Du début de l’année 2000 jusqu’à fin 2007, j’ai envoyé des lettres de non-motivation à une myriade d’entreprises pour refuser le travail qu’elles proposaient. J’ai posté plus de mille lettres sur une période de sept ans et reçu une cinquantaine de réponses des DRH dont une dizaine était personnalisée. Le reste des retours reprenait les formules de politesse consacrées.
Le processus de refus du travail était très régulier et très réglé. Je parcourais les petites annonces dans la presse spécialisée ou généraliste, comme on le fait habituellement pour chercher un emploi, je choisissais les offres en réagissant à leur contenu, à leur formulation, à leur iconographie ou à leur mise en page mais, surtout, en essayant de balayer le spectre des propositions le plus large possible pour refuser à la fois des postes d’apprenti boulanger, d’auditeur comptable et financier, de discothécaire, de responsable de rayon fruits et légumes, d’infirmier anesthésiste, de technicien SAV, de directeur d’établissement, etc. Il s’agissait de décliner les offres en jouant tous les rôles possibles pour être, tour à tour, le refuseur d’emploi ne souhaitant pas travailler pour un salaire dérisoire, le robot aux algorithmes réfractaires, le gangster des années 1950 à l’argot fleuri, le non-candidat sans compétences, ou encore le lettriste inintelligible. Sans jamais oublier, bien sûr, de terminer par un refus clair et net de l’emploi en question.
Cet exercice de style peut être imaginé comme un véritable atelier d’écriture impliquant un rédacteur de petites annonces, un chef du personnel et moi-même. Il donnait à voir, tout en l’amplifiant sur un mode tragi-comique, une facette de la réalité néolibérale qui nous entoure : celle du marché du travail, de sa puissance normative et des contorsions multiples qu’il nous impose.