person:jean baudrillard

  • Post-truth architecture | Thinkpiece | Architectural Review
    https://www.architectural-review.com/essays/post-truth-architecture/10015758.article

    Buildings may be constructed on the building site, but architecture is constructed in the discourse

    It’s official: ‘post-truth’ is the word of 2016. Oxford Dictionaries, which decides the annual accolade, defines it as ‘denoting circumstances in which objective facts are less influential in shaping public opinion than appeals to emotion and personal belief’. It adds that the term was first used in 1992 of the Iran-Contra scandal, however it is only in the context of this year’s Brexit and Trump campaigns that it has become common parlance.

    It could be argued that the media themselves are responsible for the rise of post-truth with their portrayal of fabricated, unachievable images and worlds. In 1991, Jean Baudrillard famously claimed that the Gulf War did not take place – that its media representation supplanted the horrors of the reality on the ground. And since then, increasing computer power has allowed three things to happen: first, images can be created that look not only convincingly real, but in the words of Bono, ‘even better than the real thing’ (take, for example, the incredible images of Filip Dujardin); second, near-instant manipulation and communication of those images is possible, as with the faked fireworks broadcast live during the 2008 Beijing Olympics – Instagram has replaced Archigram; third, our constant connection to screens means that we tend to actually prefer inhabiting representations of the world. What place does criticism have in an era populated by post-humans with Social Media Behaviour Disorders? Perhaps we need a new type of criticism to fit our current situation. Reliable, trustworthy, honest critique is more vital than ever, and islands – maybe even archipelagos – of authority can still be found upon which to establish a reasoned debate that is accountable and challengeable.

    #architecture #urban_matter #photographie #post-truth

  • Harold Bernat : « Le “macronisme” est une stratégie de consolidation du pouvoir par le vide »
    https://comptoir.org/2017/12/13/harold-bernat-le-macronisme-est-une-strategie-de-consolidation-du-pouvoir-

    Le Comptoir : Question d’ouverture, et déjà centrale : comment construire une critique du macronisme qui ne soit pas aspirée et régurgitée par l’objet visé ?
    Harold Bernat : Question centrale qui nous oblige d’emblée à savoir ce que recouvre ce mot “macronisme”. Attacher un “isme” à un patronyme ne suffit pas à faire une cohérence idéologique. On ne prête pas assez attention à de telles constructions sémantiques improbables – du libéralisme au macronisme, du communisme au mélenchonisme, etc. Alors qu’on ne connaissait toujours pas le contenu du programme politique d’Emmanuel Macron, le mot “macronisme” faisait déjà les gros titres. Autrement dit, le “macronisme” (si l’on tient à ce terme, que je n’utilise pas) est une forme qui cherche à se faire passer pour un fond, un signe qui nous dispense de chercher derrière lui une réalité, tout en laissant supposer qu’elle existe. La seule façon de ne pas être aspiré par le vide est de trouver des points réels d’ancrage à partir desquels nous pourrons froidement mesurer l’irréalisme ambiant et ses stratégies de simulation.

    Pour ne pas consolider ce que nous critiquons, vous appelez à être « témoins de ce qui se manifeste ». Comment, dès lors, s’opposer sans consolider ?
    La consolidation par une soi-disant “critique” est un phénomène récent et dévastateur. Si vous vous demandez “quelle est la philosophie de Macron ?” vous prenez aussitôt au sérieux son rapport à la philosophie en laissant croire qu’il y a une philosophie politique à l’œuvre chez Emmanuel Macron. Au lieu d’aller chercher dans des textes de Paul Ricœur plutôt que dans ceux de Rousseau ou d’Aristote ce qui “éclaire le macronisme” (une formule des plus ténébreuses), il est plus lucide de se demander à quoi sert la référence à la philosophie aujourd’hui. Que devient ladite philosophie quand celle-ci n’est plus qu’une stratégie de détournement de la critique politique, une diversion ? Être témoin, au sens qu’Henri Lefebvre donnait à ce mot, c’est rendre raison de ce qui nous arrive. Que signifie être “anti-macroniste” si on est incapable de comprendre finement que le “macronisme” est une stratégie de consolidation du pouvoir par le vide ?

    « Emmanuel Macron est le président d’un engluement spirituel très inquiétant, une sorte de résignation collective à l’effort qu’exige la pensée. »

    Au fond, vous ne critiquez pas tant Emmanuel Macron que l’idéologie sur laquelle il surfe et prospère – ou du moins, une “idéologie” comme il l’entend, c’est-à-dire une sorte de logiciel de compréhension du monde, qui laisse de côté les oppositions véritables. L’individu Macron est-il si innocent que cela ?
    À propos de l’idéologie, lisons deux déclarations d’Emmanuel Macron. En juillet 2015, au journal Le 1, Emmanuel Macron affirme : « Je crois à l’idéologie politique, c’est une construction intellectuelle qui éclaire le réel. » Par contre, quand il s’agit de s’adresser à un très large public, il n’hésite pas à critiquer la notion de « prisme idéologique » (TF1, 27 avril, 2017). Le discours tenu à une élite intellectuelle est aux antipodes de celui qui s’adresse à la masse des électeurs. Emmanuel Macron fait partie d’une génération qui croit en avoir fini avec les idéologies. C’est ce qu’on peut appeler la pensée des états de fait. Lorsqu’il affirme que le « prisme idéologique » ne marche plus, il sous-entend que l’idéologie est un moyen disponible parmi d’autres pour arriver à certaines fins. La dimension critique du concept forgé par Karl Marx disparaît totalement. Une idéologie est avant tout un système de représentations qui travestit la réalité afin d’imposer un ordre de valeur indiscutable. Cette opération de travestissement peut-être révélée par un effort critique. La stratégie des nouvelles formes de pouvoir consiste à désarmer cet effort en en faisant une dépendance des anciennes idéologies.


    Autrement dit, dans un renversement orwellien, la critique, c’est l’idéologie. Par contre, utiliser le mot “idéologie” à tort et à travers pour en faire le reliquat du vieux monde, c’est être « un philosophe en politique » (Le 1). De ce point de vue, Emmanuel Macron sait très bien ce qu’il fait.

    Vous écrivez que “l’idéologie” défendue par Macron ne porte aucune idée, ce qui fait qu’elle ne génère aucune contradiction. La solution n’est-elle pas de répéter que l’absence d’idée est une idée en soi, et très forte – à l’image de ce que peut être la prétendue “fin de l’Histoire” ?
    Bien sûr. La prétendue fin des idéologies est encore une idéologie, peut-être la plus pernicieuse qui soit. Lorsque je dis que Macron fait le vide, il ne faut pas oublier que ce “faire” suppose un interventionnisme très autoritaire. On ne fait pas le vide sans dégager ce qui fait obstacle à son extension, les poids morts de la société, les inerties, les pesanteurs, les résistances. La sémantique est évidente : ce qui résiste doit être éliminé. Vaincre une résistance (quelle que soit cette résistance) devient une victoire pour les nouveaux ventriloques de la marche en avant. Ce n’est pas parce que vous n’avancez pas d’idées que vous ne participez pas à un actif travail de sape idéologique.
    « À quoi sert la référence à la philosophie aujourd’hui ? Que devient ladite philosophie quand celle-ci n’est plus qu’une stratégie de détournement de la critique politique, une diversion ? »

    Emmanuel Macron est-il autre chose que l’enfant des Lumières, de Hegel et du scientisme dans la mesure où pour lui, tout est Raison, statistiques, efficacité ? Plus largement, n’est-il pas logique qu’à force de rationalisation, d’abandon de toute spiritualité – pas forcément religieuse –, notre société porte à sa tête une telle figure ?
    Entre les Lumières, Hegel et le scientisme, il y a tout un monde. Emmanuel Macron est surtout l’enfant de son temps, un temps dans lequel l’esprit est trop souvent une dépendance de la matérialité ou de la déraison, un temps dans lequel la pensée critique s’efface au profit d’un mélange non contradictoire d’économie et d’ésotérisme. Emmanuel Macron a pu dire que « la politique, c’est mystique ». Une phrase fort peu rationnelle, vous en conviendrez sûrement. Nous alternons entre le grand délire et l’hyper pragmatisme, entre des discours dont l’irrationalisme confondrait de honte un honnête homme du XVIIIe siècle et des discours sortis tout droit de logiciels informatiques. Cette phrase obscurantiste d’Emmanuel Macron doit être rapprochée de cette autre du nouveau “chef” du parti présidentiel, Christophe Castaner : « J’ai le logiciel Macron avec l’application Philippe. » Ce qui est attaqué reste le discernement intellectuel tout autant que la capacité de l’esprit à se déprendre du monde. Emmanuel Macron est le président d’un engluement spirituel très inquiétant, une sorte de résignation collective à l’effort qu’exige la pensée.

