person:jean-françois bayart

  • « Aquarius » : le terrible silence de Brégançon - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2018/08/21/aquarius-le-terrible-silence-de-bregancon_1673762

    Il y a une semaine, après plusieurs jours de déshérence du navire en Méditerranée, Paris s’est finalement engagé à accueillir 60 des 141 réfugiés. La politique antimigratoire de la France et plus généralement de l’Europe compromet notre sécurité et notre humanité sans jamais régler le problème qu’elle prétend combattre.

    Il y a eu quelque chose d’ignoble dans ce face-à-face méditerranéen muet entre l’hôte du fort de Brégançon et l’#Aquarius en déshérence. Après tout, le port de Hyères est « sûr » et aurait pu accueillir ce navire. Ou, à défaut, celui de Toulon, encore plus « sûr » avec ses bateaux de guerre ! Et Emmanuel Macron aurait pu constater de visu, en se rendant sur le quai de débarquement, ce qu’être réfugié (et sauveteur) veut dire. Le geste eût conféré à son mandat une grandeur dont la portée diplomatique se serait longtemps fait sentir, et aurait mis le chef de l’État sur un même pied d’humanité que le pape François.

    Le Président a préféré se débarrasser du problème au téléphone. Il n’a pas eu un mot pour les 141 Africains, dont une moitié de mineurs, rescapés de la mer, qui cuisaient au soleil sur le pont du bateau errant. On ne saura jamais ce qu’aurait pensé de ce mutisme son maître supposé, Paul Ricœur. Point besoin, de toute manière, de grands auteurs pour savoir que les dirigeants européens s’enfoncent dans l’inhumanité la plus abjecte, et nous y font barboter avec eux. Jusqu’à ces Gibraltariens qui retirent à l’Aquarius son pavillon.

    Emmanuel #Macron a déclaré avoir pour livre de chevet l’ouvrage de Stephen Smith la Ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent (Grasset, 2018). Un président ne devrait pas lire que cela. Il pourrait consulter les publications des chercheurs qui travaillent sur le #Sahel et le #Sahara. Il en tirerait une plus juste mesure du « problème » de l’immigration, qui relève largement du fantasme statistique et de la manipulation politique. Le Président devrait surtout prendre connaissance des témoignages de #migrants ouest-africains échappés de l’enfer libyen qu’a recueillis le journaliste suisse Etienne Dubuis (1). Car - faut-il le rappeler ? - il s’agit d’abord d’enfants, de femmes, d’hommes, que les dirigeants européens ont donc décidé de renvoyer là d’où ils cherchent à fuir l’esclavage, le viol et la mort : la #Libye, avec les autorités et les milices de laquelle ils ont signé des accords, d’abord secrets, et maintenant officiels, de « réadmission » des fugitifs.

    Certes, dira le prétendu bon sens en reprenant la formule d’un autre mentor du Président, Michel Rocard, l’Europe « ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Mais il s’agit en l’occurrence d’accueillir la misère que l’Europe a contribué à créer : en instaurant une sainte alliance antipopulaire avec les gouvernements africains qui ont mené leur continent dans l’impasse économique ; en imposant, à partir des années 80, des programmes d’ajustement structurel qui ont accru la pauvreté de la masse sans fournir d’opportunités économiques à la majorité des diplômés ; en intervenant militairement en Libye pour renverser Kadhafi, sans se préoccuper de l’onde de choc régionale ni des migrants africains qui y travaillaient ou y transitaient. Comme l’a rappelé Ibrahima Thioub dans son discours de réception du titre de docteur honoris causa à Sciences-Po, les Etats européens et africains sont coresponsables de la réinvention contemporaine de l’esclavage sur les rives de la Méditerranée, les uns par leur rejet d’une main-d’œuvre que leurs économies appellent pourtant, les autres par leur iniquité.

