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  • Vacarme des oiseaux, par John Ashbery
    http://www.vacarme.org/article3077.html
    Traduction de l’anglais (États-Unis) par Olivier Brossard

    Nous traversons allègrement le XVIIe siècle.
    Les dernières années sont pas mal, beaucoup plus modernes
    que celles du début. Désormais nous avons le théâtre de la Restauration.
    Webster et Shakespeare et Corneille n’étaient pas mauvais
    pour leur époque mais pas assez modernes,
    bien qu’ils représentent un réel progrès par rapport au XVIe siècle
    d’Henry VIII, Lassus et Petrus Christus qui, paradoxalement,
    semblent plus modernes que leurs successeurs immédiats
    Tyndale, Moroni et Luca Marenzio, parmi d’autres.
    Le plus souvent, il s’agit de paraître moderne plutôt que de l’être.
    Paraître, c’est presque aussi bien qu’être, parfois,
    il arrive même que cela soit aussi bien. Que cela soit même mieux
    est une question qu’il vaut mieux laisser aux philosophes
    et gens de leur étoffe, eux qui connaissent les choses
    d’une façon inconnue des autres, même si les choses
    sont souvent presque les mêmes que celles que nous connaissons.
    Nous savons par exemple comment Carissimi a influencé Charpentier,
    a mesuré les propositions avec une boucle à leur extrémité
    qui ramène les choses à leur début, mais juste un peu
    plus haut. La boucle est italienne,
    introduite à la cour française, d’abord méprisée,
    puis acceptée sans que quiconque ne prenne la peine de dire d’où
    elle venait, une habitude bien française.
    Il se peut que certains la reconnaissent
    sous sa nouvelle forme — cela peut être remis
    à un siècle plus tardif, quand les historiens
    diront que tout ça s’est produit normalement, par la simple marche de l’histoire.
    (Le baroque a une façon de débouler vers nous
    alors que nous croyions qu’il était hors de portée, bien rangé.
    Le classicisme l’ignore, ou n’y prête guère attention.
    Il a d’autres choses en tête, d’importance moindre,
    en fin de compte). Néanmoins, nous avons raison de grandir avec lui,
    d’attendre impatiemment le modernisme, quand
    tout finira par s’arranger, d’une façon ou d’une autre.
    En attendant, mieux vaut que nous nous fassions plaisir
    en donnant libre cours à nos envies : cette chaussure,
    cette sangle, finiront bien un jour par sembler utiles
    quand la présence pensive du modernisme se sera installée
    tout autour, comme les restes d’un jeu de construction.
    C’est bien d’être moderne si vous pouvez tenir.
    C’est comme lorsque vous vous retrouvez sous la pluie, et que vous comprenez
    que vous avez toujours été comme ça : moderne,
    mouillé, abandonné, mais doué d’une intuition particulière,
    la conscience de n’avoir jamais été fait pour être
    quelqu’un d’autre, celui pour qui les inventeurs
    du modernisme se feront inspecter
    alors même qu’ils se flétrissent et s’évanouissent dans l’éclat du jour.

    #Écritures, #Poésie