"IL-N’Y-AURA-PAS-DE-PROGRAMME-SPÉCIAL"...
pour réunir les familles séparées.
Cette histoire d’enfants confisqués à leurs parents, à la frontière mexicaine des Etats-Unis. Je vous en parlais hier. Et au début de la semaine. Et ce n’est apparemment pas fini. Donald Trump, apprend-on ce matin, vient d’apposer sa signature au feutre épais en bas d’un texte qui, parait-il, stipule que les enfants ne seront plus séparés de leurs parents, mais incarcérés avec eux (comme en France), pour une durée indéterminée. Soupir de soulagement général. « Des gens vont être heureux aujourd’hui », a déclaré Trump, en montrant aux caméras sa signature au feutre épais.
Tout finit donc par s’arranger, se dit-on machinalement. La monstrueuse parenthèse est refermée. Mauvais rêve. Allégresse générale. Quant aux quelque 2000 enfants confisqués avant la signature, ils ne vont pas tarder à retrouver leurs parents. Admis ou refoulés des Etats-Unis, les familles se retrouveront. Tout finira le moins mal possible. Voilà ce que se dit, tout seul, le cerveau.
Sauf que non. Ce matin par exemple on lit, noir sur blanc (en moins gros titres, néanmoins, que la nouvelle de la signature de Trump), qu’il « n’y aura pas de programme spécial pour réunir les familles séparées ». Je demande votre attention. Relisez cette phrase : il-n’y-aura-pas-de-programme-spécial-pour réunir-les-familles-séparées. Vous la voulez encore une fois ? Il-n’y-aura-pas-de-programme-spécial-pour-réunir-les-familles-séparées.
De ce que l’on comprend, lors de la séparation des familles, quand elles sont interceptées à la frontière, parents et enfants sont pris en charge par deux administrations américaines distinctes, qui ne communiquent pas entre elles. Dans le meilleur des cas, les parents se voient remettre un formulaire, avec le mail et le numéro de téléphone d’une administration à contacter. Dans un de ces cas au moins, le numéro de téléphone était erroné. Ensuite, les parents sont internés quelque part. Ou expulsés. Avec leur formulaire, s’ils ne l’ont pas perdu.
Les policiers qui, devant les tribunaux américains, viennent résumer le dossier des illégaux poursuivis, ne savent pas si ces personnes ont été arrêtées avec leurs enfants. Cette information ne figure pas au dossier judiciaire des poursuivis. C’est un avocat d’El Paso (Texas), Erik Hanshew, qui le raconte, dans un témoignage au Washington Post, que je vous recommande de lire jusqu’au bout. Il arrive que les procureurs s’opposent à ce que la question soit posée, à l’audience, aux policiers. « Si l’on vous prend votre portefeuille, en prison, on vous donne un reçu. Là, on vous prend vos enfants, et on ne vous donne pas une feuille de papier ? » a demandé un juge, stupéfait.
Le cabinet d’Erik Hanshew, à El Paso, a mis en place une cellule spéciale, chargée de contacter les administrations susceptibles de donner des nouvelles des enfants. On peut imaginer la tâche, de chercher sur tout le territoire des Etats-Unis une fillette de cinq ans, qui ne sait pas épeler son prénom, ni son nom. A qui aucune administration n’a seulement passé un bracelet ou un collier avec ces informations, comme en portent, dans les pays civilisés, les animaux de compagnie. Un bracelet. Ou un collier.
Je dis « sur tout le territoire », parce qu’on apprend également ce matin que 239 (au moins) de ces enfants confisqués ont été retrouvés à New York, à quelques milliers de kilomètres d’El Paso. Le maire, Bill de Blasio, n’était pas au courant. La chaîne MSNBC a retrouvé et filmé une poignée de ces enfants, dans une rue de New York. Pour acheminer les enfants, un policier avait assuré au stewart d’une compagnie aérienne qu’il s’agissait d’une équipe de foot. Trois compagnies aériennes ont décidé de cesser d’embarquer des enfants de migrants. Je m’arrête là pour aujourd’hui ?
Il n’y a rien à reprocher aux medias américains. Ils font magnifiquement le travail. Il n’y a rien à vous reprocher à vous, qui avez lu cette chronique jusqu’au bout. Tous ensemble, nous allons maintenant tenter d’intégrer ce que nous avons lu. Comme l’avait dit le juge Frankfurter à Jan Karski en 1943, « je ne vous crois pas. Je ne dis pas que vous mentez, mais mon cerveau se refuse à vous croire ». Il va falloir reformater nos cerveaux.