    La politique antimigratoire de l’Europe est criminelle. Elle a provoqué la mort de dizaines de milliers de personnes. De surcroît, elle compromet notre sécurité, en même temps que notre humanité. En effet, loin de répondre au problème qu’elle prétend régler, elle l’aggrave.

    Dans la droite, la très droite ligne de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande, Emmanuel Macron, notamment, confond les prétendues menaces de l’immigration et du terrorisme - aucun des deux phénomènes ne constitue une « menace », au sens militaire précis du terme - et, ce faisant, il les nourrit mutuellement. La pression sur les Etats d’Afrique du Nord et du Sahel pour qu’ils bloquent sur leur territoire les migrants les déstabilisera. La France n’a plus d’autre politique africaine que sécuritaire. Elle inféode désormais son aide publique au développement à son intervention militaire. Elle est revenue aux recettes de la guerre d’Algérie, y compris en termes d’exactions puisque l’Élysée cautionne les violations des droits de l’homme auxquelles se livrent les armées malienne et camerounaise. La France appuie les dictatures vieillissantes du Tchad et du Cameroun, trop utiles pour être critiquées, et, au Mali, la perpétuation électorale d’une classe dominante à bout de souffle. D’ores et déjà, la militarisation de la lutte contre le jihadisme a eu pour résultat d’étendre le périmètre de la violence à l’ensemble du bassin du lac Tchad et au centre du Mali.

    La triste réalité, c’est que l’Afrique sahélienne est en passe de s’installer dans un « gouvernement par la violence », selon l’expression du spécialiste de la Colombie Jacobo Grajales (Gouverner dans la violence. Le paramilitarisme en Colombie, Karthala, 2016). La responsabilité de l’Europe est accablante dans cette évolution. Sa politique ne cesse d’en favoriser les protagonistes sous prétexte de les combattre. La France n’a plus d’autre politique africaine que sécuritaire, antimigratoire, antiterroriste, antinarcotique, et inféode désormais son aide publique au développement à son intervention militaire, que doivent renforcer sur le terrain les programmes de l’Agence française de développement. Lutte contre la drogue, lutte contre l’immigration, lutte contre le #terrorisme : tous les ingrédients du cocktail qui a fait basculer l’Amérique centrale dans une situation incontrôlable sont réunis au Sahel. Vous avez aimé le Mexique ? Vous adorerez l’#Afrique de l’Ouest !
    (1) Les Naufragés. L’odyssée des migrants africains, Karthala, 2018

    Jean-François Bayart

    La comparaison avec le Mexique est super intéressante mais glaçante.

    #immigration #dictatures #néocolonialisme #violence #narcotiques #drogues

  • The right to ‘eat’
    http://africasacountry.com/2017/06/the-right-to-eat

    Politics in many parts of Africa is often understood through a metaphor of eating – a point to which Jean-François Bayart drew our attention in his seminal 1989 publication, The State in Africa. In contrast to the social scientific discourse of corruption, the idiom of eating is more neutral and bespeaks necessity. While eating to…

  • Trump, Poutine, Erdogan, Le Pen : « C’est le nationalisme pour les pauvres et le libéralisme pour les riches »
    https://www.bastamag.net/Trump-Poutine-Erdogan-Le-Pen-C-est-le-nationalisme-pour-les-pauvres-et-le

    S’adapter à la mondialisation, ou accepter le repli identitaire des Trump, Wilders et Le Pen ? Nombreux sont ceux qui réduisent le champ des possibles à ces deux seules options, convoquant le Brexit ou l’élection du président américain pour justifier le vote utile et disqualifier celles et ceux qui sont en recherche d’une alternative. Dans un essai décapant, le politologue Jean-François Bayart, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’étude des État-nations, montre au contraire comment la (...)

    #Décrypter

    / #Conservateurs, #Droites_extrêmes, #Politique, #Europe, #Amériques, #Entretiens, #Capitalisme, (...)