    Pensée qui, lorsqu’elle s’éloigne du cadre libéral, est généralement réprimée et rapprochée des totalitarismes du XXe siècle. Comment, dès lors, redonner sa noblesse à « la mésentente » comme l’entendait Rancière ? On voit que même à gauche – ou surtout à gauche –, la tentation du saint-simonisme n’est jamais loin.
    La brutalité de la réponse est à la hauteur de la faiblesse intellectuelle à laquelle se heurtent ceux qui n’ont pas renoncé à lutter contre les innombrables aliénations produites par notre mode de développement économique. Ce que l’on constate, c’est l’incapacité croissante de ladite “gauche” à faire droit à une critique qui ne soit pas simplement économique. L’idée d’une crise anthropologique, par exemple, ne fait pas sens pour elle. La mésentente dont vous parlez ne peut pas simplement porter sur la concentration du capital ou la domination du CAC 40. Il est particulièrement frappant de constater qu’un intellectuel critique de premier plan comme Jean Baudrillard a quasiment disparu des références de la gauche dite “critique”. On ne peut parler de dissensus sans parler de conflits de valeurs, de hiérarchie des valeurs, de fondement des valeurs – autant de questions essentielles devenues quasiment taboues à gauche. L’anthropologie critique des valeurs de la modernité, qu’interrogeaient il y a peu et dans des styles très différents Castoriadis, Clouscard, Debord ou Baudrillard, ne fait plus partie de ses interrogations.

    « Dans un renversement orwellien, la critique, c’est l’idéologie. »

    D’une certaine manière, les idéologies politiques s’éloignant du cadre libéral n’ont-elles pas toujours été désignées comme “extrêmes” ?
    Cette tendance ne fera que s’accentuer dans un renversement terminologique sidérant. Est extrême ce qui, dans son mouvement propre, tend toujours à se dépasser. Dans les sports extrêmes, il s’agit toujours de “dépasser ses propres limites” (pour reprendre le slogan des équipementiers sportifs). Cet extrémisme-là, celui du refus de la finitude (croissance illimitée, etc.), Emmanuel Macron le formule dans un slogan frime, forcément en anglais : « Sky is the limit » (Le 1, 13 septembre 2016).

    Incapable de faire droit à une critique interne à son ordre, le principe de libéralité suffisante “extrémise” les contradictions qu’on peut lui adresser afin de mieux les disqualifier. Là encore, il est nécessaire, texte à l’appui, de démonter patiemment ces grossiers mécanismes d’exclusion. Après la critique, c’est l’idéologie, la finitude, c’est l’extrémisme…

    Vous écrivez que l’explication a remplacé la confrontation : n’est-ce pas en partie lié à l’évolution du rôle des médias, qui revendiquent le décryptage plutôt que la subjectivité ?
    Disons plutôt que la confrontation est toujours scénarisée. Médiatiquement, vous devez être situé, repérable. Il s’agit d’ailleurs moins d’un problème de média que de marché. Votre nom doit devenir une marque. Qui se soucie réellement de ce qu’écrivent les “intellectuels médiatiques”, qui commentent sérieusement leurs textes ? Soit vous êtes pour, soit vous êtes contre. La logique binaire est de mise. L’audimat n’a que faire des jugements fins, illisibles pour la grossièreté des poseurs d’étiquettes. Quant au soi-disant décryptage, c’est une farce destinée à faire croire au consommateur qu’il n’a pas les moyens de juger ce qu’il a sous les yeux. Un électricien venu poser un câble chez moi, voyant le livre de Macron Révolution sur mon bureau, s’est exclamé : « Ne lisez pas ça, Macron c’est complètement creux ! » À quoi sert pour lui un « décryptage de la philosophie politique d’Emmanuel Macron » si ce n’est à le faire douter de la qualité immédiate de son jugement. Pour autant, son constat ne suffit pas. C’est ici que commence un travail plus ingrat, non pas de décryptage mais d’analyse critique.

    Justement, dans votre analyse critique, vous utilisez régulièrement le terme d’« infra-politique » pour décrire notre temps – terme qui renvoie à la liberté de chacun de ”“trouver sa voie”, érigée comme principe ultime. Cette infra-politique n’est-elle pas simplement la sœur d’une société “à l’américaine”, dans laquelle des communautés cohabitent et vivent selon leurs propres désirs, sans que personne n’intervienne afin de ne pas brusquer les sensibilités ? Plus largement, l’infra-politique ne se nourrit-elle pas de la peur de contraindre ?
    Derrière la peur de la contrainte, nous retrouvons la question fondamentale de l’antagonisme des valeurs. C’est le sens de la référence que je fais à Max Weber dans le texte. Peut-on en encore parler d’activité politique sans envisager une hiérarchie des normes et des valeurs, sans juger de ce qui est médiocre, bas, stérile, imbécile, sot, sans tirer de ce jugement des décisions politiques ?

    « Nous devons accepter de renoncer au confort des rhétoriques de la liberté pour investir l’inconfort des jugements de valeurs et des conflits spirituels et politiques qu’ils suscitent. »

    Platon juge les sophistes non pas simplement parce qu’ils ont un pouvoir dans la cité mais parce qu’ils éduquent mal les hommes pour lui. Cette question de l’éducation est essentielle. Il n’est d’ailleurs pas inutile de constater à quel point la critique dite “de gauche”, sous couvert de progressisme, l’a délaissée. Il faut prendre conscience de la contradiction fondamentale qui existe entre la logique libérale et le problème des valeurs. Un libraire qui a une politique éditoriale en refusant de vendre n’importe quoi pose le problème de la qualité, de la valeur, et en paie le prix du point de vue de la logique libérale quantitative.

    La force du macronisme n’est-elle pas simplement de jouer ad nauseam sur le mythe d’une prétendue synonymie entre émancipation et liberté ?
    Nous sommes libres pour rien, voilà l’enjeu. Nous rejouons des luttes d’émancipation sous la forme de simulacres au nom des luttes passées, qui étaient bien réelles celles-ci. Nous devons accepter de renoncer au confort des rhétoriques de la liberté pour investir l’inconfort des jugements de valeurs et des conflits spirituels et politiques qu’ils suscitent. Cela suppose de renoncer aux bénéfices de conformité des discours de la liberté. Là encore, le modèle grec peut nous servir. Être probes, véraces et sublimes sont des exigences au moins aussi nobles que les produits du marché de la liberté.

    Pour finir, vous écrivez que la génération Macron, pour grimper les échelons, fait avant tout preuve de conformisme. Mais n’est-ce pas une attitude propre aux élites en général ?
    Il faut revoir ce terme. Les aristoï sont les meilleurs en Grèce antique. En quoi Christophe Castaner et ses logiciels de pacotille est-il un aristoï ? De quelle élite parle-t-on ? Lui ou un autre, le problème est le même. Le marché est incapable de produire une quelconque élite. Les plus grandes œuvres de l’esprit ont toujours été marginales, inattendues, non soumises à la pression du marché. Quelle élite voulez-vous créer lorsque l’adaptation au marché, c’est-à-dire aussi la soumission aux manies du temps, est supposée désigner les “meilleurs”. Encore un peu d’Orwell pour finir : les plus conformes seront les plus géniaux. À ce titre, Emmanuel Macron est le plus grand génie de notre temps.

    Romain Gonzalez

    Par Le Comptoir le 13 décembre 2017
    Harold Bernat s’était déjà fait remarquer en 2006 pour sa critique radicale de la “révolution libertaire” défendue par Michel Onfray et, plus largement, par la culture petite-bourgeoise triomphante – dans « Des-montages : Le poujadisme hédoniste de Michel Onfray » – puis en 2012 par sa condamnation de la flexibilité et de l’adaptabilité à tout-va dans « Vieux réac ! Faut-il s’adapter à tout ? » Nous avons choisi de l’interroger sur son dernier essai, « Le néant et la politique : Critique de l’avènement Macron », dans lequel il s’applique à déconstruire le mythe du “président-philosophe” tout en insistant sur la nécessité d’exercer notre esprit critique sur ce qui est là sous nos yeux, entre mille autres choses.

  • « Le Néant et le politique » Critique de l’avènement Macron
    Un essai d’Harold Bernat
    https://www.lechappee.org/le-neant-et-le-politique

    On ne compte déjà plus les révélations sur les coulisses de l’avènement d’Emmanuel Macron. Certains voient dans son élection une preuve de la toute-puissance des médias, d’autres, un putsch démocratique orchestré par le monde de la finance. Dans tous les cas, il faudrait s’enquérir de ce que l’on nous cache. Notre réflexion est aux antipodes de la démarche de ces enquêteurs du spectacle.
    En effet, une des raisons pour lesquelles nous peinons à exercer notre esprit critique, aujourd’hui plus qu’hier, tient à ce que nous refusons de voir ce qui est sous nos yeux. Dans un univers de simulation, les simulacres se précèdent eux-mêmes. Ils ne représentent plus rien, mais font force de loi. Notre attention se perd dans un labyrinthe de signes. Ce qu’ils montrent est à ce point irréel que nous cherchons en vain derrière eux une réalité plus consistante.
    Mais derrière, il n’y a rien. Tout est là, étalé au grand jour. Cette transparence rend les nouvelles stratégies de pouvoir d’autant plus inquiétantes. Macron se fond dans le discours qui s’adresse à lui, prend la forme du réceptacle. Il n’est pas brillant, il est plastique. Il apprend de ses erreurs, se corrige, affine en « se confrontant au réel ». Comme un logiciel, il intègre, classe et change de niveau. À côté des anciennes formes symboliques de représentation politique, cette stratégie du vide nous fait entrer dans un univers de simulation binaire, algorithmique, dont Emmanuel Macron est, en France, le premier 0. C’est à ce titre, et à ce titre seulement, qu’il mérite d’être pensé.

