Aux mathématiciens rien d’impossible. Une équipe lyonnaise a réussi l’exploit de faire rentrer une sphère non étirable et non contractable dans une autre deux fois plus petite – voire infiniment plus petite – sans déformer les longueurs des courbes sur sa surface. L’opération marcherait ainsi pour une sphère de la taille de la Terre, que l’on pourrait faire tenir dans un ballon de football, tout en gardant inchangée la longueur d’un tour du monde (40 000 kilomètres) !
Ce tour de force, mûri entre 2012 et 2017, a été décrit le 5 juillet dans Foundations of Computational Mathematics. « Cela a été difficile en partie parce que notre travail est interdisciplinaire », indique Vincent Borrelli, enseignant-chercheur de l’université de Lyon à l’Institut Camille-Jordan, à la tête de ce projet baptisé Hévéa. Maths pures et appliquées, imagerie de synthèse, calcul scientifique… Autant de compétences réunies pour que cette déformation paradoxale devienne visible en images de synthèse. Un modèle 3D a même été imprimé.
Une infinité de ridules
« Le résultat est stupéfiant et c’est loin d’être une amusette. Il soulève des questions profondes sur les surfaces », salue Etienne Ghys, directeur de recherche à l’ENS Lyon et collaborateur régulier du supplément « Science & Médecine ». Au XIXe siècle, Gauss démontre que ce genre de réduction est impossible. Un autre génie, John Nash, en 1954, prouvera le contraire, à condition d’accepter que la surface finale soit un peu particulière. Puis dans les années 1980, un troisième grand nom des maths, Mikhaïl Gromov, à l’Institut des hautes études scientifiques, éclairera à nouveau la question. « C’est comme une recette de cuisine. Nash l’a décrite au niveau moléculaire, Gromov au niveau des ingrédients, et nous, nous l’avons réalisée », savoure Vincent Borrelli.
La clé est donc un changement d’aspect de la surface. Pour que les longueurs sur la sphère réduite soient identiques à celles de la sphère d’origine, il « suffit » de faire osciller de nombreuses fois toutes les courbes tracées sur la surface. Après une infinité d’itérations, celle-ci se couvre de ridules, de vagues, de creux… appelés corrugations. Elle reste néanmoins lisse : on peut y promener la main sans s’écorcher. Le modèle fabriqué en 3D n’a cependant pas, faute de précision suffisante, assez de ces corrugations ; son « équateur » ne fait qu’environ 60 % de celui de la sphère deux fois plus grosse.
L’ensemble ressemble à une fractale, qui, comme le flocon de neige, présente le même aspect quelle que soit l’échelle d’observation. « Ces objets ne sont pas vraiment des fractales, car sans arête, mais ils ne sont pas ordinaires non plus. Ce sont des fractales lisses », résume Vincent Borrelli. « Je suis émerveillé par ce travail. On connaissait la construction de Nash, mais on ne savait pas du tout à quoi elle pouvait ressembler. Maintenant on peut la voir et c’est magnifique », apprécie Damien Gayet, professeur à l’université de Grenoble.
L’équipe avait réalisé en 2012 un autre objet impossible. Une feuille se transforme en cylindre. Puis les deux extrémités circulaires sont réunies pour obtenir une bouée. Mais sans faire de plis ni d’arêtes grâce, là encore, à des corrugations de surface.