    #Oligarchies

  • Jean-François Bayart : « L’urgence est de dénoncer l’imposture identitaire »
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/020417/jean-francois-bayart-l-urgence-est-de-denoncer-l-imposture-identitaire

    Les #nationalismes seraient-ils en train de prendre leur revanche sur une globalisation devenue synonyme de dumping social généralisé ? Au contraire, les deux systèmes fonctionnent de concert, avance le chercheur Jean-François Bayart, pour qui l’erreur de diagnostic commise par les leaders politiques à travers la planète conduit celle-ci à sa perte. Entretien et bonnes feuilles.

    #Culture-Idées #national-libéralisme

  • François Fillon, le national-libéral par excellence, par Jean-François Bayart.
    https://blogs.mediapart.fr/jean-francois-bayart/blog/271116/francois-fillon-le-national-liberal-par-excellence

    Catholique conservateur dans le domaine des mœurs et dans sa conception du « roman national », ultralibéral et thatchérien dans la sphère économique, admirateur de Poutine au point de cautionner la « groznyfication » d’Alep pour ce qui est de la politique étrangère, de quoi François Fillon est-il le nom ? Du national-libéralisme, dont il incarne à la perfection l’équilibre précaire et illusoire entre le principe national et le principe libéral. (...)

    #FrançoisFillon #Bayart #National-libéralisme

  • Jean-François Bayart, « Dessine moi un MENA ! », ou l’impossible définition des « aires culturelles »
    http://www.fasopo.org/sites/default/files/varia1_n38.pdf

    Les « aires culturelles » demeurent une fiction utile, pourvu que l’on en n’ait pas une définition culturaliste. La délimitation de la zone qualifiée de Moyen-Orient/Afrique du Nord (MENA), qui se superpose en partie à celle de la Méditerranée, est un cas d’école. Aucun critère objectif ne permet de caractériser l’une ou l’autre.
    La définition d’un ensemble régional doit partir non pas de facteurs statiques, mais de l’identification de dynamiques pertinentes du point de vue que privilégie l’opérateur, scientifique ou organisationnel, de la délimitation dudit ensemble. Deux approches se révèlent alors disponibles : celle de l’écologie historique, ou
    celle de la sociologie historique et comparée de la formation de l’Etat. De ce dernier point de vue, l’ensemble considéré procède d’un moment d’historicité identifiable : le passage, au xixe-xxe siècle, d’un monde d’empires à un système régional d’Etats-nations, que fondent la définition ethnoconfessionnelle de la citoyenneté et sa
    mise en oeuvre par des politiques publiques de purification ethnique, plus ou moins violentes et systématiques.
    Une telle situation historique de « gouvernement dans la violence » (Jacobo Grajales) continue de dominer la région. L’espace historique considéré à travers le prisme d’un moment d’historicité particulier est un effet de composition de durées hétérogènes, plus ou moins longues, qui participent de champs sociaux, et donc d’espaces-temps, différents, d’ordres religieux, économique, culturel, « ethnique », politique, etc., s’articulant à d’autres espaces historiques, mitoyens ou éloignés. Le concept bergsonien de souvenir du présent permet alors de mieux comprendre la compénétration de ces durées sous-jacentes aux mémoires historiques traumatiques et conflictuelles qui le hantent et le façonnent.

    #empire #Etat_nation #purification_ethno-confessionnelle #gouvernement_dans_la_violence

  • L’Amérique imaginaire de Donald Trump - Le Temps
    https://www.letemps.ch/monde/2016/11/18/lamerique-imaginaire-donald-trump

    L’Amérique imaginaire de Donald Trump

    Pour le chercheur Jean-François Bayart, Donald Trump défend une Amérique imaginaire. Les pieds plantés dans la globalisation, il vend du patriotisme à ses électeurs

    #états-unis #trump

  • Jean-François Bayart : « La #France est droguée à l’argent des pétromonarchies »
    https://www.mediapart.fr/journal/international/051215/jean-francois-bayart-la-france-est-droguee-largent-des-petromonarchies

    Pour le professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, la #France a fait preuve d’aveuglement en concluant des accords de défense avec les pays du Golfe.