    • PRESSE

      " De discours officiels en commentaires médiatiques, on célèbre l’évanouissement de la politique. Sans qu’on entende beaucoup de refus critiques de cette éviction. Sans que les philosophes se bousculent pour en dénoncer les dangers et en démonter les subterfuges. C’est pourquoi il est intéressant de lire l’essai, atypique et corrosif, d’Harold Bernat. Cet agrégé de philosophie n’aime pas du tout les artifices innombrables qui s’efforcent de nous faire croire que le monde est définitivement lisse, l’histoire désormais uniforme, la pensée aussi apaisée que la société, à jamais stabilisée. Au contraire, il est convaincu que tenter de réduire ainsi à néant tout ce qui est négatif revient à tuer à la fois l’histoire, l’humain et la politique. Car cette dernière consiste en affrontements permanents sur le sens – celui de la vie collective, de l’histoire commune et de l’avenir à construire. Alors le philosophe proteste, pourfend, démonte. Sa cible affichée : Emmanuel Macron, considéré comme symptôme ultime de la néantisation des conflits. [...] Ce livre caustique irritera sans doute. Mais pas nécessairement pour les motifs les plus essentiels. Car son objet principal n’est ni la personne du président, ni les mesure qu’il propose, ni même le mouvement qu’il a fondé. C’est avant tout la défense et illustration de la nécessité vitale d’une pensée critique ."

      Roger-Pol Droit - Le Monde des Livres

      " Dans l’avalanche de bouquins consacrés à Macron, le livre d’Harold Bernat va faire tache. Le titre déjà décoiffe : Le Néant et le politique, critique de l’avènement Macron, aux éditions L’Echappée. Il ne s’agit pas de ressasser les mêmes éternelles anecdotes qui ont fait vendre et continuent de le faire la presse people et les magazines, mais de construire une critique philosophique de ce moment de l’histoire de nos sociétés dites démocratiques qui a vu accéder Macron à la Présidence de la République ."

      Patrick Rodel - Mediapart
      https://blogs.mediapart.fr/les-economistes-atterres/blog/011017/macronisme-l-uberisation-de-la-protection-sociale-et-l-etat-platefor

      " Si par hasard, vous considérez le macronisme comme une épidémie brutale qui a contaminé le pays à une vitesse supersonique, alors lisez ce livre, c’est l’antidote le plus puissant que j’ai trouvé. Harold Bernat, agrégé de philosophie, qui a déjà épinglé le monde moderne (et même Michel Onfray), démonte le système Macron, avec des outils de précision, des exemples et la parole d’autres penseurs avant lui (Baudrillard, Bourdieu, Clouscard, Castoriadis, Michea…). Ce livre de dé-construction d’un système, explique toute la méthode Macron : parfaite, illusoire, mimétique, spectaculaire…et vide !"

      Jean Rouzaud - Nova
      http://www.nova.fr/demacronisation-la-politique-mirage
      " Agrégé de philosophie, Harold Bernat livre une charge féroce et méthodique contre « le scénario Ricœur » ayant permis de construire l’image d’un présidentiable hors du commun disciple d’un grand philosophe. Parfois savant, s’appuyant notamment sur les travaux de Jean Baudrillard, Max Weber, Cornelius Castoriadis, il assume aussi sans détours ses accents pamphlétaires. Pour notre plus grande jubilation !"

