au début des années 1980, seize sont aujourd’hui dirigés par des hommes.
Pour la chorégraphe Karine Saporta, il n’y a pas d’interrogation mais un constat sans appel : « Non seulement il y a bien discrimination faite aux femmes mais, plus grave, un effacement de leur dimension créative dans l’histoire de la danse. Des femmes, on retient l’anecdote, l’écharpe d’Isadora Duncan prise dans les roues d’une voiture mais pas leur énorme apport à cet art. » Une opinion que partage la chorégraphe italienne Alice Valentin : « Que serait devenu Rudolf Noureev sans Margot Fonteyn ? Pourtant, on ne se souvient que de lui. Martha Graham a été la première chorégraphe à avoir intégré des Noirs dans une compagnie de danse, elle a fait autant pour l’émancipation des Noirs que Martin Luther King. Mais seuls les initiés la connaissent. Il y a une injustice dans l’hommage qui devrait être rendu aux femmes. »
Et dire que le premier rapport sur l’égalité hommes-femmes rendu en 2006 par Reine Prat, alors chargée de mission auprès du ministre de la culture, avait distribué des bons points au milieu de la danse, bien en avance sur ses camarades la musique et le théâtre – rappelons ce chiffre ahurissant : au théâtre de l’Odéon, à la fin des années 1990, 100 % des spectacles étaient créés par des hommes. « Ce que j’avais retenu de ce rapport, à l’époque, c’est que les deux domaines artistiques où les femmes étaient très présentes étaient la danse et le spectacle pour enfants, s’amuse la chorégraphe Mathilde Monnier. Et ce n’est pas par hasard. C’était les domaines les moins valorisés. »