    #International #Fil_d'actualités #Arabie_Saoudite

  • Jean-François Bayart : « La France est droguée à l’argent des pétromonarchies » - Luis Lema - Publié jeudi 3 décembre 2015
    http://www.letemps.ch/monde/2015/12/03/jean-francois-bayart-france-droguee-argent-petromonarchies

    Le Temps : L’Arabie saoudite, le meilleur ennemi de la France ?

    Jean-François Bayart : C’est en tout cas le résultat d’une alliance avec les pétromonarchies dont nous recevons aujourd’hui l’effet de boomerang. A partir des années 1970 ont été signés toute une série d’accords de défense entre la France et les Emirats arabes unis, puis le Qatar et dans une moindre mesure le Koweït, auxquels s’ajoute en outre un partenariat très développé avec l’Arabie saoudite de même qu’avec le Pakistan. Le propos des Français était avant tout commercial. Nous sommes alors dans le contexte des chocs pétroliers et d’un grave déficit de la balance commerciale de la France. Le premier objectif concernait ce que l’on appelle « les grands marchés », dont l’exportation française est très tributaire, à l’inverse par exemple de l’Allemagne dont les exportations reposent davantage sur un tissu de petites et moyennes entreprises beaucoup plus dense et performant.

    Dans ces accords de défense, certaines clauses secrètes et différées dans le temps. Ces clauses étaient « très engageantes » comme on dit dans le vocabulaire militaire français, c’est-à-dire qu’elles impliquent l’automaticité. Très concrètement, si demain il y a un conflit entre l’Iran et le Qatar, ces accords de défense stipulent l’intervention militaire automatique de la France.

    #Jean-François_Bayart

  • Le retour du boomerang
    Par Jean-François Bayart, Professeur à l’IHEID (Genève), directeur de la chaire d’Etudes africaines comparées (UM6P, Rabat) — 15 novembre 2015 à 12:31
    http://www.liberation.fr/debats/2015/11/15/le-retour-du-boomerang_1413552

    En bref, nous sommes responsables de ce qui nous arrive.
    Seul un retournement radical pourrait nous en sortir : la remise en cause de la financiarisation du capitalisme qui détruit le lien social, créé la misère de masse et engendre des desperados ; une politique de sécurité qui privilégie le renseignement humain de qualité et de proximité plutôt que la surveillance systématique, mais vaine, de la population ; le rétablissement et l’amplification des libertés publiques qui constituent la meilleure riposte à l’attaque de notre société ; la révision de nos alliances douteuses avec des pays dont nous ne partageons que les contrats ; et surtout, peut-être, la lutte contre la bêtise identitaire, aussi bien celle d’une partie de notre propre classe politique et intellectuelle que celle des djihadistes.

  • Angry Arab : Quelques remarques sur le carnage de Paris (traduction) | Culture et politique arabes
    http://cpa.hypotheses.org/5766

    Cette chronique propose donc de donner à lire une réaction, écrite, il est vrai, non pas en arabe mais par un Arabe, à savoir As’ad Abu Khalil, alias Angry Arab, né au Liban en 1960 et aujourd’hui professeur de sciences politiques à l’Université de Californie. L’original est donc en anglais et j’en propose ma traduction, sachant que le texte, comme on le verra à certaines références, est destiné en priorité à des lecteurs anglo-saxons.