      Michel Gairaud - Le Ravi

  • L’esprit du terrorisme, par Jean Baudrillard
    Des événement mondiaux, nous en avions eu, de la mort de Diana au Mondial de football - ou des événements violents et réels, de guerres en génocides. Mais d’événement symbolique d’envergure mondiale, c’est-à-dire non seulement de diffusion mondiale, mais qui mette en échec la mondialisation elle-même, aucun. Tout au long de cette stagnation des années 1990, c’était la « grève des événements » (selon le mot de l’écrivain argentin Macedonio Fernandez). Eh bien, la grève est terminée. Les événements ont cessé de faire grève. Nous avons même affaire, avec les attentats de New York et du World Trade Center, à l’événement absolu, la « mère » des événements, à l’événement pur qui concentre en lui tous les événements qui n’ont jamais eu lieu.
    Tout le jeu de l’histoire et de la puissance en est bouleversé, mais aussi les conditions de l’analyse. Il faut prendre son temps. Car tant que les événements stagnaient, il fallait anticiper et aller plus vite qu’eux. Lorsqu’ils accélèrent à ce point, il faut aller plus lentement. Sans pourtant se laisser ensevelir sous le fatras de discours et le nuage de la guerre, et tout en gardant intacte la fulgurance inoubliable des images.
    Tous les discours et les commentaires trahissent une gigantesque abréaction à l’événement même et à la fascination qu’il exerce. La condamnation morale, l’union sacrée contre le terrorisme sont à la mesure de la jubilation prodigieuse de voir détruire cette superpuissance mondiale, mieux, de la voir en quelque sorte se détruire elle-même, se suicider en beauté. Car c’est elle qui, de par son insupportable puissance, a fomenté toute cette violence infuse de par le monde, et donc cette imagination terroriste (sans le savoir) qui nous habite tous.
    Que nous ayons rêvé de cet événement, que tout le monde sans exception en ait rêvé, parce que nul ne peut ne pas rêver de la destruction de n’importe quelle puissance devenue à ce point hégémonique, cela est inacceptable pour la conscience morale occidentale, mais c’est pourtant un fait, et qui se mesure justement à la violence pathétique de tous les discours qui veulent l’effacer.
    A la limite, c’est eux qui l’ont fait, mais c’est nous qui l’avons voulu. Si l’on ne tient pas compte de cela, l’événement perd toute dimension symbolique, c’est un accident pur, un acte purement arbitraire, la fantasmagorie meurtrière de quelques fanatiques, qu’il suffirait alors de supprimer. Or nous savons bien qu’il n’en est pas ainsi. De là tout le délire contre-phobique d’exorcisme du mal : c’est qu’il est là, partout, tel un obscur objet de désir. Sans cette complicité profonde, l’événement n’aurait pas le retentissement qu’il a eu, et dans leur stratégie symbolique, les terroristes savent sans doute qu’ils peuvent compter sur cette complicité inavouable.
    Cela dépasse de loin la haine de la puissance mondiale dominante chez les déshérités et les exploités, chez ceux qui sont tombés du mauvais côté de l’ordre mondial. Ce malin désir est au coeur même de ceux qui en partagent les bénéfices. L’allergie à tout ordre définitif, à toute puissance définitive est heureusement universelle, et les deux tours du World Trade Center incarnaient parfaitement, dans leur gémellité justement, cet ordre définitif.
    Pas besoin d’une pulsion de mort ou de destruction, ni même d’effet pervers. C’est très logiquement, et inexorablement, que la montée en puissance de la puissance exacerbe la volonté de la détruire. Et elle est complice de sa propre destruction. Quand les deux tours se sont effondrées, on avait l’impression qu’elles répondaient au suicide des avions- suicides par leur propre suicide. On a dit : « Dieu même ne peut se déclarer la guerre. » Eh bien si. L’Occident, en position de Dieu (de toute-puissance divine et de légitimité morale absolue) devient suicidaire et se déclare la guerre à lui-même.
    Les innombrables films-catastrophes témoignent de ce phantasme, qu’ils conjurent évidemment par l’image en noyant tout cela sous les effets spéciaux. Mais l’attraction universelle qu’ils exercent, à l’égal de la pornographie, montre que le passage à l’acte est toujours proche - la velléité de dénégation de tout système étant d’autant plus forte qu’il se rapproche de la perfection ou de la toute-puissance.
    Il est d’ailleurs vraisemblable que les terroristes (pas plus que les experts !) n’avaient prévu l’effondrement des Twin Towers, qui fut, bien plus que le Pentagone, le choc symbolique le plus fort. L’effondrement symbolique de tout un système s’est fait par une complicité imprévisible, comme si, en s’effondrant d’elles-mêmes, en se suicidant, les tours étaient entrées dans le jeu pour parachever l’événement.
    Dans un sens, c’est le système entier qui, par sa fragilité interne, prête main-forte à l’action initiale. Plus le système se concentre mondialement, ne constituant à la limite qu’un seul réseau, plus il devient vulnérable en un seul point (déjà un seul petit hacker philippin avait réussi, du fond de son ordinateur portable, à lancer le virus I love you , qui avait fait le tour du monde en dévastant des réseaux entiers). Ici, ce sont dix-huit kamikazes qui, grâce à l’arme absolue de la mort, multipliée par l’efficience technologique, déclenchent un processus catastrophique global.
    Quand la situation est ainsi monopolisée par la puissance mondiale, quand on a affaire à cette formidable condensation de toutes les fonctions par la machinerie technocratique et la pensée unique, quelle autre voie y a-t-il qu’un transfert terroriste de situation ? C’est le système lui-même qui a créé les conditions objectives de cette rétorsion brutale. En ramassant pour lui toutes les cartes, il force l’Autre à changer les règles du jeu. Et les nouvelles règles sont féroces, parce que l’enjeu est féroce. A un système dont l’excès de puissance même pose un défi insoluble, les terroristes répondent par un acte définitif dont l’échange lui aussi est impossible. Le terrorisme est l’acte qui restitue une singularité irréductible au coeur d’un système d’échange généralisé. Toutes les singularités (les espèces, les individus, les cultures) qui ont payé de leur mort l’installation d’une circulation mondiale régie par une seule puissance se vengent aujourd’hui par ce transfert terroriste de situation.
    Terreur contre terreur - il n’y a plus d’idéologie derrière tout cela. On est désormais loin au-delà de l’idéologie et du politique. L’énergie qui alimente la terreur, aucune idéologie, aucune cause, pas même islamique, ne peut en rendre compte. Ça ne vise même plus à transformer le monde, ça vise (comme les hérésies en leur temps) à le radicaliser par le sacrifice, alors que le système vise à le réaliser par la force.
    Le terrorisme, comme les virus, est partout. Il y a une perfusion mondiale du terrorisme, qui est comme l’ombre portée de tout système de domination, prêt partout à se réveiller comme un agent double. Il n’y a plus de ligne de démarcation qui permette de le cerner, il est au coeur même de cette culture qui le combat, et la fracture visible (et la haine) qui oppose sur le plan mondial les exploités et les sous-développés au monde occidental rejoint secrètement la fracture interne au système dominant. Celui-ci peut faire front à tout antagonisme visible. Mais l’autre, de structure virale - comme si tout appareil de domination sécrétait son antidispositif, son propre ferment de disparition -, contre cette forme de réversion presque automatique de sa propre puissance, le système ne peut rien. Et le terrorisme est l’onde de choc de cette réversion silencieuse.
    Ce n’est donc pas un choc de civilisations ni de religions, et cela dépasse de loin l’islam et l’Amérique, sur lesquels on tente de focaliser le conflit pour se donner l’illusion d’un affrontement visible et d’une solution de force. Il s’agit bien d’un antagonisme fondamental, mais qui désigne, à travers le spectre de l’Amérique (qui est peut-être l’épicentre, mais pas du tout l’incarnation de la mondialisation à elle seule) et à travers le spectre de l’islam (qui lui non plus n’est pas l’incarnation du terrorisme), la mondialisation triomphante aux prises avec elle-même. Dans ce sens, on peut bien parler d’une guerre mondiale, non pas la troisième, mais la quatrième et la seule véritablement mondiale, puisqu’elle a pour enjeu la mondialisation elle-même. Les deux premières guerres mondiales répondaient à l’image classique de la guerre. La première a mis fin à la suprématie de l’Europe et de l’ère coloniale. La deuxième a mis fin au nazisme. La troisième, qui a bien eu lieu, sous forme de guerre froide et de dissuasion, a mis fin au communisme. De l’une à l’autre, on est allé chaque fois plus loin vers un ordre mondial unique. Aujourd’hui celui-ci, virtuellement parvenu à son terme, se trouve aux prises avec les forces antagonistes partout diffuses au coeur même du mondial, dans toutes les convulsions actuelles. Guerre fractale de toutes les cellules, de toutes les singularités qui se révoltent sous forme d’anticorps. Affrontement tellement insaisissable qu’il faut de temps en temps sauver l’idée de la guerre par des mises en scène spectaculaires, telles que celles du Golfe ou aujourd’hui celle d’Afghanistan. Mais la quatrième guerre mondiale est ailleurs. Elle est ce qui hante tout ordre mondial, toute domination hégémonique - si l’islam dominait le monde, le terrorisme se lèverait contre l’Islam. Car c’est le monde lui- même qui résiste à la mondialisation.
    Le terrorisme est immoral. L’événement du World Trade Center, ce défi symbolique, est immoral, et il répond à une mondialisation qui est elle-même immorale. Alors soyons nous- même immoral et, si on veut y comprendre quelque chose, allons voir un peu au-delà du Bien et du Mal. Pour une fois qu’on a un événement qui défie non seulement la morale mais toute forme d’interprétation, essayons d’avoir l’intelligence du Mal. Le point crucial est là justement : dans le contresens total de la philosophie occidentale, celle des Lumières, quant au rapport du Bien et du Mal. Nous croyons naïvement que le progrès du Bien, sa montée en puissance dans tous les domaines (sciences, techniques, démocratie, droits de l’homme) correspond à une défaite du Mal. Personne ne semble avoir compris que le Bien et le Mal montent en puissance en même temps, et selon le même mouvement. Le triomphe de l’un n’entraîne pas l’effacement de l’autre, bien au contraire. On considère le Mal, métaphysiquement, comme une bavure accidentelle, mais cet axiome, d’où découlent toutes les formes manichéennes de lutte du Bien contre le Mal, est illusoire. Le Bien ne réduit pas le Mal, ni l’inverse d’ailleurs : ils sont à la fois irréductibles l’un à l’autre et leur relation est inextricable. Au fond, le Bien ne pourrait faire échec au Mal qu’en renonçant à être le Bien, puisque, en s’appropriant le monopole mondial de la puissance, il entraîne par là même un retour de flamme d’une violence proportionnelle.
    Dans l’univers traditionnel, il y avait encore une balance du Bien et du Mal, selon une relation dialectique qui assurait vaille que vaille la tension et l’équilibre de l’univers moral - un peu comme dans la guerre froide le face-à-face des deux puissances assurait l’équilibre de la terreur. Donc pas de suprématie de l’un sur l’autre. Cette balance est rompue à partir du moment où il y a extrapolation totale du Bien (hégémonie du positif sur n’importe quelle forme de négativité, exclusion de la mort, de toute force adverse en puissance - triomphe des valeurs du Bien sur toute la ligne). A partir de là, l’équilibre est rompu, et c’est comme si le Mal reprenait alors une autonomie invisible, se développant désormais d’une façon exponentielle.
    Toutes proportions gardées, c’est un peu ce qui s’est produit dans l’ordre politique avec l’effacement du communisme et le triomphe mondial de la puissance libérale : c’est alors que surgit un ennemi fantomatique, perfusant sur toute la planète, filtrant de partout comme un virus, surgissant de tous les interstices de la puissance. L’islam. Mais l’islam n’est que le front mouvant de cristallisation de cet antagonisme. Cet antagonisme est partout, et il est en chacun de nous. Donc, terreur contre terreur. Mais terreur asymétrique. Et c’est cette asymétrie qui laisse la toute-puissance mondiale complètement désarmée. Aux prises avec elle-même, elle ne peut que s’enfoncer dans sa propre logique de rapports de forces, sans pouvoir jouer sur le terrain du défi symbolique et de la mort, dont elle n’a plus aucune idée puisqu’elle l’a rayé de sa propre culture.
    Jusqu’ici, cette puissance intégrante a largement réussi à absorber et à résorber toute crise, toute négativité, créant par là même une situation foncièrement désespérante (non seulement pour les damnés de la terre, mais pour les nantis et les privilégiés aussi, dans leur confort radical). L’événement fondamental, c’est que les terroristes ont cessé de se suicider en pure perte, c’est qu’ils mettent en jeu leur propre mort de façon offensive et efficace, selon une intuition stratégique qui est tout simplement celle de l’immense fragilité de l’adversaire, celle d’un système arrivé à sa quasi perfection, et du coup vulnérable à la moindre étincelle. Ils ont réussi à faire de leur propre mort une arme absolue contre un système qui vit de l’exclusion de la mort, dont l’idéal est celui du zéro mort. Tout système à zéro mort est un système à somme nulle. Et tous les moyens de dissuasion et de destruction ne peuvent rien contre un ennemi qui a déjà fait de sa mort une arme contre-offensive. « Qu’importe les bombardements américains ! Nos hommes ont autant envie de mourir que les Américains de vivre ! » D’où l’inéquivalence des 7 000 morts infligés d’un seul coup à un système zéro mort.
    Ainsi donc, ici, tout se joue sur la mort, non seulement par l’irruption brutale de la mort en direct, en temps réel mais par l’irruption d’une mort bien plus que réelle : symbolique et sacrificielle - c’est-à-dire l’événement absolu et sans appel.
    Tel est l’esprit du terrorisme.
    Ne jamais attaquer le système en termes de rapports de forces. Ça, c’est l’imaginaire (révolutionnaire) qu’impose le système lui-même, qui ne survit que d’amener sans cesse ceux qui l’attaquent à se battre sur le terrain de la réalité, qui est pour toujours le sien. Mais déplacer la lutte dans la sphère symbolique, où la règle est celle du défi, de la réversion, de la surenchère. Telle qu’à la mort il ne puisse être répondu que par une mort égale ou supérieure. Défier le système par un don auquel il ne peut pas répondre sinon par sa propre mort et son propre effondrement.
    L’hypothèse terroriste, c’est que le système lui-même se suicide en réponse aux défis multiples de la mort et du suicide. Car ni le système ni le pouvoir n’échappent eux-mêmes à l’obligation symbolique - et c’est sur ce piège que repose la seule chance de leur catastrophe. Dans ce cycle vertigineux de l’échange impossible de la mort, celle du terroriste est un point infinitésimal, mais qui provoque une aspiration, un vide, une convection gigantesques. Autour de ce point infime, tout le système, celui du réel et de la puissance, se densifie, se tétanise, se ramasse sur lui-même et s’abîme dans sa propre surefficacité.
    La tactique du modèle terroriste est de provoquer un excès de réalité et de faire s’effondrer le système sous cet excès de réalité. Toute la dérision de la situation en même temps que la violence mobilisée du pouvoir se retournent contre lui, car les actes terroristes sont à la fois le miroir exorbitant de sa propre violence et le modèle d’une violence symbolique qui lui est interdite, de la seule violence qu’il ne puisse exercer : celle de sa propre mort.
    C’est pourquoi toute la puissance visible ne peut rien contre la mort infime, mais symbolique, de quelques individus.
    Il faut se rendre à l’évidence qu’est né un terrorisme nouveau, une forme d’action nouvelle qui joue le jeu et s’approprie les règles du jeu pour mieux le perturber. Non seulement ces gens-là ne luttent pas à armes égales, puisqu’ils mettent en jeu leur propre mort, à laquelle il n’y a pas de réponse possible ( « ce sont des lâches » ), mais ils se sont approprié toutes les armes de la puissance dominante. L’argent et la spéculation boursière, les technologies informatiques et aéronautiques, la dimension spectaculaire et les réseaux médiatiques : ils ont tout assimilé de la modernité et de la mondialité, sans changer de cap, qui est de la détruire.
    Comble de ruse, ils ont même utilisé la banalité de la vie quotidienne américaine comme masque et double jeu. Dormant dans leurs banlieues, lisant et étudiant en famille, avant de se réveiller d’un jour à l’autre comme des bombes à retardement. La maîtrise sans faille de cette clandestinité est presque aussi terroriste que l’acte spectaculaire du 11 septembre. Car elle jette la suspicion sur n’importe quel individu : n’importe quel être inoffensif n’est-il pas un terroriste en puissance ? Si ceux-là ont pu passer inaperçus, alors chacun de nous est un criminel inaperçu (chaque avion devient lui aussi suspect), et au fond c’est peut-être vrai. Cela correspond peut-être bien à une forme inconsciente de criminalité potentielle, masquée, et soigneusement refoulée, mais toujours susceptible, sinon de resurgir, du moins de vibrer secrètement au spectacle du Mal. Ainsi l’événement se ramifie jusque dans le détail - source d’un terrorisme mental plus subtil encore.
    La différence radicale, c’est que les terroristes, tout en disposant des armes qui sont celles du système, disposent en plus d’une arme fatale : leur propre mort. S’ils se contentaient de combattre le système avec ses propres armes, ils seraient immédiatement éliminés. S’ils ne lui opposaient que leur propre mort, ils disparaîtraient tout aussi vite dans un sacrifice inutile - ce que le terrorisme a presque toujours fait jusqu’ici (ainsi les attentats-suicides palestiniens) et pour quoi il était voué à l’échec.
    Tout change dès lors qu’ils conjuguent tous les moyens modernes disponibles avec cette arme hautement symbolique. Celle-ci multiplie à l’infini le potentiel destructeur. C’est cette multiplication des facteurs (qui nous semblent à nous inconciliables) qui leur donne une telle supériorité. La stratégie du zéro mort, par contre, celle de la guerre « propre », technologique, passe précisément à côté de cette transfiguration de la puissance « réelle » par la puissance symbolique.
    La réussite prodigieuse d’un tel attentat fait problème, et pour y comprendre quelque chose il faut s’arracher à notre optique occidentale pour voir ce qui se passe dans leur organisation et dans la tête des terroristes. Une telle efficacité supposerait chez nous un maximum de calcul, de rationalité, que nous avons du mal à imaginer chez les autres. Et même dans ce cas, il y aurait toujours eu, comme dans n’importe quelle organisation rationnelle ou service secret, des fuites et des bavures.
    Donc le secret d’une telle réussite est ailleurs. La différence est qu’il ne s’agit pas, chez eux, d’un contrat de travail, mais d’un pacte et d’une obligation sacrificielle. Une telle obligation est à l’abri de toute défection et de toute corruption. Le miracle est de s’être adapté au réseau mondial, au protocole technique, sans rien perdre de cette complicité à la vie et à la mort. A l’inverse du contrat, le pacte ne lie pas des individus - même leur « suicide » n’est pas de l’héroïsme individuel, c’est un acte sacrificiel collectif scellé par une exigence idéale. Et c’est la conjugaison de deux dispositifs, celui d’une structure opérationnelle et d’un pacte symbolique, qui a rendu possible un acte d’une telle démesure.
    Nous n’avons plus aucune idée de ce qu’est un calcul symbolique, comme dans le poker ou le potlatch : enjeu minimal, résultat maximal. Exactement ce qu’ont obtenu les terroristes dans l’attentat de Manhattan, qui illustrerait assez bien la théorie du chaos : un choc initial provoquant des conséquences incalculables, alors que le déploiement gigantesque des Américains (" Tempête du désert « ) n’obtient que des effets dérisoires - l’ouragan finissant pour ainsi dire dans un battement d’ailes de papillon.
    Le terrorisme suicidaire était un terrorisme de pauvres, celui-ci est un terrorisme de riches. Et c’est cela qui nous fait particulièrement peur : c’est qu’ils sont devenus riches (ils en ont tous les moyens) sans cesser de vouloir nous perdre. Certes, selon notre système de valeurs, ils trichent : ce n’est pas de jeu de mettre en jeu sa propre mort. Mais ils n’en ont cure, et les nouvelles règles du jeu ne nous appartiennent plus.
    Tout est bon pour déconsidérer leurs actes. Ainsi les traiter de » suicidaires « et de » martyrs « . Pour ajouter aussitôt que le martyre ne prouve rien, qu’il n’a rien à voir avec la vérité, qu’il est même (en citant Nietzsche) l’ennemi numéro un de la vérité. Certes, leur mort ne prouve rien, mais il n’y a rien à prouver dans un système où la vérité elle-même est insaisissable - ou bien est-ce nous qui prétendons la détenir ? D’autre part, cet argument hautement moral se renverse. Si le martyre volontaire des kamikazes ne prouve rien, alors le martyre involontaire des victimes de l’attentat ne prouve rien non plus, et il y a quelque chose d’inconvenant et d’obscène à en faire un argument moral (cela ne préjuge en rien leur souffrance et leur mort).
    Autre argument de mauvaise foi : ces terroristes échangent leur mort contre une place au paradis. Leur acte n’est pas gratuit, donc il n’est pas authentique. Il ne serait gratuit que s’ils ne croyaient pas en Dieu, que si la mort était sans espoir, comme elle l’est pour nous (pourtant les martyrs chrétiens n’escomptaient rien d’autre que cette équivalence sublime). Donc, là encore, ils ne luttent pas à armes égales, puisqu’ils ont droit au salut, dont nous ne pouvons même plus entretenir l’espoir. Ainsi faisons-nous le deuil de notre mort, alors qu’eux peuvent en faire un enjeu de très haute définition.
    Au fond, tout cela, la cause, la preuve, la vérité, la récompense, la fin et les moyens, c’est une forme de calcul typiquement occidental. Même la mort, nous l’évaluons en taux d’intérêt, en termes de rapport qualité/prix. Calcul économique qui est un calcul de pauvres et qui n’ont même plus le courage d’y mettre le prix.
    Que peut-il se passer - hors la guerre, qui n’est elle-même qu’un écran de protection conventionnel ? On parle de bioterrorisme, de guerre bactériologique, ou de terrorisme nucléaire. Mais rien de tout cela n’est de l’ordre du défi symbolique, mais bien de l’anéantissement sans phrase, sans gloire, sans risque, de l’ordre de la solution finale.
    Or c’est un contresens de voir dans l’action terroriste une logique purement destructrice. Il me semble que leur propre mort est inséparable de leur action (c’est justement ce qui en fait un acte symbolique), et non pas du tout l’élimination impersonnelle de l’autre. Tout est dans le défi et dans le duel, c’est-à-dire encore dans une relation duelle, personnelle, avec la puissance adverse. C’est elle qui vous a humiliés, c’est elle qui doit être humiliée. Et non pas simplement exterminée. Il faut lui faire perdre la face. Et cela on ne l’obtient jamais par la force pure et par la suppression de l’autre. Celui-ci doit être visé et meurtri en pleine adversité. En dehors du pacte qui lie les terroristes entre eux, il y a quelque chose d’un pacte duel avec l’adversaire. C’est donc exactement le contraire de la lâcheté dont on les accuse, et c’est exactement le contraire de ce que font par exemple les Américains dans la guerre du Golfe (et qu’ils sont en train de reprendre en Afghanistan) : cible invisible, liquidation opérationnelle.
    De toutes ces péripéties nous gardons par-dessus tout la vision des images. Et nous devons garder cette prégnance des images, et leur fascination, car elles sont, qu’on le veuille ou non, notre scène primitive. Et les événements de New York auront, en même temps qu’ils ont radicalisé la situation mondiale, radicalisé le rapport de l’image à la réalité. Alors qu’on avait affaire à une profusion ininterrompue d’images banales et à un flot ininterrompu d’événements bidon, l’acte terroriste de New York ressuscite à la fois l’image et l’événement.
    Entre autres armes du système qu’ils ont retournées contre lui, les terroristes ont exploité le temps réel des images, leur diffusion mondiale instantanée. Ils se la sont appropriée au même titre que la spéculation boursière, l’information électronique ou la circulation aérienne. Le rôle de l’image est hautement ambigu. Car en même temps qu’elle exalte l’événement, elle le prend en otage. Elle joue comme multiplication à l’infini, et en même temps comme diversion et neutralisation (ce fut déjà ainsi pour les événements de 1968). Ce qu’on oublie toujours quand on parle du » danger « des médias. L’image consomme l’événement, au sens où elle l’absorbe et le donne à consommer. Certes elle lui donne un impact inédit jusqu’ici, mais en tant qu’événement-image.
    Qu’en est-il alors de l’événement réel, si partout l’image, la fiction, le virtuel perfusent dans la réalité ? Dans le cas présent, on a cru voir (avec un certain soulagement peut-être) une résurgence du réel et de la violence du réel dans un univers prétendument virtuel. » Finies toutes vos histoires de virtuel - ça, c’est du réel ! « De même, on a pu y voir une résurrection de l’histoire au-delà de sa fin annoncée. Mais la réalité dépasse-t-elle vraiment la fiction ? Si elle semble le faire, c’est qu’elle en a absorbé l’énergie, et qu’elle est elle-même devenue fiction. On pourrait presque dire que la réalité est jalouse de la fiction, que le réel est jaloux de l’image... C’est une sorte de duel entre eux, à qui sera le plus inimaginable.
    L’effondrement des tours du Wold Trade Center est inimaginable, mais cela ne suffit pas à en faire un événement réel. Un surcroît de violence ne suffit pas à ouvrir sur la réalité. Car la réalité est un principe, et c’est ce principe qui est perdu. Réel et fiction sont inextricables, et la fascination de l’attentat est d’abord celle de l’image (les conséquences à la fois jubilatoires et catastrophiques en sont elles-mêmes largement imaginaires).
    Dans ce cas donc, le réel s’ajoute à l’image comme une prime de terreur, comme un frisson en plus. Non seulement c’est terrifiant, mais en plus c’est réel. Plutôt que la violence du réel soit là d’abord, et que s’y ajoute le frisson de l’image, l’image est là d’abord, et il s’y ajoute le frisson du réel. Quelque chose comme une fiction de plus, une fiction dépassant la fiction. Ballard (après Borges) parlait ainsi de réinventer le réel comme l’ultime, et la plus redoutable fiction.
    Cette violence terroriste n’est donc pas un retour de flamme de la réalité, pas plus que celui de l’histoire. Cette violence terroriste n’est pas » réelle « . Elle est pire, dans un sens : elle est symbolique. La violence en soi peut être parfaitement banale et inoffensive. Seule la violence symbolique est génératrice de singularité. Et dans cet événement singulier, dans ce film catastrophe de Manhattan se conjuguent au plus haut point les deux éléments de fascination de masse du XXe siècle : la magie blanche du cinéma, et la magie noire du terrorisme. La lumière blanche de l’image, et la lumière noire du terrorisme.
    On cherche après coup à lui imposer n’importe quel sens, à lui trouver n’importe quelle interprétation. Mais il n’y en a pas, et c’est la radicalité du spectacle, la brutalité du spectacle qui seule est originale et irréductible. Le spectacle du terrorisme impose le terrorisme du spectacle. Et contre cette fascination immorale (même si elle déclenche une réaction morale universelle) l’ordre politique ne peut rien. C’est notre théâtre de la cruauté à nous, le seul qui nous reste - extraordinaire en ceci qu’il réunit le plus haut point du spectaculaire et le plus haut point du défi. C’est en même temps le micro-modèle fulgurant d’un noyau de violence réelle avec chambre d’écho maximale - donc la forme la plus pure du spectaculaire - et un modèle sacrificiel qui oppose à l’ordre historique et politique la forme symbolique la plus pure du défi.
    N’importe quelle tuerie leur serait pardonnée, si elle avait un sens, si elle pouvait s’interpréter comme violence historique - tel est l’axiome moral de la bonne violence. N’importe quelle violence leur serait pardonnée, si elle n’était pas relayée par les médias ( » Le terrorisme ne serait rien sans les médias « ). Mais tout ceci est illusoire. Il n’y a pas de bon usage des médias, les médias font partie de l’événement, ils font partie de la terreur, et ils jouent dans l’un ou l’autre sens.
    L’acte répressif parcourt la même spirale imprévisible que l’acte terroriste, nul ne sait où il va s’arrêter, et les retournements qui vont s’ensuivre. Pas de distinction possible, au niveau des images et de l’information, entre le spectaculaire et le symbolique, pas de distinction possible entre le » crime " et la répression. Et c’est ce déchaînement incontrôlable de la réversibilité qui est la véritable victoire du terrorisme. Victoire visible dans les ramifications et infiltrations souterraines de l’événement - non seulement dans la récession directe, économique, politique, boursière et financière, de l’ensemble du système, et dans la récession morale et psychologique qui en résulte, mais dans la récession du système de valeurs, de toute l’idéologie de liberté, de libre circulation, etc., qui faisait la fierté du monde occidental, et dont il se prévaut pour exercer son emprise sur le reste du monde.
    Au point que l’idée de liberté, idée neuve et récente, est déjà en train de s’effacer des moeurs et des consciences, et que la mondialisation libérale est en train de se réaliser sous la forme exactement inverse : celle d’une mondialisation policière, d’un contrôle total, d’une terreur sécuritaire. La dérégulation finit dans un maximum de contraintes et de restrictions équivalant à celle d’une société fondamentaliste.
    Fléchissement de la production, de la consommation, de la spéculation, de la croissance (mais certainement pas de la corruption !) : tout se passe comme si le système mondial opérait un repli stratégique, une révision déchirante de ses valeurs - en réaction défensive semble-t-il à l’impact du terrorisme, mais répondant au fond à ses injonctions secrètes - régulation forcée issue du désordre absolu, mais qu’il s’impose à lui-même, intériorisant en quelque sorte sa propre défaite.
    Un autre aspect de la victoire des terroristes, c’est que toutes les autres formes de violence et de déstabilisation de l’ordre jouent en sa faveur : terrorisme informatique, terrorisme biologique, terrorisme de l’anthrax et de la rumeur, tout est imputé à Ben Laden. Il pourrait même revendiquer à son actif les catastrophes naturelles. Toutes les formes de désorganisation et de circulation perverse lui profitent. La structure même de l’échange mondial généralisé joue en faveur de l’échange impossible. C’est comme une écriture automatique du terrorisme, réalimentée par le terrorisme involontaire de l’information. Avec toutes les conséquences paniques qui en résultent : si, dans toute cette histoire d’anthrax, l’intoxication joue d’elle-même par cristallisation instantanée, comme une solution chimique au simple contact d’une molécule, c’est que tout le système a atteint une masse critique qui le rend vulnérable à n’importe quelle agression.
    Il n’y a pas de solution à cette situation extrême, surtout pas la guerre, qui n’offre qu’une situation de déjà-vu, avec le même déluge de forces militaires, d’information fantôme, de matraquages inutiles, de discours fourbes et pathétiques, de déploiement technologique et d’intoxication. Bref, comme la guerre du Golfe, un non-événement, un événement qui n’a pas vraiment lieu.
    C’est d’ailleurs là sa raison d’être : substituer à un véritable et formidable événement, unique et imprévisible, un pseudo-événement répétitif et déjà vu. L’attentat terroriste correspondait à une précession de l’événement sur tous les modèles d’interprétation, alors que cette guerre bêtement militaire et technologique correspond à l’inverse à une précession du modèle sur l’événement, donc à un enjeu factice et à un non-lieu. La guerre comme prolongement de l’absence de politique par d’autres moyens.
    Jean Baudrillard