    Un commentaire personnel toutefois, avant de laisser la parole à l’auteur d’un texte qui mérite d’être découvert en français pour ceux que l’anglais rebute : quelques heures, quelques jours seulement après les attentats de vendredi soir, on sent bien que les réactions en France sont très différentes de celles auxquelles on a assisté, il y a un peu moins d’un an, avec les attaques qui ont commencé au siège de Charlie Hebdo (et c’est tant mieux de mon point de vue). On voit apparaître des commentaires qu’on imaginait difficilement possibles il y a quelque temps encore. Certes, on trouve encore quelques obsessionnels pour répéter à l’envi que tout cela ne serait pas arrivé si on était intervenu militairement en Syrie (comme si la destinée de l’Irak ou de la Libye, pour s’en tenir à ces deux exemples, ne donnait pas à réfléchir, et comme si la France n’était pas intervenue militairement alors que le président français a lui-même reconnu l’avoir fait, avant d’ordonner des bombardements sans souci de la moindre légitimité diplomatique, même formelle). Mais de tels propos paraissent aujourd’hui de plus en plus pour ce qu’ils sont bien souvent : une lecture passionnée, en tout cas très partisane, de la situation syrienne, et non pas une analyse aussi impartiale que possible, une analyse qui reste engagée sans doute, et ancrée dans des convictions, mais pas au point de s’aveugler aux réalités les plus évidentes. D’autres lectures commencent à se faire entendre, y compris en des lieux où elles ne pesaient guère jusqu’à présent à côté d’autres opinions, martelées jour après jour. A titre d’exemple parmi quelques autres, le point de vue de Jean-François Bayart tout juste publié dans Libération.

    À suivre, les « observations » d’As’ad Abu Khalil sur le carnage perpétré à Paris vendredi dernier. Un texte qui n’est pas « gravé dans le marbre » mais qui répond au style de cet auteur sur un blog où il écrit depuis une douzaine d’années ; un texte qu’on n’est pas près de trouver dans les grands médias français, même s’ils commencent à s’ouvrir davantage à une diversité d’opinion sur la question syrienne.

    #cpa #angry_arab

  • Terrorisme : notre irresponsable part de responsabilité
    Le Yéti, Politis, le 15 novembre 2015
    http://www.politis.fr/Terrorisme-notre-irresponsable%2c33017.html

    (Deux jours après, le Yéti se faisait virer de Politis...
    http://www.politis.fr/Fin-du-monde-d-apres-sur-Politis,33038.html )

    13-Novembre : l’Occident ne peut combattre le jihadisme en soutenant ses parrains !
    Maxime Chaix, dedefensa.org, le 15 novembre 2015
    http://www.dedefensa.org/article/13-novembre-loccident-ne-peut-combattre-le-jihadisme-en-soutenant-ses-par

    Le retour du boomerang
    Jean-François Bayart, Libération, le 15 novembre 2015
    http://www.liberation.fr/debats/2015/11/15/le-retour-du-boomerang_1413552

    http://seenthis.net/messages/428069
    http://seenthis.net/messages/428292

    #Attentats #Paris #VosGuerresNosMorts

    #recension

  • Le retour du boomerang - Jean-François Bayart
    http://www.liberation.fr/debats/2015/11/15/le-retour-du-boomerang_1413552

    La démission de l’Europe sur la question palestinienne, dès lors que sa diplomatie commençait là où s’arrêtaient les intérêts israéliens, a installé le sentiment d’un « deux poids deux mesures », propice à l’instrumentalisation et à la radicalisation de la rancœur antioccidentale, voire antichrétienne et antisémite. L’alliance stratégique que la France a nouée avec les pétromonarchies conservatrices du Golfe, notamment pour des raisons mercantiles, a compromis la crédibilité de son attachement à la démocratie – et ce d’autant plus que dans le même temps elle classait comme organisation terroriste le Hamas palestinien, au lendemain de sa victoire électorale incontestée. Pis, par ce partenariat, la France a cautionné, depuis les années 1980, une propagande salafiste forte de ses pétrodollars, à un moment où le démantèlement de l’aide publique au développement, dans un contexte néolibéral d’ajustement structurel, paupérisait les populations, affaiblissait l’Etat séculariste et ouvrait une voie royale à l’islamo-Welfare dans les domaines de la santé et de l’éducation en Afrique et au Moyen-Orient.