    En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2007/03/06/l-esprit-du-terrorisme-par-jean-baudrillard_879920_3382.html#XWW4BmafQ5V57YV

  • #AltWoke Manifesto - &&& Journal
    http://tripleampersand.org/alt-woke-manifesto

    1. Theoria

    #AltWoke is a new awakening for the post-modern Left to navigate the protean digital era. #Altwoke can be categorized as the new New Left. Or Second Wave Neo Marxism. The Post- Truth Left. Anti-liberal postcapitalist left. #AltWoke is antithetical to Silicone Valley techno-neoliberalism. #AltWoke is not the cult of Kurzweil. #AltWoke is not merely analogous to the Alt-Right. #AltWoke injects planning back into left-wing politics. #AltWoke supports universal basic income, biotechnology & radical energy reforms to combat climate change, open borders, new forms of urban planning & the liquidation of Western hegemony. AltWoke sees opportunity in disaster. #AltWoke is the Left taking futurism away from fascism. David Harvey is #altwoke. Situationist International is #altwoke. Jean Baudrillard is #altwoke. Roberto Mangabeira Unger is #altwoke. Eric Snowden is #altwoke. Daniel Keller is #altwoke. Chelsea Manning is #altwoke. William Gibson is #altwoke. Holly Herndon is #altwoke. Franz Fanon is #altwoke. Alvin Toffler is #altwoke.