    […]

    Seul un retournement radical pourrait nous en sortir : la remise en cause de la financiarisation du capitalisme qui détruit le lien social, créé la misère de masse et engendre des desperados ; une politique de sécurité qui privilégie le renseignement humain de qualité et de proximité plutôt que la surveillance systématique, mais vaine, de la population ; le rétablissement et l’amplification des libertés publiques qui constituent la meilleure riposte à l’attaque de notre société ; la révision de nos alliances douteuses avec des pays dont nous ne partageons que les contrats ; et surtout, peut-être, la lutte contre la bêtise identitaire, aussi bien celle d’une partie de notre propre classe politique et intellectuelle que celle des djihadistes. Car les Zemmour, Dieudonné, Le Pen, et Kouachi ou autres Coulibaly sont bien des « ennemis complémentaires », pour reprendre le terme de l’ethnologue Germaine Tillion.

    (via @rumor sur Twitter)

  • Pour mieux comprendre la société politique turque par Jean-François Bayart

    http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-francois-bayart/031014/pour-mieux-comprendre-la-societe-politique-turque

    A l’heure où la Turquie est présente à la une de l’actualité, lutte contre Da’ech, question kurde et élection triomphale de Recep Tayyip Erdoğan à la présidence de la République obligent, il faut se féliciter que des chercheurs nous permettent de prendre un peu de recul pour mieux comprendre les événements en cours. Les éditions Karthala ont récemment publié deux livres importants sur le pays, qui donnent lieu à débat samedi 4 octobre, à la librairie Gibert Joseph de Barbès, à 17h30.

    Le premier d’entre eux, dirigé par Marc Aymes, Benjamin Gourisse et Elise Massicard, L’Art de l’Etat en Turquie. Arrangements de l’action publique de la fin de l’Empire ottoman à nos jours, dans l’excellente collection Meydan, est issu du programme Transtur (« Ordonner et transiger. Modalités de gouvernement et d’administration en Turquie et dans l’Empire ottoman, du XIXe à nos jours »). Cet ouvrage collectif, résolument pluridisciplinaire, met à mal la mythologie de l’Etat en Turquie. Celui-ci est généralement présumé fort, autoritaire, centralisé, autonome par rapport à la société. Et, en rupture avec l’ancien régime ottoman, il se serait posé en démiurge d’une modernisation au forceps, sur le mode d’une occidentalisation volontariste, dont la laïcité républicaine serait l’expression idéologique, placée sous la haute protection de l’armée.

    « Tout faux », ou presque, nous disent les auteurs. La continuité des modes de gouvernement de l’Empire ottoman au régime républicain contemporain est parfois troublante. Si l’armée soutient la laïcité, c’est souvent comme la corde le pendu. Plus généralement, il n’y a pas, entre les institutions républicaines et l’islam, une relation à somme nulle, mais plutôt un accommodement évolutif. Tout Papa sévère qu’il fût, l’Etat n’a cessé d’être à l’écoute des forces sociales et des provinces, notamment par le biais des pétitions, des confréries, et, last but not the least, par celui du clientélisme électoral, dont un véritable système de partis a été l’habitacle depuis les années 1950. De ce fait, il a souvent transigé, et surtout il a été pénétré par des organisations ou des courants religieux, politiques, syndicaux. Aussi n’est-il pas un monolithe. En conséquence, les concepts ou les notions qui sont généralement mobilisés pour l’interpréter, à commencer par ceux de patrimonialisme à propos de l’Empire ottoman, ou de kémalisme et de laïcité au sujet de la République, s’avèrent d’une portée limitée, voire trompeurs. Telle est, à grands traits simplificateurs, la thématique générale de l’ouvrage, que déclinent ses chapitres, sous différents angles.