  • Comment l’occident zombie survit à sa mort
    http://www.dedefensa.org/article/comment-loccident-zombie-survit-a-sa-mort

    Comment l’occident zombie survit à sa mort

    « Pour être tué, il faut vivre. »

    Vladimir Poutine et la Russie dominent, mais l’occident se maintient avec sa dette, son hypocrisie, ses casseroles coloniales. Dix techno-lords US sont plus riches que tous les africains. Bruxelles agonise en nous volant argent et liberté.

    Jean Baudrillard parla d’hystérésis (1) pour décrire ce monde. Il évoquait même je crois cette barbe qui continue de pousser au poil de menton du cadavre.

    Qu’est-ce qui n’est pas mort en Occident ? Qu’est-ce qui ne relève pas encore du phénomène zombi ? Les économies hallucinées (James Kunstler), les cent mille milliards de dettes qui ne terrorisent que les naïfs (on ira tous à un million de milliards de $, imprimez !), les nations abolies, fusionnées, les peuples remplacés ou stérilisés, (...)

  • Post-truth #architecture | Thinkpiece | Architectural Review
    https://www.architectural-review.com/rethink/post-truth-architecture/10015758.article

    Buildings may be constructed on the building site, but architecture is constructed in the discourse

    It’s official: ‘post-truth’ is the word of 2016. Oxford Dictionaries, which decides the annual accolade, defines it as ‘denoting circumstances in which objective facts are less influential in shaping public opinion than appeals to emotion and personal belief’. It adds that the term was first used in 1992 of the Iran-Contra scandal, however it is only in the context of this year’s Brexit and Trump campaigns that it has become common parlance.

    It could be argued that the media themselves are responsible for the rise of post-truth with their portrayal of fabricated, unachievable images and worlds. In 1991, Jean Baudrillard famously claimed that the Gulf War did not take place – that its media representation supplanted the horrors of the reality on the ground. And since then, increasing computer power has allowed three things to happen: first, images can be created that look not only convincingly real, but in the words of Bono, ‘even better than the real thing’ (take, for example, the incredible images of Filip Dujardin); second, near-instant manipulation and communication of those images is possible, as with the faked fireworks broadcast live during the 2008 Beijing Olympics – Instagram has replaced Archigram; third, our constant connection to screens means that we tend to actually prefer inhabiting representations of the world. What place does criticism have in an era populated by post-humans with Social Media Behaviour Disorders? Perhaps we need a new type of criticism to fit our current situation. Reliable, trustworthy, honest critique is more vital than ever, and islands – maybe even archipelagos – of authority can still be found upon which to establish a reasoned debate that is accountable and challengeable.

  • Le #digital_labor : une question de société
    http://www.inaglobal.fr/numerique/article/le-digital-labor-une-question-de-societe-8763

    Pourquoi la notion de digital labor liée au numérique suscite-t-elle autant d’intérêt en France, après d’autres pays ? Antonio A. Casilli embrasse la complexité de ce phénomène qui fait écho aux inquiétudes liées aux transformations du monde du travail.

    Comment expliquer le succès, à son échelle, de l’ouvrage auquel vous avez collaboré sur le digital labor (Qu’est ce que le digital labor, INA éditions, 2015) ?

    @antoniocasilli : Le digital labor est un sujet sur lequel, dans le domaine des sciences sociales, on mène des études depuis des années, notamment aux États-Unis. L’intérêt qui se développe actuellement en France fait écho aux interrogations qui se portent sur le numérique, et surtout aux inquiétudes face aux transformations du monde du travail. Il s’agit donc d’un questionnement relatif au futur de l’emploi plutôt qu’un questionnement sur la société et Internet. On a beaucoup dit qu’après avoir exploré pendant des années toutes les possibilités associées à Internet, les chercheurs exprimeraient aujourd’hui une sorte de désenchantement, qu’ils développeraient une vision plus pessimiste, concentrée sur les effets de domination, d’exploitation, etc. En plus, certains semblent vouloir m’associer à cette mouvance. Mais c’est faire peu de cas du fait que je ne suis pas du tout d’accord avec cette vision. D’abord, je n’ai de cesse de souligner la puissance de libération et de création de diversités inscrites dans les usages d’Internet. Ensuite, s’il y a une attitude critique, je pense qu’elle a toujours été consubstantielle des études sur les technologies.

    On n’a pas dû attendre Evgeny Morozov ou Andrew Keen pour qu’une école de pensée, très française par ailleurs, développe un refus a priori et total des technologies de l’information et de la communication. Des voix reconnues comme celle de Paul Virilio, de Jean Baudrillard, de Michel Serres à une certaine époque, avant qu’il ne se réinvente... Ces intellectuels réfléchissaient sur les technologies, mais pour les condamner sans appel. Ce n’était pas mon point de vue ni celui de la majorité des gens qui ont étudié ces sujets. Au contraire, les acteurs de la recherche qui restent attentifs aux réalités des terrains d’Internet, aux utilisateurs, aux usages, se partageaient entre deux tendances : ceux qui mettent l’accent exclusivement sur les possibilités de participation, de capacitation des publics, et ceux qui, tout en admettant le potentiel positif, demeurent extrêmement vigilants sur l’emprise industrielle, commerciale, politique, de ces technologies. Ces deux points de vue coexistent depuis les années 1990.

    L’intérêt pour le digital labor n’est pas l’effet d’une bouffée paranoïaque soudaine à l’encontre du numérique.

  • Le politique et la simulation, par Jean Baudrillard (juin 1978)
    http://www.monde-diplomatique.fr/1978/06/BAUDRILLARD/34748

    Le seul référent qui fonctionne encore c’est celui de la majorité silencieuse. Tous les systèmes actuels fonctionnent sur cette entité nébuleuse, sur cette substance flottante dont l’existence n’est plus sociale, mais statistique, et dont le seul mode d’apparition est celui du sondage. Simulacre à l’horizon du social, ou plutôt : derrière lequel déjà le social a disparu.

    Que la majorité silencieuse, ou les masses, soient un référent imaginaire ne veut pas dire qu’elles n’existent pas, mais qu_’il n’en est plus de représentation possible_. Les masses, contrairement au peuple ne sont plus un référent parce qu’elles ne sont plus de l’ordre de la représentation. Elles ne s’expriment pas, on les sonde. Elles ne réfléchissent pas, on les teste. Le référendum (et les médias sont un référendum perpétuel de questions-réponses dirigées) s’est substitué au référent politique. Or, sondages, tests, référendum, médias sont des dispositifs qui ne relèvent plus d’une dimension représentative, mais simulative. Ils ne visent plus un référent, mais un modèle. La révolution ici est totale, avec les dispositifs de la socialité classique (dont font partie l’élection, les institutions, les instances de représentation, et même de répression) où du sens social passe encore d’un pôle à l’autre, dans une structure dialectique qui laisse place à un enjeu politique et aux contradictions.

    Tout change dans le dispositif de simulation. Dans le couple sondages/majorité silencieuse, par exemple, il n’y a plus de pôles ni de courant alternatif, plus de termes différentiels donc plus d’électricité du social non plus. Les pôles se sont comme confondus ou évanouis dans une circularité signalétique, informatique (exactement comme il en est du commandement moléculaire de la substance qu’il informe dans l’A.D.N et le code génétique). Bombardées de stimuli, de messages et de tests, les masses ne sont plus qu’un gisement opaque, aveugle, comme ces amas de gaz stellaires qu’on ne connaît qu’à travers l’analyse de leur spectre lumineux — spectre de radiations équivalant aux statistiques et aux sondages — mais justement : il ne peut plus s’agir d’expression ou de représentation, tout juste de simulation d’un social à jamais inexprimable et inexprimé. Tel est le sens de la majorité silencieuse.

    Toute majorité ne l’a pas toujours été mais, aujourd’hui, elle l’est par définition. Peut-être a-t-elle été réduite au silence mais ce n’est pas sûr. Car ce silence s’il veut bien dire qu’elle ne parle pas, signifie surtout qu’il n’est plus possible de parler en son nom : nul ne peut-être dit représenter la majorité silencieuse ou les masses, et c’est là leur revanche. Elles ne sont plus une instance à laquelle on puisse se référer comme jadis à la classe ou au peuple. Retirée dans son silence, la masse n’est plus sujet (surtout pas de l’histoire), elle ne peut donc plus être parlée, articulée représentée, ni passer par le stade du miroir politique et le cycle des identifications imaginaires. On voit quelle puissance il en résulte, car, n’étant pas sujet, la masse ne peut même plus être aliéné : ni dans son propre langage (elle n’en a pas), ni dans aucun autre qui prétendrait parler pour elle.

    Tel est le sens paradoxal de ce silence : il peut apparaître comme la forme absolue de l’aliénation, mais il est aussi une arme absolue. La masse est inaccessible aux schémas de libération, de révolution et d’historicité, mais c’est son mode de défense propre, son mode de rétorsion à elle. Elle est modèle de simulation, alibi à l’usage d’une classe politique fantôme et qui ne sait déjà plus quelle sorte de pouvoir « politique » elle exerce sur elle, et en même temps la mort, la fin de ce processus politique qui est censé la régir. En elle s’affirme le politique comme volonté et représentation.

  • « Homo faber », par Andrea Bardin
    http://www.monde-diplomatique.fr/2014/12/BARDIN/51044

    La redécouverte de la philosophie de Gilbert Simondon (1924-1989) a souvent été dictée par les intérêts hétérogènes d’illustres lecteurs. Herbert Marcuse, Gilles Deleuze, Jean Baudrillard, Etienne Balibar, Bernard Stiegler ont non seulement adopté certains de ses mots d’ordre, mais ouvert à leur tour des horizons de recherche dans le champ même de sa pensée… On pourrait affirmer que les phases de sa relecture ne font que reproduire la stratification de sa réflexion, déjà évidente en 1958 dans ses œuvres majeures : sa thèse de doctorat principale, sous la direction de Georges Canguilhem, L’Individuation à la lumière des notions de forme et d’information, et la thèse complémentaire, Du mode d’existence des objets techniques.

  • Technique et féminité
    http://www.larevuedesressources.org/technique-et-feminite,2734.html

    Dire de la #Femme qu’elle est l’impensé par excellence, ce n’est sans doute rien faire d’autre que de se reconnaître impuissant à penser la féminité autrement que comme le produit d’une évolution des rapports humains déterminée irréversiblement par la domination masculine – c’est considérer implicitement comme indépassable l’horizon idéologique ouvert par l’universalisation du point de vue indo-européen qui tend à assimiler le genre humain au genre masculin et dont la langue française, langue de l’universel par (...)

    #Interventions

    / #Jean_Baudrillard, #Critique_de_la_technique, #Jacques_Ellul, Femme

  • Dialogues : Le xerox et l’infini, Baudrillard
    http://www.infopeace.org/vy2k/baudrillard.cfm

    Ce qui distinguera toujours le fonctionnement de l’homme et celui des machines, même les plus intelligentes, c’est l’ivresse de fonctionner, le plaisir. Inventer des machines qui aient du plaisir, voilà qui est heureusement encore au delà des pouvoirs de l’homme. Toutes sortes de prothèses peuvent aider à son plaisir, mais il ne peut en inventer qui jouiraient à sa place. Alors qu’il en invente qui travaillent, « pensent » ou se déplacent mieux que lui ou à sa place, il n’y a pas de prothèse, technique ou médiatique, du plaisir de l’homme, du plaisir d’être homme. Il faudrait pour celà que les machines aient une idée de l’homme, qu’elles puissent inventer l’homme, mais pour elles il est déjà trop tard, c’est lui qui les a inventées. C’est pourquoi l’homme peut excéder ce qu’il est, alors que les machines n’excéderont jamais ce qu’elles sont. Les plus intelligentes ne sont exactement que ce qu’elles sont, sauf peut-être dans l’accident et la défaillance, qu’on peut toujours leur imputer comme un désir obscur. Elles n’ont pas ce surcroit ironique de fonctionnement, cet excès de fonctionnement en quoi consistent le plaisir ou la souffrance, par où les hommes s’éloignent de leur définition et se rapprochent de leur fin. Hélas pour elle, jamais une machine n’exède sa propre opération, ce qui peut-être explique la mélancolie profonde des computers... toutes les machines sont célibataires.

    par Jean Baudrillard, 1987

    #machine #plaisir #machines_célibataires

  • La Mort de l’imagination
    http://www.nonfiction.fr/article-7168-dossier___la_mort_de_limagination.htm

    Le philosophe Jean Baudrillard n’est pas très optimiste sur notre capacité à imaginer, aujourd’hui. Selon lui, la faute en incombe à une réalité envahie par un monde virtuel, hyperréel : « Ainsi avons-nous investi la réalité de tout notre imaginaire, mais c’est cet imaginaire qui est en train de s’évanouir, car nous n’avons plus l’énergie d’y croire. [...] C’est le trop de réalité qui fait qu’on y croit plus. Saturation du monde, saturation technique de la vie, excès de possibilités, d’actualisations des besoins et des désirs. Comment y croire, dès lors que la production de réalité est devenue automatique ? Le réel est asphyxié par sa propre accumulation. Plus moyen que le rêve soit l’expression d’un désir, puisque son accomplissement virtuel est déjà là. » . Ecrit il y a dix ans, ce constat visionnaire est aussi désolant que déterminant. Mais est-il vrai ?

    #Emmanuel_Kant #Imagination #Jean_Baudrillard #Philosophie #Romantisme #Réel #Virtuel

  • À l’ombre des majorités silencieuses ou la fin du social (double extrait)
    http://www.larevuedesressources.org/a-l-ombre-des-majorites-silencieuses-ou-la-fin-du-social-doubl

    Voici un double extrait de la plume même de #Jean_Baudrillard, pour clôturer la semaine éditoriale que La Revue des Ressources lui a consacrée durant la première semaine de décembre, dans le cadre des manifestations pour la parution de l’ouvrage de Valérie Guillaume, Jean Baudrillard et le Centre Pompidou, une biographie intellectuelle. Nous avons rendu compte par une recension de l’événement organisé à la Bibliothèque nationale le 28 novembre et nous avons re-publié l’entretien de 1977 pour la revue (...)

    #Carte_blanche

    / #France, Jean Baudrillard, #XXe_siècle, #Histoire, #Philosophie_politique, #Sociologie, #Éditions_Descartes_et_Compagnie, #Politique, #Les_masses, #1978, modernité, #éditions_Utopie, Sens & (...)

    #modernité #Sens_&_Tonka

  • #Jean_Baudrillard et « La question du pouvoir » en 1977
    http://www.larevuedesressources.org/jean-baudrillard-et-la-question-du-pouvoir-en-1977,1739.html

    Auteur feu de salve de La société de consommation (1970) puis de La consommation des signes [1] (1976), Jean Baudrillard fut le créateur avec Hubert Tonka de la revue foutripétante #Utopie [2]. Satrape du Collège de Pataphysique depuis 2001, Jean Baudrillard continua par ses ouvrages et ses articles à penser boutefeu, par-delà la mêlée. Ne dit-on pas que ses théories, à partir de Simulacres et simulation (1981) ont influencé les réalisateurs de la trilogie #Matrix ? [3] Cet entretien, emmené par (...)

    #Cahier_de_musique

    / #Idées, #Karl_Marx, #Michel_Foucault, Jean Baudrillard, #Philosophie_et_Sciences_de_l'homme, #Philosophie_politique, #Dérive, Utopie, #Traverses, #Enrico_Berlinguer, #Cahier_de_musique, #Gilles_Deleuze, #Masse_critique, (...)

  • À propos d’Une biographie intellectuelle : #Jean_Baudrillard et le #Centre_Pompidou... C’est encore beaucoup à nous dire
    http://www.larevuedesressources.org/a-propos-d-une-biographie-intellectuelle-jean-baudrillard-et-l

    À propos de l’ouvrage de #Valérie_Guillaume sur Jean Baudrilllard et le Centre Pompidou à paraître durant la première semaine de décembre #2013, voici un compte rendu critique non exhaustif, avec quelques idées personnelles (en particulier sur la rupture de Oublier Foucault dans le parcours de son auteur), et ressenti, de l’après-midi du 28 novembre à la BnF consacrée à Jean Baudrillard, lors de laquelle Valérie Guillaume présenta l’ouvrage à paraître. Cette après-midi était organisée par la Bibliothèque (...)

    #Recensions

    / #France, Jean Baudrillard, #Utopie, #Traverses, 2013, #Bibliothèque_Nationale_de_France, #Martine_Dupuis_Baudrillard, #Hubert_Tonka, #Cool_memories,_les_amis_de_Jean_Baudrillard, Centre Pompidou, #Les_éditions_du_Bord_de_l'Eau, #INA, Jean Baudrillard et le Centre Pompidou Une (...)

    #Jean_Baudrillard_et_le_Centre_Pompidou_Une_Biographie_Intellectuelle

  • Quand triomphe l’homo debitor, par Yann FIEVET
    http://www.legrandsoir.info/quand-triomphe-l-homo-debitor.html

    Notre vie ? Comme vous y allez ! Jean Baudrillard, lui, ne s’y trompait pas qui voyait dans la spirale infernale du crédit un retour au Moyen Âge : nous payons avant même d’avoir perçu les fruits de notre travail l’équivalent d’une dîme aux nouveaux saigneurs ( !) que sont les dignitaires des oligarchies financières. Une dîme pour renflouer des caisses que nous n’avons en rien contribué à vider. Une dîme pour nourrir l’enrichissement sans cause d’une poignée de gros actionnaires. Et l’orthodoxie économique dominante fonctionnant telle une religion, nous sommes soumis, comme au temps de la Sainte Inquisition, à une Morale impitoyable. Une double morale, contradictoire qui plus est : au nom de l’austérité inévitable il nous est reproché l’endettement collectif – vous consommez trop et ne travaillez pas assez – tandis qu’au nom de l’impératif de croissance il nous est demandé de consommer toujours plus en recourant au… crédit. Cette économie est schizophrène. Il faut l’enfermer coûte que coûte ! La consommation, qui a produit durant les Trente Glorieuses une déprolétarisation certaine, prolétarise aujourd’hui à tours de bras les pans inférieurs des classes moyennes.