  • Retour sur les Printemps arabes
    http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-francois-bayart/311013/retour-sur-les-printemps-arabes

    Lecture passionnante par Jean-François Bayart des Printemps arabes, replacés dans une perspective doublement élargie : géographique (de l’Indonésie au Mali, en passant comme il se doit par la Turquie et l’Iran), historique, en remontant non seulement aux émeutes de la faim ou du pain, mais même au delà, aux mouvements anticoloniaux des années 30.
    Deux traits dominants dans son analyse : une lecture sociale, où le mouvement de construction de l’Etat par les élites ne cesse de faire l’objet de protestations par les classes dominées ; et la « situation autoritaire » comme forme de stabilisation et de reproduction de cette domination sociale. Pour Bayart, « l’assignation identitaire » de type ethnoconfessionnel, produite par l’autoritarisme, a son pendant dans le caractère asymétrique de la formation, qu’il se manifeste dans les inégalités territoriales ou dans la captation des ressources par des « ’assabiyat »-s.

    Sa conclusion :

    des “Printemps arabes” [...] il ne faut pas désespérer, nonobstant la morosité – ou la joie mauvaise – qui règne désormais dans les esprits. Il est bien possible – bien probable ? – que les processus de restauration autoritaire, le rechapage thermidorien de l’aventure révolutionnaire, la modernisation conservatrice des monarchies ou la poursuite d’une coercition sans merci finissent par reconduire o sistema et les “démocraties sans démocrates” (56). Mais il est improbable que les événements de ces deux dernières années n’aient pas affecté en profondeur les sociétés et n’aient pas semé les graines d’autres transformations, d’autres ruptures. Tel fut d’ailleurs le cas du Printemps des Peuples, en 1848. Ses effets se firent sentir dans la durée, bien longtemps après que la fumée des canons qui l’ont étouffé dans les différents pays du Vieux Continent, dès 1852, se fut dissipée. En politique comme dans la nature, les saisons se suivent et ne se ressemblent pas. Néanmoins, il est bien rare que les hirondelles ne reviennent pas sur des terres qu’elles ont fréquentées.

    • Les généralisations sur le « printemps arabe » sont possibles si l’on considère que la Libye et la Syrie ont connu d’importants mouvements révolutionnaires. Mais si l’on a des doutes sur ce point et que l’on perçoit surtout l’instrumentalisation par l’OTAN et divers États de groupes armés islamistes, on peut considérer ces longues analyses et ces grandes théorisations comme étant bien peu fondées.

    • On peut s’accorder aujourd’hui sur le fait que les mouvements de protestation qui ont touché les pays arabes ont eu des trajectoires très diverses, voire même contre-révolutionnaire finalement dans le cas de l’Egypte. A partir de là, il n’y a pas que la Libye et la Syrie qui ne sont pas caractérisées par des révolutions. Mais les pays connaissent d’importants mouvements sociaux et politiques de révoltes et de protestations, dont la dimension sociale est très forte. Ce que fait Bayart, c’est justement de minimiser la singularité historique des mouvements de l’année 2011 par rapport à un ensemble de mouvements et de protestations qui se sont égrenées depuis la fin de l’Empire ottoman, moment fondateur de l’autoritarisme dans la région (long moment de rétractation, depuis 1830 pour l’Algérie, avant la chute finale en 1918-20). A partir de là, ce n’est plus tant une généralisation sur les révolutions arabes que sur les trajectoires de ces pays et de ces Etats.
      Là où la critique est sans doute fondée, c’est de dire que la dimension géopolitique - notamment impérialiste - est moins prise en compte.

  • Chronique d’une faillite programmée au Mali
    Par Jean-François Bayart, directeur de recherche au CNRS
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/01/22/chronique-d-une-faillite-programmee-au-mali_1820681_3232.html

    La France a une part de responsabilité directe dans l’effondrement de l’Etat malien. Elle a soutenu dès les années 1980 des programmes d’ajustement structurel d’inspiration néolibérale qui ont détruit l’école et la santé publiques et ont ainsi ouvert une voie royale aux institutions islamiques de substitution.

    Elle a endossé la libéralisation de la filière coton voulue par la Banque mondiale, qui a accéléré l’exode rural et l’émigration, tout en bloquant cette dernière, alors même que les remises des expatriés sont plus élevées que l’aide publique au développement.